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Le veuvage précoce en France - Ined

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<strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong>Isabelle DELAUNAY-BERDAÏ (1)En matière de mortalité, la <strong>France</strong> est un pays de paradoxes, pour ne pasdire d’exception : les femmes y bénéfici<strong>en</strong>t de l’espérance de vie à la naissancela plus élevée au monde après les Japonaises : 82,9 ans. Celle des hommes,<strong>en</strong> revanche, est proche de la moy<strong>en</strong>ne de celle des pays développés :75,6 ans (2) . Cet écart d’espérance de vie <strong>en</strong>tre les deux sexes, de 7,3 années,reste le plus élevé d’Europe et l’un des plus importants du monde même s’ilt<strong>en</strong>d à se réduire (3) . Cet écart ti<strong>en</strong>t à deux facteurs : non seulem<strong>en</strong>t dans notrepays les femmes viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne plus longtemps qu’ailleurs, mais lerisque de mourir avant de vieillir est loin d’avoir disparu. En effet, leshommes français déti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de leur côté un record, europé<strong>en</strong> cette fois : celuide la surmortalité avant 65 ans.Cette « exception démographique » justifie de s’interroger sur l’une deses conséqu<strong>en</strong>ces majeures : le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>. En toute logique, une parti<strong>en</strong>on négligeable des décès prématurés concerne des personnes <strong>en</strong> couple etlaisse des conjoints survivants, <strong>en</strong> majorité des femmes, jeunes ou relativem<strong>en</strong>tjeunes, ayant év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t des <strong>en</strong>fants à charge. Pourtant, nous p<strong>en</strong>sons<strong>en</strong> général que le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> apparti<strong>en</strong>t au passé. De là deuxquestions : quelle est l’ampleur exacte de ce phénomène? Pourquoi est-il dev<strong>en</strong>uquasi invisible?Poser ces questions amène à s’interroger sur la notion plus générale de« <strong>veuvage</strong> ». On perçoit alors un paradoxe : alors que les transformations ducouple contemporain ont <strong>en</strong>traîné un important effort d’adaptation descatégories statistiques et de l’analyse sociodémographique, cet effort reste<strong>en</strong>core à accomplir quand le couple est rompu par décès. Dans ce cas, lapréval<strong>en</strong>ce des catégories de l’état civil est <strong>en</strong>tière et les <strong>en</strong>quêtes quantitativesne saisiss<strong>en</strong>t le <strong>veuvage</strong> que comme un état supposant à la fois un mariageantérieur et l’abs<strong>en</strong>ce de remariage. Or, c’est <strong>en</strong> élargissant la notion decouple aux situations de fait (concubinage, voire couples non cohabitants)que les chercheurs ont créé de nouvelles catégories de p<strong>en</strong>sée et d’analyse.(1) Cet article a été réalisé sous la direction sci<strong>en</strong>tifique d’Irène Théry.Nous exprimons égalem<strong>en</strong>t nos remerciem<strong>en</strong>ts à Alain Monnier ainsi qu’à Cécile <strong>Le</strong>fèvre etAlexandra Filhon, et aux relecteurs de l’article pour leurs remarques ainsi qu’à Laur<strong>en</strong>t Toulemonpour ses conseils et son aide généreuse.(2) G. Pison, 2003, «La population de la <strong>France</strong> <strong>en</strong> 2002», Population et sociétés, n˚ 388.(3) F. Prioux, 2003, «Bilan démographique de la <strong>France</strong>», Population.— 387 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESDémographes, sociologues et juristes ont ainsi analysé de façon approfondiela complexité des évolutions du li<strong>en</strong> familial, les transformations ducouple (4) , et les transformations du droit du concubinage et de la famille naturelle(5) , ses deux formes de ruptures (par divorce ou séparation de fait) avecl’essor du démariage (6) et des familles recomposées par remariage ou reconcubinage(7) .On peut faire l’hypothèse que si, dans la continuité de ces travaux, onprocède à une modernisation de la définition du <strong>veuvage</strong>, alors notre appréh<strong>en</strong>siondu <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> pourra bénéficier de quatre <strong>en</strong>sembles importantsde travaux. Ceux qui port<strong>en</strong>t sur les différ<strong>en</strong>tes causes de mortalité <strong>en</strong><strong>France</strong> et sur les inégalités sociales devant la mort (8) . Ceux qui étudi<strong>en</strong>t lesaspects socio-économiques du <strong>veuvage</strong> (Borrel, Brunson et Madinier 1987,1989), ou <strong>en</strong>core la corrélation <strong>en</strong>tre chômage et surmortalité (9) . Ceux quianalys<strong>en</strong>t le <strong>veuvage</strong> des plus âgés, moins affectés par les nouveaux modes deconjugalité hors mariage. Qu’il s’agisse du risque accru de surmortalitéconsécutivem<strong>en</strong>t au décès du conjoint (Thierry 1999, 2000), de la réorganisationde la vie du survivant (10) , de l’isolem<strong>en</strong>t, tous ces aspects du <strong>veuvage</strong>aujourd’hui mieux connus nous permettront de mieux apprécier la spécificité(ou la non-spécificité) du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> lui-même. Enfin, les travaux portantsur les orphelins (Monnier et P<strong>en</strong>nec, dans ce volume) éclair<strong>en</strong>t, au-delà,les situations des par<strong>en</strong>ts veufs eux-mêmes.Cet article est divisé <strong>en</strong> trois parties :• Dans un premier temps, on réfléchira aux raisons pour lesquelles le <strong>veuvage</strong><strong>précoce</strong> semble avoir disparu de notre horizon de p<strong>en</strong>sée, et on proposera(4) H. <strong>Le</strong>ridon H. et C. Vill<strong>en</strong>euve-Gokalp, 1994, Constance et inconstances de la famille,sParis, <strong>Ined</strong>, Puf.F. Prioux, «<strong>Le</strong> droit et les familles non mariées <strong>en</strong> <strong>France</strong>», 1994, Population, 49 (6).L. Toulemon, «La cohabitation hors mariage s’installe dans la durée», Population, n˚ 51 (3),1996.(5) F. Dekeuwer-Defossez, 1999, «Rénover le droit de la famille : propositions pour un droitadapté aux réalités et aux aspirations de notre temps», rapport au Garde des sceaux, ministre de laJustice, Paris, La Docum<strong>en</strong>tation française, collection des rapports officiels.(6) I. Théry, 1996, <strong>Le</strong> Démariage, Justice et Vie privée, Paris : éditions Odile Jacob, 1993(1 re édition).(7) I. Théry, 1987, «<strong>Le</strong>s beaux <strong>en</strong>fants», Dialogue, Meulders et I. Théry. (sous la direction),1995, <strong>Le</strong>s recompositions familiales, Paris, Nathan.D. <strong>Le</strong>gall et C. Martin, 1987, <strong>Le</strong>s familles monopar<strong>en</strong>tales, évolution et traitem<strong>en</strong>t social,Paris, éditions ESF.(8) E. Cambois, 1999, «Calcul d’espérance de vie sans incapacité selon le statut social dansla population masculine française, 1980-1991 : un indicateur de l’évolution des inégalités socialesde santé», Paris, Institut d’études politiques, Thèse de doctorat <strong>en</strong> Sci<strong>en</strong>ces économiques.G. Desplanques, 1993, «L’inégalité sociale devant la mort », Paris, Données sociales, Insee.F. Muno-Perez et A. Nizard, 1993, «Alcool, tabac et mortalité <strong>en</strong> <strong>France</strong> depuis 1950. Essaid’évaluation du nombre des décès dus à la consommation d’alcool et de tabac <strong>en</strong> 1986», Population,n˚ 3, p. 571-608.J. Vallin et F. Meslé, 1988, <strong>Le</strong>s causes de décès <strong>en</strong> <strong>France</strong> de 1925 à 1978, Travaux et Docum<strong>en</strong>ts,Cahier n˚ 115, Paris, <strong>Ined</strong>, Puf.(9) Annie Mesrine, 1999, «<strong>Le</strong>s différ<strong>en</strong>ces de mortalité par milieu social rest<strong>en</strong>t fortes», in Lasociété française, données sociales, Insee, Paris, p. 228-235; Annie Mesrine, 2000, «La Surmortalitédes chômeurs : un effet catalyseur du chômage?», Economie et Statistique, n˚ 334, avril.(10) V. Caradec V., 2001, Sociologie de la vieillesse et du vieillissem<strong>en</strong>t, Paris, Nathan.— 388 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCEune nouvelle définition des catégories « veuf » », « <strong>veuvage</strong> » et « expéri<strong>en</strong>cedu <strong>veuvage</strong> » dans une perspective sociodémographique. Quant au « <strong>veuvage</strong><strong>précoce</strong> », nous expliquerons pour quelle raison, <strong>en</strong> référ<strong>en</strong>ce aux droits dérivés,nous proposons d’établir le seuil conv<strong>en</strong>tionnel de précocité à 55 ans àla mort du conjoint.• Puis, grâce aux données recueillies dans l’Enquête EHF et appariées aurec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t, nous nous p<strong>en</strong>cherons plus spécifiquem<strong>en</strong>t sur la population desveufs ayant <strong>en</strong>core moins de 55 ans <strong>en</strong> 1999, les « jeunes veufs », <strong>en</strong> nousefforçant <strong>en</strong> particulier de saisir ses caractéristiques sociodémographiques etses formes spécifiques de vulnérabilité.• Enfin, nous proposerons une analyse d’<strong>en</strong>semble des personnes déclarantavoir fait au cours de leur vie l’expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>, quelque soit leur âge <strong>en</strong> 1999. Et nous prés<strong>en</strong>terons quelques-unes des caractéristiquesmajeures des personnes ayant vécu cette expéri<strong>en</strong>ce, les « veufs<strong>précoce</strong>s».Ce double éclairage inédit devrait nous permettre de lever un coin duvoile sur une réalité <strong>en</strong>core largem<strong>en</strong>t ignorée de la société françaiseaujourd’hui.I. – Mieux appréh<strong>en</strong>der le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>1) La situation française : une exception démographique<strong>Le</strong> décès <strong>précoce</strong> existe, <strong>en</strong> <strong>France</strong>, dans des proportions si importantesque l’on parle désormais de surmortalité prématurée. Ce terme apparaît dansles indicateurs de comparaison dressés par l’Organisation Mondiale de laSanté (OMS) et explicités dans le « World Health Report 2000 » (11) . Celui-ciclasse tous les pays <strong>en</strong> comparant l’espérance de vie moy<strong>en</strong>ne à la naissance àl’indice de mortalité prématurée des hommes et des femmes <strong>en</strong>tre 15 et 65 ans.L’OMS classe la <strong>France</strong> au 3 e rang mondial pour ce qui est de l’espérance devie, juste derrière le Japon et l’Australie. En revanche, la mortalité des hommesde 15 à 65 ans fait reculer notre pays au 32 e rang mondial, une situationunique <strong>en</strong> Europe, qui place aussi la <strong>France</strong> loin derrière l’Australie, le Japon,Singapour, les pays du Golfe persique, le Canada, Cuba et le Chili.Ce classem<strong>en</strong>t international de l’OMS est corroboré, au plan national, parl’Inserm qui analyse les causes de décès, la surmortalité et la mortalité dite«évitable» (12) . <strong>Le</strong> codage national de l’Inserm permet égalem<strong>en</strong>t d’établir descomparaisons au niveau europé<strong>en</strong> <strong>en</strong> confrontant les risques de décès deshommes <strong>en</strong>tre pays. La <strong>France</strong> apparaît <strong>en</strong> tête de la surmortalité europé<strong>en</strong>ne(11) Organisation mondiale de la Santé (OMS), 2000, Pour un système de santé plus performant,rapport sur la santé dans le monde.(12) M. Bovet, E. Jougla, A. <strong>Le</strong> Toullec et F. Péquignot, 2003, «La mortalité «évitable», liéeaux comportem<strong>en</strong>ts à risques, une priorité de santé publique <strong>en</strong> <strong>France</strong>», Bulletin épidémiologiquehebdomadaire, n˚ 30-31.— 389 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCE3) Construire de nouvelles catégories «<strong>veuvage</strong>» et «<strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>»Mesurer la rupture du couple par décès dans le contexte d’une évolutionmajeure des comportem<strong>en</strong>ts conjugaux et familiaux, et au-delà analyser le<strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> comme situation spécifique au plan démographique et sociologique,suppose d’élaborer de nouvelles catégories d’appréh<strong>en</strong>sion du phénomènede perte d’un conjoint.a) Proposer de nouvelles catégories «<strong>veuvage</strong>» et «veufs/veuves»Nous proposons d’élargir la catégorie du « <strong>veuvage</strong> » à toutes les situationsde rupture du couple par décès, qu’il s’agisse d’un couple marié ou d’uncouple de fait. Ainsi, le terme de <strong>veuvage</strong> se verra appliquer la logique qui aprésidé à l’emploi actuel des mots « couple » et « conjoint » : auparavant utiliséspour désigner les seules personnes mariées, ils ont vu leur acceptions’ét<strong>en</strong>dre aux autres formes de conjugalité. A l’intérieur de la catégoriegénérale du « couple », il est habituel aujourd’hui de distinguer le « couplemarié» et le «couple cohabitant» (14) .Cette approche plus large implique <strong>en</strong> outre de ne plus confondre le <strong>veuvage</strong>comme événem<strong>en</strong>t biographique, et la situation issue de cetévénem<strong>en</strong>t. Nous proposons de définir l’expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong> comme :«l’événem<strong>en</strong>t biographique qu’est pour un individu le décès de son conjoint,marié ou non». Cette définition permet, comme on le fait pour les divorces etles séparations, de comptabiliser la fréqu<strong>en</strong>ce de cet événem<strong>en</strong>t spécifiquedans les trajectoires biographiques des individus, indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de leur situationultérieure.Quant à la situation issue de cet événem<strong>en</strong>t, nous proposons de l’appréh<strong>en</strong>derà travers la catégorie générique de « veuf/veuve » désignant : « toutepersonne ayant perdu un conjoint » (comme on nomme « divorcé » toute personneayant fait l’expéri<strong>en</strong>ce du divorce dans certaines <strong>en</strong>quêtes). Au sein decette catégorie, on peut distinguer alors plusieurs sous-catégories selon lemode de vie de l’adulte concerné :— les veufs seuls, c’est-à-dire non remis <strong>en</strong> couple, quel que soit leurétat civil («veuf» ou «célibataire»);— les veufs ayant reformé un couple, par mariage ou cohabitation, et cequel que soit leur état civil («célibataires», « veufs», (re)«mariés»).Cette catégorisation peut év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t se combiner avec une autre :celle qui distingue globalem<strong>en</strong>t les par<strong>en</strong>ts veufs et les veufs sans <strong>en</strong>fants (dupremier lit), quel que soit leur état civil.(13) E. Algava, 2003, «<strong>Le</strong>s familles monopar<strong>en</strong>tales : des caractéristiques liées à leur histoirematrimoniale», Études et Résultats n˚ 218, Drees, février.(14) Cette catégorie devrait inclure égalem<strong>en</strong>t les nouveaux «couples non cohabitants» et lescouples pacsés ainsi que les couples de même sexe cohabitants, non cohabitants et pacsés que nousne pourrons inclure ici car nous n’avons pas les moy<strong>en</strong>s de les repérer dans les fichiers de l’<strong>en</strong>quêteEHF99.— 391 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESb) Construire la catégorie du «<strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>»Bi<strong>en</strong> que chacun s<strong>en</strong>te bi<strong>en</strong> qu’il est très différ<strong>en</strong>t de perdre son conjointà 30, 50, 70 ou 90 ans, il n’existe pas à l’heure actuelle de catégorie« <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> ». Si l’on considère ainsi le <strong>veuvage</strong> non plus comme unecatégorie d’état civil mais comme une expéri<strong>en</strong>ce biographique, la précocitésera définie <strong>en</strong> référ<strong>en</strong>ce à un seuil d’âge conv<strong>en</strong>tionnel du survivant au mom<strong>en</strong>tdu décès de son conjoint.De même qu’il existe une définition conv<strong>en</strong>tionnelle du décès <strong>précoce</strong> etde la mortalité prématurée <strong>en</strong>térinée par l’OMS et l’Inserm, nous avons besoind’une définition conv<strong>en</strong>tionnelle du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> pour id<strong>en</strong>tifier uneréalité sociodémographique et aussi pour pouvoir <strong>en</strong>visager ses problématiquespropres. Plusieurs seuils peuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>visagés, la précocité n’existantpas «<strong>en</strong> soi». Notre approche visant avant tout à proposer une définition quipuisse être utile et pertin<strong>en</strong>te pour l’analyse des problèmes sociaux posés parle décès prématuré au conjoint survivant, nous proposons de fixer à 55 ansl’âge <strong>en</strong> deçà duquel nous qualifions le <strong>veuvage</strong> de «<strong>précoce</strong>». Cette approchepeut paraître limitative, au regard du seuil de surmortalité prématurée (65 ans),mais elle a l’intérêt de correspondre à une donnée ess<strong>en</strong>tielle des politiquessociales <strong>en</strong> matière de droits à réversion. Dès lors que nos systèmes sociauxconstruis<strong>en</strong>t la précocité par différ<strong>en</strong>ce avec le <strong>veuvage</strong> «normal» (normalem<strong>en</strong>tpris <strong>en</strong> compte), c’est l’analyse de cette construction et de ses effets quinous paraît c<strong>en</strong>trale aujourd’hui.Notre système de protection sociale est très complexe mais, à l’heure actuelle,<strong>en</strong> 2004, il est une certitude dans le cas du <strong>veuvage</strong> de personnesn’ayant pas 55 ans : les systèmes de protection sociale obligatoire, de base etcomplém<strong>en</strong>taires, sont très restrictifs pour les veufs et les veuves de salariés(les régimes spéciaux sont volontairem<strong>en</strong>t exclus de notre analyse). <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong>avant 55 ans pose très concrètem<strong>en</strong>t la question des droits sociaux dérivésauxquels les conjoints survivants peuv<strong>en</strong>t recourir pour faire facefinancièrem<strong>en</strong>t : ceux pour lesquels leur propre conjoint décédé a cotisé précisém<strong>en</strong>tau cas où il mourrait prématurém<strong>en</strong>t, c’est-à-dire avant l’âge de laretraite et l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> jouissance de ses droits à p<strong>en</strong>sion.II. – <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong> 1999L’<strong>en</strong>quête Étude de l’histoire familiale révèle deux aspects complém<strong>en</strong>tairesdu <strong>veuvage</strong>. Elle permet, par une exploitation transversale des données(c’est-à-dire la situation à la date de l’<strong>en</strong>quête) de dénombrer etd’observer la situation actuelle des «jeunes veufs» : c’est-à-dire des personnesveuves <strong>précoce</strong>m<strong>en</strong>t qui, <strong>en</strong> 1999, ont moins de 55 ans, quels que soi<strong>en</strong>t leursituation de couple à l’heure actuelle (solitude ou remise <strong>en</strong> couple) et leurstatut matrimonial au mom<strong>en</strong>t du décès et à la date de l’<strong>en</strong>quête. Nous disposonsainsi d’une image plus précise de ce que représ<strong>en</strong>te aujourd’hui le <strong>veuvage</strong>des «jeunes».— 392 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCED’autre part, l’<strong>en</strong>quête Étude de l’histoire familiale permet d’aller audelàde la seule population des jeunes veufs <strong>en</strong> déterminant le nombre de personnesqui, aujourd’hui, et quels que soi<strong>en</strong>t leur âge actuel et leur situation(couple ou solitude), ont vécu la rupture d’un couple par décès alors qu’ellesavai<strong>en</strong>t elles-mêmes moins de 55 ans : nous nommons «veufs <strong>précoce</strong>s» cettepopulation plus large que celle des «jeunes veufs».Nous prés<strong>en</strong>terons successivem<strong>en</strong>t ces deux approches.1) <strong>Le</strong>s jeunes veufs <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong> 1999a) Combi<strong>en</strong> de veufs et de veuves <strong>en</strong> <strong>France</strong>?Étudier la population des jeunes veufs <strong>en</strong> <strong>France</strong>, <strong>en</strong> 1999, présuppose deconnaître la population générale des veufs et des veuves, et d’appréh<strong>en</strong>derleur nombre <strong>en</strong> fonction de la catégorie modernisée de <strong>veuvage</strong> que nousavons proposée pour savoir dans quelle mesure le <strong>veuvage</strong> des jeunes constitueun phénomène important.En <strong>France</strong> <strong>en</strong> 1999, 3,8 millions de personnes sont considérées commeveuves au s<strong>en</strong>s de l’état civil par l’Insee. Mais l’<strong>en</strong>quête EHF99 nous permetd’évaluer le nombre de personnes qui ont fait l’expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong> aucours de leur vie, autrem<strong>en</strong>t dit qui ont perdu un conjoint, que celui-ci ait étéun époux ou un concubin, et ce quelle que soit la vie ultérieure du survivant(solitude ou remise <strong>en</strong> couple) : le nombre effectif de veufs et de veuves <strong>en</strong><strong>France</strong>, <strong>en</strong> 1999, s’établit à 4,68 millions. On voit donc que 23,1 % des rupturesdu couple par décès sont ignorées des statistiques habituelles, ce qui équivautà un total de 880000 personnes.b) <strong>Le</strong> nombre de jeunes veufs : 360000 veufs de moins de 55 ansQuelle part occup<strong>en</strong>t les jeunes veufs dans cet <strong>en</strong>semble?Si l’on s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ait à la définition du <strong>veuvage</strong> au s<strong>en</strong>s de l’état civil, oncomptabiliserait selon l’EHF99, 240 000 jeunes veufs de moins de 55 ans <strong>en</strong>1999. Mais la catégorie modernisée de <strong>veuvage</strong> permet de sortir de l’ombre120000 personnes supplém<strong>en</strong>taires, soit 33 % du total réel des jeunes veufs :360000 personnes. Parmi ces 120000 personnes 67 % ont perdu un concubinet 33 % se sont (re)mariées.55 ans : un seuil «exigeant»<strong>Le</strong> chiffre de 360000 jeunes veufs est établi par référ<strong>en</strong>ce à un seuil d’âgede 55 ans au <strong>veuvage</strong>. Ce seuil est « exigeant », au s<strong>en</strong>s où il ne risque pas demajorer le phénomène que nous voulons appréh<strong>en</strong>der, tout au contraire. En effet,il est conv<strong>en</strong>u de parler de la surmortalité prématurée au seuil de65 ans. En déplaçant le curseur de 5 ans, on dénombre alors 520 000 veufs demoins de 60 ans, puis 800000 de moins de 65 ans.— 393 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESc) 21 % de jeunes veufs ont perdu un concubinPlus d’un jeune veuf sur cinq n’était pas marié au mom<strong>en</strong>t du décès.Cette proportion est supérieure à celle constatée parmi les couples, soit un sursix, (17,6 %) (15) . Elle s’explique notamm<strong>en</strong>t par le fait que les jeunes veufsapparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aux classes d’âges marquées par la cohabitation hors mariage.En règle générale, plus les conjoints survivants étai<strong>en</strong>t jeunes lors du décèsplus la proportion de concubins est élevée (cf. tableau 1). Ces chiffres nesont pas inatt<strong>en</strong>dus, puisque nous savons que l’union libre est plus fréqu<strong>en</strong>teaux âges jeunes et dans les nouvelles générations.TABLEAU 1.– JEUNES VEUFS SELON LE TYPE D’UNION AVEC LE CONJOINT DÉCÉDÉÂge du jeuneveuf au décès duconjointMariés avecle conjoint décédéEn concubinage avecle conjoint décédéd) Près de 8 jeunes veufs sur dix sont des veuvesL’<strong>en</strong>quête EHF99 interroge pour la première fois des hommes. Il est ainsipossible d’aborder la dim<strong>en</strong>sion du g<strong>en</strong>re. En effet, la variable du sexe se révèleess<strong>en</strong>tielle <strong>en</strong> matière de <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> tant la surmortalité aux âgesjeunes affecte d’abord les hommes. <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> traduit cette asymétrietrès forte des risques de surmortalité selon le sexe : les jeunes veufs sontdans 78 % des cas,… de jeunes veuves, et ce quelle que soit la tranche d’âgesconsidérée. Chez les 25-30 ans, on compte même neuf jeunes veuves pour unjeune veuf.e) Dans 4 cas sur 10 le survivant avait moins de 35 ans au décèsEnsembleEffectifs % Effectifs % Effectifs %Moins de 20 ans 2600 66,6 1300 33,4 3900 100.020/24 ans 21500 69,6 9400 30,4 30900 100.025/29 ans 33900 70,7 14000 29,3 47900 100.030/34 ans 47100 78,9 12600 21,1 59700 100.035/39 ans 53600 81,6 12100 18,4 65 700 100.040/44 ans 54800 84,0 10500 16,0 65300 100.045/49 ans 53200 83,1 10800 16,9 64000 100.050/54 ans 18200 78,1 5100 21,9 23300 100.0Total 284000 78,9 76000 21,1 360000 100.0Champ : jeunes veufs, adultes de moins de 55 ans <strong>en</strong> 1999 dont le conjoint est décédé.Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.<strong>Le</strong>s deux tiers des jeunes veufs ont plus de 45 ans : cette proportion importantesemble accréditer l’idée que le <strong>veuvage</strong> aux âges très jeunes est unfait marginal : seulem<strong>en</strong>t 7,7 % des jeunes veufs ont moins de 35 ans.Mais cette répartition des âges <strong>en</strong> 1999 ne dit ri<strong>en</strong> de l’âge auquel lesconjoints sont dev<strong>en</strong>us veufs. Au total, près du quart des <strong>veuvage</strong>s est interv<strong>en</strong>ualors que le survivant avait moins de 30 ans, 16,5 % alors qu’il avait <strong>en</strong>-(15) M. Mazuy et L. Toulemon, 2001, «Étude de l’histoire familiale – Premiers résultats del’<strong>en</strong>quête <strong>en</strong> ménages», Dossiers et recherches, n˚ 93, <strong>Ined</strong>, février.— 394 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCEtre 30 et 35 ans : autrem<strong>en</strong>t dit, quatre personnes sur dix avai<strong>en</strong>t moins de35 ans au mom<strong>en</strong>t du décès. Dans les tranches d’âges suivantes, 18,2 % desconjoints survivants avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre 35 et 39 ans au décès et 17,9 % <strong>en</strong>tre 40 et45 ans. Ce qui signifie donc égalem<strong>en</strong>t que les trois quarts des veufs de moinsde 55 ans <strong>en</strong> 1999 le sont dev<strong>en</strong>us alors qu’ils avai<strong>en</strong>t moins de 45 ans (cf.tableau 1 et figure 1) (16) .Ces effectifs de jeunes veufs selon l’âge au décès du conjoint reflèt<strong>en</strong>tl’ampleur du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> dans les jeunes générations. L’histogramme dela figure 1 montre la répartition des jeunes veufs selon leur âge au mom<strong>en</strong>t dudécès du conjoint, correspondant aux effectifs du tableau 1. Mais cette répartitionne reflète que de manière très déformée le risque de <strong>veuvage</strong> selonl’âge. Ainsi on a vu que quatre jeunes veufs de moins de 55 ans sur dixavai<strong>en</strong>t moins de 35 ans au mom<strong>en</strong>t du décès de leur conjoint, mais <strong>en</strong> termesde risque individuel seulem<strong>en</strong>t 14 % des personnes veuves à 55 ans le devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tavant 35 ans.Figure 1.– Effectifs de jeunes veufs par âge au décèsChamp : jeunes veufsSource : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.(16) La courbe sur la figure 1 corrige cet effet de perspective, et estime beaucoup mieux lerisque de <strong>veuvage</strong> avant 55 ans, ou <strong>en</strong>core la répartition des veufs de 55 ans selon leur âge au<strong>veuvage</strong>. Elle est obt<strong>en</strong>ue à partir des données du tableau 1 <strong>en</strong> divisant chaque effectif par l<strong>en</strong>ombre de générations concernées (37 pour les personnes dev<strong>en</strong>ues veuves vers 17 ans, 32 pourcelles dev<strong>en</strong>ues veuves vers 22 ans, etc.). Une seconde correction, de faible ampleur, ti<strong>en</strong>tcompte du fait que les générations âgées de 50 à 54 ans <strong>en</strong> 1999 apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des générationsd’effectifs 30 % moins nombreux que la génération âgée de 45 à 49 ans.— 395 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESD’où vi<strong>en</strong>t cette différ<strong>en</strong>ce ? Parmi les personnes veuves <strong>en</strong> 1999, cellesqui sont dev<strong>en</strong>ues veuves vers 17 ans apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à 37 générations, (ellessont âgées de 18 à 54 ans au mom<strong>en</strong>t de l’<strong>en</strong>quête), tandis que les veufs dev<strong>en</strong>usveufs à 52 ans n’apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t qu’à deux générations, âgées de 53 ou54 ans au mom<strong>en</strong>t de l’<strong>en</strong>quête. En d’autres termes un <strong>veuvage</strong> est d’autantplus souv<strong>en</strong>t observé qu’il a lieu à un âge jeune.f) La durée des unionsEn majorité, les veufs <strong>précoce</strong>s sont touchés par le décès alors que leurcouple dure depuis de nombreuses années. La précocité des <strong>veuvage</strong>s ne signifiepas nécessairem<strong>en</strong>t que les unions ont été brèves : 80 % des décès onteu lieu au sein de couples constitués depuis plus de cinq ans, 30 % sont interv<strong>en</strong>us<strong>en</strong>tre cinq et quatorze ans de vie commune, et 46,5 % <strong>en</strong>tre quinze etvingt-neuf ans.Il existe des différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre les unions rompues par décès de concubinset celles de personnes mariées : on compte des proportions plus importantesde concubins dev<strong>en</strong>us veufs moins de cinq ans après la mise <strong>en</strong> union (37 %contre 15 % pour les personnes qui étai<strong>en</strong>t mariées), mais cela ne signifie pasnécessairem<strong>en</strong>t que parmi les concubins dev<strong>en</strong>us veufs les durées d’unionssont systématiquem<strong>en</strong>t plus brèves. Ainsi, parmi les veufs dont l’union a duré<strong>en</strong>tre cinq et quatorze ans, la proportion de concubins est supérieure à celledes personnes qui étai<strong>en</strong>t mariées : elle s’établit à 34,5 % pour les concubinscontre 30 % pour les veufs mariés lors du décès.g) La situation légale du couple et le nombre d’<strong>en</strong>fants au décès<strong>Le</strong>s histoires conjugales de l’EHF99 se limit<strong>en</strong>t à deux unions, la premièreet la dernière sans qu’il soit possible de décompter d’autres unions intermédiaires.L’<strong>en</strong>quête EHF99 permet cep<strong>en</strong>dant de confirmer qu’<strong>en</strong> matièrede <strong>veuvage</strong>, les configurations conjugales sont complexes. Certes, 60 % desjeunes veufs ont vécu le décès de leur unique conjoint (avec lequel ils étai<strong>en</strong>tmariés ou <strong>en</strong> union libre) : ils sont seuls à la date de l’<strong>en</strong>quête. Mais dans40 % des cas, les trajectoires biographiques sont plus complexes :— certains (7 %) avai<strong>en</strong>t d’abord vécu une séparation ou un divorceavant de se remettre <strong>en</strong> couple, lequel a été rompu par décès du conjoint;— d’autres (33 %) se sont remis <strong>en</strong> couple après leur <strong>veuvage</strong>. Parmi eux,la plupart (81,6 %) viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>en</strong> couple <strong>en</strong> 1999, d’autres (13,8 %) se sontséparés ou ont divorcé, <strong>en</strong>fin, une minorité (4,6 %) a subi un second <strong>veuvage</strong>.h) 9 jeunes veufs sur dix sont des par<strong>en</strong>tsOn peut dev<strong>en</strong>ir par<strong>en</strong>t dans une union antérieure ou postérieure à cellequi est rompue par le décès. Nous nous intéressons ici uniquem<strong>en</strong>t aux cas depar<strong>en</strong>talité commune avec le décédé.<strong>Le</strong>s jeunes veufs ont fréquemm<strong>en</strong>t eu des <strong>en</strong>fants avec leur conjointdécédé : c’est le cas de neuf sur dix d’<strong>en</strong>tre eux. Ces situations de par<strong>en</strong>talitésont beaucoup plus souv<strong>en</strong>t vécues au sein des unions de premier rang (<strong>veuvage</strong><strong>en</strong> première, voire unique union) – soit 97,3 % des cas – pour deux raisonsprincipales : elles sont majoritaires et représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 93 % des <strong>veuvage</strong>s— 396 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCEde personnes jeunes. Elle sont aussi les plus longues, <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne seize ans,avec une mise <strong>en</strong> couple <strong>précoce</strong> (<strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne vingt-et-un ans) et la probabilitépour le couple d’avoir des <strong>en</strong>fants avant le décès y est donc élevée.<strong>Le</strong>s unions de second rang rompues par décès sont beaucoup moins fréqu<strong>en</strong>tes.Dans ces unions, les jeunes veufs qui ont eu des <strong>en</strong>fants avec le décédése sont mis <strong>en</strong> couple beaucoup plus tôt (à l’âge de 25 ans <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne)que ceux qui sont restés sans <strong>en</strong>fants (à l’âge de 34 ans <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne).<strong>Le</strong>s familles nombreuses et à l’opposé, les familles avec un <strong>en</strong>fant unique,sont fréqu<strong>en</strong>tes chez les jeunes veufs : dans près d’un quart des cas, lepar<strong>en</strong>t a eu un seul <strong>en</strong>fant, et dans 41,6 % trois <strong>en</strong>fants ou plus (cf. tableau 2).TABLEAU 2.– PROPORTIONS (%) DE JEUNES VEUFS PARENTS SELONLE NOMBRE D’ENFANTS EUS AVEC LE CONJOINT DÉCÉDÉNombre d’<strong>en</strong>fants Jeunes veufs par<strong>en</strong>ts1 <strong>en</strong>fant 24,02 <strong>en</strong>fants 34,43 <strong>en</strong>fants et plus 41,6Total 100,0Champ : «jeunes veufs» par<strong>en</strong>ts.Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.i) Quelques caractéristiques sociales des jeunes veufsPar rapport à l’<strong>en</strong>semble de la population rec<strong>en</strong>sée, les jeunes veufs prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tdes caractéristiques spécifiques :• La dim<strong>en</strong>sion sociale du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>Évidemm<strong>en</strong>t nous ne disposons que de la catégorie socioprofessionnelledes personnes au mom<strong>en</strong>t de l’<strong>en</strong>quête et non au mom<strong>en</strong>t où le <strong>veuvage</strong> estinterv<strong>en</strong>u. S’il touche toutes les catégories socioprofessionnelles, certainespay<strong>en</strong>t un lourd tribut. <strong>Le</strong>s jeunes veufs apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à toutes les catégoriessociales mais certaines sont moins affectées que d’autres : les cadres ou lesprofessions intellectuelles supérieures.Il importe ici de distinguer les résultats par sexe.On constate chez les femmes une surreprés<strong>en</strong>tation des employées jeunesveuves – 51 % des cas — alors que l’<strong>en</strong>semble des employées ne représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tque 45 % des femmes du même âge, (c’est-à-dire âgées de 18 à 55 ans), ainsique des ouvrières jeunes veuves – 14,2 % des cas alors que les ouvrières nereprés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t que 10,2 % des femmes du même âge.<strong>Le</strong>s jeunes veuves sont, <strong>en</strong> revanche, sous-représ<strong>en</strong>tées au sein desinactives : elles ne sont que 5 % contre 12 % pour l’<strong>en</strong>semble des femmes dumême âge, une proportion qui est sans doute un effet du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> luimême (figure 2).Chez les hommes, jeunes veufs, toutes les catégories socioprofessionnellessont concernées sans nette disproportion, à l’exception toutefois des professionsindép<strong>en</strong>dantes : on y dénombre 10,6 % de jeunes veufs alors que les— 397 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESCarte 1.– Proportions de jeunes veufs par régionChamp : population adulte rec<strong>en</strong>sée de 18 à 54 ansSource : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.Alors que les veufs et veuves âgés de plus de 55 ans peuv<strong>en</strong>t percevoirune retraite personnelle, cumulée ou non avec une retraite de réversion de lasécurité sociale (CNAV) et/ou une p<strong>en</strong>sion de réversion des régimes de retraitecomplém<strong>en</strong>taires [60 ans pour l’Agirc à taux plein, 55 ans pour l’Arrco], lasituation des veufs et veuves <strong>précoce</strong>s est différ<strong>en</strong>te. S’ils peuv<strong>en</strong>t percevoirl’allocation <strong>veuvage</strong> (CNAV) p<strong>en</strong>dant trois ans, ils ne sont pas concernés parl’octroi de la retraite de réversion du régime de base : elle n’intervi<strong>en</strong>t qu’àcompter de 55 ans. Quant aux p<strong>en</strong>sions de réversion, elles sont accordéesavant l’âge de 55 ans (voire 60 ans), uniquem<strong>en</strong>t aux jeunes veufs ayant aumoins deux <strong>en</strong>fants à charge au mom<strong>en</strong>t du décès. Tous ces droits sont refusésaux veufs ayant perdu un conjoint avec lequel ils n’étai<strong>en</strong>t pas mariés : or,21 % des jeunes veufs vivai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> union libre au mom<strong>en</strong>t du décès, et cette situationconcerne un jeune veuf sur trois jusqu’à 30 ans.Par ailleurs, dans le cas d’un <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>, les p<strong>en</strong>sions de réversionsont soumises à d’autres conditions qui <strong>en</strong> limit<strong>en</strong>t l’accès immédiat : si leveuf ou la veuve a moins de deux <strong>en</strong>fants à charge au mom<strong>en</strong>t du décès, la réversionest repoussée à l’âge de 55 ans (Arrco) et de 60 ans (Agirc). Or, si ces— 400 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCEveufs avai<strong>en</strong>t vécu leur <strong>veuvage</strong> après l’âge de 55 ans, ces conditions ne leuraurai<strong>en</strong>t pas été appliquées. <strong>Le</strong>s chiffres de l’EHF99 montr<strong>en</strong>t l’importance,<strong>en</strong> terme de non-accès aux droits, de cette condition d’<strong>en</strong>fants à charge : 7 %des jeunes veufs mariés au mom<strong>en</strong>t du décès n’ont pas eu d’<strong>en</strong>fant, 20 %n’ont eu qu’un seul <strong>en</strong>fant. Au total, plus de 70000 personnes ne peuv<strong>en</strong>t bénéficierd’une réversion avant l’âge de 55 ans. Sans compter celles qui ont eudeux <strong>en</strong>fants ou plus, mais ne les avai<strong>en</strong>t pas forcém<strong>en</strong>t à charge (au s<strong>en</strong>s desréglem<strong>en</strong>tations des régimes complém<strong>en</strong>taires) au mom<strong>en</strong>t du décès. <strong>Le</strong>s régimescomplém<strong>en</strong>taires supprim<strong>en</strong>t les droits à l’allocation <strong>veuvage</strong> et aux réversionssi le veuf ou la veuve <strong>précoce</strong> se remarie. Or, 15,6 % des jeunesveufs sort<strong>en</strong>t du <strong>veuvage</strong> par le mariage.2) L’expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong> 1999Nous allons à prés<strong>en</strong>t élargir notre <strong>en</strong>quête à l’<strong>en</strong>semble de la population despersonnes ayant vécu un <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> et ce quel que soit leur âge <strong>en</strong> 1999.A) DONNÉES GÉNÉRALESa) L’écart <strong>en</strong>tre état civil et expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong>En <strong>France</strong>, <strong>en</strong> 1999, 1,3 million de personnes ont, au cours de leur vie,perdu leur conjoint (époux ou concubin) avant l’âge de 55 ans. Parmi elles,26 % ne sont pas <strong>en</strong> 1999 des «veufs» au s<strong>en</strong>s de l’état civil, soit plus d’unepersonne sur quatre (cf. tableau 3).TABLEAU 3.– DIFFÉRENCE ENTRE ÉTAT CIVIL ET RÉALITÉ DU VEUVAGE (EN %)A perduun conjointSeulSituation actuelleEn coupleEnMariéconcubinageEnsembleMarié lors du décès (<strong>veuvage</strong>au s<strong>en</strong>s de l’état civil)66,7 7,4 11,4 85,5En concubinagelors du décès11,2 2,0 1,3 14,5Total 77,9 9,4 12,7 100,0Champ : « veufs <strong>précoce</strong>s ».Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.<strong>Le</strong>cture : les cellules grisées correspond<strong>en</strong>t au <strong>veuvage</strong> comme catégorie d’état civil.b) Un déséquilibre sexué marquéLa grande proportion de femmes parmi les veufs étant liée à leur espérancede vie plus longue, on se représ<strong>en</strong>te généralem<strong>en</strong>t la veuve sous lestraits d’une femme âgée. Mais la surmortalité masculine aux âges jeunes expliqueaussi que le <strong>veuvage</strong> les touche bi<strong>en</strong> plus souv<strong>en</strong>t, y compris quand ellessont jeunes, voire très jeunes. 81 % des personnes ayant fait l’expéri<strong>en</strong>cedu <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> sont des femmes, soit au total 1,14 million. Ce déséquilibresexué se vérifie dans toutes les tranches d’âges et est plus net lorsque— 401 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESle conjoint survivant a moins de 25 ans au mom<strong>en</strong>t du décès, et lorsqu’il a plusde 45 ans. Il y a alors respectivem<strong>en</strong>t 84 % et 83 % de <strong>veuvage</strong>s féminins.Ces taux de <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> féminin ne doiv<strong>en</strong>t pas faire oublier que leshommes sont égalem<strong>en</strong>t touchés : plus de 244 000 déclar<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1999 avoirsubi cette expéri<strong>en</strong>ce. Un pourc<strong>en</strong>tage plus important d’hommes (17,5 %) quede femmes (12,3 %) subit le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> alors que l’union a duré moinsde cinq ans.c) A quel âge, <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, devi<strong>en</strong>t-on veuf <strong>précoce</strong>?Par hypothèse, parmi les 1,3 million de personnes qui déclar<strong>en</strong>t avoirperdu leur conjoint <strong>précoce</strong>m<strong>en</strong>t, toutes avai<strong>en</strong>t moins de 55 ans lors de sondécès : 80 000 (5,9 %) avai<strong>en</strong>t moins de 25 ans, 241 000 (17,8 %) de 25 à35 ans, 385000 (28,3 %) de 35 à 45 ans et 652000 (48 %) de 45 à 55 ans.Mais cette répartition est évidemm<strong>en</strong>t très différ<strong>en</strong>te selon les configurationsfamiliales. Ainsi, si le décès concerne le seul et unique conjoint, le survivanta <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 44 ans au mom<strong>en</strong>t de son <strong>veuvage</strong>. <strong>Le</strong>s veufs et veuves<strong>précoce</strong>s qui ont reformé une seconde union (non concernée par un second<strong>veuvage</strong>) avai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, 35 ans lors de leur <strong>veuvage</strong>. En revanche, si ledécès concerne le second conjoint, la moy<strong>en</strong>ne d’âge au <strong>veuvage</strong> s’établit à45 ans. <strong>Le</strong>s personnes qui ont subi deux <strong>veuvage</strong>s consécutifs avai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>moy<strong>en</strong>ne, 33 ans lors du décès de leur premier conjoint.De manière générale, les pourc<strong>en</strong>tages de concubins touchés par le <strong>veuvage</strong><strong>précoce</strong> sont toujours supérieurs à 30 % jusque dans la tranche d’âgesdes 30-34 ans. Ces chiffres ne sont pas inatt<strong>en</strong>dus, puisque nous savons quel’union libre est plus fréqu<strong>en</strong>te aux âges jeunes et dans les nouvelles générations(Toulemon, 1999).B) LE VEUVAGE PRÉCOCE DANS L’ITINÉRAIRE BIOGRAPHIQUE ET LE CYCLE FAMILIALa) Types d’unions et âge du survivant au mom<strong>en</strong>t du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>L’<strong>en</strong>quête EHF99 nous permet de saisir de façon plus fine la complexitédu <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> : il n’échappe pas à l’évolution des modes de vie descouples dans lesquels mariage, concubinage, démariage, recomposition d’uncouple, peuv<strong>en</strong>t alterner. Ainsi, le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> intervi<strong>en</strong>t dans des unionsqui peuv<strong>en</strong>t avoir été l’unique union, la première de plusieurs, ou <strong>en</strong>core ladernière. L’EHF99 nous permet de considérer la première et la dernièreunion, que nous appellerons « seconde union ». <strong>Le</strong> taux de concubinage peutvarier de 13 % à 38 % selon le type d’union rompue par le décès <strong>précoce</strong>(cf. tableau 4).b) Rester seul après une unique union sans remise <strong>en</strong> couplePrès de sept fois sur dix, le conjoint survivant a perdu son seul et uniqueconjoint et ne se remet pas <strong>en</strong> couple. Dans 87 % des cas, ce <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>est celui d’une femme. Ce taux est s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t équival<strong>en</strong>t dans toutes lesclasses d’âges.<strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong>, dans le cadre d’une unique union, est v<strong>en</strong>u souv<strong>en</strong>t interrompredes couples qui durai<strong>en</strong>t : 20 % des <strong>veuvage</strong>s <strong>précoce</strong>s ont eu lieu alors— 402 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCEType d’union rompuepar le décèsSeule et unique union rompuepar le décèsPremière union rompue par ledécès; suivie d’une secondeunion (non concernée par undécès)Première union rompue par ledécès; suivie d’une secondeunion égalem<strong>en</strong>t rompue parun décèsTABLEAU 4.– VEUVAGE PRÉCOCE PAR TYPE D’UNION% au sein del’<strong>en</strong>sembledes <strong>veuvage</strong>sÂge moy<strong>en</strong> duconjoint survivantau décèsMariage avecle décédé (%)En concubinageavec ledécédé (%)que l’union avait duré de vingt à vingt-cinq ans de vie commune, et 23 %alors qu’elle avait duré de vingt-cinq à tr<strong>en</strong>te ans. Mais 23 % des <strong>veuvage</strong>s<strong>précoce</strong>s sont interv<strong>en</strong>us au sein de couples qui n’avai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core quinzeannées d’exist<strong>en</strong>ce. <strong>Le</strong>s couples constitués depuis moins de dix ans représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t13 % des <strong>veuvage</strong>s <strong>précoce</strong>s.Parmi les veufs n’ayant pas constitué de nouvelle union à la suite dudécès, 7,8 % n’ont pas eu d’<strong>en</strong>fants. Sans surprise, la proportion est plus importantequand l’union a été brève : lorsqu’elle a duré moins de cinq ans,23 % des veufs <strong>précoce</strong>s n’ont pas eu d’<strong>en</strong>fant. Si le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> a signifiéainsi une situation d’isolem<strong>en</strong>t pour 93 % de ces conjoints, <strong>en</strong> revanche7 % d’<strong>en</strong>tre eux ont continué à élever un ou plusieurs <strong>en</strong>fants que leur conjointdécédé avait eus dans le cadre d’une autre union.Plus longtemps l’union a duré avant d’être rompue par un décès, plus l<strong>en</strong>ombre d’<strong>en</strong>fants nés au sein de cette union est élevé : lorsqu’elle a durémoins de cinq ans, 41 % des couples n’ont eu qu’un <strong>en</strong>fant. Pour les unionsayant duré <strong>en</strong>tre cinq et dix ans, la majorité des couples, soit 36 % ont eudeux <strong>en</strong>fants. Au-delà de dix ans, le pourc<strong>en</strong>tage de couples ayant eu trois <strong>en</strong>fantset plus va croissant, de 41 % pour les unions ayant duré <strong>en</strong>tre dix etquinze ans, à 56 % pour les unions ayant duré plus de tr<strong>en</strong>te ans.c) Rester seul après avoir perdu son second conjoint<strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> peut égalem<strong>en</strong>t être le fait d’une seconde union, à lasuite de laquelle le conjoint survivant ne s’est pas remis <strong>en</strong> couple. Cette secondeunion fait suite à une première rompue par une séparation ou un divorce,ou <strong>en</strong>core par un décès.Total67,2 44 ans 87,0 13,0 100,022,1 35 ans 87,0 13,0 100,06,732 ans au premier<strong>veuvage</strong>45 ans au second<strong>veuvage</strong>78,5 % mariésau cours desdeux unions21,5 % <strong>en</strong>concubinagep<strong>en</strong>dant aumoins l’unedes deuxunions100,0Première union rompue parune séparation ou un divorce;suivie d’une seconde union4,0 45 ans 62,0 38,0 100,0rompue par un décèsTotal 100,0Champ : veufs <strong>précoce</strong>s.Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999— 403 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESSuccédant à une première union rompue, cette seconde union a parfoisété brève ou relativem<strong>en</strong>t brève : 15 % des couples auront vécu moins de cinqans avant d’être rompus par le décès, 25 % moins de dix ans, 38 % moins dequinze ans. En revanche, 48 % de ces secondes unions ont duré plus de vingtans, la première désunion étant interv<strong>en</strong>ue très rapidem<strong>en</strong>t.Dans ces cas, 89 % des veufs <strong>précoce</strong>s ont eu des <strong>en</strong>fants avec leurconjoint décédé : 47 % sont par<strong>en</strong>ts d’au moins trois <strong>en</strong>fants, 29,5 % de deux<strong>en</strong>fants et 23,5 % d’un <strong>en</strong>fant unique. En outre, 11,5 % de ces veufs ont élevéun ou plusieurs <strong>en</strong>fants de leur ex-conjoint ou de leur premier conjoint décédédans le cas de double <strong>veuvage</strong>. Parmi eux, 59 % avai<strong>en</strong>t eux-mêmes trois <strong>en</strong>fantsissus de leur union rompue par le décès, 11 % <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t deux et 19 %avai<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>fant unique.Parmi les conjoints survivants sans <strong>en</strong>fant, 10 % ne sont pas dans une situationd’isolem<strong>en</strong>t puisqu’ils élèv<strong>en</strong>t un ou plusieurs <strong>en</strong>fants de leur conjointdécédé.d) Être <strong>en</strong> couple après le <strong>veuvage</strong>Dans 22,1 % des cas, le veuf <strong>précoce</strong> a reformé un couple après son <strong>veuvage</strong>,situation qui dure <strong>en</strong>core à la date de l’<strong>en</strong>quête <strong>Le</strong>s remises <strong>en</strong> couplesont beaucoup plus fréqu<strong>en</strong>tes chez les hommes. Sur le total des veufs <strong>précoce</strong>s,49,5 % sont <strong>en</strong> couple, une proportion nettem<strong>en</strong>t supérieure à celle desfemmes : seulem<strong>en</strong>t 16,8 % viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> couple <strong>en</strong> 1999.Par ailleurs, les chances de remise <strong>en</strong> couple sont d’autant plus élevéesque le conjoint était jeune au mom<strong>en</strong>t du décès. Près d’une personne sur deuxayant été veuve avant l’âge de 25 ans est <strong>en</strong>core <strong>en</strong> couple <strong>en</strong> 1999. En revanche,parmi les personnes veuves à 50 ans et plus, seule une sur dix est à nouveau<strong>en</strong> couple <strong>en</strong> 1999.11 % de ces conjoints n’ont d’<strong>en</strong>fants ni de la première ni de la secondeunion. Parmi eux, huit sur dix élèv<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>fants de leur conjoint décédé oude leur ex-conjoint.e) Être par<strong>en</strong>t et beau-par<strong>en</strong>tNous avons déjà abordé cette dim<strong>en</strong>sion du <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> à travers lesdiffér<strong>en</strong>tes unions. Apercevons-la à prés<strong>en</strong>t dans sa généralité, sans oublierque les veufs sont très majoritairem<strong>en</strong>t des veuves.91,8 % des veufs <strong>précoce</strong>s ont eu des <strong>en</strong>fants avec leur conjoint décédé,les femmes étant plus fréquemm<strong>en</strong>t (92,7 %) que les hommes (88,2 %) danscette situation.49,9 % des veufs <strong>précoce</strong>s avec <strong>en</strong>fants (cf. tableau 5) ont eu trois <strong>en</strong>fantset plus.Ne pas avoir eu d’<strong>en</strong>fant, ne signifie pas ne pas <strong>en</strong> avoir élevé : parmi lesveufs <strong>précoce</strong>s restés sans <strong>en</strong>fants de leur conjoint décédé, 6,6 % ont assuméle rôle de beau-père ou de belle-mère dans le cadre d’une recomposition familiale.Ils déclar<strong>en</strong>t avoir élevé un (49 % des cas) ou des <strong>en</strong>fants (35,9 % deux<strong>en</strong>fants, 15 % trois <strong>en</strong>fants ou plus) sans <strong>en</strong> avoir eu eux-mêmes. Parmi eux,6 % élèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core ces beaux-<strong>en</strong>fants à la date de l’<strong>en</strong>quête.— 404 —


VI. 19. – LE VEUVAGE PRÉCOCE EN FRANCETABLEAU 5.– PROPORTIONS (EN %) DE VEUFS PRÉCOCES PARENTS SELONLE NOMBRE D’ENFANTS EUS AVEC LE CONJOINT DÉCÉDÉNombre d’<strong>en</strong>fantsVeufs <strong>précoce</strong>spar<strong>en</strong>ts1 <strong>en</strong>fant 22,182 <strong>en</strong>fants 28,923 <strong>en</strong>fants et plus 49,90Total 100,0Champ : veufs <strong>précoce</strong>s par<strong>en</strong>ts.Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.ConclusionComplexe, et longtemps soumis à une sorte de « prêt à p<strong>en</strong>ser »(Bourdelais) (20) , le <strong>veuvage</strong> demeure aujourd’hui un sujet difficile, toujoursm<strong>en</strong>acé par l’irruption de stéréotypes culturels et idéologiques fortem<strong>en</strong>tmarqués, fondés sur la prégnance du modèle matrimonial et du partage traditionneldes rôles. Tout se passe comme si, dans un contexte de mutation profondedes comportem<strong>en</strong>ts et des valeurs <strong>en</strong> matière conjugale, par<strong>en</strong>tale etfamiliale, la perte du conjoint restait associée, dans les représ<strong>en</strong>tations communes,aux seuls modèles traditionnels. Or, notre étude suggère au contraireque l’expéri<strong>en</strong>ce du <strong>veuvage</strong>, et sa place dans les itinéraires biographiquesdes individus, sont <strong>en</strong> train d’évoluer parallèlem<strong>en</strong>t aux changem<strong>en</strong>ts ducouple, de la famille.En c<strong>en</strong>trant notre étude sur le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>, nous avons voulu attirerl’att<strong>en</strong>tion sur un type spécifique de <strong>veuvage</strong>, aujourd’hui largem<strong>en</strong>t oublié,voire dénié, bi<strong>en</strong> qu’il demeure important <strong>en</strong> chiffres absolus, et surtout <strong>en</strong><strong>France</strong>. <strong>Le</strong> fait que ce <strong>veuvage</strong> soit aujourd’hui un peu oublié, ou assimilédans l’opinion de façon rapide à l’<strong>en</strong>semble des situations de monopar<strong>en</strong>talité,montre la difficulté à intégrer au sein des valeurs modernes une rupturedu couple forcém<strong>en</strong>t spécifique, irrémédiable et subie, un coup du sort infligédans une société où chacun se doit d’être l’auteur et l’architecte de sa proprevie. Alors que la monopar<strong>en</strong>talité issue du <strong>veuvage</strong> apparaît souv<strong>en</strong>t commeun simple legs du passé, une espèce <strong>en</strong> voie de disparition, notre réflexionvoudrait inscrire le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> avec <strong>en</strong>fants comme une monopar<strong>en</strong>talitéspécifique, non pas pour rev<strong>en</strong>ir à des oppositions désuètes <strong>en</strong>tre les« par<strong>en</strong>ts seuls », mais tout à l’inverse pour contribuer à p<strong>en</strong>ser le <strong>veuvage</strong>comme réalité pleinem<strong>en</strong>t contemporaine.Au-delà, le <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong>, avec ou sans <strong>en</strong>fants, est un révélateur durapport <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>ce des sexes et inégalités sociales. L’évolution contemporainevers une symétrie des rôles et une égalité des droits des hommes et(20) P. Bourdelais, 1997, L’âge de la vieillesse, histoire du vieillissem<strong>en</strong>t de la population,Odile Jacob.— 405 —


HISTOIRES DE FAMILLES, HISTOIRES FAMILIALESdes femmes, r<strong>en</strong>contre ici une asymétrie très forte des risques de surmortalitéselon le sexe. On perçoit mieux, alors, à quel point les situations respectivesdes hommes et des femmes demeur<strong>en</strong>t aujourd’hui très différ<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong> particulierquand le <strong>veuvage</strong> touche des personnes <strong>en</strong> situation de vulnérabilité sociale,et/ou fait basculer le (la) survivant(e) dans une véritable précarité.Comme le dit Françoise Héritier (2002), les femmes gagnerai<strong>en</strong>t à ce que soitvraim<strong>en</strong>t réfléchie la portée de la question sociale que serait « la reconnaissancede l’asymétrie sur le plan de l’équité et de la mise <strong>en</strong> accord des principeset des réalités ». Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que, à tousles âges, et pas seulem<strong>en</strong>t quand il est <strong>précoce</strong>, le <strong>veuvage</strong> féminin est très supérieurau <strong>veuvage</strong> masculin.Référ<strong>en</strong>cesBORREL Catherine, MADINIER Philippe et BRUNSON D<strong>en</strong>is, 1987, « <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> avant60 ans : ses conséqu<strong>en</strong>ces financières, 1. <strong>Le</strong>s premiers mois du <strong>veuvage</strong>», CERC.BORREL Catherine, MADINIER Philippe et BRUNSON D<strong>en</strong>is, 1989, « <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> avant60 ans : ses conséqu<strong>en</strong>ces financières, 2. La deuxième année du <strong>veuvage</strong>», CERC.DELAUNAY-BERDAÏ Isabelle, 2004, « <strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> : situation démographique,sociale et économique des allocataires des Caf veufs <strong>précoce</strong>s», dossierd’études, Caisse nationale d’allocation familiales, mars.DELAUNAY-BERDAÏ Isabelle, 2004, «<strong>Le</strong> <strong>veuvage</strong> <strong>précoce</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> : les raisons d’unoubli», Recherches et Prévisions n˚ 76 – juin, Caisse nationale d’allocations familiales.HÉRITIER Françoise, 2002, Masculin-féminin, La p<strong>en</strong>sée de la différ<strong>en</strong>ce, Odile Jacob.MACKIEWICZ Nicole, 1967, «<strong>Le</strong>s veuves et leur famille dans la société d’aujourd’hui»,dossier d’études, caisse nationale d’allocation familiales.THIERRY Xavier, 2000, «Risques de mortalité et de surmortalité au cours des dix premièresannées de <strong>veuvage</strong>», Population, 54 (2), p. 177-204.THIERRY Xavier, 2000, «Mortel <strong>veuvage</strong>. Risques de mortalité et causes médicales desdécès aux divers mom<strong>en</strong>ts du <strong>veuvage</strong>», Gérontologie et Société, 95, p. 27-45.THIERRY Xavier, DELBÈS Christiane, NIZARD Alfred. (sous la direction de F. Forette),1999, «<strong>Le</strong>s répercussions du <strong>veuvage</strong> sur la morbidité et la mortalité», Fondationnationale de Gérontologie-Inserm, 138 p.— 406 —

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