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Avant-propos - Ined

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TABLE DES MATIÈRESI - Genre et population, France 2000GENRE, POPULATION, PARITÉ. FRANCE 2000 - Michel BOZON, INED ..................................................2LES SITUATIONS RESPECTIVES DES FEMMES ET DES HOMMES : POUR DES STATISTIQUESPERTINENTES - Catherine BLUM, INSEE ....................................................................................................36FEMMES ET FAMILLES ENTRE MARIAGE ET NON-MARIAGE. ÉVOLUTION DES STRUCTURESFAMILIALES EN FRANCE - Patrick FESTY, INED .....................................................................................48VIEILLIR EN FRANCE AU FÉMININ - Joëlle GAYMU, INED....................................................................73LA RÉPARTITION DU TRAVAIL DOMESTIQUE ENTRE HOMMES ET FEMMESCécile BROUSSE, INSEE, Division Etudes sociales.........................................................................................89CONTRACEPTION ET IVG : DROITS ACQUIS, DROITS À CONSOLIDER ?Nathalie BAJOS, INSERM, U292 ..................................................................................................................107GENRE ET PRÉCARITÉ EN FRANCE - Maryse MARPSAT, INED ...........................................................123LES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES L'ENQUÊTE NATIONALE SUR LES VIOLENCES ENVERSLES FEMMES EN FRANCE - Maryse JASPARD et l'équipe Enveff.............................................................141UNE POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES SEXUELS EN DIRECTION DES FEMMESJanine MOSSUZ-LAVAU. CEVIPOF .............................................................................................................159MORBIDITÉ ET CONSOMMATION MÉDICALE EN FRANCE SELON LE SEXE,CARACTÉRISTIQUES ACTUELLES ET ÉVOLUTION - Catherine SERMET, CREDES ........................169GENRE ET MIGRATION EN FRANCE : LA PLACE SOUS-ÉVALUÉE DE L'ACTIVITÉPROFESSIONNELLE DES FEMMES MIGRANTES - Stéphanie CONDON, INED ..................................193LA RÉUSSITE SCOLAIRE DES FILLES : NI TRIOMPHALISME NI MISÉRABILISMEMichèle FERRAND, CNRS .............................................................................................................................204HOMMES-FEMMES, L'ÉVOLUTION DES INÉGALITÉS EN MATIÈRE D'EMPLOIMargaret MARUANI, CNRS ...........................................................................................................................220VERS PLUS D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES.Catherine GENISSON, députée du Pas-de-Calais..........................................................................................230L’ACCÈS DES FEMMES AUX POSTES DE RESPONSABILITÉ : LES ÉVOLUTIONSRÉCENTES - Janine MOSSUZ-LAVAU, CEVIPOF ......................................................................................241


GENRE POPULATION PARITÉ<strong>Avant</strong>-<strong>propos</strong>A l’occasion de la 33 ème Session de la Commission de la Population et duDéveloppement des Nations Unies, qui s’est déroulée à New York du 27 au 30 mars 2000, etdont le thème spécial était “ Population, genre et développement ”, la Direction de laPopulation et des Migrations a souhaité que le rapport présenté par la France s’appuie sur dessynthèses scientifiques, fondées sur deux ensembles de contributions, les unes consacrées à lasituation de la France, et les autres aux questions de genre et de développement dans les paysdu sud. La réalisation en a été confiée à Michel Bozon (pour la partie sur la France) et àThérèse Locoh (pour les pays du sud), co-responsables à l'Institut National d'EtudesDémographiques (INED) de l’unité de recherche “ Démographie, genre et sociétés ”. Lepremier volume de cette publication comprend la synthèse de Michel Bozon et lescontributions sur la France. Le second volume rassemble la synthèse de Thérèse Locoh et lescontributions sur les pays du sud.- 3 -


Genre, population, parité. France 2000Michel BOZON, INEDIntroductionPopulation, genre et développement : le thème spécial retenu pour la 33 ème session de laCommission de la Population et du Développement donne l’occasion d’établir un bilan de lamanière dont les rapports de genre, c’est-à-dire les rapports institués entre les hommes et lesfemmes, ont été modifiés et affectés dans notre pays par les évolutions sociales et lespolitiques menées au cours de la dernière période. Depuis les conférences mondiales du Caire(1994) et de Pékin (1995), la prise en compte du genre est devenue de manière très expliciteune des pierres de touche du développement durable et d’un progrès authentique en matièresociale. Le rapport que nous avons rédigé à la demande de la Direction de la Population et desMigrations porte sur les situations des hommes et des femmes en France, envisagées sousleurs divers aspects: il comprend les contributions des quatorze spécialistes que nous avonssollicités et le texte qui suit, qui constitue une synthèse générale des contributions sur laFrance. Nous remercions chaleureusement les contributrices et le contributeur, qui ont supréparer des textes denses en un temps très bref. Notre travail peut être rapproché du rapportfrançais préparé à l’occasion de la Conférence de Pékin en 1995 (C. Aubin, H. Gisserot, Lesfemmes en France, 1985-1995, Paris, La Documentation Française, 1995), et <strong>propos</strong>eégalement une synthèse de l’évolution récente des situations des hommes et des femmes dansla société française. Il existe par ailleurs un rapport dit Pékin plus cinq (“ Rapport sur lamise en œuvre par la France des recommandations du programme d’action de la quatrièmeconférence mondiale sur les femmes ”), préparé en 1999 par le Service des Droits desFemmes, et qui contient “ les chapitres les plus significatifs de l’évolution de la politiquegouvernementale en matière d’égalité entre hommes et femmes ”. On pourra s’y reporter pouravoir le détail des actions du gouvernement qui se rapportent explicitement à la question del’égalité entre les sexes, ou les textes législatifs. Notre but ici est un peu différent, puisqu'ilest de rendre compte, sous l’angle du genre, des principales évolutions de la société françaisedans les différentes sphères de la vie des individus, comme dans les grands domaines del’organisation sociale, afin d’identifier les avancées, les points de blocage mais aussi lesperspectives possibles. Cette synthèse met d’abord en avant l’importance politique de l’effortde connaître, d’analyser et de suivre l’évolution des situations des hommes et des femmes, et


GENRE POPULATION PARITÉd’évaluer les effets des actions menées. En second lieu, sont abordés les progrès de l’égalitédes sexes et de l’autonomie des femmes, y compris dans leurs développements récents. Puissont analysés les freins au mouvement et le maintien ou le renouvellement des inégalités. Endernier lieu, on signale les nouveaux enjeux et les nouvelles mobilisations nécessaires.Connaître les situations des femmes et des hommes. Une exigence politiqueAucune action en faveur de l’égalité entre femmes et hommes ne peut se passer d’uneffort permanent de connaissance. Sans une analyse et un suivi des situations respectives desunes et des autres, aucun objectif de changement ne peut être formulé, chiffré, évalué. Cen’est pas par hasard que les plateformes d’action des récentes conférences internationales desNations Unies (en particulier celles du Caire et de Pékin) mentionnent avec insistance,comme condition préalable dans tous les domaines d’action qu’elles passent en revue,l’exigence de disposer de statistiques sexuées et d’effectuer des recherches dans uneperspective de genre. Trois composantes peuvent être distinguées dans ce besoin deconnaissances: la production de statistiques sexuées, la réalisation de recherches et d’enquêtesqui éclairent spécifiquement tel ou tel aspect des rapports hommes/femmes, l’évaluation desactions et des politiques du point de vue du genre. Au niveau de base de l’enregistrementstatistique, il est évidemment important de disposer de ventilations par sexe systématiquesdes situations, des statuts, des revenus etc. et de les publier. Mais il est également nécessaired’approfondir, par voie de recherches ou d’enquêtes spécifiques, les connaissances sur lesprocessus producteurs d’inégalités, de précarité ou inversement d’évolutions favorables auxfemmes. Enfin il convient d’envisager de manière beaucoup plus systématique l’évaluationdes actions et des politiques en fonction du genre, même lorsque ces dernières ne sont pasexplicitement mues par un objectif d’égalité entre les sexes: outre l’évaluation préalable, celledes conséquences prévisibles de l’action sur les rapports de genre et son évaluation aposteriori, il convient de mettre en place des procédures de suivi permanent de routine. EnFrance, depuis la parution du rapport Aubin-Gisserot, Les Femmes en France:1985-1995, demultiples initiatives se rattachant aux deux premiers types de connaissances sur les femmes etles hommes peuvent être signalées. Dans cette synthèse, l’accent est mis plutôt sur ce quireste à faire.- 3 -


M.BOZONPour des statistiques sexuées pertinentesLe volume statistique Les Femmes. Un portrait social, publié par l’INSEE et le Servicedes Droits des Femmes en 1995, qui faisait suite à deux recueils précurseurs parus en 1986 eten 1991, était un bon exemple de mise à disposition du public de statistiques sexuées biencommentées. Le secrétariat d’État aux Droits des Femmes et à la Formation Professionnelleet l’INSEE envisagent de lui donner une suite sous forme d’une publication annuelle, sur desthèmes plus ciblés. Par ailleurs, depuis plusieurs années, le Service des Droits des Femmesmène une action en direction des administrations pour que la prise en compte du sexe dans lesstatistiques officielles soit systématique. Un rapport sur les statistiques sexuées a étécommandé à un groupe de travail présidé par Catherine Blum, inspectrice générale del’INSEE, en collaboration avec le Service des Droits des Femmes. Il a été remis en décembre1999 à Nicole Péry, secrétaire d'État chargée des Droits des Femmes et de la FormationProfessionnelle, sous le titre Les situations respectives des femmes et des hommes:statistiques pertinentes. Une version abrégée a été produite pour le présent rapportscientifique. Nous en reprenons les idées principales.En matière de statistique publique, les manques ne sont pas aussi importants qu’onl’imagine parfois. L’impression de manque statistique s’inscrit en réalité dans un continuum.Tout ce qui est produit n’est pas exploité, tout ce qui est exploité n’est pas publié, ou l’estirrégulièrement, ce qui rend le commentaire ou la saisie des tendances difficiles. Si presquetous les organismes produisent des statistiques qui prennent en compte le sexe des individus,il reste à assurer une publication régulière de ces statistiques, sous forme d’indicateurspertinents. Les insuffisances proprement dites (absence d’information sur le sexe) seconcentrent dans quelques rares secteurs, comme la statistique des entreprises, ou lesstatistiques des associations. En revanche, on ne peut pas réellement considérer commeinsuffisance le fait que les statistiques d’institutions ne puissent guère dépasserl’enregistrement de leur activité (ex : la statistique policière des viols n’est que la statistiquedes plaintes) et soient donc incapables de rendre compte de la partie immergée de l’iceberg(c’est-à-dire les viols, beaucoup plus nombreux, n’ayant pas donné lieu à plainte). Cettedernière question ne peut être traitée que par des enquêtes spécifiques.Deux types d’indicateurs peuvent être distingués, les indicateurs d’état des lieux et lesindicateurs d’analyse. Les seconds sont produits en fonction d’une question de recherche oud’action politique, et résultent souvent d’une opération de collecte spécifique. Mais les- 4 -


GENRE POPULATION PARITÉpremiers ne relèvent pas nécessairement d’une exploitation routinière des données collectéespar les institutions. Pour que des indicateurs d’état des lieux par sexe soient pertinents pour larecherche et l’action, ils doivent d’abord être publiés à un niveau suffisamment fin. Ainsipour apprécier la place des femmes ayant des postes de responsabilités dans la FonctionPublique, il ne suffit évidemment pas de connaître la proportion de femmes dans la catégorieA: il est utile d’entrer dans le détail en publiant par exemple la proportion de femmesdirectrices au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, comparée à celle duministère des Affaires Sociales, à d’autres ministères ou à des directions de servicesdéconcentrés. De même, les proportions de femmes occupant des postes de responsabilitésdans les entreprises peuvent être présentées par secteurs ou par type de responsabilitésexercées…etc.Trop souvent, par ailleurs, les données d’état des lieux se limitent à des données destock, décrivant la composition d’une population à un moment donné. Or pour pouvoirapprécier pleinement des évolutions, il faut combiner les données de stock et les données deflux, qui décrivent spécifiquement les caractéristiques des populations d’entrants et desortants. Ainsi une statistique d’élus par sexe après une élection particulière (qui n’est pastoujours disponible ni publiée) gagnerait à être enrichie par une statistique spécifique par sexede ceux qui sont élus pour la première fois (le flux des nouveaux élus). Ou bien, dans desstatistiques de pratiquants sportifs, il est important de connaître la répartition par sexe et âgedes entrants, tout autant que de ceux qui abandonnent la pratique. De même, pour lesstatistiques scolaires, il est intéressant de faire apparaître les flux d’orientation à la fin de latroisième ou de la seconde, ventilés par sexe, autant que la composition des classes scolaires.Une notion importante, lorsqu’on veut étudier un processus de sélection différentielselon le sexe, est celle de vivier ou de nombre de candidat(e)s potentiel(le)s. Au niveau leplus simple, on peut par exemple comparer les taux de réussite des candidats et descandidates, à un concours, à une élection etc. Mais les choses sont évidemment pluscomplexes quand on veut étudier des phénomènes de promotion professionnelle. Dans ce cas,il faut distinguer très nettement l’univers restreint des candidats déclarés, et le vivier potentieldes individus, candidats déclarés ou non, qui pourraient prétendre à la promotion. Desventilations par sexe permettent de voir dans chaque cas de figure si les barrages à lapromotion des femmes s’effectuent à la sélection ou plus en amont. Des statistiques sexuéessur la composition des jurys seraient évidemment souhaitables.- 5 -


M.BOZONPlus généralement, les données descriptives de stocks et de flux gagneraient à êtreprésentées systématiquement par sexe et âge croisés. Une ventilation par groupes d'âges quiomet le sexe des individus peut être trompeuse, de même qu'un sex ratio qui n'est pas coupléavec l'âge ne décrit pas de façon réaliste une sous-population, par exemple pour l'analyse dudéroulement des carrières.L’enrichissement des statistiques sexuées proprement dites est probablement moins àattendre du recueil de données nouvelles, que de la publication de statistiques pluspertinentes, plus adaptées à la description des évolutions et des processus. Il s’agitessentiellement, indique Catherine Blum dans sa contribution, de “ faire parler ” les données.Mais cet objectif peut également être atteint en réalisant des études spécifiques autour deproblèmes que la société désigne comme prioritaires.Thèmes de recherche, thèmes d'action.Les statistiques sexuées permettent de dresser un paysage des inégalités entre hommeset femmes. Leur limite tient au fait qu'elles ne comptent que ce qui est enregistrable, parcequ’elles portent sur des données déjà formalisées et objectivées dans la réalité. Ainsi enmatière d'emploi, il est plus facile de produire des statistiques sur les salariés déclarés que surles salariés non déclarés (ce qui est la situation de bon nombre de femmes de ménage chezdes particuliers), ou sur des "conjoints collaborateurs" dans de petites entreprises "familiales"(non salariés, souvent non déclarés). D'une manière générale, les statuts précaires sonttoujours plus mal documentés. Un autre exemple, déjà mentionné, est celui des actes violentssubis par des femmes (ou des hommes) et qui restent hors de toute prise statistique tant qu'ilsne sont pas déclarés à la police. D'autres méthodes sont donc nécessaires pour approcher desréalités plus informelles et plus difficiles à saisir, qu'il est important d'aborder pour éclairerles processus qui produisent des inégalités. Lorsqu'on veut aller là où la statistique officielles'arrête, il est nécessaire de réaliser des opérations de recherche spécifiques (soit parmonographie, soit par enquête sur la population générale). Les thèmes prioritaires pour cesrecherches correspondent aux domaines dans lesquels il se produit une mobilisation de lasociété civile et des pouvoirs publics. En France, dans la période récente, plusieurs aspectsdes rapports hommes/femmes ont fait l'objet d'une telle demande de connaissance.La violence à l'encontre des femmes, abordée dans la contribution de Maryse Jaspard,est ainsi un problème sur lequel le mouvement féministe s'est mobilisé en France depuis- 6 -


GENRE POPULATION PARITÉlongtemps, son action ayant été notamment décisive pour obtenir une requalification du violcomme crime (1980) et une définition juridique du harcèlement sexuel (1992). Des moyensont été obtenus pour aider les femmes victimes de violence conjugale. Un travail important desensibilisation et de formation a par ailleurs été mené auprès des professions (police, Justice,hôpitaux) qui sont en contact avec les victimes de violence sexuelle. Le rapport officielfrançais pour la conférence de Pékin (Aubin, Gisserot, 1995) et la plateforme d'action de laConférence elle-même mentionnent la question des violences à la fois comme un objectifd'action prioritaire et comme un des domaines dans lesquels l'absence de données fiables nuitle plus à la décision. En France, des études monographiques ont été produites sur cesquestions, mais on ne disposait pas de données homogènes. Le volontarisme militant oupolitique ne produit pas à lui tout seul les connaissances indispensables. C'est à la suite de laConférence de Pékin que le Service des Droits des Femmes a pris l'initiative de demander laréalisation d'une grande enquête quantitative sur la question; un groupe de recherchemultidisciplinaire d'une dizaine de personnes s'est alors constitué autour de la démographeMaryse Jaspard pour préparer et mener à bien le projet. Une enquête-pilote a été réalisée ennovembre-décembre 1998, et l'enquête nationale auprès de 7000 femmes s'est déroulée aucours du deuxième trimestre 2000. Ce travail devrait contribuer à déplacer notre regard sur laviolence vécue par les femmes. Une des originalités de la recherche en question est parexemple qu'elle n'impose pas une définition a priori de la violence aux personnes interrogées.Le mot n'est d'ailleurs pas utilisé; des séries d'actes sont décrits, et il est demandé auxpersonnes si elles les ont subis. A des actes qui renvoient à une violence physique ou sexuelle"classique", ont été ajoutées des formes de violence plus insidieuses – verbales oupsychologiques – qui peuvent produire chez les intéressées une forte auto-dévalorisation. Larecherche distingue par ailleurs nettement les sphères dans lesquelles se produisent les actes,lieux publics, lieux de travail ou d'études, lieux de consultation et services de santé, et surtoutsphère familiale et des relations amoureuses. Pour les actes les plus graves, le questionnaireinterroge sur les réactions des femmes (en parler, ou non, chercher un soutien, porter plainte,etc.) et évalue les conséquences à court et à long terme des violences subies dans la vie despersonnes (vie professionnelle, peur dans l'espace public, séparation conjugale, etc.). Cetterecherche, dont les résultats sont très attendus, aura une influence importante sur la manièredont la violence et ses conséquences seront envisagées dans les années à venir. Elle devraitdonner en particulier des éléments décisifs pour mettre en place une politique de préventionde grande ampleur dans ce domaine.- 7 -


M.BOZONLa question des inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail a été dansla période récente l’objet d’une mobilisation scientifique importante, contrastant avec unecertaine inertie politique dans ce domaine depuis la loi Roudy sur l’égalité professionnelle,qui date déjà de 1983. En 1995, le CNRS a créé le groupement de recherche (GDR) “ Marchédu Travail et Genre ”(MAGE), placé sous la direction de Margaret Maruani, qui, comme tousles GDR, consiste en une fédération de laboratoires et de chercheurs appartenant à desinstitutions et surtout à des disciplines diverses. Le MAGE a été renouvelé en 1999. Sonactivité, très dynamique, consiste en l’organisation de nombreux ateliers et colloques, dontles résultats sont régulièrement publiés. Un livre au titre significatif, Les nouvelles frontièresde l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail, publié sous la direction deMargaret Maruani (La Découverte, 1998), tire le bilan des premières années du MAGE. Unerevue scientifique Travail, genre et sociétés a été créée en 2000. Les réflexions et les travaux– monographiques, généraux, comparatifs – des membres du MAGE ont permis notammentde revenir sur l'interprétation des inégalités de salaire, sur le sens social du développementdes emplois de service, sur le fonctionnement de la mixité, sur les effets du travail à tempspartiel et sur l’inégalité face au chômage. Il reste à mettre en place dans le système statistiquefrançais des enquêtes longitudinales approfondies et régulières, qui puissent rendre comptedes déroulements inégaux de carrière entre hommes et femmes, des lenteurs ou des blocagesdans les promotions, des effets différentiels des événements familiaux et des conditions de viesur les carrières, de la pression des tâches non professionnelles sur l’activité professionnelle.Il existe déjà une enquête de ce type à l’INSEE, “ Jeunes et carrières ”, mais limitée, commeson nom l’indique, aux débuts de carrière. Une série de rapports ont été commandés par legouvernement sur le thème de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, dont celuide Catherine Génisson, ce qui indique, alors qu’on est en train de passer aux 35 heures, unenouvelle mobilisation politique autour de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes,qui a déjà abouti au vote d'une nouvelle loi sur ce thème en mars 2000.Contrairement à ce que l’on vient d’observer pour les inégalités professionnelles entrehommes et femmes, le thème de l’accès des femmes aux postes de responsabilité politique a,dans les cinq dernières années, été posé en France surtout au niveau politique, donnant lieu,comme le montre Janine Mossuz-Lavau dans sa contribution, à l’émergence d’unerevendication et d’un mouvement originaux, le mouvement paritaire. Dans ce domaine, c’esten revanche la mobilisation scientifique – sous la forme, par exemple, de recherchesapprofondies sur les causes et les processus de mise à l’écart des femmes – qui aurait peut-- 8 -


GENRE POPULATION PARITÉêtre fait défaut. Ainsi s’explique sans doute que le débat entre paritaires et anti-paritaires sesoit structuré selon des lignes inhabituelles et ait surtout utilisé des arguments de naturejuridico-philosophique. Il serait en tout cas nécessaire, au stade actuel, de mettre en place unerecherche de grande ampleur, à caractère longitudinal, qui effectue un suivi des carrièrespolitiques féminines et masculines dans le nouveau contexte juridique de la parité, et analyseles conséquences du dispositif paritaire sur le fonctionnement politique d’ensemble, qu’ils’agisse du militantisme, de la représentation ou du gouvernement. C’est en quelque sorte uneétude d’évaluation, mais qui, vu l’ampleur de la réforme introduite, demande une rechercheparticulièrement approfondie. Il faut en particulier être attentif au risque que des bastionsmasculins se reconstituent subrepticement en politique.Dans le domaine de la contraception, de la sexualité et de l’avortement, les recherchesont peu à peu changé d’orientation. Aux enquêtes de l’INED sur la fécondité et lacontraception, qui ont permis de reconstituer la diffusion de la contraception médicalisée àpartir des années 1970. ont fait suite les enquêtes soutenues par l’Agence Nationale deRecherche sur le Sida sur les comportements sexuels des adultes et des jeunes (ACSF etACSJ), qui ont permis de dresser un large bilan de l’évolution des comportements sexuels, etnotamment des adaptations et des attitudes préventives dans le nouveau contexte del’épidémie de sida, à partir de la seconde moitié des années 1980. Dans le domaine del’avortement, si un suivi statistique des avortements est effectué depuis sa légalisation en1975, en revanche aucune enquête spécifique n’avait été réalisée, éclairant les circonstancesdu recours à l’ivg. Ce manque scientifique est en train d’être comblé, en lien avec une prisede conscience militante, politique et scientifique de ce que la maîtrise de la fécondité par lesfemmes est peut-être un acquis plus fragile en France qu’on ne pourrait le croire. Ainsi unerecherche qualitative auprès des femmes et de leurs partenaires, qui porte sur l'accès à lacontraception, sur les échecs de contraception et sur le recours à l’ivg, est-elle en cours (sousla direction de Nathalie Bajos), cependant qu'une recherche quantitative de cohorte (c'est àdire qui suit dans le temps un échantillon de femmes) sur la même thématique, avec denombreuses questions sur les partenaires, et avec un volet épidémiologique, a été mise enplace par l’INSERM, l'INED et le CNRS.Quant au thème du vieillissement et des rapports entre les générations, qui est de plusen plus présent dans le débat politique et économique, on peut regretter qu’il soit aussirarement traité, scientifiquement ou politiquement, sous l’angle du genre. Cette question était- 9 -


M.BOZONainsi singulièrement absente des conférences du Caire et de Pékin. Pourtant, toute la vie deshommes et des femmes, quand l’âge vient, ne se résume pas à un “ avantage ” de cesdernières, dû à une longévité plus grande. En effet, entre hommes et femmes, mais aussi entrefemmes de différentes catégories sociales, il existe de fortes inégalités dans les déroulementsde vie, dans les conditions de vie, dans les ressources, dans le partage des tâches, dans lapossibilité de préserver une autonomie durable. Des recherches approfondies survieillissement et genre devraient être un accompagnement normal de toute politique de lavieillesse.Évaluer les politiques et les actionsC’est dans le domaine de l’évaluation préalable et du suivi systématique des politiqueset des actions, en fonction de leurs effets sur les situations des hommes et des femmes, qu’ilreste sans doute le plus à faire en France. Le principe politique du gender mainstreamingselon lequel, au lieu de considérer l’égalité des chances entre hommes et femmes comme undomaine d’action séparé, il conviendrait d’intégrer la préoccupation pour le genre dans toutprojet, toute action, tout domaine d’activité, quels qu’ils soient, devrait logiquement conduireà mettre en valeur l’évaluation, sous la forme d’études d’impact – social ou juridique –, detableaux de bord, ou de rapports obligatoires sur les situations des hommes et des femmes.Mais le mainstreaming du genre n’est pas encore une réalité politique dominante en France,même si l’on peut espérer que la parité politique y contribue. Par ailleurs, la culture del’évaluation a du mal à s’imposer, en particulier dans le domaine précis des conséquences,voulues ou non voulues, des politiques sur les rapports entre les sexes. Il est clair que leService des Droits des Femmes, qui n’a pas de moyens autonomes pour mener des études, nepeut être le garant de cette préoccupation, qui devrait être assumée dans chaque secteurd’activité. Or la préoccupation pour le genre varie beaucoup d’un secteur à l’autre, et l’idéed’une évaluation permanente des politiques n’est jamais très populaire.Aux grandes priorités des actions qui se donnent un objectif d’égalité entre hommes etfemmes, peuvent être associées des recommandations en matière d’indicateurs nécessaires etde production de statistiques sexuées qui, comme l’indique Catherine Blum, fonctionneraientcomme tableau de bord des actions menées. Ainsi au sein du ministère de la Jeunesse et desSports, qui s’est donné un objectif explicite de promotion des femmes dans les fédérationssportives, le suivi statistique est essentiel. De même, une préoccupation pour la présenceaccrue de femmes dans la haute Fonction Publique conduit nécessairement à des statistiques- 10 -


GENRE POPULATION PARITÉde suivis de carrières. Le problème majeur est de réussir à évaluer systématiquement, enfonction du genre, des actions et des institutions même (surtout) lorsqu’elles ne sont pas muesprincipalement par l’objectif d’égalité entre hommes et femmes, comme il arrive souvent parexemple en matière de politique économique. Ainsi dans le cadre de l'actualisation de la loide 1983 sur l’égalité professionnelle, il est prévu que les rapports annuels de situationcomparée des hommes et des femmes, obligatoires dans les entreprises de plus de 50 salariés,soient enrichis. D’une manière générale, l’évaluation des politiques en direction des femmesne devrait pas envisager seulement la question des inégalités entre les sexes, mais aussi laréduction des inégalités entre les femmes elles-même. L’étude est rendue complexe par le faitque les situations précaires vécues par les femmes ne se mesurent pas exactement à l’aune dessituations des hommes. Il n’est pas toujours possible de comparer des indicateurs terme àterme : ainsi Maryse Marpsat montre que les femmes sont moins souvent sans abri au sensstrict que les hommes, mais qu’elles vivent beaucoup plus souvent des situations trèsdifficiles d’“ enfermement domiciliaire ”, en raison même de l’orientation de l’aide sociale,qui les “ protège de la rue ”. Ainsi en France, si elles sont plus souvent pauvres que leshommes, elles sont pourtant moins souvent “ misérables ” que ces derniers.A côté d’évaluations directement opérationnelles, il est nécessaire de disposer d’uneévaluation indépendante, plus directement liée à la recherche sur le genre. On peut citer ainsil'exemple de l'étude qui fait apparaître que l’allocation parentale d’éducation (APE), verséependant trois ans aux parents (aux mères) qui arrêtent de travailler pour élever de jeunesenfants, sélectionne une population particulièrement fragile et rend difficile le retour desfemmes sur le marché du travail, ce qui va à l'encontre des objectifs déclarés de cette action.La contribution de Janine Mossuz-Lavau sur l’évaluation d’une action, <strong>propos</strong>ée par laDirection Générale de la Santé, de réduction des risques sexuels en direction des femmes ensituation précaire illustre l’apport possible de méthodes plus qualitatives pour mesurerfinement l’impact d’interventions destinées à renforcer l’autonomie des femmes et donc àmodifier leurs attitudes dans la vie privée. Un objectif de recherche important, qui pourraitêtre également lié à une réflexion politique, serait celui d’une évaluation, si possiblepluridisciplinaire, du fonctionnement de la mixité, au travail, dans le milieu d’études, dans lesassociations, dans la vie politique. On pourrait enfin recommander à l’INSEE, commecomposante du suivi de l’application de la loi sur les 35 heures, de renouveler dans un délairelativement bref l’enquête sur l’emploi du temps (1999), présentée dans la contribution deCécile Brousse. Il s’agit ici véritablement d’une situation expérimentale dont on dispose- 11 -


M.BOZONrarement : la diminution du temps de travail professionnel va t-elle vraiment aboutir à uneréduction du temps de travail total des femmes et leur permettre d’augmenter leur tempslibre?A la fin du XXème siècle, on peut tirer un bilan de l’évolution des situations desfemmes par rapport à celle des hommes qui exclut tout misérabilisme. Les progrèsconsidérables des trois ou quatre dernières décennies font considérer aujourd’hui comme desacquis ou des dûs ce que des générations de femmes pas si éloignées considéraient commedes enjeux de lutte ou des objectifs. Certaines représentations très anciennes du féminin ontété ainsi largement ébranlées.Les progrès de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes. Un mouvementininterrompu.Dans le mouvement vers plus d’égalité entre femmes et hommes, ce n’est plus depuisune quinzaine d’années le combat pour l’égalité juridique formelle qui est le moteur principal.Les progrès ininterrompus dans les situations des femmes résultent plus de leur mobilisationpersonnelle multiforme et des changements dans les représentations qui en découlent, qued’une mobilisation ou d’une action politiques au sens plus restreint du terme, et ce malgréquelques exceptions notables. Il en résulte que les gains obtenus par les femmes sont plusperçus par elles comme un élargissement de leurs potentialités et de leur autonomie quecomme un rattrapage sur les hommes.L’essor des scolarités fémininesAinsi en est-il de la “ réussite scolaire des filles ”, présentée dans la contribution deMichèle Ferrand. Dans le progrès considérable de l’éducation des femmes en France,plusieurs éléments sont à considérer. Ce succès, paradoxal par sa rapidité et son ampleur,puisque les filles réussissent aujourd’hui mieux dans l’enseignement primaire et secondaire,et depuis 1971 sont plus nombreuses que les garçons à étudier dans l’enseignement supérieur,ne doit pas faire oublier les résistances que l’accès des femmes au savoir a dû surmonter.Ainsi il leur a fallu d’abord gagner le droit de suivre les mêmes programmes et d’obtenir lesmêmes diplômes. Longtemps les filles ont été moins incitées à poursuivre leur scolarité queleurs frères et n’ont pas pu s’asseoir dans les classes à côté des garçons. Le passage à lamixité s’est opéré à partir du milieu des années 1960, apparemment sans débat ni résistance,- 12 -


GENRE POPULATION PARITÉau moment où s’opérait la transition à un enseignement secondaire de masse, qui n’a doncnullement défavorisé les filles. La mise en place, avec une dizaine d’années de décalaged’une université de masse, n’a pas, loin de là, laissé de côté les filles, toutes les disciplinesayant connu une féminisation plus ou moins forte. Enfin le dernier palier important dans lamobilisation publique en faveur d’une éducation de masse, l’élévation considérable dunombre de bacheliers, qui passe entre 1985 et 1995 d’un tiers aux deux tiers d’une génération,est également franchi avec succès par les filles. Alors que les filles étaient traditionnellementun groupe dominé dans l’univers scolaire, il s’opère en quelques décennies à peine un telrenversement historique des inégalités de réussite selon le sexe qu’aujourd’hui s’est banaliséel’idée inverse, selon laquelle ce sont les filles qui, “ par nature ”, seraient les meilleurs élèves.Au total, la réussite des filles ne s’explique pas par une politique explicite qui aurait pris pourobjectif un rattrapage féminin par rapport aux garçons, mais plutôt par un investissement trèsactif des femmes dans l’appropriation des savoirs, appuyé par une mobilisation de leursfamilles, qui leur a permis de profiter des opportunités d’un système qui s’ouvrait.L’essor des scolarités des femmes contribue à une modification considérable de laperception qu’elles ont, et que les hommes ont, de leur place dans la société, aussi bien dansla sphère publique que dans la sphère privée. Le diplôme féminin devient la première étapenormale d’un parcours professionnel, plutôt que matrimonial, alors qu’il y a quelquesdécennies à peine les jeunes femmes diplômées ne s’attendaient pas forcément à avoir uneactivité professionnelle si elles réussissaient à se marier, le mariage restant un objectifpremier. L’impact du progrès de la scolarité féminine se fait sentir également dans la sphèreprivée, car il permet aux femmes de se présenter avec de meilleurs atouts dans la négociationconjugale et de mettre en balance des aspirations diverses, ce qui contribue au report ducalendrier de la fécondité.La féminisation de la population activeLes progrès ininterrompus de la participation des femmes à la population active depuisle début des années 1960 pourraient se décrire, tant dans leurs modalités que dans leursconséquences, un peu dans les mêmes termes que l’essor de la scolarité féminine, si lescontextes n’étaient si différents: les changements structurels du marché de l’emploi (essor del’emploi tertiaire, déclin de l’emploi industriel, montée du chômage dans les années 1970) ontcréé une dynamique qui a peu à voir avec le processus continu de diffusion d’unenseignement de masse. Le fait que le taux de participation féminine à la population active- 13 -


M.BOZONn’ait cessé de croître au cours des dernières décennies (de 33,5% en 1962 à 45,6% en 1999)ne s’explique pas en termes purement économiques. Le développement du secteur tertiaire aassurément favorisé dans un premier temps la montée de l’emploi féminin, qui n’a pas ététouché par ailleurs par le déclin du secteur industriel, contrairement à l’emploi masculin,stagnant sur le moyen terme. Cependant la forte montée du chômage n’a ni enrayé ni ralentila tendance à la féminisation de la population active, qui correspond donc à une aspirationforte des femmes, signe d’un investissement personnel intense, dans le prolongement del’investissement scolaire initial. L’investissement professionnel des femmes se marqueégalement à d’autres traits. Ainsi les femmes sont allées là où on ne les attendait pasforcément : elles représentent par exemple la majorité des nouveaux médecins, des nouveauxjuges, des nouveaux journalistes, des nouveaux avocats. La proportion de femmes parmi lescadres et professions intellectuelles supérieures s’élève ainsi fortement, même si la tendanceest moins nette parmi les cadres des entreprises. L’emploi féminin est par ailleursmassivement salarié, plus encore que celui des hommes (90% contre 84%). L’écart moyenentre les salaires masculins et féminins à temps complet se resserre incontestablement, maislentement, puisque l’on passe de 33% en 1970 à 23% en 1994. Un trait important de l’emploiféminin, qui indique parmi les femmes une nouvelle manière d’envisager leur vie, plutôt qu’ilne constitue une demande de l’économie, est le caractère désormais continu des carrières,rompant avec une tradition ancienne de carrières discontinues. Désormais, entre 25 et 49 ans,à l’âge où elles ont des enfants, la quasi-totalité des femmes ont un emploi salarié, alorsqu’elles n’étaient qu’une minorité à être dans cette situation au début des années 1960.L’activité professionnelle féminine, plus encore que l’essor de leur scolarité, contribueà faire bouger les perceptions sur la place des femmes et les attentes qu’elles peuvent nourrirdans la vie. La féminisation de nombreux secteurs d’activité modifie leur image (celle desfemmes et celle des secteurs) et surtout ouvre l’éventail des possibles pour toutes : le fait qu’ilexiste des femmes juges, une femme cosmonaute, des femmes ministres occupant desfonctions importantes, mais également de très nombreuses femmes médecins montre bienqu’il est possible pour les femmes d’exercer des responsabilités dans tous les domaines et quela féminisation n’entraîne pas de nivellement par le bas. L’investissement plus fort et pluscontinu des femmes dans une activité salariée leur permet d’élargir les bases de leurautonomie personnelle, en leur conférant un statut social durable et reconnu qui ne soit pas liéà leur statut familial, et en leur fournissant des ressources économiques propres, voire unréseau de soutien ou de sociabilité indépendant. On établit généralement un lien entre cette- 14 -


GENRE POPULATION PARITÉmontée d’un emploi féminin producteur d’autonomie, et l’évolution des formes familialesvers plus d’autonomie des conjoints. L’affaiblissement de l’institution du mariage, par lacohabitation comme par le divorce, s’opère dans la période où se renforce la positionprofessionnelle des femmes, tandis que l’âge d’or du mariage dans les années 1950 et 1960était intimement lié à la faible participation économique des femmes, entraînant une fortedépendance à la position professionnelle du conjoint.Plus d’autonomie dans la famille et la vie privéeUn progrès majeur dans la situation des femmes, étroitement lié à l’essor de leursscolarités ainsi qu’au statut social et aux ressources qu'elles tirent de leur activitéprofessionnelle, est l’autonomie qu’elles ont gagnée dans la famille, les choix de fécondité etla vie privée, qui instaure un nouvel équilibre entre elles et les hommes qui leur sont proches.Toutes les lois qui faisaient dépendre statutairement les femmes de l’autorité de leur mari ontdisparu. Mais en pratique, c’est la possibilité de réaliser une planification de leur vie à traversla maîtrise de leur fécondité qui, plus même que le fait de disposer de ressources propres,permet aux femmes de ne plus dépendre autant des intentions, du statut et du contrôle socialde leur conjoint ou partenaireIl faut se reporter en pensée à l'époque, encore proche de nous, où tout projet de viequ'une femme envisageait, soit au moment de la jeunesse, soit après avoir déjà eu un ou deuxenfants, était suspendu au risque et aux conséquences, forcément assumées par elle, d'unegrossesse non attendue. Cette menace pesante et le sentiment d'impuissance quil'accompagnait découlaient des formes de contraception dominantes en France dans lesannées 1950 et 1960, la continence périodique (méthode Ogino) et le retrait, dont les tauxd'échec étaient importants et dont la bonne réalisation reposait sur la discipline des couples, eten particulier celle des hommes. La "seconde révolution contraceptive" des années 1970 et1980 a remplacé cette planification hasardeuse et très dépendante de la bonne volontémasculine par une contraception beaucoup plus fiable, sous contrôle médical, dont laresponsabilité et la mise en œuvre incombent aux femmes.Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la diffusion de la contraception médicaliséen'a pas eu pour conséquence de faire chuter considérablement la fécondité, la stabilisation dunombre d'enfants par femme ne s'effectuant qu'à un niveau légèrement inférieur à celui dubaby boom. Son effet majeur a été de remettre en cause le statut de temps social à part que la- 15 -


M.BOZONfécondité occupait dans la vie des femmes. La peur d’avoir des enfants a cédé la place audésir d’en avoir. La fécondité s’est mué en une aspiration positive, dont le poids dansl'organisation d'une vie est beaucoup plus léger et dont la mise en œuvre fait l'objet d'unepréparation, d'une réflexion et de décisions: celle d'avoir des enfants ou de ne pas en avoir,celle du moment où l'on désire avoir un premier enfant, celle de l'intervalle de temps désiréentre le premier et le second, celle d'en avoir éventuellement plus encore. Ces décisionsn'échappent plus aux femmes et peuvent donc être coordonnées avec les choix faits dansd'autres domaines de leur vie: l'évolution des femmes vers des carrières professionnelles pluscontinues est directement liée à cette possibilité de planification de la fécondité. La peurd'avoir des enfants alors qu'on n'en veut pas ou pas si tôt, la nécessité d'adapter ses aspirationset ses comportements à ce risque et l'expérience-même de la grossesse non désirée, qui étaientnaguère encore le lot de toutes les femmes, paraissent aujourd'hui des réalités presqueanachroniques, alors qu'elles sont loin d'avoir totalement disparu: elles sont désormais l'indiced'un problème social spécifique, problème de précarité et/ou d'information inadéquate.Disposant de la possibilité de choisir le moment de la procréation, les femmes se sontrapidement mises à vivre leur jeunesse comme un âge à part, de façon somme toute assezsemblable aux hommes. Alors que l'âge à la naissance du premier enfant est progressivementreporté de plus en plus tard, l'âge des femmes à l'initiation sexuelle s'abaisse et se rapprochede celui des hommes, ce qui crée une période d'une dizaine d'années en moyenne de viesexuelle, voire conjugale, sans charge familiale. Cette période de liberté relative est consacréeà étudier, à rechercher un emploi, à stabiliser sa situation professionnelle, à faire l'expérienced'une vie conjugale sans engagement. De plus en plus, l'étape qui fait passer à l'âge adulte estla naissance, tardive et négociée avec le conjoint, du premier enfant, cependant que lemariage connaît un retard et une désaffection spectaculaire, comme le montre Patrick Festydans sa contribution. Ainsi aujourd'hui à 22 ans, moins de 10% des femmes sont mariées,contre 60% il y a trois décennies, et on estime que 30% des femmes nées vers 1965 ne semarieront jamais. Ce déclin symbolique et pratique du mariage, qui ne signifie nullement unrecul de l’aspiration au couple, est un des signes des transformations profondes des rapportsentre hommes et femmes dans la vie privée.La vie familiale et conjugale des femmes, qu'elles soient mariées ou non mariées,connaît un rééquilibrage, dû à la fois au contrôle qu'elles exercent désormais sur laconstitution de leur famille, et à l'autonomie et au poids acquis grâce à leur activité- 16 -


GENRE POPULATION PARITÉprofessionnelle. Des changements importants, dans le sens d'une plus grande coresponsabilité,sont observés dans le domaine des grandes décisions du couple, pour lequell'autorité masculine est battue en brèche. En revanche, d'après la dernière enquête dont nousdisposons, l'évolution est beaucoup moins nette dans le domaine du partage des tâchesdomestiques, où l'inégalité entre hommes et femmes ne se réduit que légèrement, enparticulier lorsque les femmes ont une activité salariée. Si le temps libre total des femmesaugmente, c'est en réalité plutôt en raison d'une redéfinition des tâches, liée aux progrèstechniques dans l'électroménager, à la diminution de l'auto-production et à l'externalisationmarchande de certaines tâches. L'autonomie des femmes se marque enfin également au faitqu'elles envisagent désormais beaucoup plus souvent et de plus en plus tôt dans l'histoire ducouple la solution de la séparation, perçue comme moins traumatisante que le maintien d'unerelation à tout prix. Depuis la libéralisation du divorce en 1975, les femmes ont d'ailleurstoujours été les principales demandeuses, et c'est le cas également pour les ruptures d'unionsinformelles.Une des conséquences de ces séparations plus fréquentes est la forte augmentation de lapart des familles monoparentales (15% des familles avec enfants à charge), généralementdirigées par des femmes. Ce phénomène est une bonne illustration de la détermination desfemmes à assumer une autonomie, même si elles en payent généralement le prix par unappauvrissement réel. Nous avons indiqué que les femmes étaient protégées en France de latrès grande pauvreté. Mais c'est en tant que mères, plutôt que comme individus de sexeféminin. Contrairement à d'autres pays, les femmes qui vivent seules avec leurs enfants ont lapossibilité de travailler à temps plein (dans la mesure également où l'école fonctionne toute lajournée), tout en percevant des allocations sociales. A l'heure actuelle, on peut dire qu'aucunedes mesures qui constituent la politique familiale, hormis peut-être l'allocation parentaled'éducation (APE), n’incite les femmes à choisir entre activité professionnelle et vie familiale.L’amélioration des conditions de vieDans les dernières décennies, les conditions de vie des femmes ont connu une évolutionlargement positive, en matière de santé et d'espérance de vie. L'écart d'espérance de vie entrehommes et femmes en France reste le plus élevé d'Europe en raison de la longévitéexceptionnelle des Françaises, même si une réduction de l'écart s'est amorcée ces toutesdernières années. Le temps passé en incapacité sévère n'augmentant pas, les années de viegagnées sont des années en bonne santé. Paradoxalement, indique Catherine Sermet, même si- 17 -


M.BOZONles femmes déclarent plus de maladies que les hommes, il semble bien que ces maladiessoient moins graves (en termes de pronostic vital), tout en étant plus invalidantes. Lesfemmes sont des consommatrices plus régulières de médecine de ville, en particulier deconsultations de spécialistes, ainsi que de produits pharmaceutiques. Elles ont en revanchemoins recours à l'hôpital que les hommes, à âge égal, si l’on ne tient pas compte de lagrossesse et de l'accouchement. Il semble que les femmes aient largement profité des progrèsde la médecine, intégrant beaucoup plus que les hommes une attitude de prévention.Les femmes des générations âgées connaissent beaucoup plus souvent le veuvage queles hommes. Lorsque leur conjoint décède, elles tendent à vivre seules plus fréquemment queles hommes dans la même situation. La tendance de fond, depuis plusieurs décennies, est à ladiffusion de l'isolement résidentiel, au détriment de la cohabitation entre générations. Lararéfaction de la cohabitation multigénérationnelle ne doit pas être jugée négativement,d'autant plus qu'elle va de pair avec une certaine désaffection pour l'institutionnalisation, l'uneet l'autre indiquant plutôt un progrès de l'autonomie des personnes âgées, en particulier desfemmes.Dans la dernière période, la plupart des progrès dans la situation des femmes sont dûs àla manière dont elles se sont mobilisées personnellement, ont su s’inscrire dans unmouvement général et tirer profit d’évolutions techniques ou sociales pour améliorerpatiemment leurs positions face aux hommes. En revanche, les mobilisations ont pris unetoute autre forme dans le champ de la représentation politique, qui présentait toutes lesapparences d’un bastion masculin.Une mobilisation politique, le mouvement paritaire.C’est l’insuffisance spectaculaire et durable de représentation féminine dans lesassemblées élues en France (moins de 10% de femmes), sans évolution bien nette depuis desdécennies, qui a conduit dans les années 1990 à une radicalisation des revendications parmiles associations féminines et féministes, soutenues rapidement par des femmes politiques detoutes obédiences politiques. Janine Mossuz-Lavau retrace précisément les étapes de cettemobilisation politique dans sa contribution sur “ L’accès des femmes aux postes deresponsabilité ”. On n’en indiquera ici que les principales étapes. Un diagnostic s’est imposéselon lequel il existait un blocage spécifique au monde politique, qui ne pouvait être surmontéque par un “ coup de force ” qui fasse de la présence des femmes dans les assemblées un- 18 -


GENRE POPULATION PARITÉenjeu politique à part entière. Aux solutions de quotas de femmes <strong>propos</strong>ées en vain dans lesannées 1970 et 1980, s’est substituée à partir des années 1992 et 1993 la revendication plusradicale de parité, qui <strong>propos</strong>e à la fois une fin, l’égalité entre hommes et femmes, et unmoyen, qui est l’instauration d’un quota plus ambitieux et plus contraignant (moitié-moitié).Les partis politiques, principalement de gauche, ont commencé à mettre en place des quotasde femmes pour les candidatures aux assemblées. Après le changement de majorité politiqueen 1997, la sympathie constante de l’opinion à l’idée de la parité, le soutien politique de lagauche plurielle, l’adhésion du Président de la République, puis le ralliement des partisd’opposition malgré d’ultimes tentatives de résistance du Sénat ont permis de faire inscrire en1999 dans la Constitution le principe de la parité dans la représentation politique (même si leterme proprement dit n’a pas été retenu). Un nouveau débat s’est produit au moment detransformer le principe en loi. Il a finalement été décidé que le principe 50/50 s’appliquait auniveau des candidatures, qu’il était obligatoire pour les scrutins de liste (sous peined’irrecevabilité), et que pour les scrutins uninominaux comme les législatives, les partisdevaient présenter 50% de candidates sous peine de sanctions financières. Cette loi constitueune sorte de première mondiale, mais il reste à évaluer son fonctionnement, lorsqu’elles’appliquera pour la première fois en vraie grandeur aux élections municipales de 2001. Étantdonné que la place des femmes sur les listes n’est pas prévue par la loi, il est en effet possibleque peu de femmes soient élues, et en particulier peu de maires.Le type de mobilisation inauguré par le mouvement paritaire est-il transposable àd’autres domaines que celui de la représentation politique ? Cela paraît actuellement peuvraisemblable dans le secteur de la responsabilité économique qui, tout en se réclamant deslois du marché, fonctionne très clairement comme un bastion masculin. A ce titre, il semblehors de portée d'un mouvement d'inspiration paritaire, qui se réfère à des valeurs decitoyenneté, peu présentes dans l’entreprise. En revanche, la sensibilité paritaire a déjàlargement essaimé dans d’autres secteurs : les organisations syndicales sont de plus en plussensibles à cette demande et, plus modestement, le secteur associatif. Ainsi le ministère de laJeunesse et des Sports, qui a l’objectif de développer la pratique sportive chez les femmes,entend favoriser, sans mesure législative particulière, la parité dans les fédérations sportives.Principe philosophique et juridique devenu arme politique, renouvelant les termes du combatpour l’égalité, la parité est par ailleurs de plus en plus invoquée dans les institutions etorganismes publics comme une composante d’un fonctionnement interne efficace et juste,dans une forme moderne de service public.- 19 -


M.BOZONL’amélioration des situations des femmes peut se lire comme un élargissement de leurspossibilités et un renforcement de leur autonomie et de leurs ressources propres, quientraînent normalement des changements dans les représentations sociales du masculin et duféminin, ainsi que dans le fonctionnement des organisations. Le bilan doit cependant êtredressé sans triomphalisme, car dans tous les secteurs, les avancées se heurtent à des barrièresplus ou moins visibles, mais solides, qui perpétuent l’inégalité. Par ailleurs, les gainsd’autonomie ont généralement un prix assez lourd. Enfin, parmi les femmes, certainesconnaissent des situations extraordinairement précaires, sans filet de sécurité.Freins au mouvement et zones de précarité : maintien ou déplacement des inégalités ?La “ marche vers l’égalité ”des hommes et des femmes 1 est encore loin de son terme.Mais pour définir les étapes suivantes, il importe d’établir les positions relatives des uns etdes autres. Est-ce qu'ils tendraient à se rejoindre s'ils poursuivaient dans la même voie? Oubien les chemins sont-ils encore durablement divergents ? En revenant sur les parcours et lessituations des hommes et des femmes dans le monde scolaire et dans le monde professionnel,on perçoit en réalité à quel point ces univers sécrètent des ségrégations et des hiérarchies, quiproduisent entre les sexes des inégalités profondes mais en déplacement.La ségrégation horizontale, génératrice d’inégalités durablesLa réussite spectaculaire des filles dans le système scolaire et la féminisation irrésistibledu monde du travail ont ceci de paradoxal qu’elles n’ont que modérément bouleversé lahiérarchie entre hommes et femmes dans ces deux univers. L’école reste dominée par desvaleurs masculines. Les meilleurs résultats scolaires des filles pendant le premier cycle dusecondaire, puis pendant la classe de seconde, s’ils les “ protègent ” d’une orientation vers desscolarités courtes, ne les conduisent pas vers la filière d’excellence (filière S et classespréparatoires scientifiques) mais vers des filières littéraires “ moins rentables socialement ”.En somme elles ne tirent pas les avantages qu’elles pourraient espérer de leur meilleureréussite scolaire. Étant donné que le processus d’orientation prend largement en compte lesaspirations des élèves et de leurs familles, dans un cadre organisé par le système scolaire, leschoix divergents des filles et des garçons correspondent bien aux aspirations et aux attentesintériorisées des unes et des autres, qu’enseignants et responsables scolaires ne font rien pour1 Titre du dossier spécial du Monde. Dossiers et Documents, février 2000.- 20 -


GENRE POPULATION PARITÉcontrecarrer, tant elles leur semblent être dans l’“ ordre des choses ”. Plusieursinterprétations de la permanence problématique de cet ordre des choses peuvent êtredonnées. Il y a d’abord le fait que l’institution de la mixité à l’école n’entraîne pas uneégalisation miraculeuse des rôles <strong>propos</strong>és aux filles et aux garçons. Les enseignants, mêmes’il s’agit de plus en plus souvent de femmes, continuent à avoir des pratiques différenciéesselon le sexe des élèves; les garçons, de qui on attend plus, sont par exemple toujours plusstimulés. L’organisation des disciplines scolaires se présente comme un système hiérarchiséet sexué, avec des matières masculines dominantes, sélectives, peu accueillantes aux femmes.Une autre interprétation se réfère aux préférences des filles elles-mêmes, qui auraient desanticipations rationnelles et feraient au fond un choix assez réaliste en se tenant à l’écart desfilières les plus compétitives ou tout simplement les plus masculines, qui correspondent auxsecteurs où elles savent avoir le moins de chances de s’insérer professionnellement ethumainement de façon satisfaisante. Ce choix négatif est parfois ainsi un choix positif, dansla mesure où il permet aux filles de maintenir une plus grande diversité d’intérêts etd’investissements. Il reste qu’il introduit une limitation des choix, qui se présente souventmais pas toujours comme une auto-limitation: ainsi, en cas d’orientation vers le secteurtechnique, les filles se retrouvent systématiquement dans les filières tertiaires, sans avoirgénéralement eu leur mot à dire, mais souvent sans révolte.Cette segmentation horizontale se prolonge et s’amplifie dans le monde du travail. Ellese marque d’abord, comme l’indique Margaret Maruani, à la concentration des femmes dansun nombre très restreint de catégories socio-professionnelles, qui a même augmenté dans lapériode récente : les six catégories les plus féminisées rassemblent 61% des femmes en 1999,contre 53% il y a une quinzaine d’années. L’ouverture de certaines professions prestigieuses apour contrepartie au bas de l’échelle sociale l’entrée massive de femmes dans des emploisnon qualifiés du tertiaire. Il faut rappeler ici que la qualification n’est évidemment ni unattribut des personnes, ni une caractéristique intrinsèque des emplois, mais l’expression d’unrapport social entre employeurs et salariés, négocié ou imposé. La non-reconnaissance desqualifications scolaires acquises touche beaucoup plus fréquemment les femmes, ce quiaboutit au paradoxe d’une faible qualification professionnelle féminine, associée à unecertification scolaire forte et en croissance. A la non-qualification, sont fréquemmentassociées des conditions de travail particulières, temps partiel contraint et horaires de travailatypiques, qui rendent difficiles l’organisation de la vie quotidienne.- 21 -


M.BOZONLe travail à temps partiel est en effet à peu près réservé aux femmes, mais à ladifférence d’autres pays européens, il est de développement récent en France, où le nombrede ces emplois a été multiplié par 2,5 en une vingtaine d’années. L’essentiel de la croissancede la population active féminine s’était fait avant 1980 et sous le régime de l’emploi à tempscomplet. L’emploi à temps partiel correspond pour une part à des décisions individuelles, enparticulier dans la Fonction Publique. Mais par ailleurs, dans des secteurs entiers del’économie, le temps partiel est devenu un mode de gestion de la main-d’oeuvre ; les femmes-caissières, vendeuses, femmes de ménage, employées de l’hôtellerie…- qui travaillent sousce régime ne l’ont généralement pas choisi. Cette flexibilisation à l’initiative des entreprises ades conséquences sur les carrières professionnelles, qui manquent de perspectives. Elle pèsesur les rémunérations, la forte augmentation de la proportion de bas et très bas salaires dansles dernières années étant directement imputable à la montée du temps partiel. Enfin ce typed’emploi typiquement féminin induit des horaires de travail dits atypiques, sans régularitéd’un jour à l’autre, ou avec de très forts écarts dans la journée entre les périodes de travail. Cetype d’activité, aussi insatisfaisant soit-il, est souvent une alternative au chômage, qui frappeplus souvent les femmes que les hommes dans toutes les catégories sociales, particulièrementchez les jeunes.Une facette importante des inégalités au travail tient aux écarts de salaires entrehommes et femmes. De quelque manière qu’on envisage le problème, il y a inégalité. L’écartest de 27% entre l’ensemble des salaires masculins et féminins. Une des explications est queles femmes travaillent moins à temps complet, dans des secteurs moins bien rémunérés et àdes niveaux hiérarchiques plus bas. Mais si l’on rapproche les salaires des hommes et desfemmes dans des situations strictement comparables, on s’aperçoit qu’il subsiste toujours unécart de salaire de 10-15%, qui mesure en somme la discrimination nette. Celle-ci est moinsforte dans des secteurs fortement régulés, comme la Fonction Publique. En revanche,l’inégalité des rémunérations est particulièrement forte parmi les cadres supérieurs etdirigeants d’entreprises. Toutes les inégalités subies par les femmes au travail et dans la vieprivée convergent logiquement vers le “ plafond de verre ” du marché du travail, c’est-à-direla mise à l’écart des femmes des postes de responsabilités.Alors que les femmes sont plus diplômées en moyenne que les hommes, les carrièresmasculines sont toujours plus rapides et plus abouties. Plusieurs aspects de cettediscrimination peuvent être considérés. En matière d'accès aux postes de responsabilités, il- 22 -


GENRE POPULATION PARITÉexiste à la fois un soupçon à l’égard des femmes et un préjugé en faveur des hommes, dans lamesure où l’aptitude aux responsabilités est définie implicitement comme une disponibilitépotentiellement sans limite pour la profession, qui conduit à ne compter ni son temps ni sesdéplacements. Seules des femmes sans conjoint ni enfant, à condition en outre d’être“ meilleures que les hommes ”, peuvent surmonter le handicap initial qui pénalise les autresfemmes : l’obligation morale d’être (aussi) disponible pour la famille. L’attachement autravail et à l’entreprise est également évalué en fonction de l’activité de formationprofessionnelle, qui a une influence sur les promotions. Or les femmes participent moins à laformation professionnelle, soit qu’elles en reçoivent moins la <strong>propos</strong>ition, soit qu’elles enprennent moins l’initiative. Dans une logique d’autorité masculine, tout concourt à jeter undoute sur le dévouement des femmes à leur entreprise, et à décourager leur ambitionprofessionnelle: dans les secteurs les plus compétitifs, il en résulte que les femmes secensurent et renoncent parfois à affronter la concurrence. La rentabilité professionnelle deleur investissement scolaire initial paraît ainsi beaucoup moins grande que celle del’investissement masculin. Mais il est vrai que la profession n’est qu'une part du travail desfemmes, qui comprend aussi une face moins visible et tout aussi substantielle.Les tensions de la vie privéeEn examinant l’emploi du temps quotidien des femmes et des hommes, on perçoit àquel point tension et surcharge mentale sont le lot commun des femmes en France, beaucoupplus que dans d’autres pays européens. Vivre une vie de femme reste une lutte, même s'il estvrai qu'elle ne se déroule pas de la même façon en haut et en bas de l’échelle sociale. Sur unepériode d’une dizaine d’années, alors que des changements se sont produits dans la nature dutravail domestique et que son volume s’est légèrement réduit, il apparaît que la division dutravail entre hommes et femmes dans les couples n’a pratiquement pas bougé : les femmes encouple consacrent en moyenne cinq heures par jour aux tâches domestiques et les hommesdeux heures quarante minutes, et la division entre des tâches répétitives et souventconsidérées comme pénibles, principalement effectuées par les femmes, et des tâches plusgratifiantes et considérées en partie comme des loisirs, effectuées par les hommes, demeure.Malgré la large diffusion d'un discours normatif sur l’égalité domestique, les hommes n’ontpas commencé à prendre en charge les activités féminines. Même s’il y a eu baisse du tempsconsacré à la vaisselle, à la couture, à l’entretien du linge et même à la préparation des repas,ces activités restent assumées par les femmes, ainsi que le ménage, qui occupe même en- 23 -


M.BOZONvaleur absolue plus de temps qu’il y a une dizaine d’années. La seule pratique à laquelle leshommes consacrent plus de temps en 1999 qu’en 1986 est celle des courses et des achats, quiconstituaient déjà en début de période une activité partagée. En définitive, la durée globaledes courses augmente et les femmes aussi y passent plus de temps. Il y a plusieurs aspectspréoccupants dans cette stagnation des rôles. Alors que les écarts entre hommes et femmescélibataires sont faibles dans la nature des activités domestiques et le temps qu’ils leurconsacrent, l’entrée en couple, la vie de couple et la vie avec des enfants provoquent une forteaugmentation du volume des tâches et la mise en place d’une vigoureuse spécialisation ethiérarchisation entre les sexes. Le suivi scolaire des enfants, responsabilité qui implique unecharge quotidienne mentalement très prenante, est assumé par les femmes, l’aide de l’hommen’étant sollicitée que pour des soutiens ponctuels. Et il est significatif et peu encourageant quela pratique domestique des grands enfants soit déjà si semblable à celle de leurs parents demême sexe : les garçons de plus de 15 ans consacrent 50 minutes par jour au travaildomestique et les filles déjà 1h40. La conséquence de cet état de fait est une surchargeglobale de travail chez les femmes en couple (en additionnant travail domestique et travailprofessionnel), ou en d’autres termes un déficit de temps libre par rapport à leurs conjoints.C’est la notion de charge mentale des femmes qui traduit le mieux la tension vécue, ladifficulté à avoir du temps pour soi, et le poids des demandes contradictoires qui pèsent surelles. On peut sans doute considérer que les dépressions, plus importantes que chez leshommes, de même que la forte consommation féminine de psychotropes sont une desmanières de réagir à ces attentes contradictoires. Il faut signaler aussi la récente montée dutabagisme chez les femmes. Dans les images et les représentations qui sont données desfemmes aujourd’hui, celle de la bonne ménagère, principalement préoccupée par lefonctionnement de sa maison, ne fait plus l’unanimité, même si elle continue à correspondre àune réalité de leur vie quotidienne, et les femmes savent qu’au moins en parole elles peuventprendre des distances à l’égard de ce rôle. En revanche, il leur est difficile d’échapper àl’image sociale tyrannique de la bonne mère, éducatrice dévouée et disponible pour sesenfants, qui doit être d’ailleurs à d’autres moments de sa vie une bonne fille, soucieuse dubien-être de ses parents âgés. Cette image sociale, à laquelle il est si difficile de correspondre,est souvent génératrice d'une grande culpabilité. Même si une représentation moderne du bonpère s'est développée, il n'est pas demandé aux hommes d’assumer à plein temps une chargede gestionnaire des relations intergénérationnelles, et ils peuvent se contenter d’êtreéventuellement de bons pères ou de bons fils par surcroît. Les femmes savent en revanche- 24 -


GENRE POPULATION PARITÉqu’elles n’ont pas le choix et qu'en aucune circonstance elles ne peuvent renoncer à ce rôle,qui est un élément de leur statut social.La violence subie par les femmes constitue un tout autre type de contrainte. Il s’agitd’une des manifestations possibles de la domination masculine. De même qu’une part dutravail féminin accompli dans le cadre domestique peut être invisible, une grande part de laviolence que subissent les femmes dans l’univers domestique ou dans d’autres moments deleur vie quotidienne, reste peu connue, voire délibérément cachée. Les plaintes pour violenceconjugale (près de 17000) ou pour viol (environ 6000), bien qu'en augmentation, continuent àne refléter qu’une toute petite partie du phénomène, de même que les plaintes pourharcèlement sexuel, qui restent très rares. Subir la violence n’incite en effet pas forcémentcelles qui la subissent à réagir. A la différence d’un conflit, qui peut être posé etéventuellement résolu, la violence s’inscrit dans une logique globale, qui vise à annihiler la(résistance de la) victime. Un des enjeux de l’enquête sur les violences à l’encontre desfemmes, présentée plus haut, est de faire parler les personnes interrogées de faits et desituations que parfois elles n’ont jamais mentionnés à personne. Il est aussi de faire apparaîtrel’unité du continuum des violences, qui englobe des coups, des menaces de mort, desépisodes de violence sexuelle ou de chantage mais aussi une violence psychologique plusinsidieuse, destinée à détruire toute estime de soi chez la personne visée. Une des raisons del’invisibilité de la violence subie par les femmes et de la difficulté à s’y opposer estparadoxalement son caractère souvent banal et routinier, et le fait qu’elle ne laisse pastoujours de traces extérieures. Les résultats de l’enquête pilote préparatoire font apparaître desfréquences relativement élevées de cette forme de violence silencieuse.La France est sans doute le pays où la proportion de femmes qui ont recours à uneméthode de contraception réversible et médicalisée est la plus élevée au monde. Commel’indique Nathalie Bajos dans sa contribution, la part des grossesses, des naissances et desavortements parmi les jeunes est faible, comparée aux autres pays européens ou aux Etats-Unis. Cependant, contrairement aux attentes des militants de la planification familiale, lenombre des avortements n’a pas baissé depuis la mise en place de la législation quil’autorisait en 1975, ce qui correspond d’ailleurs plus au maintien d’une certaine proportiond’échecs de contraception qu’à une banalisation de l’avortement lui-même. La fragilité ducontexte dans lequel l’interruption volontaire de grossesse (ivg) est <strong>propos</strong>ée est égalementproblématique: les services hospitaliers qui pratiquent l’ivg fonctionnent aujourd’hui dans des- 25 -


M.BOZONconditions précaires et ne sont pas en mesure de répondre à toute la demande, lerenouvellement de la population des médecins travaillant dans ces services est problématique,le contexte légal ne permet toujours pas à des mineures d’obtenir une ivg dans laconfidentialité par rapport à leurs parents, le délai légal de dix semaines est très court etoblige des femmes à se rendre à l’étranger, et enfin des actions de commandos antiavortementont tenté d’intimider le personnel soignant et les femmes. Il existe par ailleurs unepréoccupation sur un risque de relâchement de la contraception dans les générations plusjeunes, qui trouverait sa source dans deux phénomènes. L’accent mis depuis plus d’unedécennie sur la prévention du sida, avec des résultats positifs comme la très forte élévation dutaux d'utilisation du préservatif aux premiers rapports, a conduit à reléguer l’information surla contraception au second plan, et la transition des jeunes à la contraception orale ne s’opèrepas toujours de façon satisfaisante. Par ailleurs, l’éducation à la sexualité reste à développer,pour que les jeunes générations puissent s’approprier la maîtrise de la fécondité comme unacquis positif plus que comme une contrainte.Beaucoup des problèmes que nous signalons n’apparaissent pas au hasard dans lapopulation. Il existe parmi les femmes des situations, des expériences, des parcours sociauxqui définissent des populations plus précaires.Des situations et des populations précairesParmi les expériences qui fragilisent la position sociale des femmes, une des pluscourantes est celle de la monoparentalité, qui fait généralement suite à la rupture d'un couple.Les enfants ne constituant plus le frein qu'ils représentaient naguère, la séparation est devenuetrès commune et de plus en plus précoce dans l'histoire des couples, sans pour autant sebanaliser, la part des divorces pour faute, généralement à l'initiative des femmes, restant de unsur deux depuis la loi de 1975. Toutes celles qui connaissent une séparation ne vivent pasensuite en ménage monoparental, ou ne le font que de façon temporaire, car beaucoupforment un nouveau couple et “ recomposent ” ainsi une famille. Mais temporaire ou durable,cette situation entraîne une chute importante de revenus, ainsi qu'une baisse du patrimoine etde l'équipement, et les familles monoparentales sont aujourd'hui le type de ménage avecenfants le plus exposé à la pauvreté. Les aides publiques, ainsi d'ailleurs que la solidaritéfamiliale et amicale, apportent une amélioration substantielle et évitent à ces femmes debasculer dans une pauvreté trop grande. Une partie de l'aide prend la forme d'aide aulogement, et une part importante des femmes pauvres en famille monoparentale vit dans des- 26 -


GENRE POPULATION PARITÉlogements sociaux. Même si en France le fait d'avoir des enfants protège les femmes du pire,on peut dire que la situation de ces familles s'est dégradée au cours de la décennie, même sielle reste meilleure qu'aux Etats-Unis par exemple. Une part de la dégradation est due àl'explosion de l'emploi à temps partiel, souvent synonyme de bas salaire. C'est parmi cesfemmes, notamment celles qui ont de jeunes enfants, qu'on trouve les emplois du temps lesplus tendus, avec notamment des durées de travail domestique très élevées. L'autonomie estainsi lourde à porter, notamment pour celles qui sont peu diplômées.Un des effets paradoxaux de l'essor général des scolarités est d'augmenter le clivageentre diplômées et non détentrices de diplômes. Ce phénomène, qui existe chez les garçons,est plus profond chez les filles, en raison notamment de la difficulté pour elles d'accéder à laformation permanente. Il n'est pas certain par exemple que l'image du travail qui émancipes'applique pleinement à celles qui sont peu dotées en capital scolaire. Le simple fait de semaintenir sur le marché du travail représente pour elles une lutte, car leurs statuts sont plusprécaires et le caractère souvent pénible, peu intéressant, peu rémunérateur de l'emploin'incite pas forcément à le conserver à tout prix, même si l'on n'a pas de meilleureperspective. Ainsi s’explique le succès relatif de l'allocation parentale d'éducation, verséepour une durée limitée justement à celles qui abandonnent leur emploi, et qui a sélectionnéune population peu qualifiée, au bord du chômage. Pour ces femmes qui rêvent de "soufflerun peu", le retour à l'emploi est ensuite beaucoup plus difficile, ce qui peut accentuer ladépendance au conjoint. La situation des femmes peu diplômées, mal insérées dans l'emploi,aux expériences professionnelles discontinues et peu reliées entre elles est le revers de lamédaille de l'existence de femmes bien insérées dans l'emploi, exerçant une profession quioccupe une part importante de leur temps mais qui, continuant à être responsables dufonctionnement de leur famille et de leur maison, délèguent cette charge à d'autres femmes,peu payées, qui ont souvent elles aussi des charges familiales.Les situations respectives des hommes et des femmes à l’âge de la retraite enregistrenten les cumulant toutes les inégalités vécues au cours de la vie, comme l’indique JoëlleGaymu. Ainsi les pensions perçues par les femmes de plus de 60 ans sont inférieures de 40%à celles des hommes. Les femmes qui n’ont jamais travaillé, lorsque survient le veuvage,n’ont plus qu’une pension de réversion (c’est la situation d’une veuve sur quatre). Parmi lesfemmes qui ont travaillé, la part de celles qui ont eu une carrière complète est encore faibledans ces générations, et, comme elles ont perçu des salaires moins élevés, les pensions reçues- 27 -


M.BOZONsont beaucoup plus basses. Lorsqu’elles sont en couple, leur contribution aux revenus duménage est minime, ce qui crée une forte dépendance au conjoint et une vulnérabilité en casde veuvage. Enfin certaines femmes qui ont travaillé toute leur vie de manière “ invisible ”,dans l’agriculture ou l’artisanat par exemple, peuvent dépendre en définitive de l’allocationdu minimum vieillesse. Il est certain que les écarts entre carrières féminines et masculines seréduiront dans les générations à venir. Mais tout montre qu’en raison des inégalités quiperdurent sur le marché du travail et dans le déroulement des carrières, le rapprochement nese fera que lentement: ainsi les femmes qui ont aujourd’hui entre 40 et 44 ans ne serontqu’une sur deux à avoir une carrière complète au moment de la retraite. Même si globalementla situation des retraités s’est améliorée en France, on peut dire que c’est chez les femmes quese concentrent et continueront à se concentrer longtemps les situations difficiles, si rien n’estfait à ce <strong>propos</strong>. Plusieurs éléments sont à considérer. Tout d’abord, la plus grande mobilitédans les trajectoires conjugales aura sans doute pour effet qu’un nombre de femmes plusélevé abordera l’âge de la retraite sans vivre en couple, donc avec des ressources d’embléeplus faibles. Par ailleurs les situations de dépendance physique sont plus fréquentes et plushandicapantes chez les femmes âgées. Enfin, on sait qu’une partie des besoins des personnesâgées, et en particulier des femmes, sont pris en charge par les familles, généralement par lesfilles ou les belles-filles. Mais il n'est pas certain que cette solidarité familiale, qui peut êtrerelativement pesante pour les femmes de la "génération-pivot", se maintienne au mêmeniveau dans les générations à venir.La situation des femmes immigrées en France, qui présente une assez grande diversité,est un miroir grossissant des problèmes des femmes en général. Il s’y ajoute quelquescaractéristiques spécifiques, comme, pour les femmes de certaines origines, la difficulté de lamaîtrise du français qui, à la fois rend plus problématiques l'accès à la formationprofessionnelle et l’insertion sur le marché du travail, et plus incertain l’accès à lacontraception médicale ou à la protection contre le sida. Les situations de déficitd’information, de relation difficile avec les médecins, ainsi que la dépendance et le manquede dialogue avec le conjoint mettent certains groupes de femmes immigrées en situationprécaire en matière de vie sexuelle et reproductive. Dans le domaine de l’emploi, abordédans la contribution de Stéphanie Condon, les femmes immigrées sont parmi les plustouchées par le temps partiel, par la discontinuité des carrières et par le travail non déclaré. Cesont évidemment des éléments de marginalisation qui produisent des effets à long terme,jusqu’à la retraite. Si les niveaux de séparation conjugale s’élèvent, ces femmes peuvent se- 28 -


GENRE POPULATION PARITÉtrouver dans des situations dramatiques, surtout lorsque le retour au pays d'origine s’avèreimpossible ou n'est plus souhaité.En définitive, le progrès des femmes vers une autonomie de vie plus grande et lerééquilibrage de leurs relations avec les hommes sont bloqués de façon chronique par lapermanence de deux obstacles sérieux. Le marché de l’emploi, même s’il a maintenantabsorbé la grande majorité des femmes, connaît un fonctionnement particulièrementinégalitaire, concentrant les femmes dans un nombre restreint de catégories, rendant trèsdifficile pour elles l’accès aux postes de responsabilité et leur réservant au bas de l’échelledes postes dévalorisés et sans perspectives. L’investissement scolaire des femmes n’est paspayé de retour. Par ailleurs, la division du travail de gestion de la famille et de la viedomestique paraît durablement établie, voire figée, et réserve aux femmes les tâches les plusprenantes, ce qui entrave leurs initiatives et contrarie d’autres investissements personnels, ycompris dans leur profession. Un effet pervers de ce double immobilisme du fonctionnementsocial est que pour les femmes en situation précaire, l’autonomie même perd tout intérêt et estperçue comme un handicap, une réalité négative liée à l’isolement.De nouvelles mobilisations dans une société en changement ? Le déplacement desenjeux et des groupes-cibles.En ce qui concerne les rapports entre les hommes et les femmes, la société françaiseconnaît à la fois un mouvement ininterrompu et des points de blocage durables. La levée deces obstacles nécessite un renouvellement dans les façons d'aborder les questions d'égalité,qui ouvre sur de nouveaux enjeux, désigne de nouvelles cibles et invente de nouvellesméthodes.A <strong>propos</strong> de deux réformesL’introduction en 1999 dans la Constitution française du principe de la parité hommesfemmesaux élections politiques est une réforme qui a un fort retentissement dans lapopulation parce qu’elle introduit plus d’égalité et de justice dans l’accès des hommes et desfemmes aux fonctions politiques, mais surtout peut-être parce qu’elle laisse espérer desprolongements: un autre fonctionnement du pouvoir, une prise en compte plus globale, dansles politiques menées, de l’exigence d’égalité entre hommes et femmes dans l'ensemble dessphères de leur vie. Cette réforme peut fonctionner comme un levier puissant pour d’autres- 29 -


M.BOZONchangements à venir. Déjà le principe établi pour la représentation politique a commencé àservir de modèle et de référence dans d'autres secteurs: au-delà même des élus, il paraît deplus en plus important, en théorie et en pratique, qu'une véritable mixité des organes depouvoir, de décision et de négociation soit recherchée. C'est le sens de nombreuses<strong>propos</strong>itions et actions, qui ne relèvent pas toutes d'une action gouvernementale, mais parfoisde mobilisations de la société civile. L'accent mis sur la mixité des jurys de concours et sur lanécessaire promotion de femmes dans les hautes fonctions de l'Etat, sur la mixité desdélégations de négociation syndicales, sur la mixité des états-majors de fédérations sportivesparticipe de la même vision des choses : la mixité est à la fois une fin, et un moyen au serviced'autres fins.Une autre grande réforme du gouvernement mis en place après les élections de juin1997 est la loi de réduction du temps de travail, dite aussi loi des 35 heures, qui entre envigueur progressivement, en 2000 dans les grandes entreprises, en 2002 dans les autres. Uneloi-cadre a été votée, suivie de négociations décentralisées dans les branches professionnelles.La réduction du temps de travail suscite également des espoirs nombreux, mais on peut direque la question de la diminution des inégalités de situations entre hommes et femmes n'a éténi considérée comme un des objectifs de la loi, ni comme une question importante à prendreen compte dans les négociations. Du côté des représentants des salariés, c'est la contributionde la réduction du temps de travail à la lutte contre le chômage et à la création d'emplois qui aété l'objectif privilégié, ainsi que la négociation sur les modalités de répartition des tempslibérés. Du côté des représentants patronaux, c'est plutôt une remise à plat de l'organisation dutravail qui a été recherchée. Il reste à dresser un bilan approfondi des accords signés. Il n'estpas certain par exemple que des accords qui prévoient, en contrepartie du passage aux 35heures, l'alternance de semaines courtes et longues (24% des accords signés à la fin juin1999), représentent une prise en compte optimale des nécessités d'organisation de la vie desfemmes et des hommes. De même, il n’y a apparemment pas eu à l’occasion des négociationssur les 35 heures de tentative d’aborder les questions posées par le temps partiel contraint.C’est en partie à l’occasion de la présentation au Parlement, au printemps 2000, d’unenouvelle loi sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes qu’une partie des questionsen suspens ont été abordées. Le projet de loi <strong>propos</strong>e une démarche incitative, puisqu’ilprévoit d’inclure une obligation de négocier sur l’égalité professionnelle entre hommes etfemmes dans les entreprises et les branches, en s’appuyant sur un élargissement du contenu- 30 -


GENRE POPULATION PARITÉobligatoire du rapport annuel de situation comparée des hommes et des femmes. Cetteobligation devient un outil de changement dès lors que les acteurs s’emparent de la question.Pour faire émerger un meilleur équilibre dans les situations sociales et les relationsentre hommes et femmes, il est nécessaire d’affronter simultanément, et de façon imbriquée,les deux grands blocages qui grippent les changements, le fonctionnement des entreprises etdu marché du travail d’une part, la gestion figée de la famille et de la vie privée d’autre part.Agir sur deux frontsUne des difficultés, quand l’on veut mettre en place une action ambitieuse en faveur del’égalité professionnelle, est de <strong>propos</strong>er des mesures concernant le travail qui tiennentcompte de manière non passéiste, non discriminatoire selon le sexe et non standardisée, descontraintes et des aspirations des individus, femmes et hommes, dans leur vie familiale ouprivée, ce qui est une façon d’agir ainsi indirectement sur l’égalité dans la vie privée. Parexemple il serait nécessaire que soit reconnue beaucoup plus largement, notamment dans lesecteur privé, la possibilité d’une flexibilité négociée du travail (horaires, durée, organisation)à l’initiative de l’employé. Les débats, à l’occasion de la loi des 35 heures, sur l’applicationeffective de la réduction du temps de travail aux cadres (et les résistances qu’elle suscite)montrent à quel point certains changements doivent correspondre à une demande et unemobilisation collectives, dans la mesure où ils atteignent des “ cultures d’entreprise ”, quisont généralement des cultures masculines à dominante traditionnelle. Si lutter contre l’idéedu dévouement sans limites (et sans horaires) à l’entreprise ou à l’Etat est si difficile, c’estque cela met profondément en cause un fondement (ou un mythe) jamais questionné dupouvoir et même de l’organisation de l’économie, selon lequel il existerait des hommesrouages(plus difficilement des femmes d’ailleurs!) sans famille et sans attachement autrequ’à leur fonction. Faire reculer ce mythe dangereux du dévouement exclusif à une tâche ou àune institution et valoriser la capacité des individus à exercer des responsabilités plurielles(dans la famille, dans la société civile, etc.) peuvent être des enjeux de demain. Faire en sorteque des femmes non célibataires soient promues à des postes de responsabilité impliqueraitdes changements profonds dans l’organisation du travail (horaires de réunion, modesd’évaluation par exemple). Ces changements seraient favorables aux hommes également. Laquestion de l’égalité d’accès à la formation permanente est une des plus importantes. C’estsans doute en incorporant les périodes de formation permanente à la carrière professionnellecomme passages normaux, obligatoires et intégrés au temps de travail que l’on luttera contre- 31 -


M.BOZONla tendance des entreprises à investir moins dans la formation permanente des femmes, et desfemmes à s'y engager moins. La normalisation des conditions de travail et de rémunérationdes salariés à temps partiel contraint et la résorption des inégalités de salaires entre hommeset femmes devraient être des priorités des négociations obligatoires d’entreprises et debranches.Agir politiquement pour l’égalité dans la vie privée est plus difficile et correspondsouvent à des actions plus indirectes. Mais toute amélioration dans ce domaine agit égalementsur tous les autres, notamment sur les possibilités d’investissement durable dans la vieprofessionnelle ou dans la vie de la cité, ainsi que sur le développement du temps libre. Ilimporte d’abord de rendre plus permanente et plus accessible l’information dans le domainede la contraception, de développer une ambitieuse éducation à la sexualité et aux rapportsentre les sexes, et d’achever ainsi l’institutionnalisation juridique et matérielle de " droitsreproductifs " qui ne sont jamais totalement entrés dans les mœurs et sont menacés defragilisation. La prévention des comportements violents, en particulier entre les sexes, devraitêtre une composante essentielle de la nouvelle éducation sexuelle dans les collèges et leslycées, dans la mesure où les expériences de rapports sexuels contraints parmi lesadolescentes se situent à un niveau très élevé. Plus généralement, l’action de lutte contre laviolence à l’encontre des femmes devrait être une opération intégrée de prévention, visant laconstitution ou la reconstitution de territoires d’autonomie personnelle mais aussi de groupesde soutien pour les femmes menacées ou touchées par cette violence. La question de l’accès àl’emploi et à un logement pour les femmes très dépendantes d’un conjoint violent devra êtreposée de façon prioritaire. L’action contre la violence devra aboutir à la mise en place d’unvéritable dispositif, apparenté à d’autres dispositifs d’insertion, et ne pourra se limiter à unesimple campagne nationale d’information ou de sensibilisation. Plus généralement, l’inégalitétrès forte et persistante des apports des hommes et des femmes à la charge du ménage et de lafamille incite à relancer une réflexion sur les manières de rendre plus visible et de mieuxvaloriser le temps d’exercice des responsabilités familiales et domestiques (y comprislorsqu’il prend la forme du soin aux parents âgés) ; il pourrait notamment être mieux pris encompte dans les carrières professionnelles, pour les promotions ainsi que dans le calcul dumontant des pensions, y compris pour les hommes. Plus généralement il conviendraitd’encourager l’engagement masculin dans l’exercice des responsabilités familiales, et aumoins de ne pas le pénaliser, en s’inspirant des expériences étrangères et des évaluations quien ont été faites.- 32 -


GENRE POPULATION PARITÉGroupes-cibles et situations problématiquesDans le rééquilibrage des positions des hommes et des femmes, il est nécessaire deporter un regard particulier sur certaines situations qui créent un préjudice particulier auxfemmes, afin d’y remédier.Contrairement à d’autres pays, les femmes en situation monoparentale ne sont pas enFrance totalement dépendantes de l’assistance. Certes la solidarité nationale joue un rôleimportant et contribue en partie à ce qu‘elles ne s’enfoncent pas, elles et leurs enfants, dans lagrande pauvreté. Mais c’est surtout au fait qu’elles ont une activité professionnelle, aussiprécaire soit-elle, qu’elles doivent d’éviter la marginalisation sociale. Il est doncindispensable de chercher à les stabiliser dans leur emploi, y compris sans doute par desformes d’aide à domicile, qui leur permettent de faire face au surcroît de travail total.La persistance d’une forte et durable inégalité dans les ressources des hommes et desfemmes âgés pose problème, surtout si le nombre des femmes âgées vivant seules (et donc nebénéficiant pas des ressources d’un conjoint) se met à augmenter pour d’autres raisons que leveuvage. Le recours à la solidarité nationale pour les femmes dans les situations les plusdifficiles est déjà acquis. Mais on peut penser à des femmes ayant vécu en famillemonoparentale, vivant d’emplois à temps partiel, avec une discontinuité d’activité. Pour desraisons d’égalité, par exemple avec le conjoint dont elles se sont séparé, il serait nécessaired’envisager des moyens supplémentaires de leur donner des droits et des ressources: lavieillesse ne devrait pas être un moment où s’accroissent les inégalités entre hommes etfemmes.Enfin une politique vigoureuse devrait être menée en faveur d’une intégration sociale etprofessionnelle des femmes immigrées. Il est certain qu’en l’absence d’efforts dans ce sens,certaines de ces femmes pourraient, l’âge venant, rapidement cumuler les désavantages de ladépendance physique, de l’isolement social et du fait d'avoir eu une carrière discontinue ou den’avoir jamais travaillé.La question des représentations.Les perceptions des rôles des hommes et des femmes se modifient lentement. Pourtanton a souvent l’impression que les choses ne bougent guère, quand l’on examine les albumsillustrés, les manuels scolaires, les quotidiens d’information, les spots publicitaires, les films,- 33 -


M.BOZONles magazines généraux, les magazines de jeunes filles, les journaux féminins, les romans degrande diffusion. Par les représentations explicites, comme par les absences, desconstructions très standardisées continuent à être présentées. Dans les albums illustrés pourenfants, les personnages féminins portent tous un tablier, et les personnages masculins, dansl’univers domestique, sont généralement assis dans leur fauteuil. Dans les manuels d’Histoire,il n’y a pratiquement pas de personnages féminins. La publicité fait vendre en mettant enscène le corps des femmes. Les magazines de jeunes filles présentent des filles obsédées parla recherche de partenaires amoureux. Les journaux féminins sont remplis de photographiesde mode. Les cas de sexisme avéré sont beaucoup plus rares que les stéréotypes quicaricaturent et qu’il est plus difficile de combattre, dans la mesure où ils imprègnentégalement l'ensemble des comportements sociaux. En définitive, les meilleures actions dansce domaine sont les actions positives, et c’est peut-être de l’univers scolaire que l’on pourraitattendre le plus, dans la mesure où il entreprendrait une action continue, inscrite dans ladurée: par exemple en <strong>propos</strong>ant des manuels scolaires qui ne minorent pas la place desfemmes et abordent la question des rapports entre les sexes, en encourageantsystématiquement dans le milieu de vie qu'est l'école des comportements respectueux desautres, femmes ou hommes, en combattant l’évaluation et l’orientation scolaires stéréotypéesdes garçons et des filles. Un autre exemple est celui de la féminisation des noms de métiers,qui a fait l’objet d’une circulaire du Premier Ministre: si elle ne produit pas à elle toute seuleune révolution symbolique, elle contribue utilement à nommer et à faire connaître deschangements lorsqu'ils se produisent. De même, les actions en faveur du développement de lapratique sportive parmi les femmes, qu’il s’agisse du sport de base ou du haut niveau, sontpeut-être aussi et surtout des manières de <strong>propos</strong>er des représentations nouvelles du fémininet des identifications plus variées aux femmes comme aux hommes. La forte présence defemmes à des postes importants, dans le gouvernement de Lionel Jospin, a un contenupolitique, mais agit aussi sur les représentations.ConclusionAu terme de ce bilan, il faut redire que la connaissance et l’analyse des situations, ainsique l’évaluation des actions menées sont indispensables. Sur la question du genre, il seraitimpensable d’opposer l’action à la connaissance. Ainsi il est scientifiquement etpolitiquement nécessaire de mener des recherches approfondies sur le fonctionnementpratique des situations de mixité. Lorsque des rapports de domination sont bien établis, il ne- 34 -


GENRE POPULATION PARITÉsuffit pas de créer une situation d'égalité numérique entre hommes et femmes pour qu’unrééquilibrage se produise automatiquement. Quelles sont les conditions à remplir pour qu’unrenouvellement du fonctionnement de l’institution concernée ait lieu ? Il est possibled'imaginer ce que serait une sorte de “ démasculinisation ” du pouvoir politique, ou dupouvoir dans les entreprises ou les organisations, qui en transformerait radicalementl’exercice, mais l'augmentation de la proportion des femmes dans l'organisation ne suffit pas àla produire.Il n'est pas certain qu'il soit possible d'agir séparément dans le domaine desreprésentations du masculin et du féminin, par exemple sous forme de campagnes quiviseraient spécifiquement à modifier des perceptions ou des stéréotypes considérés commenégatifs, pour provoquer des changements dans les pratiques. Les rapports de genre formentun système dans lequel toutes les sphères de la vie sociale se trouvent étroitement imbriquées,et les <strong>propos</strong>itions d’actions doivent tenir compte de cette imbrication. Il est donc importantque les actions, les politiques et les mobilisations dans ce domaine <strong>propos</strong>ent une prise encompte globale de l’exigence d’égalité, c’est-à-dire qu'elles ne séparent pas la question del’égalité professionnelle, des carrières et du marché du travail, de celle, plus difficile àaborder politiquement, de l’égalité et de l’autonomie dans la vie privée et familiale. Chacundes deux objectifs s’appuie nécessairement sur l’autre. Ne traiter que l’un des deux conduiraità des changements en trompe-l’œil.- 35 -


Les situations respectives des femmes et des hommes :pour des statistiques pertinentesCatherine BLUM, Inspectrice Générale de l'INSEEUne politique active de l’égalité entre les hommes et les femmes a été engagée par leGouvernement. Nicole Péry, Secrétaire d’Etat aux Droits des femmes et à la Formationprofessionnelle a ainsi retenu trois grandes priorités : l’égalité dans la vie professionnelle,l’accès des femmes aux postes de responsabilités et le renforcement des droits spécifiques (enparticulier contraception et Interruption Volontaire de Grossesse (IVG)). Parmi les vingt-cinqactions destinées à concrétiser ces orientations, figure l’adaptation de l’appareil statistique. Ilest en effet indispensable de disposer d’informations pertinentes afin d’apprécier lessituations respectives des femmes et des hommes et d’en suivre les évolutions.Pour ce faire, le Secrétariat d’Etat aux Droits des femmes et à la Formationprofessionnelle et l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) ontmis en place un groupe de travail afin de recenser les données existantes, de signaler lesmanques et de faire des recommandations pour combler les lacunes.Le texte qui suit reprend les principales conclusions du rapport achevé le 8 décembre1999.Trois thèmes principaux : - La démarche- Les principaux enseignements,- Le détail des recommandations.La démarcheUne démarche articulée sur les orientations prioritaires du Secrétariat d’Etat auxDroits des femmes et à la Formation professionnelle.Pour mener à bien l’entreprise deux démarches étaient possibles.L’une extensive, consistait en un inventaire systématique de la prise en compte dugenre dans les statistiques par grand thème tels que démographie, santé, éducation /formation, famille, emploi, salaires, retraites,…


STATISTIQUES PERTINENTESL’autre était clairement articulée sur les priorités du Secrétariat d’Etat, pour lesquellessuivi et évaluation s’imposent. Dans ce cas, le recensement devait conduire à préfigurer lecontenu d’un tableau de bord.La seconde démarche a été privilégiée ; autrement dit, à un inventaire plat, undiagnostic et des recommandations articulées sur des choix politiques ont été préférés. Àl’origine de ce choix, plusieurs raisons :• Un tel choix n’interdit aucunement une recommandation générale en direction detous les collecteurs d’informations (statistiques, données résultant de la gestionadministrative…), afin qu’ils distinguent entre hommes et femmes.• Le contenu et l’épaisseur de l’ouvrage « Les femmes » publié par le Service desDroits des femmes et l’Insee en 1995, montrent à l’envie que la productionstatistique classique se préoccupe du genre.• Un recensement à plat aurait sans doute conduit à ignorer des domaines encore peupénétrés par l’investigation statistique : la « parité » est un projet nouveau pour lequotidien statistique.• En procédant de cette façon, on raccourcissait les étapes qui mènent au nécessairetableau de bord.Les conséquences de ce choix.Les orientations prioritaires du Secrétariat d’Etat ont été nos thèmes de travail.• L’égalité des carrières professionnelles entre hommes et femmes,• Les femmes et l’accès aux responsabilités - la parité,• Les questions spécifiques : contraception, IVG, familles mono- parentales,exclusion, solitude, retraites, dépendance,…- Le contenu des « manques »La notion de « manque » va de « n’est pas produit » à « n’est pas publié » encore moins« commenté ». Entre les deux, tous les cas sont possibles : donnée « produite » mais « nonexploitée » donnée « exploitée » mais « non publiée », donnée « publiée » mais « non- 37 -


C. BLUMcommentée /non analysée»… En conséquence, les recommandations concernent, selon lescas, la production, l’exploitation, les indicateurs à produire, la publication.- Les données favorisant un constat intelligible ont été privilégiées.Deux types d’indicateurs ont été recherchés : d’une part les indicateurs d’état des lieux,d’autre part les indicateurs d’analyse.- Les indicateurs d’état des lieux/d’alerteExemples :• Pourcentage de femmes élues à l’Assemblée Nationale,• Pourcentage de femmes directrices au ministère de l’Economie, des Finances et del’Industrie,• Écart entre le salaire moyen des femmes cadres et celui de leurs homologuesmasculins, pour un même niveau de qualification.- Les indicateurs d’analyse / facteurs explicatifs.Ainsi, par exemple, de nombreuses études démontrent que l’orientation des filles entroisième et en seconde est décisive pour leur carrière professionnelle. Il en résulte que lesstatistiques scolaires doivent clairement distinguer entre filles et garçons pour l’orientation entroisième et en seconde.Outre la distinction entre indicateurs de situation et d’analyse, la production destatistiques doit mettre en évidence les stocks et les flux de façon à pouvoir apprécier lesévolutions. Également tout ce qui permet de comprendre les cheminements qui conduisentaux situations observées a été favorisé. Ce parti pris explique l’intérêt porté aux enquêteslongitudinales, aux questions rétrospectives, aux monographies. Enfin, la notion de « vivier »est décisive pour donner toute leur signification à certains résultats, notamment pour la parité.- Le souci d’une production régulièreLes recommandations privilégient la sortie régulière de statistiques. Ce parti pris setraduit par le renforcement de l’existant plutôt que par l’engagement de grands et nouveaux- 38 -


STATISTIQUES PERTINENTESchantiers. Il s’agit bien de se donner les moyens d’un suivi et non pas de favoriser un coup deprojecteur.Les principaux enseignementsAu terme de l’examen auquel nous avons procédé, quelques enseignements émergentavec netteté.Tout d’abord les manques statistiques ne sont pas aussi importants que l’on se l’imagineparfois. Et surtout certaines lacunes peuvent être comblées assez facilement.La principale difficulté réside dans le fait que le rassemblement des données n’est nirégulier, ni coordonné. Chacun produit des informations le plus souvent sexuées, mais lapréoccupation du genre est peu fréquente.Plus fondamentalement, les études telles que celles produites pour le rapport du Conseild’Analyse Economique (Premier Ministre) « Egalité entre femmes et hommes : aspectéconomiques » sont encore trop rares. Or ce sont les travaux de ce type qui permettent de trierles informations les plus pertinentes pour le suivi des politiques de parité et d’égalitéprofessionnelle. Autrement dit, on ne peut se contenter d’amasser des données encore faut-ilsélectionner les bons indicateurs tant pour alerter que pour suggérer des actions correctrices,ou pour démontrer des logiques ségrégatives.Les manques statistiques handicapent particulièrement les questions de parité.Les lacunes repérées résultent surtout d’un certain « neutre universel » : l’élève, le chefd’entreprise, l’élu.Dans les recommandations figurent notamment :• Une meilleure prise en compte du sexe dans les données concernant l’orientationdes jeunes en fin de troisième et de seconde,• L’introduction dans les enquêtes annuelles d’entreprises d’une question sur le genredu chef d’entreprise,- 39 -


C. BLUM• La mise en place d’un fichier central des élus(es) afin de disposer d’informationsfiables sur le cumul des mandats,• L’introduction dans les enquêtes « fonction publique » de questions permettant derepérer le « vivier » à partir duquel se font les nominations/promotions,• Le développement de questions factuelles dans les enquêtes permanentes sur lesconditions de vie des ménages concernant les contraintes professionnelles etfamiliales qui affectent prioritairement les femmes.Les sujets les plus redoutables à traiter concernent le suivi des carrièresprofessionnelles des hommes et des femmes.Qu’il s’agisse des taux de chômage ou des carrières, comprendre les disparitésobservées demande des travaux lourds.D’un côté, il faut manipuler plusieurs fichiers, intégrer le plus possible de questionsrétrospectives et finalement reconstituer une information longitudinale. Simultanément, il estimportant de mesurer l’impact des contraintes factuelles qui pèsent sur les femmes. Faire lapart entre l’auto-décision et la discrimination subtile au moment des non promotions seraitl’idéal.Ces recherches devraient recevoir une certaine priorité tant dans les travaux de laDirection de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) (Ministèrede l’Emploi et de la Solidarité) que dans ceux de l’Insee. Elles aboutiront, d’autant mieuxqu’elles seront accompagnés de monographies dans des domaines précisLe besoin d’un chef d’orchestre.Ce tour de piste ne servira à rien, et le soufflé retombera rapidement si quelqu’un neprend pas en charge le projet d’un tableau de bord « vie professionnelle – parité ». Il faudra,en effet, rappeler les engagements de chacun, rassembler les informations dispersées, trier etcommenter les indicateurs choisis et publier le tout régulièrement.Également, un peu de lobbying auprès des rédacteurs en chef de revues reconnuesdevraient permettre de mieux faire connaître les indicateurs les plus pertinents sur la parité.- 40 -


STATISTIQUES PERTINENTESPour ce faire, la multiplication des initiatives européennes constitue un puissantaiguillon.Le détail des recommandationsL’égalité dans la vie professionnelleC’est le domaine où il y a des travaux lourds à mener non tant en termes de productionqu’en termes d’exploitation. Egalement c’est le domaine où l’information longitudinale estdécisive.Données1. Les orientations en fin de troisième et de seconde. Il faudrait individualiser ces données etdès maintenant publier ce qui existe.2. Comprendre les différences de niveaux de chômage entre hommes et femmes. D’après lesinformations recueillies par l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE), peut-on faireapparaître une discrimination subtile ? On pourrait commencer par une étude.3. Développer des questions factuelles permettant de cerner la conciliation (ou la nonconciliation) entre vie professionnelle et vie familiale dans une des prochaines enquêtespermanentes sur les conditions de vie des ménages de l’Insee.EtudesLes études telle que « salaires et carrières - une comparaison hommes/femmes »(1) sontdéterminantes pour l’ensemble du projet. Il faudrait faire en sorte qu’elles soientrégulièrement menées au moins tous les deux ou trois ans . Accompagner ces études demonographies permettant de percer le mystère du « plafond de verre » serait extrêmementutile.(1) « Egalité entre femmes et hommes : aspects économiques ». Documentation française, collectionrapport du Conseil d’analyse économique, 1999.- 41 -


C. BLUMLes statistiques de la paritéFemmes et haute fonction publique1. S’accorder sur une définition de la haute fonction publique pour la fonction publique del’Etat.2. Désigner les postes de niveau équivalent pour les fonctions publiques hospitalière etterritoriale.3. Aujourd’hui les statistiques des collectivités locales ne permettent pas de repérer lesagents individuellement. Ceci est d’autant plus difficile qu’il y a une multituded’employeurs. Essayer d’organiser ce recensement avec l’aide du Centre National de laFonction Publique Territoriale.4. Intégrer dans les enquêtes des questions permettant d’appréhender le vivier à partir duquelse font les nominations aux postes de la haute fonction publique. Si possible, il faudraitpréciser la situation familiale des candidats (tes).5. Améliorer le traitement des informations concernant le concours de l’École Nationaled’Administration (ENA) au Bureau des Personnels de conception et d’encadrement de laDirection Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP).6. Suivre les carrières féminines/masculines dans quelques cas-type : Ministère de l’Emploi,Direction générale des Impôts, Trésor, Centre National de la Recherche Scientifique(CNRS) (dans ce dernier cas le travail doit être fait en distinguant le plus possible lesdisciplines). On cherchera à spécifier les situations familiales.7. Dans la mesure où l’on manipule des petits chiffres, il est indispensable de garder desvaleurs absolues dans les tableaux et les commentaires. En effet, comme le fait remarquerl’Association des Femmes Diplômées des Universités, le double de « presque rien » esttoujours « presque rien ». Cette Association est représentée au sein du réseau « Demain laparité »- (36 rue de la Pompe, 75116 Paris).8. L’observatoire de l’emploi dans la fonction publique créée lors du Comité Interministérieldu 13 juillet pourrait animer/coordonner l’ensemble des travaux sur la parité.9. Poursuivre le travail du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG).- 42 -


STATISTIQUES PERTINENTESSur ce thème voir :• « L’encadrement supérieur de la Fonction Publique : vers l’égalité entreles hommes et les femmes ». Rapport d’Anne-Marie Colmou, maître desrequêtes au Conseil d’Etat. Documentation Française – 1999• « La fonction publique et la réforme de l’Etat ».• Rapport annuel mars 1998 – mars 1999 – Ministère de la Fonctionpublique de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation –Documentation française.Femmes et pouvoir politique1. Combler les lacunes sur les conseils municipaux :• Répartition hommes/femmes dans les conseils municipaux, total et par taillede commune,• Pour les communes de plus de 3 500 habitants, répartition des tâches(social, emploi, budget, aménagement territoire …) entre hommes etfemmes.2. Favoriser la mise en place d’un fichier central des élus. En particulier cela permettrait dedisposer d’une information fiable sur le cumul des mandats.• Responsables : Ministère de l’Intérieur, Bureau des élus et des étudespolitiques.3. Les personnes désignées : composition du Gouvernement et des cabinets ministériels,Conseil économique et social, Etats majors des partis. Le fichier le plus complet estélaboré en temps réel par la Société Générale de Presse (entreprise privée). Il existe aussiun fichier au service d’Information du Gouvernement, mais il est moins complet.4. Etudes :• Comparaisons européennes sur les femmes en politique : pour le Parlementavec quota, sans quota. Réseau européen d’experts « Les femmes dans laprise de décision ».• Travaux institutionnels : les modes de désignation dans les Etats majors despartis politiques,- 43 -


C. BLUM• Monographies sur quelques carrières politiques hommes/femmes, enFrance, en Europe. Il faudrait parvenir à faire la part entre discrimination etvolontarisme des « impétrants ».• Orienter, centraliser les travaux sur le thème femmes et pouvoir enpolitique :• Observatoire de la parité ?• Service des Droits des femmes ?Sur ce thème voir :• D. Gillot, « Vers la parité en politique » - rapport à Monsieur lePremier ministre, 1999.• Femmes et entreprises1. Avoir des informations sur les performances des entreprises dirigées par une femme seraitutile. Pour ce faire, il faudrait introduire dans les Enquêtes Annuelles d’Entreprises unequestion permettant de clarifier le genre du chef d’entreprise. Cette initiative va se heurterà l’impératif des simplifications concernant les enquêtes en direction des entreprises.Certains pensent que rajouter Mme ou M. ce n’est pas très lourd.2. Nombreuses dans le petit commerce et l’artisanat, les aides familiales femmes et hommessont mal connues. Des enquêtes qualitatives sont à lancer.3. Il faudrait désigner une unité responsable pour exploiter l’existant en ciblant sur ladistinction hommes/femmes et pour le publier annuellement. Le service statistique duSecrétariat d’Etat aux petites et moyennes entreprises et à l’artisanat s’est <strong>propos</strong>é.• Femmes et action syndicale1. Faire en sorte que la nouvelle enquête de la DARES sur la représentation syndicale aitbien lieu tous les trois ans. D’autre part, que l’exploitation et la publication intègrent ladistinction hommes/femmes.2. Encourager les syndicats qui ne le font pas encore à recenser leurs adhérents endistinguant hommes/femmes et à préciser le genre de leurs différentes instances.3. Le suivi devrait porter en priorité sur la part des femmes parmi les secrétaires générauxdes unions départementales ou régionales et des fédérations.- 44 -


STATISTIQUES PERTINENTES4. Faire du département « Conditions du travail et relations professionnelles » de la DARES(ministère de l’emploi et de la solidarité) le lieu de rassemblement de ces données.• Femmes et mouvement associatif1. Faire en sorte que les demandes de subvention adressées au Fonds National pour leDéveloppement du Sport (FNDS) et au Fonds National pour le Développement de la VieAssociative (FNDVA) précisent la composition hommes/femmes de leurs organisationsglobalement et pour leurs instances dirigeantes et leurs agents administratifs. Egalement,il serait utile de disposer des âges et de la durée effective des mandats.Responsable : Ministère de la Jeunesse et des Sports.2. Pour toutes les grandes fédérations/unions : analyser la façon dont on accède aux postesde responsabilités, y préciser l’impact de la conciliation vie familiale/vie professionnelle.Sur ce thème voir :• Assises Nationales Femmes et Sports – Actes 29 – 30 mai 1999.• Egalité – parité hommes/femmes dans le sport – Rapport d’étape dugroupe 7 des Assises – mai 1999 - Ministère de la Jeunesse et des SportsQuestions spécifiquesLa couverture des questions spécifiques par les statistiques est satisfaisante d’autant quecertaines lacunes sont en voie d’être comblées : voir par exemple l’enquête sur les violences.En outre, le futur recensement en continu va fournir des informations régulières décisivespour ce thème.1 – En savoir plus la contraception des jeunes femmes.ans :Un effort est à faire afin de mieux connaître pour les jeunes femmes de moins de 20• leur degré d’information,• leurs pratiques contraceptives,• leur recours (et les conditions de ce recours) à l’IVG.- 45 -


C. BLUM• …2 – L’aide et les soins aux femmes très âgées.Localement qu’elles vont être à terme la demande et l’offre potentielles ?Globalement, sur le thème des questions spécifiques, l’information existe. Ce qui faitdéfaut, c’est le tri des indicateurs, leur rassemblement et leur publication régulière.3 – Une unité « Démographie, genre et sociétés » traitant tout spécialement desquestions spécifiques vient d’être créée à l’Institut National d’EtudesDémographiques.ConclusionFinalement, la description des inégalités entre hommes et femmes ne souffre pas tantdes lacunes statistiques que de leur défaut de mise en scène.Certes il y a des manques :• Les données concernant la parité sont incomplètes et éparpillées ;• Les informations en provenance du système scolaire ou des entreprises sontencore trop marquées par un certain neutre universel ;• Et surtout, l’absence d’enquête longitudinale sur les carrières respectivesdes femmes et des hommes oblige à des travaux lourds et complexes pourcompenser.Mais « faire parler » les données en la matière est ce qui importe le plus. Il faut les trier,les synthétiser, distinguer entre celles qui alertent et celles qui expliquent. C’est pourquoi, leSecrétariat d’État aux Droits des Femmes et à la Formation Professionnelle et l’INSEE ontdécidé de produire chaque année un tableau de bord rassemblant et commentant lesstatistiques les plus pertinentes sur l’égalité professionnelle, la parité et les questionsspécifiques.- 46 -


STATISTIQUES PERTINENTESPOUR EN SAVOIR PLUSC. BLUM, 1999, Les situations respectives des femmes et des hommes : statistiquespertinentes, Rapport au Secrétariat d'Etat chargé des droits des femmes et de la formationprofessionnelle.A.-M. COLMOU, 1999, L’encadrement supérieur de la fonction publique : versl’égalité entre les hommes et les femmes, Documentation française, collection rapportsofficiels.C. GENISSON, 1999, Femmes – Hommes. Quelle égalité professionnelle ?,Documentation française, collection rapports officielsD. GILLOT, 1999, Vers la parité en politique, Rapport à Monsieur le Premier ministreB. MAJNONI D’INTIGNANO, Égalité entres femmes et hommes : aspectséconomiques, Documentation française, collection rapports du Conseil d’analyseéconomique, 1999.- 47 -


Femmes et familles entre mariage et non-mariage.Évolution des structures familiales en FrancePatrick FESTY, INEDLa famille française a connu de profondes modifications structurelles au cours destrente dernières années. Deux ensembles cohérents de mouvements ont présidé à cetteévolution :• Le mariage a reculé, alors qu’il avait atteint des sommets dans les années 1960. Lesdiverses formes ont été affectées, le premier mariage comme les remariages, les unset les autres étant devenus à la fois plus rares et plus tardifs. Dans le même temps,les dissolutions par divorce sont devenues plus fréquentes et plus précoces. Lacohabitation de couples non mariés s’est substituée à la vie matrimoniale,concourant ainsi à la plus grande fragilité des unions.• La conception et la naissance des enfants se sont dissociées du mariage, alors que cedernier était considéré, en droit et en fait, comme un cadre privilégié pour constitueret élever sa descendance. L’annonce d’une grossesse ne provoque plus le mariagedes parents qu’exceptionnellement ; les légitimations a posteriori sont devenuesplus rares et plus tardives ; la présence d’enfants n’est plus un frein efficace audivorce.Suite à ces mouvements, les naissances hors mariage se sont en partie substituées auxnaissances légitimes. Leur poids dans la natalité s’en est trouvé fortement augmenté et labaisse de la fécondité générale est restée relativement modérée, quand on compare la Franceaux pays du Sud et du centre de l’Europe, où cette compensation n’a guère joué.Par ailleurs de nouvelles formes familiales se sont développées ou, plus exactement, desformes marginales ont pris une importance numérique fortement accrue. Ce sont, avant lemariage ou en dehors de lui, des concubinages de plus en plus durables et de plus en plussouvent féconds ; après le divorce ou la dissolution d’une union libre, des famillesmonoparentales, où la mère reste très majoritairement le parent gardien ; après la formationd’un nouveau couple, des familles recomposées, réunissant les enfants de plusieurs lits.Le Vingt-huitième rapport sur la situation démographique de la France (INED, 1999) arécemment donné une vue d’ensemble de ces évolutions dans sa seconde partie (Couplesd’aujourd’hui). Le rapport d’Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droitface aux mutations de la famille et de la vie privée,(1998, O. Jacob/La Documentationfrançaise) a <strong>propos</strong>é une interprétation sociologique de ces tendances et des aménagementsjuridiques visant à adapter la législation aux mœurs.


STRUCTURES FAMILIALESForme et formation du couple : mariage, concubinage, Pacs ?Évolution de la nuptialitéLe nombre de mariages a commencé à diminuer, en France, au début des années 1970.À cette époque, il était annuellement d’environ 400 000 ; il a reculé d’un quart dans ladécennie qui a suivi et il est aujourd’hui de l’ordre de 260 000. Ce qui a pu paraître un tempscomme une réaction à la crise économique, ou comme une mode, s’est maintenant installédans la durée. Une proportion fortement accrue d’hommes et de femmes ne se marierontjamais, une éventualité rarement rencontrée autrefois. Ainsi, on estime à 30 % environ laproportion d’hommes et de femmes nés au milieu des années soixante, encore à ce jour dansleur trentaine, qui ne se marieront pas. C’était moins de 10 % pour leurs aînés d’une vingtained’années (tableau 1).Tableau 1. – Caractéristiques de la nuptialité des générationsGénérationsHommesmasculines Proportion Âge moyenProportion de non célibatairesde non célibataires au 1 er mariage* à 24 ansà 30 ansà 49 ans*(ans)1943 0,88 24,5 0,55 0,811948 0,87 24,5 0,56 0,801953 0,85 24,9 0,52 0,751958 0,78 26,1 0,39 0,641963 0,70 27,9 0,23 0,521965 0,67 28,5 0,19 0,471967 0,16 0,441969 0,121971 0,091973 0,08GénérationsfémininesFemmesProportionde non célibatairesà 49 ans*Âge moyen Proportion de non célibatairesau 1 er mariage* à 22 ansà 28 ans(ans)1945 0,92 22,3 0,59 0,861950 0,90 22,6 0,57 0,831955 0,86 22,9 0,53 0,771960 0,81 24,1 0,42 0,671965 0,73 26,0 0,24 0,541967 0,71 26,6 0,19 0,501969 0,15 0,461971 0,121973 0,091975 0,07* Les quotients non observés sont supposés égaux, en 1998, à ceux observés aux mêmes âges en 1997, puisretomber à leur niveau de 1995.Source : calculs et estimations à partir de données Insee.Tableau extrait de F. Prioux « L'évolution démographique récente », Population, n° 3, 1999, p. 475.- 49 -


P. FESTYL’écart entre 10 et 30 % peut sembler modeste, mais la première des deux valeurs avaitsi longtemps été un ordre de grandeur immuable qu’on avait fini par croire que c’était uneconstante de la société française. La dernière hausse d’une certaine ampleur remontait en faitau XVIII e siècle, où la proportion d’hommes et de femmes restant définitivement célibatairesavait doublé, passant de 5-7 à 10-14 %. Ce mouvement, moins fort et moins brutal que celuides récentes décennies, était pourtant dû à une évolution radicale, où se trouvait ramassél’essentiel de la doctrine démo-économique du pasteur Malthus : « la croissance de lapopulation dans une économie agraire sans nouvelles terres à défricher a provoqué desdifficultés d’établissement des enfants qui se sont traduites, d’abord, par une restriction de lanuptialité ; la limitation des naissances a suivi, mais plus tard » 1 . C’est dire aussi que lescauses de l’évolution contemporaine doivent être d’une grande profondeur.Un mouvement parallèle s’est fait vers un mariage plus tardif. Les hommes et femmesqui se marient, parmi ceux nés dans les années 1960, le font en moyenne à 28 ans et demipour les premiers et à 26 ans et demi pour les secondes, soit quatre ans plus tard que leshommes et femmes nés dans les années 1940. Les niveaux atteints sont, cette fois, moinsexceptionnels, même s’il faut remonter à la fin de l’Ancien Régime pour en trouverl’équivalent, à l’issue d’une montée qui accompagnait l’augmentation déjà signalée ducélibat 2 . Mais une fois encore, la hausse qui conduisait à ces valeurs n’avait ni l’ampleur ni lavigueur de celle que nous venons d’enregistrer en deux décennies.Indicateur résumé d’un mariage à la fois moins fréquent et plus tardif : à 22 ansaujourd’hui, moins de 10 % des femmes sont déjà mariées (24 ans pour les hommes), contreprès de 60 % il y a moins de trois décennies. Mais le mariage des jeunes célibataires n’est passeul touché : 3 ans après leur divorce, environ 10 % seulement des hommes ou des femmessont remariés contre 30 % il y a 20 ou 25 ans.En règle générale, l’âge joue un rôle moins important dans le mariage de l’homme quedans celui de la femme. Chez les jeunes, la nuptialité féminine est plus forte que celle deshommes. L’attentisme de ces derniers contraste avec l’impatience des jeunes femmes, en1 L. Henry et J. Houdaille, 1978, « Célibat et âge au mariage aux XVIII e et XIX e siècles en France. I. Célibat définitif »,Population.2 L. Henry et J. Houdaille, 1979, « Célibat et âge au mariage aux XVIII e et XIX e siècles en France. II. Âge au premiermariage », Population.- 50 -


STRUCTURES FAMILIALESparticulier les moins diplômées 3 . La fréquence des premiers mariages est un peu plus élevéepour les femmes que pour les hommes. En revanche, les chances de mariage reculent ensuitebeaucoup plus vite pour les femmes que pour les hommes : à l’âge mûr, la nuptialité desdivorcés l’emporte légèrement sur celle des divorcées ; aux plus grands âges, le mariage desveufs est beaucoup moins rare que celui des veuves. Au total, l’âge moyen au mariage estplus précoce pour les femmes que pour les hommes, mais l’écart chez les célibatairesn’excède pas deux ans.Le mariage a reculé dans tous les pays de l’Europe occidentale, mais seule la Suède aconnu une évolution plus marquée que la France. La proportion d’hommes et de femmesrestant en dehors du mariage y atteint 40 %, soit dix points de plus qu’en France, et l’âge aumariage y est plus élevé d’un an. D’ailleurs, toute l’Europe septentrionale a enregistré uneforte baisse du nombre annuel des mariages, qui traduit une importante montée du célibat etun sensible retard de l’âge au mariage ; mais les évolutions en Finlande ou en Norvège nesont pas plus spectaculaires qu’en France. En revanche, le sud de l’Europe se singularise parla modération des changements en cours : en Italie, par exemple, la proportion de femmesrestant en dehors du mariage demeure encore inférieure à 20 %, parmi celles nées dans lesannées 1960, et l’augmentation de l’âge au mariage est limitée ; à l’extrême, et en completcontraste avec la Suède, le Portugal n’a connu qu’un recul très récent de sa nuptialité, qui n’aguère affecté les générations déjà dans leur trentaine 4 .Dans un dégradé qui va du nord au sud de l’Europe, et où le centre (l’Allemagne,l’Autriche ou la Suisse) occupe une position médiane, la France est dans une situationrésolument septentrionale, qui ne s’accorde pas très bien avec la géographie, mais quisouligne l’originalité du ‘modèle matrimonial’ développé depuis deux décennies.Évolution du divorceRestauré en 1884, le divorce n’a cessé de s’étendre depuis, en nombre comme enfréquence. Lente jusqu’au milieu des années 1960 (de 5 à 10 divorces pour 100 mariages), lacroissance s’est ensuite accélérée. Au moment où l’accès au divorce a été libéralisé par lareconnaissance du consentement mutuel et de la rupture durable du lien conjugal (loi de3 M. Bozon, 1990, « Les femmes et l’écart d’âge entre conjoints. Une domination consentie. II.- Modes d’entrée dans lavie adulte et représentations du conjoint », Population, 3.4 ODE, « Évolution récente de la nuptialité féminine en Europe occidentale », L’Observatoire Démographique Européenvous informe, n°7, janvier 1998.- 51 -


P. FESTY1975), on enregistrait déjà 16 divorces pour 100 mariages. Le mouvement n’a fait que sepoursuivre depuis lors, sans autre inflexion qu’une brève stagnation en 1985-1990 et depuis1995, cette dernière autour de 38 %.La hausse s’est accompagnée de précocité, les mariages étant rompus à une durée deplus en plus brève. Toutefois, la dispersion des anciennetés reste très grande, le risque derupture n’étant pas complètement annulé après 30 ans de mariage, par exemple. Legonflement général du nombre de mariages n’a pas épargné ces durées élevées : des cohortesqui avaient débuté leur mariage dans un régime de faible divortialité ont connu plus tard desrisques de rupture nettement accrus.La loi de 1975, qui a instauré un divorce à la carte, en introduisant des formesconsensuelles à côté de la procédure contentieuse classique, n’a pas fait disparaître cettedernière. Le nombre de divorces se réclamant de la faute du partenaire reste encore aussiimportant que les demandes sur requête conjointe. La diversité des pratiques judiciaires, d’untribunal à l’autre, suggère certes que les époux ne sont pas totalement maîtres du choix de laprocédure, mais la pérennité de la voie conflictuelle souligne que le divorce ne s’est pasbanalisé.L’initiative du divorce est en majorité féminine, mais on ne peut plus le mesurer, depuis1975, que dans les procédures contentieuses : l’épouse assigne son conjoint dans 73 % descas. Elle est pourtant en position de faiblesse économique relative, puisqu’elle bénéficied’une aide juridictionnelle dans 38 % des cas, contre seulement 17 % des hommes (c’estmême 50 % contre 19 % dans les divorces contentieux).À l’issue de la procédure, l’autorité parentale est partagée entre les deux époux neuffois sur dix ; elle est confiée à la mère seule une fois sur dix (au père seul, deux fois sur 100).Les demandes des deux conjoints sont d’ailleurs identiques neuf fois sur dix. Dans lesdivorces sur requête conjointe, les parents choisissent de fixer la résidence chez la mère dans87 % des cas et chez le père dans 11 % des cas. Dans les divorces contentieux, les demandesdes conjoints ne sont pas très différentes : en particulier, 11 % des mères souhaitent que larésidence soit chez le père et 17 % des pères s’expriment dans le même sens. Lesdiscordances sont donc très peu nombreuses ; dans ces rares cas, le juge confie la résidence àla mère six fois sur dix, au père une fois sur quatre.- 52 -


STRUCTURES FAMILIALESSur 100 divorces, 14 sont assortis d’une prestation compensatoire, dont les femmes sontpresque exclusivement les bénéficiaires. Deux femmes sur dix demandent à faire usage dunom de leur mari ; les refus de la part de celui-ci ou du juge sont peu nombreux 5 .La montée des divorces depuis trois décennies a été commune à tous les pays d’Europeoccidentale. Les années 1970 ont également été une période d’effervescence juridiquepartagée, les lois sur le divorce étant à peu près toutes aménagées pour faciliter l’accès audivorce, à l’issue de procédures assouplies et simplifiées. Mais la comparaison entrel’ampleur des réformes et celle des évolutions statistiques, ainsi qu’entre la chronologie dudroit et celle des nombres, suggère que la transformation des mœurs et des comportements asuscité l’adaptation des textes, plutôt que l’inverse.Comme l’évolution du mariage, le niveau de la divortialité s’étage régulièrement dunord au sud de l’Europe. D’après les indicateurs annuels les plus récents, 40 à 50 % desmariages finissent en divorce dans les pays scandinaves, 30 à 40 % au centre et à l’ouest,moins de 20 % au sud. La France appartient clairement au groupe occidental, maisl’Angleterre est au niveau de la Scandinavie.L’avenir du PacsL’instauration, fin 1999, d’un Pacte civil de solidarité (Pacs), vient d’ouvrir aux couplescohabitants une nouvelle voie de régularisation, autre que le mariage et le concubinagenotoire. Quelle sera la popularité de cette mesure nouvelle ? et l’adhésion qu’elle rencontreraéventuellement auprès des conjoints affectera-t-elle l’évolution du nombre de mariages ? Lesdeux questions sont liées, car plus le Pacs apparaîtra aux intéressés voisin du mariage, sansavoir le formalisme et certains inconvénients de celui-ci, plus risquent d’être élevés le nombrede pactes souscrits et l’impact négatif sur le nombre de mariages.L’analyse du contenu de la loi n’offre sur ce plan qu’un repère théorique qui ne préjugepas de l’opinion que se fera la population dans la pratique. Trois points pourraient cependants’avérer importants dans l’hypothèse où les couples recourraient au Pacs sans élaborer uneconvention très personnalisée qui pourrait rapprocher encore davantage le Pacs du mariage :5 Informations tirées de Z. Belmokhtar, 1999, Les divorces en 1996. Une analyse statistique des jugements prononcés,Études et statistiques justice, n°14, Ministère de la Justice, 89p.- 53 -


P. FESTY• Il peut être mis fin au Pacs, sans délai par une déclaration commune des deuxconjoints ou dans un délai de trois mois sur décision unilatérale d’un seulpartenaire. Cette souplesse, comparée à la longueur d’une procédure de divorce,devrait satisfaire les concubins, qui classent en tête de leurs réticences à l’égard dumariage la difficulté d’en sortir 6 . Toutefois, ce ‘divorce foudroyant’, selon laformule de Jean Carbonnier 7 , ne tranchera pas les conflits sur le partage des biens,qui devront être portés devant le tribunal, au risque d’un autre contentieux ;• Les biens immobiliers acquis pendant l’union sont placés en indivision entre lesconjoints, dans un régime de ‘communauté conjugale mal dégrossie’(J. Carbonnier 8 ), plus simple encore que le régime matrimonial légal, mais qui peutse révéler trop fruste au moment d’une succession ou d’une dissolution ;• Les enfants sont totalement absents du Pacs, comme une barrière infranchissablequi distinguerait son territoire de celui du mariage. À celui-ci seul reste associée laprésomption de paternité, qui fait d’un enfant né dans le mariage un enfant légitime.Il est vrai que l’enfant illégitime bénéficie désormais d’un statut en tous pointsidentique à celui de l’enfant légitime, mais ‘l’intérêt de l’enfant’ est la raisonpremière invoquée par les couples pour rendre compte de leur désir de mariage 9 . Enparticulier, l’enfant, absent du Pacs, est évidemment aussi absent de sa rupture(attribution de sa résidence, d’une pension alimentaire, etc.).On peut comparer sur ces divers points la loi française à celle qui lui est le plus procheà l’étranger : la loi des Pays-Bas de juillet 1997, entrée en application début 1998. Comme enFrance, elle s’adresse dans les mêmes termes aux couples hétérosexuels et homosexuels, sansposer le principe d’une quasi-identité entre le mariage et l’union enregistrée, le ‘partenariat’.Comme en France, les enfants sont absents de la loi. Mais à la différence de la loi française,le régime des biens est celui des époux, c’est-à-dire la communauté universelle, et plusgénéralement, l’alignement est complet des régimes juridique, fiscal, social, successoral, etc.sur ceux des époux. De même, la rupture est plus formalisée qu’en France et se rapproche6 H. Leridon et C. Villeneuve-Gokalp, 1994, Constance et inconstances de la famille. Biographies familiales de couples etdes enfants, Travaux et Documents de l’INED, Cahier n°134, PUF-INED.7 J. Carbonnier, 1999, Droit civil. La famille. L’enfant, le couple, Thémis Droit privé, PUF.8 Ibidem.9 H. Leridon et C. Villeneuve-Gokalp, ibidem.- 54 -


STRUCTURES FAMILIALESdavantage du divorce : en cas d’accord entre les partenaires, leur déclaration commune doitêtre aussi signée par au moins un avocat ou un notaire et être assortie d’une conventionréglant au moins les questions essentielles relatives aux biens ; si un seul partenaire souhaitela rupture, l’intervention d’un juge est nécessaire, selon une procédure semblable à celle dudivorce. A défaut d’identité, la proximité au mariage paraît plus grande qu’en France 10 .L’entrée en vigueur de la loi néerlandaise a provoqué un flux modeste d’enregistrementdes couples hétérosexuels : après des débuts un peu accélérés par des effets de stock, lenombre mensuel de nouveaux partenariats s’est rapidement stabilisé autour de 120, alors quele nombre de mariages approche 7 000 et que le nombre total de couples non mariés a étéestimé à 700 000, mi-1998. Dans une perspective plus longue, si les statistiques actuelles semaintenaient durablement, 1 % de la population néerlandaise conclurait un partenariat aucours de sa vie. L’impact de ce nouveau type d’union légale sur le mariage pourrait donc êtretenu pour négligeable.Il y a de nombreuses différences entre les situations néerlandaise et française. Nousavons noté une plus grande proximité juridique entre partenariat et mariage aux Pays-Basqu’entre Pacs et mariage en France. Ajoutons que la nuptialité des femmes enceintes a baissémoins profondément aux Pays-Bas qu’en France (de 60 % vers 1965, la proportion defemmes enceintes se mariant en cours de grossesse est tombée à 25 % aujourd’hui, contre10 % en France), que la place faite aux naissances hors mariage y est moins large (20 contre40 % des naissances sont le fait de parents non mariés) et que la proportion des concubinsélevant ensemble des enfants est moins forte (20 % contre 40 %). La population néerlandaisesemble plus attachée que la population française au mariage comme cadre de naissance desenfants.Au lieu de se présenter comme une référence pour prévoir la situation française, le casnéerlandais peut-il être considéré comme un contre-exemple ? Il y a de nombreusesressemblances entre les deux pays et les écarts entre eux sont souvent du second ordre. Leslois sur le partenariat et sur le Pacs ont été conçues dans le même esprit. Les indicateursdémographiques synthétiques comme le nombre moyen d’enfants par femme, la fraction de10 Par différence, les lois scandinaves (Danemark, Islande, Norvège et Suède) s’adressent aux seuls couples homosexuels etassimilent leur union enregistrée au mariage. Par ailleurs, la loi belge d’octobre 1998 permet que se crée entre deuxpersonnes (couple ou non, de même sexe ou non) une cohabitation légale, essentiellement assortie d’obligationsd’assistance et de secours. Cf. Sénat, Le pacte civil de solidarité, Les documents de travail du Sénat. Série Législationcomparée, décembre 1998.- 55 -


P. FESTYcélibataires ne se mariant pas ou la proportion de divorces pour 100 mariages sont voisins.Des indicateurs fins comme le nombre de légitimations pour 100 enfants conçus hors mariagesont plus proches que contrastés : 50 % aux Pays-Bas contre 40 % en France.Au total, on peut imaginer que le développement du Pacs parmi les coupleshétérosexuels français sera plus important que celui du partenariat aux Pays-Bas, mais ilsemble peu vraisemblable que l’incidence sur l’évolution du mariage soit forte en France,alors qu’elle apparaît très faible chez les Néerlandais 11 .Le mariage, le démariage et les enfantsLa place des enfants dans le mariageVers la fin des années 1960 : parmi 100 enfants conçus par des parents non mariés, plusde 60 naissaient légitimes grâce au mariage de leur père et de leur mère enceinte. En outre, lesautres, nés illégitimes, ne restaient pas tous dans ce statut : plus de la moitié d’entre euxétaient ultérieurement légitimés par le mariage de leurs parents. Ainsi, au total, plus de 60 %des enfants conçus hors du mariage entraient directement dans le statut de légitimité et 20 %y accédaient un peu après en assistant au mariage de leurs parents, soit au total plus de 80 %.En un quart de siècle, entre la fin des années 1960 et le milieu de la décennie 1990, lenombre de naissances conçues hors du mariage a doublé, en France, passant de plus de150 000 à près de 300 000 par an. Mais, dans le même temps, le nombre de femmes nonmariées en âge d’avoir des enfants a doublé lui aussi, passant de 3,8 à 6,9 millions. C’est direque la fécondité hors du mariage (mesurée au moment de la conception et non de l’accouchement)n’a guère varié dans l’intervalle. La montée de ces naissances apparaît ainsi commela conséquence directe du recul de la nuptialité, qui provoque le gonflement de la populationnon mariée, sans modification du comportement de cette population à l’égard de la fécondité.En revanche le sort réservé aux enfants conçus hors du mariage a profondément changé.Près des 2/3 d’entre eux étaient légitimés par le mariage de leurs parents avant mêmel’accouchement, il y a 25 ans ; c’est le cas pour moins d’un sur dix aujourd’hui. Le souci dedonner un cadre juridique fort à la naissance d’un enfant, témoignage très parlant de l’importanceaccordée au mariage, a presque complètement disparu.- 56 -


STRUCTURES FAMILIALESLe devenir des enfants conçus et nés hors du mariage confirme cette désaffection. Alorsque plus de la moitié d’entre eux assistaient au mariage de leurs parents et bénéficiaient ainsi,avec un peu de retard, d’un statut de légitimité, la proportion est tombée aujourd’hui à 1/3.Au total, quatre enfants sur dix conçus hors du mariage sont ensuite élevés dans son cadre, unsur dix dès l’accouchement et les trois autres un peu plus tard (en moyenne vers l’âge de deuxou trois ans). Ils étaient plus de huit sur dix (dont plus de six dès l’accouchement) vers la findes années 1960. L’association forte qui existait entre l’annonce de l’arrivée d’un enfant et laperspective d’un mariage des parents s’est nettement affaiblie. 12Cette évolution tient évidemment pour beaucoup à la diffusion de la cohabitationcomme forme de vie en couple alternative au mariage. De plus en plus souvent, les enfantssont conçus dans ces unions stables mais non formalisées et, de plus en plus souvent, lesparents se maintiennent durablement en dehors du mariage. Toutefois, « à durée d’unionégale, la fécondité des cohabitants est plus faible que celle des mariés. D’une promotion àl’autre, la fécondité relative des cohabitants (en termes de conceptions) est [même] de plus enplus faible, comparée aux couples mariés : en fixant à 1 le taux de conception des couplesmariés, la fécondité relative des cohabitants, à durée d’union égale, vaut 0,75, 0,63, 0,50 et0,39 pour les unions formées respectivement vers 1970,1975,1980 et 1985 » 13 .On est loin ici de l’unité de tendance qu’on décelait précédemment à travers l’Europedu mariage et du divorce. La proportion des couples légitimant leur grossesse en se mariantavant son issue a évolué très différemment selon les pays, depuis la fin des années 1960, oùelle était presque partout forte, autour ou au-dessus de 60 %. En Europe du Nord, y comprisau Royaume-Uni, cette proportion a beaucoup baissé, au moins comme en France, vers desniveaux égaux ou même inférieurs à 10 % ; en Suède par exemple, seulement 4 % desgrossesses hors mariage sont légitimées par les parents avant l’accouchement. Au contraire enEurope du Sud, la proportion s’est maintenue à des valeurs fortes, comparables à celles desannées 1960 ; c’est le cas en Italie où le mariage intervient encore au cours de six grossessessur dix. Entre ces deux extrêmes, mais proches de ce dernier groupe, les pays d’Europecentrale n’ont connu qu’une baisse modérée de la nuptialité des femmes enceintes : en11 Pour une appréciation numérique plus élevée du développement futur du Pacs, cf. INED, Vingt-huitième rapport sur lasituation démographique de la France, novembre 1999, 57 p.12 Cf. F. Munoz-Pérez, F. Prioux, 1999, Les enfants nés hors mariage et leurs parents. Reconnaissances et légitimationsdepuis 1965, Population.13 L. Toulemon, 1994, « La place de l’enfant dans l’histoire des couples », Population.- 57 -


P. FESTYAllemagne (Länder de l’Ouest) et en Autriche, plus de la moitié des conceptions horsmariage sont encore légitimées avant l’issue de la grossesse. Le cas de l’Allemagne estd’autant plus remarquable que, dans le même temps, la fréquence des légitimations d’enfantsdéjà nés a augmenté, pour dépasser largement 40 %, contre à peine 30 % à la fin des années1970. Aujourd’hui, les trois quarts des enfants conçus hors du mariage en Allemagne naissentdans son cadre ou le rejoignent un peu après leur naissance. Un écart remarquable s’est ainsicreusé avec la France en 25 ans.La coupure qui s’établit en Europe oppose le Nord-Ouest du continent à ses fractionsméridionale et centrale, alors que l’évolution de la nuptialité isolait plutôt le Sud des autrespays. En fait les différences dans les comportements à l’égard du statut des enfantsressemblent davantage à celles qui sont apparues au cours de la baisse de la fécondité, depuistrois décennies, qu’à celles creusées lors du recul du mariage. L’Europe centrale, enparticulier l’Allemagne, puis l’Europe méridionale, en particulier l’Italie, ont connu les chutesles plus profondes de la fécondité, alors même que le déclin de la nuptialité n’avait encoreque des proportions modérées. Dans ces pays, l’attachement au mariage comme cadreprivilégié au sein duquel avoir et élever des enfants n’a pas autorisé le développement de lafécondité dans des formes alternatives de vie en couple et en famille et n’a pas permis lacompensation partielle qui a pu s’opérer plus facilement ailleurs (en France, en particulier)entre le recul des naissances légitimes et la progression des illégitimes.Du divorce et des enfantsLes relations entre la présence d’enfants dans un couple et le risque de divorcer sontextrêmement complexes et difficiles à démêler. Le nombre d’enfants ne joue pas seul un rôle,mais aussi l’âge de chacun, en particulier l’âge du dernier. Il faut en outre du temps pourqu’un couple ait des enfants, et du temps encore pour que le risque de divorcer fassepercevoir ses effets. Les résultats les plus parlants sont les suivants 14 :• Si on fixe à 1 le risque de divorce des couples sans enfants pour les couples mariésen 1960-1979, les parents d’un enfant ont un risque égal à 1 dès que celui-ci atteintquatre ans. À compter de cet âge, la présence de l’enfant ne fait plus de différence.14 L. Toulemon, ibidem.- 58 -


STRUCTURES FAMILIALES• <strong>Avant</strong> quatre ans, le couple est d’autant mieux protégé contre le risque de divorceque l’enfant est encore jeune. C’est 0,35 quand la mère n’est encore qu’enceinte ouquand l’enfant est dans sa première année, 0,55 quand il est dans sa deuxièmeannée, 0,75 ensuite.• Quand il y a plusieurs enfants, le risque reste inférieur à 1 même lorsque le dernier aatteint six ans, mais on approche 0,9 et l’écart est mince avec les couples sansenfants. En revanche, on est loin de ces valeurs tant que le dernier est très jeune.Après la naissance d’un enfant, le risque de divorce reste donc, un temps, faible, voiretrès faible. Cette période de lune de miel se répète au fil des grossesses, mais le nombred’enfants n’est pas, en soi, une barrière contre le divorce : une fois le dernier scolarisé, ladifférence avec les couples sans enfants est très faible.Cependant, la période de constitution de la descendance interfère avec la période à hautrisque de rupture que constituent les premières années de mariage. La protection qu’offre laprésence de très jeunes enfants intervient au moment où les risques de divorce sont les plusélevés.Tous âges des enfants confondus, leur présence réduit d’environ 30 % le risque dedivorce dans les dix premières années du mariage. L’ordre de grandeur est le même oulégèrement plus élevé pour les couples que le mariage n’a pas légalisés. En revanche l’écartest fort entre les risques de rupture pour les deux types d’union : cinq fois plus élevé pour lescohabitants que pour les mariés, que les uns et les autres aient des enfants ou non. Le statut ducouple apparaît donc comme un facteur de différenciation autrement puissant que la présenceet le nombre d’enfants.On manque de travaux comparables pour des périodes plus anciennes qui confirmeraientce que des indicateurs plus sommaires suggèrent : le rôle protecteur du nombred’enfants était sans doute plus fort lorsque la fréquence du divorce était moins élevée, dansles mariages conclus avant 1960.On manque aussi de travaux qui permettraient de mesurer la portée internationale de cesrésultats. Des indicateurs simplifiés permettent de penser que l’effet protecteur du nombred’enfants sur le risque de divorcer s’est régulièrement amoindri depuis les années 1950 dans- 59 -


P. FESTYdivers pays, jusqu’à disparaître en Angleterre dans les années 1970 et sans doute plus anciennementen Suède. L’Allemagne fait exception à ce mouvement 15 .Si elle était confirmée, cette évolution (et son exception allemande) s’accorderait bienaux observations précédentes concernant le rôle déclinant des enfants comme facteur de lanuptialité.Un bilanLe mariage a reculé en France de puis bientôt trente ans. Il est devenu plus rare et plustardif, au fil des générations. Des formes diverses de cohabitation s’y sont substitué. Ledivorce s’est développé dans le même temps, à la fois plus fréquent et plus précoce et lesconcubinages conduisent plus souvent à la séparation des partenaires que le mariage. Lesunions sont donc plus brèves et la vie en couple plus discontinue.A trente ans d’intervalle, la proportion des femmes mariées a profondément reculé,parce que les mariages et remariages sont moins nombreux et les divorces plus fréquents.C’est particulièrement net chez les jeunes : à 22 ans, moins d’une femme sur dix estaujourd’hui mariée, contre six fois plus en 1969 ; à 27 ans, c’est 40 % contre plus du double ily a trente ans. Mais même à 37 ans, le déficit est encore net : moins de 65 % de mariéesaujourd’hui, contre plus de 85 % hier (figure 1).Figure 1 - Proportion de femmes mariées et en couple (1969 et 1999)1Proportion0,90,80,70,60,50,40,30,2% mariées janv, 1969% mariées janv, 1999% couple janv, 19990,1015 ans17 ans19 ans21 ans23 ans25 ans27 ans29 ans31 ans33 ans35 ans37 ans39 ans41 ans43 ans45 ans47 ansAge15 P. Festy, 1985, « Divorce, remariage et fécondité : évolution récente de leurs liaisons en Europe occidentale », UIESP,Congrès international de la population, Florence.- 60 -


STRUCTURES FAMILIALESLa prise en compte des concubinages ne comble pas entièrement ces écarts. A tous lesâges, il y avait plus de mariées en 1969 qu’il n’y a de femmes en couple en 1999. L’écartdans les proportions est de l’ordre de vingt points entre 20 et 25 ans et il est encore proche dedix points vers 30 ans. La montée de l’union libre s’est donc accompagnée d’une progressionde la vie seule, en particulier chez les jeunes, dans les générations récentes.En même temps que le couple a cessé de se confondre avec le mariage, celui-ci a cesséd’être le lieu privilégié de la naissance et de l’éducation des enfants. La grossesse de femmesnon mariées ne provoque plus que dans une proportion très marginale la ‘régularisation’d’une situation qu’on considérait encore comme gênante dans les années 1960. La charged’une famille ne demeure un obstacle au divorce que lorsque les enfants sont encore petits.Aussi la fécondité des années récentes s’est-elle développée en dehors du mariage, audétriment des naissances légitimes. Près de 40 % des enfants naissent aujourd’hui de parentsnon mariés et cette proportion dépasse 50 % pour les premiers nés 16 . Néanmoins, lacompensation n’est pas, là non plus complète : la fécondité a beaucoup baissé en trente ans, ycompris celle limitée à la première naissance. Une proportion accrue de femmes restentdésormais sans descendance (13 % de celles nées en 1960 contre moins de 10 de celles néesquinze ans plus tôt) et celles qui ont des enfants les ont à un âge plus avancé. Le modèled’une famille à deux enfants, constituée rapidement après un mariage précoce, est peut-êtreen train de laisser la place à un schéma plus diversifié et plus étalé dans le temps 17 , au risqued’interférer plus durablement avec la vie professionnelle des mères.La vie de famille : seule ou en coupleLes couples mariés et non mariésDébut 1999, il y avait, en France métropolitaine, environ 2,4 millions de couples nonmariés et cinq fois plus de couples mariés (12,2 millions). Ce dernier nombre décroît continûmentdepuis plus de quinze ans, parce que le nombre annuel de nouveaux mariages estfaible, en regard du nombre de divorces (la fréquence du divorce reste élevée) et de veuvages(le décès du conjoint affecte des générations anciennes, de forte nuptialité). Le nombre de16 C. Beaumel, R. Kerjosse, L. Toulemon, 1999, « Des mariages, des couples et des enfants » , INSEE-Première.17 F. Prioux, « La fécondité des pays occidentaux : vers de nouveaux modèles ? », Communication au Colloque del’AIDELF (La Rochelle, septembre 1998).- 61 -


P. FESTYcouples non mariés s’est fortement accru dans le même temps, à la fois parce qu’il estprogressivement devenu courant que les unions débutent hors du mariage et parce que cesunions sont de plus en plus durables, leur légalisation étant sans cesse repoussée. Toutefois, lafin des années 1990 a été marquée par la première stagnation du nombre de couples nonmariés, comme si le régime démographique de la vie hors mariage atteignait un équilibre.Avec 480 000 unions formées en moyenne chaque année et 2,4 millions de couples, ladurée moyenne de ceux-ci serait de 5 ans, sans rupture ni légalisation. Les nouveaux mariagessont, de nos jours, moins nombreux chaque année que les nouvelles unions (ce qui n’était pasvrai trente ans plus tôt), mais leur espérance de durée est sensiblement plus longue : 38 %seront rompus par un divorce, en moyenne au bout de 14 ans, et les 62 % restants serontdissous par la mort, en moyenne au bout de 45 ans, soit une durée globale de 33 ans, six ousept fois plus longue que celle des unions libres.Cette différence de durée (et l’évolution en sens opposé au fil des années : croissance dela cohabitation et recul du mariage) explique le contraste des compositions par âge entrecouples mariés et non mariés. Les jeunes femmes sont, jusqu’à 27 ans, plus nombreuses àvivre en union libre qu’en mariage ; à partir de 28 ans, c’est l’inverse. C’est aussi l’âge où leseffectifs de cohabitantes commencent à décroître, à mesure que certaines rompent avec leurconjoint… ou l’épousent (figure 2).Figure 2 - Répartition par âge des femmes vivant en couple,selon leur statut conjugal (janvier 1999)Effectifs350000300000250000200000150000100000non mariéemariée50000018 ans20 ans22 ans24 ans26 ans28 ans30 ans32 ans34 ans36 ans38 ans40 ans42 ans44 ans46 ans48 ans50 ans52 ans54 ansAge- 62 -


STRUCTURES FAMILIALESEn résumé, les femmes vivant en concubinage continuent à former un groupe beaucoupplus jeune que les mariées, même si on n’est plus à l’époque où on pouvait réduire lacohabitation à un épisode juvénile de la vie conjugale. Pour une majorité, la vie hors mariagereste un prélude à la vie de femme mariée, même si s’est accrue sensiblement la taille de laminorité qui ne connaîtra jamais le mariage.La charge d’enfants reste très inégale entre les jeunes femmes en couple selon qu’ellessont ou non mariées. Quand entre 20-24 et 30-34 ans, la proportion de femmes mariées ayantdes enfants mineurs passe de 45 à près de 90 %, elle est inférieure de 20 à 30 points chez lesfemmes en couple mais non mariées : 23 contre 45 % à 20-24 ans, 36 contre 66 % à 25-29ans et 67 contre 89 % à 30-34 ans. On a vu plus haut que la fécondité des mariées étaitsensiblement supérieure à celle des non-mariées, l’écart tendant même à s’accentuer au fil dutemps. Au-delà de 35 ans, l’écart est moins net, en particulier parce qu’un nombre croissantdes non-mariées sont des femmes divorcées, vivant dans un nouveau couple après la rupturede leur mariage, avec des enfants nés au cours de celui-ci (figure 3).Figure 3 - Proportion de femmes en couple ayant des enfants,selon le statut conjugal (janvier 1999)Proportion10,90,80,70,60,50,40,30,20,1015-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 Groupe d'âgesnon mariéemariée- 63 -


P. FESTYEn revanche, l’écart entre l’activité des femmes mariées et non mariées est minime, àcharge d’enfants égale. Il est cependant toujours dans le même sens : les femmes non mariéessont plus souvent actives que les mariées. Entre 20 et 40 ans, il y a 5 à 7 points d’écart, chezles femmes sans enfants autour de 90 %, chez les mères autour de 70 %. Après 40 ans,l’activité des femmes mariées recule un peu plus tôt et un peu plus vite que celle des nonmariées. Les différences dans la composition par âge des deux groupes (il y a peu de femmesen couple non mariées au-delà de 40 ans) et dans la charge des enfants (elle est moindre pourles femmes en couple non mariées) se conjuguent pour faire des non mariées un groupe plusactif que les mariées, mais c’est un effet de structure beaucoup plus marqué que lesdifférences de comportements proprement dites (figure 4).Figure 4 - Taux d'activité des femmes en couple, selon le statut conjugalla charge d'enfants mineurs (janvier 1999)Taux (p.100)10090807060504030non mariée sans enfantsnon mariée avec enfantsmariée sans enfantsmariée avec enfants2010015-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 Groupe d'âgesLa proportion de femmes vivant en couple hors du mariage présente une large diversitéen Europe. En 1996, à 25-29 ans par exemple, elle est très faible dans toute l’Europe du Sud(et en Irlande), partout inférieure à 3 % ; à l’inverse, elle est forte en Europe du Nord, autourou au-dessus de 30 %. La France appartient à ce second groupe ; elle se distingue nettementdes pays d’Europe occidentale, eux-mêmes partagés entre les pays centraux (Allemagne et- 64 -


STRUCTURES FAMILIALESAutriche), où les cohabitantes sont moins de 10 %, et les autres pays (Royaume-Uni etBénélux), où elles sont 12 à 16 %. La position de la France, très à l’écart de ce derniergroupe, témoigne de la grande diffusion de la vie hors mariage dans notre pays, sur unmodèle de type scandinave 18 .Les familles monoparentalesDébut 1999, 880 000 femmes et 120 000 hommes élevaient seuls leurs enfants mineurset formaient avec eux une famille monoparentale. Ce million de personnes est à compareraux 6,1 millions de couples élevant ensemble des enfants mineurs. L’augmentation duvolume de ce groupe a été continuellement forte depuis vingt ans. Par exemple, il a suffi desix ans, depuis 1993, pour que la croissance soit d’un quart (il y avait alors 710 000 mères et100 000 pères). La proportion d’enfants mineurs vivant avec un seul parent augmenteparallèlement : c’était 8,4 % en 1986, 11,5 % en 1994 et près de 14 % en 1999.Les mères divorcées sont les plus nombreuses (près de 480 000), les veuves ne sont que70 000. Les mères célibataires (près de 340 000) sont en fait, pour la plupart, des femmes quiont cessé de vivre avec le père de leurs enfants. Contrairement à l’image que leur désignationévoque, ce ne sont qu’exceptionnellement des femmes ayant eu des enfants hors de touteunion. On s’en convaincra encore mieux en comparant la répartition par âge de ces femmes àcelle des mères vivant en couple non mariées : elles sont une copie presque parfaite audécalage près d’une ou deux années d’âge introduit par la séquence ‘avoir un enfant-seséparer de son père’. Entre mariées et divorcées ou mariées et veuves, les décalages sont plusimportants, parce que les séquences sont plus étirées dans le temps, mais les déformations nesont pas plus notables. Les répartitions s’étagent ainsi régulièrement sur l’axe des âges, desmères célibataires aux divorcées et aux veuves (figure 5).18 K. Kiernan, Summer 1999, « Cohabitation in Western Europe », Population Trends.- 65 -


P. FESTYFigure 5 - Répartition par âge des femmes ayant desenfants mineurs, selon leur statut conjugal (janvier 1999)0,350,30,250,20,150,10,05015-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55+Groupe d'âgesCelibatairesVeuvesDivorcéesMariéesCouple NMDans les années récentes, les enfants vivant avec leur mère ont intensifié leurs relationsavec leur père. Plus précisément, en 1994 comme déjà en 1986, un tiers des enfants mineursne voient plus leur père, mais la proportion de ceux qui le rencontrent au moins une fois tousles quinze jours est passée en huit ans de 31 à 42 %. Toutefois, le facteur le plus importantassocié à la fréquence de ces visites est la situation conjugale et familiale du père : « Au fur età mesure que le père ‘refait sa vie’, il s’éloigne des enfants qu’il a eus avec son anciennecompagne : les enfants dont le père vit seul ont deux à trois fois plus de chances de le voirplusieurs fois par mois, et risquent trois fois moins une rupture totale, que les enfants dont lepère revit en couple et a eu d’autres enfants » 19 .L’activité des mères élevant seules leurs enfants est, à tous âges, supérieure à celle desmères mariées, d’environ 10 à 15 points. L’écart est moindre par rapport aux femmes vivanten couple non mariées. L’évolution de l’activité avec l’âge est en revanche très comparabledans les divers groupes, en croissance jusque vers 45 ans, à mesure sans doute que les enfantsavancent eux-mêmes en âge, en recul au-delà, sans doute avec les premières cessationsd’activité et la participation de générations plus anciennes (figure 6).19 C. Villeneuve-Gokalp, 1999, « La double famille des enfants de parents séparés », Population.- 66 -


STRUCTURES FAMILIALESFigure 6 - Taux d'activité des mères, selon leur statut conjugal (janvier 1999)Taux (p.100)100908070605040302010015-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55+Groupe d'âgesCelibatairesDivorcéesMariéesCouple NMMalgré l’intensité de leur activité économique, les familles monoparentales ont desconditions de vie sensiblement plus défavorables que les autres familles avec enfants. En1995, 17 % des familles monoparentales vivaient en dessous du seuil de pauvreté, contre9,3 % de l’ensemble des familles avec enfants. Sur ce critère, la proportion varie du simple àplus du double quand on compare couples et familles monoparentales à nombre d’enfantségal : avec un enfant à charge, il y a 5,9 % de couples et 14 % de familles monoparentalessous le seuil de pauvreté ; avec deux enfants, ce sont 6,5 et 20 %, etc. Cet écart n’a fait ques’accentuer au fil du temps, le niveau de vie des familles monoparentales s’étant amélioré deseulement 2 % entre 1985 et 1995, contre 16 % pour les couples avec enfants 20 .Divers travaux, en France comme à l’étranger, ont montré que la rupture du couple étaitun facteur d’appauvrissement immédiat pour les femmes, qui assument le plus souvent lacharge de leurs enfants. Le maintien durable dans la monoparentalité ne permet généralementpas à ces familles de retrouver le niveau de vie qu’elles avaient lorsque les deux parents20 INSEE, Les familles monoparentales, France, portrait social, édition 1997-1998.- 67 -


P. FESTYétaient unis. Ce déficit est toutefois très inégal selon la catégorie sociale : fort dans le milieupopulaire, il est à peine sensible dans les classes plus favorisées 21 .Les familles monoparentales représentent 7 à 23 % des familles ayant des enfants àcharge dans les divers pays de l’Union européenne. L’écart est très grand entre la Grèce etl’Espagne d’une part et le Royaume-Uni d’autre part. La France occupe une position médianeavec 15 %. L’activité des mères isolées est partout très élevée, mais nulle part autant qu’enFrance, quel que soit le nombre d’enfants à charge. Le niveau de vie des familles monoparentalesest partout inférieur à celui des autres familles avec des enfants à charge, lesdéficits les plus lourds étant enregistrés en Irlande et au Royaume-Uni 22 .Les familles recomposéesEn 1994, parmi 100 enfants mineurs, 83 % – soit environ cinq sur six – vivaient avecleurs deux parents. Les autres, soit 17 %, vivaient séparés d’au moins un d’entre eux. Lesenfants vivant en famille recomposée font partie de ce dernier groupe, mais ils n’enconstituaient qu’une minorité en 1994. À cette date, moins d’un enfant sur vingt appartenait àce type de famille. En outre, contrairement à ces dernières, son volume n’était pas enexpansion. Il s’agit donc d’une fraction faible et stable de l’ensemble des familles.Les statistiques ci-dessus reposent cependant sur une définition restrictive de la famillerecomposée : celle-ci résulte de la formation d’un nouveau couple par le parent chez quiréside principalement l’enfant. Dans le cas le plus courant d’une mère vivant avec ses enfantsà la suite de son divorce, la recomposition se produit donc lorsque la mère donne un beaupèreà ses enfants en se remariant (ou lorsqu’elle fonde une nouvelle union sans pour autantse remarier). Or, si dans 27 % des cas de séparation le ‘parent gardien’ refait ainsi sa vie, uneproportion au moins aussi élevée de ‘parents non gardiens’ refont aussi la leur et constituentainsi une famille recomposée, à distance de leur enfant.21 R. V. Burkhauser, G. J. Duncan, R. Hauser, R. Berntsen, 1991, « Wife or Frau, Women Do Worse: A Comparison ofMen and Women in the United States and Germany After Marital Dissolution », Demography, vol. 28, n°3.G. J. Duncan and S. D. Hoffmann, 1985, « Economic consequences of marital instability », in: Horizontal Equity,Uncertainty and Well-Being, edited by M. David and T. Smeeding, Chicago : University of Chicago Press.P. Festy et M.-F. Valetas, 1990, Contraintes sociales et conjugales sur la vie des femmes séparées, in : Données sociales,Paris, INSEE.22 P. Whitten, 1998, « Les familles monoparentales dans l’Union européenne : un phénomène qui prend de l’ampleur »,INSEE Première, n° 620.- 68 -


STRUCTURES FAMILIALESDe même sont omis de la statistique les enfants qui rejoignent, à leur naissance, desdemi-frères ou demi-sœurs qu’un de leurs parents avait eus dans un précédent lit. C’est le casde 2 % des enfants mineurs, qui vivent avec leurs deux parents, et de 1 % supplémentaired’enfants vivant avec un parent isolé, qui a eu d’autres enfants dans une union précédente. Autotal, les frontières parfois imprécises du concept de familles recomposées peuvent englober,en extension, jusqu’à 12 ou 15 % des enfants (au lieu de 5) et sortir encore davantage legroupe de sa marginalité statistique.Contrairement à la situation conjugale et familiale du père non gardien, qui joue un rôleimportant dans la fréquence des relations entretenues avec les enfants après une rupture, lasituation de la mère gardienne ne fait guère de différences : la recomposition familiale et laprésence d’un nouveau compagnon auprès de leur mère ne modifient pas l’intensité desvisites que les enfants séparés rendent à leur père 23 .En revanche les conditions de vie des enfants et de leur mère sont, en moyenne,sensiblement améliorées par la recomposition. Les travaux français comme étrangers ontmontré que les femmes qui refont leur vie avec un nouveau conjoint retrouvent le niveau devie qui était le leur dans la précédente union. Les avantages matériels de la vie en couple sontaussi clairement perceptibles lorsqu’une famille monoparentale devient recomposée quelorsque s’unissent deux jeunes célibataires sans enfants 24 .Genre, couple et filiationLes transformations contemporaines de la famille ont accompagné deux mouvementsfondamentaux affectant, l’un le rapport des conjoints entre eux (la conjugalité), l’autre lesliens qui unissent les parents à leurs enfants (la filiation). Le droit a consacré la plupart de cesévolutions en les inscrivant dans la loi depuis une trentaine d’années. Le droit de la filiation aété réformé en 1972, afin de rapprocher le statut juridique des enfants légitimes et illégitimes,voire adultérins, et cette ouverture vers les droits de l’enfant a été confirmée en 1993 ; lesrelations entre époux ont été profondément modifiées par une loi de 1965 sur les régimesmatrimoniaux, qui a étendu le droit de gestion de la femme, puis par une loi de 1985, qui a23 Cf. C. Villeneuve-Gokalp, article cité.24 G. J. Duncan and S.D. Hoffmann, article cité.P. Festy et M.-F. Valetas, article cité.L. Olier, 1998, « Les avantages matériels de la vie en couple », INSEE Première, n°564.- 69 -


P. FESTYparachevé la précédente en égalisant les pouvoirs des deux conjoints ; l’exercice conjoint del’autorité parentale, affirmé en 1970 dans le cadre du mariage, a été étendu au divorce et à lafamille naturelle en 1987 et en 1993 ; le droit du divorce a été profondément remanié en 1975pour adjoindre aux formes contentieuses des formes consensuelles et le constat de rupturedurable du lien conjugal.Des indicateurs démo-statistiques ont rendu perceptibles les changements decomportements qui ont, le plus souvent, précédé ces interventions législatives. Lesparagraphes précédents en ont rendu compte, en montrant le recul du mariage comme formede la vie de couple et comme cadre pour la naissance et l’éducation des enfants. Mais cesindicateurs suggèrent plus généralement que les rapports entre conjoints ont fait un pas versune plus grande égalité entre hommes et femmes et que les rapports entre parents et enfantsont évolué vers une plus grande personnalisation.Mieux encore que dans le fonctionnement du couple, c’est généralement dans les suitesde sa rupture qu’on apprécie les relations entre conjoints. On note par exemple aux États-Unisque la participation croissante des femmes à l’activité économique implique un partage pluséquitable entre les anciens époux du poids économique de la rupture 25 . De même, en Russie,où la pleine activité économique des femmes est ancienne, les conséquences du divorceapparaissent beaucoup plus pénalisantes pour les hommes, qui sont à l’inverse les principauxbénéficiaires du mariage 26 . En France, le veuvage révèle indirectement le rôle protecteur dumariage par la surmortalité qui lui est associée, mais l’évolution récente montre que lesfemmes ont perdu l’essentiel de l’avantage relatif que leur procurait jusqu’à présent la vie decouple 27 . On s’est beaucoup éloigné en trente ans des rapports inégalitaires et hiérarchiquesentre conjoints, que le Code Napoléon avait formalisés et où « les femmes gagnaient laprotection avec la dépendance, et un certain pouvoir domestique avec l’incapacitéjuridique » 28 .25 P. A. McManus, T. A. DiPrete, « Does union dissolution hurt men’s standard of living ? An analysis of recent conditionsand possible trends », communication au congrès de la Population Association of America, mars 1999.26 P. FESTY, I. Kortchagina, O. Mouratcheva, L. Proko, 1999, « Divorce et carrières professionnelles en Russie pendant latransition vers l’économie de marché », IUSSP Seminar on Women in the Labour Market in Changing Economies:Demographic Issues (Rome, Italy, 22-24).27 X. Thierry, 1999, « Risques de mortalité et de surmortalité au cours des dix premières années de veuvage », Population.28 I. Théry, 1998, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée,éditions Odile Jacob-La Documentation française.- 70 -


STRUCTURES FAMILIALESDans ce même code, l’enfant et la filiation n’existaient que par le mariage des parents,qui ouvrait à la fois sur la présomption de paternité et sur la puissance paternelle. Depuistrois décennies, ce cadre a éclaté. Près de deux naissances sur cinq ont lieu désormais endehors du mariage, mais ces enfants sont reconnus par leur père dans une proportion sanscesse accrue et à un âge de plus en plus jeune 29 . Par ailleurs, l’intensification des contactsentre le père et ses enfants, lorsque ceux-ci vivent hors de chez lui après une séparation, s’estaccompagnée d’un abaissement de la différence entre les enfants nés d’un mariage et ceuxnés d’un couple moins formel 30 . Alors que « l’idéal de pérennité du lien de la filiation estfortement mis en cause, par un risque croissant de rupture, (…) une contre-tendance sedessine, qui s’appuie justement sur la norme d’indissolubilité de la filiation : dans la dernièredécennie, l’idéal d’une coparentalité maintenue après la séparation n’a cessé de s’affirmer » 31 .Selon la belle formule de John Eekelaar, citée par Irène Théry : « Le principe d’indissolubilités’est déplacé de la conjugalité vers la filiation ».L’évolution contemporaine donne donc à penser que la transformation des structuresfamiliales est l’élément d’une transition plus large et inachevée, qui pourrait conduire à unefamille rénovée dans ses rapports entre sexes (conjoint-conjointe) et entre générations(parents-enfants). L’union, devenue contractuelle, peut se passer de l’institution, et lafiliation, fondée sur un lien direct de l’enfant à chacun de ses parents, peut s’établir hors dumariage.Les places d’épouse et de mère et leur (re)définition sont donc au cœur des évolutionscontemporaines de la famille française. Les transformations dans la sphère conjugale doiventsans doute beaucoup à l’extension de la place des femmes dans le système productif.L’économie a largement fait appel à elles, dès la fin des années 1950, les besoins en maind’œuvre ne pouvant plus être satisfaits que par le recours à de nouvelles ressources(populations immigrées ou mères de famille), puis dans les années 1960 pour répondre à unedemande accrue de services. Il en est résulté à la fois un développement de l’autonomiefinancière des femmes et un déséquilibre dans les échanges domestiques, pour toutes cellesqui conjuguent contribution aux revenus du ménage et responsabilité dans le fonctionnementde celui-ci.29 F. Munoz-Pérez, F. Prioux, 1999, « Les enfants nés hors mariage et leurs parents. Reconnaissances et légitimationsdepuis 1965 », Population.30 Cf. C. Villeneuve-Gokalp, article cité.- 71 -


P. FESTYLa montée du divorce, dont les femmes sont les premières ‘responsables’ en étant lesprincipales demandeuses, peut être vue comme une conséquence exemplaire de ces deuxmouvements. Le développement du groupe des familles monoparentales, où les mèresassument la charge de leurs enfants en majorité et dans des conditions économiques souventdifficiles, est une illustration du prix payé par les femmes pour assumer leur autonomie, alorsque le rapport parents-enfants reste marqué par la relative faiblesse du lien au père, dans lavie quotidienne.Parce que les rapports au sein du couple et entre parents et enfants sont encore marquéspar la survivance d’inégalités entre hommes et femmes, la mutation familiale reste, selonl’expression d’Irène Théry, « inachevée ». Il revient à la politique familiale de ne pas lalaisser « inassumée ».POUR EN SAVOIR PLUSP. FESTY, 2000, « Pourquoi refuser le mariage ? » Futuribles (à paraître).INED, Vingt-huitième rapport sur la situation démographique de la France, novembre1999, 57 p.H. LERIDON et C. VILLENEUVE-GOKALP, 1994, Constance et inconstances de lafamille. Biographies familiales de couples et des enfants, Travaux et Documents de l’INED,Cahier n°134, PUF-INED.I. THÉRY, 1998, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutationsde la famille et de la vie privée, Editions Odile Jacob/La Documentation française, 413 p.31 I. Théry, op. cit.- 72 -


Vieillir en France au fémininJoëlle GAYMU, INEDEnviron 12 millions de personnes ont aujourd’hui, en France, plus de 60 ans, 40%d’entre elles ne faisaient pas partie de ce groupe d’âge au recensement de 1990, près de 34%des effectifs initiaux sont morts durant la période. Ce renouvellement des effectifs,extrêmement rapide, transforme le vécu de la retraite et dans nombre de domaines les aînésd’aujourd’hui sont fort différents de ceux d’hier. Mais, au fil du temps, certaines constantesdemeurent : selon que l’on est homme ou femme, les destins de fin de vie sont radicalementdifférents .La vieillesse est féminine58% des personnes âgées de plus de 60 ans sont des femmes, 65% des 75 ans et plus,72% des 85 ans et plus 1 . Le surnombre des femmes au sein de la population âgée estindéniable et plus l’on gravit l’échelle des âges, plus la population se féminise (figure 1).Figure 1Autant d’hommes que de femmes à 60 ans, 2 fois plus de femmes à 80 ans, 3 fois plus à 90 ans6,0Nombre de femmes pour 1 homme5,04,03,02,01,00,0Ages55-59 60-64 65-69 70-74 75-79 80-84 85-89 90-94 95-99 100 et +Nul mystère à ce constat qui repose principalement sur l’inégalité d’espérance de vieselon les sexes. Ainsi, moins de 70% des hommes de la génération 1930 ont atteint leur1 Cette surféminisation serait encore plus forte en l’absence des migrations internationales, qui sont à dominantemasculine.


J. GAYMUsoixantième anniversaire contre plus de 80% des femmes ; en 1990, l’espérance de vie à 60ans des premiers atteignait 20,5 ans, celle des secondes était plus longue de 6 années.Phénomènes bien connus, les éléments essentiels concourant à la plus longue survie desfemmes sont leur moindre fragilité biologique, leur plus faible consommation d’alcool et detabac, leur moindre exposition aux risques sur le plan professionnel et, en règle générale, leursensibilisation plus accusée à l’importance de l’hygiène de vie et leur fréquentation plusrégulière du corps médical.Durant des décennies, l’écart entre espérances de vie à la naissance masculine etféminine n’a cessé de se creuser (figure 2) puis, dans les années 80, il s’est stabilisé autour de8,2 ans (hommes comme femmes ont alors gagné un an tous les 4 ans). Mais, depuis le débutdes années 90, un renversement de tendance s’amorce : il y a rapprochement des durées devie moyenne, l’écart n’est plus que de 7,9 ans aujourd’hui ; l’espérance de vie des hommes agagné en moyenne un an tous les 5 ans celle des femmes un peu moins d’un an tous les 6 ans.Figure 2A la naissance, 8 années d’espérance de vie supplémentaires pour les femmes,5 années à soixante ansEspérance de vie à la naissance ( en années)85Espérance de vie à soixante ans (en années)3580757065FemmesHommes30252015FemmesHommes60dates1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 199510dates1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995Phénomène conjoncturel ou véritable remise en question du fossé qui sépare hommes etfemmes ? La proximité croissante des modes de vie des uns et des autres incitent certains àpronostiquer la poursuite du rattrapage des durées de vie. L’exemple des fumeurs est, à cetitre éloquent : « le tabagisme des hommes a été le moteur de l’écartement des espérances devie féminine et masculine ; le tabagisme des femmes sera le moteur de leur rapprochement » 2 .2 A. Nizard, 1997, « La mortalité par tumeur en France au tournant des années 90 », Population, n°3, p 665-698.- 74 -


VIEILLIR AU FÉMININPour d’autres toutefois, il pourrait y avoir dans le futur une baisse considérable de la mortalitéféminine cardio-vasculaire, consécutive au traitement de la ménopause. L’avance des femmess’en trouverait d’autant plus consolidée.En outre, la baisse de la mortalité s’est accompagnée, pour les hommes comme pour lesfemmes, d’une amélioration de l’état de santé : chez ces dernières, la part des années vécuessans incapacité au sein de l’espérance de vie à 65 ans est passée de 53,6 % en 1981 à 60,2%en 1991. Mais, les femmes payent leur plus grande survie en vivant plus longtemps avec desincapacités, notamment sévères : 10% de leur espérance de vie à 65 ans (soit 2 ans) sont desannées en incapacité sévère contre moins de 6% pour les hommes (0,9 ans) 3 . Ce résultat estnaturellement important en termes de santé publique, de services et prise en charge à prévoir.Avec les tendances récentes de la mortalité, où les hommes profitent davantage desprogrès de la survie, la prépondérance féminine au sein de la population âgée amorce unelégère diminution : par exemple, en 1982, 75,3% des 85 ans et plus étaient des femmes,72,5% en 1996 4 . L’INSEE a opté pour une hypothèse de légère réduction des écarts demortalité entre les sexes à partir de 2020, la surféminisation continuerait donc sa lentedécrue (en 2050, 67,9% des 85 ans et plus seraient des femmes). Mais, indéniablement, lejour où ce « déterminisme démographique » s’effacera pour conduire hommes et femmes àvivre ensemble leur vieillesse jusqu'à la mort, est encore fort lointain. Car, contrepartie deleur plus longue durée de vie, les femmes sont vouées au veuvage.Le veuvage : le destin des femmesPlus des trois-quarts des hommes de 60 ans ou plus sont mariés contre moins d’unefemmes sur deux (45,9%). Autre illustration de ce contraste de fin de vie : la majorité desfemmes sont veuves dès 74 ans alors qu’à cet âge plus de 78% des hommes sont encoremariés (figure 3).A la surmortalité masculine et à l’histoire démographique différentielle qui décident durapport des sexes dans la vieillesse, s’ajoutent l’écart d’âge au mariage et les plus ou moinsfortes chances de remariage comme facteurs déterminants de la situation matrimoniale. Or,3 J. M. Robine et al, 1994, « L’évolution de l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans », Gérontologie et société, n°71.4 A également joué, sur cette période, la disparition progressive des classes creuses masculines décimées par la PremièreGuerre mondiale.- 75 -


J. GAYMUdans les générations actuelles de retraités, l’écart d’âge entre conjoints est d’environ 3 ans etles hommes trouvent plus facilement un second conjoint que les femmes. Le déséquilibredémographique du marché matrimonial joue en défaveur de ces dernières : à 60-64 ans il y a2 fois plus de femmes sans partenaire que d’hommes, à partir de 75 ans 4 fois plus. Desurcroît, les hommes qui convolent tardivement ont tendance à choisir des compagnes plusjeunes, voire beaucoup plus jeunes, qu’eux. En cas de rupture d’union à 50 ans, par exemple,comparés aux femmes, les hommes ont 1,7 fois plus de chances d’être remariés 10 ans après(soit respectivement 29,2 et 17,1%), les veufs 7 fois plus que les veuves (18,1 et 2,6%) 5 .Tous ces facteurs conjuguent donc leurs effets dans le sens d’un très fort veuvageféminin alors qu’à l’inverse, les hommes vivent dans la plupart des cas en couple jusqu’à leurdécès : 84% des veufs de 60 ans et plus sont des veuves !Figure 3Etre veuf en 1996 : 11% des hommes de 60 ans et plus, 42% des femmes100908070605040302010050%5560MariésVeufs65707580859095âges100908070605040302010050%MariéesVeuves556065707580859095âgesToutefois, fait remarquable, à chaque âge, le veuvage est en constante régression aucours du temps. Il faut voir là notamment 6 , la conséquence du recul, à chaque âge, de laprobabilité de décéder pour chacun des membres du couple. Ce dernier dure donc pluslongtemps et l’âge d’entrée dans le veuvage se trouve ainsi différé : en 1975, les hommesdevenaient veufs en moyenne à 67,7 ans et les femmes à 63,5 ans, alors qu’en 1995 ces âgessont respectivement égaux à 71,6 et 66,4 ans.5 C. Delbès et J. Gaymu, 1997, « Convoler après 50 ans », Gérontologie et Société, n°82.6 Ont de surcroît accentué cette évolution depuis 1982 l’extinction des générations de veuves de la Première Guerremondiale et l’arrivée au seuil de la retraite de couples où l’écart d’âge au mariage entre époux était en sensible réduction.- 76 -


VIEILLIR AU FÉMININAutre façon de présenter les choses : en 1982, pour les femmes de 60 ans ou plus, avoirperdu son conjoint était plus fréquent que l’avoir toujours à ses côtés (respectivement 45,8%et 42%) ; comme pour les hommes, c’est désormais l’inverse (41,8% et 45,9%) même si,durant la retraite, le contraste entre parcours féminin et masculin reste très accusé : on compteen effet 7 fois plus d’hommes mariés que de veufs !De surcroît, à ces âges, les hommes divorcés vivent 2,7 fois plus souvent en couple queles femmes (respectivement 25 et 9%), et environ 2 fois plus souvent lorsqu’ils sontcélibataires ou veufs. Le fossé qui sépare hommes et femmes dans leurs chances respectivesde passer leur fin de vie à deux s’en trouve encore creusé.Mentionnons toutefois qu’au sein de la population masculine une forte hiérarchie sedessine en fonction du passé professionnel : 83,3% des anciens cadres supérieurs de 60 ans etplus vivent en couple mais 72,9% seulement des anciens agriculteurs et 51,5% des « autresinactifs ». Outre les différences de nuptialité entre catégories socio-professionnelles (on pensenotamment au fort taux de célibat des agriculteurs ou de certaines catégories d’ouvriers), onretrouve ici en filigrane, l’inégalité sociale devant la mort : à chaque âge, la proportiond’hommes en couple est d’autant plus forte que l’on progresse dans la hiérarchie sociale parceque la mortalité de leur conjointe recule dans le même temps. En outre, autre illustration dudésavantage féminin dans ce domaine : les hommes « autres inactifs » sont les plus mal lotismais ils vivent aussi souvent en couple que les femmes de la même catégorie (principalementdes femmes au foyer) qui elles, sont les plus favorisées. Chez les femmes, le passéprofessionnel est moins déterminant du mode de vie, entre 38.3 et 52.9% habitant avec uncompagnon. Comme chez leurs homologues masculins, le veuvage frappe plus souvent en basde la hiérarchie sociale, mais le célibat étant davantage la marque des plus diplômées, lescontrastes selon les catégories socio-professionnelles sont moins accusés.Certes isolement conjugal ne signifie pas isolement social mais sans conteste, cettesituation fragilise les individus. L’on sait, en effet, que les couples arrivent mieux à assumerles tâches domestiques quotidiennes, du fait du partage et de la spécialisation des rôles : seuls9% des 80 ans ou plus vivant à deux ne font jamais leurs courses (36% des veuves du mêmeâge), 6% leur ménage (23%) 7 . De plus, en cas de dépendance, le conjoint est le premierpourvoyeur d’aide permettant, ainsi, de retarder voire d’éviter l’institutionnalisation. Enfin,7 M. G. David, C. Starzec, 1996, « Aisance à 60 ans, dépendance et isolement à 80 ans », INSEE Première, n°447.- 77 -


J. GAYMUvivre à deux a un effet protecteur sur la santé tant physique, surtout pour les hommes, quepsychique et, d’une façon plus générale, ce mode de vie favorise la bonne intégration socialeen termes de sociabilité comme de participation à l’univers des loisirs et de la consommation.Les femmes vivent 2,5 fois plus souvent seules que les hommesNe pas, ou plus, avoir de conjoint ne signifie bien évidemment pas automatiquementhabiter seul : les retraités peuvent partager le toit d’un de leurs enfants ou vivre en institution.L’une des tendances de fond de ces dernières décennies est le détachement résidentieldes générations : lorsque l’on a perdu son conjoint, vivre seul est de plus en plus souventpréféré à la cohabitation avec des proches (figure 4). En 1962, chez les non mariés de 60 anset plus, partager le même toit qu’un parent était plus fréquent qu’habiter seul (soitrespectivement 48 et 43%) ; aujourd’hui seulement 25% vivent en famille alors que laproportion d’isolés est près de 2,5 fois plus forte (60,8%).Après la vie en couple, l’isolement résidentiel est donc progressivement devenu le stylede vie le plus courant chez les anciens : 26,5% des 60 ans et plus habitent seuls, mais 35,4%des femmes et 14% des hommes. De plus, avec l’avance en âge, l’isolement résidentielprogresse à vive allure chez les femmes : une sur 4 est concernée à 60-64 ans mais 1 sur 2, 15ans plus tard.Non seulement les femmes sont beaucoup plus souvent veuves mais une fois la perte duconjoint survenue, vivre seul semble moins les rebuter (plus de 72% des veuves de 70-79 ans,par exemple, sont isolées contre moins de 66% de leurs homologues masculins).Conséquence de la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes, les hommes seretrouvent certainement plus désemparés face au quotidien et sont moins capables de faireface à la vie en solitaire.- 78 -


VIEILLIR AU FÉMININFigure 4Vivre seul en 1990 : 14% des hommes de 60 ans et plus, 35,4% des femmes6050403020100%FemmesHommesAges60-64 65-69 70-74 75-79 80-84 85-89 90 et +Ce n’est que passé 85 ans que la proportion d’isolées baisse chez les femmes (50% à85-89 ans contre 39% à 90 ans et plus) en restant toutefois nettement plus élevée que chez leshommes (31% des hommes de 90 ans et plus). Il faut dire qu’à partir de cet âge les limitationsde l’autonomie deviennent sévères et se manifestent de façon un peu plus accusée pour lesfemmes. Les femmes, veuves dans plus de 80% des cas, (alors qu’un homme sur deux est,rappelons le, en couple) entrent alors massivement en institution (22%) ou sont prises encharge par la famille (26%). La figure 5 illustre clairement ce contraste entre destinsmasculins et féminins.Un peu hâtivement parfois, on porte un regard négatif sur la distance résidentielle priseentre les générations, l’individualisme croissant de notre société expliquerait les forts tauxd’isolement des personnes âgées. Mais séparation des lieux de vie ne signifie bienévidemment pas absence de contacts et la cohabitation multigénérationnelle d’autrefois,souvent idéalisée, n’était pas nécessairement le reflet d’un choix.La raréfaction de ce mode de vie est en grande partie liée à la diminution progressivedes entreprises familiales (ce sont les anciens agriculteurs qui aujourd'hui encore, optent leplus, pour ce mode de vie avec des proches) à l’urbanisation et la montée du salariat. Parailleurs, l’on sait qu’outre la dégradation de l’état de santé, la précarité économique despersonnes âgées est souvent à l’origine de la prise en charge familiale 8 . Or, durant lesdernières décennies, les conditions de vie des anciens se sont considérablement améliorées,évolution facilitant leur indépendance. Leurs logements se sont nettement modernisés et leurs8 G. Canceill, 1989, « Ressources et niveau de vie des personnes âgées », Economie et statistiques, n°222.- 79 -


J. GAYMUressources financières ont progressé de manière spectaculaire 9 . Aujourd’hui, par exemple, lessolidarités financières entre les générations ne s’exercent guère plus des enfants vers leursparents âgés mais en sens inverse : au cours des dernières années, environ un tiers despersonnes âgées ont déclaré avoir donné ou prêté de l’argent à leurs descendants,principalement en ligne directe 10 . Mais sur ces aspects économiques, la plus grande précaritédes femmes est indéniable, comme nous le verrons dans la section suivante.Figure 5Les situations familiales des hommes et des femmes5,8COHABITATION(hors couple)3,1EN INSTITUTIONCOHABITATION(hors couple)5,4EN INSTITUTION13,8VIVANT SEUL14EN COUPLEEN COUPLE77VIVANT SEULE45,335,5HOMMES DE 60 ANS ET PLUSFEMMES de 60 ANS ET PLUS12,1EN INSTITUTIONEN INSTITUTION7,8EN COUPLECOHABITATION(hors couple)2214,5VIVANT SEULEN COUPLE46,8COHABITATION(hors couple)VIVANT SEULE44,726,625,6HOMMES DE 85 ANS ET PLUSFEMMES DE 85 ANS ET PLUSSource : recensement de 19909 Parmi les autres facteurs contribuant à leur autonomie de vie, citons l’amélioration de leur état de santé à âge donné et ledéveloppement de la politique de maintien à domicile (plus d’un demi million de personnes âgées par exemple,bénéficient d'une aide ménagère) .- 80 -


VIEILLIR AU FÉMININCette plus grande autonomie socio-économique, permet aux anciens, le veuvage venu,de rester dans leur domicile plus longtemps et notamment de différer l’entrée en institution.La désaffection pour l’institutionnalisation est nette au début de la retraite et l’âge d’entréen’a cessé de reculer au cours des dernières décennies : fin 1998, il s’élevait à 79 ans pour leshommes et 84 ans pour les femmes 11 .Toutefois, derrière cette évolution extrêmement positive, car les personnes âgéesmanifestent un très fort attachement à leur logement, souvent lieu de souvenirs de toute unevie, existent de réelles situations de détresse : pour nombre de personnes âgées, vivre seulrime avec isolement social. Ainsi 7,1% des veuves de 60 ans et plus vivant seules – soit prèsde 50 000 femmes -, 23% des célibataires et divorcées – soit plus de 20 000 femmes- (contre18,6% de l’ensemble des hommes sans conjoint, soit un effectif total de 30 000 ) sont trèsisolées en ce sens qu’elles ne participent à aucune activité collective, ne séjournent pas chezdes amis ou des parents, n’ont pas de contact personnel ou téléphonique avec leur famille oubien des amis, ne fréquentent pas leurs voisins 12 . Le degré d’isolement social progresse avecl’âge alors même que la fragilité des individus se fait plus forte du fait de la dégradation del’état de santé : 10% des 80 ans et plus vivant à domicile cumulent à la fois dépendancephysique et fort isolement, 31% ne sont pas autonomes sur le plan domestique en étant toutaussi isolées.Du fait de leur plus longue durée de vie, ce sont essentiellement les femmes qui sontconcernées par ce cumul de handicaps (seuls 20% des 2 millions de personnes de 80 ans etplus vivant à domicile, sont des hommes). Certes les femmes vivent plus longtemps mais letribut payé semble lourd. Sans nul doute, cette sous population particulièrement fragilisée parun état de santé précaire et un environnement social restreint devrait faire l’objet d’uneattention toute particulière de la part des pouvoirs publics.10 C. Gissot, 1992, « Les personnes âgées apportent aujourd’hui une aide non négligeable à leurs descendants », CERC,Notes et graphiques n°18.11 P. Mormiche, 1999, « Les personnes dépendantes en institution », INSEE Première, n° 669.12 M. G. David, C. Starzec, 1996, « Aisance à 60 ans, dépendance et isolement à 80 ans », INSEE Première, n°447.- 81 -


J. GAYMULes retraites des femmes : moins de 60% de celles des hommesEn 1997, les femmes de 60 ans et plus recevaient une retraite mensuelle inférieure de43% à celle des hommes, soit respectivement 5034 F contre 8805 F 13 .Les différences de durée de carrières sont ici sous-jacentes, la naissance et l’éducationdes enfants ayant conduit nombre de femmes à interrompre plus ou moins précocement leuractivité professionnelle : chez les 60 ans et plus, une veuve sur 4 n’a jamais travaillé et neperçoit donc qu’une pension de réversion. En moyenne, les carrières féminines ont duré 11ans de moins que celles des hommes et seules 39% des femmes ont eu une carrière complète(85% des hommes). Dans ce cas, naturellement, leur situation économique se rapproche decelle des hommes mais l’écart reste important : leur retraite est inférieure de 30% à celle deshommes (soit 6665 francs contre 9333 francs) 14 . Il faut voir là l’effet de la moindrequalification professionnelle des femmes et de leurs revenus d’activité inférieurs à conditiond’emploi comparable 15 .Conséquence de la plus grande variabilité des parcours professionnels des femmes, ladispersion de leurs retraites est beaucoup plus forte que celle des hommes : certes, 10% desfemmes disposent de plus de 9625 F mensuels mais, à l’autre extrême, 10% reçoivent moinsde 1368 F, soit un montant 7 fois moindre (chez les hommes, ces bornes s’élèventrespectivement à 14798 et 3518, soit un rapport de 1 à 4,2). Certes, aujourd’hui, les retraitésbénéficient, en moyenne, d’un revenu comparable à celui des actifs mais des poches depauvreté subsistent au sein de la population âgée : les femmes très âgées sont les principalesconcernées.Le tableau ci dessous, qui prend en compte l’ensemble des ressources des 60 ans etplus, en témoigne 16 .En règle générale, le niveau de vie est plus élevé dans les ménages les plus jeunes, lesgénérations qui abordent aux rives de la retraite ayant eu des carrières plus qualifiées et plus13 O. Dangerfield, D. Prangère, 1998, « Les retraites en 1997 : 6800F par mois pour les retraités de 60 ans ou plus»,Solidarité, Santé, n°1.14 O. Dangerfield, D. Prangère, 1999, « Les retraites », Données Sociales, INSEE.15 Ainsi, par exemple, dans ces générations, 30% des femmes ont été aides familiales d’indépendants : même avec unecarrière complète, les pensionnées du régime agricole, ne touchent que 1722 francs par mois contre 3041 francs pour leshommes qui dans le même temps cotisaient comme chef d’exploitant. op. cité note 12.16 Op. cit., note 10.- 82 -


VIEILLIR AU FÉMININlongues que celles de leurs aînés. L’exemple des femmes célibataires et divorcées vivantseules est à ce titre explicite : âgées de 60-64 ans ou de 80 ans et plus, elles disposent d’unrevenu supérieur de 26% ou inférieur de 16% à celui de l’ensemble des 60 ans et plus. Si unrattrapage entre hommes et femmes semble s’amorcer dans les générations récentes deretraités, chez les 80 ans et plus, le désavantage des femmes est criant : quelle que soit leursituation (hors couple), leur revenu disponible est inférieur de 16% à celui de l’ensemble des60 ans et plus.Tableau 1 - Revenu des plus de 60 ans, selon le sexe, l'âge et la situation familialeindice 100= revenu disponible par unité de consommation des 60 ans et plus60-64 ans 65-69 ans 70-74 ans 75-79 ans 80ans et + 60 ans et +Couples avec enfants à charge 82,9 81,6 - - - 83,9Couples vivant seuls 104 109,1 106,3 97,6 92,9 103,5Hommes vivant seuls 120,8 115,5 115,3 116,9 108,2 114,5Veuves vivant seules 107,2 109,5 105,7 95,9 84,9 96,5Veuves cohabitantes 84,8 92,1 71,6 85,6 84,1 84,5Célib, divorcées vivant seules 126,2 96,3 101,8 96 83,9 99,1Ensemble des 60 ans et + 102,2 106,5 103 98 90,2 100Source : Enquête CERC 1990En outre, si les couples vivant seul ont un niveau de vie comparable à la moyenne, laretraite de l’épouse ne constitue guère que 19% du revenu du ménage. On a là une autreillustration de la fragilité de la situation économique des femmes et de leur vulnérabilitéfinancière lorsque survient la fatalité du veuvage.Dans les futures générations de retraités, les parcours professionnels des femmes serontplus proches de ceux des hommes, en termes de durée de carrière comme de qualification.Les couples où chacun disposera d’une retraite vont donc se multiplier mais, le jour où laplupart des femmes auront effectué une carrière complète leur permettant de bénéficier d’uneretraite à taux plein est encore fort lointain : moins de la moitié des femmes qui aborderontles rives de la retraites en 2010 (les 40-44 ans de 1990) seront dans ce cas 17 comme le tableauci dessous en atteste.17 A supposer qu’elles continuent à travailler jusqu'à 60 ans.- 83 -


J. GAYMUTableau 2 - Proportions de femmes ayant eu une carrière continue ou discontinueet n’ayant jamais travaillé selon l’âge en 1990.activité activité discontinue n'a jamaiscontinue total dt arrêt précoce* travaillé40-44 ans 49,7 43,6 10,9 6,845-49 ans 44,5 46,8 10,6 8,650-54 ans 38,5 49,7 11,6 11,855-59 ans 28,3 56,7 11,9 1560-64 ans 11 72,2 11,7 16,8* lors du mariage ou de la naissance d'un enfantSource : enquête famille 1990A l’autre extrême, près de 18% n’auront jamais travaillé ou se seront arrêtées trèsprécocement. Autant donc de femmes qui n’auront pratiquement aucun droit propre etresteront à la mort de leur mari totalement tributaires d’une pension de réversion. Certes parrapport à celles d’aujourd’hui (seules 11% des 60-64 ans ont eu une carrière continue, 28,5%n’ont jamais ou presque travaillé), les femmes de demain seront moins désavantagées entermes de revenus mais le décalage entre hommes et femmes perdurera longtemps encore.La même tendance à l’homogénéisation s’observe en termes de qualificationprofessionnelle. Au fil des générations - des 50-54 ans de 1982 et de 90, soit certains retraitésactuels, aux 40-49 ans d’aujourd’hui, soit une fraction des retraités de demain -, la populationdes cadres et des professions intermédiaires se féminise (figure 6). Mais la dominantemasculine des professions les plus qualifiées reste flagrante : aujourd’hui, chez les 40-49 ansseuls 34% des cadres sont des femmes (alors que plus de 45% des actifs de cette tranched’âge sont des femmes). Ces différences de niveaux de revenus durant la vie active serépercuteront naturellement sur le montant des retraites ; longtemps encore donc prévaudra ledésavantage économique des femmes.- 84 -


VIEILLIR AU FÉMININFigure 6La population des cadres et des professions intermédiaires se féminise1008060% de femmes50-54 ans en 8250-54 en 9040-49 ans en 9940200agriculteurs artisans… cadres prof. Inter. employés ouvriers ensembleLe maintien à domicile : une histoire de femmesPlus l’âge augmente et plus le maintien à domicile nécessite un soutien. Du fait de leursurnombre, de leur plus fort isolement et parce qu’aux grands âges, elles déclarent plussouvent des incapacités que les hommes, les femmes sont les principales bénéficiaires del’aide à domicile (tableau 3).Tableau 3 - Restrictions d'activité parmi les personnes vivant à domicile65-74 ans 75-84 ans 85 ans et plusHommes Femmes Hommes Femmes Hommes FemmesConfinement au lit ou au fauteuil2,3 1,2 2,5 3,8 6,5 7Ne peut pas ou avec beaucoup de difficulté se nourrir seul(e)1,3 0,9 3,4 3,3 11 13,9Ne peut pas ou avec beaucoup de difficulté préparer ses repas seul(e)1,9 1 2,9 4,5 8,5 15,8Ne peut pas ou avec beaucoup de difficulté faire sa toilette seul(e)3,3 1,9 7 7,4 17,3 18,4Ne peut pas ou avec beaucoup de difficulté s'habiller seul(e)5,2 2,9 7,6 8,6 15,1 21,2Ne peut pas ou avec beaucoup de difficulté monter ou descendre un étage d'escalier d'une traite13,9 16,3 17,8 30,1 19,6 43,1Source : enquête sur la santé et les soins médicaux 1991-1992Mais elles en sont aussi les principales pourvoyeuses : au sein de la famille ce sontessentiellement les femmes (épouses, filles et belles-filles) qui se mobilisent. Par exemple,- 85 -


J. GAYMUparmi l’ensemble des enfants qui aident leurs parents (à titre principal ou secondaire), lesfilles représentent 63% des aidants, les belles-filles 9% et les fils 29% 18 . De même, lorsquel’aide est professionnelle, elle est presque exclusivement effectuée par des femmes 19 .Plus généralement, les femmes sont le pilier essentiel de la solidarité, tant morale quematérielle, qui unit les diverses générations : soutien financier et garde des petits-enfants sontles principales aides fournies par les parents (par exemple, près de la moitié des personnesâgées ayant des petits-enfants ou arrière petits-enfants les garde plus ou moins fréquemment),les enfants leur rendant surtout des services (courses, ménage…).A l’heure actuelle, un fort consensus social existe autour de l’idée que les enfants ontl’obligation morale de porter secours à leurs parents : 72% des Français considèrent que c’estaux enfants de s’occuper de leurs parents âgés dans le besoin. Et même lorsque la dépendancesévit, 49% pensent que c’est principalement à la famille d’y faire face 20 . Les faits montrentqu’elles assument pleinement ce devoir de solidarité car, confrontées à ces problèmes, ellessont très nombreuses à se mobiliser : 53% des personnes sévèrement dépendantes (confinéesau lit ou au fauteuil ou aidées pour la toilette ou l’habillage) non institutionnalisées 21 sontaidées exclusivement par leurs proches, 30% supplémentaires étant soutenus à la fois par leurfamille et des professionnels 22 .Cette très forte implication des familles peut surprendre dans une société oùl’individualisme est réputé très prégnant ; subsistera-t-elle dans l’avenir ?Demain, les femmes devraient être moins disponibles du fait de leur plus forteparticipation au marché du travail. Mais la survenue des difficultés liées au grand âge desparents sera certainement plus tardive - l’évolution passée étant à la diminution desincapacités à âge donné et on peut légitimement s’attendre à la poursuite de cette tendance 23 –18 S. Renaut, A. Rozenkier, 1995, « Les familles à l’épreuve de la dépendance » in Générations, Familles, Etat, C. AttiasDonfut, Nathan.19 A. Jourdain, C. Martin, 1999, « De quoi dépend la dépendance ? » in Les cahiers de sociologie et de démographiemédicales, n°2-3.20 G. Hatchuel, 1995, « La dépendance des personnes âgées », Info rapides, CREDOC, n°66.21 Environ un tiers des personnes âgées dépendantes vivent en institution.22 P. Breuil-Genier, 1998, « Aides aux personnes âgées dépendantes : la famille intervient plus que les professionnels »,Economie et Statistiques, n° 316-317.23 La multiplication, ces dernières années, des situations d’exclusion sociale pouvant la freiner quelque peu.- 86 -


VIEILLIR AU FÉMININet une fraction importante des femmes auront alors quitté le monde professionnel 24 .Toutefois, appartenant à des couples plus égalitaires, ayant trouvé leur identité dans d’autrespôles que le rôle familial, s’étant plus impliquées dans les loisirs, ..., les femmes de demainaccepteront-elles les contraintes imposées par la dépendance de leurs parents et beaux parents? D’autant plus que pour beaucoup, la retraite est synonyme de liberté retrouvée etd’épanouissement personnel. La multiplication des ruptures d’union (à l’heure actuelle seuls5% des 60 ans et plus sont divorcés cette proportion pourrait tripler dans l’avenir), tant àl’échelon des parents que des enfants, apporte un autre bémol car nombre d’enquêtes 25 ontmontré que les divorcés reçoivent (surtout côté masculin) et apportent moins d’assistance.En outre, une double interrogation se pose en ce qui concerne les aides professionnelles.Si sans nul doute, du fait du renouvellement des générations, les retraités de demain, et, enparticulier, comme nous l’avons vu, les femmes retraitées, seront plus riches que ceux (celles)d’aujourd’hui, l’incertitude reste totale en ce qui concerne les modalités futures dufinancement des retraites. La position relative des aînés vis-à-vis des actifs en termes derevenus et par là-même leur capacité financière à faire appel aux aides professionnelles est enjeu. De plus, si dans ce domaine, durant les dernières décennies il y a eu une réelle volontépolitique d’assistance, devant l’ampleur du coût de la protection sociale, cette solidaritécollective ne risque-t-elle pas de s’effriter quelque peu ?Le vécu de l’isolement s’en trouverait alors changé du tout au tout.Dans l’avenir, du fait du renouvellement des générations, on peut s’attendre à uneamélioration des conditions de vie des femmes retraitées. Ayant acquis plus d’ouverture surl’extérieur grâce à leur participation accrue au monde du travail, plus indépendantes sur leplan financier (mais également, par exemple, en termes de moyen de locomotion, songeonsqu’aujourd’hui seules 30% des femmes de 65 ans et plus ont le permis de conduire !) lesretraitées de demain seront, certainement, mieux intégrées socialement, plus à même de faireface au veuvage. On peut, notamment, s’attendre à leur participation croissante dans l’universdes loisirs et de la consommation. Les aînés s’investissent, en effet, de plus en plus dans cedomaine - à peine plus de 30% des 60-70 ans partaient en vacances en 1970, ils sont 55%24 Même si la nouvelle législation modifiant les droits à la retraite conduit à un certain recul de l’âge de cessation d’activité.25 C. Attias-Donfut, 1990, in Les solidarités entre les générations, coll. Essais et Recherches, édition Nathan, 1995, 352 p. ;T.Cooney et P. Uhlenberg « The role of divorce in men’s relations with adult children after mid-life » , Journal ofMarriage and the Family, 52 : 677-88 ; C. Delbès et J. Gaymu, 1999, La retraite, 15 ans après, Rapport à diffusionrestreinte, Fondation Nationale de Gérontologie.- 87 -


J. GAYMUaujourd’hui et les retraités représentent 37% de la clientèle des voyages organisés - et, selontoute vraisemblance, cette tendance devrait se poursuivre avec l’arrivée à la retraite desgénérations du Baby Boom, nées avec la société des loisirs.Toutefois, certaines particularités joueront pour longtemps encore en défaveur desfemmes. En effet, au cours de ce périple au cœur des vieillesses féminines et masculines, lamortalité différentielle nous est apparue comme dessinant des destins de vie radicalementdifférents : la plus faible mortalité des femmes ayant pour revers veuvage et solitude. Et, lejour où cette inégalité devant la mort s’effacera pour conduire hommes et femmes à vivreensemble leur vieillesse semble fort lointain.En outre, la morbidité (les femmes très âgées sont plus souvent handicapées),l’économie (les femmes vivent dans une plus grande précarité économique) conjuguent etconjugueront encore, au moins dans un proche avenir, leurs effets dans le sens d’un cumul dedésavantages.POUR EN SAVOIR PLUSP. BREUIL-GENIER, 1998, « Aides aux personnes âgées dépendantes : la familleintervient plus que les professionnels », Economie et Statistiques, n° 316-317O. DANGERFIELD, D. PRANGERE, 1999, « Les retraites », Données Sociales,INSEE,M.G. DAVID, C. STARZEC, avril 1996, « Aisance à 60 ans, dépendance et isolementà 80 ans », INSEE Première, n°447.Gérontologie et Société, « Données Sociales et Economiques sur la vieillesse,Fondation Nationale Gérontologie , n° 71, 1994, 279 p.- 88 -


La répartition du travail domestique entre hommes et femmesCécile BROUSSE Insee, Division Etudes socialesEn 1999, les deux tiers du travail domestique sont effectués par les femmes (tableau 1).Ainsi, les hommes en couple consacrent, en moyenne, chaque jour, 2 heures et demie auxtravaux domestiques et les femmes 5 heures. Si on s'en tient à une notion plus restrictive, le« noyau dur » de la production domestique (courses, cuisine, vaisselle, linge, soins matérielsaux enfants), 80 % de la production domestique est effectué par les femmes 1 . L'engagementprofessionnel des hommes ne suffit pas à rééquilibrer cette répartition inégalitaire des tâchesdomestiques. En agrégeant les volumes de travail professionnel et domestique, on constateque les femmes en couple travaillent chaque jour au total une demi-heure de plus que leshommes. Notons, par ailleurs, que le travail domestique est moins valorisé que le travailprofessionnel : privé et invisible, il s'oppose au travail rémunéré et socialisé.Comment les couples se partagent-ils les différentes tâches domestiques ? La présenced'enfants modifie-t-elle les règles de répartition ? L'organisation du travail domestique dansles couples s'est-elle transformée depuis 1986 ? Les hommes se sont-ils rapprochés desfemmes par leur pratique domestique ? Les données des deux enquêtes Emploi du tempsréalisées par l'Insee en 1986 et en 1999 permettent d'apporter des éléments de réponse 2 .L'ensemble des personnes interrogées l'une ou l'autre des deux années devait en effet décrireavec précision leurs activités pendant 24 heures, par tranches de 5 ou de 10 minutes (voirencadré). Sont considérés ici comme domestiques tous les travaux qui concourent à l'entretienet au bien-être des membres du ménage et sont exercés sans contrepartie monétaire.Tout d'abord, les tâches qui incombent aux hommes et celles qui reviennent auxfemmes ne sont pas équivalentes du point de vue des désagréments qu'elles causent, de lasatisfaction qu'elles procurent et enfin des contraintes et des responsabilités qu'ellesimpliquent. On peut distinguer des activités principalement effectuées par les femmes (lesactivités « à dominante féminine » c'est-à-dire dont plus de 60 % de la réalisation est assuréepar les femmes), d'autres majoritairement réalisées par les hommes (les activités « à1 M. Glaude, 1999, « L'égalité entre femmes et hommes : où en sommes-nous ? » dans Egalité entre femmes et hommes :aspects économiques, Rapport du conseil d'analyse économique », La Documentation française.2 E. Maurin, 1989, « Les emplois du temps des Français - Types de pratiques quotidiennes, types de journées etdéterminants sociaux de la vie quotidienne », Economie et statistique, Insee, n°324-325.


C. BROUSSEdominante masculine », prises en charge à plus de 60 % par les hommes) et enfin cellesauxquelles les hommes et les femmes participent avec une intensité sensiblement égale (lesactivités « mixtes »). Préparer les repas, faire la vaisselle, le ménage, nettoyer et repasser lelinge, s'occuper des enfants et des autres membres du ménage sont des activités à dominanteféminine. Faire les courses, prendre en charge les démarches administratives, les comptes duménage, l'éducation des enfants sont les principales activités mixtes. Enfin, le bricolage et lejardinage constituent l'essentiel des activités à dominante masculine. À la différence destâches à dominante masculine, les tâches à dominante féminine sont plus souvent répétéestous les jours de la semaine. Elles aboutissent plus rarement que les tâches à dominantemasculine à la réalisation d'objets durables 3 . Les activités à dominante féminine sont plusfréquemment considérées comme des tâches pénibles, par les hommes comme par lesfemmes. Ainsi, les tâches ménagères qui causent le plus d'insatisfaction sont d'abord lerepassage (une corvée pour 40 % des personnes qui le pratiquent), le ménage et la vaisselle(30 %), les courses (21 %), vient ensuite la cuisine (13 %).Tableau 1 - Evolution des temps sociaux entre 1986 et 1999En minutespar jourActivités Homme Femme Part des hommes1986 1999 1986 1999 1986 1999Sommeil, repas, toilette 719 719 737 734 49,4 49,5Travail professionnel, 256 227 146 143 63,6 61,4Travail domestique 131 142 280 260 32,0 35,4Loisirs 210 235 165 197 56,0 54,4Sociabilité 56 57 60 56 48,1 50,7Trajets 68 60 52 50 56,5 54,4Champ : ensemble des individus de 15 ans ou plus.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1986 et 1999.Par contre, le bricolage et le jardinage sont considérés comme des tâches ingrates parseulement 5 % des personnes qui les pratiquent.3 P. Bourdieu, 1990, « La domination masculine », Actes de la recherche en sciences sociales, n°84.- 90 -


TRAVAIL DOMESTIQUELa vie en couple opère une spécialisation des rôles...Le temps consacré au travail domestique et la nature des tâches qui le composentdiffèrent pour les hommes et les femmes, qu'ils vivent seuls ou en couple. Mais ces écartss'accentuent à l'intérieur de l'institution conjugale. Les hommes et les femmes seuls de moinsde 60 ans présentent des différences relativement faibles quant au volume de tempsdomestique. Ainsi, on observe que les hommes seuls y consacrent chaque jour 2 heures 13 etles femmes seules, 2 heures 48, ce qui représente une différence de 35 minutes (tableau 2).Typede ménageTableau 2 - Temps moyen consacré aux activités domestiquesselon la composition du ménage (1999)Activitésà dominanteféminineActivitésmixtesActivitésà dominantemasculineEn minutes par jourEnsemble des activitésdomestiquesHomme Femme Homme Femme Homme Femme Homme Femme EnsemblePersonne seule :- sans enfant 62 99 46 55 25 14 133 168 149- avec un enfant ouplus âgé (s) de 3 ans ouplus- avec au moins unenfant âgé de moins de3 ansPersonnes en couple :ns 188 ns 67 ns 9 ns 264 264ns 276 ns 123 ns 29 ns 427 427- sans enfant 37 175 40 55 53 22 129 252 194- avec enfant (s), tousâgés de 3 ans ou plus :1 enfant2 enfants3 enfants- avec enfant (s), dontau moins un âgé demoins de 3 ans :1 enfant2 enfants3 enfants373938766354207217279280332353453843445553606267566157Total 46 203 43 60 51 15 140 278 211ns : effectif trop faible pour apporter des résultats significatifsChamp : ensemble des personnes âgées de 15 à 60 ans vivant seule ou en couple.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1999.67586058375612141313710149135140178155163283293358350400420215215250264277292En revanche, les hommes en couple sans enfant ont une pratique des tâchesdomestiques inférieure de deux heures à celle de leurs conjointes. Deux phénomènescontribuent à expliquer l'importance de cet écart. En premier lieu, la sphère domestique fait- 91 -


C. BROUSSEl'objet d'un investissement plus important de la part de personnes vivant en couple que de lapart des personnes seules, davantage tournées vers l'extérieur, particulièrement lorsqu'ellessont jeunes (loisirs et sociabilité tournés pour certains vers la recherche du conjoint). Cesurcroît d'activité est très important au moment de l'installation du couple qui se livre alors àune véritable « fièvre domestique » 4 . Le surplus d'activité domestique chez les personnes encouple sans enfant incombe principalement à la femme. En second lieu, les hommes vivant encouple reportent probablement sur leur partenaire une partie des tâches domestiques. En effet,le temps qu'ils consacrent aux activités à dominante féminine comme la confection des repas,l'entretien du linge, le nettoyage est inférieur de 25 minutes par rapport au temps qu'yconsacrent les hommes seuls (tableau 2).Toutes choses égales par ailleurs, en tenant compte de la composition des populationsconcernées, les hommes seuls consacrent 22 minutes de plus au travail domestique que leshommes en couple sans enfant. À l'inverse, à structure constante, les femmes seuless'investissent 53 minutes de moins dans les activités domestiques par rapport aux femmes quivivent en couple sans enfant.Les mères isolées passent également moins de temps en activités domestiques que lesmères en couple qui exercent une activité professionnelle. Elles obtiennent une participationdes grands enfants plus forte, de l'ordre d'une demi-heure de plus par jour de la part de leursfilles et un peu moins des garçons ; en outre, le week-end, elles n'ont pas la charge des enfantsconfiés à leur père. Enfin, la nécessité pour elles de concilier leur activité professionnelle etl'éducation des enfants les amène peut-être à réduire leur implication dans les tâchesménagères.La vie en couple s'accompagne également d'une plus grande spécialisation des tâchesdomestiques. Les rôles féminins et masculins sont plus différenciés chez les conjoints sansenfant que chez les personnes seules. Un homme seul consacre 47 % de son tempsdomestique aux activités à dominante féminine (linge, vaisselle, cuisine, ménage) contre28 % quand il vit en couple. Symétriquement, la part des activités à dominante masculine(jardinage, bricolage et entretien) est de 19 % chez un homme seul et passe à 41 % chez unhomme en couple.4 J.-C. Kaufmann, 1992, La trame conjugale : analyse du couple par son linge, Paris-Nathan- rééd. Coll. (Pocket-Agora).- 92 -


TRAVAIL DOMESTIQUE... renforcée par la présence d'enfantsLes femmes prennent en charge la plus grande part du travail familial c'est-à-dire destâches domestiques directement liées à la présence d'enfants dans le foyer. Les soins matérielsaux enfants les occupent une demi-heure par jour (contre 7 minutes pour leurs partenaires).Le travail familial comprend également la charge éducative et affective des enfants quireprésente en moyenne10 minutes par jour pour les mères (6 minutes pour les pères). La partqu'on peut attribuer aux enfants dans les activités utiles à l'ensemble de la famille (cuisine,vaisselle, ménage, courses, entretien du linge et couture) n'est pas directement mesurablemais elle fait partie du travail familial. Ces activités occupent les femmes en couple 4 heures,les hommes 1 heure (tableau 3).Tableau 3 Temps moyen consacré aux activités domestiques détailléespar les personnes vivant en couple (1986, 1999)Arrondi en minutes par jourHomme Femme Part des hommes(en %)1986 1999 1986 1999 1986 1999Activités à dominante féminineCouture 0 0 18 9 0,8 1,9Entretien du linge 2 2 37 28 4,6 7,1Ménage 9 11 57 67 14,1 14,5Soins aux enfants et aux 6 7 34 28 14,7 19,8adultesCuisine 14 14 75 69 15,3 16,5Vaisselle 10 8 39 28 20,3 22,4Activités mixtesTotal 41 42 260 229 13,5 15,6Jeux, éducation des5 6 9 10 35,8 36,7enfantsCourses 18 27 28 37 39,7 42,7Soins aux animaux 6 7 4 5 59,7 57,2domestiquesComptes et démarches 6 7 4 5 59,4 56,5Total 35 47 45 57 44,1 45,2Activités à dominante masculineEntretien et divers 10 8 4 3 70,6 71,8Jardinage 25 22 9 9 74,1 70,7Bricolage 33 40 2 5 93,3 89,6Total 67 70 15 17 81,6 80,6Ensemble 143 160 320 303 31,0 34,5Champ : ensemble des individus de 15 ans ou plus vivant en couple.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1986 et 1999.- 93 -


C. BROUSSEQuand les deux conjoints exercent l'un et l'autre une activité professionnelle, laprésence de jeunes enfants et la taille de la famille déterminent largement le temps consacréau travail domestique. Dans les familles où il n'y a pas de jeunes enfants, le temps domestiquecroît proportionnellement au nombre d'enfants : toutes choses égales par ailleurs, par rapportà un couple sans enfant, un couple avec un enfant consacre 40 minutes de plus par jour auxtâches domestiques, un couple avec deux enfants 1 heure 10 de plus, et un couple avec aumoins trois enfants 1 heure 40 de plus. La présence d'au moins un enfant de moins de troisans augmente de trois heures le temps domestique du couple par rapport à un couple sansenfant. On constate par ailleurs que la répartition des tâches est plus inégalitaire quand lesconjoints actifs ont au moins deux enfants : la participation masculine aux tâches domestiquesdiminue alors de l'ordre de 10 %. Cette baisse de la participation masculine est accentuéedans les familles de deux enfants lorsque l'un au moins a moins de 3 ans (-14 %). Nonseulement, le travail domestique croît avec le nombre d'enfants, mais il est également moinsbien partagé entre les conjoints. L'augmentation de la taille de la famille au-delà de deuxenfants peut donc accroître le déséquilibre des tâches dans les couples d'actifs. Les résultatsde l'enquête complémentaire Emploi de 1995 5 montrent de façon symétrique que la présencede jeunes enfants (de moins de 6 ans) diminue la durée de travail professionnel de la femmeet augmente de façon équivalente celle de l'homme. On observe donc une différenciation desrôles masculins et féminins à mesure que la fonction parentale prend de l'importance.Alors que les femmes assument la quasi-totalité du travail familial, les hommessubordonnent leur activité domestique à leur activité professionnelle. Toutes choses égalespar ailleurs, les hommes au foyer, les retraités anciens salariés et les chômeurs consacrentchaque jour aux activités domestiques deux heures et demie de plus que les actifs occupés, lesretraités anciens indépendants trois heures et demie de plus. Chez les femmes, en revanche,cet effet de l'activité professionnelle sur le temps domestique est moins prononcé. Touteschoses égales par ailleurs, on observe en effet que les femmes au chômage, à la retraite ou aufoyer ont un temps de travail domestique supérieur de 1 heure par rapport à celui des femmesactives occupées.L'analyse précédente est renforcée par l'observation des parcours professionnels quimontre également que la réalisation professionnelle des femmes dépend plus que celle des5 J.-D. Fermanian, S. Lagarde, 1998, « Les horaires de travail dans le couple », Economie et statistique, Insee, n°321-322.5 B. Zarca, 1990, « La division du travail domestique », Economie et statistique, Insee, n°228.- 94 -


TRAVAIL DOMESTIQUEhommes des contraintes familiales 6 . Quand elles ne sont pas produites par une pénuried'emploi, les interruptions d'activité professionnelle des femmes résultent souvent del'élargissement de la famille 7 . La présence d'un troisième enfant se conjugue fréquemmentavec une cessation, en général temporaire, de l'activité professionnelle. Par ailleurs, l'abandondu temps plein pour le temps partiel peut être lié à la venue d'un enfant, surtout chez lesfemmes cadres pour qui cette forme d'horaire est plus souvent choisie que subie,contrairement aux ouvrières ou aux employées 8 . Pour les femmes, l'emploi à temps partiel vade pair avec une augmentation du travail domestique. En effet, dans les couples de deuxsalariés, la durée du travail domestique augmente d'une vingtaine de minutes dans le cas où lafemme exerce une activité salariée à temps partiel plutôt qu'à temps plein. Et parallèlement, laparticipation masculine aux tâches ménagères baisse de 11 % quand la femme est à tempspartiel plutôt qu'à temps plein.La répartition du travail domestique dans les couples dépend très largement del'occupation des deux conjoints et plus particulièrement de celle de l'homme.La part masculine dans le travail domestique du couple est de 22 % quand seul l'hommeexerce une activité professionnelle, de 35 % quand les deux conjoints travaillent, de 39 %quand aucun des deux n'exerce un emploi et enfin de 53 % lorsque seule la femme a unemploi. Il apparaît d'une part que les couples de retraités partagent mieux le travaildomestique que les couples de deux actifs et, d'autre part, que la situation des couplesmonoactifs n'est pas symétrique : l'homme au foyer effectue la moitié des tâches domestiquesalors que la femme au foyer en réalise les quatre cinquièmes. Les particularités des hommesau foyer expliquent en partie cet écart.Les contraintes, familiales pour les unes, professionnelles pour les autres, conduisent àune répartition du temps de travail global (domestique et professionnel) et donc du tempslibre très variable selon le statut d'occupation des conjoints. Le temps de travail global desfemmes retraitées vivant en couple est supérieur de 2 heures à celui de leur conjoint, celui desfemmes actives dans les couples de deux actifs, supérieur d'une demi-heure à celui du6 J. Commaille, 1994, « Entre famille et travail, les stratégies des femmes. », Recherches et prévisions, Cnaf, n°36.7 G. Desplanques, 1993, «Activité féminine et vie familiale », Economie et statistique, Insee, n°261. M. Maruani, 1996,« L'emploi féminin à l'ombre du chômage », Actes de la recherche en sciences sociales, n°115.8 J.-D. Fermanian, S. Lagarde, 1998, « Les horaires de travail dans le couple », Economie et statistique, Insee, n°321-322.- 95 -


C. BROUSSEpartenaire. En revanche, les femmes au foyer ont un temps de travail global inférieur d'unedemi-heure à celui de leur partenaire. Le modèle de la femme au foyer peut donc semblerdésavantager l'homme puisque sa part dans le temps contraint du couple est alors plus élevée.Toutefois, la femme au foyer dispose d'une moins grande autonomie matérielle que sonconjoint, et, dans l'hypothèse où l'union est durable, elle compense largement le surplus detemps libre dont elle a bénéficié pendant que son mari travaillait par un surplus de travaildomestique lorsque celui-ci est retraité.Quant aux femmes actives, elles payent leur implication professionnelle par moins detemps libre que les hommes (40 minutes de moins par jour). C'est peut-être une des raisonspour lesquelles les femmes actives se plaignent plus des tâches ménagères que celles qui sontau foyer : 35 % des actives considèrent par exemple que les courses représentent une corvéecontre 24 % des inactives, 40 % des actives déclarent que le ménage courant est une tâcheingrate contre 27 % des inactives. Pour les femmes actives, l'inégalité dans le partage destâches n'est pas compensé par un rééquilibrage des rôles au moment de la retraite.Un partage des tâches au sein du couple qui dépend aussi de la position relative dechacunL'analyse suivante porte sur les couples composés de deux personnes exerçant l'une etl'autre une activité professionnelle. Le partage du travail domestique varie selon le milieusocial des conjoints mais dépend également de la position relative de l'un par rapport à l'autreLes travaux menés à partir de l'enquête de 1986 aboutissaient à des conclusions similaires 9 .Les hommes qui travaillent à leur compte s'impliquent moins que les salariés dans les tâchesdomestiques du couple. À structure constante, la part des hommes indépendants dans letravail domestique est d'un quart moins élevée que celle des salariés à plein temps.Ce résultat n'implique pas que les femmes d'indépendants s'engagent plus que lesfemmes de salariés dans les activités domestiques, notamment si elles sont elles-mêmesindépendantes. En effet, on observe, toutes choses égales par ailleurs, que le travaildomestique occupe une heure de moins chaque jour les couples comprenant un hommeindépendant plutôt que salarié. Par contre, le temps professionnel des indépendants est demanière générale largement plus élevé que celui des salariés. Toutefois, on remarque que ces9 B. Zarca, 1990, « La division du travail domestique », Economie et statistique, Insee, n°228.- 96 -


TRAVAIL DOMESTIQUEdifférences en matière de travail domestique s'atténuent au moment de la retraite, le bricolagetenant une place très importante chez les retraités ayant auparavant travaillé à leur compte.Parallèlement, on note que les activités domestiques sont réduites de 40 minutes dans uncouple où la femme travaille comme indépendante et non comme salariée.Ce faible investissement domestique chez les indépendants et la forte spécialisation desconjoints s'expliquent en partie par la recherche d'une efficacité collective du couple et doncpar un arbitrage entre deux types de travaux, le travail dans l'unité domestique et le travaildans l'entreprise familiale. Mais on peut également <strong>propos</strong>er une interprétation en termes denégociation et de position de pouvoir dans le couple : plus une femme est autonome parrapport à son conjoint, moins elle s'implique dans les tâches ménagères. Une femme dont leconjoint est salarié doit sa position sociale à la profession qu'elle exerce, plutôt qu'au statut deson conjoint. Elle bénéficie donc d'une indépendance suffisante pour s'affranchir d'un certainnombre de tâches domestiques. En revanche, une femme dont le conjoint est indépendant sedéfinit davantage par le statut social de celui-ci et ceci d'autant plus qu'elle travaille ellemêmedans l'entreprise familiale. En situation de dépendance par rapport à son conjoint, elleassume alors la quasi-totalité du travail domestique.Indépendamment des temps domestiques globaux, le contenu des pratiques domestiquesest très marqué par la catégorie sociale d'appartenance. Le temps domestique des hommescadres ou membres des professions intellectuelles supérieures se partage de façon égale entreles activités à dominante féminine, mixte et masculine. À l'opposé, chez les agriculteursexploitants, les activités à dominante masculine constituent les deux tiers du travaildomestique, les activités à dominante féminine, un dixième. Chez les femmes, les différencessociales sont moins accentuées. On note toutefois que les femmes cadres ou membres desprofessions libérales consacrent un quart de leur temps aux activités mixtes (principalementconstituées des courses) contre un sixième chez les femmes appartenant aux catégoriesd'agricultrices et d'artisans, commerçantes ou chefs d'entreprise. En outre, les agricultricesexploitantes se distinguent en consacrant une part relativement importante de leur temps auxactivités à dominante masculine (11 %) notamment par la pratique du jardinage. Lesdifférences sont encore plus marquées si l'on considère les activités détaillées : le repassage,par exemple, est pratiqué au moins une fois par mois par 15 % des hommes salariés dont laconjointe est elle-même salariée, et par 1 % des indépendants dont la conjointe estindépendante (tableau 4).- 97 -


C. BROUSSETableau 4 - Contributions mensuelles des hommes à différentes activités domestiques (1999)En %Part des hommes en couple ayant exercé au moins une fois l'activité dans le moisCourses Cuisine Cuisine de Vaisselle Ménage Repassage Bricolage Jardinageordinaire réceptioncourantHomme indépendant 39 27 8 25 10 01 63 44Femme indépendantHomme indépendant 52 42 14 38 23 08 65 37Femme salariéeHomme salarié 72 48 10 57 40 9 86 56Femme indépendanteHomme salarié 77 55 21 59 48 15 77 42Femme salariéeTotal 72 51 19 55 43 13 75 42Champ : ensemble des individus de 15 ans ou plus vivant en couple.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1999.L'analyse du rapport entre le niveau de diplôme des conjoints et la répartition des tâchesménagères corrobore les interprétations précédentes. Les femmes qui ont achevé des étudesdans l'enseignement supérieur négocient une collaboration importante de la part de leurconjoint ce qui leur permet de prendre de la distance à l'égard des tâches domestiques. Dansles couples où la femme a un niveau de diplôme élevé, la répartition des tâches domestiquesest plus équilibrée. Toutes choses égales par ailleurs, les hommes augmentent de 12 % leurcollaboration au travail ménager du couple quand ils vivent avec une femme qui a un niveaud'étude supérieur à deux années après le baccalauréat.Le revenu global du ménage a aussi un effet sur la répartition du travail domestiqueentre les conjoints. Les couples les plus inégalitaires en matière de partage des tâches sesituent en haut de l'échelle des revenus. Ainsi, dans les couples qui ont un revenu mensuelsupérieur à 35 000 francs, la part du travail masculin est de 17 % moins élevée que dans lescouples dotés d'un revenu compris entre 10 000 et 14 000 francs par mois. Notons que cedéséquilibre dans la répartition des tâches porte sur une charge domestique réduite puisquepour ces couples aisés la durée du travail domestique est plus faible d'une heure et demie. Cescouples recourent à des substituts marchands pour une part importante des tâchesdomestiques exceptées celles qui procurent des bénéfices symboliques ou pour lesquelles lessubstituts marchands n'existent pas comme les soins et l'éducation des enfants, ces tâchesétant parmi les plus féminines.Les hommes se distinguent des femmes par une charge domestique faible, maiségalement par des rythmes hebdomadaires particuliers. Leur activité domestique est- 98 -


TRAVAIL DOMESTIQUEconcentrée le week-end, principalement le samedi. Ces différences dans l'organisationhebdomadaire du travail domestique recoupent en partie le clivage entre les activités àdominante féminine, mixte et masculine : les hommes privilégient les activités qui peuvents'apparenter aux loisirs, comme le bricolage ou le jardinage, et qui ne sont pas essentiels àl'entretien quotidien des membres du ménage. Le samedi est le jour le plus égalitaire de lasemaine, les activités mixtes étant plus fréquentes, comme les jeux avec les enfants, ou lescourses qui, en quelques années, sont devenues une activité familiale ainsi qu'en témoigne lamultiplication, à la périphérie des villes, de vastes centres commerciaux offrant des servicesde restauration, de loisirs, de garde d'enfants 10 .En 13 ans, les différences sexuelles se réduisent dans tous les domaines d'activités...La réduction des différences sexuelles en matière d'organisation du temps s'observedans tous les domaines, ce mouvement affectant les personnes en couple mais également lesenfants, les personnes seules ou les parents isolés. Ainsi, entre 1986 et 1999, la part deshommes dans le travail domestique est passée de 32 % à 35 %, et leur part dans la sociabilitéde 48 % à 50 %. Parallèlement, la part des femmes est passée de 35 % à 39 % du tempsprofessionnel, de 44 % à 46 % du temps de loisirs et de 43 % à 45 % du temps de trajets11 (tableau 1).Le travail domestique est devenu moins inégalitaire car la baisse du temps domestiqueglobal a résulté de deux mouvements opposés touchant l'ensemble de la population : le tempsque les hommes consacrent un jour moyen aux activités domestiques a crû d'une dizaine deminutes, contrairement à celui des femmes qui s'est réduit d'une vingtaine de minutes. Bienqu'encore très différenciés, les emplois du temps domestique des hommes et des femmes sesont légèrement rapprochés entre 1986 et 1999. De façon complémentaire, on observe chezles hommes, une réduction du temps de travail professionnel d'une demi-heure contre 3minutes seulement chez les femmes, compte tenu de l'augmentation régulière de leurparticipation au marché du travail. Il résulte de ces deux mouvements complémentaires que larépartition entre hommes et femmes du temps consacré au travail en général (domestique etprofessionnel) a très peu évolué depuis 1986. Sur 100 heures de travail en 1986, 47 heures 3610 N. Herpin, D. Verger, 1999, « Consommation : un lent bouleversement de 1979 à 1997 », Economie et statistique, Insee,n°324-325.11 F. Dumontier, J.-L. Pan Ke Son, 1999, « De 1986 à 1999, évolution des activités d'une journée moyenne », InseePremière, Insee, n°???.- 99 -


C. BROUSSEsont effectuées par les hommes et 52 heures 24 par les femmes contre 47 heures 48 par leshommes et 52 heures 12 par les femmes en 1999. En revanche entre ces deux dates, lacomposition du travail s'est quelque peu modifiée : la part du travail domestique dans letravail dans son ensemble a baissé pour les femmes passant de 66 % à 65 % et a augmentépour les hommes de 34 % à 39 %.... le travail domestique change de nature...Le travail domestique change de nature comme l'attestent les bouleversements observésdans le mode de consommation 12 . Sur la période considérée, la part du temps consacré auxachats de biens et services s'est accru considérablement tandis que la production domestiquetraditionnelle a diminué, et avec elle, la part de travail manuel. Ainsi, la consommation deproduits naturels et d'aliments de base a stagné (sel, beurre, farine, oeufs) ou diminué(légumes frais). Les ventes de fils à coudre, de laine, de dentelles, de broderie et d'étoffes ontdécru, les prix relatifs de ces inputs augmentant plus rapidement que le prix des articles deconfection. En revanche, la consommation de légumes en boîte ou congelés, de plats cuisinés,d'aliments pour bébés a augmenté de façon très importante. Parallèlement, leperfectionnement des appareils ménagers a réduit le temps nécessaire à la production desbiens domestiques. D'autres activités, en revanche, ont pris davantage d'importance comme leménage, où les gains de productivité ont été faibles et les exigences peut-être croissantes, ouencore le bricolage dont la composante loisir n'est pas négligeable. Les achats de produitssemi-ouvrés facilitant le bricolage ont d'ailleurs connu une forte augmentation.... ce qui rend le partage des tâches domestique entre conjoints un peu plus égalitaire...De 1986 à 1999, le temps de travail domestique des couples est resté constant : celuides femmes a diminué de 17 minutes tandis que celui des hommes augmentait d'autant 13(tableau 3). Son partage au sein des couples a donc évolué dans le sens d'un rééquilibrage,même si la division des tâches reste marquée. La part qu'y consacrent les hommes est passéede 31 % à 34,5 %. Cette atténuation des différences se manifeste également sur le plan12 N. Herpin, D. Verger, 1999, « Consommation : un lent bouleversement de 1979 à 1997 », Economie et statistique, Insee,n°324-325.13 La différence entre ces chiffres relatifs aux couples et ceux présentés pour l’ensemble des personnes de 15 ans et pluss’explique pour partie par la partie par la part importante de femmes seules inactives et âgées plus fortement touchées parla réduction du temps domestique.- 100 -


TRAVAIL DOMESTIQUEqualitatif, la distinction entre les tâches à dominante masculine et féminine étant légèrementmoins accentuée.Les personnes vivant en couple ont connu des évolutions semblables à celles del'ensemble de la population où la part du travail domestique exercée par les hommes estpassée de 32 % à 35,4 %. Les inégalités par activités détaillées se sont réduites dans lesmêmes rapports, les personnes vivant en couple ayant été touchées, comme les autres, par ladiminution de la production domestique.... et en atténue la spécialisationDepuis 1986, les activités à dominante féminine et les activités mixtes se sont trèslégèrement masculinisées. Les hommes en couple effectuaient, en 1986, 13,5 % des tâches àdominante féminine contre 15,6 % en 1999. Inversement, les activités à dominante masculinese sont un peu féminisées ; effectuées à 81,6 % par les hommes en 1986, elles le sont à80,6 % en 1999. Toutefois, le classement des travaux domestiques en douze postes des plusféminins aux plus masculins est stable sur la période. Leur répartition a évolué parallèlementaux modes de consommation. Les écarts entre les pratiques féminines et masculines se sontréduits, non pas du fait d'un alignement des comportements masculins sur les comportementsféminins, mais à cause de la poursuite du mouvement de pénétration des produits marchandsdans la sphère domestique.Plus précisément, la diminution de l'inégalité dans la répartition du travail domestiquedes couples s'explique principalement par la réduction d'une demi-heure de la durée desactivités à dominante féminine compensée par une augmentation de 24 minutes par jour dutemps nécessaire aux activités mixtes, due principalement aux courses, cette dernièreconcernant les hommes aussi bien que les femmes (+ 9 minutes chacun). On n'observe pas demodifications importantes de l'activité domestique des hommes vivant en couple sauf dans lapratique du ménage (+ 2 minutes) et celle des soins aux enfants (+ 1 minute). La part del'homme dans les soins donnés aux enfants par le couple augmente d'un tiers sur la période.Par contre, certaines activités prises en charge exclusivement par les femmes en 1986 ontquasiment disparu, comme la couture qui les occupait 18 minutes en moyenne chaque jour en1986, contre 9 minutes en 1999. D'autres exigent désormais un temps plus court, comme lacuisine (6 minutes de moins), le nettoyage du linge (9 minutes de moins), la vaisselle (11minutes de moins pour les femmes et 2 minutes pour les hommes).- 101 -


C. BROUSSEDes évolutions contrastées selon les milieux sociaux et la position dans le cycle de vieCes changements ont principalement concerné les femmes des milieux populaires. Latrès forte diminution du temps consacré à l'entretien des vêtements (nettoyage, couture)explique les écarts entre catégories sociales ; les femmes des catégories sociales moins aiséesont fortement réduit le temps de ces activités alors que les femmes commerçantes, artisans ouchef d'entreprise, et les cadres supérieures y consacraient déjà peu de temps en 1986. C'est laraison pour laquelle on observe une baisse de 3 % environ du travail domestique global parmiles employées, les ouvrières, les agricultrices et les membres des professions intermédiairescontre une très légère augmentation chez les indépendantes (hors agriculture), les cadres et lesprofessions intellectuelles supérieures.Pour les hommes vivant en couple, le fait le plus marquant est la très forteaugmentation de l'activité domestique après 60 ans, qui s'explique en partie par la baisse del'activité professionnelle. Les hommes âgés de 60 à 65 ans consacrent en effet en 1999 troisquarts d'heure de plus qu'il y a 13 ans aux activités domestiques. Ce surcroît d'activités seporte sur les courses (un quart d'heure supplémentaire) et surtout sur le bricolage (une demiheurede plus). La tranche d'âge des 65-69 ans connaît des évolutions parallèles, mais un peumoins marquées, pour le bricolage qui croît tout de même d'un quart d'heure.Pour les couples d'actifs et de retraités, la baisse des inégalités a conduit à rapprocher letemps libre des femmes de celui de leur conjoint. À la différence des femmes au foyer dont letemps libre est plus important que celui de leur conjoint, les femmes qui ont une activitéprofessionnelle ou qui sont retraitées acceptent probablement moins qu'autrefois de leurpartenaire qu'il dispose de plus de temps libre qu'elles. L'accès généralisé à l'enseignementsecondaire ou aux études supérieures, la plus grande autonomie matérielle incitent peut-êtreles femmes à mieux négocier le temps de travail domestique.Une différenciation des rôles précoce ...Alors que les bouleversements dans le mode de consommation ont favorisé un partageplus égalitaire des tâches domestique, la famille a contribué à perpétuer le principe de ladivision sexuelle du travail domestique. La pratique domestique des grands enfants est, eneffet, très similaire à celles de leurs parents du même sexe. On constate que les garçons deplus de 15 ans travaillent 51 minutes par jour pour l'unité domestique et les filles, au même- 102 -


TRAVAIL DOMESTIQUEâge, 1 heure 36. L'inégalité dans la répartition du travail domestique atteint déjà le niveau decelle de leurs parents. Comme leur temps de travail, d'étude et de formation estrigoureusement égal à celui des filles (4 heures 20) (graphique 1) et que celles-ci consacrentun peu plus de temps aux soins personnels, les garçons bénéficient d'une heure de temps libresupplémentaire chaque jour par rapport aux filles (graphique 2).Graphique 1Part des fils et des filles qui exercent une activité professionnelle ouscolaire selon l’heure de la journée, en 1999 (en %).Champ : ensemble des individus de 15 ans dont les parents vivent en couple.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1999.Graphique 2Part des fils et des filles qui exercent une activité domestique selonl’heure de la journée, en 1999 (en %).Champ : ensemble des individus de 15 ans dont les parents vivent en couple.Source : Insee, enquête Emploi du temps 1999.- 103 -


C. BROUSSEEnfin, alors que l'intensité du travail domestique des garçons est indépendante de lataille du ménage, celle des filles croît proportionnellement au nombre d'enfants, ce qui attestede leur implication précoce dans les tâches directement tournées vers l'entretien des membresde la famille. Plus que les garçons, les filles participent aux tâches ménagères, s'occupent desenfants plus jeunes ou soignent leurs parents âgés.Selon la catégorie sociale d'appartenance, les attitudes attendues des garçons et desfilles sont plus ou moins différenciées. Par rapport aux filles de salariés, les fillesd'indépendants s'impliquent quotidiennement 20 minutes de plus dans les tâches domestiques.Quant aux garçons, leur temps domestique est semblable quel que soit le statut de leur père.Contrairement aux parents en couple, les parents isolés favorisent des pratiquesdomestiques plus égalitaires entre les filles et les garçons. Dans les ménages composés d'uncouple et de ses enfants, les filles ont une charge de travail domestique deux fois plus élevéeque les garçons. En revanche, dans les ménages monoparentaux, les filles travaillent 1,5 foisde plus que les garçons.... et une forte inertie des comportements.Chez les retraités, l'inertie des habitudes acquises reste forte: interrogés sur leur pratiqueménagère avant et après leur passage à la retraite 14 , les retraités déclaraient avoir relativementpeu changé leurs habitudes, excepté en matière d'achats de biens : un quart des hommesparticiperaient davantage aux courses depuis qu'ils ont cessé d'exercer un emploi, tandis que7 % en feraient moins. Symétriquement, 16 % des femmes déclarent y consacrer moins detemps et 6 % plus de temps. À l'opposé, on observe une très grande stabilité descomportements en ce qui concerne l'entretien du linge, voire une régression ; 5 % deshommes retraités s'occuperaient davantage du linge depuis l'interruption de leur activité et7 % s'en chargeraient moins. Les retraités continuent à se conformer au rythme de travailhebdomadaire qu'ils avaient lorsqu'ils étaient actifs. Le dimanche reste un jour chômé. Lesretraités travaillent le dimanche 3 heures de moins que les autres jours de la semaine. Ledimanche, plus encore que les autres jours, les hommes restent à l'écart des tâches ménagèreset ce jour reste, pour les retraités, le plus inégalitaire de la semaine.- 104 -


TRAVAIL DOMESTIQUEConclusionLe lent processus d'homogénéisation des pratiques féminines et masculines pourraitatteindre ses limites. Après avoir touché les jeunes et les catégories aisées, il concerne depuisune quinzaine d'années principalement les gens âgés et les catégories sociales les plusmodestes. On ne voit pas apparaître chez les cadres et les jeunes générations actuelles,pourtant souvent novateurs, une modification importante des comportements. Les hommesn'ont pas commencé à prendre en charge les activités féminines à l'exception des soins auxenfants qui ne représentent pas une part très importante du temps domestique global del'ensemble de la population même si symboliquement elle n'est pas négligeable Les marges demanoeuvre pour réduire les disparités entre conjoints paraissent donc faibles : le ménage etles soins matériels aux enfants, où les gains de productivité sont assez faibles, sont plusincompressibles que ne l'était l'entretien du linge ou la couture. La réduction du temps decuisine pourrait peut-être se poursuivre, le recours aux substituts marchands pouvant encores'intensifier.POUR EN SAVOIR PLUSP. BOURDIEU, 1990, « La domination masculine », Actes de la recherche en sciencessociales n°84, pp. 2-31.J. COMMAILLE, 1994, « Entre famille et travail, les stratégies des femmes. »,Recherches et prévisions, n°36, pp.3-10J.-D. FERMANIAN, S. LAGARDE, 1998, « Les horaires de travail dans le couple »,Economie et statistique, n°321-322, pp. 57-142.J.-C. KAUFMANN, 1992, « La trame conjugale analyse du couple par son linge »,Paris Nathan - rééd. coll. (Pocket/Agora).B. ZARCA, 1990, « La division du travail domestique », Economie et statistique,n°228, pp. 29-40.14 Insee, enquête complémentaire à l’enquête Emploi de 1986.- 105 -


C. BROUSSEEncadréPrésentation des enquêtes Emploi du Temps de 1986 et 1999Mesurer la durée des activités qui se déroulent une journée donnéeLes enquêtes Emploi du temps ont pour objectif de quantifier de la façon la plus précisepossible, la durée des activités quotidiennes. Elles impliquent que les individus interrogésnotent, tout au long d'une journée, leurs activités en précisant leur début et leur fin.Le champ des enquêtes conduites en 1986 et en 1999L'enquête menée en 1986 a permis de recueillir 13 000 carnets individuels et celle de1999, 16 000. En 1999, on ne prend en compte que les 14 541carnets remplis par lesindividus appartenant à des ménage dans lesquels toutes les personnes de 15 ans et plus ontrépondu. On parle de ménages « complets ».L'étude porte sur la population des personnesvivant en couple, mariées ou non, avec ou sans enfant. Les couples accompagnés decollatéraux - petits-enfants, parents, frères et soeurs - sont exclus du champ de l'étude,l'échantillon étant trop petit pour analyser finement l'ensemble de ces configurations. Au total,l'échantillon utilisé pour analyser le partage des tâches entre conjoints comporte 5 206couples en 1986 et 4 410 en 1999, les deux membres du couple ayant répondu à l'enquête.Ledéroulement de la journée d'un chômeur étant plus proche de celle d'une personne inactive,même si la recherche d'emploi est un temps non négligeable, une distinction est faite entre lacatégorie des actifs occupés d'une part et celle regroupant les inactifs et les chômeurs d'autrepart.- 106 -


Contraception et ivg : droits acquis, droits à consolider ?Nathalie BAJOS, INSERM, U292Après une remontée spectaculaire au lendemain de la deuxième guerre mondiale, lafécondité commence à baisser en France en 1965 pour se stabiliser après 1975. Derrière cettestabilité se cache un fort resserrement de la taille des familles 1 , et une modification ducalendrier des naissances. L’âge moyen à la première maternité est de 29,3 ans aujourd’huialors qu’il était de 26,5 ans en 1977. Les femmes nées dans vers 1960 auront, en moyenne,plus de 2,1 enfants mais à un âge plus avancé. Si la baisse de la fécondité a été concomitantede la diffusion de la pilule, on ne saurait pour autant y voir une simple relation de causalité.Comme le rappelle H. Leridon 2 , cette baisse s’explique pour moitié par la baisse du nombred’enfants souhaités et pour moitié par une diminution des naissances non voulues. Cesdernières peuvent être évitées légalement en ayant recours à la contraception moderne(légalisation de la contraception en décembre1967 3 ), ou à l’ivg (légalisée en 1975 4 ). Lerecours massif aux méthodes de contraception moderne et la baisse de la féconditéprocéderaient ainsi d’une même volonté, celle des femmes de mieux maîtriser leur fécondité.La situation observée aujourd’hui en France, et dans de nombreux pays, conduitnéanmoins à interroger la notion même de « maîtrise » de la contraception. Ainsi, en dépitd’un recours massif à la contraception médicalisée 5 , les échecs de contraception restent trèsfréquents en France puisque l'on estime qu'en moyenne chaque femme serait confrontée aucours de sa vie reproductive à une grossesse non planifiée 6 , la moitié donnant lieu à une ivg 7 .Le recours à l’ivg n’a que légèrement diminué au cours de ces dernières années et l’on estime1 L. Toulemon et C. de Guibert-Lantoine, Enquêtes sur la fécondité et la famille en Europe. Dossiers et recherches n°55,<strong>Ined</strong>, 1996.2 H. Leridon, « 30 ans de contraception de contraception en France », Contraception, Fertilité Sexualité, 1998, vol 26, n°6,pp 435-438.3 Les décrets d’application de la loi Neuwirth ont été publiés en 1972. Depuis 1974, la contraception est remboursée par laSécurité Sociale et les mineures y ont accès gratuitement et sans autorisation parentale.4 L'ivg est remboursée par la Sécurité Sociale depuis 1982.5 H. Leridon, op. cit.6 Il s'agit d'une grossesse qui survient alors que la femme ne souhaitait pas être enceinte ou souhaitait une grossesseultérieurement.7 L. Toulemon et H. Leridon, « Maîtrise de la fécondité et appartenance sociale ». Population, 1, 1992, 1-46.


N. BAJOSqu’il y a aujourd’hui environ 220 000 IVG par an 8 , soit un taux d'incidence annuel de l'ordrede 15‰, ce qui situe la France à un niveau moyen en Europe 9 . Au delà de l’hypothèse<strong>propos</strong>ée par H. Leridon, pour qui les échecs de contraception sont d’autant moins acceptésque l’efficacité des méthodes de contraception est importante, ces données conduisent às’interroger sur l’accessibilité et l’acceptabilité des différentes méthodes de contraception,notamment par les femmes les plus jeunes qui ont toujours bénéficié d’une contraceptionlégale, et sur le sens du recours à l’ivg.Ces interrogations doivent se situer dans une perspective qui tienne compte desévolutions profondes qu’a connues la société française au cours de ces dernières décenniesdues en particulier à la diffusion de la contraception médicalisée, à l’allongement des étudesdes jeunes filles et au salariat des femmes. Ces évolutions sociales et juridiques, se sontaccompagnées d’une modification sensible des rapports hommes/femmes et des rapportsentre génération, notamment dans le domaine de la sexualité. La maîtrise de la fécondité parles femmes, grâce aux méthodes médicales, est apparue comme une vraie révolution. PourFrançoise Héritier, « si la fécondité est le lieu central de la domination du masculin, il s’ensuitque la prise en main par les femmes de leur propre fécondité revient pour elles à sortir du lieude la domination » 10 . L’arrivée de la pilule a d’ailleurs coïncidé avec une résistance croissanteà l’autorité 11 , qui a atteint son apogée avec les événements de mai 68. Le contrôle parentalsur la sexualité des jeunes s’est aussi fortement modifié depuis les années 70 dans le sensd’une plus grande tolérance (acceptation de la cohabitation juvénile et, plus récemment, de lavie amoureuse des enfants sous le toit familial). L’épidémie de Sida ne semble pas avoiraffecté en profondeur ces évolutions, si ce n’est bien sûr le souci (des parents) de bieninformer les jeunes, dès le milieu des années 80, sur ce risque mortel. Les contrôles sociauxsur la sexualité des femmes et sur la reproduction restent néanmoins forts aujourd’hui. Lesnombreux dysfonctionnements du système de soins en matière d’ivg récemment mis en8 C. Blayo, « L’avortement volontaire en chiffres depuis sa légalisation ». in P. Cesbron. L’interruption de grossessedepuis la loi Veil, Médecine Sciences, Flammarion, 1997.9 H. David. « Abortion in Europe, 1920-91 ». Studies in Family Planning, vol 23, n°1, 199210 F Heritier . « Vers un nouveau rapport des catégories du masculin et du féminin », in E. Baulieu, F. Héritier, H. Leridon(Eds). Contraception : contrainte ou liberté ?. Editions Odile Jacob, 1999.11 En particulier à celle du chef de famille qui détient encore à la fin des années 50 tous les pouvoirs décisionnels au sein ducouple. Voir H. Le Bras, « Maîtrise de la fécondité et démographie : une esquisse historique ». in XXIXème colloque dusyndicat des médecins de protection maternelle et infantile, Paris, 27 novembre 1998.- 108 -


CONTRACEPTION IVGévidence 12 , et notamment le problème du renouvellement des générations de médecinsmilitants qui effectuent les ivg, la rétrocession en 1997 de la licence du RU 486 (médicamentqui provoque l’expulsion de l’embryon) par le laboratoire Roussel-Uclaf, le développementdes commandos anti-IVG au cours de ces dernières années sont autant d’éléments quisoulignent encore la fragilité des acquis dans le domaine du contrôle de la fécondité. On peutalors se demander si, dans ce nouveau contexte, les acquis sociaux en matière decontraception et d’ivg ne risquent pas de devenir fragiles si les jeunes générations nes’approprient pas ce qui a été obtenu par leurs aîné(e)s au prix de nombreuses luttes 13 .Les pratiques contraceptives en FranceLa médicalisation des pratiques contraceptives, une spécificité françaiseLes enquêtes sur les pratiques contraceptives réalisées par l’<strong>Ined</strong> depuis 1971permettent de suivre l’évolution du recours à contraception dans les différents groupessociaux . Si la proportion de femmes déclarant utiliser une méthode de contraception, qu’ellequelle soit, apparaît relativement stable au cours du temps, de l’ordre de 3 femmes sur 4, lastructure des pratiques contraceptives s’est sensiblement modifiée (tableau 1). Les méthodesmédicales de contraception se sont largement diffusées dans l’ensemble de la population. En1994, 80% des femmes contraceptées au moment de l’enquête avaient recours à la pilule ouau stérilet. L’utilisation de la pilule est la plus importante chez les jeunes femmes tandis quele stérilet s’impose entre 35 et 45 ans, dès lors que la famille est constituée. Les méthodestraditionnelles (Ogino, glaire etc.) sont désormais marginales. Chez les femmes les plusâgées, les nouveaux produits hormonaux offriraient la double avantage d’une contraception etde la prévention des conséquences de la ménopause. Leur développement a contrecarré unebaisse d’utilisation des pilules strictement contraceptives et explique sans doute une légèrebaisse du recours au stérilet 14 .12 I. Nizand, L’IVG en France : Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes, Rapport réalisé à lademande de Mme Aubry et de Mr Kouchner, février 1999.13 J. Mossuz Lavau, Les lois de l’amour, Payot, 1991.14 C. de Guiberrt-Lantoine, H. Leridon. « La contraception en France. Un bilan après 30 ans de libéralisation ». Population,4, 1998, 785-812- 109 -


N. BAJOSTableau 1 - Evolution du recours à la contraception en France entre 1978 et 19941978 1988 1994Année de naissance 1933-1957 1943-1967 1949-1973Utilisant une méthode actuellementPiluleStériletAbstinencePréservatifsRetraitStérilisation (but contraceptif)71,728,38,65,55,118,04,172,033,818,95,03,44,84,270,740,215,83,94,62,43,0Autres méthodes 2,1 1,8 0,8N’utilisant pas de méthodeStérilisationStérilesEnceintesSans partenaire28,53,21,44,89,128,21,82,85,49,929,41,52,65,111,3Veulent encore un enfant 6,3 6,6 6,4Ne veulent plus d’enfant 3,7 1,7 2,6Ensemble 100 % 100 % 100 %Source : L. Toulemon et H. Leridon. « Maîtrise de la fécondité et appartenance sociale ». Population, 1, 1992, 1-46.Dans l’ensemble des pays développés, les pourcentages de contraceptrices sont élevésmais avec une grande variété de méthodes 15 . Les stérilisations sont très fréquentes aux EtatsUnis, au Canada, au Royaume-Uni et aux Pays Bas (cf. tableau 2). La pilule est très utiliséeen Belgique, aux Pays Bas et en France. Le stérilet est la première méthode de contraceptionutilisée en Norvège et en Finlande. Le préservatif reste une méthode de contraception peuutilisée, sauf au Japon (ou un couple sur deux l’utilisent) et au Royaume Uni.Tableau 2 - Pratique contraceptive des couples mariés dans certains pays industrialisésMéthodes de régulation des naissancesPays Année Age de lafemmePilule Stérilet Préservatifs AutreméthodeStérilisation ToutesméthodesHomme FemmeFrance 1988 20-44 30 26 4 15 0 7 81Belgique 1991 20-40 46 5 5 4 8 11 79(Flandres)Angleterre 1986 16-49 19 8 16 12 16 15 81Pays-Bas 1988 18-37 41 7 8 4 11 4 76Espagne 1985 18-49 16 6 12 22 0 4 59Japon 1992 15-49 1 3 48 18 1 3 64Etats-Unis 1988 15-44 15 2 11 11 13 23 74Canada 1984 18-49 11 6 8 6 13 31 73Source : Nations Unies, Division de la population, New YorkCité dans : L. Toulemon, H. Leridon. « Les pratiques contraceptives en France ». La Revue du Praticien, 1995.15 H. Leridon et L. Toulemon. « La régulation des naissances se généralise » in : La population du monde. Enjeux etproblèmes (ed. par J.C. Chasteland et J.C. Chesnais). Paris: PUF, 1997 (Cahier INED n° 139).- 110 -


CONTRACEPTION IVGLa France est donc le pays dans lequel les femmes ont le plus souvent recours à uneméthode de contraception réversibles et médicalisée, pilule ou stérilet, alors que le recours àla stérilisation reste très limité.La maîtrise de la contraception en questionPour autant, ces données ne sauraient conduire à conclure que la situation de lacontraception en France ne pose aucun problème. Une proportion, certes très faible (2,6%), defemmes ne désirant pas d’enfant n’ont pas de contraception aujourd’hui et 12,2% des filles(8,4% des garçons de 15-18 ans) ont leurs premiers rapports sexuels sans contraception 16 .Mais aussi, le fait de déclarer utiliser une méthode de contraception ne préjuge pas d’uneutilisation régulière et efficace de la contraception, quelle que soit la méthode considérée. Laprévalence des grossesses non prévues et du recours à l’ivg (220 000 par an) et les résultatsdes enquêtes de l’INED et de l’INSERM 17 laissent penser que ces événements sont loin deconcerner uniquement des femmes qui n’ont pas accès à la contraception. Ainsi, d’aprèsl’enquête de 1994, sur 100 grossesses non prévues, 50 résulteraient d'un rapport sexuel sanscontraception, 15 d'un "oubli" de contraception, et 35 d'un "échec" de contraception 18 . Lerisque de grossesse non programmée est moins élevé pour les femmes qui utilisent lesméthodes médicales (pilule, stérilet). Sans préjuger des questions méthodologiques inhérentesaux enquêtes sur la contraception, relatives aux images normatives de la contraception<strong>propos</strong>ées par les questionnaires et à la difficulté de ne pas enfermer les femmes dans unealternative simpliste quant au désir d’enfant, ces données attestent de difficultés d’accès à lacontraception.On connaît très mal aujourd’hui les circonstances de survenue des échecs decontraception et les besoins et les attentes des femmes et des hommes en matière decontraception. Comme pour la gestion du risque de transmission sexuelle du virus du sida, onpeut penser que la prise de risque est loin de s’expliquer uniquement par un déficitd’information. Si tout le monde est concerné par un échec de contraception, certainescirconstances peuvent être plus propices à la survenue d’un échec, et notamment les relationsoccasionnelles où le risque du sida prévaut, les périodes qui suivent un accouchement où la vie16 H. Lagrange et B. Lhomond. L’entrée dans la sexualité, La Découverte, Paris, 1997.17 M. Garel et al. « Caractéristiques sociales et psychologiques des femmes qui ont des ivg répétées. ». in Paul Cesbron.L’interruption de grossesse depuis la loi Veil, Médecine Sciences, Flammarion, 1997.18 La notion d'échec se réfère ici aux méthodes liées à l'acte sexuel : préservatif, éponges etc.- 111 -


N. BAJOSaffective et sexuelle est modifiée, la quarantaine où certaines femmes se considèrent comme“ inféconde”, les situations où l’homme refuse d’utiliser un préservatif (lors d’un oubli de pilule,en l’absence de toute méthode), un rapport sexuel imposé etc.La fréquence des échecs de contraception et du recours à l’ivg justifie qu’on essaie de sedonner les moyens de mieux comprendre les circonstances de survenue des échecs, pour réduireles grossesses non prévues donnant lieu à une ivg 19 .Accès à la contraception et inégalités socialesSi en 1970 des différences sociales étaient enregistrées pour la pratique de lacontraception, dès 1988, les pratiques sont devenues plus homogènes et l’utilisation de lapilule ne dépendait plus du niveau d’instruction, de la profession ou du lieu de résidence.L’usage du stérilet restait cependant plus élevé chez les femmes les plus instruites 20 . En1994, on n’enregistre plus de différences de pratiques entre les différents groupes socioéconomiquespour ce qui concerne l’utilisation de la pilule et du stérilet parmi les femmesadultes. Les données les plus récentes recueillies dans le cadre de l’enquête sur la sexualitédes jeunes de 15-18 ans attestent cependant de différences de pratiques selon la filièrescolaire 21 . Lors de leur premier rapport sexuel, les jeunes femmes et hommes apprentisutilisent davantage la pilule et moins souvent les préservatifs que les lycéens del’enseignement général. Il est difficile de parler d’un effet spécifique du milieu descolarisation car les calendriers d’entrée dans la sexualité diffèrent selon l’origine sociale.Les jeunes issus de milieux populaires sont plus précoces et la précocité préfigure des stylesde vie sexuelle qui ont un impact sur les comportements face aux risques liés à la sexualité.Mais, les données sur les grossesse et le recours à l’ivg conduisent à penser qu’un effet desélection sociale dans l’accès à la contraception existe bel et bien. Les grossesses sont plusfréquentes chez les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés. Le rapport à la maternitén’est certes pas le même dans les différents groupes sociaux et la survenue d’une grossessechez une adolescente ne saurait être systématiquement qualifiée d’accidentelle. Unerecherche de C. Le Van a montré que pour nombre d’adolescentes la grossesse était désirée et19 Une recherche pluridisciplinaire sur l’accès et le vécu de la contraception et le recours à l’ivg est en cours, qui devraitapporter des éléments d’information et de réflexion pour guider les politiques préventives dans le domaine de la santésexuelle et reproductive (Analyse des pratiques contraceptives et du recours à l’ivg en France, N Bajos, N Job-Spira et al,INSERM U292, 1998).20 L. Toulemon, op cit.21 H. Lagrange, op cit.- 112 -


CONTRACEPTION IVGla maternité un moyen d’acquérir une identité et un statut social 22 . Mais il n’en reste pasmoins que la fréquence des ivg est aussi plus élevée chez les jeunes issus de milieux sociauxdéfavorisés. Ainsi, 1% des jeunes filles scolarisées dans des filières classiques déclarent avoirdéjà eu une ivg contre 8% pour celles scolarisées en milieu professionnel.La réduction des inégalités sociales d’accès à la contraception pourrait être un desobjectifs prioritaires d’une politique préventive, nécessitant alors de concevoir desprogrammes ciblés.Contraception et prévention du sida, une interaction complexeLes campagnes grand public sur le préservatif ont débuté en France en 1987 et ont euun effet certain sur les pratiques préventives. Ces dernières années ont ainsi été caractériséespar une très forte progression de l’utilisation du préservatif. Alors que 8% des premiersrapports ayant eu lieu à la fin des années 60 étaient protégés par un préservatif 23 , ce chiffrepasse à 57% en 1989 et à 85% en 1995 24 . La forte augmentation de l’utilisation du préservatifne semble pas se faire au détriment de l’utilisation d’une contraception orale, du moins pource qui concerne le premier rapport sexuel. D’après les déclarations des garçons, l’usage de lapilule lors du premier rapport est en légère augmentation jusqu’en 1992 ; d’après celles desfilles, elle fluctue sans connaître d’évolution tendancielle marquée 25 . Mais, si lors du premierrapport, le recours au préservatif n’est pas lié au fait que la jeune fille prenne la pilule, celan’est plus le cas lors du dernier rapport sexuel. Ainsi, le préservatif est utilisé dans 46% descas quand le partenaire prend la pilule et dans 83% des cas quand elle ne la prend pas d’aprèsles déclarations des garçons, et ces chiffres sont de 19% et 79% d’après les déclarations desfilles. Si l’augmentation de l’utilisation du préservatif ne semble pas se faire au détriment dela pilule jusque dans les années 95, les premiers résultats d’une enquête conduite en 1998conduisent à penser qu’un renversement de tendance est peut être en train de s’opérer pour lesplus jeunes qui utiliseraient moins fréquemment la pilule au profit du préservatif. Ainsi,d’après les données des enquêtes KABP, une légère baisse de la pratique contraceptive est22 C. Le Van, Les grossesses à l’adolescence. Normes sociales et réalités vécues, L’Harmattan, Paris, 1998.23 D’après l’enquête de l’<strong>Ined</strong> de 1994.24 H. Lagrange, op cit.25 H. Lagrange, op cit.- 113 -


N. BAJOSenregistrée entre 1994 et 1998 chez les jeunes femmes de 20-24 ans 26 . Cette baisse concernesurtout les femmes qui ont eu au moins deux partenaires dans les douze derniers mois et serapporte exclusivement à l’utilisation de préservatifs comme moyen de contraception (33.4%vs. 25.4%). Pendant le même temps, on enregistre une hausse de l’utilisation de préservatif aupremier rapport sexuel, surtout chez les jeunes femmes de 20-24 ans, ainsi que de l’utilisationdes préservatifs dans les douze derniers mois chez les jeunes femmes de 20-24 qui déclarentne pas utiliser de moyens de contraception. Ces résultats suggèrent que les raisons quiconduisent les femmes à utiliser les préservatifs se sont modifiées entre 1994 et 1998, et que,dans leurs représentations, on passe d’une finalité contraceptive à une finalité préventive. Parailleurs, il est important de souligner qu’une hausse de 12% des ivg chez les moins de 20 ansa été enregistrée entre 1995 et 1996, après une baisse régulière depuis 1991. Les jeunesgénérations ont débuté leur vie sexuelle alors que l’épidémie de sida occupait déjà le devantde la scène publique. Elles ont été, dès l’adolescence, exposées à de nombreuses campagnessur le sida, mais n’ont jamais reçu d’information spécifique sur la contraception. Il fautrappeler que la dernière campagne sur la contraception remonte à 1992 mais étaitexclusivement axée sur le préservatif. On peut donc se demander si ces jeunes femmes n’ontpas relégué au second plan le risque de grossesse non souhaitée.En tout état de cause, ces données appellent à la vigilance et militent pour la réalisationde campagnes de prévention qui traitent simultanément des différents risques liés à lasexualité (sida, MST, grossesse non souhaitée, rapport sexuel imposé), comme cela est faitdans d’autres pays européens.Le recours à l’interruption volontaire de grossesse en FranceUne relative stabilitéPrès de 50 millions d'interruptions volontaires de grossesses sont pratiquées chaqueannée dans le monde 27 et les complications liées à l'IVG représentent la première cause demortalité des femmes en âge de procréer dans les pays en développement. Au cours de cesdernières années, les taux d'IVG en Europe ont baissé, surtout dans les pays où la légalisationde l'IVG s'accompagne d'une diffusion massive et accessible des méthodes modernes de26 Cette tendance n’est pas mise en évidence chez les plus jeunes de 18-19 ans, sans doute parce que les effectifs sont trèsfaibles.27 H. Leridon et L. Toulemon, op cit.- 114 -


CONTRACEPTION IVGcontraception 28 . En France, on connaît les caractéristiques socio-démographiques des femmesqui ont recours à l'avortement d'après les données recueillies sur le bulletin d'enregistrement.Mais ces données ne seraient pas exhaustives et ne concerneraient que 170 000 déclarationsalors que l'on estime à 220 000 environ le nombre réel d'IVG (cf. tableau 3).Tableau 3 - Evolution du nombre d’avortements et des indices annuelsde 1976 à 1994 en FranceAnnée Nombre absolu d’avortements Avortements pour100 NaissancesvivantesDéclarésEstimésNombre moyend’avortements parfemme1976 134 173 250 000 34,8 0,671977 150 931 253 000 34,0 0,671978 150 417 256 000 34,7 0,671979 156 810 259 000 34,2 0,671980 171 218 262 000 32,7 0,671981 180 695 265 000 32,9 0,671982 181 122 263 000 33,0 0,651983 182 862 261 000 34,9 0,641984 180 789 260 000 34,2 0,631985 173 335 249 000 32,4 0,601986 166 797 239 000 30,7 0,571987 162 352 230 000 30,0 0,561988 166 510 230 000 29,8 0,541989 163 090 230 000 30,0 0,541990 170 428 230 000 30,2 0,531991 172 152 230 000 30,3 0,541992 167 777 227 000 30,5 0,531993 167 921 0,531994 173 842Source : C Blayo, « L’avortement volontaire en chiffres depuis sa légalisation ». in P Cesbron. « L’interruption de grossessedepuis la loi Veil», Médecine Sciences, Flammarion, 1997.Le nombre annuel moyen d'avortements par femme aurait été stable de 1976 à 1980,puis aurait légèrement diminué de 1981 à 1988 et peu varié dans les années postérieures 29 .On est passé de 35 IVG pour cent naissances vivantes au lendemain du vote de la loi de 1975légalisant l'IVG en France à 31 pour cent en 1992. Dans un contexte de baisse très sensible etrégulière de la natalité des jeunes, on n’observe pas de hausse du recours à l’ivg dans cesmêmes groupe d’âge. Les taux de recours à l’ivg chez les 15-17 ans passent de 5,6‰ en 1980à 5,1‰ en 1985 et 1990 puis à 4,9‰ en 1995. Chez les femmes de 18-19 ans, une légère28 H. David, op cit.29 C. Blayo « L'avortement volontaire en chiffres depuis sa libéralisation ». in P. Cesbron. L'interruption de grossessedepuis la loi Veil. Flammarion, 1997.- 115 -


N. BAJOSbaisse est observée entre 1980 et 1990 (on passe de 17,4‰ en 1980 à 13,0‰ en 1990) puis onobserve une très légère recrudescence du recours à l’ivg et le taux observé en 1995 (14,3‰)est le même que celui enregistré en 1985. Une légère baisse est également enregistrée chez les20-24 ans et l’on passe de 21,2‰ en 1980 à 18,3‰ en 1995 (niveau déjà atteint en 1990). Lasituation française se caractérise donc par une baisse de la natalité chez les mineures et chezles jeunes adultes 30 depuis 1980, et par une légère baisse du recours à l’ivg chez les moins de25 ans entre 1980 et 1985. Si les données de 1996 conduisent à la plus grande vigilance, onne saurait pour autant parler, comme certains le font, d’une forte recrudescence des grossessesprécoces et des ivg chez les mineures depuis plusieurs années. La part des ivg effectuées parles jeunes figure parmi les plus faibles enregistrés en Europe 31 .Des populations en marge de la loiLes données françaises montrent qu’il n’y a eu ni banalisation de l’ivg, ni dérapage,comme le montre la relative stabilité du recours à l’ivg depuis sa légalisation en 1975. Il n’y apas eu non plus cette baisse attendue par les précurseurs du planning familial malgré uneutilisation accrue des méthodes moderne de contraception. Pour Chantal Blayo, le recours àl’avortement en France permet de pallier les échecs de contraception plus qu’il ne représenteun moyen de contraception. La majorité des ivg sont des premières ivg et les conceptions sonten diminution, ce qui traduit une pratique plus rigoureuse de la contraception.Au-delà de ces statistiques, des situations restent particulièrement préoccupantes pourles femmes qui se situent à la marge de la loi. Il faut rappeler que le recours à l’ivg n’est pasremboursé pour les femmes étrangères en situation irrégulière qui résident en France depuismoins de 3 mois. Par ailleurs, le délai légal de recours à l’ivg est aujourd’hui de 12 semaineset plusieurs milliers de femmes ayant dépassé ce délai (5 à 6 000 d’après le MFPF) doivent serendre à l’étranger (Pays Bas, Grande Bretagne, Espagne) pour avoir une interruptionvolontaire de grossesse. Enfin, de l’avis de très nombreux praticiens, l’obligation d’obtenirune autorisation parentale pour les jeunes femmes mineures crée des situationsparticulièrement douloureuses, voire dramatiques, et en particulier pour celles dont les parentsignorent ou refusent qu’elles aient une vie sexuelle. Alors qu’une jeune femme dès 15 ans(âge de la majorité sexuelle) peut avoir recours à la contraception, devenir mère, accoucher30 Cette baisse est observée dans tout les pays développés. S. Singh, J. Darroch, « Adolescents pregnancy andchildbearing : levels and trends in developed countries ». Family Planning Perspectives, 2000, 32(1) : 14-23.31 C. Blayo, op cit.- 116 -


CONTRACEPTION IVGsous X, remettre son enfant à l’aide sociale, exercer l’autorité parentale, tout cela sansl’autorisation de ses parents, elle est obligée d’obtenir l’autorisation d’un de ses deux parentspour avoir recours à l’ivg. Lorsqu’elle est mariée, elle est émancipée par le mariage et peutalors recourir seule à l’ivg.Un système de soins en équilibre instableUne étude réalisée en 1992 dans cinq départements français a permis d'identifier denombreux dysfonctionnements du système de prise en charge des interruptions volontaires degrossesses 32 . L’enquête a mis en évidence de nombreux écarts à la loi, au niveau desenregistrements des ivg réalisés, des pratiques du personnel soignant, du contenu del'entretien préalable ou encore des documents que l'on demande aux femmes de signer. Elle apermis d'identifier de nombreux facteurs de fragilisation du système dont le plus importantsemble bien être "une grande précarité du personnel, sa marginalisation et une dévalorisationde l'acte d'avortement, autant de facteurs invoqués pour expliquer les difficultés derecrutement signalées partout". Si les médecins les plus anciens restent motivés, c’est bienparce qu’ils ont connu les désastres de l'avortement clandestin. Le secteur public n’apparaîtpas suffisamment développé pour répondre à la demande, en raison notamment du manque depersonnel et de la réticence de nombreux chefs de service à développer l’activitéd’orthogénie. Les rendez vous semblent d’ailleurs être obtenus plus rapidement dans le privéque dans le public où des femmes se sont ainsi retrouvées au delà du terme légal de recours àl’ivg. Les situations psychologiquement et socialement les plus difficiles (dépassement determe, mineure sans autorisation parentale, femmes non résidentes depuis 3 mois etc.) sont leplus souvent adressées aux centres du Mouvement Français du Planning Familial.Ces différents constats ont été repris et confirmés par I. Nizand dans un rapport remis àla Ministre des Affaires Sociales en 1999 33 . Il insiste notamment sur le manque de capacité duservice public à répondre aux demandes des femmes. Cette situation est liée à la restrictiondes budgets, à la diminution du nombre de lits, à la dévalorisation de l’acte et au manque destatut des personnels. I Nizand insiste sur les inégalités d’accès à l’ivg engendrées par cettesituation qui toucheraient plus particulièrement les femmes en situation précaire, dontcertaines se trouvent obligées de se rendre à l’étranger. Pour améliorer les conditions d’accès32 Hassoun, 1993.33 I. Nizand, L’IVG en France : Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes, Rapport réalisé à lademande de Mme Aubry et de Mr Kouchner, février 1999.- 117 -


N. BAJOSà l’ivg, I Nizand formule des <strong>propos</strong>itions qui visent à modifier la loi de 1975 pour l’adapter àla situation actuelle. Il <strong>propos</strong>e notamment de dépénaliser l’avortement (qui relève toujoursaujourd’hui du code pénal et non du code de la santé publique), de permettre l’accès à l’ivg àtoutes les femmes qui résident de manière stable en France, de garantir la confidentialité dela décision d’une mineure par rapport à ses parents. D’autres <strong>propos</strong>itions portent surl’organisation des structures hospitalières (créations de nouvelles structures, de postes,conditions d’accréditation etc…), sur la consultation sociale, sur l’enseignement.Les <strong>propos</strong>itions de I Nizand pour réduire les difficultés que rencontrent les femmes,établies à partir d’une analyse de la littérature et de rencontres avec les associations et lespraticiens, seront utilement complétées par celles qui pourront être formulées à la suite d’uneanalyse des discours des femmes ayant eu recours à l’ivg récemment 34 .Action politique dans le domaine de la contraception et de l’ivgUne campagne nationale sur la contraception à l’époque du sidaParce qu’il n’y avait pas eu de grande campagne nationale sur la contraception depuis1982 et parce qu’il lui semblait préférable d’ouvrir un débat social sur la contraception etl’ivg avant de modifier la loi de 1975, le gouvernement (les Ministres des affaires sociales,des droits des femmes et de la Santé) a choisi de lancer une campagne nationale sur lacontraception en janvier 2000. Cette opération, dotée d'un budget important, 20 MF, s'adresseà tous et en particulier aux jeunes. Les objectifs de cette campagne sont de réaffirmer le droità la contraception, d’informer sur les différents moyens de contraception et sur les lieuxd’accueil 35 . Elle s’appuie sur une campagne médiatique (spots TV, annonces radio et encartsdans la presse), sur la production et la diffusion de dépliants d'information (9 millionsd’exemplaires), accessibles dans de nombreux lieux publics, et sur la mise en place d’uneligne téléphonique (payante) pendant une durée d’un an. Tous les acteurs locaux concernés :médecins, sages-femmes, conseillers conjugaux, responsables associatifs... ont été mobilisésautour de la campagne. Le slogan de campagne (courts témoignages réalisée par la cinéasteClaire Denis) « La contraception, à vous de choisir la vôtre » atteste d’un changement deperspective par rapport à la campagne de 1981 « la contraception est un droit fondamental »34 N. Bajos et N. Job-Spira, op cit.35 Conférence de presse de Martine Aubry, 16 juillet 1999.- 118 -


CONTRACEPTION IVGou à la campagne de 1992 mais qui était exclusivement axée sur le préservatif « lacontraception, ça devient simple quand on en parle ». Pour les générations les plus jeunes,l’accès à la contraception ne se pose pas en termes de droit, mais plutôt en termes decontraintes 36 . Pour autant, ce droit doit être sans cesse réaffirmé car les acquis ne sont jamaisdéfinitifs. En axant la communication sur la notion de choix, le droit à la contraception setrouve ainsi avalisé et le double objectif est atteint. Trois situations ont été mises en scènesdans les spots télévisés (une jeune adolescente, une jeune femme de 30 ans célibataire, unjeune couple avec un enfant) de manière à toucher les différentes générations et, pour lapremière fois, à impliquer les hommes. Pour la première fois aussi, contraception etprévention sont étroitement associées (dans les deux premiers spots) et les <strong>propos</strong> des femmesfont explicitement référence à la nécessité de se protéger également du sida.La tonalité de la campagne reste toutefois normative. Même si le slogan de lacampagne stipule que c’est à la femme de choisir sa contraception, dans les spots télévisés, lafemme finit toujours par s’en remettre aux professionnels de santé pour « choisir » sacontraception. Par ailleurs, certaines méthodes traditionnelles de contraception, comme laméthode Ogino, ont été présentées dans les dépliants d’information comme totalementinefficaces.Une offre contraceptive diversifiéeS’agissant de l’offre contraceptive, le gouvernement a autorisé la vente de lacontraception d'urgence directement en pharmacie sans prescription médicale depuis juin1999. Pour être remboursée, la contraception d’urgence (ou pilule du lendemain) doit êtreprescrite par un médecin. Elle est également disponible auprès des infirmières scolairesdepuis le mois de janvier 2000. En revanche, les pilules de 3 ème génération ne sont pasremboursées par la Sécurité Sociale. Or ces pilules sont de plus en plus prescrites par lesmédecins puisque près de 40% des femmes ayant une contraception orale utilisentaujourd’hui une pilule de 3ème génération. Cette situation étant de nature à pénalisercertaines femmes, une étude a été commandée à l'Agence du médicament en 1998 pourétablir les mérites comparés des différents contraceptifs. L’étude ne pouvant mettre enévidence les avantages, en terme de service médical rendu, des pilules de troisièmegénération, elles ne peuvent apparaître comme un produit nouveau nécessitant une demande36 Un récent colloque sur la contraception qui s’est tenu au collège de France s’intitulait d’ailleurs « Contraception :contrainte ou liberté ? »- 119 -


N. BAJOSde tarification contrainte auprès des laboratoires fabricants. Une pilule de 3 ème générationgénérique devrait être disponible dans les prochains mois.Une réflexion législative en coursLa multiplication des actions menées depuis 1987 par des groupes qui occupent lesunités où se pratiquent les ivg, bloquant le fonctionnement de ces services et dégradant lematériel, a conduit le gouvernement à adresser deux circulaires, en 1991 et 1992, aux Préfetset aux directeurs d'établissement. Le vote de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 instituantdans son article 37 la création au Code de la santé publique du délit "d'entrave à l'I.V.G."avait pour objet de mettre fin à cette situation. Depuis 1997-1998, les modes d'action descommandos ont considérablement changé. D'actions violentes entravant gravement lefonctionnement des centres ivg ou des hôpitaux, on est passé à des rassemblements nonviolents.Bien que ces groupes n’interpellent plus directement les patientes ni le personnelsoignant, la pression sur les femmes, leurs partenaires et les soignants reste très forte. Aussi,a-t-il été décidé de reprendre la réflexion sur l'application de la loi sur l'entrave à l’ivg dans cenouveau contexte.Le gouvernement s’appuie sur les <strong>propos</strong>itions du professeur Nizand pour envisager lesmodifications législatives à apporter à la loi de 1975. Cette réflexion associe les associationsconcernées, les professionnels de santé et des chercheurs, réunis au sein d’un comité depilotage mis en place en 1998 pour finaliser la campagne sur la contraception. Desmodifications législatives pourraient être présentées à l’automne 2000, qui porteraientnotamment l’allongement du délai légal qui est actuellement de 10 semaines et pour ne plusrendre obligatoire l’autorisation parentale pour les jeunes femmes mineures. Ces réflexionsseront alimentées par les résultats des recherches en cours auprès des femmes sur lesconditions d’accès à l’ivg 37 .Vers une nouvelle éducation à la sexualité ?Depuis 1995, l’Education Nationale réoriente sa politique de prévention en directiondes jeunes scolarisés : il s’agit de mobiliser l’ensemble de la communauté éducative sur cettequestion et d’inscrire la prévention du sida, des grossesses non désirées et des violencessexuelles dans une démarche globale d’éducation à la sexualité et à la santé. Deux heures37 N. Bajos, N. Job-Spira et al, op. cit.- 120 -


CONTRACEPTION IVGd’éducation à la sexualité sont obligatoires dans les collèges depuis 1996 et, depuis 1998,quarante heures d’enseignements d’éducation à la citoyenneté et à la santé sont égalementprévues dans les collèges. La sexualité, la contraception, le sida sont également abordés danscette démarche éducative globale. Ces nouveaux dispositifs constituent indiscutablement unprogrès par rapport à une présentation exclusivement biologique de la sexualité humaine tellequ’elle était enseignée jusqu’alors. Mais, le temps consacré à l’éducation sexuelle reste trèsrestreint et dépend fortement des choix locaux. Si la dimension relationnelle et sociale de lasexualité est bien présente dans ces nouvelles approches, elle reste, dans la pratique,largement occultée par les enjeux de santé. Il semble bien que le discours soit encore asseznormatif, par exemple en ce qui concerne les grossesses chez les adolescentes qui sontsystématiquement qualifiées de « trop précoces ». Quant aux jeunes non scolarisés, peu deprogrammes leurs sont consacrés alors même qu’ils sont particulièrement concernés par lesrisques liés à la sexualité.Une institutionnalisation encore inachevée des droits reproductifsLes données sur les pratiques contraceptives et le recours à l’ivg en France montrentque les acquis sociaux dans le domaine de la contraception et de l’ivg peuvent à certainségard apparaître fragiles aujourd’hui. Parce que les jeunes générations sexualisées dans uncontexte social beaucoup plus tolérant ont sans doute du mal à s’approprier ces acquis, parceque des inégalités sociales et de nombreux échecs de contraception subsistent, parce quel’épidémie de sida a relégué les enjeux contraceptifs au second plan pour certains, parce quel’éducation sexuelle des jeunes reste très tributaire des orientations des chefs d’établissementsscolaires, parce que le système de soins est en équilibre instable, parce que l’ivg reste un actequi relève du code pénal, parce que la législation de 1975 ne correspond plus à la situationactuelle. Beaucoup reste donc à faire. On peut attendre de politiques préventives qu’ellespermettent une réduction des grossesses non prévues qui donnent lieu à une ivg, en favorisantl’accès à la contraception, en réduisant les inégalités sociales dans ce domaine, en répondantmieux aux besoins des femmes, qu’il reste d’ailleurs à mieux identifier. On peut aussiattendre de ces politiques qu’elles assurent aux femmes un recours à l’ivg dans de bonnesconditions. Les initiatives récentes prises par le gouvernement, comme le lancement d’unecampagne sur la contraception et les modifications législatives réalisées et à venir en matièred’ivg, devraient contribuer à parachever l’entrée dans les mœurs de ces droits reproductifs.- 121 -


N. BAJOSPOUR EN SAVOIR PLUSE. BAULIEU, F. HERITIER, H. LERIDON, 1999. (Eds). Contraception : contrainteou liberté ? Editions Odile Jacob, Paris.P. CESBRON, 1997. L’interruption de grossesse depuis la loi Veil, Médecine Sciences,Flammarion, Paris.C. de GUIBERT-LANTOINE, H. Leridon, 1998. « La contraception en France. Unbilan après 30 ans de libéralisation ». Population, 4, 785-812.H. LERIDON, 1998. « 30 ans de contraception de contraception en France »,Contraception, Fertilité Sexualité, vol 26, n°6, pp 435-438.- 122 -


Genre et précarité en FranceMaryse MARPSAT, INEDLa différence des positions sociales des hommes et des femmes se traduit dans denombreux domaines : formation, marché du travail, partage des tâches au sein du couple,types de loisirs, éducation des enfants, rôle dans la vie publique et la politique (INSEE,1995).La place des femmes dans la société est une place dominée. Ainsi, sur le marché dutravail, les femmes sont plus exposées au risque de chômage, occupent souvent des postessubalternes, et sont plus souvent contraintes à occuper un emploi à temps partiel sans l’avoirchoisi. La structure par profession et par âge ne suffit pas à expliquer les différences desalaire : « à poste donné, un écart de salaire subsiste entre les hommes et les femmes, que l’onne peut que partiellement expliquer par les différences d’expérience » (INSEE, 1995).Cette place dominée va avec certains « avantages » accordés aux plus « faibles » :transferts monétaires destinés uniquement ou principalement aux femmes (pensions dereversion, aide aux parents isolés), travaux relativement moins pénibles (moins d’horairesatypiques, restriction par la loi du travail de nuit).Si les femmes sont plus pauvres que les hommes, ce qui correspond à leur positiondominée, elles sont moins souvent totalement démunies, en raison d’une solidarité collective,familiale et amicale plus forte à leur égard, qui s’adresse tout particulièrement aux famillesmonoparentales : nous examinerons ce paradoxe à <strong>propos</strong> de l’exemple des personnes sansdomicile, qui sont le plus souvent des hommes d’âge moyen.Les femmes plus pauvres que les hommes, mais moins souvent sans domicileLes femmes sont plus nombreuses parmi les pauvres, surtout les mères de famillemonoparentales. Parmi ces dernières, celles qui n’avaient pas d’activité avant la séparation ducouple sont dans une situation particulièrement difficile. Le taux de pauvreté des femmesélevant seules leurs enfants est le plus fort de tous les types de ménages. Par ailleurs,l’examen des résultats de l’enquête Logement de 1996 montre que les femmes sont plusnombreuses que les hommes parmi les ménages pauvres et tout particulièrement en HLM.


M. MARPSATOr, les enquêtes statistiques auprès des personnes sans domicile « au sens restreint »,c’est-à-dire dormant dans un centre d’hébergement destiné aux sans-domicile, dans la rue, oudans un autre lieu non prévu pour l’habitation, font apparaître un résultat paradoxal, quisemble une constante dans les pays occidentaux : il y a beaucoup moins de femmes qued’hommes sans domicile. De plus, selon l’enquête réalisée par l’INED à Paris, les femmesauraient perdu leur logement depuis moins de temps que les hommes : 28 % des femmescontre 12 % des hommes avaient perdu leur logement depuis moins de six mois. Cephénomène se retrouve dans divers pays d’Europe et aux Etats-Unis, et semble encontradiction avec la forte proportion de femmes dans la population pauvre, la plus exposée àla perte du logement.Ce résultat, qui paraît établir une rupture entre la situation des sans-domicile et celle despersonnes logées, s’explique par l’état des rapports sociaux de sexe, qui réservent une placedifférente aux hommes et aux femmes dans la situation de sans domicile comme dans le restede la société. On peut y voir, comme Joan Passaro 1 , un effet des représentations différentesconcernant les hommes et les femmes, qui assigneraient les femmes au « dedans », au« domicile » et au domestique. Il serait ainsi intolérable de les laisser dehors, alors que leurinactivité professionnelle resterait admissible, du moins tant qu’elles se conformeraient auxrôles féminins ; les hommes, en revanche, seraient assignés au « dehors », et au « travail »,leur présence dans la rue serait plus acceptable et viendrait en punition du manque deconformité au rôle du travailleur soutenant sa famille. Toutefois, et sans remettre en cause cequi précède, il faut nuancer le <strong>propos</strong>, ou plutôt le préciser : la relative protection dontbénéficient les femmes est à rattacher à leur rôle de mère, réalisé ou potentiel. L’enfant estalors, comme le fait remarquer Michel Messu dans son analyse de l’allocation de parent isolé,un « bien » non seulement sur le plan moral et sentimental, mais aussi sur le plan économique(Messu, 1992, p. 80).1 J. Passaro, 1996, The unequal homeless. Men in the streets, women in their place, Routledge, New York and London.- 124 -


GENRE ET PRÉCARITÉTableau 1 - Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommesparmi les pauvres et surtout en HLMRatio Femmes/hommes dans les ménages logéshors étudiants et militaires du contingentTous ménages Ménages pauvres Ménages pauvreslogés en HLMSur l’ensemble des personnes de référence des 116 142 159ménages et de leurs conjoints éventuelsSur l’ensemble des personnes de 18 ans et plus 112 133 143Source : INSEE, enquête Logement 1996.Ménages pauvres : ici, dont le revenu global (avant aide au logement) par unité deconsommation est inférieur à la demi-médiane nationale.Si moins de femmes que d’hommes perdent leur logement, on peut y voir l’effet dessolidarités familiales et amicales, et celui de la prise en charge par la collectivité. En effet, lesfemmes qui ont des enfants seraient plus que les hommes prises en charge par la collectiviténationale et la solidarité familiale ou amicale persisterait mieux à leur égard. Un secondfacteur s’ajoute à celui-ci : les femmes hésiteraient davantage, en cas de difficultés familiales,à affronter les dangers de la rue, d’autant plus qu’il ne leur est pas toujours possible d’obtenirune place en Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) lorsqu’elles en font lademande, et elles supporteraient donc plus longtemps des situations familiales conflictuelles.La solidarité nationale améliore la situation des mères isoléesA la solidarité familiale ou amicale qui tend à privilégier les femmes, du moinslorsqu’elles sont accompagnées d’enfants, vient s’ajouter la solidarité nationale, par lesystème des prestations familiales (en particulier l’API ou allocation de parent isolé) ainsi quepar l’accès au logement social.Au sein de la population logée, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que leshommes en HLMOn l’a vu plus haut, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes dansles ménages pauvres ; c’est particulièrement vrai dans les logements HLM (tableau 1). Ceciest dû à la présence dans ce segment du parc de nombreuses familles monoparentales dont lechef est une femme. Ce type de famille constitue en effet moins de 2 % des ménages non- 125 -


M. MARPSATpauvres, 11 % des ménages pauvres et 24 % des ménages pauvres vivant en HLM. Cesrésultats sont à la fois des indicateurs de la pauvreté des femmes mais aussi de leur prise encharge plus grande par la collectivité. On ne peut cependant pas distinguer les femmes sansdomicile qui ont retrouvé un logement en HLM, de celles, sans doute beaucoup plusnombreuses, pour lesquelles l’accès à ces logements à moindre coût a pu leur éviter de seretrouver à la rue, et de celles qui, quoique pauvres, n’ont jamais couru ce risque.Les aides publiques améliorent la situation des femmes élevant seules leurs enfantsCertaines aides publiques sous conditions de ressources contribuent à améliorer lasituation économique des femmes, tout particulièrement de celles qui ont des enfants, etpeuvent leur éviter ainsi de tomber dans une pauvreté trop grande ; c’est par exemple le casde l’allocation de parent isolé (API, voir encadré 1), destinée aux familles monoparentalessous certaines conditions, et dont 98 % des bénéficiaires sont des femmes.Les familles monoparentales sont aujourd’hui le type de ménage avec enfants le plusexposé à la pauvreté 2 , loin désormais devant les familles nombreuses, puisque près d’une surcinq était en dessous du seuil de pauvreté en 1995, contre 11 % pour les couples avec 3enfants ou plus. Pour un grand nombre de familles, la situation monoparentale n’est pas unétat provisoire, puisqu’en 1994, l’ancienneté moyenne dans la monoparentalité était de 8,5ans. De plus, à revenu donné, les familles monoparentales ont des besoins supérieurs enlogement, services domestiques et éducation; leur patrimoine, leur équipement en biensdurables sont aussi affectés par la rupture de la trajectoire familiale (Herpin, Olier 1997) .Malgré l’amélioration substantielle apportée par les aides publiques, la situation de cesfamilles s’est dégradée entre 1985 et 1995. Toutefois, elle demeure plus favorable qu’auxEtats-Unis : au milieu des années 80, en France, la proportion de familles pauvres au sein desfamilles monoparentales passait de 38 % à 17 % après transferts sociaux, alors qu’aux Etats-Unis cette proportion ne passait que de 56 % à 53 %.Paugam et Zoyem (1997, p. 202, tableau 7) étudient le revenu de divers types deménages à trois moments différents : avant toute aide, après aides publiques sous conditionsde ressources, après aides publiques et aides familiales (tableau 2). C’est la situation desfamilles monoparentales qui est le plus transformée par ces aides, le résultat étant moins- 126 -


GENRE ET PRÉCARITÉévident pour les femmes seules : parmi les ménages dont le revenu de départ était faible, lesfemmes seules conservent un revenu inférieur à 2 300F par mois plus souvent que lamoyenne des ménages (13,8 % contre 12 % en moyenne) après avoir perçu l’ensemble desaides. Parmi les hommes seuls, 16,6 % restent sous le seuil de 2 300F. En revanche, le revenudes ménages où une femme élève, seule, son ou ses enfants est très substantiellementamélioré par les aides publiques, l’aide de la famille venant en complément. Par exemple,parmi les ménages de revenu de départ faible constitués de femmes seules avec un enfant, lepourcentage de celles qui ont un revenu par UC inférieur au seuil de 2 300F passe de 49,8 %à 3,2 % après la perception des aides sous conditions de ressources.Les aides plus spécifiquement tournées vers le logement diminuent également beaucouple coût de celui-ci pour les familles pauvres, y compris monoparentales. Ainsi le taux d’effortnet 3 des familles constituées d’une femme avec au moins deux enfants est le plus faible decelui de tous les types de ménages pauvres.Tableau 2 : Répartition des ménages de revenus modestes selon leur composition et leur revenupar unité de consommation avant et après aides publiques (population générale)En %<strong>Avant</strong> aideAprès aides publiques sousconditions de ressourcesAprès aides publiques etfamiliales (quand elles existent)Moins de2300 F2300 à3300 FMoins de2300 F2300 à3300 FPlus de3300 FMoins de2300 F2300 à3300 FPlus de3300 FCouple- sans enfants 45,0 55,0 20,9 54,3 24,8 14,3 44,2 41,5- un enfant 51,3 48,7 16,1 49,0 34,9 13,6 46,8 39,6- deux enfants 47,1 52,9 22,0 44,8 33,2 18,9 45,8 35,3- trois enfants et plus 31,0 69,0 6,5 36,7 56,8 6,5 34,2 59,3Femme, sans conjoint- sans enfants 55,9 44,1 22,5 33,6 43,9 13,8 38,6 47,6- un enfant 49,8 50,2 3,2 32,8 64,0 3,2 28,5 68,3- deux enfants et plus 48,6 51,4 4,4 37,8 57,8 4,4 36,5 59,1Homme, sans conjoint 54,2 45,8 26,5 49,0 24,5 16,6 45,1 38,3Total 47,8 52,2 16,1 42,1 41,8 12,0 40,2 47,8Effectif 697152 761119 235253 613876 609141 174243 586479 697548Lecture : <strong>Avant</strong> aides, 45 % des couples sans enfants ont un revenu par unité de consommation inférieur à 2300 F et 55 % ont unrevenu par UC entre 2300 F et 3300 F. Après aides publiques et familiales, 14,3 % disposent de moins de 2300 F et 41,5 % disposent deplus de 3300 F.Champ : ménages dont la personne de référence est âgée de 18 à 65 ans, sauf étudiants et retraités, et dont le revenu par UC estinférieur à 3300 F avant le soutien de la famille et les aides publiques sous conditions de ressources.Source : Enquête Budget de famille, 1995 (INSEE).Référence : Paugam et Zoyem, 1997.2 Dans l’étude de Herpin et Olier, un ménage est considéré comme pauvre si son niveau de vie (son revenu avant impôt etaprès prestations, par unité des consommation) est inférieur à la moitié du niveau de vie médian.3 C’est-à-dire la part du revenu consacrée au logement après l’apport des aides au logement.- 127 -


M. MARPSATEncadré 1 : Les femmes sont plus que les hommes bénéficiaires des minima sociauxLe système de protection sociale français comprend huit dispositifs dont le but estd’assurer un montant minimum de ressources à des personnes aux revenus très faibles. Ils’agit du minimum vieillesse, du minimum invalidité, de l’allocation aux adultes handicapés(AAH), de l’allocation de parent isolé (API), de l’allocation d’assurance veuvage, del’allocation d’insertion (qui, depuis 1992, s’adresse essentiellement à des détenus libérés et àdes demandeurs d’asile), de l’allocation de solidarité spécifique (qui concerne pour l’essentieldes chômeurs en fin de droits) et du revenu minimum d’insertion. Environ 60 % desbénéficiaires sont des femmes, en raison de trois allocations qui visent un publicessentiellement féminin : l’API (dont 98 % des bénéficiaires sont des femmes), mais aussi leminimum vieillesse et l’allocation veuvage, les femmes ayant une espérance de vie pluslongue que les hommes. En ce qui concerne le minimum vieillesse, s’ajoute le fait que lesfemmes ont pu insuffisamment cotiser pour leur retraite, en particulier les femmesd’agriculteurs non déclarées comme aides familiales. Seule l’allocation d’insertion est trèsmajoritairement perçue par des hommes : il y a un peu plus de femmes que d’hommes quiperçoivent l’AAH et le RMI, un peu moins qui perçoivent l’ASS.L’allocation de parent isolé fut créée en 1976 pendant le septennat de Valéry Giscardd’Estaing. Destiné, à l’origine, aux veuves chargées de famille, la cible de cette mesures’étendit à toutes les isolées, y compris les divorcées et les séparées légales ou de fait, puis àtous les parents isolés (y compris les hommes). L’allocation est versée jusqu’au troisièmeanniversaire de l’enfant le plus jeune, ou pendant un an s’il n’y a pas d’enfant de cette tranched’âge. En 1995, l’API concernait 13,6 % des familles monoparentales, et le RMI 16 %(Herpin, Olier 1997 p. 96).Mais les demandes d’entrée en CHRS ne peuvent pas toujours être satisfaitesLes femmes en grande difficulté peuvent être hébergées par les Centres d’Hébergementet de réinsertion Sociale (CHRS) ou, dans le cas où elles sont accompagnées de jeunesenfants, par des établissements d’accueil mère-enfants.- 128 -


GENRE ET PRÉCARITÉLes CHRS sont principalement financés par l’Etat au titre de l’aide sociale ; ils peuventassumer d’autres fonctions que l’hébergement. S’ils accueillent une partie de la population enurgence (soit pour une partie du centre, soit pour le centre tout entier), ils sont surtout orientésvers l’hébergement accompagné d’actions de réinsertion. L’entrée se fait sur demande etl’admission est prononcée par le préfet du département. De nos jours, l’hébergement se fait deplus en plus en appartements ou studios (37 % des places occupées par des adultes au premierjanvier 1998), de moins en moins en dortoirs, et les fonctions des CHRS se diversifient. Laplupart des personnes accueillies paient une contribution ; un décret en projet en décembre1999 devrait fixer le pourcentage minimum de ses ressources qui devra être laissé à lapersonne hébergée. L’hébergement est assuré pour une durée de six mois renouvelable.Par ailleurs, les femmes accompagnées d’enfants de moins de trois ans ou à naîtrepeuvent être accueillies dans des établissements d’accueil mère-enfant au titre de l’aidesociale à l’enfance. Ces établissements dépendent du Conseil Général. On regroupe sous leterme d’établissement mère-enfant les centres maternels, les foyers de l’enfance et lesmaisons d’enfants à caractère social disposant d’une section mère-enfant. Ces centresn’étaient pas dans le champ de l’enquête de l’INED (voir encadré 2), car ils ne sont pasdestinés prioritairement aux personnes sans domicile. En tenir compte lorsqu’on s’intéresseaux personnes sans logement autonome contribue à relever la proportion de femmes(tableau 3).Tableau 3 : Population adulte logée en CHRS-insertionet en centres mères-enfants en 1994Ile-de-FranceFrance entière (dont DOM)CHRS(hors urgence)Etablissementsmère-enfantsTotalétablissementsCHRS(hors urgence)Etablissementsmère-enfantsTotalétablissementsHommes 1713 0 1713 9767 0 9767Femmes 1202 441 1643 5554 1607 7161% de femmes 41,2 100,0 49,0 36,2 100,0 42,3Ensemble 2915 441 3356 15321 1607 16928Source : DREESDans l’enquête de l’Union Départementale des CHRS du Val-de-Marne 4 , les femmesconstituent la très grande majorité des demandeurs : 18,5 % des ménages demandeurs sontdes femmes seules, 52,9 % des femmes avec enfants et sans conjoint . La demande est donc- 129 -


M. MARPSATen grande majorité féminine, contrairement à ce que l’on pourrait penser au vu de lapopulation des sans-abri ayant déjà perdu leur logement. On trouve aussi 12,7 % de couplesavec ou sans enfants, alors que leur proportion est infime dans l’échantillon des sans-domicileparisiens de l’enquête de l’INED (voir encadré 2).Encadré 2 : L’enquête de l’INED à ParisL’INED a réalisé en février-mars 1995 une enquête auprès d’un échantillonreprésentatif de personnes faisant appel aux centres d’hébergement ou aux distributionsgratuites de nourriture (fixes et mobiles) parisiens. Nous avons distingué parmi ces personnes,en les désignant du nom de « sans domicile au sens restreint », celles qui passent la nuit dansun centre d'hébergement ou un endroit non prévu pour l’habitation (rue, paliers, parkings,gares...), auxquelles on assimile celles qui dorment dans un hôtel ou un squat ainsi que cellesqui sont hébergées de manière non stable par leur famille ou leurs amis. Ces sans-domicile ausens restreint constituent la presque totalité de la population fréquentant ces services. Laméthode mise au point par l’INED élimine les doubles comptes et les pondérations établies 5permettent de tenir compte de la plus ou moins grande utilisation de ces services par lesenquêtés (Marpsat et Firdion, 1999). Les pourcentages présentés ici proviennent des donnéespondérées et correspondent aux caractéristiques des personnes sans domicile utilisant cesservices d’aide un jour moyen de la période d’enquête. Les estimations concernant lesfemmes dans l’enquête de l’INED portent sur un faible effectif d’enquêtées (74), et doiventdonc être considérées comme un ordre de grandeur.Les plus jeunes, hommes ou femmes, cherchent à résoudre un problème de logement dûà un conflit familial. Pour les jeunes femmes, l’un des motifs peut en être une grossesse nonacceptée par les parents. Les femmes accompagnées d’enfants ont été abandonnées par leurconjoint ou sont en conflit avec lui, quelquefois victimes de violences conjugales. Il estpourtant difficile à ces dernières de quitter le domicile conjugal lorsqu’elles ne travaillent pas,surtout si les allocations familiales sont versées sur le compte de leur mari, et ceci même siles Caisses d’allocations familiales essaient de régulariser la situation au plus vite après laséparation.4 UDCHRS/Union départementale des centres d’hébergement et de réinsertion sociale du Val-de-Marne, (document réaliséà partir des travaux de C. Lardoux), 1997, Observatoire de la demande en CHRS dans le Val-de-Marne en 1997.5 La formule des pondérations a été calculée par B. Riandey (INED) et O. Sautory (INSEE).- 130 -


GENRE ET PRÉCARITÉIl semblerait par ailleurs que le nombre de demandes satisfaites par type de populationaccueillie ne soit pas très favorable aux familles, qu’elles soient monoparentales oucomportent un couple. Si, dans le Val-de-Marne, 6 % seulement des demandeurs ont étéaccueillis en moyenne, cette proportion serait un peu plus faible pour les couples, et lesfemmes avec enfants. Il semble que des situations analogues se présentent dans d’autresdépartements de la région parisienne 6 . Ce résultat est en opposition apparente avec l’idéed’une priorité donnée aux femmes ou aux enfants, qu’ils soient avec un seul de leurs parentsou les deux ; mais cela nous semble davantage relever de l’impossibilité de penser les femmescomme « dehors ». Nous avons ainsi entendu une directrice départementale de la DDASS direque pour les femmes, il valait mieux chercher une solution dans la famille.Les aides financières de la famille ont été étudiées en détail par Paugam et Zoyem(1997) à partir de deux indicateurs complémentaires : l’un concerne l’aide financièreeffectivement reçue par les ménages, que ce soit de façon régulière ou irrégulière ; l’autre serapporte à l’aide mobilisable, définie comme une aide potentielle, à laquelle le ménagepourrait faire appel en cas de difficultés, et qui représente pour lui un facteur de sécurité. Ilexiste un décalage important entre ces deux types d’aide. Lorsqu’elle s’exerce effectivement,la solidarité familiale est plus tournée vers les familles monoparentales ; mais c’est aussi pource type de ménage que la proportion de ceux n’ayant pas de « filet familial de sécurité » est laplus forte (tableau 4).6 Il s’agit ici pour l’essentiel d’hébergements de longue durée. De leur côté, les professionnels de l’urgence enquêtés par leCREDOC pour la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) sont 10 % àidentifier un problème d’hébergement des femmes avec enfants (6 % pour les femmes seules), bien après d’autrescatégories de population comme les jeunes de 18 à 25 ans (cités dans 21 % des cas). Ils pensent aussi qu’il y a eu uneamélioration de cette situation depuis l’année précédente. Par ailleurs, un rapport de 1998 de la Direction Régionale del’Action Sanitaire et Sociale d’Ile-de-France fait remarquer que si le pourcentage moyen d’hébergés de sexe masculindans les centres d’urgence de la région (hors Seine-Saint-Denis, qui n’a pu participer à l’enquête) est de 79 %, cepourcentage tombe à 55 % en Essonne et 52 % dans le Val d’Oise, où la proportion de centres accueillant des femmesavec enfants ou des familles est plus importante.- 131 -


M. MARPSATen %Tableau 4 : Ménages logés bénéficiaires potentiels ou effectifs du soutien financier de leurfamille selon la situation familialeAidemobilisableAide reçuerégulièrementAide reçueirrégulièrementAide reçuetotaleCouples- sans enfants 67,5 5,9 6,7 12,6- un enfant 70,8 4,1 8,4 12,5- deux enfants 72,3 3,2 9,9 13,1- trois enfants et plus 64,3 2,3 9,5 11,8Femme, sans conjoint- sans enfants 71,2 5,1 5,9 11,0- avec enfants 64,2 6,9 10,1 17,0Homme, sans conjoint- sans enfants 68,2 5,8 5,2 11,0- avec enfants 69,0 3,9 10,4 14,3Total 68,9 4,5 8,1 12,6Aide mobilisable : existence de personnes de la famille sur lesquelles on peut compter pour donner ou prêter de l’argent en cas dedifficultés.Champ : ménages dont la personne de référence est âgée de 18 à 65 ans, sauf étudiants et retraités.Sources : enquêtes Conditions de vie des ménages « Situations Défavorisées » 1993-1994 (INSEE) pour la première colonne, enquêteBudget de famille 1995 (INSEE) pour les trois dernières colonnes.Référence : Paugam et Zoyem, 1997.En effet, si 68,9 % des ménages déclarent pouvoir mobiliser une aide familiale en casde difficulté, cette proportion est la plus faible pour les femmes élevant seules leurs enfants(64,2 %), et elle est plus forte pour les femmes seules (71,2 %).Mais les résultats s’inversent lorsqu’il s’agit de l’aide effectivement perçue : si 12,6 %des ménages bénéficient effectivement d’un soutien financier de leur famille, c’est le cas de17 % des femmes qui élèvent seules leurs enfants 7 . En revanche l’aide est allouée moinsfréquemment qu’en moyenne à une femme qui vit seule (tableau 4).De même, parmi les allocataires du RMI, les femmes sont plus nombreuses que leshommes à percevoir une aide de leur famille, que ce soit avec régularité ou non (tableau 5).7 Un résultat proche est mis en évidence par Herpin et Olier : dans les familles monoparentales (dont le chef est le plussouvent une femme) 15 % des parents gardiens reçoivent une aide financière de leurs propres parents (Herpin, Olier1997).- 132 -


GENRE ET PRÉCARITÉTableau 5 : L’aide financière de la famille aux bénéficiaires du RMI, selon le sexeEn %Aide régulière Aide irrégulière Aide inexistante TotalHommes 14,1 28,8 57,1 100Femmes 17,9 31,9 50,1 100Total 15,9 30,1 54,0 100Effectif 169 322 573 1064Champ : allocataires du RMI au mois de mai 1990, aide perçue de juillet 1990 à décembre 1990.Source : enquête RMI, 1990-1991 (CERC).Référence : Paugam et Zoyem, 1997.La solidarité en cas de séparation du coupleNous avons vu l’importance des séparations familiales et tout particulièrementconjugales dans les raisons qui conduisent les femmes à se retrouver à la rue. Les enquêtesportant auprès de ménages disposant d’un logement nous éclairent sur ce moment de la vie(Villeneuve-Gokalp, 1994 8 ; tableau 6). En cas de séparation conjugale (divorce, ruptured’union libre ou décès du conjoint), ce sont plus souvent les femmes qui déménagent : parmicelles qui ont connu une telle séparation, 58 % ont déménagé par la suite, contre 48 % deshommes. Ce chiffre global dissimule des résultats différents selon la situation familiale : enl’absence d’enfants, la femme déménage plus souvent que l’homme, alors que lorsqu’il y ena, c’est un peu plus souvent l’homme qui quitte le logement.En cas de séparation, les femmes sont plus souvent aidées par leur famille ou leursamis. La solidarité familiale et amicale peut se traduire par des aides financières ou en nature,cadeaux, garde d’enfants, ou hébergement temporaire. Si à peine plus de femmes qued’hommes vont habiter dans leur famille ou chez des amis, en revanche elles sont beaucoupplus nombreuses à s’en rapprocher géographiquement ou affectivement (tableau 6). Enfin,33 % des femmes et 11 % des hommes ont reçu une aide financière de leur famille. Il est vraique nettement plus de femmes que d’hommes déclaraient que leur situation financière s’était8 C. Villeneuve-Gokalp, 1994, « Après la séparation : conséquences de la rupture et avenir conjugal », in Constance etinconstances de la famille, INED, Travaux et Documents, H. Leridon et C. Villeneuve-Gokalp ed, p. 137-164.- 133 -


M. MARPSATdégradée après leur séparation 9 , et même qu’elle leur permettait tout juste de vivre. Maismême en se limitant aux personnes ayant déclaré qu’une aide financière leur avait éténécessaire, 60 % des femmes avaient été aidées par leur famille et seulement 49 % deshommes.Tableau 6 : Séparation conjugale et solidarité (population générale)FemmesHommesProportion depersonnes ayantdéménagéDont :- pour habiter avec lafamille ou les amis- pour se rapprocher dela famille ou des amisAprès la séparation, lesrelations avec lafamille se sont plutôtrapprochéesEnsemble Avec Sans Ensemble Avec Sansenfants enfantsenfants enfants58 55 62 48 57 429 7 10 8 4 119 10 9 3 5 112 3Proportion dont la situation financière :- s’est dégradée 29 33 23 18 32 10- permettait juste devivre31 40 21 10 15 7Proportion ayant reçu une aide financière :- de leur famille 33 11- de leurs amis 2 2Proportion ayant reçu une aide financière parmi ceux en ayant eu besoin :- de leur famille 60 49- de leurs amis 4 8Source : INED, enquête Situations familiales, 1985.Référence : Villeneuve-Gokalp, 1994.L’étude sur la demande d’entrée en CHRS dans le Val-de-Marne semble indiquer quel’hébergement chez un tiers est une solution provisoire fréquemment adoptée par les femmes,dans l’attente d’une issue plus durable.9 Leur situation professionnelle, liée à la place des femmes sur le marché du travail, étant sans doute l’une des raisons quifaisait obstacle à leur indépendance économique.- 134 -


GENRE ET PRÉCARITÉLes solutions d’hébergement temporaire chez un tiers seraient particulièrementfréquentes pour les femmes qui demandent à entrer en CHRSL’enquête sur les demandes d’entrées en CHRS dans le Val-de-Marne précise lesconditions de logement des hommes et des femmes au moment de cette demande. Lorsque lespersonnes font une demande d’hébergement en CHRS, elles peuvent être encore à leurdomicile, logées chez des parents ou amis, en hôtel, à la rue ou en squat, dans un hébergementcollectif, ou dans une institution comme la prison ou l’hôpital.Ce sont les femmes, seules ou avec leurs enfants, qui sont le plus souvent hébergées parun tiers, puisqu’elles représentent plus de 80 % des ménages hébergés. Pour les femmes, lessituations les plus fréquentes au moment de leur demande sont l’hébergement chez un tiers,lorsqu’elles sont seules ; lorsqu’elles font la demande pour elles-mêmes et leurs enfants, ellessont à peu près à égalité logées chez un tiers ou dans un hébergement collectif (pour environun tiers des moins de 25 ans, et un quart des plus de vingt-cinq ans). Mais les femmesaccompagnées d’enfants sont encore très souvent dans leur domicile : 18,9 % des moins de 25ans, et surtout 32,5 % des plus de 25 ans, pour lesquelles c’est la première provenance.Certaines femmes peuvent être « logées » à l’hôpital. Quelques-unes y sonthospitalisées à la suite de violences conjugales. D’autres, surtout parmi les plus jeunes,restent plus longtemps que de coutume après un accouchement car elles n’ont pas de lieu pourvivre. Enfin, certaines familles africaines issues du regroupement de Vincennes étaientaccueillies au moment de l’enquête dans l’enceinte d’un hôpital du département, mais sansêtre hospitalisées.Au moment de leur demande, les hommes seuls sont plutôt en centre d’hébergementlorsqu’ils ont plus de 25 ans, puis dans la rue ou en squat ; l’ordre s’inverse pour les plusjeunes, dont le désir d’éviter le recours aux centres est souvent noté par les travailleurssociaux.Comme l’indiquent les résultats au niveau national, pour les personnes qui entrenteffectivement en CHRS, les mêmes tendances se présentent, mais atténuées : les femmesproviennent davantage que les hommes d’un logement, le leur ou celui de leur famille oud’amis ; les hommes sont plus souvent sans logement ou dans un établissement social (sourceDREES, janvier 1998). Ainsi, à leur entrée en CHRS, 13,4 % des hommes n’avaient pas delogement contre 5,4 % pour les femmes ; 16 % des hommes venaient de leur logement- 135 -


M. MARPSATpersonnel contre 32 % des femmes ; 25 % des hommes étaient hébergés dans leur famille ouchez des amis contre 30 % des femmes ; et 46 % des hommes venaient d’un établissementsocial contre 33 % des femmes.L’aide familiale s’accompagne quelquefois aussi de contraintes. C’est une situationassez générale, déjà notée par Bonvalet et alii 10 : la famille « aide mais enferme, sécurise maisétouffe » (p. 106).Les femmes hésitent davantage à quitter leur domicile même en cas de graves difficultésfamilialesContrairement aux hommes qui, lorsqu’ils demandent à entrer en CHRS, sont souventdans la rue ou en squat, les femmes sont nombreuses à le faire depuis leur propre domicile.C’est alors principalement pour quitter une situation familiale difficile, souvent un conflitavec le conjoint, mais aussi avec les parents pour les plus jeunes. On doit y voir l’hésitation àse retrouver dans la rue, surtout avec des enfants, et cela même lorsque les conditions de viesont à peine supportables.L’examen de la situation des femmes avant qu’elles ne quittent leur domicile permet deprendre la mesure des contraintes qui pèsent sur elles. 15 % des femmes de l’étude sur lesCHRS du Val-de-Marne disent être victimes de violences conjugales, et, le sujet n’ayant pasété systématiquement abordé lors de l’inscription, cette proportion doit être sous-estimée. Lesfemmes subissant des violences sont à 96 % des femmes avec enfants, et pour la moitié setrouvent encore à leur domicile au moment de leur démarche. Le cas de ces femmes estdifficile à régler car, en l’absence d’une solution de sortie satisfaisante, les femmes sontsouvent conduites à retourner avec leur conjoint entre deux passages en CHRS.Les rapports des différents centres d’hébergement confirment ce rôle de la mésententeconjugale ; les conflits avec les parents jouent aussi un rôle pour celles des plus jeunes qui nevivaient pas en couple. Dans le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)d’urgence de Crimée, réservé aux femmes avec ou sans enfants, 22 % des femmes seules et11 % de celles accompagnées d’enfants donnaient comme raison de leur arrivée un conflitavec leurs parents ; les violences physiques ou les conflits avec le conjoint expliquaient 21 %des entrées de femmes seules et 42 % de celles des femmes avec enfants. Le rapport désigne- 136 -


GENRE ET PRÉCARITÉ« l’errance » 11 comme étant à l’origine de l’entrée de 18 % des femmes seules ; il s’agit dansce cas surtout de femmes plus âgées (rapport de 1995).Une priorité donnée aux femmes et surtout aux mèresComme nous l’indiquait une responsable d’un des services d’aide de Paris, lestravailleurs sociaux tendent à faire passer « les femmes et les enfants d’abord ». Une autreparlait de « limiter le temps à la rue » et d’assurer « un relais après leur propre intervention »lorsqu’il s’agissait de femmes ou de couples avec enfants.En %Tableau 7 : Les sorties des CHRS en 1997 selon la destination et la situation familialeLogementAutreAutrepersonnelétablissementAdultes isolés 25 25 50Adultes en couple sans48 20 32enfantsAdultes isolés avec54 16 30enfantsAdultes en couple avec66 16 18enfantsChamp : les 34 700 adultes sortis de CHRS où ils étaient en hébergement de réinsertion sociale.Source : DREES (chiffres communiqués par Emmanuel Woitrain).Cette importance de l’enfant se retrouve dans le rapport de l’Observatoire Régional dela Santé et des Affaires Sociales de Lorraine 12 , ainsi que dans les données de la DREES 13(tableau 7): ce sont les couples avec enfants et les familles monoparentales 14 qui ont le plusde chance d’accéder à une situation plus « autonome » en fin de séjour dans un centred’hébergement, mais également de poursuivre une prise en charge par l’institution, dans un10 C. Bonvalet, D. Maison, H. Le Bras et L., 1993, « Proches et parents », Population, n°1, p. 83-110.11 On peut rapprocher ce terme, utilisé pour des femmes âgées, de la représentation du vagabondage en termespsychopathologiques. Ainsi, au XIXème siècle, divers spécialistes le qualifiaient de « dromomanie » (Régis), de « manieerrante » (Berklen), ou d’« automatisme ambulatoire » (Charcot).12 ORSAS-Lorraine, 1996, Les centres d’hébergement de Moselle. Leur activité, les caractéristiques des personneshébergées, rapport, septembre 1996.ORSAS-Lorraine, 1997, Evolution de l’activité et des caractéristiques des personnes hébergées par les centresd’hébergement de Moselle, rapport, novembre 1997.13 DREES Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ex SESI (Ministère de l’Emploi et de lasolidarité).14 Suivis des couples sans enfants. La structure familiale en couple peut donc aussi « faciliter » l’accès à un logement.- 137 -


M. MARPSATautre établissement ou dans la même structure, avec un retour à la précarité plus rare. Commea pu le dire Michel Messu à <strong>propos</strong> de l’API, « l’enfant, au même titre que l’emploi perdu oule handicap acquis, ouvre le droit à la solidarité sociale » (Messu, 1992, p 77). Mais, enl’absence de solutions de garde peu onéreuses, la présence d’un jeune enfant peut être unobstacle supplémentaire à la recherche d’un emploi.Par ailleurs, la menace de retirer l’enfant à sa mère, qu’elle soit réelle ou perçue commetelle, est un levier puissant pour agir sur son comportement ; toutefois, les femmes signalentsouvent à quel point la perspective de conserver ou de retrouver leurs enfants a été pour ellesun soutien dans un parcours difficile, soutien qui n’existe que beaucoup plus rarement pourles hommes, généralement séparés de leurs enfants.ConclusionLe faible nombre de femmes parmi les sans-domicile pourrait faire conclure à unesituation plus favorable de ces dernières. Toutefois, les éléments qui y concourent ne sont pastoujours à l’avantage des femmes.Dans la tradition de l’aide sociale française, les jeunes femmes ainsi que les femmesseules avec de jeunes enfants sont davantage prises en charge par la collectivité, la solidaritéde leur famille et de leurs amis venant en complément ; ce traitement préférentiel peut leuréviter de se retrouver sans logement ou leur permettre d’en retrouver un plus rapidement.Cependant, elles sont exposées à diverses difficultés : si elles n’occupent pas un emploi, ledépart du conjoint, leur propre fuite, leur mise à la porte, ont pu les laisser avec de faiblesressources ; en l’absence d’un réseau familial ou amical solidaire, elles peuvent hésiter àquitter leur domicile et demeurer ainsi longtemps dans des situations de violence ou de conflit- Julia Wardhaugh les qualifie alors de homeless-at-home women, pour lesquelles le foyer estune prison - home-as-prison - ; elles peuvent subir de nombreuses contraintes liées à leurplace sur le marché sexuel et matrimonial. La difficulté à trouver une place dans desstructures adaptées font alors qu’elles se trouvent souvent dans des situations tout aussiéprouvantes mais qui restent cachées. Les femmes plus âgées, si elles sont peu nombreusesdans la rue, y sont quelquefois très « clochardisées ».Par ailleurs, pour étudier les situations de précarité que connaissent les femmes, il estimportant de tenir compte de l’ensemble des positions qu’elles occupent, par exemple :- 138 -


GENRE ET PRÉCARITÉ- en matière d’emploi, la répartition des femmes dans l’ensemble des situations entrel’inactivité et l’emploi à temps plein à durée indéterminée.- dans le domaine du logement, outre les logements ordinaires occupés avec un statut dedroit, et les centres réservés aux sans-domicile, il convient d’étudier les situationsd’hébergement par un tiers, les logements prêtés, les squats, les logements collectifs tels queles établissements mères-enfants, les CHRS, les foyers de différents types ; or, les sourcesstatistiques, malgré des améliorations récentes dans le cas français, sont encore insuffisantespour bien connaître ces situations ;- dans le domaine des ressources financières, c’est la combinaison des différentessources de revenus qu’il convient d’analyser : ceux liés à l’emploi (avec le risque plus granddu chômage, des emplois à temps partiel contraint, et les salaires plus faibles même à travailégal) ; ceux liés aux prestations de diverses sortes, qui peuvent se cumuler ou se succéderdans le temps.Si les femmes sont donc plus pauvres que les hommes, elles sont relativement protégéesde la misère, comme le montre leur faible proportion dans la population des sans-domicile.Cette protection s’adresse, en grande partie, aux familles monoparentales. Comme on l’a vuplus haut, au milieu des années 80, la proportion de familles « pauvres » parmi les famillesmonoparentales passait, en France, de 38 % à 17 %, grâce aux transferts sociaux en leurfaveur. Cette amélioration de la situation des familles monoparentales était encore supérieuredans certains autres pays européens (comme en Hollande : de 71 % à 7 % ; ou en Suède : de29 % à 5,5 %). Elle était, en revanche, bien inférieure aux Etats-Unis (de 56 % à 53 %) et auCanada (de 60 % à 48 %). Cela se traduit aussi par le fait que les enfants français sont mieuxpréservés de la pauvreté, avec toutes les conséquences négatives qu’elle pourrait avoir surleur situation et leurs comportements à l’âge adulte (Herpin, Olier 1997).- 139 -


M. MARPSATPOUR EN SAVOIR PLUSN. HERPIN, L. OLIER, 1997, « Les familles monoparentales : aidées maisfragilisées », France, portrait social, INSEE, p. 83-99.INSEE, 1995, Les femmes, collection Contours et caractères.M. MARPSAT, 1999, « Un avantage sous contrainte : le risque moindre pour lesfemmes de se trouver sans abri », Population, 54 (6), p. 885-932.M. MESSU, 1992, « Politique familiale et politique sociale des revenus : le cas del’allocation de parent isolé en France », Revue Internationale de Sécurité Sociale, vol 45, n°3,p. 77-88.S. PAUGAM et J.-P. ZOYEM, 1997, « Le soutien financier de la famille : une formeessentielle de la solidarité », Economie et Statistique, n°308-309-310, p. 187-210.- 140 -


Les violences envers les femmesl'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France 1(enveff)Maryse JASPARD et l'équipe EnveffIntroductionSi la violence apparaît comme un thème récurrent qui traverse les débats de société, siles aspects les plus spectaculaires de la violence sont largement repris et véhiculés notammentpar les médias, ce qui ressort de la violence au quotidien est beaucoup plus occulté et laperpétuation de violences exercées à l'encontre des femmes demeure un phénomènegrandement méconnu. Ainsi il est fait état de la violence sociale engendrée parl'accroissement des inégalités et la marginalisation voire l'exclusion (violence urbaine,violence des jeunes, délinquance), de la violence institutionnelle (violence en prison, violenceen institution, violence à l'école, violence au travail), de la violence de l'Etat, de la violencepolitique (guerres, attentats, autres actes de terrorisme, racisme). L'approche des violencesenvers les femmes s'inscrit généralement dans le registre des violences interpersonnelles etpar là même se rattache la plupart du temps à des situations "ordinaires" liées à la viequotidienne, voire à la sphère du privé. De fait, il a fallu attendre un certain nombre decirconstances favorables (voir plus bas) pour que cette thématique soit prise en comptecomme un phénomène de société, donc ne relevant pas de la seule sphère du privé et pour queles pouvoirs publics s'en emparent. La réalisation d'une enquête statistique nationale sur lesviolences envers les femmes apparaît, de la part de l'Etat, comme la concrétisation d'unevolonté de savoir et de faire savoir. Quoi ? Comment ? Pourquoi ? sinon pour faire évoluer lasociété vers des rapports plus égalitaires -moins violents - entre hommes et femmes. Ce texteen s'appuyant sur le contexte et la mise en oeuvre théorique et méthodologique de l'enquêteEnveff tente de répondre à ces questions.1 Coordonnée par l'Institut de démographie de l'université Paris I (Idup), elle est réalisée, sous la direction de M. Jaspard,par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs appartenant aux grandes institutions de recherche :M. Jaspard, démographe, Responsable de l'enquête, E. Brown, démographe, Institut de démographie de l'université ParisI (Idup) ; S. Condon, géographe, J.-M. firdion, statisticien, Institut national d'études démographiques (<strong>Ined</strong>), A. Houel,psychologue, Université de Lyon II ; D. Fougeyrollas-Schwebel, B. Lhomond, M.-A. Schiltz, sociologues, Centrenational de la recherche scientifique (Cnrs) ; M.-J. Saurel-Cubizolles, épidémiologiste, Institut national de la santé et dela recherche médicale (Inserm).


M. JASPARDContexte institutionnelLa reconnaissance institutionnelle des violences envers les femmesAu plan international, en 1979, avec le vote, par l'Assemblée générale des Nations-Unies, de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontredes femmes, débute une nouvelle approche des phénomènes humains qui prend en comptedésormais les inégalité entre les sexes. La question des violences envers les femmes avait étéévoquée, en 1985, lors de la 3ème Conférence mondiale sur les femmes de Nairobi. Mais1993 constitue une année charnière : lors de la Conférence mondiale des droits de l'homme,qui s'est tenue à Vienne, la violence liée au sexe a été officiellement reconnue commeviolation des droits fondamentaux des femmes. La plate-forme d'action de Pékin adoptée le 15septembre 1995, à l'issue de la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes, a renforcécette position et invité les gouvernements à mener des actions pour prévenir et éliminer lesviolences envers les femmes.En France, la dénonciation des violences faites aux femmes a d'abord été faite par lesmilitantes féministes au début des années 70. La lutte s'est organisée selon trois axesprincipaux : la question de la qualification juridique du viol en tant que crime ; lareconnaissance des violences conjugales ; le harcèlement sexuel au travail. Sous la pressiondes mouvements féministes, les pouvoirs publics se sont saisis de ces problèmes. Ils leur ontapporté des réponses au plan judiciaire (en 1980 définition juridique du viol, 1992 loi sur leharcèlement sexuel au travail) ; le nouveau code pénal, en application depuis 1994, regroupedans un chapitre intitulé "Des atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne"des infractions qui correspondent à la spécificité des violences envers les femmes. L'action del'Etat a également porté sur le soutien et le développement institutionnel de l'aide aux victimeset le traitement judiciaire et social des affaires (en 1989, campagne nationale contre lesviolences conjugales et mise en place des commissions départementales d'action contre lesviolences faites aux femmes, en 1992 pérennisation de la permanence téléphonique sur lesviolences conjugales...). La mission de coordination de la 4ème Conférence mondiale desfemmes qui s'est tenue à Pékin en 1995, a retenu le thème des violences parmi les axesprioritaires de la contribution française.142


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESLa nécessité, pour les Etats, de cerner l'ampleur du phénomène dans l'ensemble de lapopulation féminineL'absence de données statistiques homogènes et fiables constitue une entrave à la prisede décision. La mise en place des actions des gouvernements devrait être précédée par lamesure de l'ampleur réelle du phénomène dans ses diverses manifestations.Ainsi, la plate-forme d'action de Pékin (1995) invite les Etats à : "Promouvoir larecherche, organiser la collecte des données et constituer des statistiques sur la prévalence desdifférentes formes de violence à l'encontre des femmes, en particulier la violence domestique,et encourager la recherche sur les causes, la nature, la gravité et les conséquences de cetteviolence, ainsi que sur l'efficacité des mesures mises en oeuvre pour prévenir cette violence etla réparer.". Le plan d'action de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), adopté en janvier1997, prévoit la mise au point d'une démarche scientifique de santé publique pour laprévention de la violence notamment à l'égard des femmes et des enfants.La demande de "statistiques précises concernant les violences faites aux femmes"apparaît dans le rapport pour la 4ème conférence mondiale des femmes Les femmes en France(Aubin 1994), qui concluait par la recommandation d'une action intégrée de lutte contre laviolence faite aux femmes.L'incomplétude des statistiques françaises sur les violencesA l'heure actuelle les statistiques disponibles portent sur les seules violences déclarées àla suite d’une démarche des femmes vers une institution. Chaque administration compile lesstatistiques de son activité, mais l'ensemble du phénomène leur échappe.Les statistiques administratives et associatives ad hocLe Ministère de l’Intérieur publie chaque année, depuis 1972, dans Aspects de lacriminalité et de la délinquance constatées en France des statistiques réalisées à partir desdépôts de plaintes et portant principalement sur les auteurs des violences. Le Ministère de laDéfense produit ses propres statistiques, Etat des victimes, des crimes et délits à la policeJudiciaire. Dans son Annuaire statistique de la Justice, le Ministère de la Justice informe surles condamnations mais non sur les victimes. Des recherches sur le traitement judiciaire desviolences conjugales ont été ou sont en cours de réalisation auprès de quelques TGI (tribunal- 143 -


M. JASPARDde grande instance). Elles tentent de mettre au jour les mécanismes sous-jacents, en analysantles situations qui aboutissent soit à des condamnations, soit à des classements sans suite.Quelques unités médico-judiciaires ont produit des bilans statistiques sur les victimes deviolences reçues dans leurs services. Enfin, l'Odas (Observatoire national de l'action socialedécentralisée) établit les statistiques de signalements d'enfants maltraités ou victimes d'abussexuels.Des associations d'écoute et d'aide aux femmes victimes de violences collectent desstatistiques sur les personnes qui les contactent. L'exploitation du ficher informatisé desappels reçus (environ 9000 par an) à la permanence téléphonique de la Fédération nationaleSolidarité Femmes a donné lieu à un rapport 2 ; le Collectif féministe contre le viol éditechaque année ses propres statistiques (environ 2500 appels pour viols et autres agressionssexuelles). Enfin, l'Association contre les violences faites aux femmes au travail a publié unouvrage à partir de l'analyse de ses dossiers (Cromer 1995) .Les autres sources statistiquesDes enquêtes de victimation ont été réalisées en France. La première d'ampleurnationale est celle du Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutionspénales), réalisée en 1986. A l'Insee (Institut national de la statistique et des étudeséconomiques), le dispositif d'enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages(EPCV) comprend depuis 1996, un module sur la sécurité, traité sous l'angle des victimes ;dans ce module, sont considérées comme victimes d'une agression, les personnes qui ontrépondu "oui" à la question : "Avez-vous été victime au cours des années 1994 et 1995 d'uneagression ou d'un acte de violence, y compris de la part d'une personne connue, quelle qu'ensoit la gravité" 3 . Comme dans l'enquête Cesdip, la définition peu précise de l'agression nepermet pas une véritable analyse des phénomènes de violences envers les femmes. Toutefoisle volet victimation de l'enquête EPCV développé en 1999 par l'Ihesi (Institut des hautesétudes de la sécurité intérieure), pourrait apporter des données de cadrage utiles 4 .2 Cesur, Gers, 1998, « Les violences conjugales en France : des démarches, des recours , des parcours », Rapport d'étudepour l'Ihesi.3 E. Crenner, 1996, « Insécurité et sentiment d'insécurité ». INSEE Première, n°501.4 P. Peretti-Watel, 2000, « L'enquête de victimation Insee-Ihesi. Première exploitation de l'enquête 1999 », Etudes etrecherches, février. Paris, Ihesi;144


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESDes grandes enquêtes quantitatives ont inclus dans leur protocole d'observationquelques questions sur les violences : l'enquête sur les comportements sexuels en France(ACSF) 5 réalisée en 1992 ; l'enquête sur les comportements sexuels des jeunes en France(ACSJ) 6 effectuée en 1994 ; l'enquête auprès de lycéens de 12 à 19 ans 7 , cette dernière quiporte sur la santé des adolescents inclut des questions sur leur sexualité. La confrontation desrésultats de ces différentes enquêtes montre la difficulté d'analyser un objet qui n'est pascentral dans la recherche, la nécessité d'user avec prudence de telles données et prouve que laviolence sexuelle, a fortiori les violences ne peuvent être cernées qu'au travers d'unerecherche à part entière.Dans une enquête longitudinale réalisée auprès d'un échantillon de femmes au momentd’une naissance, constitué dans plusieurs maternités, était incluse une question sur lesviolences de la part du conjoint ou ami au cours des 12 mois qui suivaient l’accouchementd’un premier ou second enfant 8 .Nécessité d'une enquête quantitativeQuelle que soit la source, la statistique administrative souffre du faible recours desvictimes aux autorités. Les associations connaissent bien les situations de violences vécuespar les personnes qui se sont adressées à elles, mais on ignore ce qui se passe dans l'ensemblede la population. Les enquêtes de victimation ne permettent pas d'analyser la spécificité desviolences subies par les femmes. Aussi, les enquêtes en population générale s'avèrentindispensables pour prendre la mesure réelle du phénomène. Ce, d'autant plus que le débat surles violences envers les femmes se nourrit de nombreux préjugés. La production de donnéesvalides, obtenues sur un échantillon représentatif, devrait apporter une information utile pourun meilleur traitement social de cette question.5 A. Spira, N. Bajos, le groupe ACSF, 1993, Les comportements sexuels en France. Paris, La documentation Française.6 H. Lagrange, B. Lhomond, (eds), 1997, L'entrée dans la sexualité, Paris : La Découverte.7 M. Choquet, S. Ledoux, 1994, Adolescents. Enquête nationale. Le temps des premières expériences sexuelles. Paris :Inserm.8 M.-J. Saurel-Cubizolles, B. Blondel, N. Lelong, P. Romito, 1997, « Violence conjugale après une naissance ».Contraception Fertilité Sexualité ; 25: 159-164.- 145 -


M. JASPARDL'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff)Cette enquête est réalisée à la demande du Service des Droits des Femmes et duSecrétariat d'Etat aux Droits des Femmes et à la Formation Professionnelle / Ministère del'Emploi et de la Solidarité. C'est la première enquête nationale sur ce thème programmée enFrance. Après avoir été examinée par le Conseil national de l'information statistique, elle faitpartie du programme national d'enquêtes d'intérêt général pour l'année 2000.Son objectif prioritaire est la production de statistiques fiables portant sur l'ensemble dela population. La construction de ces données sur les violences envers les femmes ne va pasde soi, elle nécessite un cadre théorique et une méthodologie appropriés. La phasepréparatoire de l'enquête a permis la mise au point du cadre théorique et de la méthodologiede l'enquête Enveff.Cadre théorique et méthodologique de l'enquêteL'approche des violences envers les femmes se rattache la plupart du temps à l'étude dela violence au quotidien, des situations "ordinaires", voire de la sphère du privé. Au contrairedes aspects les plus spectaculaires de la violence, ces situations liées à la vie intime sontgrandement occultées. Bien que s'inscrivant dans le registre des relations entre les personnes,elles peuvent s'articuler avec divers types de violence institutionnelle ou sociale. La violenceentre les personnes est souvent institutionnelle, dans la mesure où elle est liée aux règles defonctionnement des institutions sur lesquelles s'appuie la société : la famille, l'école, le mondedu travail, le système de protection sociale, de santé, de sécurité publique... Elle est égalementsociale, car dépendante des conditions de vie, de l'environnement et de la position dans lahiérarchie sociale ainsi que dans l'échelle des âges et des sexes.Les fonctions dévolues aux hommes et aux femmes, les systèmes de valeurs auxquelsils se réfèrent construisent des rapports sociaux entre les sexes qui génèrent des types deviolences particulières à l'encontre des femmes. Si violence et non violence ne permettent pasde tracer une ligne de partage entre les sexes, les rapports de domination engendrent des actesde violence et la violence masculine peut être analysée comme un mécanisme fondamental ducontrôle social des femmes. Bien que les femmes puissent elles-mêmes être auteurs deviolences lorsqu'elles se trouvent en situation de pouvoir, les violences qu'elles subissentexpriment leur position de dominées - ce qui n'exclut pas de leur part des réactions, y comprisviolentes, à cette situation - .146


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESLa persistance de ce phénomène apparaît paradoxale dans la société française de la findu XXème siècle, où la violence à l'encontre des femmes et des enfants est considérée commeune déviance. En effet, même si des inégalités fondamentales subsistent, les femmes ontacquis une relative autonomie, notamment par rapport à la procréation, mais aussiéconomique grâce à leur présence sur le marché du travail et à l'élévation de leur niveaud'études ; ce qui a contribué à la transformation des rapports entre hommes et femmes.Cependant la transition d'un état à un autre engendre des tensions et l'adaptation à denouveaux modes de vie, ou l'élaboration de nouveaux rapports entre les personnes, se réalise àun rythme différent dans chaque groupe social.La violence se manifeste dans tous les milieux sociaux mais elle prend des formesspécifiques à chaque milieu. La nature des actes violents est liée à des éléments culturels, qui,au-delà des rapports hiérarchisés entre les sexes, renvoient à des normes intégrées par lesindividus telles que le type de rapport au corps, à la parole. L'estimation d'une fréquenceglobale de la violence envers les femmes ne semble pas pertinente, de même qu'une mesurequi s'appuierait sur des seuils de tolérance, variables selon les individus. Aussi la notion deviolence telle qu'elle est envisagée dans cette approche n'est pas univoque, elle est une miseen acte aux formes multiples.Quelle qu'en soit la nature et quels qu'en soient les protagonistes, les actes violents sonttoujours une atteinte à l'intégrité physique et psychique de la personne - définition retenue parle code pénal français -. Elle est fondée sur un rapport de force ou de domination qui s'exercepar des brutalités physiques ou mentales. Elle ressort du désir d'imposer sa volonté à l'autre,de le dominer au besoin en l'humiliant, en le dévalorisant, le harcelant jusqu'à sa capitulationet sa soumission. Selon une définition des Nations Unies, est considéré comme acte violent"tout acte, omission ou conduite servant à infliger des souffrances physiques, sexuelles oumentales, directement ou indirectement, au moyen de tromperies, de séductions, de menaces,de contrainte ou de tout autre moyen, à toute femme et ayant pour but et pour effet del'intimider, de la punir ou de l'humilier ou de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à sonsexe, ou de lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son intégrité physique,mentale et morale ou d'ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre ou sa personnalité,ou de diminuer ses capacités physiques ou intellectuelles" 9 .9 Rapport final d'activités du Groupe de Spécialistes pour la lutte contre la violence à l'égard des femmes (EG-S-VL),Conseil de L'Europe, Strasbourg, juin 1997.- 147 -


M. JASPARDBien qu’adhérant à cette définition internationale, l'approche de l’enquête Enveff tend àse différencier de celle des grandes enquêtes quantitatives nord-américaines 10 par certainsaspects : ne jamais "nommer" la violence, évoquer uniquement des gestes, actes, faits,paroles, sans les qualifier de violents ; ne pas hiérarchiser les actes a priori par leur caractèreplus ou moins délictueux (relevant du droit pénal), mais tenter d'en établir une typologie aposteriori ; ne pas se limiter aux violences sexuelles, mais les inclure ; considérer que laviolence subie par les femmes n'est pas exclusivement d’origine masculine.Les objectifs de cette enquête peuvent être regroupés en quatre points :- Evaluer les fréquences des divers types de violences interpersonnelles qui s'exercentenvers les femmes, à l'âge adulte, dans leurs différents cadres de vie (couple, famille, travail,lieux collectifs), quels que soient le (les) auteur(e)s des violences.- Analyser le contexte familial, social, culturel et économique des situations de violence.- Etudier les réactions des femmes aux violences subies, leurs recours auprès desmembres de leur entourage et des services institutionnels.- Appréhender les conséquences de la violence sur le plan de la santé physique etmentale, de la vie familiale et sociale, et de l'usage de l'espace privé/public.Le facteur temps est un élément essentiel de cette investigation. Le découpage temporelle plus adéquat pour cerner la fréquence des violences subies repose sur une périodisationarticulée :- sur les douze derniers mois (année écoulée) pour l'ensemble des violencespsychologiques, verbales, physiques et sexuelles, dans les différentes sphères de la vie ;- au cours de la vie adulte (après dix huit ans) pour certaines violences physiques ;- au cours de la vie en général (en incluant la jeunesse) pour certaines violencessexuelles.Le choix d'une période de référence courte et récente permet de situer avec peu demarge d’erreur l’événement violent par rapport à la position familiale, professionnelle, auxconditions de travail, de résidence et de santé de la femme.10 Enquête de Statistique Canada, 1993, aux Etats-Unis, Strauss et al., 1975, 1985, Brush, 1990.148


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESBilan technique de l'enquête piloteL'enquête pilote s'est déroulée du 19 novembre au 14 décembre 1998 par téléphone,auprès d’un échantillon de 484 femmes, représentatif de deux régions : l’Ile de France et laBretagne (Jaspard et al. 1999). Elle a permis de réaliser "un modèle réduit" de l'enquêteprojetée au plan national.Une première collecte en face à face avait permis de tester l'acceptabilité du sujet par lesrépondantes, la structuration du questionnaire en modules, la validité des questions et de leurformulation, l’identification de seuils de tolérance à l’investigation dans les domainestouchant plus à l'intime. Cette démarche avait également pour but l'évaluation de la duréeoptimale de l'interrogation, en tenant compte de l'attitude des répondantes : intérêt manifeste,lassitude, rejet. Outre la validation des conclusions de ce premier test, les objectifs del'enquête pilote étaient plus centrés sur des aspects méthodologiques pour vérifier dans quellemesure l’ensemble des étapes, mises au point par l’équipe de recherche, était opérationnel etidentifier les points à améliorer.Le sujet des violences envers les femmes demande à être introduit de façon particulièreet délicate, afin de ne pas induire de réaction de refus de la part de ménages ou de femmes quine se sentiraient pas du tout concernés ou, au contraire, de la part de ménages ou de femmes“trop” concernés et qui pourraient craindre les conséquences de leur participation.Aussi, il était nécessaire, non seulement de tester la procédure de sélection des femmesà interroger, le taux d'acceptation de l'enquête, ainsi que les modalités et la faisabilitéd'interrogation de ménages sur liste rouge. Mais également d'observer le bon déroulement detoutes les étapes que comprendra l’enquête définitive sur échantillon national : la lettreannonce, la prise de contact par téléphone, la réaction des enquêtrices et des enquêtées lors dela passation du questionnaire, la gestion des "incidents". Et il était indispensable de tester unprotocole spécifique adapté à la nature sensible du sujet, notamment le fonctionnement dudispositif mis en place avec les associations, visant à assurer un relais pour des femmesdemandeuses.Le questionnaire est divisé en neuf modules. Sa durée de passation, 45 minutes, semblebien acceptée par les répondantes. Les résultats de l'enquête pilote ont également montré quecette structuration a été bien acceptée par les personnes interrogées, et répondu à notreattente : favoriser la remémoration des situations de violences subies par les femmes.- 149 -


M. JASPARD- Les deux premiers modules permettent de recueillir les données contextuelles(caractéristiques familiales, économiques, sociales, résidentielles...), les éléments debiographie et l'état de santé des femmes et de leurs éventuels conjoints.- Les modules suivants sont conçus pour faire émerger les actes ou situations deviolence. Les six premiers modules cernent la violence subie au cours des douze derniersmois dans les différentes sphères de la vie. Ils s'ordonnent ainsi :1) espaces publics (rue, transports, bars, magasins, administrations....),2) sphère professionnelle et étudiante,3) contacts privés avec des professionnels de santé ou autres (consultations,interventions à domicile....)4) couple,5) ex-conjoint,6) famille et proches.La violence n'est jamais nommée, les actes, faits et gestes sont toujours cités avec leplus de précision possible, et de façon neutre ; pour cela, le mot "fait" a été utilisésystématiquement. Chaque module comprend une liste d'items plus ou moins identiquesadaptés à la sphère considérée, pour lesquels on relève la fréquence et le ou les auteurs 11 .Dans chaque sphère, uniquement pour le fait le plus grave selon l’avis de l'enquêtée,l’investigation porte sur les circonstances, réactions et recours des femmes, ainsi que sur lesconséquences physiques, psychologiques ou matérielles sur le travail, la santé, et d’autresaspects de la vie de la personne interrogée.11 Les actes retenus peuvent être classés ainsi :- Violences physiques : donner des gifles, des coups avec ou sans objet contondant, menacer avec une arme, tenterd'étrangler ou de tuer, exercer d'autres brutalités physiques, enfermer ou empêcher de sortir, abandonner sur la route (envoiture), empêcher de rentrer chez soi.- Violences sexuelles : imposer des rapports sexuels sous la contrainte, imposer des pratiques sexuelles non désirées, desattouchements, imposer des rapports sexuels avec d'autres personnes ; dans le cadre du travail, faire des avances sexuellesdéplaisantes, imposer des images pornographiques.- Actes malveillants par la médiation d'un objet : jeter, déchirer, casser, détruire un objet, une fabrication de l'autre (platcuisiné, objet fabriqué, création artistique ou autre ...).- Appels téléphoniques malveillants, avec ou sans connotation sexuelle.- Violences verbales : insultes, injures- violences psychologiques : s'en prendre aux enfants, emmener les enfants ; contrôler les sorties, les relations ; imposerdes comportements ; mépriser, dévaloriser, dénigrer, brimer ; mettre à l'écart, refuser de parler ; menacer, menacer demort, faire du chantage affectif.- violence économique :empêcher d'avoir accès aux ressources.150


VIOLENCES ENVERS LES FEMMES- Le dernier module reprend, pour la “ vie entière ”, les agressions physiques etsexuelles. Pour chacun de ces faits, l’âge, les auteurs, les circonstances, les recours judiciaireset les conséquences sont enregistrés. En cas de répétition des agressions, ces questions sontrenouvelées pour le premier et le dernier fait. Au cours de l'entretien, le travail deremémoration et de sensibilisation progresse et ce dernier module permet l'expression desituations douloureuses, parfois anciennes.La qualité de l’échantillonLes faibles taux de refus individuels (inférieurs à ceux d’autres enquêtes par téléphone,sur des sujets sensibles) montrent une bonne acceptation du sujet de l’enquête et de sa durée.Ce que confirment aussi de très faibles taux d’abandon en cours d’entretien (moins de 1 %).Les taux de refus des ménages, avant sélection de l’enquêtée, semblent plus importants :la présence, pour la première fois dans un échantillon téléphonique, de ménages inscrits surliste rouge 12 , l’explique en partie, ceux-ci exprimant davantage un refus d’emblée.L’allongement de la période de collecte, l’approfondissement de la formation desenquêtrices, l’adaptation de la lettre avis et l’augmentation du nombre d’appels (de 10 à 12)devraient permettre de réduire le taux de refus des ménages et d’améliorer la qualité del’échantillon.Les non-réponses, très peu nombreuses pour la plupart des questions, ne risquent pas debiaiser les résultats. Par ailleurs, quelques indicateurs portant sur des thèmes sensibles et defaible amplitude (homosexualité, multipartenariat, consommation de drogues) se situent dansdes fourchettes comparables à celles des données d'enquêtes spécifiques. Sur un sujet parfoisdifficile à évoquer, comme l’homosexualité, les résultats obtenus dans l’enquête pilote sontplutôt dans la fourchette supérieure des estimations des enquêtes sur les comportementssexuels. La dynamique du questionnaire permet de répondre assez bien à des thèmes peudicibles.La nécessité d’interroger des femmes vivant dans des ménages figurant sur la listerouge a été largement confirmée. La part des ménages sur liste rouge est élevée. Les femmesdans ces ménages présentent des caractéristiques socioculturelles particulières, âge,12 Les abonnés au téléphone s'inscrivent sur une "liste rouge" s'ils ne veulent pas que leur numéro de téléphone figure dansles annuaires. Jusqu'à maintenant, dans les enquêtes téléphoniques, en France, on interrogeait seulement les abonnésfigurant dans les annuaires "hors liste rouge".- 151 -


M. JASPARDprofession, par exemple ; elles décrivent des expériences de violence différentes des autres,une des raisons de s’inscrire sur la liste rouge est la peur et le désir de se protéger contre unéventuel agresseur.La structure de l’échantillon pilote incite à penser qu’il n’y aura pas de biais de collecteimportant dû aux "non réponses" lors de l’enquête définitive, où l’on recueillera 14 fois plusde questionnaires. La distributions par âge des femmes de l’enquête pilote est très proche decelles des données de calage 13 . La répartition des professions exercées par les femmes activesde l’échantillon présente un déficit des femmes artisanes, commerçantes, chefs d’entreprise etd’ouvrières, mais dans l’ensemble la concordance est bonne. La répartition des femmesactives et inactives par région est très proche des données de calage disponibles. Lespersonnes impossibles à joindre ne semblent pas être davantage des femmes actives, doncsusceptibles de connaître des formes de violence particulières, au travail notamment.Enfin, les indicateurs d’état de santé retenus dans le questionnaire présentaient desdistributions voisines de celles disponibles sur des données en population générale (échellesrégionales ou nationales).Quelques tendances observées à partir des résultats de l'enquête piloteUne analyse quantitative des résultats de l’enquête pilote ne correspondait pas auxobjectifs de cette première étape, toutefois nous avons calculé quelques indicateurs pourvérifier que les fréquences observées étaient bien situées dans les fourchettes des données desenquêtes étrangères. La taille de l’échantillon ne permet en aucun cas de transposer cesrésultats au niveau de la population française et pour des raisons méthodologiques aucunchiffre ne peut être ici mentionné. Cependant nous pouvons donner quelques tendances.Les violences dans le couple actuel au cours des 12 derniers moisL'approche des violences psychologiques de l'enquête Enveff ne se retrouve dansaucune enquête nationale étrangère, ce qui rend impossible les comparaisons. Notonscependant qu'une très forte proportion de femmes en couple ont déclaré avoir subi au moinsune violence psychologique. La construction d'un indicateur de “ degré de violencepsychologique ” qui combine le nombre d’items cités et leur fréquence permet de nuancer un13 Recensement de population 1990 Insee (région Bretagne), Enquête Emploi 1998 de l’Insee (région Ile-de-France).152


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESrésultat brut au premier regard très alarmant. Néanmoins, l'ampleur des situations gravissimesde harcèlement moral montre bien l'existence d'un réel phénomène de société. Au regard de ceconstat, la fréquence des violences verbales (insultes et injures) au sein du couple apparaîtrelativement faible : elle pourrait être légèrement 14 inférieure à celle des situations deharcèlement psychologique. Les formes de violences psychologiques, de nature plusinsidieuse, sembleraient ancrées sur la perpétuation d'actions de dévalorisation, dedéstabilisation, souvent véhiculées par un discours répété, peu ressenti comme directementinjurieux. Serait-ce une des formes modernes de la domination masculine au sein des couplescontemporains "égalitaires et contractuels" ? Les analyses effectuées sur l'échantillon des7000 femmes permettront de vérifier ce qui, à ce stade de la recherche, demeure unehypothèse.La fréquence des violences physiques ou sexuelles a été calculée dans d'autres enquêtesétrangères de façon relativement analogue de celle de l'enquête Enveff. Des comparaisonssont ainsi possibles avec les données des enquêtes suisses et canadiennes. En 1993, environ3% des canadiennes vivant en couple ont déclaré avoir subi ce type d'agression de la part deleur conjoint ou compagnon, au cours des douze derniers mois 15 . En Suisse, en 1994, ellessont 6% à être dans ce cas (Gillioz et al. 1997). Les résultats de l'enquête pilote se situeraientplus dans la fourchette d'évaluation de l'enquête suisse. Des fréquences beaucoup plus élevéesont été observées dans d'autres pays : dans une des premières enquêtes réalisées en 1985, auxEtats-Unis, elle atteignait 11 % 16 ; en Finlande, en 1997, cette proportion était 9% ; enNouvelle-Zélande 17 , en 1996, elle s'élevait jusqu'à 15%. Il faut souligner dans cette dernièreenquête, l'importance de l’appartenance ethnique, 28 % des femmes maoris déclaraient êtrevictimes de violences, contre 10% des autres. La variabilité de ces fréquences - liée à desproblèmes méthodologiques mais aussi structurels - apparaît ainsi très forte.Globalement, au vu des données de l'enquête pilote, on retrouve les mêmes mécanismeset on peut avancer les mêmes explications pour les trois types de violences (psychologiques,physiques et sexuelles), ce qui confirme l'hypothèse de l'existence d’un continuum desviolences. Comme dans d’autres enquêtes étrangères, l’effet d’âge est important : les plus14 Compte-tenu des intervalles de confiance calculés pour chaque fréquence.15 Statistique Canada, 1993, « L’enquête sur la violence envers les femmes ». Le Quotidien, 18 novembre.16 M.-A. Straus, R.-J. Gelles, 1986, « Societal change and change in family violence from 1975 to 1985 as revealed by twonational surveys ». J of Marriage and the Family ; 48: 465-479.17 A. Morris, 1997, Women’s safety survey 1996, Wellington : Crown.- 153 -


M. JASPARDjeunes sont plus souvent victimes de violences conjugales. De même, l’effet amplificateur duchômage et de l’alcoolisme du conjoint apparaissent clairement. Par ailleurs, le fait d’avoirconnu de graves tensions entre ses parents est corrélé positivement avec la fréquence desviolences conjugales. Par contre, la présence d’enfants semble avoir une influence différenteselon le type de violence ; l’échantillon national permettra de le préciser.Les violences dans la sphère professionnelle au cours des 12 derniers moisNe disposant pas de données quantitatives fiables et homogènes permettant d'établir descomparaisons, on peut simplement dire que le nombre de femmes ayant déclaré avoir étévictimes d’agressions physiques ou de harcèlement sexuel est suffisamment élevé pour que cephénomène soit pris en compte comme un fait social.Les auteurs de l’ensemble de ces violences sont le plus souvent des collègues et desclients ou clientes (ceci souligne les limites de la définition juridique actuelle du harcèlementsexuel au travail). Que les auteurs de violences sexuelles soient quasi exclusivement deshommes ne constitue pas en soi une surprise. Concernant les violences physiques etpsychologiques, la part des femmes parmi les agresseurs ne dépasse pas un quart, lacombinaison du sexe et du statut de l’agresseur donnera une image plus précise de l’effet dusexe dans les situations de violence au travail.Les violences "au cours de la vie"La fréquence des violences physiques et sexuelles observées dans les enquêtesétrangères est élevée. En 1993, (op.cit.) la moitié des canadiennes âgées de 18 ans ou plusdéclaraient avoir été victimes d’au moins un acte de violence physique ou sexuelle de la partd'un homme au cours de la vie adulte. En Finlande, (op.cit.) 40% des femmes déclaraientavoir été victimes de violence masculine, physique ou sexuelle depuis leur quinzièmeanniversaire. Les autres enquêtes considèrent uniquement la violence conjugale : en Suisse,(op.cit.) 21 % des femmes en couple au moment de l'enquête ont déclaré avoir subi desviolences de ce type de la part de leur conjoint ; en Nouvelle-Zélande (op.cit.), cetteproportion est de 24%, elle atteint 73% chez les femmes séparées.Si globalement, au regard des résultats de ces enquêtes, il semble bien que la situationdes Françaises soit assez proche de celle des femmes des pays concernés, la complexité del’analyse de ce phénomène interdit d’avancer des conclusions à l’issue d’une opération pilote.154


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESPar contre, il est possible de comparer la proportion de femmes victimes de rapportsforcés dans l'enquête pilote Enveff et dans l'enquête sur les comportements sexuels en Franceréalisée en 1992 18 . La fréquence observée dans l'enquête pilote est comprise dans unefourchette supérieure à celle obtenue dans l’enquête ACSF (op.cit) où 4,4 % des femmesinterrogées avaient déclaré avoir subi des “ rapports sexuels imposés par la contrainte ”. Lastructuration du questionnement et la manière de poser les questions ont sans doute facilité ladéclaration de ces situations.La distribution par âge des femmes lors du premier 19 rapport forcé est voisine de celleobservée dans cette même enquête. On retrouve également les constantes 20 sur le statut del’agresseur, notamment le fait que celui-ci est très majoritairement une personne connue. Il enva de même pour les attouchements et tentatives de viol, ces faits remontant plus souvent àl’enfance et à l’adolescence.Quant à la violence physique, elle a très fréquemment été perpétrée par un conjoint ouex-conjoint.Les principaux enseignements de l’enquête piloteL’analyse qualitative de la question ouverte figurant en fin d’entretien donne deséléments d’explication de l’intérêt témoigné pour l’enquête par les répondantes. Qu’elles aientou non subi des faits de violence, la majorité de celles qui répondent jugent utile ce typed’enquête : il aide à prendre conscience de l’importance réelle des phénomènes et donnel’occasion de parler à celles qui n’osaient pas. Dans ces derniers cas les garanties d’anonymatdonnées dans l’enquête par téléphone apparaissent primordiales.- Une proportion très élevée de femmes ayant subi des violences, en ont, au moment del'enquête, parlé pour la première fois : environ la moitié pour les violences physiques etsexuelles, la proportion étant plus élevée pour les violences sexuelles.- Une très faible part des femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles aporté plainte, elles ont plus fréquemment porté plainte dans le cas des agressions physiques.18 Analyse des comportements sexuels en France : seule enquête nationale française auprès d’adultes où une évaluation dela fréquence des viols a pu être faite.19 Lorsqu’il y a eu plusieurs viols.- 155 -


M. JASPARD- La réaction des femmes interrogées et leurs réponses au questionnaire ont égalementmis en évidence l'importance des violences psychologiques et la nécessité de prendre encompte le continuum des violences.- Dans le cadre, neutre, de cette enquête anonyme, les femmes interrogées ont acceptéde répondre à des questions touchant à leur vie intime — même si quelques-unes ont pu, audébut, exprimer une certaine gêne. Certaines femmes ont eu, au cours de l'entretien, uneforme de prise de conscience qui les a amenées à reconsidérer des situations vécues qu'ellesn'auraient pas d'emblée déclarées.- Il s'est opéré au fur et à mesure que l'entretien avançait une sensibilisation desenquêtées, favorable à la déclaration des actes de violence qu'elles avaient subis.- La violence des femmes n'est pas niée par les répondantes qui souhaitent pouvoirrendre compte de l'ensemble des agressions qu'elles ont subies, même si elles émanentd'autres femmes.Un des grands enseignements de l'enquête pilote a été de mettre en évidence l'ampleurdu silence et l’occultation des violences par les femmes qui les subissent, et combien la réalitédu phénomène échappe au système statistique français et reste méconnue. Le fait de menerune enquête auprès des femmes sur un sujet les concernant directement est déjà une marqued'intérêt, ajouté à cela les modalités de réalisation de l'enquête par téléphone (garantied'anonymat, neutralité de l'enquêtrice) : les conditions semblent réunies pour tenter de réduirece mutisme dans lequel s'enferment encore un trop grand nombre de femmes. De plus, enconstatant que les femmes des divers groupes sociaux avaient toutes été touchées, l'enquêtepilote a confirme la nécessité et la faisabilité d'une enquête en population générale afind’appréhender l’amplitude et la nature du phénomène dans l’ensemble de la population.La réalisation de l'enquête nationaleLa collecte des données de l'enquête nationale est réalisée auprès d’un échantillon de7000 femmes âgées de 20 à 59 ans, représentatif à l’échelle de la France métropolitaine. Elleest effectuée par téléphone, selon la méthode cati (collecte assistée par téléphone etinformatique). Elle a débuté le 3 mars 2000 et doit s'échelonner sur quatre mois. Du fait de la20 Tendances que l’on retrouve dans les statistiques des services d’aide aux victimes, dans les études portant sur les archivesdes services de justice et également dans l'enquête ACSJ (op.cit.).156


VIOLENCES ENVERS LES FEMMESnécessité d'interroger toutes les femmes, y compris celles dont le numéro de téléphone estinscrit sur la liste rouge, l'échantillon a été stratifié pour tenir compte du taux différentiel -selon les régions - des abonnés au téléphone sur liste rouge.L'institut de sondage qui a en charge l'opération de collecte a été sélectionné -conformément à la réglementation française - à la suite d'un appel d'offre de marché public.Cet institut, expérimenté en enquête téléphonique, travaille en étroite collaboration avecl'équipe de recherche qui assure le suivi complet du terrain pendant toute sa durée.En raison de la sensibilité du sujet et de la complexité de la démarche un effortparticulier a été fait en direction des enquêtrices 21 , tant en matière de formation, qued'accompagnement tout au long du temps de la collecte. De plus l'organisation d'un relaisassociatif - d'associations de lutte contre les violences faites aux femmes - peut apporter unsoutien aux enquêtées ou aux enquêtrices en cas de situations particulièrement difficiles.Les modalités techniques de réalisation des appels téléphoniques garantissent le respectde l'anonymat et de la sécurité des personnes interrogées. Pour prévenir la mise en péril desenquêtées en cours d'entretien, un protocole comprenant de nombreuses précautionsméthodologiques a été mis en place.ConclusionL'évaluation des fréquences des violences envers les femmes en France s'est avéréeindispensable pour mettre en place des politiques d'aide aux victimes et de prévention, lesmoyens scientifiques, techniques et financiers ont été dégagés à cet effet : l'enquête Enveff enest l'aboutissement. Mais l'équipe Enveff doit se prémunir contre le risque d'un chiffragemonolithique qui masquerait une réalité complexe. Si l'objectif de cette opération de grandeenvergure est de cerner l'ampleur du phénomène, il s'agit aussi de décrire de la façon la plusprécise possible les aspects multiformes de la violence subie par les femmes, afin de mieuxadapter les actions à la diversité des situations observées. En faisant émerger la face cachée del'iceberg, il faut se garder de la tentation de globalisation. Le protocole de collecte desdonnées et l'analyse qui sera menée ont été conçus pour rendre compte des différents aspectsde ce phénomène social dans sa complexité.21 Nous avons choisi de faire réaliser les entretiens téléphoniques exclusivement par des femmes.- 157 -


M. JASPARDLes actions visant à réduire les inégalités entre les deux sexes doivent s'appuyer surl'ensemble des analyses menées dans ce domaine. Ainsi, les résultats de l'enquête Enveffpourront apporter leur contribution à la connaissance des mécanismes qui freinent leprocessus d'égalisation entre les hommes et les femmes. En complémentarité, la préventiondes comportements violents envers les femmes pourrait être intégrée à une intervention plusglobale dont l'objectif à long terme serait, en changeant les représentations masculines etféminines, de transformer les rapports entre les sexes.POUR EN SAVOIRM. BORDEAUX, B. HAZO, S. LORVELLEC, 1990, Qualifié viol. Paris, MéridiensKlincksieck.C. AUBIN, H. GISSEROT, 1994, Les femmes en France: 1985-1995. Rapport établipar la France en vue de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes. Paris, LaDocumentation française.S. CROMER, 1995, Le harcèlement sexuel en France- La levée d'un tabou 1985-1990.Paris, La Documentation française.L. GILLIOZ, J. de PUY, V. DUCRET, 1997, Domination et violence envers la femmedans le couple. Lausanne, Editions Payot.Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (1997) : «Violences en famille»,Les cahiers de la sécurité intérieure, n°28. Paris, IHESI./ La Documentation française.M. JASPARD, E. BROWN, S. CONDON, J.-M.FIRDION, D. FOUGEYROLAS-SCHWEBEL, A. HOUEL, B. LHOMOND, M.-J. SAUREL-CUBIZOLLES, M.-A.SCHILTZ, 1999, Enquête nationale sur les violences envers les femmes. Bilan de laphase préparatoire et de l'enquête pilote. Paris,IDUP / Ministère de l'Emploi et de laSolidarité - Secrétariat d'Etat aux Droits des Femmes - Service des Droits des Femmes.158


Une politique de réduction des risques sexuels en direction des femmesJanine MOSSUZ-LAVAU. CEVIPOFEn novembre 1997 se tenait à Paris un colloque intitulé « Femmes et infection à VIH enEurope », organisé par la Direction générale de la santé en partenariat avec Sida-Info-Serviceet le Centre européen de surveillance épidémiologique du sida. Il constituait une réaction auconstat selon lequel la progression du sida par voie sexuelle s’avérait particulièrementalarmante chez les femmes alors qu’aucune prévention ni description des caractéristiques del’épidémie n’avait été jusque-là mise en œuvre. On devait souligner que les femmes étaient« les oubliées » de la lutte contre le sida, qu’elles constituaient une populationparticulièrement vulnérable (l’accent étant mis sur les violences sexuelles qu’elles subissent,sur leur plus grande vulnérabilité biologique, sur leurs difficultés à faire utiliser le préservatifpar leurs partenaires et plus largement sur leur vulnérabilité culturelle).Une politique de réduction des risques sexuelsA la suite de ce colloque la Direction générale de la santé lance l’idée de conduire unepolitique de réduction des risques sexuels en direction des femmes, en partenariat avec lePlanning familial. Cette politique présente plusieurs caractéristiques originales :- il s’agit d’aller à la rencontre des femmes supposées être en difficulté de prévention làoù elles vivent, dans leur environnement. A la différence de ce qui peut être fait lors d’unecampagne télévisée par exemple, il convient d’aller sur le terrain, d’entreprendre une actionde proximité.- on a retenu la notion de risques sexuels au triple sens de grossesse/MST/sida enconsidérant qu’on ne pouvait pas appréhender la sexualité des femmes en « petits morceaux »et en ne traitant que du sida, alors que tout est lié dans leur vie sexuelle.- on a choisi un partenariat avec le Planning familial parce que celui-ci dispose de relais,donc d’animatrices dans tous les départements, qu’elles ont l’habitude de s’adresser auxfemmes, qu’elles connaissent bien les problèmes de la sexualité.- on a enfin privilégié l’idée de réduction des risques plutôt que celle de suppression desrisques jugée peu réaliste.


J. MOSSUZ-LAVAUConcrètement cette opération est menée de la manière suivante. Entre l’automne 1998 etle printemps 1999, une cinquantaine d’animatrices du Planning familial ont suivi, en troissessions de deux jours chacune, une mise à niveau en matière de risques sexuels (toutparticulièrement de MST et de sida, elles n’avaient guère à apprendre pour ce qui concerne lagrossesse), et d’animation de groupes. Chacune de ces animatrices doit sur deux ans, fairefonctionner six groupes de paroles de femmes en difficulté de prévention (3 en 1999, 3 en2000).Qu’est-ce qu’un « groupe de paroles de femmes en difficulté de prévention ». Il s’agitde dix à douze femmes recrutées via les centres sociaux, les foyers d’hébergement, lesrestaurants du cœur, les structures de réinsertion des RMIstes, les associations d’immigrées,les écoles spécialisées, les foyers médicaux-sociaux, etc., et avec lesquelles une animatrice vapasser, pendant sept semaines d’affilée, une demi-journée par semaine pour parler avec ellesde leur corps, de la sexualité, de la contraception, de MST, du sida, de la relation avec legynécologue, etc. Elle leur fournit des moyens de protection et, entre autres, leur faitdécouvrir et leur donne le préservatif féminin.Il s’agit donc d’une opération qui s’inscrit dans la durée ; ce sont les mêmes femmes etla même animatrice qui vont se retrouver dans le même local, autour de ce programmependant près de deux mois.La dernière originalité de ce programme tient à ce qu’il est évalué et qu’il a été décidéde le faire évaluer dès le début de son fonctionnement. Cette tâche m’a été confiée (uneconvention a été passée en décembre 1998 entre le Ministère de l’emploi et de la solidarité etla Fondation nationale des sciences politiques au sein de laquelle se trouve mon laboratoire derattachement, le Centre d’étude de la vie politique française). J’interviens donc de la façonsuivante : lors du premier atelier d’un groupe de paroles je fais passer des questionnaires poursavoir qui sont ces femmes et avoir quelques informations sommaires sur leur vie sexuelle. Jefais (ou fais faire par les deux étudiantes qui travaillent avec moi) des entretiens de type semidirectifs,dans certains groupes, sur le vécu sexuel de ces femmes. Je fais passer desquestionnaires de bilan lors de la dernière séance et fais (ou fais faire) des entretiens de bilanavec les femmes interrogées en face à face et devant magnétophone lors du premier atelierpour savoir ce qui a pu changer dans leurs perceptions, connaissances et comportementssexuels du fait du stage.160


RISQUES SEXUELSJ’ai recueilli ainsi un matériel tout particulièrement intéressant, à la fois parce quenombre de femmes se sont beaucoup livrées (elles n’avaient pour certaines jamais eul’occasion de parler de sexualité ou tout simplement d’être écoutées) et parce que l’on atteintici le point aveugle de la plupart des grandes enquêtes sur la sexualité. En effet, les femmesayant participé au programme tel qu'il s'est déroulé en 1999 sont, du fait des structures àtravers lesquelles elles ont été sollicitées, en situation de précarité. Il s’agit de tout une stratede la société sur laquelle on dispose de peu d’informations. On recueille notamment desdonnées précieuses sur le profil sexuel des femmes musulmanes, bien différent de celui des« judéo-chrétiennes ».Les premiers résultats de cette évolution ont été présentés dans un rapport dit« intermédiaire » remis à la Direction générale de la santé/Division sida le 1 er juillet 1999 1 . Lerapport final sera remis en juin 2000 et doit donner lieu à une communication au Congrèsmondial du sida qui se tiendra à Durban au début de l’été 2000. Il ne s’agit pas à l’évidenced’évaluer des résultats au sens classique du terme et d’être en mesure d’indiquer par exempleque la contamination VIH régresse chez les femmes en situation de précarité ou que lesgrossesses non désirées sont moins nombreuses mais d’observer un processus, de saisir deseffets en quelque sorte intermédiaires, une évolution qui peut être porteuse de changementsplus profonds et qui peut conduire à terme à des conduites de prévention par rapport auxrisques sexuels.Quelques données quantitatives sur les femmes des groupes de parolesCe portrait résulte de la première vague des questionnaires (passés lors de la premièreséance).L’échelle des âges est extrêmement étendue puisque la plus jeune participante a 13 ans,la plus âgée 64 ans (il faut dire qu’il y a eu un projet de groupe de grands-mères venant avecleurs petites filles – groupe qui n’a pu finalement fonctionner – car la parole sur la sexualitépasserait mieux, semble-t-il, entre les grands-mères et les petites filles qu’entre ces dernièreset leurs propres mères). Dans l’ensemble elles sont peu diplômées (43% n’ont aucun diplôme)et sont le plus souvent sans travail (au chômage ou au foyer). Un tiers ne sont pas françaises.49% ont un compagnon ou mari avec lequel elles vivent, 46% vivent seules. Leurs1 Une politique de réduction des risques sexuels par les femmes en situation de précarité. Première évaluation. Rapportintermédiaire à l’intention de la Direction générale de la Santé/Division sida, par J. Mossuz-Lavau, juin 1999, 68 p.- 161 -


J. MOSSUZ-LAVAUcaractéristiques religieuses doivent être retenues : 38% se déclarent catholiques, 38%musulmanes, 15% sans religion, les autres indiquent une autre religion.Les musulmanes ont un profil différent de celui des autres femmes : 85% indiquentqu’elles n’ont eu qu’un partenaire contre 20% chez les catholiques et une seule des femmessans religion ayant eu des rapports sexuels. De même 76% des premières déclarent un rapportsexuel remontant à moins d’une semaine contre 51% chez les catholiques et la moitiéégalement des sans religion. Ces femmes musulmanes sont pour la plupart d’entre elles sansdiplôme et au foyer. Ce qui doit être pris en compte par l’analyse des réponses ventilées selonle diplôme et l’activité professionnelle.Ces quelques données visent à mettre en lumière l’originalité des données ainsirecueillies mais ne pourront être pleinement vérifiées qu’en fin d’enquête.Les entretiens en revanche (une bonne soixantaine) permettent de souligner la nécessitéqu’il y avait à organiser ces groupes de paroles.Le programme répond à un besoinMême si nombre de femmes sont informées, mettent en pratique leurs connaissances etne rencontrent pas de graves problèmes, à peu près toutes ont, sur un point ou un autre, uneraison objective de faire partie d’un groupe de paroles.- La première raison qui peut faire dire que ce stage est loin d’être inutile est le déficitde contraception.En effet plusieurs femmes n’utilisent à l’heure actuelle ni pilule, ni stérilet au motifqu’elles sont seules, qu’elles n’ont pas de partenaires. Parmi elles, on rencontre des jeunes quin’ont pas de relations sexuelles mais qui pourraient en avoir d’un jour à l’autre et qui n’ontpas de protection personnelle, mais aussi des moins jeunes (35-40 ans) qui après une rupture,ou un veuvage, ont cessé de se protéger alors que, d’un moment à l’autre, elles pourraientrencontrer quelqu’un. Or on sait qu’il s’agit de populations où les taux d’IVG peuvent êtreélevés.Certaines, qui ont des partenaires, déclarent avoir des contre-indications concernant soitla pilule soit le stérilet et se livrent à des « bricolages » peu sûrs (le mari « se retire »). A162


RISQUES SEXUELSquelques-unes la pilule fait peur. Les entretiens montrent à l’envi les évocations de la pilulequi fait grossir, qui provoque des troubles nerveux, qui peut rendre stérile.Une autre raison est évoquée par des jeunes femmes qui précises que si elles prenaientla pilule, elles auraient du mal à s’obliger à utiliser le préservatif.Mais une autre raison, peut-être plus répandue, apparaît chez les plus jeunes. Lesgénérations plus âgées ont vécu l’arrivée de la pilule comme une libération. Nombre de jeunesde la fin des années quatre-vingt-dix la vivent comme une contrainte insupportable, « uncasse-tête », quelque chose à quoi il faut penser tous les jours même si on est dans une fête,une soirée, etc.Le programme de réduction des risques sexuels peut aider certaines à y voir plus clairdans la prévention de la grossesse.- il existe indiscutablement un déficit de protection par rapport au sida.Il faut mettre à part le cas des femmes qui vivent dans un couple stable, qui déclarentqu’elles sont fidèles et que leur compagnon est fidèle. Elles font valoir la confianceréciproque. Chez les femmes seules qui peuvent avoir des relations occasionnelles, lespratiques varient. Certaines disent imposer systématiquement le préservatif mais font état derésistances chez leurs partenaires qui supportent mal la contrainte que représente le préservatifmasculin ou la méfiance qu’ils décèlent dans cette « imposition ».D’autres ne se sentent pas en mesure de mener une négociation à <strong>propos</strong> du préservatifet considèrent que, si l’homme le <strong>propos</strong>e tant mieux, sinon elles-mêmes ne le <strong>propos</strong>ent pas.Quelques-unes déclarent ne pas y penser systématiquement, tout particulièrement en situationde fête, même si elles savent par ailleurs qu’elles « devraient » l’utiliser.On voit qu’à ces femmes qui soit se croient en sécurité, soit ont du mal à négocierl’utilisation du préservatif, soit ne pensent pas à le faire, le groupe de paroles peut apporterdes informations, des arguments et la mise en commun d’expériences qui peuvent constituerune aide non négligeable.- la question de l’autonomie des femmes- 163 -


J. MOSSUZ-LAVAUUn certain nombre de femmes font preuve d’autonomie dans leurs relations sexuellesavec leur partenaire en ce sens qu’elles déclarent que, dans l’acte d’amour, les deux prennentl’initiative (que ce peut être aussi bien « lui » que « elle ») et que, quand elles n’ont pas envied’avoir une relation sexuelle, elles le disent et que leur volonté est respectée. Mais ce n’estpas le cas de toutes. Plusieurs des femmes des groupes de paroles déclarent que c’est l’hommequi prend l’initiative, que c’est une de ses prérogative, qu’elles-mêmes n’osent pas le faire –même si elles en ont envie -, et on a le sentiment, à écouter leurs commentaires à ce sujet,qu’elles auraient peur de passer pour des dépravées, sinon des putains, si elles devançaientl’appel. Le trait est particulièrement net chez les musulmanes ; l’une d’elles note : « c’esttoujours l’homme qui prend l’initiative chez nous ». La pratique est rapportée à une normecommunautaire, culturelle et religieuse.Lorsque l’homme prend l’initiative, elles-mêmes n’ont par ailleurs pas toujours le désird’obtempérer. Elles évoquent leur fatigue, leur manque de désir. Mais pour nombre d’entreelles, il n’est pas question de se dérober au devoir conjugal. Certaines acceptentsystématiquement parce qu’elles aiment leur compagnon, d’autres par peur des représailles(qui peuvent aller de la scène, à la mauvaise humeur du lendemain ou parfois aux coups).Parler de cette question avec d’autres femmes, alors que souvent elles n’ont pas eul’occasion de le faire pourrait conduire certaines à être en meilleure position pour négocier,retrouver une autonomie, ce qui est l’un des premiers points dans la reconquête de l’estime desoi et le début, peut-être, d’un cheminement vers des comportements de prévention quirequièrent précisément cette autonomie.- la question du plaisir des femmesLa majorité des femmes déclarent avoir du plaisir lors des rapports sexuels mais à desdegrés divers. Cela peut aller de l’extase qui paralyse à un « petit orgasme ». Mais pourcertaines il y a panne, blocage ; elles ne ressentent rien et parfois simulent. L’une d’ellesdéclare que, depuis douze ans qu’elle est mariée, elle « fait semblant ». On s’aperçoit alors, enprogressant dans les entretiens, que ces femmes qui déclarent ne rien éprouver dans la relationsexuelle, ont une histoire assez lourde : viols à l’adolescence, tentatives d’inceste etattouchements, violences conjugales, etc. La plupart n’ont pas eu l’occasion d’en parler ets’expriment parfois pour la première fois sur le sujet. L’une d’elles (violée à l’âge de 16 anspar un de ses professeurs) avait raconté l’histoire à sa mère qui ne l’avait pas crue et qui164


RISQUES SEXUELSl’avait même battue. Dans tous les cas, il s’agit de femmes qui pourraient être aidées par legroupe de paroles, ne serait-ce que pour évoquer ce passé douloureux que, hors de la situationd’entretiens, elles tentent pour l’instant de refouler, et aussi pour échanger avec celles qui,ayant vécu une situation analogue, sont parvenues à surmonter le traumatisme et ontaujourd’hui, malgré tout, une sexualité qui les satisfait.- un autre apport du stage pourrait résider dans l’amélioration de la relation souventdifficile, avec les médecins et tout particulièrement les gynécologues. La majorité des femmesvoient régulièrement un gynécologue. Mais d’autres sont nettement moins assidues. Elles onttendance à oublier, ou elles disent qu’elles n’aiment pas « qu’on les tripote ». Mais ondécouvre aussi, à travers leurs témoignages qu’une part de responsabilité, dans ces relationsdifficiles, pourraient bien incomber aux médecins qui n’expliquent pas assez ou ne prennentpas en compte les demandes qui leur sont adressées.Une des femmes (victime d’un viol à l’adolescence) qui n’a pas de plaisir déclare enavoir parlé à une femme médecin qui lui a répondu que c’était normal, qu’il y avait desfemmes qui avaient du plaisir et d’autres qui n’en avaient pas. Une autre s’est vu <strong>propos</strong>er uneligature des trompes mais elle ne savais pas de quoi il s’agissait et aucune information ne lui aété fournie. Une autre encore, d’origine étrangère, est allée voir l’obstétricien qui devaitl’accoucher et il lui a simplement dit « Vous allez avoir un siège » sans lui dire un mot sur ceque cela signifiait. Elle a compris « Vous allez avoir un singe » et a vécu dans la terreurjusqu’à son accouchement.On peut supposer que, mieux informées à la suite du stage, ces femmes seront enmesure de comprendre plus aisément les <strong>propos</strong> du médecin et peut-être de lui poser desquestions.- un déficit de communication entre les mères et leurs enfants pourrait lui aussi êtrecomblé par la participation au groupe de paroles. En effet, certaines mères ne parlent pas dequestions sexuelles avec leurs enfants et notamment avec leurs filles, comptant sur l’écolepour que celles-ci soient informées. C’est particulièrement vrai pour les femmes de culturemusulmane (qui disent par exemple : « Chez nous c’est honteux, on n’en parle pas de ceschoses-là ») ou encore gitane (« J’ai honte de parler comme ça à mes enfants »). Mais on peutrencontrer des témoignages de ce type dans des milieux catholiques très pratiquants. Parfoisce sont les très jeunes filles qui font état de l’absence totale d’échange avec leurs parents sur- 165 -


J. MOSSUZ-LAVAUces sujets. Or la prévention, ce n’est pas seulement l’adoption d’un mode de comportementpour soi-même, c’est aussi la transmission à ses propres enfants (ou encore aux amis de ceuxci)d’informations sur la marche à suivre si l’on veut éviter les risques sexuels.Le bilan du stageCelui-ci ne peut être encore fait à l’heure actuelle. On indiquera donc simplementquelques pistes à partir d’un petit nombre d’entretiens réalisés lors des dernières séances desgroupes de paroles.- à <strong>propos</strong> du stage lui-même, les femmes sont très enthousiastes, non seulement parcequ’elles ont acquis de nouvelles connaissances mais aussi parce qu’elles se sont retrouvéesavec d’autres femmes avec qui elles ont pu mener des échanges concernant leurs propresexpériences.- certaines ont découvert des méthodes de contraception qu’elles ignoraient (pour l’unecela a été le stérilet, pour d’autres les ovules, etc.).- la grande découverte toutefois a été le préservatif féminin même si toutes ne l’ont pasessayé et n’ont même pas envie de le faire. Mais elles apprécient l’autonomie qu’il peutprocurer à des femmes qui auront ainsi leur propre moyen de protection.- concernant la prévention du sida, le ba-ba du message est passé. Toutes citent, commemoyen de se protéger, les préservatifs masculin et féminin. Ce qui ne veut pas dire qu’ellesvont en négocier l’utilisation. Mais au niveau des connaissances, il y a un acquis indiscutable.- le stage a déclenché chez certaines une envie d’autonomie. Par exemple l’une de cellesqui disait ne pas oser prendre l’initiative de la relation sexuelle déclare que désormais elleosera, elle n’aura plus peur d’être mal considérée par son partenaire.- en règle générale, leur parole s’est libérée. Celles qui avaient une certaine réticence às’exprimer lors du premier entretien, sont nettement plus volubiles la seconde fois. Lasituation de double entretien y est pour quelque chose mais aussi très largement, cette« exposition » pendant sept semaines d’affilée, à la parole croisée de femmes qui ont fini parformer un groupe. Ce qui a d’ailleurs le plus changé, au niveau de ce qui pouvait êtreescompté au début du stage, c’est le déblocage de la parole par rapport aux enfants. Nombre166


RISQUES SEXUELSde femmes déclarent qu’elles ont désormais les connaissances et les arguments pour parler dequestions sexuelles avec leur fille de 15 ou 16 ans. Or on sait par diverses études que le faitd’avoir entendu parler de sexualité dans l’enfance et dans l’adolescence et d’être à même d’enparler personnellement permet l’émergence de nouvelles normes et notamment l’adoption decomportements de prévention.Au total, les résultats de ce programme sont particulièrement encourageants au regarddu processus observé, qui est celui d’une évolution des femmes vers plus d’autonomie, plusde prise de conscience de ce qu’elles sont en droit d’exiger, plus de prises de paroles sur desquestions encore trop souvent taboues. A cet égard ce programme s’avère particulièrementindispensable pour plusieurs raisons :- cette population de femmes comporte un certain nombre d’individues en difficulté deprévention- il est nécessaire de traiter conjointement de l’ensemble des risques sexuels car lesgroupes de paroles ont bien montré qu’ils ne pouvaient être dissociés- seul ce type d’action, dans la proximité et la parole quasi interpersonnelle peutpermettre de répondre à la situation qui en avait suscité la mise en place, à savoir la diffusiondu sida chez les femmes. On touche en effet des femmes qui n’auraient pas fait, par ellesmêmes,de démarche pour aller vers l’information. Il fallait donc que l’information viennevers elle, ce qui a été réalisé.- 167 -


J. MOSSUZ-LAVAUPOUR EN SAVOIR PLUSJ. MOSSUZ-LAVAU, 1991, Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité enFrance (1950-1990), Paris, Payot.A. SPIRA, N. BAJOS et le groupe ACSF, 1993, Les comportements sexuels en France,Paris, la Documentation française.M. BOZON et H. LERIDON coordinateurs, septembre-octobre 1993, « Sexualité etsciences sociales », Population, n°5, (INED-PUF).N. BAJOS, M. BOZON, A. FERRAND, A. GIAMI, A. SPIRA et le groupe ACFS,1998, La sexualité aux temps du sida, Paris, PUF.168


Morbidité et consommation médicale en France selon le sexeCaractéristiques actuelles et évolutionCatherine SERMET, CREDESBon état de santé, haut niveau de consommation médicale, voilà comment on peut, aupremier regard, percevoir le niveau sanitaire de la population française. L’examen plusapprofondi des dernières données statistiques connues confirme cette première impression :les indicateurs généraux d’état de santé placent la France parmi les pays les plus favorisés,notre pays consacre une part importante de sa richesse nationale à se soigner. Toutefois, uncertain nombre de zones d’ombre persistent et cet optimisme premier doit être tempéré. Lesinégalités sont encore importantes, tant en terme de morbidité qu’en terme de consommationmédicale et la situation des hommes en particulier est loin d’être optimale.Cet article brosse un rapide tableau de la situation sanitaire de la France. Le lecteurtrouvera, dans la première partie un bilan général de l’état de santé, présentant successivementl’espérance de vie, la mortalité générale et prématurée, la morbidité ressentie et quelquesgrandes pathologies et facteurs de risque. La deuxième partie sera consacrée à laconsommation médicale et à son évolution au cours des deux dernières décennies.État de santéLa plupart des auteurs s’accordent avec Badeyan (1997) pour dire que le bilan de l’étatde santé en France apparaît contrasté. D’un côté au regard des indicateurs synthétiques quesont l’espérance de vie et l’espérance de vie sans incapacité, la santé de la population estbonne : les femmes et les personnes âgées vivent très longtemps, la France a une positionprivilégiée (maladies cardio-vasculaires) ou en nette amélioration (mortalité par alcoolisme etcirrhose, cancer du col de l’utérus). D’un autre côté, la santé en France comporte desfaiblesses et est menacée de détérioration dans certains secteurs de la population comme parexemple la mortalité prématurée due au tabagisme ou aux accidents, le maintien de certainesinégalités sociales et géographiques.


C. SERMETUne espérance de vie élevéeL’espérance de vie et la mortalitéL’espérance de vie des femmes à la naissance est une des plus longues au monde et lesannées de vie gagnées sont des années de vie en bonne santé. Cette situation très favorablen’empêche pas la persistance d’inégalités très marquées : écarts importants entre hommes etfemmes, différences de mortalité selon la catégorie sociale et la région de résidence (Drees,1999).En 1997, l’espérance de vie des femmes à la naissance atteignait 82,3 ans, dépasséeseulement par le Japon, 83,8 ans. Les hommes à l’inverse, avec une valeur de 74,6 ans sesituent dans une position très moyenne largement derrière le Japon où l’espérance de vie deshommes est la plus élevée du monde,77,2 ans. Cette espérance de vie à la naissance progresseà un rythme soutenu, en moyenne un an tous les cinq ans pour les hommes comme pour lesfemmes. L’écart important et persistant entre les hommes et les femmes n’a pratiquement pasvarié depuis une vingtaine d’années et constitue une particularité française.La baisse de la mortalité après 60 ans est la principale responsable de ces progrès : entre1982 et 1992, sur une augmentation d’environ deux ans et demi de la durée de vie moyennedes hommes comme de celles des femmes, la part attribuable aux progrès après 60 ans est de56 % pour les hommes et de 69 % pour les femmes. En effet, la mortalité due aux maladiescardio-vasculaires et principalement aux maladies cérébro-vasculaires continue à baisserrégulièrementLa baisse de la mortalité infantile, qui a repris à un rythme soutenu depuis 1991 grâceen particulier à la diminution des morts subites du nourrisson, n’intervient que pour une partminime dans l’espérance de vie .Aux âges intermédiaires, à partir de 30 ans, les progrès sont moins réguliers, en raisonde la difficulté à lutter contre certaines causes de décès et en particulier contre le cancer. Labaisse de la mortalité par tumeur est régulière mais modeste chez les femmes, elle est récentechez les hommes dont le retournement de tendance est lié à un plafonnement de la mortalitémasculine par cancer du poumon depuis la fin des années 1980 .170


MORBIDITÉ SANTÉEntre 15 et 24 ans, chez les jeunes hommes ce sont les accidents de la circulation quiconditionnent la mortalité. La baisse des décès par accident et par d’autres causes orientefavorablement l’évolution de la mortalité à ces âges (Meslé 1995, Barrot, 1996).L’espérance de vie sans incapacitéLe calcul de l’espérance de vie sans incapacité (EVSI) qui a pu être réalisé unedeuxième fois pour la France en 1991 a montré que les années de vie gagnées étaient surtoutdes années en bonne santé. Entre 1981 et 1991, l’espérance de vie totale a augmenté de 2,5ans pour les hommes comme pour les femmes. Dans le même temps, l’espérance de vie sansincapacité augmentait de 3 ans pour les hommes et de 2,6 ans pour les femmes (Mormiche,1996).Cette allongement de l’EVSI, qui reste cependant à confirmer sur le long terme, indiqueune amélioration de l’état de santé des Français et un recul des incapacités. Ce recul s’observepour toutes les sortes d’incapacités, confinement à domicile, alitement, gêne ou handicappermanent, arrêt d’activité. Il concerne aussi bien les personnes en institutions que cellesrésidant à leur domicile privé (Badeyan, 1997)Tableau 1 - Variation de l’espérance de vie et de l’espérance de vie sans incapacitéentre 1981 et 19911981 1991 ÉvolutionHommesEspérance de vie Totale 70,4 72,9 +2,5Dont avec incapacité sévère 1,5 1,2 -0,3• en institution 0,6 0,5 -0,3• confiné à domicile 0,5 0,3 -0,1• alité 0,4 0,4 0,0Espérance de vie sans incapacité sévère 68,9 71,7 ans +2,8Dont avec incapacité modérée 8,1 7,9 -0,2• incapacité permanente 6,8 7,1 +0,3• arrêt d’activité 1,3 0,8 -0,5Espérance de vie sans incapacité 60,8 63,8 +3,0FemmesEspérance de vie Totale 78,6 81,1 +2,5Dont avec incapacité sévère 2,3 2,3 0,0en institution 1,1 1,2 +0,1Confiné à domicile 0,7 0,7 0,0Alité 0,5 0,4 -0,1Espérance de vie sans incapacité sévère 76,3 78,8 +2,5Dont avec incapacité modérée 10,4 10,3 -0,1Incapacité permanente 8,9 9,1 +0,2Arrêt d’activité 1,5 1,2 -0,3Espérance de vie sans incapacité 68,9 68,5 +2,6Source : Drees, 1999Calculs : Inserm, Laboratoire d’épidémiologie et d’économie de la santé de Montpellier- 171 -


C. SERMETDes écarts importants entre catégories socialesOutre les disparités déjà soulignées selon le sexe, on relève d’importants écarts entre lesmilieux sociaux. En 1996, à 35 ans, l’espérance de vie des cadres supérieurs et desprofessions libérales est supérieure de 6,5 ans à celle des ouvriers : 44,5 ans pour les premiers,38 ans pour les seconds. Entre 1975 et 1995, la mortalité des employés s’est un peu aggravéecomparée à celle des cadres, qui reste la plus faible. Les écarts entre les cadres et les autresgroupes sociaux sont restés stables. Autre fait important, l’inactivité à une période donnée setraduit par un surcroît de mortalité les années suivantes. Ainsi, les hommes au chômage en1982 ont eu un risque de mortalité accru de 60% au cours des années qui ont suivi et leshommes inactifs, un risque de décès quatre fois supérieur à celui des actifs.L’éventail des disparités selon la position sociale est plus resserré chez les femmes. Auxextrêmes, les cadres et membres des professions libérales bénéficient à 35 ans de 3 ans etdemi d’espérance de vie de plus que les ouvrières. De même que chez les hommes, l’inactivitéà une date donnée s’accompagne d’un surplus de mortalité dans les années suivantes : entre1982 et 1987, la mortalité des femmes inactives en 1982 était deux fois supérieure à celle desactives occupées à cette même date (Mesrine, 1999)..Enfin, ces différences entre milieux sociaux s’observent pour la plupart des pathologies,mais sont plus fortes pour les maladies liées à l’alcoolisme : les risques de décéder d’unecirrhose ou d’un cancer des voies aéro-digestives sont en effet dix fois plus élevés pour leshommes dans la catégorie ouvriers-employés que dans la catégorie cadres-professionslibérales (Drees, 1999).La mortalité prématurée est importante, principalement chez les hommesMalgré ces indicateurs globaux relativement favorables, il faut noter en Francel’importance de la mortalité prématurée. Cette dernière, définie comme la mortalité survenueavant 65 ans constitue un des problèmes de santé majeur auxquels notre pays est confronté.Cette mortalité est très accentuée chez les hommes jusqu’à l’âge de 60-65 ans et chezles femmes jusqu’à l’âge de 40 45 ans. La situation de la France s’est par ailleurs dégradéeentre 1970 et 1990, particulièrement chez les hommes. En revanche, on constate entre 1991 et1996 une nette diminution de la mortalité évitable liée surtout aux comportements à risque (-172


MORBIDITÉ SANTÉ22%) alors que la mortalité évitable liée au système de soins a nettement moins diminué(HCSP,1998).Chez les hommes, la mortalité prématurée peut être attribuée essentiellement à troisfacteurs : l’alcool, le tabac et les accidents de la circulation. En fréquence, les cancers arriventen tête et représentent 34 % de la mortalité prématurée. Les hommes sont particulièrementfrappés par les cancers du poumon et ceux des voies aéro-digestives supérieures liés àl’association alcool et tabac. Viennent ensuite les accidents et les morts violentes quireprésentent 20,9 % de la mortalité prématurée des hommes avec un poids particulièrementimportant des accidents de la circulation et des suicides. Les maladies de l’appareilcirculatoire représentent 15,6 % de la mortalité masculine prématurée, avec pour les hommes,une forte fréquence des cardiopathies ischémiques.Enfin deux autres causes de mortalité prématurée prédominent chez les hommes,l’alcoolisme, rubrique incluant les cirrhoses et les psychoses alcooliques, et les maladies del’appareil respiratoire avec au premier plan les bronchites chroniques.Chez les femmes, 41,7 % de la mortalité prématurée est due aux cancers. Le poids descancers liés au tabac et à l’alcool est beaucoup plus faible et les tumeurs spécifiquementféminines constituent le tiers des cancers chez les femmes. La deuxième cause de mortalitéprématurée chez les femmes est également représentée par les accidents et les suicides,16,8 %. Puis viennent les maladies de l’appareil circulatoire, 11,7%, avec une fréquence plusélevée que chez les hommes de maladies vasculaires cérébrales et hypertensives. Comme chezles hommes, la mortalité évitable liée aux habitudes de vie a baissé entre 1991 et 1996 demanière plus notable (-21%) que la mortalité liée au système de soins et au dépistage (-11%).Tableau 2 - Evolution des taux de mortalité évitable entre 1991 et 1996(effectifs de décès et taux comparatifs de décès pour 100 000 standardisés par âge, France, deux sexes, 1990)Mortalité évitable liée aux habitudes de vie Mortalité évitable liée au système de soinset de dépistageHommes Femmes Hommes FemmesEffectifs de décès 1996 27 725 6 400 13 544 10 269Taux de décès 1996 113.3 25.7 56.5 41.4Evolution 1991-1996 -22% -13% -13% -11%source : Inserm SC8 (HCSP,1998)- 173 -


C. SERMETMais les femmes se sentent en moins bon état de santé que les hommesLa pathologie déclaréeLes données de morbidité existant pour un pays peuvent provenir de plusieurs sources :la pathologie déclarée par les individus, les maladies diagnostiquées par les médecins et desinformations issues de mesures objectives de certains paramètres cliniques, biologiques, ouautres. Les seules données globales dont nous disposons en France, permettant en plus deréaliser des analyses de l’évolution sont des données issues des déclarations des individus.Les déclarations de maladies diffèrent largement entre les femmes et les hommes. Dansla dernière enquête sur la santé et les soins médicaux réalisée en 1991-1992 en France auprèsdes personnes vivant à leur domicile privé, le nombre moyen d’affections déclarées est de 4parmi les femmes et de 2,8 parmi les hommes . Cette différence existe dès l’adolescence etl’écart est maximum entre 20 et 29 ans(Guignon,1996). Les autres enquêtes sur la santé,comme l’enquête Santé Protection Sociale du Credes, réalisée annuellement depuis 1988,montrent régulièrement des écarts similaires (Bocognano, 1999)Figure 1Taux de morbidité prévalente selon l’âge et le sexe900800700Nombre de maladies pour 100 personnesHommesFemmes6005004003002001000Age0 10 20 30 40 50 60 70 80 90Source : Enquête INSEE-CREDES sur la santé et les soins médicaux, 1991-1992174


MORBIDITÉ SANTÉL'analyse par sexe montre un écart en défaveur des femmes quel que soit l'appareil ou lanature de maladie en cause. A de rares exceptions près, comme la pathologie respiratoire etles traumatismes, toutes les maladies sont, à des degrés divers, plus fréquemment déclaréespar les femmes.Les écarts les plus importants concernent les maladies génito-urinaires qui sont 3,5 foisplus fréquentes chez les femmes, les maladies du sang et des organes hématopoïétiques, surtoutdes anémies, 2,3 fois plus fréquentes, les "autres affections", 1,9 fois, les troubles mentaux, 2 foisplus fréquents et les maladies cardio-vasculaires 1,8 fois.Tableau 3 - Taux de prévalence et pourcentage de maladesselon les grands domaines pathologiques et le sexeFrance métropolitaine : 1991-1992Nombre de maladies pour100 personnes% de maladesDomaines pathologiques Hommes Femmes Hommes FemmesM. Infectieuses et parasitaires 3,1 4,3 3,0% 4,1%Tumeurs 2,0 3,0 1,9% 3,0%M.Endocriniennes, de la nutrition et du métablolisme ettroubles immunitaires22,4 31,0 18,3% 25,0%M du sang et des organes hématopoïétiques 0,5 1,2 0,5% 1,2%Troubles mentaux 7,4 14,4 7,2% 14,2%M. Système nerveux et des organes des sens 65,7 84,9 57,4% 71,7%dont M.système nerveux seules 3,6 7,5 3,5% 7,4%M.Ophtalmologiques 54,1 70,0 46,1% 57,2%M.Oreille 8,1 7,4 7,7% 7,1%M. Appareil circulatoire 28,4 49,7 19,2% 32,2%M. Appareil respiratoire 15,8 16,0 14,3% 14,4%M. Appareil digestif 57,3 76,8 50,5% 65,9%dont M. de l'appareil digestif seules 13,3 22,0 11,8% 18,3%M.Bouche et des dents 44,0 54,8 38,7% 47,6%M.Organes Génito-urinaires 3,8 13,1 3,6% 12,1%Complications de la grossesse de l'accouchement et dessuites de couches0,0 0,4 0,3%M. de la peau et du tissu cellulaire sous cutané 9,0 12,7 8,5% 11,9%M. Ostéo-articulaires,muscles,tissu conjonctif 24,0 35,9 20,6% 28,1%Anomalies congénitales 1,0 1,2 1,0% 1,1%Affections périnatales 0,1 0,2 0,1% 0,2%Symptômes,signes et états morbides mal définis 16,5 25,5 14,3% 20,9%Lésions traumatiques et empoisonnements 5,5 3,9 5,2% 3,8%Autres affections 15,1 28,0 13,0% 22,7%Total 277,6 402,3 80,6% 87,6%Source : Enquête INSEE-CREDES sur la santé et les soins médicaux, 1991-1992- 175 -


C. SERMETLa santé perçueLa perception par la population de son état de santé est remarquablement stable depuisle début des années 80. L’enquête « Conditions de vie et aspiration des Français » réalisée parle Credoc, montre au fil des ans que près de 9 personnes sur 10 se déclarent satisfaites, ou trèssatisfaites de leur état de santé (Drees, 1999).Selon l’enquête sur la santé et les soins médicaux de 1991-1992 (Guignon, 1996), ilapparaît que, à tout âge, les femmes sont plus sévères que les hommes vis-à-vis de leur état desanté : ainsi, 6,1% des femmes adultes jugent que leur état de santé est médiocre ou mauvaisalors que les hommes sont seulement 4,1% dans ce cas. A l'opposé, 78 % des hommes et 68%des femmes se sentent en bonne ou très bonne santé.Les différences entre les sources rappellent l’importance de la formulation desquestions, en particulier dans les questions de perception : la deuxième source introduit eneffet un item « moyen » sur lequel se reportent une partie des réponses accordées par lapremière source aux items « satisfaisant » ou « peu satisfaisant ».A pathologie "équivalente", les femmes semblent plus pessimistes que les hommesquant à leur état de santé. Ainsi, 23% des femmes et seulement 11% des hommes atteints dediabète considèrent que leur état de santé est médiocre ou mauvais; 23% des femmes atteintesd'une pathologie cardiaque (hors hypertension artérielle) et 17% des hommes ont unemauvaise opinion de leur état de santé. Pour les ulcères gastro-duodénaux, 25% des femmeset 10% des hommes sont dans ce cas. Il en est de même pour la pathologie artérielle,l'arthrose, mais aussi pour d'autres maladies moins immédiatement graves ou invalidantescomme l'hypertension artérielle ou la pathologie veineuse.Il y a cependant quelques exceptions à ce qui semble être une règle, en particulier lescancers. Dans ce cas, les hommes se considèrent plus souvent en mauvaise santé que lesfemmes, respectivement dans 30% et 20% des cas. Bien évidemment, ce ne sont pas lesmêmes cancers qui frappent les uns et les autres, et les cancers féminins, souvent dépistés plusprécocement à des stades où certains sont encore curables, semblent peut-être moins graves.176


MORBIDITÉ SANTÉLes indicateurs synthétiques de morbiditéDeux indicateurs de perception globale de l'état de santé utilisés dans l'enquête sur lasanté et les soins médicaux de 1991-1992 permettent de donner une image synthétique de lapathologie : ces indicateurs qui analysent l’incapacité et le pronostic vital font appel à l'avisdu médecin ayant codifié l'enquête.Les résultats obtenus à partir de ces deux indicateurs sont un peu différents. En effet,jusqu'à 40 ans, les pronostics vitaux des hommes et des femmes sont strictement identiques.Au delà le pronostic est meilleur chez les femmes. Quant à l’incapacité, elle concerne plussouvent les femmes que les hommes et ce dès l’âge de 16 ans.La perception que les femmes ont de leur état de santé apparaît donc davantage liée àl’existence d’une incapacité qu’à la gravité de leurs maladies. Les femmes se sentent en moinsbon état de santé que les hommes et elles le traduisent en déclarant plus de maladies, mais lagravité de leurs maladies semble moindre, au moins aux yeux des médecins qui attribuent cesindicateurs. Cette moindre gravité est par ailleurs confirmée, comme nous l’avons déjà dit, parles données d’espérance de vie qui créditent les femmes d’une durée de vie de 8 anssupérieure à celle des hommes.Les grandes pathologies• les maladies cardio-vasculairesLa France bénéficie d’une situation particulièrement favorable en termes de maladiescardio-vasculaires. Selon l’OMS, les taux de décès sont les plus faibles de l’Unioneuropéenne et ils ont baissé très fortement depuis 1980 (drees,1999).Les maladies cardio-vasculaires constituent cependant la première cause de décès pourl’ensemble de la population avec une proportion égale à 32%. Elles représentent de loin lapremière cause de décès des femmes (36%) et la deuxième, derrière les cancers pour leshommes (29% contre 32%). Elles sont aussi la troisième cause de mortalité prématurée (décèssurvenus avant 65 ans) avec 14,5% des décès en 1996, après les cancers et les mortsaccidentelles et violentes. A l’intérieur de ce groupe, deux entités sont responsables d’ungrand nombre de décès : les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux.- 177 -


C. SERMETLes maladies cardio-vasculaires constituent la troisième cause d’hospitalisation, avec10% du total des séjours annuels (non compris les accouchements normaux), derrière lesmaladies de l’appareil digestif (12%) et les séjours pour surveillance, examens ou motifssociaux (11%). Quelle que soit la cause les hommes présentent à tout âge le plus fort risqued’hospitalisation pour maladies cardio-vasculaires. Les cardiopathies ischémiques provoquentainsi 28 séjours par an pour 1000 hommes de 65 à 74 ans et 25 séjours pour ceux de 75 à 85ans. Aux mêmes âges, les femmes sont hospitalisées seulement 11 et 17 fois.Enfin, entre 1983 et 1995, sur les zones couvertes par les trois registres français,l’incidence de l’infarctus du myocarde a baissé pour les deux sexes (Cf Tableau 4).(1) après ajustement sur l’âgeSource : registres MONICA, Inserm U 258Tableau 4Incidence de l’infarctus du myocarde (1)(taux pour 100 000)1985 1993Hommes 192,6 178,0Femmes 34,6 30,9• les cancersLes cancers représentaient en 1996 la deuxième cause de mortalité en France derrièreles affections cardio-vasculaires ; soit environ 28 % des décès et la première cause demortalité prématurée avec 37 % des décès avant 65 ans. Les causes de décès les plus fréquentspar cancer sont par ordre décroissant : les cancers du poumon, le cancer de l’intestin, lescancers des voies aéro-digestives supérieures, le cancer du sein et le cancer de la prostate. Ilsreprésentent la première cause de mortalité chez l’homme : le taux comparatif de mortalité parcancer est en 1995, de 374 pour 100 000 hommes et de 165 pour 100 000 femmes. Entre 1991et 1996, en taux standardisé, la mortalité par cancer a baissé de 4% chez les hommes et de 2%chez les femmes et le taux de mortalité prématurée a diminué respectivement de 8% et 9%.Ces tendances sont à mettre en relation avec une diminution de la mortalité pour certainscancers : voies aéro-digestives supérieures chez l’homme, estomac et col de l’utérus chez lafemme (drees,1999).178


MORBIDITÉ SANTÉLes registres du cancer répartis dans des zones géographiques précises sur le territoirefrançais permettent des estimations nationales sur l’incidence des cancers. Il en ressort que lestaux d’incidence standardisés sont de 482 pour 100 000 hommes et de 309 pour 100 000femmes. Les quatre localisations les plus fréquentes sont le cancer du sein (14,1% des cancersincidents), le cancer colorectal (13,9%), le cancer de la prostate (11%) et le cancer du poumon(9,1%). Les taux d’incidence estimés augmentent régulièrement avec l’âge pour atteindre2906 pour 100 000 hommes de 85 ans et 1360 pour 100 000 femmes du même âge. Laprobabilité pour un homme français d’avoir un cancer au cours de sa vie est estimée pour lapériode 1988-1992 à 46,9% ; elle est de 36,6 % chez la femme. Enfin, les évolutions récentesmontrent une augmentation de l’incidence des cancers du sein (+16% entre 1990 et 1995) etdes cancers colorectaux (+13%).En comparaison avec d’autres pays européens, la France présente des taux de cancerparticulièrement élevés chez l’hommes, alors que pour la femme elle se situe parmi les paysprésentant des taux moyens, proche des taux observés dans les pays d’Europe du Sud.• les accidentsLes accidents de la vie courante, accidents de la voie publique ou accidentsdomestiques, constituent également un problème important de santé publique, tant en termede mortalité, de morbidité que de cause de handicap.En 1997, on a dénombre 125 200 accidents corporels de la circulation, 7990 tués dansles 6 jours, 8440 à 30 jours, 32720 blessés graves (plus de 6 jours d’hospitalisation) et 133860blessés légers. Sur 20 ans le nombre d’accidents corporels a baissé de 40%, mais la moindrediminution du nombre d’accidents mortels reflète une augmentation de la gravité desaccidents. Le taux moyen d’accidents pour 100 millions de Km parcourus est passé de 41,71en 1977 à 13,66 en 1997 (-67%) sur les routes nationales et de 13,13 à 6,11 (-53%) sur lesautoroutes. Sur la même période, le nombre de tués évolue de 5,75 à 2,14 sur les routesnationales (-63%) et de 1,43 à 0,49 sur les autoroutes (-66%).Cette évolution favorable sur les 20 dernières années est cependant à relativiser quandon la met en relation avec celle des autres pays européens : on constate alors que la France aencore une insécurité routière d’un niveau élevé et que son retard relatif ne diminue pas.- 179 -


C. SERMETLes accidents de la circulation constituent un facteur important dans la situationdéfavorable de la France en termes de mortalité prématurée. Ils représentent la première causede décès dans la tranche d’âge des 15-25 ans avec 38,8% des décès des jeunes hommes et30,1% des décès des jeunes filles. Les facteurs de risque liés au comportement de l’usagerssont bien connus et se retrouvent à des degrés divers dans la plupart des accidents corporels :excès de vitesse, défaut de port de ceinture ou de casque, modification de la vigilanceessentiellement due à l'alcool.La santé mentaleLes troubles de la santé mentale concernent en France un nombre considérable depersonnes et méritent qu’on leur consacre une place particulière dans l’analyse de l’état desanté (HCSP,1998).En terme de mortalité tout d’abord, il faut noter que le taux de suicides a augmenté demanière continue en France jusqu’au milieu des années 80. Il a atteint 23 pour 100 000 en1985 et a diminué juqu’en 1991, reste stationnaire depuis et se situe en 1996 à 19,5 pour 100000. Le suicide correspond à 3,1% des décès masculins et 1,3% des décès féminins. Les tauxles plus élevés se retrouvent chez les personnes de 75 ans et plus et les plus fortesaugmentations s’observent chez les hommes de 25 à 44 ans pour qui le taux est passé de 21,8à 37,1 de 1975 à 1996. Aux même périodes, le taux est passé de 11,5 à 14,5 pour les hommesde 15 à 24 ans et de 4,7 à 4,3 pour les femmes du même âge.Cette fréquence des suicides souligne l’importance de la détection et du traitement desétats dépressifs. L’enquête DEPRES (Depression research in european society) vise àdéterminer la prévalence sur 6 mois de la dépression. Les résultats font apparaître que le tauxde prévalence à 6 mois d’une symptomatologie dépressive est de 17%, dont 6,9 %correspondent à une dépression majeure. La France et le Royaume Uni arrivent en tête (9,1%de dépressions majeures). La dépression majeure a une prédominance féminine (2 femmespour 1 homme), mais les taux de dépression mineure sont équivalents. Enfin, l’enquêtemontre qu’un tiers des sujets présentant une dépression majeure ne consultent pas pour leurstroubles, mais consultent 3 fois plus souvent pour d’autres raisons. Cette dernière constatationconfirme les constatations faites par Le Pape (1996, 1999) qui montre d’une part que laconsommation des dépressifs est trois fois supérieure à celle des non dépressif, et d’autre partque 14,9% de la population est touchée par la dépression.180


MORBIDITÉ SANTÉL’état de santé mental peut également être appréhendé par la consommation depsychotrope. Selon l’enquête décennale sur la santé et les soins médicaux (Guignon, 1994),11 % des adultes déclarent consommer régulièrement un psychotrope depuis plus de 6 mois,8,6 % pour les homes et 11,3 % pour les femmes. Cette consommation augmente avec l’âge.Après 50 ans pour les femmes et 60 ans pour les femmes, plus d’une personne sur 6 y arecours. Près de 30% des femmes sexagénaires en consomment régulièrement : 20 %recourent aux tranquillisants et 10 à 15 % à un hypnotique. Aux âges élevés, lasurconsommation des femmes par rapport aux hommes s’accroît, pour tous les groupes deproduits. D’autres facteurs viennent aggraver la situation : ainsi, par exemple pour lesfemmes, la proportion de consommatrices régulières parmi les chômeuses dépasse d’un tierscelle des femmes qui travaillent, et le veuvage multiplie par deux le taux de consommateursde ces produits.Deux facteurs de risque majeurs : l’alcool et le tabacLa consommation d’alcool et de tabac est fréquente en France, comme en témoignentleurs conséquences sur la morbidité et la mortalité que nous avons déjà évoquées plus hautdans ce document. Les estimations réalisées à partir de grandes enquêtes nationales, commel’enquête sur la santé et les soins médicaux, bien que probablement en dessous de la réalité,montrent l’importance de ce problème.En 1991-92, 65 % des hommes et 30% des femmes de 18 ans ou plus déclaraientconsommer de l’alcool tous les jours, 39% des hommes et 21% des femmes déclaraient uneconsommation de tabac. La consommation conjointe de ces deux produits concernait le quartdes hommes et 6,4% des femmes (Guignon, 1994).En 10 ans, de 1980-82 à 1991-92, la proportion de buveurs réguliers a baissé de 3%pour les hommes et de 24% pour les femmes. Cette baisse a été relativement forte de 1980 à1986 et plus modérée ensuite. Pour les hommes jusqu’à 25 ans, la proportion de buveursréguliers, après avoir baissé pour la première période, a augmenté à nouveau depuis, de 12 %avant 20 ans et de 22% de 20 à 24 ans. Pour les plus âgés, la baisse par rapport à 80 s’estmaintenue, voire a augmenté, entre 25 et 45 ans, mais son ampleur est d’autant plus faible queles hommes sont plus âgés. Pour les femmes, la baisse est beaucoup plus spectaculaire, mais àpartir de 45 ans, elle n’a concerné que la période 1980-1986, la consommation d’alcool ayantà nouveau augmenté de 1986 à 1991.- 181 -


C. SERMETEn 1991-92 38 % des hommes et 20 % des femmes âgées de 15 ans et plus fumentrégulièrement. Depuis 1980, si les hommes ont assez souvent cessé de fumer, et même ontmoins commencé, par contre les femmes sont beaucoup plus nombreuses à le faire, et cepresque à tous les âges. Chez les hommes, la proportion de fumeurs réguliers est passée de 46% en 1980 à 38% en 1991 et 35 % en 1996. Cette baisse de consommation s’observe à tousles âges et est d’autant plus importante que l’âge avance. Chez les femmes en revanche, cettepériode est marquée par un accroissement avec respectivement 17%, 20% et 21 %, sensiblemême aux âges les plus élevés. Par rapport à 1980, le nombre moyen de cigarettesconsommées par fumeur a augmenté, sauf pour les hommes de 20 à 35 ans et pour les femmesde 20 à 24 ans.Consommation médicaleAu cours des vingt dernières années, la consommation de soins et de biens médicaux aprogressé en France à un rythme soutenu, plus rapide que celui du PIB. La croissance de laconsommation médicale totale a été soutenue dans les années 80, de l’ordre de 4% par an(hors inflation). Elle diminue depuis progressivement et entre 1995 et 1997, n’a été que de 1% environ. Le développement de l’offre de soins et la généralisation de la couverture socialeobligatoire et complémentaire ont contribué à cette évolution, mais elles ne sont pas lesseules, la médicalisation des habitudes de vie, les progrès techniques de la médecineexpliquant également cette progression.En 1997, la consommation médicale totale est de 729 milliards de francs, soit environ12500 francs par habitant. Elle représente 8,7% du PIB. Près de la moitié de cetteconsommation est consacrée à l’hospitalisation, 27 % aux soins ambulatoires (soins deprofessionnels effectués en dehors de l’hospitalisation) et 21 % à l’acquisition de biensmédicaux et en particulier de pharmacie, 17% (Cf Tableau 5).Les soins médicaux sont extrêmement concentrés puisque 10 % des personnesengendrent 60 % des dépenses. Ces personnes appelées « grands consommateurs » ontdépensé en 1995 plus de 16 000 Francs par personne. La proportion de grands consommateursest de 12% parmi les femmes et de 8 % parmi les hommes. Elle augmente avec l’âge. Le tauxde grands consommateurs est plus élevé parmi les femmes pour la tranche d’âge 16-64 ans etplus importante parmi les hommes pour les plus de 65 ans.182


MORBIDITÉ SANTÉParmi les 10% plus grands consommateurs de soins médicaux, les hommes sont moinsnombreux que les femmes (41% versus 59%), mais leur dépense annuelle dépasse celle desfemmes : 53 900F contre 27 800 F en 1995. Cette différence est essentiellement due à uneconsommation hospitalière plus élevée de 20% chez les hommes, une consommation depharmacie plus élevée de 37 %, ainsi qu’à une consommation supérieure de dentistes (Com-Ruelle, 1999).Tableau 5 - Consommation médicale totale - France 19971980 1990 1997Consommation médicale totale 198MdF 540MdF 729MdF 100%Consommation de Soins et de Biens Médicaux 192MdF 528MdF 713MdF 98%Soins hospitaliers 102MdF 256MdF 353MdF 48%Soins ambulatoires 51MdF 155MdF 195MdF 27%dont Soins de médecins 24MdF 73MdF 95MdF 13%Soins dentaires 14MdF 36MdF 44MdF 6%Soins d'auxiliaires médicaux. 6MdF 23MdF 31MdF 4%Analyses laboratoires 5MdF 18MdF 19MdF 3%Transports de malades 2MdF 7MdF 10MdF 1%Biens médicaux 37MdF 109MdF 154MdF 21%dont Pharmacie 34MdF 96MdF 134MdF 18%Médecine Préventive 6MdF 116MdF 16MdF 2%Source : Comptes de la santé, Drees, logiciel écosantéLa consommation de soins ambulatoiresD’après la dernière enquête décennale sur la santé et les soins médicaux, le nombreannuel de recours au médecin est de 6,4 par personne. Il se répartit en 4,3 séances degénéralistes et 2,2 séances de spécialistes. Sur la période 1980-1991, les recours au médecinont augmenté en moyenne de 2% par an, moins rapidement que lors de la décennie précédenteoù la croissance annuelle avait atteint 4,2 %.Le recours aux examens complémentaires et aux soins paramédicaux a augmenté quantà lui dans des proportions plus importantes. En 1980 on relevait en moyenne 1 séanced’examen complémentaire par an et par personne et 3,9 séances d’auxiliaire paramédical. En1991, ces nombres atteignent respectivement 1,4 et 5,5 séances par an et par personne soit unecroissance de 3,3 % et 3,5 %.- 183 -


C. SERMETEnfin, les français acquièrent en moyenne 37,2 boites de médicament par an et parpersonne. 32,3 sont achetées sur ordonnance et 4,9 sans ordonnance. Entre 1980 et 1991, laconsommation pharmaceutique a augmenté de 2,8 % par an.La distribution des recours à la médecine de ville selon l’âge présente un profilrelativement bien connu. Pour les soins de médecins, on observe une courbe en U avec unnombre de recours très élevé dans la petite enfance, suivi d’une décroissance très rapide, avecun minimum dans l’adolescence et enfin une croissance continue jusqu’aux âges les plusélevés (Figure 2). La distribution des autres soins présente des caractéristiques propres àchaque catégorie. Ainsi, par exemple, les soins d’infirmières concernent essentiellement lespersonnes les plus âgées, avec une très forte croissance à partir de 70 ans alors que les soinsde kinésithérapeutes augmentent très modérément avec l’âge. Enfin, la distribution desacquisitions pharmaceutiques présente un profil en J avec une consommation élevée du côtédes nouveaux nés et une très forte croissance du côté aux âges élevés (Mormiche 1994,Lecomte 1994).Figure 2Séances de médecin par personne et par an selon le sexe et l’âge en 199110987Généralistes pour les hommesSpécialistes pour les hommesGénéralistes pour les femmesSpécialistes pour les femmes65432100 10 20 30 40 50 60 70 80 90184


MORBIDITÉ SANTÉFigure 3Acquisitions pharmaceutiques par personne et par an selon le sexe et l’âge en 19911009080HommesFemmes7060504030201000 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100Quel que soit le type de soin, les femmes sont plus fortement consommatrices que leshommes. En un an, tous âges confondus, 9 femmes sur 10 font appel aux soins de ville etseulement huit hommes sur 10. Tous âges réunis, les femmes ont une dépense de soins deville supérieure d’environ 40 % à celle des hommes (Mizrahi, 1996).Ainsi par exemple, le nombre moyen annuel de séances de médecin est de 7,6 pour lesfemmes contre 5,4 pour les hommes. Même une fois éliminé l'effet de la structure par âge, ilsubsiste un écart. Pour chaque type de médecin, généraliste ou spécialiste, le nombre moyenannuel de séances de médecin par sexe et âge est très éclairant. La courbe des généralistespermet de voir que ce sont les garçons jusqu'à 14 ans qui consultent le plus souvent, puis lasituation s'inverse et les femmes ont entre une et deux séances annuelles de plus jusqu'à 70ans, seuil au-delà duquel les courbes se rapprochent. Quant aux spécialistes, les filles et lesgarçons ont presque le même nombre de séances jusqu'à 15 ans, puis les femmes de 16 à 70ans ont plus de séances que les hommes, avec un écart maximum de 20 à 40 ans.Dans l'ensemble, les femmes recourent davantage au spécialiste que les hommes : 62%des séances consommées contre 56%. Cet écart se situe pour les enfants partiellement dans lesconsultations de pédiatre plus fréquentes, puis pour les adultes dans celles de gynécologue quireprésentent 18,5% des séances consommées par les femmes entre 15 et 50 ans. Les autresspécialistes dont la clientèle est majoritairement féminine, sont les dermatologues (64%), lespsychiatres (63%), les rhumatologues (61%), les stomatologues (57%) et les gastroentérologues(55%).Globalement, les achats de produits pharmaceutiques par les femmes, 40 par an, sontsupérieurs à ceux des hommes, 26 par an alors que les proportions d'achats sur ordonnance- 185 -


C. SERMETsont les mêmes, 92,5 et 92,9%. Cet écart s'explique surtout par des séances de médecin plusfréquentes. Les enquêtes auprès des médecins (Le Fur, 1998) montrent, en effet, que lalongueur des ordonnances est la même pour les hommes et les femmes, 2,9 lignes parordonnance. Ce qui diffère par contre, c'est le nombre de boîtes par ordonnance qui est plusimportant pour les femmes (6,7 contre 6,2).La consommation hospitalièreLes hospitalisations en court séjourEn 1993, plus de 13,4 millions de séjours hospitaliers, hors interruption volontaires degrossesse ont été effectués dans les services et établissements hospitaliers publics et privés desoins de courte durée services qui accueillent, en médecine, en chirurgie ou obstétrique, despatients dont l’affection est dans sa phase aiguë (Drees, 1999).Toutes causes réunies, ce sont les enfants de moins de 1 an, les hommes à partir de 65ans et les femmes à partir de 75 ans qui ont recours le plus fréquemment à l’hospitalisation.Globalement les femmes sont plus souvent hospitalisées que les hommes, en premierlieu à cause de la maternité, et en second lieu parce qu’elles vivent, en moyenne, pluslongtemps (taux d’hospitalisation de 240 pour mille pour les femmes et de 221 pour millepour les hommes). Cependant, pour chaque classe d’âge, le taux d’hospitalisation est toujoursplus élevé pour les hommes que pour les femmes, sauf entre 15 et 44 ans, période de la vie oùles hospitalisations plus nombreuses des femmes sont motivées par la grossesse etl’accouchement. De la même manière, la dépense hospitalière des femmes est à âge égal,moins importante que celle des hommes.En médecine (médecine générale, spécialités médicales et pédiatrie), le taux de présencedes femmes est inférieur à celui des hommes à tous les âges, les écarts les plus faibless’observant pour les nourrissons et les plus de 80 ans. De même en chirurgie générale ouspécialisée, les femmes ont un taux de présence inférieur à celui des hommes à tous les âgeset l’écart est maximum entre 25 et 39 ans. Enfin, les services de psychiatrie, qui accueillentavant 65 ans davantage d’hommes jeunes que de femmes.Seules exceptions, les services de moyen séjour (rééducation) et de long séjour où letaux de présence des femmes est nettement plus élevé que celui des hommes, essentiellementà cause des personnes âgées.186


MORBIDITÉ SANTÉChez les enfants, quatre groupes de pathologies sont à l’origine de 52 % des séjourspour chaque sexe : Les maladies de l’appareil respiratoires sont à l’origine de près d’un séjoursur cinq. L’ordre des pathologies diffère ensuite selon le sexe. Pour les filles, les maladies dusystème nerveux et des organes des sens viennent avant les maladies de l’appareil digestif etles traumatismes et empoisonnements. Pour les garçons en revanche, les traumatismes etempoisonnements arrivent en deuxième position suivis par les maladies du système nerveuxet des organes des sens et des maladies de l’appareil digestifEntre 15 et 64 ans, il faut noter le rôle prépondérant de la fécondité pour les femmes etdes accidents et maladies de l’appareil digestif pour les hommes.La proportion de séjours chez les adultes de 15 à 65 ans, reste supérieure chez lesfemmes avec 58 % des séjours (non compris accouchement normal) contre 55 % chez leshommes. Dans cette tranche d’âge, les motifs de séjour hospitalier varient fortement selon lesexe.Pour les femmes, 26 % des séjours sont motivés par les grossesses à risque, lesaccouchements compliqués et les maladies de l’appareil génital ; les maladies de l’appareildigestif occupent la deuxième place. Chez les hommes, les traumatismes et empoisonnementsainsi que les maladies de l’appareil digestif dominent avec pour chaque groupe, 14,5 % desséjours. Puis viennent les « autres motifs de recours » avec 13 % des séjours et les maladiesde l’appareil circulatoire avec 9%.A partir de 65 ans, un séjour sur cinq est motivé par une maladie de l’appareilcirculatoire. Les causes d’hospitalisation se diversifient ensuite selon le sexe. Pour lesfemmes, trois groupes de pathologies coexistent dans des proportions voisines : les maladiesdu système nerveux (12%), les maladies de l’appareil digestif (10,5 %) et les traumatismes(10%). Pour les hommes, les tumeurs constituent la deuxième cause d’hospitalisation avecune fréquence de 13%. Les maladies de l’appareil digestif et le groupe des symptômes ;signes et états morbides mal définis sont à l’origine de 1 séjour sur 10.Les facteurs socio-économiques de la consommation médicaleOutre le sexe, d’autres facteurs induisent des disparités de consommation médicale.Ainsi, chez les hommes, la situation de chômeur se traduit par des recours aux soins médicauxet dentaires inférieurs à ceux des actifs. Ces hommes sans emploi ont moins souvent une- 187 -


C. SERMETcouverture complémentaire et leur statut social est inférieur à celui des actifs. Dans la mêmesituation, les femmes sont plus souvent couvertes par une couverture complémentaire, leurstatut social dépend davantage de celui du chef de ménage et leur suivi médical se poursuit(Boisselot,1996). La catégorie sociale a également une influence sur les recours au soins.Ainsi, chez les actifs, à âge et sexe comparables, le recours au médecin varie d’un indice de83 pour les ouvriers non qualifiés à 117 pour les cadres supérieurs. L’écart entre catégoriessociales se creuse davantage encore si l’on focalise sur les recours aux soins de spécialistes :l’indice varie alors de 65 pour les ouvriers non qualifiés à 141 pour les cadres supérieurs. Lesdifférences de couverture sociale produisent également des disparités importantes de recoursaux soins. Toujours pour les soins de médecins, les personnes ne disposant pas d’unecouverture maladie complémentaire consultent nettement moins souvent un médecin quecelles qui n’en ont pas et il en est de même pour les personnes vivant du RMI (RevenuMinimum d’Insertion) (Bocognano, 1999).Les caractéristiques socioéconomiques sont souvent liées les une aux autres, aussi biendans leur aspect positif que négatif. En analysant la situation de trois groupes de population :favorisés, peu favorisé et médian, on met en évidence de manière plus synthétique lesdifférences d’accès aux soins médicaux.Ainsi, les femmes défavorisées consomment, à âge égal, notablement moins de soins despécialistes, de dentiste, d’omnipraticien en cabinet de ville, mais un peu plus de soins àdomicile, nettement plus de soins infirmiers et autant de journées d’hospitalisation.Inversement, les femmes favorisées consomment, à âge égal, notablement moins dejournées d’hospitalisation, de soins d’omnipraticien à domicile, d’infirmier ou de pharmacieprescrite et nettement plus de soins de spécialiste, de dentiste et de pharmacie non prescriteque le groupe médian.Enfin, malgré les substitutions entre soins de spécialistes et soins d’omnipraticiens et àl’intérieur de ceux ci entre consultations au cabinet et visites à domicile, les dépenses de soinsde médecin restent inférieures pour les femmes défavorisées de près de 30 % à celles desfemmes du groupe médian et supérieur de 17% pour le groupe favorisé après élimination del’effet de la structure par âge.Pour les hommes, on retrouve les mêmes tendances : les écarts entre hommesdéfavorisés et groupe médian sont cependant plus importants que pour les femmes, alors les188


MORBIDITÉ SANTÉconsommations médicales des hommes et des femmes favorisés sont sensiblement identiques.Pour l’hospitalisation, les différences entre groupes sociaux sont plus importants pour leshommes que pour les femmes (Mizrahi, 1998).Tableau 6 - Dépenses de ville et jours d’hospitalisation selon les trois groupes sociaux, par sexe(indice à âge et sexe égal, chez les 18 ans et plus)(pour chaque soin, l’indice de l’ensemble des femmes et celui de l’ensemble des hommes est égal à 1)Groupe favorisé Groupe médian Groupe défavoriséFemmes Hommes Femmes Hommes Femmes HommesGénéralistes domicile 0.63 0.61 1.00 1.01 1.14 1.10Généraliste0.98 0.85 1.04 1.05 0.62 0.66cabinetSpécialistes 1.43 1.44 1.01 1.01 0.55 0.50Ensemble médecins 1.19 1.11 1.01 1.02 0.72 0.67Dentistes 1.49 1.46 0.99 1.01 0.61 0.41Kinésithérapeutes 0.82 0.88 1.02 1.01 0.95 1.05Infirmiers 0.51 0.26 0.93 0.98 1.67 2.05Pharmacie prescrite 0.90 0.95 1.02 1.02 0.87 0.84Pharmacie non prescrite 1.57 1.62 0.96 0.97 0.87 0.72Ensemble pharmacie 0.94 0.77 1.02 1.04 0.87 0.83Soins de ville (sauf 1.13 1.12 1.01 1.01 0.85 0.81biologie, radiologie,stomatologie)Nombre de jours 0.48 0.34 1.04 1.02 0.91 1.28d’hôpitalSource : Insee-Credes, enquête nationale sur la santé et les soins médicaux 1991-1992 (Mizrahi,1998)ConclusionAu terme de ce rapide survol de l’état sanitaire de la France, les constats que l’on peutfaire sur l’état de santé de la population sont relativement favorables, mais ils mettenttoutefois en évidence un certain nombre de faiblesses et une fragilité de certaines catégoriesde la population.Les indicateurs globaux de mortalité et d’espérance de vie sont est élevés et ilspoursuivent leur progression. De même, alors qu’on avait constaté une aggravation de lamortalité prématurée dans les années 70-90, les années plus récentes sont marquées par desgains importants pour les deux sexes. Cependant, l’écart entre les sexes est encore important,et l’espérance de vie des hommes, de même que leur niveau de mortalité prématurée, accuseun retard considérable que les progrès récents ne suffisent pas à combler. Trois facteurs- 189 -


C. SERMETmajeurs constituent le lit de cette surmortalité masculine : l’alcool, le tabac et les accidents.Au premier plan des causes de cette mortalité prématurée on trouve les cancers, et plusparticulièrement ceux qui sont liés à l’alcool et au tabac, les maladies de l’appareilcirculatoire, les cirrhoses, les psychoses alcooliques et les bronchites chroniques. On noteaussi, toujours chez les hommes un poids important de la mortalité liée aux accidents et auxsuicides. Chez les femmes, un des faits marquants est également l’augmentation del’incidence des cancers liés au tabac alors que pour les hommes, mortalité et incidence ducancer du poumon atteignent aujourd’hui un plateau.Mais l’état de santé d’une population ne peut se résumer avec la mortalité et la situationque l’on observe en terme de morbidité est paradoxale. Alors que la mortalité est plutôtfavorable aux femmes, les données d’état de santé ressenti montrent un écart qui est en leurdéfaveur : elles déclarent plus de maladies que les hommes et se perçoivent en moins bonnesanté que leurs compagnons. L’observation plus objective de leur état de santé par desindicateurs d’incapacité et de risque vital montre que si, en terme d’incapacité, les femmessont effectivement plus souvent atteintes que les hommes, en revanche, le risque vital deshommes est plus élevé que celui des femmes.Sur le plan de l’incapacité, les années 80-90 semblent marquées par une augmentationde l’espérance de vie sans incapacité. Cette orientation favorable de l’état de santé de lapopulation, plus marquée chez les hommes, reste cependant encore à confirmer.Inégalités entre genres, mortalité prématurée, alcoolisme, tabagismes, accidents de lacirculation, problèmes de santé mentale, réduction des incapacités, autant de défis qui restentdonc encore à relever.En termes de consommation médicale, la France se caractérise par une consommationélevée, atteignant 8,7 % du PIB. La moitié de cette consommation est consacrée àl’hospitalisation, 27 % aux soins ambulatoires et 21 % à l’acquisition de biens médicaux.En ville, quel que soit le type de soin, les femmes sont plus fortement consommatricesque les hommes. Cette plus forte consommation de soins de ville des femmes semblecontrebalancée par une plus faible consommation de soins hospitaliers. Ces différences entreles hommes et les femmes s’expliquent en partie par la morbidité : outre la maternité et lapériode d’activité génitale qui entraînent de soins spécifiques, les femmes souffrent depathologies plus invalidantes que les hommes, d’où sans doute des recours aux soins plus190


MORBIDITÉ SANTÉfréquents. Cependant, outre le sexe, d’autres facteurs induisent des disparités deconsommation : le chômage, la catégorie sociale, les revenus en sont des exemples frappants.Un niveau élevé de consommation, mais une répartition pas toujours optimale, l’avenirde la consommation médicale en France se pose donc davantage en termes d’optimisation del’allocation des ressources qu’en termes de niveau. L’analyse de l’état de santé et de laconsommation médicale fait apparaître des besoins divers : amélioration de l’accès aux soinspour certaines catégories de personnes, prévention des facteurs de risque, dépistage précocedes cancers,... que notre système de santé devra dans les prochaines années s’efforcer decombler afin que la population française améliore encore son niveau sanitaire.Références citées :[1] G. Badeyan G., 1997, Etat de santé de la population en France : un bilan contrasté, Solidarité Santé, n°2,pp7-18[2] A. Bocognano, S. Dumesnil, L. Frérot, P. Le Fur, C. Sermet, 1999, Santé, soins et protection sociale en1998, Credes, n°1282[3] P. Boisselot, M.-C. Floury, 1996, Disparités de recours aux soins de ville entre hommes et femmes ,Solidarité Santé n°4[4] L. Com-Ruelle, S. Dumesnil, Concentration des dépenses et grands consommateurs de soins médicaux[5] Drees, Ministère de l’emploi et de la solidarité, Données sur la situation sanitaire et sociale de la France,La Documentation française, 1999[6] N. Guignon, M.-C. Mouquet, C. Sermet, 1996, Morbidité et consommation médicale. Des évidences ànuancer selon l’âge et l’indicateur retenu, in La santé des femmes, M.-J. Saurel-Cubizolles, B. Blondel,Médecine Sciences Flammarion[7] N. Guignon, 1994, Les consommations d’alcool de tabac et de psychotropes en France en 1991-1992,Solidarité santé n°1, pp 171-185.[8] N. Guignon, P. Mormiche, C. Sermet, Avril 1994, La consommation régulière de psychotropes , Inseepremière, n°310.[9] Haut Comité de la Santé Publique (HCSP), La santé en France 1994-1998, La documentation française,1998.[10] INED, Vingt-cinquième rapport sur la situation démographique de la France, Ministère du travail et desaffaires sociales, Ministère de l’aménagement du territoire de la ville et de l’intégration, 1996- 191 -


C. SERMET[2] T. Lecomte, 1994, La consommation pharmaceutique en 1991, Evolution 1970-1980-1991, Credes, n°1030.[3] Le Fur, Le Pape, Sermet, La prescription pharmaceutique des médecins libéraux en 1994, Credes, 1998,n°1212[4] Le Pape, Lecomte, Aspects socio-économiques de la dépression, Evolution 1980-81 / 1991-92, Credes,1998, n°1128[5] Le Pape, Lecomte, Prévalence et prise en charge médicale de la dépression, France 1996-1997, Credes,1998, n°1277[6] A. Mesrine, 1999, Les différences de mortalité par milieu social restent fortes, in Données Sociales, Lasocieté française, Insee, pages 228-235[ 7] F. Meslé, 1995, « La mortalité en France, le recul se poursuit », Population,3,745-778[ 8] A. Mizrahi, A. Mizrahi, 1998, « Consommations de soins », in Féminin Santé, La Santé en Action, CFES.[9] P. Mormiche, 1994, « Deux décennies d’évolution des consommations médicales », Solidarité Santé n°1,123-141[10] P. Mormiche, J.-M. Robine, octobre 1993, « L’espérance de vie sans incapacité augmente ». Insee premièren°281[11] C. Sermet, 1994, De quoi souffre-t-on ? description et évolution de la morbidité déclarée, France1991-1992, Solidarité santé n°1, pp 37-56.POUR EN SAVOIR PLUSG. BADEYAN, 1997, Etat de santé de la population en France : un bilan contrasté,Solidarité Santé, n°2, pp. 7-18.Dress, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 1999, Données sur la situation sanitaireet sociale de la France, La Documentation française.N. GUIGNON, M.-C. MOUQUET, C. SERMET, 1996, « Morbidité et consommationmédicale. Des évidences à nuancer selon l'âge et l'indicateur retenu », in La santé des femmes,M.-J. SAUREL-CUBIZOLLES, B. BLONDEL, Médecine Sciences, Flammarion.Haut Comité de la Santé Publique (HCSP), 1998, La santé en France 1994-1998, LaDocumentation française.192


Genre et Migration en France : La place sous-évaluée de l'activitéprofessionnelle des femmes migrantesStéphanie CONDON, INEDIntroductionDepuis plus de soixante ans, des recherches sur l’immigration en France décrivent lerôle économique des travailleurs immigrés. Dans cette histoire, les femmes immigrées sontlargement absentes (d’une histoire « neutre »). Elles sont (simplement) des épouses destravailleurs immigrés (masculins) et les mères de la « seconde génération ». De manièregénérale, les modèles de migration accordent un rôle actif à l’homme et un rôle passif à lafemme, notamment si elle vit en couple au moment de la migration. On se réfère aux migrantsmasculins lorsque l’on utilise le terme « migrations de travailleurs » et aux femmes et (auxenfants) lorsque l’on parle des migrations familiales. Ainsi, la représentation de la femmemariée au moment de la migration comme élément passif dans la migration résulte enl’occultation de son rôle souvent actif dans la préparation de la migration, dans le projetmigratoire et dans l’évolution des projets familiaux au cours du séjour dans le paysd’immigration. Mise à part l’étude très détaillée d’Isabel Taboada-Leonetti et de FlorenceLévi (1978) sur les conditions de vie, l’activité et les modèles culturels de femmes immigréesde cinq origines 1 , l’activité des femmes immigrées en France est restée dans l’ombre. Desétudes récentes sont venues combler ce vide, présentant des statistiques sur l’activité desfemmes d’origine étrangère dans les années 1980 et 1990 2 .1 I. Taboada-Leonetti et F. Lévi, 1978, Femmes et immigrées. L’insertion des femmes immigrées en France, Paris, LaDocumentation Française.2 Voir A. Lebon, « La composante féminine de la population étrangère. Quelques données de cadrage », Migrants-Formation n° 105, n° spécial « Femmes dans l’immigration », juin 1996, pp. –14 ; S. Chaïb et Y. Chaib, 1994,l’Insertion socioprofessionnelle des femmes d’origine étrangère : un bilan des connaissances, Paris, ADRI ; J.-L. Dayanet alii, 1996 « Le parcours professionnel des immigrés en France : une analyse longitudinale », Economie et Statistique,299, pp. 107-128 ; S. Thave, 1997, « Emploi : des chiffres qui parlent », Informations Sociales 63, numéro spécial « Lesfemmes d’origine étrangère et l’emploi », pp. 45-49 ; G. Tapinos, 1992, « Immigration féminine et statut des femmesétrangères en France », Revue Française des Affaires Sociales, numéro hors série, « L’immigration en France, données etperspectives », pp. 29-60.


S. CONDONL’étude de l’activité des migrantes à partir de données statistiquesL’objectif de beaucoup de recherches internationales sur les migrations féminines a étéla description et la mesure des modifications de statut de la femme liées à la migration. Maiscomme l’observe Tapinos (1992, p. 34), le rapprochement des caractéristiques des femmesimmigrées avec des indicateurs agrégés des pays ou des zones d’origine fait l’impasse sur lasélectivité de la migration et peut conduire à toutes sortes de conjectures sur la transformationdu statut. Dans le présent rapport sur le cas français, nous avons choisi d’étudier l’un desindicateurs utilisés pour analyser le statut des femmes, c’est-à-dire, l’activité professionnelle,et de porter à la connaissance du lecteur des données sur la place de la femme dansl’immigration étrangère en France depuis les années soixante, sur l’activité féminine et sur lasituation des femmes actives étrangères en France à la fin des années 1990. Les donnéesprovenant pour la plupart de tableaux publiés des résultats des recensements généraux de lapopulation ou des enquêtes nationales sur l’emploi, les données présentées ici décrivent les« femmes de nationalité étrangère ». Des études plus récentes ont pu analyser la situation des« femmes immigrées », c’est-à-dire, des femmes d’origine étrangère ou nées dans un paysétranger, quelle que soit la nationalité au moment de l’enquête 3 . Nous utiliserons des analysesissues de l’une de ces études pour décrire certaines évolutions récentes dans la situation desfemmes migrantes en France.Féminisation de la population étrangère en FranceEntre les recensements de 1962 et 1990, la part des femmes dans la populationétrangère s’accroît de 38,2 % à 44,9 %. A partir du milieu des années 1970, la croissance dunombre d’hommes dans la population étrangère est presque achevée (+ 3 %), tandis que lacroissance du nombre de femmes se maintient jusqu’au début des années 1980 (+ 15,5 %).Au cours des années 1990 la population féminine se stabilise (+ 1 %) alors qu’on constate unléger recul du nombre d’hommes (- 6,5 %). 4 Cette féminisation de la population étrangèrerésulte à la fois de l’augmentation de la proportion de femmes dans certains flux (parexemple, au cours des années soixante-dix, les migrations familiales sont devenues plusimportantes dans les migrations maghrébines) et du caractère spécifique de certaines3 Voir M. Tribalat, 1996, De l’immigration à l’assimilation. Enquête auprès des populations d’origine étrangère enFrance, Paris, Editions La Découverte/INED.4 A. Lebon A., 1996, op. cit.194


GENRE ET MIGRATIONmigrations (par exemple, la forte proportion de femmes migrant seules dans l’immigrationyougoslave des années soixante et soixante-dix).En parallèle, on observe une féminisation de la population active étrangère. En 1962, laproportion de femmes dans la population active étrangère est de 15,1 %, proportion quidouble en moins de trente ans, car au recensement de 1990, elle est de 30,4 %. Cetteféminisation de la population active résulte d’une décroissance du nombre d’actifs étrangersde sexe masculin à partir de 1975 et la croissance maintenue de l’immigration féminine, quecette immigration ait pour motif l’exercice d’une activité professionnelle ou un autre motif.La part des femmes dans la population totale étrangère et dans la population active en1990 varie d’une origine géographique à l’autre. Si la dispersion des valeurs pour la part desfemmes dans la population totale est assez faible (de 41,3 % pour l’immigration africaine à47,3 % pour l’immigration européenne), en revanche, le caractère récent de certains fluxmigratoires et la diversité des pratiques entraînent des différences significatives lorsque l’onconsidère la population active 5 : une distance de 15 points sépare, en ce domaine,l’immigration européenne et l’immigration maghrébine (respectivement 37 % de femmesdans la population active européenne et 22 % dans la population active maghrébine).Evolutions au cours des années 1990A travers les statistiques des enquêtes Emploi 6 , on observe la progression de laféminisation de la population active étrangère (de 32,7 % en 1991 à 35,2 % en 1994, puis à36 ,9 en 1999).Les traits marquants de la population active féminine en 1999 sont les plus forts tauxd’activité entre les âges de 25 et 49 ans comme pour l’ensemble des femmes en France et ladiversité des taux d’activité selon l’origine géographique (Tableaux 1 et 2).5 Voir Taboada-Leonetti et Lévi, op. cit.6 L’Enquête Emploi réalisé en mars de chaque année par l’INSEE a pour champ l’ensemble des ménages ordinaires de laFrance métropolitaine et certaines personnes rattachées. Le nombre de ménages répondant est de l’ordre de 70 000.- 195 -


S. CONDONTableau 1 - Population active étrangère selon le sexe et l’âge : taux d'activité en 1999Hommes Femmes EnsembleAge15-24 34,4 22,5 28,125-39 88,8 57,6 72,840-49 93,4 54,6 73,450-59 80,8 45,7 66,960 et plus 11,5 07,7 10,0Ensemble 66,9 42,9 55,4Source : Enquête Emploi de janvier 1999, tableau PA18.Tableau 2 - Population active étrangère selon le sexe et la nationalité : taux d’activité en 1999.Nationalité Hommes Femmes EnsembleItaliens 47,4 25,0 37,6Espagnols 58,2 38,9 49,2Portugais 78,6 65,5 72,2Autres CEE 62,5 51,4 57,1Algériens 59,8 39,4 50,6Tunisiens 72,2 31,7 54,9Marocains 67,0 30,9 50,2Ressortissants : Paysd’Afrique Noire78,8 45,8 61,5Polonais 54,7 39,6 45,9Yougoslaves 74,3 74,0 74,2Turcs 75,8 31,8 54,6Autres hors CEE 67,6 43,2 55,0Ensemble 66,9 42,9 55,4Source : Enquête Emploi de janvier 1999, tableau PA19.A la différence de la population masculine, les femmes étrangères sont moins activesque l’ensemble des femmes en France entre 25 et 59 ans. Elles sont aussi deux fois plussouvent chômeuses que les femmes françaises du même âge : le taux est de 26,6 chez les 25-49 ans et de 15,8 chez les 50 ans et plus, contre respectivement 12,4 et 0,8 chez les femmes196


GENRE ET MIGRATIONfrançaises. Au sein de la population féminine étrangère, on retrouve des différencesimportantes entre les taux de chômage parmi les ressortissantes de la CEE et les autresétrangères, les taux chez les premières se rapprochant du taux français (Tableau 3).Tableau 3. Taux de chômage en 1999 selon le sexe et l’âge,populations française et étrangère comparées.Age15-24 25-49 50 et plus TotalSexe et nationalité regroupésHommesFrançais 23,7 8,4 6,8 9,4CEE 18,6 9,0 11,9 10,2Hors CEE 38,2 27,2 24,2 27,2Ensemble desétrangers 33,6 20,8 19,8 21,3Total 24,2 9,2 8,0 10,2FemmesFrançaises 29,2 12,4 8,8 13,0CEE 15,5 11,4 7,7 10,6Hors CEE 48,8 35,8 28,8 36,2Ensemble des étrangères 40,9 26,6 15,8 25,7Total 29,7 13,2 9,1 13,6Source : Enquête Emploi de janvier 1999, tableau DEMO3 BIS.Bien que les écarts soient moindres, on retrouve la même tendance dans la populationmasculine.En ce qui concerne la variation des taux d’activité selon l’origine, l’ancienneté de lamigration – et donc la structure par âge de la population – en explique une partie. Ainsi lestaux d’activité en dessous de la moyenne observés pour les populations polonaise, italienne etespagnole s’expliquent en partie par le vieillissement de ces populations, tandis que les tauxrelativement faibles chez les femmes tunisiennes, marocaines et turques s’expliquent surtoutpar les normes du pays d’origine (par exemple, pour les étrangers d’origine marocaine, le- 197 -


S. CONDONtaux d’activité chez les femmes est de 30,9 % contre 67 % chez les hommes, tandis que pourles Italiens, le taux d’activité féminine est de 25 % contre 47,4 % chez les hommes).Une étude faite à partir des données des enquêtes Emploi (mais cette fois-ci rassemblanttoutes les femmes d’origine étrangère, quelle que soit la nationalité au moment de l’enquête :les « femmes immigrées ») a démontré que les taux d’activité féminine augmentent plusrapidement dans cette population que dans l’ensemble des femmes résidant en France 7 . Entreles âges de 25 et 49 ans, l’écart entre les deux taux reste important ; cependant les femmesimmigrées sont maintenant plus présentes sur le marché du travail au-delà de 59 ans que dansl’ensemble de la population féminine active. Cette étude note également que la forme de lacourbe des taux d’activité des femmes immigrées tend vers celle de l’ensemble des femmes,c’est-à-dire qu’elle reflète un modèle où l’activité continue domine.Les femmes migrantes continuent à exercer des métiers peu qualifiés.En 1999, la population active occupée compte 588 894 femmes étrangères 8 : une surdeux travaille dans la catégorie socio-professionnelle des employés (Tableau 4). Cettecatégorie regroupe des professions de bureau 9 et un vaste ensemble de professions peuqualifiées. Le plus grand groupe des employées étrangères travaille dans la catégorie despersonnels de services directs aux particuliers (28,6 % des femmes). Cette catégorie regroupeles serveuses de restaurant, les employées de l’hôtellerie, les coiffeuses salariées, lesassistantes maternelles et les gardiennes d’enfants, les employées de maison et les femmes deménage travaillant chez les particuliers, les gardiennes d’immeuble 10 . La spécialisation desimmigrées dans la catégorie des employées se vérifie quelle que soit l’origine géographique.Les femmes étrangères sont également surreprésentées parmi les ouvrières (27 % contreenviron 11 % de l’ensemble des femmes actives occupées). Plus des deux tiers (70,1 %) desouvrières étrangères travaillent comme ouvrières non qualifiées. Cette répartition contrasteavec celle des hommes étrangers, où 60 % des ouvriers sont classés comme des ouvriers7 S. Thave, 1997, op. cit8 A l’enquête Emploi de 1996, selon l’étude de S. Thave (précitée), 595 000 femmes « immigrées » travaillaient en France.9 Noter qu’en France, les étrangers sont exclus de l’emploi public.10 Voir C. Rogerat, 1997, « En quête de légitimité », Informations Sociales 63, numéro spécial « Les femmes d’origineétrangère et l’emploi, pp. 45-49.198


GENRE ET MIGRATIONqualifiés. Dans l’ensemble, les hommes étrangers ont des métiers plus qualifiés que lesfemmes étrangères (tableau 4).Tableau 4. Répartition des catégorie socioprofessionnelles des étrangers actifs en 1999,selon le sexe (%)Catégorie Socioprofessionnelle(Niveau intermédiaire)HommesFemmesAgriculteurs exploitants 0,6 0,3Artisans, commerçantsChefs d’entreprise9,0 3,0Cadres, professionsIntellectuelles supérieures8,4 4,7Professions intermédiaires 9,0 9,1Employés 10,3 49,8(dont personnels des servicesdirects aux particuliers)(4,0) (28,6)Ouvriers(dont ouvriers non qualifiés)61,1(21,3)27,1(19,2)Chômeurs n’ayant jamais travaillé 1,5 5,8Ensemble 1004 968 588 894Source : Enquête Emploi de janvier 1999, tableau PA20.Comme pour les autres tableaux présentés ici, cette répartition rassemble des migrantsrécents et des personnes vivant en France depuis vingt ou trente ans. Pour certaines femmes,ce métier peu qualifié constitue leur premier emploi, tandis que pour d’autres, immigrées delongue date, elles ont connu peu de mobilité sociale ou un retour sur le marché de l’emploiaprès une longue absence. Ceci est un autre aspect de la diversité des expériences cachée dansles chiffres sur les femmes immigrées.La précarité de l’emploiLa précarité de l’emploi est plus fréquente pour les femmes étrangères que pourl’ensemble des femmes actives en France. Elles occupent un peu plus souvent des emploistemporaires et de plus en plus, travaillent à temps partiel avec un type d’horaire le plus- 199 -


S. CONDONsouvent imposé. Le temps partiel touchait près d’une immigrée active sur quatre en 1996,selon l’étude précitée, par rapport à une femme active occupée sur trois dans l’ensemble de lapopulation. Les femmes étrangères ou immigrées donc occupent le plus souvent des emploisqui ne demandent pas de formation particulière, à temps partiel voulu ou subi, des emploisplus ou moins précaires qui se sont développés avec les transformations de notre société(l’urbanisation, le développement du tourisme, la croissance de l’activité des mères qui a crééde nouveaux besoins en garde d’enfants, etc…).Comme nous avons dit plus haut, les femmes migrantes sont très touchées par lechômage et la situation s’est dégradée au cours des années 1990. Dans l’ensemble de lapopulation en France, les femmes et les jeunes continuent à être les plus exposés au chômage.Malgré une baisse des entrées des jeunes sur le marché du travail, un tiers de l’ensemble desfemmes âgées de 15 à 24 ans recherche un emploi et pour les jeunes femmes immigrées, laproportion passe à 44 % en 1996 (par rapport au tiers en 1991 ; voir l’étude de S. Thave). Ilfaut rappeler ici que le taux de chômage chez les femmes immigrées ou étrangères âgées de30 à 49 ans est deux fois plus élevé que celui de la population active féminine du même âge.Cette observation est intéressante car elle démontre le fort désir parmi les femmes immigréesd’entrer sur le marché du travail.Inactivité et sorties d’activitéL’étude de S. Thave démontre l’importance des sorties de l’activité professionnelledans la population immigrée féminine et une forte part de femmes au foyer à un momentdonné. En 1996, 36 % des femmes immigrées âgées de 15 à 59 ans étaient inactives (femmesau foyer ou autres), deux fois plus que dans l’ensemble de la population féminine (17 %). Sil’on dénomme comme femmes au foyer les femmes non étudiantes sans activitéprofessionnelle ou qui n’ont jamais travaillé, les femmes au foyer sont proportionnellementtrois fois plus nombreuses parmi les femmes immigrées en 1996 que parmi l’ensemble desfemmes en France. Effectivement, les femmes immigrées restent plus souvent au foyer quandle ménage a des enfants mineurs et surtout s’il y a un enfant très jeune ; et l’on sait parailleurs que les couples d’immigrés ont plus d’enfants que l’ensemble des couples en France(1,6 en moyenne chez les premiers, contre 1,2 pour l’ensemble des couples), les enfants étantparticulièrement présents dans les couples originaires d’Afrique, de Turquie et d’Asie du Sud-200


GENRE ET MIGRATIONEst 11 . Ainsi, lorsque l’on analyse l’activité des femmes étrangères ou immigrées, le nombre etl’âge des enfants présents dans le ménage sont, comme pour l’ensemble des femmes, autantde facteurs à prendre en compte en plus de facteurs comme les normes du pays d’origine oules problèmes de maîtrise de la langue française.ConclusionDepuis les années soixante, la féminisation de la population étrangère s’estaccompagnée d’une féminisation de la population étrangère active. Certaines caractéristiquesde l’activité féminine étrangère reflètent celles de l’activité dans l’ensemble des femmes enFrance, notamment une tendance vers l’activité continue et aussi la croissance de la précaritéde l’emploi. Comme l’a dit F. Gaspard, la situation des migrantes peut se considérer comme« le miroir grossissant de la condition actuelle de toutes les femmes » 12 . En général, on noteune sous-évaluation du travail accompli par les femmes immigrées, car les capacités requisesn’exigent pas de diplômes et reposent sur des qualités dites « naturelles » des femmes. Il estpeut-être temps de remettre en cause des habitudes conceptuelles qui figent les descriptifscomme celui du « bas niveau de qualification » et donc les pratiques du monde du travail quijouent en défaveur des femmes, qu’elles soient immigrées ou non.Cette sous-évaluation du travail des femmes immigrées minimise leur apport àl’économie française, qui est loin d’être négligeable 13 . Mais aussi à l’économie familiale :lorsqu’elles sont seules à élever des enfants ou que leur conjoint se trouve au chômage,comme il arrive aussi à de nombreuses femmes nées en France, leurs revenus sontindispensables. La spécificité des femmes migrantes est que, souvent, elles envoient unepartie de leurs revenus à la famille au pays d’origine, notamment pour aider la famille à payerla scolarisation des frères et sœurs ou éventuellement pour élever et nourrir des enfants laissésau pays.Les analyses des résultats de diverses enquêtes indiquent qu’aux facteurshabituellement utilisés pour analyser l’activité des femmes – la génération, la qualification, lasituation familiale – il faut ajouter, pour les femmes migrantes, des facteurs comme la11 C. Kohler et S. Thave, 1997, « Les immigrés et leur famille », INSEE-Résultats, INSEE, Paris12 F. Gaspard, 1996 , « Pourquoi avons-nous tant tardé », Cahiers du MAGE, 3, pp. 115-118.13 Voir Taboada-Leonetti et Lévi op. cit. et S. Condon, 2000, « L’activité des femmes immigrées du Portugal à l’arrivée enFrance, reflet d’une diversité de stratégies familiales et individuelles », Population, sous presse.- 201 -


S. CONDONmaîtrise du français, la nationalité, l’époque d’arrivée en France et les conditionséconomiques et sociales de la trajectoire migratoire depuis l’arrivée. La maîtrise de la languefrançaise est certainement un facteur déterminant dans toutes les sphères de la viequotidienne, faisant qu’une femme soit plus ou moins enfermée dans la sphère familiale etqu’elle ait plus ou moins de difficultés dans ses démarches auprès des institutions, de l’école,du corps médical. C’est ainsi que l’activité professionnelle peut constituer un vecteurd’intégration : l’activité peut l’aider à mieux maîtriser la langue française, connaître lespratiques des femmes dans la société française (par exemple, consommation médicale,contraception, formation permanente, vie associative) et acquérir une autonomie.Les questions de racisme ou de discrimination raciale sont rarement abordées dans lesanalyses de l’activité des femmes migrantes. Pourtant, l’une des raisons pour lesquelles bonnombre d’entre elles sont cantonnées à des métiers peu qualifiés, quel que soit leur niveau dediplôme, est la persistance d’une attitude discriminatoire parmi les employeurs à l’égard deces femmes, soit au niveau de l’embauche, soit au plan des promotions internes. Par manqued’information ou manque de <strong>propos</strong>itions, de nombreuses femmes ne bénéficient pas deformation permanente qualifiante leur permettant de grimper les échelons ou de changerd’emploi.D’autres problèmes se posent aux femmes immigrées au moment de la prise de retraite.Pour beaucoup d’entre elles, les interruptions de carrière pour raisons familiales ne leurpermettent pas d’obtenir une pension suffisante. De même, le travail des femmes qui n’a pasété déclaré - situation courante parmi les employées domestiques – n’est pas pris enconsidération pour les pensions. Ainsi les femmes qui ne peuvent pas compter sur la pensiondu conjoint – car de nombreuses femmes se trouvent seules à ce moment-là, par le veuvage,la séparation ou le divorce – peuvent connaître une situation dramatique. Si de nombreusesfemmes sont entourées de parents proches ayant migré en France, d’autres se trouvent plusisolées (notamment celles qui un réseau social faible ou qui n’ont pas d’enfant). Enfin, leretour au pays n’est jamais une solution satisfaisante dans une situation d’échec et le retourest peut-être plus difficile pour une femme seule.202


GENRE ET MIGRATIONPOUR EN SAVOIR PLUSS. CHAIB et Y. CHAIB, 1994, L’insertion socioprofessionnelle des femmes d’origineétrangère : un bilan des connaissances, Paris, ADRIInformations Sociales ,1997, n°63, numéro spécial « Les femmes d’origine étrangère etl’emploi »Migrants Formation, 1996, n°105, numéro spécial « Femmes dans l’immigration », juin1996.I. TABOADA-LEONETTI et F. LEVI, 1978, Femmes et immigrées. L’insertion desfemmes immigrées en France, (Migration et Sociétés 4), Paris, La Documentation Française.G. TAPINOS, 1992, « Immigration féminine et statut des femmes étrangères enFrance », Revue Française des Affaires Sociales, numéro hors série, « L’immigration enFrance, données et perspectives », pp. 29-60.M. TRIBALAT, 1996, De l’immigration à l’assimilation. Enquête auprès despopulations d’origine étrangère en France, Paris, Editions La Découverte/INED- 203 -


La réussite scolaire des filles : ni triomphalisme ni misérabilismeMichèle FERRAND, CNRSLongtemps exclues du système éducatif, les filles sont, à partir de 1971, plusnombreuses que les garçons à entrer à l'université dans une période où seulement 40% d'uneclasse d'âge y parvient. Ce rattrapage, étonnant par sa rapidité et son ampleur, doit cependantêtre analysé avec quelques nuances. La réussite des filles reste paradoxale dans sesconséquences, car elle ne bouleverse que modérément la hiérarchie homme/femme.Cependant, les avancées spectaculaires des filles dans le champ du savoir, même si elles nemenacent pas directement l'ensemble des mécanismes de la reproduction socio-sexuée, grâceà l'inertie du système scolaire qui leur assure une certaine consolidation, représentent unevéritable brèche dans ce qui apparaissait depuis des siècles comme un monopole masculin.La victoire des filles : vers l'égalité dans l'accès au savoirLe rattrapage : apprendre comme les garçons et les distancer...L'essor actuel des scolarités féminines ne doit pas faire oublier le dur chemin que lesfilles ont dû accomplir pour obtenir le droit de s'asseoir à l'école à côté des garçons et d'yrecevoir le même enseignement. Pendant des siècles, l'instruction des filles a été subordonnéeà d'autres fins que leur développement personnel. Instruire les filles n'était pas un objectifpertinent, il suffisait de les éduquer à leur futur rôle social. Éducation à la fois morale (lecatéchisme pour les classes laborieuses, le couvent pour les jeunes filles bien nées) et pratique(assumer les tâches familiales et tenir “ leur place ”). L'image de la “ femme savante ” et des“ précieuses ridicules ” domine les représentations y compris au Siècle des Lumières où lathèse de Rousseau l'emporte sur celle de Condorcet. Il s'agit de faire d'abord de bonnesépouses et des éducatrices efficaces. Cette finalité restreinte explique le retard des taux descolarisation féminins à tous les niveaux, du primaire au supérieur et la philosophie de la loiCamille See ouvrant, à la fin du XIXème siècle, l'enseignement secondaire aux jeunes fillesne dérogera pas à l'esprit du temps. 1 .1 F. Mayeur, 1977, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Presses de la FNSP.


RÉUSSITE SCOLAIRELes filles ne doivent pas accéder aux mêmes savoirs que leurs frères et ne peuvent, pourdes raisons évidentes de moralité, fréquenter les mêmes établissements. La “ co-éducation ”qui sera une revendication des féministes du tournant du siècle est refusée unanimement parles cléricaux et les républicains. Cette éducation séparée et la différence des contenus visent,d'une part à protéger le fonctionnement familial en respectant la hiérarchie des sexes, d'autrepart à empêcher la concurrence féminine sur le marché du travail. Les lycées de jeunes fillesne préparent pas au baccalauréat, nécessaire pour accéder à l'enseignement supérieur et le vraidiplôme de fin des études secondaires, c'est le mariage. Demeure toujours la crainte de voirl'instruction des femmes bousculer l'ordre familial et social.En 1924, sous la pression des familles, le décret Bérard offre enfin aux filles lapossibilité de suivre les mêmes programmes que les garçons et d'avoir accès à l'enseignementsupérieur en passant le baccalauréat. L'effet de cette mesure est immédiat. En 1900, pourenviron 270 000 étudiants, il n'y avait que 624 étudiantes... et souvent il s'agissaitd'étrangères. Certes, en 1910, le nombre de jeunes filles préparant le baccalauréat hors dusystème public ne cesse d’augmenter mais il y a encore 10 fois plus d'étudiants qued'étudiantes. Dès 1925, le rattrapage s'intensifie, cependant les garçons sont encore 6 fois plusnombreux que les filles; en 1946, un étudiant sur trois est une étudiante. Et en 1990, il y a 520000 étudiantes, soit 70 000 de plus que d'étudiants....Tableau n°1 - Niveau de diplôme le plus élevé selon la génération et le sexeAnnées de naissance 1917-26 1927-36 1937-41 1942-46 1947-56 1957-61 1962-66F. H. F. H. F. H. F. H. F. H. F. H. F. H.Aucun diplôme 36,5 30,6 34,5 31,1 25,9 21,9 20,2 18,4 16,8 16,5 19,9 20,7 20,0 22,2CEP 40,2 38,7 37,4 28,9 33,2 23,6 29,2 21,0 19,9 13,6 6,4 5,2 2,8 2,2CAP 5,7 11,3 9,9 20,1 14,0 27,7 16,6 30,8 17,1 28,6 14,5 27,0 16,4 27,0BEPC 8,7 5,8 7,7 5,0 8,6 5,1 10,6 7,1 9,8 7,9 10,2 7,3 9,0 6,7BEP 2,3 2,3 3,0 2,9 4,2 4,3 5,7 4,2 7,5 5,7 13,4 11,7 15,6 14,3Bac général 2,8 3,0 2,9 2,2 4,6 3,1 5,0 3,3 5,5 4,1 6,6 4,3 6,6 3,5Bac technique 1,9 2,8 2,6 3,2 4,2 4,9 5,5 6,0 7,5 7,2 10,4 7,4 10,9 7,7Bac +2 0,9 1,2 1,4 1,7 2,5 3,0 3,7 3,7 8,3 6,6 10,9 7,7 12,4 9,7> Bac+2 1,1 4,5 1,4 4,9 2,9 6,5 3,5 5,7 7,5 9,9 7,7 8,9 6,5 6,3100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100N (en milliers) 9281 8557 10185 9854 4436 4234 4917 4717 11700 11383 5939 5586 5579 5279Source : INSEE, Enquêtes Emploi 1971 et 1991 in Marry et al., RFS, 1998, XXXIX-2.- 205 -


M. FERRANDAprès la seconde guerre, autre transformation d'importance : le passage à la mixité.Alors que pendant un siècle et demi, la non-mixitéa présidé à la vie scolaire, en quelquesannées, sans débats théoriques ni résistances idéologiques, la généralisation de l'école mixteva s'imposer comme solution aux problèmes de pénurie de locaux et d'enseignants. En 1963,la mixité devient le régime général des collèges. Avec la loi Haby de 1975, la règle del'égalité d'accès des filles et des garçons aux mêmes établissements est définitivement établie.Depuis 1985 toutes les formations sont légalement accessibles aux filles. Mais certainsbastions ont longtemps résisté et l’ouverture des grandes écoles d’ingénieurs aux filles est trèstardive. Celles qui ont été mixtes (de droit) dès leur création sont des écoles situées enprovince et souvent proches des universités (écoles de chimie de Marseille, Rouen, Rennes...1917, 1918, 1919). Les plus grandes ne leur ont ouvert leurs portes que plus d’un siècle aprèsleur création : Centrale (crée en 1821, mixte en 1921), Les Ponts (1762, 1962), Polytechnique(1794, 1972).... HEC et ESCP sont devenues mixtes en 1973.De 1961 à 1994, l'effet de la mixité est spectaculaire : tous les domaines d’études sesont féminisés.Tableau 2 - Evolution des taux de féminisation dans l’enseignement supérieur selon la disciplineDiscipline% de femmesAnnée 1961 1971 1982 1994Droit 29 39 53 60Sciences économiques 26 42 52Lettres, sciences humaines 63 67 68 72Médecine 26 32 44 52Sciences (maths, physique,chimie, biologie)32 33 33 36Ecoles d’ingénieurs 4 6 16 22,6Ensemble de l’enseignement sup. 42 46 51 55Source : Ministère de l’Education Nationale, DEP, Repères et références statistiquesLes filles ont accentué leur présence dans les études littéraires où elles étaient déjàmajoritaires dans les années 60 et ont investi celles ouvrant sur des professions longtempsmonopolisées par les hommes : le droit, la médecine, l’économie, les écoles de commerce. Laféminisation des études universitaires en mathématiques et physique est plus lente mais206


RÉUSSITE SCOLAIREmathématiciennes et physiciennes ne sont plus des oiseaux rares dans les classes préparatoiresscientifiques ouvrant sur les écoles d’ingénieurs. 80% des pionnières, issues de ces écoles il ya trente ans, ont travaillé mais nombre d’entre elles ont rencontré de grandes difficultésd’insertion dans l’industrie et ont parfois été contraintes, pour suivre leur mari ou élever leursenfants, de se réfugier dans le métier d’enseignante. Aujourd’hui, comme leurs camaradesmasculins, elles sont ingénieurs et cadres dans de grandes entreprises, se marient et ont desenfants 2 . Les études conduisant aux professions d’infirmières et à celles du travail social sonttoujours des études très majoritairement suivies et exercées par des femmes mais ont perdu deleur attrait pour elles : les effectifs dans ces écoles ont diminué de 20% au cours de ces dixdernières années.Les filles sont non seulement plus scolarisées, mais elle sont aussi plus performantes,elles sont plus souvent “ à l'heure ou en avance ” et elles sont plus mentionnées, notammentau baccalauréat. Depuis 1960, les filles ont toujours moins redoublé que les garçons à l’écoleprimaire et cet avantage se creuse au collège, ce qui les protège d'une orientation vers lesfilières professionnelles dévalorisées.Mais ce renversement historique des inégalités sexuées de réussite scolaire au profit dusexe dominé, les filles, est largement occulté. Il est vrai qu'il s'avère dérangeant pour lathéorie de la domination…Quoique l’on puisse émettre des réserves en termes de domainesd’études fréquentés différemment par les deux sexes, un tel renversement n’a jamais étéobservé entre classes sociales. À <strong>propos</strong> de ces dernières, toutes les analyses s’accordentplutôt sur le constat de la permanence des écarts dans le temps et dans l’espace, le constatd’un déplacement vers des points supérieurs du cursus scolaire pour tous signant de faitl’échec de l’idée de démocratisation. 3Les progrès enregistrés par les filles se sont accomplis dans un certain respect desinégalités scolaires et sociales 4 . Il reste que leur supériorité s’observe dans toutes les classessociales et que l’effet de l’origine sociale sur la scolarité est beaucoup moins accentué chezles filles que chez les garçons. Ainsi, pour les jeunes filles issues de milieux dits défavorisés,on ne peut plus parler, comme auparavant, de cumul des handicaps mais au contraire, decompensation du handicap d’orientation par un avantage de réussite.2 C. Marry, 1989, « Femmes ingénieurs, une (ir)resistible ascension ? », Information sur les sciences sociales, Vol28, N°2.3 M. Euriat, C. Thélot, 1995, « Le recrutement de l’élite scolaire en France », RFS XXXVI-3.- 207 -


M. FERRANDLes chances d’obtenir le bac varient de 1 à 4 pour les garçons : 18% des fils d’ouvriers,72% des fils de cadres, elles varient de 1 à 3 pour les filles (27%/ 81%) et l'écart est plus fortquand on considère le bac général : elles vont de 1 à 7 pour les garçons (8,5%/62,5) et de 1 à4,5 pour les filles (15%/72%).Donc la réussite scolaire des filles, en particulier de celles de milieux populaires, aconduit à une certaine atténuation des inégalités sociales sexuées : c’est dans certainesfractions des milieux populaires (pères ouvriers, mères actives sans qualification) que l’écartde réussite en faveur des filles est le plus marqué. Cette évolution peut s'analyser en termes dedynamique générationnelle au sein de lignées de femmes (émancipation des mères parl’activité, émancipation des filles par l’école et l’accès à un métier qualifié). D'une façonglobale, les résultats des filles sont moins sensibles que ceux des garçons aux obstaclesordinaires à la réussite scolaire 5 .Les catégories sociales les plus récemment venues à l’enseignement secondaire yaccèdent avant tout par les femmes. La démocratisation de l’accès à l’enseignement long n’apas eu, en effet, les mêmes effets sur les filles et les garçons des différentes origines sociales :les filles de milieux populaires fréquentent beaucoup plus souvent les classes de terminalesque leurs frères et cette féminisation s’ordonne même de façon assez stricte en fonction de laCSP du père.Des années 60 aux années 90, les effectifs de jeunes filles d’origine ouvrière présentes àl’université ont été multipliés par cinq, ceux des garçons de même origine par deux et demi.En 1965, les garçons représentaient 54,2% des enfants de cadres supérieurs inscrits àl’université; en 1989 ce sont les filles qui comptent pour 54,5% des enfants de ces mêmescouches sociales.Et pourtant, la meilleure réussite des filles est passée quasiment inaperçue, y comprisdans les sciences de l'éducation. Dans les débats sur le rôle de l'école dans le maintien desinégalités sociales, on a ignoré pendant des années la modification de la hiérarchie scolaireentre les sexes. Si le niveau scolaire de l'ensemble des Français s'est notablement élevé cesdernières décennies, c'est chez les filles que cette évolution s'est montrée particulièrement4 R. Establet, 1988, « Subversion dans la reproduction scolaire », Revue économique, vol 39, 1.5 J.-P. Terrail, 1992, « Réussite scolaire : la mobilisation des filles », Sociétés Contemporaines, n°11-12.208


RÉUSSITE SCOLAIREflagrante. Or cette évolution n'est pas sans effet sur le fonctionnement de l’ensemble de lasociété.La modification du sens du diplôme pour les filles : de la mère au foyer à la femme àl’activité continueLe temps de la mixité autorise enfin une véritable comparaison entre garçons et filles,aussi bien de leurs performances que des choix d'orientations et de l'insertion dans le mondedu travail. Cet essor des scolarités féminines, cette meilleure réussite a des conséquences surtous les aspects de la vie quotidienne des hommes et des femmes, dans la sphère privéecomme dans la sphère publiqueL'irruption des filles dans le monde du savoir entraîne d'abord une profondemodification du sens du diplôme féminin : il représente une dot qui se négocie, notammentpour les classes moyennes et supérieures, de moins en moins sur le marché matrimonial et deplus en plus sur le marché du travail.La meilleure certification des filles est concomitante avec l'arrivée en masse desfemmes dans les professions où le diplôme est une nécessaire condition d'entrée (effet levier).C'est ainsi que se féminise (sans systématiquement se dévaloriser) un certain nombre deprofessions, notamment les professions libérales du droit, de la santé et de l'économie. Et,d'une manière plus globale, la possibilité de détenir un diplôme monnayable, modifie l'attitudedes femmes vis-à-vis de l'activité professionnelle, leur entrée dans l'emploi apparaissantcomme une conséquence logique de leur investissement scolaire.Mais l'impact de l'essor des scolarités féminines ne s'arrête pas à la sphère publique, ilse manifeste aussi dans la sphère du privé. Fréquenter les mêmes établissements, recevoir lesmêmes enseignements, passer les mêmes diplômes influent sur la construction des identitéssexuées. La définition de l'identité féminine n'est plus enfermée dans le seul rapport à lafamille et à la maternité. Si cette dernière demeure, aujourd'hui comme hier, un élémentessentiel du féminin, s'y réduire n'est plus acceptable avec la même évidence. Ce qui frappedans les décisions de maternité actuelles, c'est la volonté de mener celles-ci de front avec uneactivité professionnelle de plus en plus continue 6 .6 N. Lefaucheur, 1992, « Maternité, Famille, Etat », in Duby et Perrot, Histoire des femmes, TomeV, Plon- 209 -


M. FERRANDC'est donc un double projet que développent d'emblée les jeunes filles en cours d'études,avec la volonté de concilier les logiques différentes – réussir sa vie de couple ou travailler.Désir qui interfère, sans aucun doute, sur leur manière d'envisager leur cursus scolaire, maisqui s'élabore différemment selon les héritages familiaux, les transmissions maternelles etsurtout leur propre réussite scolaire. Ainsi la priorité accordée à la constitution d’une famille -et l'abandon de l'activité professionnelle pour se consacrer à l'éducation des enfants - estdavantage et plus précocement valorisée par les jeunes femmes qui ont peu de perspectivesprofessionnelles, après avoir peu investi dans l'école. À l'inverse, la maternité entre enconcurrence avec d'autres possibles pour les femmes qui ont poursuivi de longues études.Grâce à une certification élevée, certaines jeunes femmes arrivent à jouer sur les deux plans :reconnaissance sociale à travers une profession qu’elles apprécient et épanouissement familialdans une maternité volontairement programmée en articulation avec leurs ambitionsprofessionnelles. Un diplôme bien rentabilisé sur le marché du travail est un élémentimportant dans la construction des rapports hommes femmes au moment de la mise en coupleet dans les arbitrages familiaux qui se présentent ensuite.Donc l'amélioration de la formation des jeunes filles est payante tant sur le marché dutravail que dans les négociations conjugales, favorisant ainsi un meilleur partage avec leconjoint, de leur “ deuxième journée ”. On sait en effet que plus le niveau de diplôme del'homme et de la femme est élevé, plus l'homme accepte de prendre en charge les tâchesféminines ou négociables. En homogénéisant les comportements, mais plus encore lesaspirations masculines et féminines, l'institution scolaire induit un rapprochement des rôlesdans l'institution familiale.Toutefois, la réussite scolaire des filles, si elle est aujourd'hui manifeste, peut être vued’une marnière moins optimiste en prenant la mesure de ses limites.210


RÉUSSITE SCOLAIRELa réussite des filles, une victoire à la Pyrrhus ?L'école : moins égalitaire qu'il n'y paraît?- le maintien des filières sexuées :Fréquenter les mêmes établissements, y poursuivre des cursus de même longueur nesignifie pas pour autant y suivre les mêmes filières.L’école avantage les garçons et pénalise les filles qui, notamment, subissent unpréjudice à tous les paliers d’orientation. A âge égal et réussite identique, elles demandentmoins souvent les orientations les plus rentables et les conseils de classe ne corrigent pas cetteauto-élimination 7 .Meilleures à l’entrée et à la fin de la seconde, les filles envisagent moins souvent de sediriger vers une 1ère S, qu’elles soient bonnes en sciences, bonnes en lettres ou bonnes dansles deux. Contrairement aux garçons, les filles ont du mal à tirer tout le profit de scolaritésinitiales qui ne cessent pourtant de s’améliorer. Cela se traduit par leur exclusion des sciencesdures et des filières les plus valorisées. On observe une érosion continue de leur présence aufil du cursus d’excellence qui sélectionne en France sur les mathématiques et qui offre lesmeilleures perspectives de carrière. En effet, dès lors que les cursus se spécialisent les fillesoptent moins souvent pour ceux où les mathématiques et la physique dominent : majoritairesen classe de seconde “ indifférenciée ” du lycée, elles ne sont plus que 35% en terminale S,23% en classe préparatoire et 15% dans les plus grandes écoles scientifiques (Polytechnique,les Mines, Les Ponts...).Or, ce ne sont pas les différences de réussite des filles et des garçons selon lesdisciplines qui expliquent les différences d'orientation, mais des choix différents effectués parles garçons et par les filles, choix fondés sur une perception différente à la fois de leur proprecapacité (surestimation relative des garçons et sous-estimation relative des filles) et sur laprise en compte du contexte familial et social. Et ces orientations sont rarement contrecarréespar les enseignants : la filière mathématique est souvent considérée comme un passage obligépour un bon élève garçon, beaucoup moins pour une bonne élève fille.7 J. Guichard, 1990, « Le système éducatif français et l’orientation des lycéennes et des étudiantes », Revue Française dePédagogie, n°91.- 211 -


M. FERRANDTableau n°3 - Domaine des études supérieures (toutes filières) selon le sexe et l’âge en 1991Domaine d’étudesSciences et techniques :Sciences de la natureSciences de la vie, médecineSciences sociales et humainesEconomie, gestion, droitLettres, langues...Total (%)N25-29 ans(nés en 1962-66)30-34 ans(nés en 1957-61)35-44 ans(nés en 1947-56)45-54 ans(nés en 1937-46)F. H. F. H. F. H. F. H.54,5 41,5 57,5 38,2 55,0 37,9 56,644,3 14,6 41,1 11,2 37,4 16,8 41,610,2 26,9 16,4 27 17,6 21,1 14,936,413,722,863,5642,720,910080445,537,97,61006705932,426,610078342,532,110,410067661,823,738,1100124945,031,0613,90100125962,41844,410058343,422,920,5100785Source : Enquête Emploi de 1991 in Marry et al., 1998, RFS.Champ : diplômes universitaires, de grandes écoles et du technique supérieur en France (les écoles d’infirmières sontcomptées en sciences de la vie)Dans le contexte actuel qui fait aller de pair réussite sociale et filières scientifiques,cette orientation systématique des filles dans les cursus supérieurs les “ moins rentablessocialement ” remet en cause l'impact de leur meilleure réussite scolaire. Les ombres dutableau ne sont pas sans signification : jamais les jeunes filles ne retirent tous les avantagesdes évolutions qui leur sont favorables, jamais les orientations ne sont à la hauteur desréussites. Qu'il s'agisse, à performances égales, de passer de 5è à 4è, de s'orienter à l'issue dela seconde, de choisir une filière de l'enseignement supérieur, les mécanismes de l'orientationpénalisent toujours les filles.- la mixité : un faux semblant?8 les pratiques sexuées à l'école et le curriculum cachéIl ne suffit pas de décréter la mixité pour qu'elle entraîne une égalisation des statuts etdes rôles sexués. En tant que lieu symbolique d'un rapport traditionnel d'autorité, l'école estrestée “ une affaire d'homme ” ; un monde dominé par des relations et des certitudes“ viriles ”, même si la féminisation croissante du corps enseignant oblige à confier à desfemmes l'exercice de cette autorité, masculine par essence (ou par manque d’imagination!).Garçons et filles sont soumis à un “ curriculum caché ” : c'est-à-dire un ensemble de valeurset d'attitudes, allant des automatismes intellectuels de base jusqu'à la conception que l'on seforge de soi même. De plus, les disciplines scolaires apparaissent connotées sexuellement etles élèves investissent et excellent dans des matières différentes selon leur sexe.8 D’après le titre de l’ouvrage de N. Mosconi, La mixité dans l’enseignement secondaire, PUF212


RÉUSSITE SCOLAIREMalgré une certaine vigilance et quelques corrections récentes, les stéréotypes sexuésdes manuels scolaires demeurent actifs. Les ouvrages scolaires restent majoritairement conçusen référence à un enseignement se déclinant au masculin. Dans les disciplines visant à rendrecompte du fonctionnement de la société (histoire, géographie, sciences sociales) c'estl'expérience masculine qui représente “ l'expérience humaine ”, renvoyant celle des femmes àune spécificité sans grand intérêt. Dans les disciplines scientifiques ou pire encore,techniques, les filles se perçoivent et sont perçues comme des intruses et le coût de latransgression de sexe peut alors être très élevé pour elles 9 .Enfin, on observe une pratique différenciée des enseignants par rapport aux garçons etaux filles. Elles sont moins écoutées, moins stimulées, elles font l'objet de moinsd'interactions avec les enseignants. Ceux-ci font souvent montre d'attentes différentes selon lesexe: les filles réussiraient grâce à leur travail et à leur docilité, les garçons grâce à leurintelligence. Quand les premières échouent, il n'y a pas grand-chose à faire; en revanche, lesseconds n’ont pas donné tout ce qu’ils pouvaient mais l'espoir reste permis (cela est surtoutvrai en mathématique et en physique). Or on connaît depuis longtemps l'effet de ces attentessur la réussite effective (effet Pygmalion).Le monde du travail : la non-valorisation de la réussite des fillesLa segmentation horizontale du marché du travailOn a longtemps justifié les inégalités de salaire et de carrière entre hommes et femmespar l'insuffisance de formation initiale des femmes. Aujourd'hui, c'est davantagel'inadéquation des apprentissages <strong>propos</strong>és par l’école que le niveau atteint qui est mis enavant. En effet, à niveau de diplôme égal, les femmes ont des postes moins prestigieux etmoins bien rémunérés que les hommes. Ces différences seraient principalement dues à laspécificité de l’offre de travail qui privilégierait davantage les formations masculines. Lasegmentation horizontale du marché du travail ne serait, en quelque sorte, que la conséquencelogique des choix scolaires des filles optant elles-mêmes pour des voies moins rentables.Cette liaison formation-emploi relève historiquement d’une explication tautologique,définissant a priori les qualités sexuées d’un métier par le sexe de leurs occupants. Est souventévoqué l’exemple du secrétariat, réservé aux hommes au début du XIXème siècle, et devenu9 A.-M. Daune-Richard, C. Marry, 1990, « Autres histoires de transfuges ? Le cas des jeunes filles inscrites dans desformations masculines de BTS et de DUT industriels », Formation-Emploi, n°29- 213 -


M. FERRANDaujourd’hui l’archétype du “ métier féminin ”. On constate la même évolution concernant lafonction de cadre commercial qui réclamait, il y a quelques années encore, une combativitétoute masculine, et que l’on trouve maintenant remarquablement adaptée aux filles par lesqualités de coopération, de persuasion et d’écoute qu'elle requiert...Il est vrai que la majorité des emplois féminins sont concentrés dans quelquesprofessions, notamment les professions du secteur tertiaire ou de la fonction publique, mais,quand on y regarde de plus près, l'enjeu réel de la définition de la hiérarchie et de la positiondes emplois apparaît dans la construction sociale des grilles de qualification. Les mêmestâches, exécutées par des femmes, peuvent être déclarées déqualifiées, alors qu’exécutées pardes hommes, elles sont revalorisées. On pense notamment à la distinction entre les clavistes etles typographes dans l'imprimerie 10 . On s'aperçoit alors que la qualification ne reflète pas lescompétences acquises par un individu lors de sa scolarité (le terme de qualification scolairen’a pas de sens : la qualification ne prend sens que dans sa reconnaissance salariale et/ou dansun poste de travail) : elle résulte du rapport de force entre employeurs et salariés quiétablissent les grilles de classification.Ce qui permet mieux de comprendre le paradoxe de la moindre reconnaissance - voireparfois du déni - des compétences des femmes, de leur naturalisation ou de la transmutationde leur professionnalisme en “ qualités naturelles ”. On voit ainsi comment les entreprisespeuvent mal rémunérer l’apprentissage effectué dans le cadre domestique ou s’enrapprochant. Le cas de la non-reconnaissance du CAP de couture des femmes, les cantonnantau niveau d'OS dans l’électronique, leur dextérité, acquise “ ailleurs ”, ne pouvant leurpermettre de concurrencer leurs collègues masculins nantis d'un CAP d'électronique qui, àl’inverse, leur assure un poste d'OP, apparaît ici exemplaire. 11- la segmentation verticale et le plafond de verre du marché du travailStatistiquement, les femmes qui ont un emploi sont sur-sélectionnées en termes dediplômes (par rapport aux hommes) car les moins diplômées se présentent moins sur lemarché du travail ou trouvent moins souvent un emploi. Et les autres, pour éviter le chômage,acceptent plus facilement un emploi sous-qualifié.10 M. Maruani, C. Nicole, 1986, Au labeur des dames, Syros11 D. Kergoat, 1982, Les ouvrières, Le Sycomore214


RÉUSSITE SCOLAIRELes carrières masculines sont toujours plus rapides : tout se passe comme si la fonctionde responsabilité comportait, dès la définition de l'emploi, une destination masculine. Lesécarts entre hommes et femmes sont plus forts quand, à niveau de qualification donnée, lamixité est faible (cela marche dans les deux sens) : de fait il n'y a aucune prime auxpionnières, alors que les hommes acceptant d'entrer dans une branche féminisée peuventespérer une promotion rapide.Ce constat du maintien des inégalités sexuées de carrière et d’une moindre rentabilitéprofessionnelle et salariale des diplômes féminins tend à conforter les thèses de la dominationmasculine. Si ce n’est plus à leur insuffisante formation que l’on peut imputer les inégalités decarrière et de salaire des femmes, il faut bien admettre l’existence de mécanismes dediscrimination. Ces derniers apparaissent sans conteste dans des recherches menées surl’insertion, les salaires et les carrières des femmes. On décèle dans les entreprises lapermanence du soupçon d’incompétence féminine, de moindre disponibilité ou d’attachementà la carrière, en raison d’une priorité accordée aux investissements familiaux . La rentabilitéprofessionnelle varie en fonction inverse de la situation familiale pour les hommes et pour lesfemmes. Le célibat (et l’absence d’enfant) est un atout pour les femmes, le mariage et lapaternité un atout pour les hommes. 12La sphère privée : assignation prioritaire des femmes aux charges familiales lapersistance d'une socialisation primaire différenciéeLes femmes sont suspectes, nous venons de le dire, de moindre investissement dans letravail, en raison du primat qu’elles accorderaient à leur vie familiale, présente ou future.C’est cet argument qui est d’ailleurs invoqué pour justifier leurs choix scolaires : en optantpour certaines professions, et en se dirigeant vers les filières y préparant, les jeunes fillesintérioriseraient leur futur rôle de mère de famille. Cette attitude est un peu trop souventinterprétée en termes de mentalités rétrogrades, figées ou passives des filles. Peut-être faut-il yvoir au contraire l’élaboration de stratégies conscientes et rationnelles. Car les filles ontsouvent de “ bonnes ” raisons d'opter de manière “ réaliste ” pour certaines filières, quiapparaissent mieux adaptées à la place qui leur est socialement assignée aussi bien sur lemarché du travail que dans la famille. Il peut donc s’agir de choix raisonnables et raisonnés :elles préfèrent améliorer leur position dans des domaines où elles pensent rencontrer moins de12 Le sexe du travail PUG 1984 ; F. de Singly, 1990, Fortune et infortune de la femme mariée, PUF- 215 -


M. FERRANDdifficultés à réussir à la fois leur vie familiale et professionnelle. Mais qu’il s’agisse destratégies positives, ou d’auto-exclusion, résultant de l’intériorisation de la dominationmasculine, il n’en reste pas moins que les choix des femmes sont limités, ce qui demeure, àterme, problématique.Ces choix qui peuvent apparaître timorés apparaissent également résulter d’uneéducation familiale différente selon le sexe. Si l’on constate aujourd’hui une généralisation dela “ préoccupation scolaire ” des parents, et le fait qu’ils souhaitent généralement que leursenfants fassent les meilleures études possibles, qu’ils soient garçons ou filles, il demeure deprofondes ambiguïtés et de fortes contradictions dans la pédagogie familiale. En définitive,sauf exception, les familles ont encore un double système de socialisation. On y construit dusemblable, car on y pousse le plus loin possible les efforts de dotations égalitaires... et dudissemblable, car en même temps, la famille veille à maintenir une différenciation subtile descomportements entre le masculin et le féminin.Le parti pris proclamé de “ justice ” dans l'éducation et le traitement identique des frèreset sœurs se heurtent à tout moment à une sexuation des attentes qui s'impose la plupart dutemps comme “ allant de soi ”. 13 Et les professions envisagées pour les filles sont souventpensées dans le prolongement des fonctions des femmes dans la famille : nettoyage etentretien domestique (employé de collectivité), soins aux personnes “ dépendantes ” (enfants,personnes âgées...) et entretien des corps sains (esthétique, coiffure...) ou malades (aidessoignantes).Quels que soient l'âge de l'enfant et la volonté des parents d'être le plus égalitairepossible, se dégage toujours un caractère sexué des actions éducatives, qui s'accentue après lapuberté et qui se manifeste plus ou moins intensément selon les domaines, mais aussi selonl'appartenance de classe de la famille. 14On peut estimer aussi que les parents laissent une plus grande marge de manœuvre auxfilles, et que ces dernières l’utilisent pour refuser l’enfermement dans la logique scolaire etsociale de la réussite fondée sur un investissement quasi-exclusif dans les mathématiquesd’abord, dans le travail professionnel ensuite. Des entretiens menés auprès de filles ayant13 A. Langevin, 1990, Les stratégies d’insertion ou l’inéluctable improbable, Annales de Vaucresson, n°32-3314 M. Duru-Bellat et J-P. Jarousse, 1996, « le masculin et le féminin dans les modèles éducatifs des parents », Economie etStatistique, , n°296216


RÉUSSITE SCOLAIREréussi brillamment au lycée en mathématiques mais aussi dans d’autres matières, et ayant optépour des cursus universitaires de médecine, de droit voire pour les lettres ou les artstémoignent de leur souci de préserver la variété de leurs goûts et intérêts et la qualité de leurvie affective et sociale.Conclusion : Le ver est dans le fruit : une subversion tranquille et irréversible ?On peut faire une double lecture de l’essor des scolarités féminines : la première,misérabiliste, souligne ses effets limités et fait observer que la domination masculine se“ déplace ” sans s’atténuer. 15 L’autre est plus nuancée et pose la question différemment. Laréussite flagrante des filles ne peut que modifier dans l’avenir leur perception de leur placedans la société. Et la prise de conscience de leur valeur “ en tant que femme ” renvoie lesgarçons à leur spécificité, ils ne sont plus le genre humain (c'est à dire le référent), maisseulement le genre masculin. L’attitude des filles vis-à-vis des études, leur moindre obsessioncompétitive, leur façon différente de négocier l'autorité n'autorise pas à gommer leurinvestissement plus actif dans l'appropriation des savoirs. Elle invite même à inverserl'hypothèse de la soumission des filles en montrant qu'en faisant leurs choix (celui d'investirou non les filières rentables, celui de préférer d'autres filières) les filles se montreraient moinscontraintes que les garçons de réussir selon le modèle canonique d'excellence, fondé sur lacompétition, le diktat des sciences dures et l'investissement exclusif sur la carrière commemodèle de réussite individuelle.Toutefois, les freins évoqués plus haut, aussi bien dans la sphère privée que dans lasphère publique, la résistance à la disparition de certains stéréotypes obligent à souligner uneautre dimension de l'inégalité entre les sexes : la répartition différenciée des “ progrès despositions de sexe ” selon les positions de classe. Les classes sociales ne construisent pas leurrelation à la différence des sexes de la même façon 16 . Or, la réorganisation d'un certainnombre d'attributs et de valeurs associés au masculin et au féminin ont eu des effets pervers àl'intérieur même des deux sexes. On s'aperçoit que l'essor général des scolarités, y compris lephénomène de la meilleure réussite des filles, rend plus manifeste l’existence d’un clivageentre diplômés et non détenteurs de diplômes. Mais ce clivage est encore plus profond entre15 C’est la thèse de R.M. Lagrave : Une émancipation sous tutelle, éducation et travail des femmes au Xxème siècle,Histoire des femmes, Tome V op.cit16 J.C. Passeron & F. de Singly, 1984, Différences dans la différence. Revue Française de Sciences Politiques, 34-(1)- 217 -


M. FERRANDles femmes. Tout se passe comme si l'ébauche de rapprochement des positions des hommes etdes femmes dans certains milieux sociaux (catégories intermédiaires et professionsintellectuelles essentiellement) était contrebalancée par le maintien des femmes des autrescouches sociales dans un enfermement plus accentué.La réduction des inégalités de sexe ne semble concerner que les mieux dotées en capitalscolaire. Ces femmes, diplômées, bien insérées dans l'emploi, exerçant une profession qui lesstimule et les intéresse, bien rémunérée (pour une femme!), peuvent, la plupart du temps,déléguer… à d’autres femmes, la prise en charge des enfants et de la maison.À l'autre extrémité de l'échelle sociale, on trouve des femmes, peu ou pas diplômées,peu qualifiées, qui essayent de se maintenir sur le marché du travail, y compris grâce à untravail pénible et peu intéressant, en acceptant des emplois précaires, mal rémunérées, et dontles horaires sont difficilement compatibles avec les nécessités familiales.Ce clivage est actuellement de plus en plus préoccupant et interdit tout triomphalismeface à l'amélioration globale des scolarités féminines218


RÉUSSITE SCOLAIREPOUR EN SAVOIR PLUSC. BAUDELOT, R. ESTABLET, 1992, Allez les filles! Le seuilM. DURU-BELLAT, 1990, L'école des filles : quelles formations pour quels rôlessociaux ?, L'HarmattanM. DURU-BELLAT, 1994, « Filles et garçons à l'école, approches sociologiques etpsycho-sociales », Revue française de pédagogie, n°109 &1995, n°110EPHESIA, 1995, La place des femmes : les enjeux de l'identité et de l'égalité au regarddes sciences sociales, La DécouverteM. FERRAND, F. IMBERT, C. MARRY, 1997, « Femmes et sciences, une équationimprobable ? » Formation Emploi, n°55C. LELIEVRE, F. LELIEVRE, 1991, Histoire de la scolarisation des filles, NathanS. LOLLIVIER, 1988, « Activité et arrêt d'activité féminine. Le diplôme et la famille »,Economie et statistiqueM. de MANASSEIN, 1995, (ed), De l'égalité des sexes, CNDPC. MARRY, 1998, « Le diplôme et la carrière, masculin/féminin », in JP Terrail (ed) Lascolarisation de la France, La DisputeN. MOSCONI, 1998, (ed) Egalité des sexes en éducation et formation, PUFN. MOSCONI, 1994, Femmes et savoir, La société, l’école et la division sexuelle dessavoirs, L’Harmattan- 219 -


Hommes-FemmesL'évolution des inégalités en matière d'emploiMargaret MARUANI, CNRSLes années 1990 ont vu la confirmation des tendances contradictoires qui s'affirmentdepuis le début des années soixante : féminisation du monde du travail et maintien desinégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail vont de pair. De fait, aucunconstat simple n’est possible : plus de femmes actives, salariées, instruites mais aussi plus dechômeuses, de salariées précaires et en sous-emploi. Les comportements d’activité masculinset féminins se rapprochent, mais les inégalités professionnelle et familiales s’incrustent.Partant de ces observations, deux lectures des faits sont possibles. On peut dire, avecraison, que tout a changé. On peut affirmer, non sans raisons, que rien n’a bougé. Le point devue adopté ici sera de refuser cette alternative simpliste pour tenter de repérer, sur chacun desgrands thèmes abordés, les progressions, les stagnations et les régressions.Féminisation du marché du travailA l'aube de l'an 2000, la croissance de l'activité féminine se poursuit de manièrecontinue. Enclenché au début des années soixante, ce mouvement n'a connu, dans la dernièredécennie, aucun ralentissement. Le seul infléchissement notable réside, on le verra plus loin,dans l'importance prise par le travail à temps partiel.Tableau 1 - La population active de la France de 1962 à 1999Effectifs en millionsAnnée Hommes Femmes Ensemble1962 13,2 6,6 19,71968 13,6 7,1 20,71975 13,9 8,1 22,01982 14,2 9,6 23,81990 14,2 11,1 25,31995 13,9 11,3 25,21999 14,2 11,8 25,9Sources : INSEE, recensements de la population pour la période de 1962-1990 et enquête emploi pour 1995 et 1999.


INÉGALITÉS D'EMPLOICette croissance est sous-tendue par trois évolutions majeures : la salarisation de lamain-d'œuvre féminine, la continuité des trajectoires professionnelles des femmes, laprogression des scolarités féminines.Le mouvement de salarisation, qui affecte l'ensemble des actifs, a été plus rapide et plusimportant pour les femmes que pour les hommes. L'accélération, là encore, date du début desannées soixante. Depuis 1975, les femmes sont, en proportion, plus salariées que les hommes.Aujourd'hui, 90% des femmes actives sont salariées, contre 84% des hommes.Le second changement touche aux comportements d'activités féminins. De ce point devue, les choses ont radicalement changé : désormais, la majorité des femmes, en France,cumulent activité professionnelle et vie familiale. Au début des années soixante, les tauxd'activité des femmes de 25 à 49 ans étaient de 40% ; aujourd'hui, ils s'établissent autour de80%. Il s'agit là d'une transformation radicale du rapport à l'emploi et, au-delà, du rapport desfemmes à l'agencement des projets familiaux et professionnels. La majorité des femmes,aujourd'hui, ne s'arrêtent pas de travailler lorsqu'elles ont des enfants. La fin de ladiscontinuité des trajectoires professionnelles des femmes marque ainsi une véritable rupturepar rapport aux normes sociales antérieures. Elle témoigne également d'une homogénéisationdes comportements d'activité masculins et féminins qui n'a fait que s'accentuer dans lesdernières années. Entre 15 et 49 ans, les taux d'activité des hommes et des femmes serapprochent jusqu'à se confondre presque.Tableau 2 - Taux d'activité des femmes de 25 à 49 ans - France 1962-1999.(en %)Taux d'activité1962 41,51968 44,41975 53,91982 65,21990 71,41995 78,31999 79Sources : INSEE, recensements de la population de 1962 à 1990 et enquêtes sur l'emploi de 1995 et 1999.A tout ceci et pour que le tableau soit complet, il faut ajouter les évolutions qui ont traità la place comparée des hommes et des femmes dans le système de formation. Là encore, onpeut parler de rupture : le niveau scolaire et universitaire des femmes, aujourd'hui, est- 221 -


M. MARUANIsupérieur à celui des hommes. La progression des scolarités féminines constitue unévénement marquant de la fin du XXème siècle, un de ceux qui déterminent le pluscertainement la percée des femmes sur le marché du travail : plus les femmes sont instruites,plus elles sont actives.Les arguments qui, il y a quelques années encore pouvaient "légitimer" les inégalitésprofessionnelles entre hommes et femmes, ont ainsi perdu tout leur sens : les femmes sontplus instruites que les hommes ; la majorité d'entre elles ont, comme les hommes, destrajectoires professionnelles continues. Pourtant, elles demeurent notablement moins bienpayées qu'eux, ont des carrières professionnelles plus stagnantes, connaissent un sur-chômageet un sous-emploi patents. Par ailleurs, la ségrégation des emplois reste prégnante.Ségrégation, concentration, bipolarisationLe monde du travail n'est toujours pas mixte. Il est parcouru de ségrégations et dediscriminations en tous genres. La féminisation de la population active ne s’est pas traduitepar une réelle mixité professionnelle. Les emplois féminins restent concentrés dans un petitnombre de métiers et de secteurs traditionnellement féminins. Identifié de longue date 1 , cephénomène de concentration semble même s'aggraver dans la période récente : les sixcatégories socio-professionnelles les plus féminisées rassemblaient 52% des femmes en 1983et 61% en 1999. Il s’agit des employé(e)s de la fonction publique, des entreprises et ducommerce, des personnels de service aux particuliers, des institutrices et des professionsintermédiaires de la santé qui regroupent 6,2 millions d'actives.La progression de l’activité et des scolarités féminines s’est traduite, sur le marché dutravail, par l’accès d’un certain nombre de femmes à des professions qualifiées et par laféminisation massive… des métiers féminins peu valorisés socialement. Le mouvement estdonc double.On a pu voir des professions traditionnellement masculines se féminiser sans perdre deleur valeur sociale. Féminisation ne rime plus systématiquement avec dévalorisation. Lacroissance du nombre de femmes dans des professions qui demeurent prestigieuses –magistrates, avocates, journalistes, médecins, etc. – est là pour signifier que la dévalorisation1 Cf. les travaux de M. Huet, 1983, et notamment « La concentration des emplois féminins », Economie et Statistique,n° 154.222


INÉGALITÉS D'EMPLOIn’est pas le destin de tout métier qui se féminise. De la même façon, on assiste à uneprogression soutenue du nombre de femmes cadres, même si l’accès à ces fonctions leur resteplus difficile qu’aux hommes. Les femmes constituent désormais 34% des cadres etprofessions intellectuelles supérieures (contre 24% en 1982) 2 .A l’autre extrémité de la pyramide sociale, l’afflux des femmes actives s’est concentrésur les emplois non qualifiés du tertiaire. Avec le déclin des emplois ouvriers, on assiste eneffet à un déplacement des emplois non qualifiés de l’industrie vers les services, des postesd’ouvriers vers ceux d’employés. Dans ce processus, les femmes ont une place centrale : 80%des employé(e)s sont des femmes et cette catégorie regroupe près de la moitié des actives.Ajoutons à cela que beaucoup de femmes employées cumulent bas niveau de qualification etprécarité de l’emploi. Ainsi en est-il notamment des caissières, vendeuses, aides à domicile,employées du nettoyage, serveuses qui, bien souvent travaillent à temps partiel avec desstatuts d’emploi d’une grande précarité et des horaires de travail éclatés.La coexistence de ces deux mouvements – concentration d’une grande partie desfemmes actives dans les emplois peu qualifiés du tertiaire et croissance des emplois fémininsqualifiés – débouche sur le constat d’une bipolarisation beaucoup plus que sur l’observationd’une ségrégation immobile. Une partie des femmes récupère, sur le marché du travail,l’investissement réussi dans le système de formation pendant que la majorité d’entre elles setrouve massée dans le salariat d’exécution. Entre femmes, l’écart se creuse et les inégalités serenforcent.Inégalités des salairesTout ceci se retrouve, bien évidemment au niveau des écarts de salaire entre hommes etfemmes. Quand la loi 3 dit « à travail égal, salaire égal », les statistiques montrent un écart de27% entre l’ensemble des salaires masculins et féminins 4 .Cet écart s’explique, pour partie, par la ségrégation et la concentration des emploisféminins. Pour partie seulement, car lorsque l’on raisonne « toutes choses égales par2 Sources : INSEE, Enquêtes sur l’emploi.3 Il s’agit de la loi du 22 décembre 1972 sur l’égalité de rémunération entre hommes et femmes et de celle du 13 juillet1983 sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes.4 Il s’agit des salaires horaires à temps plein et à temps partiel. Source : INSEE, enquêtes sur la structure des salaires, 1994.On notera que cet écart est particulièrement élevé chez les cadres supérieurs et dirigeants (30%).- 223 -


M. MARUANIailleurs », c’est-à-dire à niveau de formation, catégorie socio-professionnelle, âge, expérienceégales, dans des établissements de la même taille et du même secteur, il reste une différencede l’ordre de 10-15% 5 . Ce « reliquat » de 10-15%, que les économistes nomment « résidu »,indique l’existence de mécanismes de discrimination qui ne se réduisent pas à laconcentration des emplois.Comment ces écarts de salaire ont-ils évolué dans le temps ? Pour observer les faits surune durée assez longue, on retiendra ici le chiffre des écarts entre salaires masculins etféminins à temps complet. Il apparaît ainsi que l’on passe de 36% en 1950 à 33% en 1970,28% en 1980 et 23% en 1994 6 . En un peu moins d’un demi-siècle, l’écart s’est donc réduit de13 points. Le progrès est indiscutable, mais indiscutablement lent.En revanche, ce que ces chiffres ne nous disent pas, c’est la montée en puissance desbas et très bas salaires. Ces statistiques nous donnent en effet des moyennes sur des salaires àtemps plein. Elles masquent donc les effets du travail à temps partiel. Car la croissance dutravail à temps partiel a pesé très lourdement sur l’évolution des bas (moins de 5000 francspar mois) et très bas salaires (moins de 3750 francs par mois) qui concernent aujourd’hui3,2 millions de salarié(e)s. Une récente étude 7 montre qu’entre 1983 et 1998, la proportion desalariés touchant des bas salaires a notablement augmenté, passant de 11% à 17% del’ensemble des salariés. Parmi eux, ce sont surtout les emplois à très bas salaire qui se sontmultipliés, passant de 5% à 11% du total. Or, cette extension des bas et très bas salaires estquasiment inscrite dans le développement du travail à temps partiel : les trois quarts desemplois à bas salaire sont des emplois à temps partiel, majoritairement occupés par desfemmes (78%). De fait, le temps partiel a largement contribué à créer des poches de pauvretéféminine.Au total donc, on assiste à une évolution contradictoire : du côté des inégalités desalaire globale, une progression lente mais évidente ; du côté des bas et très bas salaires, unerégression rapide et masquée.5 Cf. R. Silvera, 1996, Le salaire des femmes, toutes choses inégales, La Documentation Française, coll. « Droits desfemmes ».6 Sources : INSEE, série longue sur les salaires.7 cf. P. Concialdi et S. Ponthieux, 1999, « L’emploi à bas salaire : les femmes d’abord » in Travail, Genre et Sociétésn° 1/99, pp.23-42.224


INÉGALITÉS D'EMPLOITravail à temps partiel et sous-emploiEn France, comme partout en Europe, le travail à temps partiel est l'apanage desfemmes. En 1999, 82% des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes.Mais à la différence de nombre de nos voisins européens, le travail à temps partiel estdans notre pays un phénomène récent. Son essor date, très précisément, du début des annéesquatre-vingt : de près de 1,5 million d'actifs travaillant à temps partiel en 1980, on est passé àun peu moins de 4 millions aujourd'hui (3,9 millions à l'enquête-emploi de 1999). Autant direque le travail à temps partiel ne constitue pas, en France, une composante de la croissance del'activité féminine. C'est à temps plein que les femmes ont afflué sur le marché du travaildepuis le début des années soixante et ceci constitue une des caractéristiques fortes de ce quel'on pourrait appeler la croissance de l'activité féminine "à la française". Le travail à tempspartiel, dans notre pays, a fait irruption au début des années quatre-vingt, à la faveur de lacrise de l'emploi et sous l'impulsion de politiques fortement incitatives : aides financières auxemployeurs pour la création d'emplois à temps partiel, abattements de cotisations sociales, etc.Cet essor du travail à temps partiel a mordu sur la croissance des emplois à temps plein.Selon un rapport du CSERC 8 , entre 1989 et 1996, l'emploi salarié a crû de 470 500, ce gain sedécomposant en -40 000 emplois à temps plein et +510 000 emplois à temps partiel.Bien entendu le travail à temps partiel recouvre des réalités sociales extrêmementdiversifiées. Pour certaines femmes, il s'agit d'une décision individuelle de réduction du tempsde travail. Pour d'autres, de plus en plus nombreuses aujourd'hui, il s'agit d'une toute autrelogique : dans des secteurs entiers de l'économie on a vu se multiplier des offres d'emplois àtemps partiel.Depuis quinze ans en effet, le travail à temps partiel s'est développé dans certainssecteurs (le commerce, l'hôtellerie, la restauration, les services aux particuliers et auxentreprises) et dans une catégorie professionnelle particulière : plus de la moitié des femmestravaillant à temps partiel sont des employées. Caissières, vendeuses, femmes de ménage… laplupart de ces femmes n'ont pas choisi de travailler à temps partiel. Elles ont préféré avoir unemploi de quelques heures plutôt que d'être au chômage. Beaucoup d'entre elles travaillentpour un salaire bien en dessous du SMIC et avec des horaires extrêmement éclatés et décalés.8 CSERC, 1997, Inégalités d'emploi et de revenus, les années 90, Paris, La Documentation Française.- 225 -


M. MARUANIDe nombreuses femmes se retrouvent ainsi en sous-emploi, c'est-à-dire dans unesituation où elles travaillent moins que ce qu'elles souhaiteraient. En 1999, l'enquête-emploide l'INSEE recense 1,6 millions de personnes en sous-emploi, dont une écrasante majorté defemmes. Au fil des ans, le travail à temps partiel est devenu la figure emblématique de ladivision sexuelle du marché du travail.Son essor constitue un point d'interrogation majeur, une incertitude décisive pourl'avenir du salariat féminin : doit-on continuer à favoriser le développement d'une formed'emploi spécifiquement féminine ? Peut-on laisser se multiplier le nombre d'emplois payésen dessous du SMIC mensuel ? La majorité des working poors, en France, sont des femmesqui travaillent à temps partiel.Le sur-chômageLes années qui ont vu se développer la féminisation de la population active sont aussicelles qui ont connu l'essor d'un sur-chômage féminin solidement incrusté dans le paysagesocial. Les femmes représentent un peu moins de la moitié des actifs (45%) mais plus de lamoitié des chômeurs (52%). Dans la France des années 1999, le taux de chômage global estde 12%. Décomposé selon le sexe, il s'étage encre 10% pour les hommes et 14% pour lesfemmes. Ventilé selon la catégorie socio-professionnelle, il va de 4% pour les hommes cadressupérieurs à 14% pour les employées et 21% pour les ouvrières. Chez les jeunes, qui sont leplus durement frappés par le chômage, les différences sont considérables. Le taux de chômagedes moins de 25 ans est de 27% pour l'ensemble, mais de 24% pour les jeunes hommes et de30% pour les jeunes femmes. Ces chiffres nous disent bien la sélectivité du marché du travailet des procédures de recrutement : bien que plus diplômées que les jeunes hommes, les jeunesfemmes ont plus de difficultés à trouver un emploi.226


INÉGALITÉS D'EMPLOITableau 3 - Taux de chômage* selon le sexe et la CSP, France, 1999.(en %)Hommes Femmes EnsembleAgriculteurs exploitants 0,6 0,5 0,5Artisans, commerçants et3,7 5,4 4,2chefs d'entrepriseCadres et professions4,0 5,4 4,5intellectuelles supérieuresProfessions intermédiaires 5,5 7,3 6,3Employés 13,5 14,3 14,1Ouvriers 13,7 20,7 15,1Total 10,2 13,6 11,8* Chômage au sens du BIT.Source : INSEE, Enquête Emploi de 1999.Inscrit dans les statistiques de l'emploi à la manière d'une constante structurelle, ce surchômageféminin ne fait pourtant l'objet d'aucune attention particulière, ni dans les politiquesde lutte contre le chômage, ni dans le débat social sur l'emploi. Cette invisibilité laisseperplexe : ne s'agit-il pas là d'une forme de "tolérance sociale" 9 au non-emploi des femmes ?Mais le chômage féminin doit aussi se lire et se comprendre au-delà des taux et desinstruments de mesure établis. De fait, il faut reconsidérer les marges du marché du travailcomme des zones d'ombre et de flou, et de moins en moins marginales et de plus en plusféminisées. Entre chômage "découragé", chômage "révélé" et inactivité contrainte, un nombregrandissant de femmes évolue dans des situations de non-emploi aux statuts divers, plus oumoins visibles et donc difficilement mesurables.En tout état de cause, la progression conjointe du chômage et du sous-emploi a créé,pour un certain nombre de femmes, une vulnérabilité accrue et une sensibilité plus forte auxincitations à l'inactivité. Ce phénomène apparaît de façon flagrante lorsque l'on observe lesconséquences de l'ouverture de droit à l'allocation parentale d'éducation (APE) aux famillesde deux enfants. Décidée en 1994, cette mesure a fait brutalement chuter les taux d'activitédes jeunes mères de famille.9 C'est en ces termes que T. Torns traite du chômage féminin en Espagne, cf. "Chômage et tolérance sociale à l'exclusion :le cas de l'Espagne" in M. Maruani, 1998, (ed), Les nouvelles frontières de l'inégalité. Hommes et femmes sur le marchédu travail. La Découverte-Mage, Paris.- 227 -


M. MARUANILes études réalisées sur le sujet 10 montrent qu'il s'agit, dans une très large mesure, defemmes qui étaient chômeuses ou salariées à temps partiel et que la précarité de leur situationa fait basculer vers l'inactivité. On observe par ailleurs des effets à plus long terme de cetteallocation accordée pour trois ans : l'interruption d'activité qu'elle introduit rend difficile leretour à l'emploi.Ce bref état des lieux ne saurait déboucher sur un constat figé de l'évolution desinégalités entre hommes et femmes. En la matière en effet, "rien n'est joué" 11 et l'avenir del'emploi féminin se prête bien mal à la réflexion prospective. Quatre points saillants méritentnéanmoins d'être évoqués :• les femmes constituent aujourd'hui près de la moitié du monde du travail et rien nesemble pouvoir arrêter la progression de leur activité.• En dépit des lois et des droits, les inégalités professionnelles ne se sont pasconsidérablement réduites. La loi "Roudy" sur l'égalité professionnelle entre leshommes et les femmes, qui date de 1983 n'est pas véritablement appliquée.• L'essor incontrôlé du travail à temps partiel et du sous-emploi constitue une réellemenace pour l'emploi féminin en termes de paupérisation, de déqualification et demarginalisation.• Le sur-chômage féminin demeure le point noir des politiques d'emploi - et un pointd'interrogation majeur pour l'égalité entre les sexes.10 Cf. Cédric Afsa, 1996, « L'activité féminine à l'épreuve de l'allocation parentale d'éducation », Recherches et prévisions,n° 46, ainsi que F. Battagliola, 1999, « Des femmes aux marges de l'activité, au cœur de la flexibilité », Travail, Genre etSociétés, n° 1.11 Pour reprendre le titre de la post-face de Christian Baudelot dans Les nouvelles frontières de l'inégalité, op. cit.228


INÉGALITÉS D'EMPLOIPOUR EN SAVOIR PLUSP. CONCIALDI, S. PONTHIEUX, "L'emploi à bas salaire : les femmes d'abord", inTravail, Genre et Sociétés, n° 1/99, pp. 23-42.Ephesia, 1995, La place des femmes : les enjeux de l'identité et de l'égalité des sciencessociales, Paris, La Découverte, coll. "Recherches".C. MARRY, 1997, "Le diplôme et la carrière" in Jean-Pierre Terrail (dir.), Lascolarisation de la France. Critique de l'état des lieux, Paris, Edition La Dispute.M. MARUANI (dir.), Les nouvelles frontières de l'inégalité. Hommes et femmes sur lemarché du travail, Paris, La Découverte-Mage, coll. "Recherches", 1998.M. MARUANI, E. REYNAUD, 1999, Sociologie de l'emploi, Paris, La Découverte,coll. "Repères" (2 ème ed.).R. SILVERA, 1996, Le salaire des femmes : toutes choses inégales…, Paris, LaDocumentation française, coll. "Droits des Femmes".- 229 -


Vers plus d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.Catherine GENISSON, députée du Pas-de-CalaisLa vie professionnelle des femmes a considérablement évolué, en France comme dansles autres pays d’Europe, au cours de ces vingt dernières années. Les femmes sont entréesmassivement sur le marché du travail. Ainsi, plus de 80% des femmes entre 25 et 50 ans sontactives. Les conditions sont réunies pour que les femmes trouvent enfin leur place, à égalité,dans le domaine professionnel ( réussite scolaire, cadre juridique…). Pourtant, malgré cecontexte favorable les femmes sont dans une situation de sur-chômage, et elles n’occupentque de façon très minoritaire les postes à haute responsabilité.L’Europe reste plus volontaire et plus active en la matière que chacun de ses Etatsmembres. Ainsi, bien que les institutions européennes aient encouragé, que ce soient dansleurs directives ou dans leurs <strong>propos</strong>itions, les pays membres à mettre en œuvre une véritablepolitique visant à l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, aucun d’entre eux nepeut aujourd’hui avoir valeur d’exemple. Chaque pays européen s’est engagé dans des voiesdifférentes et la plupart des mesures mise en place n’ont pas permis, de par leur insuffisance,d’établir un véritable équilibre.Les pays du Nord, souvent mis en avant lorsqu’il s’agit des femmes, ont surtoutprivilégié l’articulation, nécessaire, entre vie professionnelle et vie familiale, tout en réservantdes emplois aux femmes. Mais ces emplois, qui doivent permettre cette plus grandeadéquation, sont souvent à temps partiel, et concentrés dans la fonction publique.Les pays du Sud, comme le Portugal, l’Espagne ou la Grèce, ont, semble-t-il, ouvertplus facilement les postes de haute responsabilité aux femmes. Mais là encore, la conciliationvie professionnelle/vie familiale reste difficile. Cependant, le travail des femmes s’ydéveloppent fortement, et les femmes sont aujourd’hui en Espagne ou en Italie, près de 50% àtravailler.En France, la situation professionnelle des femmes reste très inférieure à celle deshommes en termes notamment d’accès à l’emploi, de rémunération et de promotion. Le cadrejuridique, autrefois « protecteur » est devenu « égalitaire ». La « loi Roudy » a renforcé en


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE1983, la lutte contre les discriminations engagée depuis les années 70, et a prévu des mesurestemporaires de rattrapage en faveur des femmes pour remédier aux inégalités de fait.Si la « loi Roudy » n’a pas suffi à résorber les inégalités, elle a cependant permis demettre en place un certain nombre d’outils, et de définir un objectif clair : une égalitéprofessionnelle totale et réelle. Cet objectif, s’oppose à d’autres conceptions du travail desfemmes qui peuvent prévaloir dans certains pays : modalités adaptées de travail pour lesfemmes, comme dans les pays scandinaves, choix imposé entre vie familiale et vieprofessionnelle, comme en Autriche ou en Allemagne.Les femmes françaises, elles, ne veulent pas choisir. Elles ont montré qu’en choisissantde concilier activité professionnelle et fécondité, la philosophie qui a présidé à l’élaborationde la « loi Roudy » était toujours d’actualité.La féminisation du marché du travail est donc réelle, mais elle reste, en France commeailleurs, inachevée, tant elle s’est faite sous le sceau de l’inégalité et de la précarité. Et il fautune fois encore souligner, que le développement de l’activité féminine, loin de « prendre letravail des hommes », participe au développement du pays, comme l’a montré, il y a plus d’unan, le rapport du Conseil d’Analyse Economique de Mme Béatrice Majnoni d’Intignano.Par conséquent, tant que le travail gardera une place centrale dans nos sociétés, tant quede nouvelles formes de citoyenneté ne l’auront pas remplacé, tout frein au travail des femmestendra à les reléguer à leur rôle traditionnel et à les exclure de la vie publique.Il s’agit donc de faire évoluer le monde du travail, pour qu’il permette enfin, àl’ensemble des salariés de mieux concilier leur activité avec leur vie familiale, et demoderniser les entreprises afin qu’elles développent les compétences et les potentiels del’ensemble de leurs salariés.Une inégalité professionnelle incontestable.Les progrès liés notamment à la « loi Roudy », n’ont donc pas suffi à vaincre l’inégalitéprofessionnelle entre femmes et hommes. Cette inégalité reste incontestable.Les femmes n’occupent pas les mêmes types de poste : elles représentent les ¾ des« employées », une grande partie des professions intermédiaires », mais sont très peu- 231 -


C. GÉNISSONprésentes chez les « cadres ». Leur part dans l’encadrement (34,2%) est de surcroîtsurestimée, puisqu’elles sont davantage présentes dans les fonctions d’enseignement que dansles fonctions d’encadrement et de direction proprement dites. Cette différence dans lesfonctions exercées se traduit par une différence de salaire : il existe un écart de rémunérationde 27% entre les hommes et les femmes. L’essentiel de l’inégalité provient d’une différencede formation, de secteur d’activité, d’ancienneté.Les femmes sont plus souvent encore que les hommes confrontées au chômage. Le tauxde chômage féminin est de 13,5%, contre 9,8% pour les hommes. Elles sont désormaismajoritaires parmi les demandeurs d’emploi, y compris ceux de longue durée.Pour une part de ces femmes, cette situation d’inégalité se traduit par une réellesituation de précarité, voire de pauvreté. Les femmes isolées, en particulier lorsqu’elles ontdes enfants, sont particulièrement exposées à la précarité, bien que leur taux d’activitégénéralement élevé, les préservent plus souvent que dans d’autres pays de l’exclusion sociale.Par ailleurs, si le travail des femmes tend à se banaliser, il reste dans notre pays desblocages culturels puissants dans notre environnement social. Ainsi, deux handicaps majeurspèsent sur les femmes : l’orientation scolaire des jeunes filles, toujours tournée vers lesfilières littéraires ou sociales, débouche sur des choix professionnels réduits, et le partage destâches domestiques qui reposent toujours autant sur la femme, et fait prévaloir la carrière duconjoint sur celle de la femme et contribue de ce fait à ne pas valoriser l’image de la femmedans le monde du travail.Enfin, le fonctionnement traditionnel des entreprises n’est pas favorable aux femmes.L’organisation du temps de travail, notamment pour les cadres, écarte de nombreuses femmesdiplômées et expérimentées des postes de responsabilité. La formation professionnelle,inégalement répartie, bénéficie moins aux femmes, qui ont de ce fait moins de chancesd’accéder à la promotion ou de se prémunir contre le chômage. Les difficultés des femmessont mal prises en compte lors des négociations car celles –ci sont insuffisamment présentesdans la vie syndicale. Là encore des progrès importants ont été réalisés, mais la représentationdes femmes reste très insuffisante dans les syndicats, instances de négociation des entreprises.Ce constat fait, il nous faut pouvoir mettre en place une nouvelle démarche. L’égalitéprofessionnelle doit devenir un réflexe, dans chacune de nos réflexions qui précèdentl’élaboration des lois, au même titre que le développement de la démocratie ou l’intégration232


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLEsociale des personnes en situation d’exclusion. Les raisons de ces inégalités doivent nousamener à <strong>propos</strong>er des solutions pour changer le fonctionnement des entreprises, pour que lapréoccupation de l’égalité professionnelle puisse être intégrer dans l’ensemble de nosréflexions.C’est pourquoi, dans le rapport que j’ai remis au mois de septembre dernier, à LionelJospin, j’ai fait un certain nombre de <strong>propos</strong>itions qui visent à s’emparer de toutes lesopportunités institutionnelles et législatives, pour susciter de nouvelles avancées significativesvers l’égalité professionnelle entre femmes et hommes. En effet, ce diagnostic doit pousserl’ensemble des acteurs et partenaires, à mettre en place, à travers les prochaines échéancesque sont notamment la réforme de la formation professionnelle, la réformes des collèges, laconférence de la famille, la réduction du temps de travail, des mesures visant à promouvoircet objectif d’égalité.Je ne reviendrai pas ici, sur l’ensemble des <strong>propos</strong>itions faites dans ce rapport, mais jesouhaite souligner la démarche qui me semble devoir prévaloir, et montrer l’intérêt que laréduction du temps de travail peut avoir pour les femmes.Pour une approche globale ou la nécessité d’intégrer l’égalité des chances dans ledialogue social et l’ensemble des politiques publiques.L’égalité professionnelle, quasiment acquise en droit, est encore inachevée. Ellesuppose des actions de longue haleine, qui commencent dès l’enfance, pour lutter contre lesreprésentations stéréotypées du rôle des femmes et des hommes dans la société, puis dans lesentreprises, pour améliorer la progression professionnelle des femmes et leurs conditions detravail. Elle exige également des actions à court terme auprès des femmes qui sont enrecherche d’emploi, et qui cumulent les difficultés.A regarder de plus près les dispositifs mis en place tant en France, qu’au niveaueuropéen, il ne semble pas que l’élaboration d’un nouveau dispositif général, soit le meilleurmoyen pour modifier en profondeur les réalités d’aujourd’hui. Des mesures spécifiquespeuvent être prises pour offrir de nouvelles garanties, rattraper les retards et pénaliser lesabus, mais il paraît nécessaire et préférable de privilégier avant tout les mesures de droitcommun.- 233 -


C. GÉNISSONAinsi, en intégrant l’égalité des chances dans le dialogue social, on permettra à celuid’être renforcé. Prendre davantage en compte les difficultés et les revendications légitimes desfemmes dans la négociation collective, dans les branches professionnelles, et dans lesentreprises, c’est avant tout répondre à l’intérêt général, tant à celui de l’ensemble dessalariés, qu’à celui des entreprises.L’amélioration de la place des femmes lors du dialogue social doit donc être unepriorité. En effet, le diagnostic de la situation dans l’entreprise, la mise en place d’uneorganisation plus favorable et, le cas échéant, la détermination de mesures temporaires enfaveur des femmes, doivent relever d’une initiative conjointe de l’entreprise et desreprésentants des salariés pour être véritablement efficaces.Il faut changer le fonctionnement des entreprises à l’égard des femmes comme deshommes, en matière de formation, d’organisation du travail et de mobilité.La réduction et l’aménagement du temps est l’exemple même de la démarche que nousdevons avoir. Un dispositif général, de droit commun, qui doit permettre d’encourager et defavoriser grâce à la négociation, et à l’incitation législative, les préoccupations d’égalité.Mais, la place des femmes dans l’entreprise, l’accès des femmes à l’emploi, passentégalement par l’amélioration de la formation continue de ces dernières. En effet, l’insuffisanteformation continue des femmes pèse sur leur carrière, gêne la diversification de leurs métiers,et fragilise leur situation en cas de rupture professionnelle. Ici encore, la prochaine réforme dela formation professionnelle doit intégrer l’égalité des chances.D’autre part, il est nécessaire de pouvoir élargir, par une meilleure orientation scolaire,les choix professionnels des femmes. La représentation des métiers en fonction du genre estancrée dans les esprits dès le plus jeune âge, et oriente fortement le choix des jeunes fillesvers des métiers dits « féminins ». L’objectif est de prendre en amont le problème del’orientation professionnelle trop restrictive des femmes dont 60% se concentrent sur 6catégories professionnelles (sur 35). Au collège et au lycée, dans les classes déterminantespour l’orientation, une action systématique auprès de l’ensemble des garçons et filles, ainsiqu’auprès du corps enseignant, doit être mise en place pour améliorer et élargir les choix.Certaines académies ont déjà engagé ce travail, et il devrait être généralisé, en particulier dansle cadre plus vaste, de la réforme des collèges.234


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLEIl s’agira ainsi d’améliorer l’accompagnement des choix professionnels des filles et desgarçons, et de mettre en place un suivi plus particulier de l’orientation des filles dans certainesfilières d’avenir. D’autre part, les instruments de promotion de l’égalité devront êtrerenforcés, par une plus grande information et formation, et un examen de la place des femmesdans les programmes.On voit bien ici, que les différentes pistes de travail qui s’offrent en la matière, visent àintégrer dans un dispositif de droit commun, qu’il touche l’éducation, la formation oul’emploi, des mesures efficaces pour améliorer la place des femmes dans l’entreprise, par unevolonté commune des acteurs institutionnels, des partenaires sociaux, des entreprises et dessalariés.Bien entendu, cette priorité d’intégrer la préoccupation de l’égalité professionnelle dansles chantiers en cours, ne peut faire l’économie d’une véritable réflexion sur le partage desresponsabilités et des tâches entre les femmes et les hommes, et doit également permettre,notamment par l’amélioration quantitatives et qualitatives des modes de garde des enfants,une plus grande et plus facile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.Saisir l’opportunité de la réduction du temps de travail :Depuis la remise de ce rapport, la seconde loi sur la réduction négociée du temps detravail a été adoptée par le Parlement. Ce deuxième texte doit nous permettre de faire avancerce thème, et promouvoir cet objectif d’égalité.La réduction du temps de travail est une occasion à saisir pour réduire les écarts desituation entre femmes et hommes, et faire évoluer favorablement la situation des femmes.En effet, la négociation de la réduction et de l’aménagement du temps de travail exigede nouvelles pratiques. Elle oblige ainsi à une mise à plat de la situation de l’entreprise et àune écoute des attentes des salariés. Elle est l’occasion d’encourager des négociationsfavorables aux conditions de travail des salariés, comme au fonctionnement des entreprises,mais elle est aussi un moyen pour revitaliser le dialogue social et la négociation collective. Laparticipation des femmes doit être davantage intégrée par les syndicats, car les femmes sontsouvent porteuses de revendications favorables à l’amélioration de la qualité de vie pour ellemêmeet pour les hommes.- 235 -


C. GÉNISSONL’application de cette loi doit pouvoir améliorer l’articulation entre temps professionnelet temps passé en dehors de l’entreprise. Les négociations de branche puis d’entreprise ontétabli des règles et des repères collectifs. Ils ont apporté aux salariés des souplesses et desgaranties nouvelles pour une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.Cela est particulièrement vrai pour le temps partiel et la modulation dont la nature est en trainde changer du fait des règles négociées collectivement, et à la nouvelle législation qui favorisele temps partiel choisi. La seconde loi sur la réduction négociée du temps de travail, enreprenant et en codifiant certaines avancées essentielles devraient faciliter les prochainesnégociations.La réduction du temps de travail, c’est notamment avoir du temps pour sa famille, sesenfants et ses proches. Elle constitue donc un levier formidable pour trouver dans lanégociation, et grâce aux garanties fixées par la loi, des solutions appropriées en particulierpour les femmes, mais heureusement aussi de plus en plus pour les hommes. Dans lanégociation, le rythme de vie des salariés, leurs obligations familiales, la prise en charge desenfants, ne sont plus des sujets tabous.Déjà l’avant-projet de Martine Aubry, permettait de nombreuses avancées, en particulieren matière de temps partiel. Le débat parlementaire aura permis de faire de l’égalitéprofessionnelle entre femmes et hommes l’une des ambitions du texte. Pour exemple, l’article19 qui crée un bilan annuel de réduction du temps de travail, devant comporter notammentdes données relatives à l’incidence de cette réduction sur l’égalité professionnelle et le tempspartiel.Le choix d’une réduction collective du temps de travail, avec une organisation du travailconcertée, paraît plus adaptée au souhait des femmes en France. L’amélioration de la situationdes salariés à temps partiels, qui sont majoritairement des femmes, est une priorité, toutcomme la mise en place de modalités négociées pour la réduction effective du temps detravail des cadres.Le texte voté permet de lier les aides structurelles accordées aux entreprises à desmesures visant à l’égalité professionnelle, de faire avancer la notion de temps partiel choisi,ou encore d’encadrer le travail des cadres, et de promouvoir dans les négociations laconciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Le travail législatif effectué sur ce texte,236


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLEmontre qu’il est possible, de mobiliser l’ensemble des acteurs sur cet objectif d’égalité, touten privilégiant ici aussi une approche intégrée de la question.Pour que ces mesures et les préoccupations des femmes soient réellement prises encompte au sein de l’entreprise, il faut également améliorer la participation des femmes audialogue social, en augmentant leur représentation au sein des syndicats.Depuis plusieurs années, la représentation des femmes dans les syndicats progresse,notamment au niveau confédéral, mais une grande part de chemin reste à faire, notammentdans les instances de négociation. Une représentation équilibrée des femmes et des hommespermettraient la mise en œuvre de conditions de travail favorables à toutes et tous.Nous devons cependant noter, que si les entreprises ont bel et bien amorcé un processusde changement en intégrant le paramètre « temps, il est encore difficile d’évaluer les effetsdes accords au regard de l’égalité professionnelle et du travail des femmes.La réactualisation de la loi relative à l’égalité professionnelle :La législation sur l’égalité professionnelle est déjà très importante. Engagée en 1972avec l’égalité de rémunération, et surtout enrichie par la loi Roudy de 1983 relative à l’égalitéprofessionnelle, notre législation avait pris une certaine avance par rapport à d’autres payseuropéens.La question du renforcement de la législation a donc été mûrement réfléchie,notamment par l’ensemble des partenaires sociaux dans le cadre du Conseil Supérieur del’égalité professionnelle. Les instruments mis en place par la loi de 1983 sont fondamentauxmais il s’agit, après avoir tiré un bilan, de réactualiser ces outils. Cette nécessité est apparuedans le cadre des consultations récemment menées.Une <strong>propos</strong>ition de loi sera donc discutée au Parlement. Elle vise avant tout à améliorerl’égalité professionnelle dans les entreprises, et dans la fonction publique. Les fondements dela <strong>propos</strong>ition de loi doivent beaucoup à la richesse de la concertation, menée avec lespartenaires sociaux auprès desquels le texte élaboré a recueilli un très large soutien.La <strong>propos</strong>ition de loi sur laquelle le Gouvernement a engagé une concertation avec lespartenaires sociaux dans le cadre du conseil supérieur de l’égalité professionnelle vapermettre de renforcer la législation :- 237 -


C. GÉNISSON• en améliorant la définition du contenu obligatoire du rapport de situation comparéeentre les femmes et les hommes que doivent produire annuellement les entreprisesde plus de cinquante salariés ainsi que les branches professionnelles,• en introduisant une obligation de négocier sur l’égalité professionnelle dans lesentreprises et dans les branches professionnelles, et de prendre en compte cetobjectif dans toutes les négociations obligatoires.La volonté unanime des syndicats à prendre davantage en compte la question del’égalité professionnelle trouverait matière à s’appliquer si une obligation de négocier sur cethème était mise en place. Il est ainsi apparu nécessaire, dans le cadre des expertises et desconsultations préalables à l’élaboration du texte de la <strong>propos</strong>ition de loi, de conforter lanégociation dans les entreprises et dans les branches professionnelles.Ces négociations doivent en premier lieu porter spécifiquement sur l’égalité entre lesfemmes et les hommes afin de prendre en compte dans leur globalité les difficultés auxquellessont confrontées les femmes en terme de formation, de promotion, d’organisation et deconditions de travail et d’établir des mesures pour y remédier.En second lieu, les négociations obligatoires existantes, en matière notamment deformation, de rémunération et de temps de travail, doivent intégrer la question de l’égalité afind’assurer la cohérence de la politique de l’entreprise ou de la branche.La loi doit également consolider les éléments d’information des représentants dessalariés et d’incitation en direction des employeurs que la loi de 1983 avait mis en place.Par ailleurs en ce qui concerne la fonction publique, la loi du 13 juillet 1983 portantdroits et obligations des fonctionnaires, garantit qu’aucune distinction ne peut être faite entreles fonctionnaires en raison de leur sexe. Mais cette égalité de droit inscrite dans le statutgénéral de la fonction publique se heurte, comme le rapport de Madame Anne Marie Colmou,l’a démontré, à une discrimination de fait dont les femmes fonctionnaires sont victimes.En effet, majoritaires dans la fonction publique ( 57%), les femmes sont rares dans lesfonctions d’encadrement et les postes de responsabilité (13%). Elles accomplissent pour laplupart des fonctions d’execution, et si elles accèdent largement à l’encadrementintermédiaire, elles parviennent plus rarement à dépasser ce que certains appellent le« plafond de verre » pour accéder aux fonctions d’encadrement supérieur.238


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLELa féminisation des jurys de concours ainsi qu’une représentation équilibrée des deuxsexes au sein des organisations paritaires devrait être de nature à promouvoir l’égalitéprofessionnelle entre les femmes et les hommes au sein de la fonction publique.Les modifications législatives <strong>propos</strong>ées dans le cadre de ce texte de loi ne constituentpas un aboutissement. D’autres mesures seront nécessaires et sont pour certaines d’entre ellesdéjà programmées. Il importe de plus que chaque modification de la législation du travail soitmesurée à l’aune de l’égalité professionnelle. Pour autant, une refonte de l’ensemble de lalégislation relative à l’égalité professionnelle ne constitue pas l’unique réponse à lapersistance des inégalités.La nécessaire lutte contre le chômage a davantage préoccupé les responsablespolitiques, les partenaires sociaux, les responsables d’entreprises et les citoyens eux-mêmesque l’instauration d’un équilibre professionnel entre les deux sexes. Aujourd’hui, alors que lacroissance redémarre, et que le chômage baisse, nous nous devons de saisir cette occasionpour répondre aux questions des conditions de travail.Si le débat sur la parité politique et les réformes sur lesquelles il a débouché ontincontestablement créé une dynamique, l’égalité professionnelle entre les femmes et leshommes se devait de toute façon de s’emparer d’une autre occasion, celle offerte par larelance du dialogue social. Initiée par le mouvement de réduction du temps de travail fondésur les lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, relayée par le débat sur le paritarisme et ladécision des partenaires sociaux de négocier sur huit thèmes majeurs – dont celui de l’égalitéprofessionnelle -, cette relance du dialogue social offre un terrain idéal pour faire progresserl’égalité professionnelle non plus simplement dans les textes, mais également dans les faits etdans les esprits.La négociation doit s’emparer du thème de l’égalité professionnelle. Dans ce but sontcréés des rendez-vous spécifiques et obligatoires. La négociation sur les 35 heures a montrél’intérêt d’une telle approche. Réfléchir sur l’organisation du travail, sur sa durée, sur saforme ( le temps partiel par exemple) y compris en terme d’égalité professionnelle modifie lestermes du débat, la nature de la réflexion. La complémentarité de la négociation spécifique etdes négociations intégrées permettra de donner à l’égalité professionnelle la place qui devraitêtre la sienne, celle d’un thème naturel de discussion.- 239 -


C. GÉNISSONIl s’agit avant tout d’amorcer une évolution, sinon une révolution, des mentalités surcette questions. Promouvoir l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, c’est vouloirmieux travailler ensemble pour mieux vivre ensemble. C’est faire de l’égalité un axe fort de lapolitique de l’emploi, en mobilisant le service public de l’emploi et les différents acteurséconomiques, en soutenant l’engagement des partenaires sociaux. Rapprocher les diagnosticset chercher les voies d’amélioration dans l’ensemble des politiques publiques à venir, c’estouvrir la voie à une organisation du travail qui repose sur une authentique mixité.Il convient de souligner les efforts déjà mis en œuvre. Pour autant, le chemin reste long,dans le public comme dans le privé, pour que les mentalités évoluent et que l’égalitéprofessionnelle ne soit plus avant tout le problème des femmes, mais tout autant celui deshommes.POUR EN SAVOIR PLUSA.- M. COLMOU, février 1999, Encadrement Supérieur de la fonction publique : Versl’égalité entre hommes et femmes, La Documentation Française.B. MAJDONI D’INTIGNANO, 1999, Egalité entre femmes et hommes : aspectséconomiques. Rapport du Conseil d’Analyse Economique.M. MARUANI, 1998, Les Nouvelles Frontières de l’Inégalité, La Découverte.C. GENISSON, Octobre 1999, Davantage de mixité professionnelle pour plus d’égalitéentre femmes et hommes, La Documentation Française.240


L’accès des femmes aux postes de responsabilité : les évolutions récentesJanine MOSSUZ-LAVAU, CEVIPOFL’accès des femmes aux postes de responsabilité a connu dans la toute récente périodeune évolution positive qui s’explique très largement par la campagne menée depuis quelquesannées en faveur de la parité hommes/femmes en politique.Les femmes et les responsabilités politiquesEn 1997, lors des dernières élections législatives, le pourcentage d’élues est passé de 6% à 10,9 % grâce, pour une large part, à la décision du Parti socialiste de réserver 28 % de sescirconscriptions aux femmes. Cela étant, la France demeure l’avant-dernier pays de l’Unioneuropéenne pour ce qui concerne la représentation des femmes dans son Assemblée nationale,juste avant la Grèce qui en compte 6 %. Elle est loin derrière la Suède (40 %), les autres paysdu nord (un bon tiers), l’Allemagne (30 %) et même le Portugal (12 %). Au Sénat, la situationest encore pire (5,9 %) de même que dans les Conseils généraux (6,6 %) et parmi les maires(8 %). La situation s’est en revanche améliorée au niveau des conseils municipaux (entre1989 et 1995, on est passé de 17 % à 21,8 % d’élues), des conseils régionaux (25 % defemmes depuis les élections de 1998) et au Parlement européen (40,2 % de députées en juin1999 contre 29,9 % en 1994). Il faut enfin souligner la place exceptionnelle qui est réservéeaux femmes dans le gouvernement de Lionel Jospin. Depuis la nomination, le 3 janvier 2000au secrétariat d’Etat au budget d’une énarque de 36 ans, on compte 11 femmes sur les28 ministres et secrétaires d’Etat soit 39,3 %, ce qui est un record absolu pour la France.Enfin, au terme du remaniement du 27 mars 2000, on dénombre 34,4 % de femmes dans lenouveau gouvernement Jospin (11 sur 32). Par ailleurs, des femmes ont été nommées à despostes importants : elles sont Garde des Sceaux (Elisabeth Guigou), Ministre de l’Emploi etde la solidarité (Martine Aubry), Ministre de la Culture (Catherine Tasca), etc..Ces changements récents sont, comme on le soulignait d’emblée, liés à l’essor dumouvement paritaire. Dans les années quatre-vingt-dix, l'insuffisance de représentationféminine a conduit des femmes mais aussi des hommes à revendiquer l'instauration de laparité hommes/femmes dans les assemblées élues. On avait jusqu'ici raisonné en termes dequotas. En 1975, Françoise Giroud, dans Cent mesures pour les femmes, avait <strong>propos</strong>é que les


J. MOSSUZ-LAVAUlistes composées lors d'élections municipales ne comportent pas plus de 85 % de candidats dumême sexe, ce qui revenait à établir un quota de 15 % de femmes. En 1980, Monique Pelletiers'était prononcée pour un quota de 20 % de femmes, toujours pour les élections municipales,mais la majorité de l'époque avait dû quitter le pouvoir sans que le projet ait abouti (voté parl'Assemblée nationale, il ne fut pas examiné par le Sénat). En 1982, Gisèle Halimi et YvetteRoudy avaient repris l'idée et le Parlement avait voté à l'époque un texte prévoyant que leslistes de candidats aux élections municipales (dans les communes de plus de 3500 habitants)ne pourraient comporter plus de 75 % de personnes du même sexe. Ce texte fut annulé par leConseil constitutionnel au nom de l'égalité des citoyens, qui interdirait de diviser ceux-ci en"catégories".Aujourd'hui. en France, l'essentiel des débats ne porte plus sur l'idée de quotas mais surcelle de parité. Celle-ci a été popularisée avec la publication au Seuil, en juin 1992, du livrede Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, Au pouvoir citoyennes.Liberté égalité, parité, qui plaide en faveur d'une parité intégrale dans toutes les assembléesélues, y compris à l'Assemblée nationale pour laquelle elles préconisent un mode de scrutin"binominal". Chaque électeur serait appelé à voter pour un "ticket" comprenant un homme etune femme. Et, pour ne pas multiplier par deux le nombre des députés, le nombre descirconscriptions pourrait être divisé par deux. En cette année 1992 mais aussi en 1993, denombreuses associations se sont créées pour promouvoir la défense de la parité. Un soutien aété apporté par les instances européennes. Déjà en 1989, le Conseil de l'Europe avait organiséun colloque portant sur la démocratie paritaire, dont Elizabeth Sledziewski avait énoncé lesfondements théoriques. Les 2 et 3 novembre 1992, la Commission des Communautéseuropéennes tient à Athènes le premier sommet européen « Femmes au pouvoir ». Ladéclaration finale stipule notamment : « Parce que l'égalité formelle et informelle entrefemmes et hommes est un droit fondamental de l'être humain. Parce que les femmesreprésentent plus de la moitié de la population. La démocratie impose la parité dans lareprésentation et l'administration des nations ». Edith Cresson et Simone Veil, présentes àAthènes, signent ce texte.Le 27 janvier 1993, est créé le « Réseau femmes pour la parité », qui rassemble laplupart des associations fondées pour atteindre cet objectif et va lancer une grande campagnede signatures. Le 10 novembre 1993, est publié dans Le Monde un manifeste signé par 577hommes et femmes (soit le nombre de députés siégeant à l'Assemblée), en un nombre égal à242


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉSune unité près, dans lequel il est demandé l'adoption d'une loi organique ainsi libellée : "Lesassemblées élues au niveau territorial comme au niveau national sont composées d'autant defemmes que d'hommes."L'idée avait fait son chemin, touchant même la classe politique, au point que le24 octobre 1993, Michel Rocard, élu la veille premier secrétaire du Parti socialiste, déclaraitqu'il ne conduirait la liste socialiste aux élections européennes qu'à la condition "qu'elle soitcomposée à stricte égalité de femmes et d'hommes, qu'un candidat sur deux soit une candidateet ce du début à la fin de la liste". De fait, en juin 1994, lors des élections européennes, sixlistes devaient être paritaires ou quasiment paritaires : celle de Lutte ouvrière, du Particommuniste, du Parti socialiste, du Mouvement des citoyens et des Verts, ainsi que la "petite"liste de C. Cotten. Mais surtout, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1995, la place desfemmes en politique est devenue un thème de campagne.Les principaux candidats, interpellés par les associations féminines et féministes, ont dûadmettre que la quasi-absence des femmes des assemblées élues n’était plus acceptable et seprononcer par rapport aux quotas pour les uns, à la parité pour les autres. Après l’élection deJacques Chirac, un Observatoire de la parité est mis en place sous la présidence de RoselyneBachelot. Gisèle Halimi préside la Commission pour la parité dans la vie politique et remet unrapport au Premier ministre en décembre 1996. Un débat parlementaire sans vote devait avoirlieu le 11 mars 1997 sur la place des femmes dans la vie publique. <strong>Avant</strong> cette échéance, deuxévénements allaient relancer le débat. Le 6 juin 1996, l’Express publiait un « Manifeste pourla parité » signé par dix femmes politiques, de droite et de gauche (parmi lesquelles SimoneVeil, Edith Cresson, Michèle Barzach, Yvette Roudy, etc.). Par ailleurs, le Conseil national duParti socialiste du 21 septembre 1996 décide qu’un tiers des circonscriptions seront réservéesà des femmes lors des prochaines législatives. De fait, en mai 1997, à l’occasion des électionslégislatives consécutives à la dissolution décidée par Jacques Chirac, 28 % des candidatssocialistes seront des candidates.Au cours de cette campagne électorale de 1997, Lionel Jospin prend l’engagement demodifier la Constitution pour y introduire le principe de parité. Le 19 juin 1997, lors de sadéclaration de politique générale, il annonce « une révision de la Constitution, afin d’yinscrire l’objectif de la parité entre les femmes et les hommes », ce qui devait conduireJacques Chirac à énoncer, le 14 juillet : « si rien ne peut être fait sans passer par une- 243 -


J. MOSSUZ-LAVAUindication constitutionnelle, je dois dire que je me ferai à cette idée même si je préfèreraisqu’on trouve quelque chose de plus efficace » (Le Monde, 16 juillet 1997).Moins d’un an plus tard, le Président de la République signait un projet de loiconstitutionnel "relatif à I'égalité entre les hommes et les femmes". Ce projet comportaitl'article unique suivant "II est ajouté à l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 unalinéa ainsi rédigé : la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats etfonctions". II allait déclencher toute une procédure législative et raviver de vifs débats.A la suite de discussions entre le Président de la République et le Premier ministre, iln'était plus question, dans le texte <strong>propos</strong>é, de la parité dont Lionel Jospin s'était engagé àinscrire le "principe" dans la Constitution lors de sa déclaration de politique générale du 19juin 1997, mais personne ne s'y est trompé. Dans l'ensemble des médias, tous lescommentaires ont porté sur la marche de la France vers la parité. Le terme a étésystématiquement employé alors même qu'il ne figurait plus (entente au sommet exigé) dansla formulation retenue. Le 15 décembre 1998, le texte venait en première lecture àl'Assemblée nationale et celle-ci acceptait de fait une version un peu plus musclée que cellefigurant dans le projet initial : 82 députés, sur les 83 présents ou ayant donné délégation devote pour le scrutin, adoptaient la phrase suivante : "La loi détermine les conditions danslesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux etfonctions électives".Dans les mois précédant le débat à l'Assemblée nationale, les associations féminines etféministes s'étaient en effet émues de la "tiédeur" du terme "favorise" et avaientvigoureusement milité pour qu'on le remplace notamment par "garantit".Le texte devait ensuite être non seulement examiné par le Sénat mais voté dans lesmêmes termes puisque la procédure retenue pour opérer la révision de la Constitution étaitl'article 89 qui stipule que "le projet ou la <strong>propos</strong>ition de loi doit être voté par les deuxAssemblées en termes identiques...". La révision est définitive après avoir été approuvée parréférendum ou par le Parlement réuni en Congrès (et qui doit alors voter à la majorité des troiscinquièmes des suffrages exprimés).Mais, le 20 janvier 1999, le Sénat se prononce d'une toute autre manière quel'Assemblée, en <strong>propos</strong>ant de modifier l'article 4 de la Constitution concernant les seuls partispolitiques et de lui adjoindre le texte suivant : "Ils favorisent l'égal accès des femmes et des244


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉShommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Les règles relatives à leurfinancement public peuvent contribuer à la mise en œuvre du principe énoncé à l'alinéaprécédent...".Les paritaires ne se privent pas alors de taxer le Sénat de "ringardise", d'insister sur samisogynie ancestrale (n'est-ce pas lui qui avait, des décennies durant, refusé le droit de voteaux femmes ?). Les sénateurs de droite accusent la majorité de vouloir utiliser la parité pourrétablir le scrutin proportionnel pour les législatives. Plus discrètement, l'Elysée fait connaîtreson mécontentement. Par rapport au projet de modernisation de la vie politique annoncé parJacques Chirac, ce qui apparaît comme l'hostilité de la droite sénatoriale à l'encontre desfemmes jette une ombre sur le tableau.Le 16 février 1999, l'Assemblée nationale doit se prononcer en deuxième lecture. Ellerétablit le texte qu'elle avait retenu en première lecture. De guerre lasse, le Sénat finit parvoter, le 4 mars 1999, le premier texte qui avait été soumis à l'Assemblée, à savoir « la loifavorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctionsélectives ». Il adopte également un amendement destiné à modifier l'article 4 de laConstitution concernant les partis politiques, amendement ainsi libellé : « Ils contribuent à lamise en œuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditionsdéterminées par la loi ».Le 10 mars, l'Assemblée accepte, à l'unanimité, les deux textes votés par les sénateurs.L'article 3 et l'article 4 de la Constitution seront donc modifiés après la réunion du Parlementen Congrès à Versailles, prévue le 18 juin 1999. Premier effet de cette procédure et de cesdébats : lors des élections européennes de 1999, les listes présentées par les « grands » partis(de droite comme de gauche) sont pratiquement toutes paritaires et 40,2% des députésenvoyés à Strasbourg seront des députées.Le 6 septembre 1999, Dominique Gillot, rapporteuse du nouvel Observatoire de laparité (mis en place en mars 1999), remet au Premier ministre un rapport 1 dans lequel elle faitdes <strong>propos</strong>itions concernant la mise en œuvre de cet « égal accès des femmes et deshommes » aux responsabilités politiques. Car un projet de loi doit être voté pour faire entrerdans le code électoral le principe énoncé par la Constitution. Elle <strong>propos</strong>e que, pour lesélections européennes et régionales, les listes de candidats respectent la parité alternée (sous1 D. Gillot, septembre 1999, Vers la parité en politique. Rapport à Monsieur le Premier ministre.- 245 -


J. MOSSUZ-LAVAUpeine d’être irrecevables), que pour les municipales, les listes (dans les communes de 3500habitants et plus) comportent 40 % de femmes placées de façon telle qu’il y ait 40 % d’élueset que, pour les élections législatives, les partis présentent au moins 40 % de femmes (unbonus financier leur étant alors attribué) et aussi, pour que ces candidates ne soient pasenvoyées uniquement dans des circonscriptions perdues d’avance, que le montant versé auxpartis soit fonction du nombre de voix obtenues par les candidates.Le Premier ministre ne retiendra pas toutes ces <strong>propos</strong>itions. Il déclare que pour lui, laparité, c’est 50/50, mais il l’entend au niveau des candidatures. Aussi, un projet en ce sens estilsoumis au Conseil des ministres du 8 décembre 1999. Il prévoit que, pour les scrutins deliste (municipales dans les communes de 3500 habitants et plus, régionales, européennes,sénatoriales à la proportionnelle), les listes doivent comporter 50 % de candidates. Mais rienn’est précisé quant à la place qu’elles doivent occuper. Pour les élections législatives, lespartis doivent également présenter 50 % de femmes sous peine de sanctions financières.Il faut saluer la rapidité avec laquelle le Premier ministre a donné à la révisionconstitutionnelle de juin 1999 une traduction concrète qui concerne la plupart des prochainsscrutins et tout particulièrement le plus proche d’entre eux, les élections municipales de 2001.Il faut également se féliciter du choix incontestablement paritaire qui a été fait : 50/50. LaFrance est le premier pays au monde à prévoir que, pour la plus grande part des élections, ilsera nécessaire de présenter autant de femmes que d’hommes. Les pays qui ont vouluaccroître le nombre de femmes dans les assemblées élues n’ont retenu jusqu’ici que desquotas ne dépassant pas 33 %. Un projet qui constitue une première mondiale mais qui, pourdonner toute sa mesure, se devait d'être amélioré. Lors de la première lecture du projet àl'Assemblée nationale, le 25 janvier 2000, les députés ont voté plusieurs amendementsstipulant que, pour les élections européennes et les sénatoriales à la proportionnelle, les listesdevaient (pour être recevables) respecter la parité alternée et que, pour les régionales et lesmunicipales (dans les communes de 2000 habitants et plus), la parité devait être observée partranches de six candidats. Le Sénat a rejeté tous ces amendements, une commission mixteparitaire s'est réunie mais n'a abouti à aucun accord. Le projet doit donc être soumis ànouveau à l'Assemblée, puis au Sénat, puis à l'Assemblée en dernière lecture (début mai). Lesdéputés prévoient d'accepter de remonter à 2500 le seuil à partir duquel la règle paritaire doits'appliquer pour les élections municipales mais n'envisageraient pas d'autres concessions.246


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉSLes paritaires sont donc près du but mais les débats pour ou contre la parité ont étéextrêmement vifs. D'autant plus d'ailleurs qu'ils avaient lieu depuis plusieurs années et qu'ilsne recouvraient pas la classique division droite contre gauche. Il y a eu, bien sûr, les joutesclassiques entre la gauche plurielle (paritaire dans son ensemble au Parlement si l'on exceptele sénateur Robert Badinter) et la droite sénatoriale qui a vu (ou fait semblant de voir) dans leprojet de loi une manœuvre du gouvernement pour modifier à terme le mode de scrutin (enfaisant valoir, par exemple, qu'on ne pouvait pas organiser la parité avec le scrutin majoritaireuninominal).Mais ce qui est apparu sur le devant de la scène, c'est l’affrontement, au sein desintellectuelles de gauche féministes, entre paritaires et anti-paritaires. De nombreuxarguments ont été échangés par médias interposés. Sur quels points ont donc principalementporté les désaccords entre les tenants de la parité et ses opposants ?Pour justifier leur position, les antiparitaires mettent en avant l'universalisme que leprojet de parité mettrait à mal. Rappelant les principes fondateurs de notre démocratie, ilsénoncent que celle-ci ne connaîtrait que le citoyen abstrait, c'est-à-dire un être qui ne peut êtredéfini par aucune caractéristique sociale, religieuse, culturelle ou sexuelle. Prendre en compte,pour sélectionner des représentants, un critère, quel qu'il soit, reviendrait à rompre avec larègle de la stricte égalité qui doit régner entre les citoyens et qui ne peut exister justement quesi l'on ne reconnaît que des "individus abstraits". Or, si l'on admet que seul puisse êtrelégitimement reconnu cet individu abstrait, en quoi est-ce un problème que les Assembléessoient presque exclusivement masculines ? Les représentants, quels qu'ils soient et seraient-ilstous des hommes, parleraient au nom de tous les représentés (femmes et hommes). Mais cen'est pas le raisonnement que tiennent les antiparitaires. Toutes et tous déplorent cette quasiabsencedes femmes des Assemblées élues.Comment ces antiparitaires allient-ils cette reconnaissance de la dimension sexuée del'humanité avec leur refus de voir celle-ci inscrite dans la loi ? Jusqu'il y a peu, ils répondaientqu'il ne fallait pas inscrire la différence sexuée dans la loi parce que toute mesure entérinantune différence ne pouvait qu'entraîner une régression - on y reviendra. Mais certains faisaientune première exception à cette règle en <strong>propos</strong>ant dès 1995 que l'on accorde une surdotationaux partis politiques présentant un nombre "convenable" de femmes. Ce qui supposaitd'inscrire la différence sexuée dans la loi de financement des partis politiques. On pouvaitdéjà se poser la question : en quoi est-ce moins grave, moins attentatoire à l'universalisme- 247 -


J. MOSSUZ-LAVAUd'inscrire cette différence dans la loi de financement des partis politiques plutôt que dans la loiélectorale ou dans la Constitution ? En 1999, un certain nombre d'antiparitaires demandaientque l'on inscrive qu'il y a des hommes et des femmes... dans l'article 4 de la Constitution (pouréviter cette inscription dans l'article 3). Ce ne serait donc plus attentatoire à l'universalisme defaire figurer malgré tout la différence sexuée dans la Constitution, sous prétexte qu'il s'agitd'un article concernant les partis politiques plutôt que la souveraineté nationale ?On retrouve aussi beaucoup, dans le discours des antiparitaires, l'argument selon lequelsi l'on adoptait des mesures contraignantes pour assurer la promotion politique des femmes,celles-ci seraient choisies parce qu'elles seraient des femmes et non pas pour leurscompétences. Comme si "on" allait choisir les candidats hommes parmi les militants despartis politiques et les candidates femmes dans une sorte de no man's land, hors desformations politiques. Selon les tenants de la parité, si l'on devait organiser des électionsparitaires, les partis choisiraient des candidates femmes parmi leurs militantes, qui sontnombreuses. Donc des femmes adhérant à leurs idées, capables de se battre pour unprogramme et dont on saurait parfaitement quels engagements politiques elles ont pris. Ellesseraient, au même titre que les hommes, élues en fonction de leur adhésion à un projetpolitique et non pas au seul motif qu'elles seraient des femmes. Elles représenteraient leshommes et les femmes et interviendraient sur toutes les questions soumises à l'appréciationdes élus.Et pourquoi ces militantes seraient-elles moins compétentes que les hommes qui siègentaujourd'hui dans les Assemblées ? Les femmes socialistes qui ont été élues députées en 1997parce que 28 % des circonscriptions avaient été réservées aux femmes sont-elles de moinsbonnes parlementaires que leurs homologues masculins ? Les femmes qui sont aujourd'huiplus nombreuses que les hommes à l'université, qui forment plus de 45 % de la populationactive, n'ont plus à prouver leurs compétences. Elles ont seulement besoin qu'on ne lesempêche pas de les exercer.Dans le "manifeste" publié par l'Express le 11 février 1999, les antiparitaires accusentaussi les paritaires d'abandonner "le principe de la solidarité entre victimes de discrimination"et d'ignorer "les inégalités économiques, sociales, raciales dont souffrent tant de femmes". Or,les difficultés que rencontrent les femmes sont au cœur des préoccupations des paritaires. Et illeur semble que ces inégalités, ces difficultés seraient mieux prises en compte dans desassemblées comportant 50 % de femmes qu'elles ne le sont aujourd'hui. L'agenda politique248


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉSserait alors conçu de manière telle que, quand on traiterait par exemple du chômage, ontiendrait compte de la manière toute particulière dont il touche les femmes. Et il en va demême pour tout ce qui concerne le temps partiel (presque exclusivement le lot des femmes),les familles monoparentales (pour l'essentiel assumées par des femmes), et tous les problèmessusceptibles d'être discutés par des élus du peuple. Pour prendre en charge les problèmes desfemmes ne vaut-il pas mieux faire confiance à des assemblées paritaires plutôt qu'à desassemblées composées à 90 % d'hommes ?Enfin, défendre la parité reviendrait à instaurer le différencialisme, à mettre en avant ladifférence entre les sexes et conduirait à une "régression", au terme de laquelle les femmesseraient menacées de perdre leurs droits, leurs acquis, d'être renvoyées à l'image que l'onvoulait donner d'elles sous le régime de Vichy. Dans I'Evénement du 4 février 1999, ElisabethBadinter écrit en effet "Inscrire la parité dans la Constitution, c'est introduire le droit à ladifférence (...). Ce n'est guère autre chose que le discours de Vichy". Or, Vichy voulait, parexemple, exclure les femmes mariées de la Fonction publique. Là il s'agit au contraire de faireen sorte qu'elles accèdent aux responsabilités politiques. Et qui peut croire là encore que lefait de permettre à 288 ou 289 femmes de siéger à l'Assemblée nationale va autoriser qui quece soit à remettre en cause leur droit de disposer de leur corps, leur droit au travail, leur entréemassive dans l'enseignement supérieur ? Comment le fait qu'elles obtiennent un droitpolitique réel, celui de l'éligibilité, donc des droits politiques qu'elles n'ont pas à ce jour dansla réalité, pourrait-il conduire à la mise en cause de leur statut actuel ?Les femmes dans la fonction publiqueEn France, les femmes sont majoritaires dans la fonction publique mais elles demeurenttrès minoritaires aux postes de responsabilité. Anne-Marie Colmou, Maître des Requêtes auConseil d’Etat, note dans un rapport au Premier ministre que « si l’on considère l’ensembledes trois fonctions publiques : la fonction publique de l’Etat, la fonction publique territorialeet la fonction publique hospitalière, le taux de féminisation est de 56,9 % au début de l’année1998 » 2 .2 A.-M. Colmou, février 1999, L’encadrement supérieur de la fonction publique : vers l’égalité entre les hommes et lesfemmes. Quels obstacles ? Quelles solutions ? Paris, p. 2. Tous les chiffres que nous donnons concernant la fonctionpublique sont tirés de ce rapport.- 249 -


J. MOSSUZ-LAVAUExaminons tout d’abord la fonction publique d’Etat.Le Ministère le plus féminisé est celui des Affaires sociales (71,2 %) suivi parl’Education nationale (65,2 %), les moins féminisés sont celui de la Coopération (20,7 %) etcelui de l’Intérieur (26,6 %). Elles constituent à peu près 52 % de la catégorie A mais,souligne encore Anne-Marie Colmou, « si l’on retire les enseignantes dont les fonctions sonttrès spécifiques, ce taux tombe à 33,3 % ». Il faut aussi savoir que les emplois de catégorie Bsont détenus à 66 % par des femmes et les emplois de catégorie C à 52 %.La situation est encore plus défavorable si l’on s’en tient aux postes élevés de lahiérarchie de la fonction publique. Les directions en administration centrale sont occupées à92,3 % par des hommes (au 1 er janvier 1997), les fonctions de chef de service, directeuradjointet sous-directeur à 80,9 %. Cela étant, on observe une (lente) progression dans larécente période, comme c’est le cas d’ailleurs pour les préfets (on est passé de 6 % en 1995 à9 % en 1997).Dans les grands corps de l’Etat, les femmes demeurent aussi très minoritaires. Si leurpart a très légèrement augmenté au cours des dernières années, elles ne sont encore que 19,9% des conseillers d’Etat en activité, 13,4 % des conseillers à la Cour des Comptes et 12,2 %des inspecteurs généraux des finances.Il faut souligner enfin, pour terminer ce tour d’horizon de la fonction publique d’Etatque, sur les emplois de chefs de services déconcentrés (comprenant préfets, recteurs,ambassadeurs, consuls et trésoriers-payeurs-généraux), 8,4 % seulement sont occupés par desfemmes.Dans la fonction publique territoriale, 59,5 % des postes sont occupés par desfemmes. Elles forment 68 % des non-titulaires et 53,4 % des titulaires. Là encore, c’est au basde l’échelle qu’on les retrouve.Dans la fonction publique hospitalière, 16 % seulement des personnels de direction depremière classe sont des femmes. En revanche, en troisième (et dernière classe), elles sont 38%. Cela étant, comme les femmes sont de plus en plus nombreuses à embrasser les métiers dedirection de la fonction publique hospitalière, on peut penser qu’elles parviendront, dans unavenir pas trop lointain, à occuper plus fréquemment des postes de responsabilité.250


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉSCet accès difficile des femmes aux postes les plus élevés est à mettre en relation avecleur présence minoritaire dans les grandes écoles. Ainsi, en 1997, 30 % des élèves admis àl’Ecole nationale d’administration étaient des femmes (25 % pour le concours externe, 34 %pour le concours interne et 33 % pour le troisième concours).Les femmes sont encore moins présentes dans les filières scientifiques. Par exemple, en1997, parmi ceux qui ont réussi le concours d’entrée Mines-Ponts, on ne trouve que 14 % defemmes et, à l’Ecole Polytechnique, la proportion de filles admises n’est passée entre 1991 et1997 que de 8,6 % à 13,3 %. La progression existe certes mais elle demeure très lente. Celaétant, celles qui intègrent ces écoles obtiennent de meilleurs résultats que les hommes. Anne-Marie Colmou fait l’hypothèse que « les rares femmes qui viennent rejoindre ces filières lefont plus souvent par goût réel pour la matière alors que les hommes, à la suite d’un excellentparcours dans le secondaire, y font plutôt un choix raisonné de carrière » (p. 27).Christian Baudelot et Roger Establet ont tenté d’analyser le rapport complexe entretenupar les filles avec les mathématiques pour lesquelles elles ne sont pas, objectivement, moinsdouées. Ils suggèrent que les garçons surestiment leur capacité alors que les filles se sousestiment.Or la surestimation favoriserait l’entrée dans la compétition très dure des concours(cf. Allez les filles, Le Seuil, 1992). On a aussi mis en avant que « les femmes plus souventque les hommes choisissent leur carrière en fonction de l’utilité du travail qu’elles imaginentplutôt que du pouvoir que confèrent les fonctions » (Anne-Marie Colmou, p. 30). Or, lareprésentation que peuvent se faire les femmes de la haute fonction publique n’est pasforcément très concrète. Par ailleurs, les filles privilégieraient les emplois qui laissent dutemps libre. Enfin, on a mis en cause la nature même des concours qui sont conçus par deshommes, conduits par des hommes (très peu de femmes siègent dans les jurys).Tous ces éléments concourent à rendre plus difficile pour les filles l’accès aux grandesécoles, qui permet ensuite la « montée » vers les plus hauts postes de responsabilité de lafonction publique. Mais le mouvement irréversible de scolarisation des filles (qui sont depuisle début des années soixante-dix plus nombreuses que les garçons à l’Université) laisseaugurer d’une progression dans un avenir proche dans les filières susceptibles de donner accèsà des postes d’encadrement où elles sont, pour le moment, très minoritaires.- 251 -


J. MOSSUZ-LAVAULes femmes et les autres responsabilités professionnellesL’entrée massive des femmes dans le monde du travail (tout particulièrement salarié)est l’un des traits marquants de la récente période. Elles forment aujourd’hui 45 % de lapopulation active (contre 34,6 % en 1954 et 37,3 % en 1975). Pour présenter le fait autrement,on peut dire qu’entre 25 et 55 ans, 80 % d’entre elles exercent une activité professionnelle.Par ailleurs, même si elles demeurent majoritaires parmi les chômeurs, les smicards, lesemplois « atypiques » et précaires, les emplois à temps partiel, leur progression dans lescatégories les plus « élevées » de la hiérarchie socio-professionnelle définie par l’INSEE (lescadres et professions intellectuelles supérieures) ne fait plus aucun doute. Elles en constituentun bon tiers contre 13,8 % en 1954 et 25 % en 1980. Cela étant, il faut savoir que cettecatégorie comprend les professions libérales, les cadres de la fonction publique, lesprofessions intellectuelles et artistiques, ainsi que les cadres d’entreprises et que les femmessont inégalement réparties dans ces sous-groupes. Nombreuses parmi les professeurs, elles seraréfient chez les cadres d’entreprise. Par ailleurs, aucune des 200 plus grandes entreprisesfrançaises n’est à l’heure actuelle dirigée par une femme. Et, dans les 5000 plus grandesentreprises, 7 % seulement des cadres dirigeants sont des femmes.Toutefois, leur progression est incontestable dans des professions longtempsconsidérées comme des bastions masculins. Elles sont 45 % des avocats, 52 % des magistrats,54 % des professeurs agrégés du secondaire 3 même si elles ne sont plus (en 1996) que 15 %des professeurs d’Université. En outre, depuis 1990, un médecin sur deux est une femme.Les causes de cette situation d’inégalité sont diverses :- l’orientation scolaire n’est pas suffisamment diversifiée. Les fillescontinuent à aller vers les filières littéraires ou économiques alors que les filièresscientifiques comptent une majorité de garçons. Elles disposent donc, en find’études, de diplômes moins rentables sur le marché du travail, même si elles sontde plus en plus nombreuses à devenir médecins ou magistrates ;- nous vivons dans un pays où l’essentiel du travail domestique esteffectué par les femmes. 80 % du travail domestique repose sur elles. Les femmesvisant ou occupant des postes de responsabilité conservent dans bien des cas leur3 Chiffres cités in B. Majnoni d’Intignano et alii, 1999, Egalité entre femmes et hommes : aspects économiques, Paris, LaDocumentation française, 1999.252


ACCÈS AUX RESPONSABILITÉS« responsabilité domestique ». Ce sont elles qui gèrent le privé, même si elles ontles moyens de se faire aider.- Catherine Génisson ajoute à ces facteurs le fonctionnement même desentreprises dans lesquelles la discrimination à l’embauche, le moindre accès à laformation continue, l’organisation du travail (notamment le développement deshoraires atypiques), ainsi que la faible participation des femmes à la représentationdes salariés (donc l’insuffisante prise en compte de leurs difficultés) sont autant defaits qui expliquent la moindre progression des femmes vers les postes deresponsabilité 4 .Il est donc difficile de faire un bilan. Christian Baudelot estime, dans sa conclusion àl’ouvrage déjà cité, Les nouvelles frontières de l’inégalité, que « selon qu’on privilégiera lemaintien des écarts ou l’avancée, le bilan qu’on en tirera sera négatif ou positif » (p. 279). Ilrécuse aussi bien l’optimisme béat que le misérabilisme. Mais si l’on se place dans laperspective d’un processus, d’une évolution qui a considérablement changé la situation desfemmes depuis quelques décennies, on doit admettre néanmoins qu’il y a un progrès et qu’iln’existe plus en tout cas de bastion masculin. Même si elles y sont en petit nombre, lesfemmes sont désormais partout.Le combat qui a été mené pour la parité hommes/femmes en politique ne se borne pas àprovoquer des changements sous les ors de la République. Il vise à promouvoir la parité dansl’ensemble de la société, dans les domaines économique, social et culturel. Et ce sera peut-êtreplus facile quand les Assemblées politiques, celles qui font la loi, qui décident pour une bonnepart de la situation de nos concitoyens seront paritaires et prendront ainsi plus en compte quedes assemblées quasi exclusivement masculines les problèmes des femmes. La volonté dugouvernement français de promouvoir les femmes est en tout cas affirmée. Les rapports citésdans ce texte et demandés, rappelons-le à Dominique Gillot, Béatrice Magnoni d’Intignano,Catherine Génisson et Anne-Marie Colmou visent tous à réduire les inégalités et à <strong>propos</strong>erdes solutions pour que les femmes accèdent en plus grand nombre à des postes deresponsabilité.4 C. Génisson, juillet 1999, Davantage de mixité professionnelle pour plus d’égalité entre hommes et femmes. Rapport àMonsieur le Premier ministre, C. Génisson est députée du Pas-de-Calais.- 253 -


J. MOSSUZ-LAVAUPOUR EN SAVOIR PLUSJ. MOSSUZ-LAVAU, 1998, Femmes/Hommes. Pour la parité, Paris, Presses deSciences-Po.J. MARTIN (sous la direction de),1998, La parité. Enjeux et mise en œuvre, Toulouse,Presses universitaires du Mirail.M. MARUANI (sous la direction de), 1998, Les nouvelles frontières de l’inégalité.Hommes et femmes sur le marché du travail, Paris, La Découverte.P. BATAILLE et F. GASPARD, 1999, Comment les femmes changent la politique. Etpourquoi les hommes résistent, Paris, La Découverte.254

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