Journal de l'Institut Curie n°86 - Mai 2011 - Cancers du Sein - Institut ...

dossier
l’après-cancer
Pedro Lombardi / Institut Curie
12 ,
gros plan sur…
l’étude pilotée par Bernard Asselain,
chef du service de Biostatistiques de l’Institut Curie, montrant
que bien des efforts restent à faire pour aider la réinsertion
dans le monde du travail
Quel était le cadre
de votre étude sur
les répercussions
du cancer sur
la vie
professionnelle ?
Impliquant 82
médecins du travail
de plus de cent
entreprises et
402 salariés atteints
de cancer entre 2005
et 2006, notre analyse
livre une vision
concrète et inédite
de la réinsertion
LE JOURNAL DE
L’INSTITUT CURIE
aujourd’hui dans
le monde du travail.
Cette recherche,
financée à hauteur
de 105 000 euros
par l’Inca, pointe du
doigt la très grande
fatigabilité des
salariés et
l’insuffisance
d’accompagnement
lors de la reprise.
Qu’avez-vous
plus largement
découvert sur
la fragilité de
ces salariés ?
Par rapport à la
population générale,
les salariés ayant
repris après un
cancer sont trois fois
plus stressés, et leur
risque de dépression
sévère est multiplié
par deux. 44 %
d’entre eux souffrent
de troubles du
sommeil et 38 %
ont recours aux
antidépresseurs.
Comment
expliquez-vous
cette situation et
que recommandezvous
?
Nos travaux révèlent
que dans 92 % des
cas, aucun contact
n’a été établi entre
le médecin du travail
et l’oncologue.
Le manque
d’anticipation du
retour à la vie
professionnelle, le
dialogue insuffisant
avec le médecin
du travail, la
hiérarchie mais aussi
les collègues nous
semblent être les
points que l’on doit
débloquer en priorité.
« La visite de préreprise est une occasion
unique de créer cet espace tampon, pour amortir
le choc de part et d’autre », conseille-t-elle.
Parfois aussi, on rebat les cartes, et la vie familiale
et personnelle, qui avait pu être négligée
avant la maladie, s’impose comme une priorité,
les activités professionnelles passant au second
plan. « Le monde de l’entreprise est peu préparé
à cette nouvelle donne, et la maladie n’est guère
pensée dans l’organisation du travail », déplore
la sociologue Anne-Marie Waser.
Des initiatives favorables
Dans le cadre du Club des maladies chroniques
et activité, à la Cité des métiers de la Cité des
sciences et de l’industrie, à La Villette, à Paris,
la sociologue propose des entretiens personnalisés.
Ce club mise sur l’activité professionnelle
comme facteur de guérison, en proposant une
aide et un accompagnement pour que chacun
élabore à son rythme un projet professionnel,
cherche une formation, (re-)trouve un emploi
ou crée une activité. Car l’après-cancer peut se
transformer en occasion de reconversion, plus
ou moins désirée… En effet, de très nombreux
efforts restent à faire pour aller dans le sens des
vœux exprimés par le chef de l’État, qui déclarait
à l’occasion de la présentation du Plan cancer
II, que « l’après-cancer, c’est aussi le retour
à l’emploi. Il est particulièrement scandaleux
qu’un certain nombre de salariés puissent souffrir
d’avoir eu à vaincre un cancer ». Ministre
du Travail, de l’Emploi et de la Santé, Xavier
Bertrand s’emparait de ces difficultés, soulignant
que « le cancer n’est pas qu’une histoire de
cellules, cela peut bouleverser la vie de fond en
comble, c’est une souffrance physique mais aussi
morale à laquelle nous devons tous être beaucoup
plus attentif ». Pour lever les obstacles
à la réinsertion professionnelle, il annonçait
le lancement de 35 projets expérimentaux de
soutien au parcours personnalisé du patient,
pendant et après le cancer.
De nombreuses initiatives, financées à hauteur
de 3,3 millions d’euros par l’État, ont démarré
dans 16 régions. Elles vont notamment permettre
de suivre des salariés de retour au travail
pendant un an, leur apportant le soutien
nécessaire pour franchir les différents obstacles.
L’Inca et la Haute Autorité de santé
ont également décidé de mobiliser les médecins
traitants, parmi les premiers à constater les
répercussions psychologiques vécues par les
patients après un cancer. Il leur appartient en
effet de repérer une dépression post-thérapeutique,
d’informer à bon escient, de travailler
en lien avec l’oncologue, le psychologue ou le
psychiatre à même d’écouter la douleur de ceux
qui s’en sont sortis en réunissant autour d’eux
tous les professionnels qui peuvent leur venir
en aide.
Exclus et en difficulté financière
L’après-cancer exige aujourd’hui une aide, y
compris sociale. De plus en plus de familles
sont confrontées à des problèmes financiers
et matériels liés à la période difficile qu’ils
viennent de traverser. Une précarité telle que
les demandes concernent désormais des
(Suite p. 14)