Les enfants de familles désunies en France Leurs trajectoires ... - Ined

Les enfants de familles désunies en France
Leurs trajectoires, leur devenir
par
Paul Archambault,
préface de Martine Segalen
Un nouvel ouvrage paru aux Éditions de l’Ined, Paris, 2007
Institut national d’études démographiques - 133, bld Davout 75 980 Paris cedex 20 - 01 56 06 20 00

Le propos
Aujourd’hui en France, un enfant sur quatre connaît une séparation
parentale, tant le nombre de divorces a augmenté depuis trente ans. Mais
dès 1975, les enfants de parents divorcés étaient au centre des préoccupations
du législateur.
Que sont-ils devenus aujourd’hui ? Peut-on dire, avec le recul du temps,
qu’ils ont été pénalisés par la désunion de leurs parents ? Le fait d’avoir
vécu avec un parent seul ou dans une famille recomposée a-t-il eu des
répercussions sur leur scolarité, leur entrée dans la vie professionnelle ou
la formation du premier couple ?
En analysant avec finesse une série d’enquêtes réalisées dans les années
1990, Paul Archambault montre que, dans tous les milieux sociaux, l’impact
de la séparation des parents est visible sur l’obtention du premier diplôme,
l’âge de fin des études et l’âge au départ de chez les parents, mais qu’il n’a
guère d’effet sur l’entrée dans la vie adulte. En revanche, si le parent
qui gardait l’enfant a formé un nouveau couple, l’impact est fortement
atténué. Ces observations persistent une fois les interférences avec les
facteurs sociaux prises en compte. L’auteur suggère que l’État pourrait corriger
l’incidence des inégalités familiales en modulant les critères d’attribution
des aides aux familles, des bourses ou de la fiscalité des ménages.
Une contribution inédite à un champ d’études peu exploré, qui ne prétend
pas trancher le débat sur les effets du divorce, mais l’alimenter en données
aussi solides que possible.
L’auteur
Paul Archambault, docteur en sociodémographie, collabore depuis 1998 avec l’Institut national d’études
démographiques (INED) sur le thème de la famille. Il a rejoint le secteur privé pour étudier les comportements de
consommation.
Les sources
Les enfants de familles désunies en France
Leurs trajectoires, leur devenir
par Paul Archambault
Préface de Martine Ségalen
Un ouvrage sur le devenir des enfants de parents séparés
Paul Archambault,
Les enfants de familles
désunies en France. Leurs
trajectoires, leur devenir,
Paris, Ined, 2007, 232 p.
Les trois sources utilisées sont l’enquête Passage à l’âge adulte de l’Ined, réalisée auprès de 2988 jeunes
âgés de 25 à 34 ans (1993) ainsi que les enquêtes Jeunes de l’Insee de 1992 (9334 entretiens) et 1997
(8373 entretiens) effectuées auprès de jeunes âgés de 18 à 29 ans. Ces enquêtes distinguent plusieurs
cas de figure :
- la vie en famille nucléaire unie, avec les deux parents d’un premier et unique mariage ;
- la vie en famille dissociée du fait d’un décès parental ;
- la vie en famille monoparentale après un divorce ou une séparation ;
- la vie en famille « recomposée » avec un parent biologique et un beau-parent.
Les effets du divorce sur le long terme : une première dans la recherche
En France, les premiers travaux traitant des conséquences du divorce sur les enfants répondaient aux
demandes du législateur. Avec le vote de la loi sur le divorce « par consentement mutuel » en 1975, l’enjeu
de la séparation s’est déplacé du couple vers l’enfant : le sort des enfants devient la préoccupation centrale
des juges aux affaires matrimoniales. Psychologues, sociologues, juristes s’interrogent à cette époque sur la
notion d’« intérêt de l’enfant » introduite dans la loi. Jusqu’au milieu des années 1990, l’étude des conséquences
du divorce sur l’enfant porte sur le court terme, et privilégie l’approche psychologique. Après deux ou trois
ans, l’enfant est supposé avoir surmonté la rupture.
Le travail de Paul Archambault innove en essayant de mesurer les effets du divorce sur le long terme, que ce
soit sur la réussite scolaire, l’entrée dans la vie professionnelle ou la possibilité de vivre en couple. L’approche
n’est pas psychologique, mais croise la sociologie de la famille, la sociologie de l’éducation et la sociologie de
la mobilité sociale en s’appuyant sur de vastes échantillons représentatifs.
Institut national d’études démographiques - 133, bld Davout 75 980 Paris cedex 20 - 01 56 06 20 00

Le contexte : un nombre croissant d’enfants ayant vécu la désunion des parents,
surtout chez les employés
Depuis le milieu des années
1960, la famille a beaucoup
évolué. La durée de
vie moyenne d’un couple s’est
réduite en raison de l’augmentation
du nombre de divorces. Et la
proportion d’enfants vivant une
transition familiale ne cesse
d’augmenter. À leur majorité,
85 % des enfants nés entre 1959
et 1962 avaient des parents vivant
encore ensemble, contre seulement
76 % des enfants nés entre
1974 et 1978. La banalisation
du divorce s’accompagne d’une
meilleure acceptation sociale
de la recomposition familiale :
« refaire sa vie » après un échec
conjugal est désormais courant,
même en présence d’enfants.
Les trajectoires familiales des
jeunes sont donc marquées par
la fréquence plus élevée de la
séparation des parents qui entraîne
une période de vie en famille
monoparentale et à terme,
de plus en plus souvent, une recomposition
de la famille.
Si les enfants de tous les groupes
sociaux vivent des ruptures
familiales, ceux issus de familles
d’employés et de professions
intermédiaires sont plus
concernés que les autres : plus
Proportion d’enfants vivant, à leur majorité, dans une famille
% désunie, recomposée ou non, selon la CSP du père
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1959-1962 1963-1967 1968-1973 1974-1978
Année de naissance des enfants
Employé
Artisan
Profession intermédiaire
Agriculteur
Cadre
Ouvrier
Sources : Insee, Ined et calculs de l’auteur.
de la moitié des dissociations
familiales proviennent de ces familles,
d’une part parce que les
séparations sont plus nombreuses
dans ce milieu que dans les
autres, d’autre part parce que
la proportion d’enfants issus de
ce milieu s’est accrue du fait
de la croissance des effectifs
d’employés.
Le milieu des agriculteurs reste
le plus stable. Il a été très peu
concerné par la montée des divorces.
Plus de neuf enfants
d’agriculteurs sur dix vivent encore
auprès de leurs deux parents
à 18 ans.
Quelques chiffres
En France, en 1999, sur les
16,3 millions d’enfants de
moins de 25 ans vivant encore
dans le foyer parental :
• 1,6 million, soit un sur dix, vivent
dans une famille recomposée.
Parmi eux, 1 million
vivent avec un seul de leurs
parents et 600 000 avec leurs
deux parents plus des demifrères
ou des demi-sœurs.
• 2,7 millions, soit un sur six,
vivent dans une famille monoparentale.
Leur proportion
augmente avec l’âge : 10 %
des enfants de moins de 3 ans
vivent avec un seul parent
alors que c’est le cas de 24 %
des 18-24 ans. Ces enfants
vivent 7 fois sur 10 avec leur
mère biologique.
Les familles monoparentales ou recomposées ont toujours existé
Les familles monoparentales ou recomposées ne sont pas apparues au XX e siècle. La proportion d’enfants
ayant vécu cette expérience était déjà de même ampleur sous la révolution industrielle. Seules les
Trente Glorieuses ont fait exception, en combinant pour la première fois une longévité accrue et un accès
très restreint à la contraception, à l’avortement et au divorce, d’où la stabilité des couples et la continuité
des trajectoires familiales pour les enfants. Cette parenthèse étant close, on retrouve aujourd’hui l’instabilité
d’antan. Mais le contexte a changé : hier, la rupture était involontaire, liée aux décès qui frappaient
les parents avant qu’ils n’achèvent leur travail d’éducation. Aujourd’hui, ce sont les parents qui prennent
l’initiative de la rupture.
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Divorce et trajectoire scolaire : une corrélation forte, un lien causal à démontrer
Le lien entre parcours scolaire
et origine sociale est
aujourd’hui bien connu : l’école
tend à reproduire les inégalités et
le niveau de diplôme obtenu sera
d’autant plus élevé que l’enfant
aura grandi dans un milieu favorisé.
Quel est alors l’impact du divorce
ou de la séparation sur le parcours
scolaire ?
Comme l’ont montré les différentes
enquêtes réalisées dans les années
1990, à origine sociale donnée, la
dissociation familiale pèse défavorablement
sur la réussite scolaire.
Ainsi, en milieu populaire, elle
réduit singulièrement les chances
d’accès des enfants au baccalauréat
: lorsque la mère n’est pas
diplômée et vit séparée du père,
un enfant sur deux quitte le système
scolaire sans diplôme contre
un sur trois lorsque les parents
vivent ensemble. Les chances
d’accéder à des études supérieures,
déjà très faibles pour l’ensemble
des enfants d’ouvriers (3 %
dans les générations considérées),
deviennent quasiment nulles en cas
de dissociation familiale. Chez les
enfants d’employés ayant vécu la
séparation, le parcours scolaire est
ramené au niveau de celui d’un
enfant d’ouvrier ayant conservé
une famille unie. Un enfant de père
Père cadre ou
intermédiaire
Père
indépendant
Mère diplômée du supérieur
Mère non diplômée du supérieur
Mère diplômée du supérieur
Mère non diplômée du supérieur
ouvrier dont les deux parents vivent
ensemble aura un peu plus de
chances d’obtenir son bac (20 %)
qu’un enfant d’employé dont les
parents sont séparés (16 %).
Enfin, dans les milieux favorisés,
ce sont les études supérieures
qui sont compromises : seulement
25 % des enfants de familles dissociées
obtiennent un diplôme de
second cycle universitaire contre
45 % de ceux dont la famille est
intacte. Pour toutes les catégories
sociales, la durée moyenne des
études est réduite de 6 mois à un
an en cas de dissociation familiale
avant la majorité. Cependant,
le parcours scolaire jusqu’au bac
semble moins, voire pas du tout,
affecté par la séparation si le parent
qui a gardé l’enfant s’est remis en
couple , que dans le cas d’une famille
monoparentale plus défavorisée
financièrement. Peut-on en déduire
une relation causale entre divorce
et réussite scolaire plus faible ?
Si l’influence de la trajectoire
familiale est certaine, les facteurs
explicatifs de la baisse des
performances scolaires lorsque la
famille est désunie sont nombreux,
interdépendants et difficiles à hiérachiser
: aide financière réduite des
parents, moindre contrôle éducatif,
autonomie plus précoce
de l’enfant. Par ailleurs, chaque
situation de rupture familiale est
singulière (âge de l’enfant à la séparation,
nombre de frères et sœurs,
situation plus ou moins conflictuelle
avant et après la séparation, etc. ),
et certaines laissent plus de traces
que d’autres. Des enfants ayant
vécu le divorce de leurs parents
peuvent finalement ne connaître
aucune perturbation. De même,
comment séparer les effets propres
au divorce de ceux liés à un
environnement familial conflictuel ?
Rien ne dit que des enfants grandissant
dans une famille fortement
conflictuelle mais intacte réussissent
mieux que les enfants ayant
des parents séparés.
Peut-on aussi, pour expliquer le
« handicap » scolaire des enfants
du divorce, invoquer des ressources
économiques amoindries par
la séparation, en particulier en
situation de monoparentalité ? Il
semble effectivement que les incidences
du divorce sur la scolarité
sont moins importantes lorsqu’intervient
une recomposition familiale
qui protège financièrement
l’enfant. Or, la monoparentalité est
souvent associée à la précarité, et
la précarité est facteur d’échec
scolaire, ceci quelle que soit la
structure familiale.
Proportion de titulaires du bac dans les générations 1974-1984
selon que les parents ont été ou non séparés
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
Parents unis
Parents séparés
%
Sources : calculs de
l’auteur d’après l’enquête
Jeunes 1992 de
l’Insee..
Père
employé
Mère diplômée du supérieur
Mère non diplômée du supérieur
Père
ouvrier
Mère diplômée du supérieur
Mère non diplômée du supérieur
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La stabilité du premier couple : pas de reproduction du modèle parental
Une opinion répandue veut que les enfants de parents séparés forment des couples plus instables que
les autres enfants.
L’ âge au départ de chez les parents (ici, le parent ayant la charge de l’enfant) est un
premier élément biographique important : il marque le trait d’union entre le passé familial, les études
supérieures et la formation du premier couple. Le départ est significativement plus précoce
pour les enfants de familles dissociées : de près de deux ans chez les filles comme
chez les garçons. L’engagement conjugal et la première rupture sont aussi plus précoces :
par exemple, 20 % des filles de familles recomposées rompent leur première union avant 5 ans contre 19 %
des filles de familles intactes. La tendance à reproduire le modèle parental existe, mais elle est de faible ampleur,
sauf pour les enfants issus de famille monoparentale. Les filles ayant vécu seules avec leur mère sont
ainsi 14 % à vivre seules, avec un enfant contre 4 % en moyenne.
Taux de rupture du premier couple selon le sexe de l’enfant
et ses caractéristiques sociofamiliales*
Femmes
Hommes
Rupture du premier couple (en %)
Dans les 2 ans Dans les 5 ans Dans les 5 ans Dans les 2 ans Dans les 5 ans
en ayant eu un enfant
CSP du père
Cadre/prof inter.
Ouvrier
Employé/indépendant
Diplôme de l’enfant
Aucun diplôme
Inférieur au bac
Bac technique
Bac général à Bac +2
Bac +3 et plus
Famille à 18 ans
Unie
Monoparentale
Recomposée
Un parent décédé
Âge au départ de
chez les parents
< 19 ans
19 < 21 ans
21 < 24 ans
24 ans et plus
Âge à la formation
du premier couple
< 19 ans
19 < 20 ans
20 < 22 ans
22 < 24 ans
24 ans et plus
14
7
7
29
17
17
3
4
7
20
16
16
39
27
26
6
8
8
8
29
18
19
18
21
38
10
5
2
3
3
17
13
15
28
29
28
26
25
46
51
8
19
9
10
19
38
20
22
4
14
7
4
16
26
28
11
30
36
41
16
11
9
6
7
25
19
16
22
6
3
4
7
23
17
11
19
40
30
22
34
9
9
11
8
7
23
20
22
19
17
7
5
3
4
4
28
30
15
14
11
51
44
30
20
25
* Champ : personnes âgées de 25 à 34 ans ayant formé un couple au moins 5 ans avant la date d’enquête.
Source : Ined, Insee et calculs de l’auteur.
Et les orphelins ?
Le premier couple des enfants ayant connu avant 18 ans le décès d’un de leurs parents apparaît très stable,
comparé à celui des enfants de parents séparés. La rupture du premier couple chez les filles ayant connu le
décès d’un de leurs parents est aussi fréquente que chez les filles de famille « intacte ». Chez les garçons
orphelins de père ou de mère, la formation du premier couple est plus tardive et semble jouer en faveur de
la solidité du premier couple.
Comme la situation matérielle de l’enfant « orphelin » s’apparente à celle d’un enfant de famille dissociée,
le divorce et le vécu du conflit familial semblent contribuer à expliquer la tendance à la reproduction d’une
structure familiale instable.
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