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CHRONIQUE<br />

COMMENT ÇA<br />

POUSSE ?<br />

La chasse aux talents est plus que jamais ouverte. Mais à qui profite la prime ?<br />

Ou comment créer sa marque pour dessiner celle des autres.<br />

Cette année, à Hyères, le<br />

printemps faisait déjà<br />

l’arlésienne. Pour la 27 e<br />

édition de cet aimable festival<br />

qui permet au Tout-<br />

Mode de sortir enfin ses<br />

emplettes de saison tout<br />

en rencontrant les bienheureux<br />

designers et photographes<br />

présélectionnés<br />

de l’année, la météo s’obstinait à ne pas faire mentir<br />

le pénible dicton d’avril. On se consolait en pensant<br />

que rien n’est meilleur aux jeunes pousses que l’alternance<br />

de soleil et de pluie. Un peu comme, pour un<br />

jeune créateur, le contraste entre la chaleur des sunlights<br />

et la froideur de l’accueil du banquier ? C’était le<br />

sujet d’une très pertinente table ronde orchestrée par la<br />

Fédération française de la couture qui avait le mérite<br />

salvateur d’éviter le sempiternel refrain larmoyant des<br />

pauvres « jeunecréateurs » pas assez aidés, soutenus,<br />

chouchoutés. On n’y parlait pas de mécéner des génies<br />

injustement ignorés, mais d’investir dans des marques,<br />

des entreprises, des équipes. Il ne s’agissait pas de dresser<br />

un nouveau monument au talent méconnu, mais<br />

de décrire les conditions techni ques d’attribution des<br />

fonds par la structure Mode et Finance (depuis douze<br />

ans) ou par le nouveau fonds d’avances de l’Institut<br />

pour le financement du cinéma et des industries culturelles,<br />

tout en rappelant l’incompréhension structurelle<br />

entre système bancaire frileux et jeunes designers surexposés.<br />

De quoi refroidir les ardeurs des candidats à<br />

la notoriété express.<br />

Pourtant, l’espoir de la mode fait vivre, plus<br />

que jamais, la machine à communiquer de toute une<br />

profession en mal d’image juvénilement correcte. On<br />

peine à compter les talent awards qui se créent tous<br />

les jours : les 300 000 euros de Mango font la nique<br />

aux 50 000 de H&M, le Prix de Diesel est à Trieste, celui<br />

de Max Factor à Copenhague et celui de Swarovski à<br />

Londres ; Hong Kong ou Singapour ne sont pas en reste,<br />

la Woolmark est en embuscade avec l’appui des éditions<br />

internationales de Vogue, des sites de crowdfunding<br />

émergent partout sur la Toile, quand LVMH préfère se<br />

fiancer avec la Saint Martins, Burberry avec le Royal<br />

College et PPR avec la Parsons pour distribuer leurs<br />

largesses…<br />

Qui n’a pas son jeune ? À l’instar des années 80,<br />

voici revenue l’heure des stylistes chasseurs de primes,<br />

tiers-monde de la mode vivant des oboles des grands<br />

groupes et des institutions. Ce qui a sans doute changé,<br />

c’est que les « généreux » donateurs cherchent certes<br />

toujours à rafraîchir leur image, mais certainement<br />

aussi à repérer le sang neuf pour doper leurs studios de<br />

création. Le vrai talent est rare, et la lutte très rude pour<br />

se l’approprier. Pour éviter d’avoir, un jour, à engager<br />

un douloureux bras de fer juridique et financier pour<br />

débaucher un golden art director, futur chef d’orchestre<br />

star qui viendra réinventer toute la partition, mieux<br />

vaut avoir en interne une équipe de jeunes assistants<br />

doués, nourris au style de la marque.<br />

Pour tous les malchanceux de cette Star Ac de<br />

la fashion, dont le CV ne prendra pas l’ascenseur des<br />

grandes maisons, reste donc la perspective du calvaire<br />

ordinaire des jeunes marques : agents commerciaux<br />

bidon et ardoises laissées par des multimarques prestigieux,<br />

croissance infinançable et manager introuvable…<br />

Seule échappatoire à cette schizophrénie entre<br />

« exaltation » de la création et violence des fins de<br />

mois, les « contrats de style », soit le financement des<br />

déficits chez soi par des missions rémunératrices chez<br />

les autres. C’est-à-dire tout ce qui veut bien se présenter<br />

: de Max Mara à Morgan ou de la troisième ligne<br />

d’une grande marque à une première ligne d’industriel<br />

chinois. Ce schéma qui prévaut depuis des décennies<br />

mérite peut-être d’être repensé.<br />

Dans un marché mais surtout un univers professionnel<br />

devenu vraiment mondial, le nombre d’opportunités<br />

de collaboration pour des stylistes doués a<br />

crû de façon considérable. Encore faut-il qu’ils soient<br />

légitimes, donc suffisamment médiatisés. Ainsi, ce n’est<br />

plus le contrat de mercenaire pour autrui qui sert à<br />

faire vivre sa marque, mais bien celle-ci qui assure<br />

la visibilité qui permet de décrocher celui-là. Comme<br />

les designers industriels, les créateurs de mode suffisamment<br />

reconnus peuvent être de véritables « entreprises<br />

de services » travaillant pour des commanditaires<br />

multiples, pour autant qu’ils arrivent à jongler avec la<br />

rigueur des calendriers. Beaucoup, plus ou moins discrètement,<br />

en sont déjà là. Quelques-uns auraient tort<br />

de renoncer à développer leur propre marque ; les autres<br />

se simplifieraient l’existence en considérant les vêtements<br />

qu’ils griffent de leur nom comme une vitrine<br />

de leur talent, non comme une fin en soi. Mais dans<br />

une profession où dessiner des collections se dit encore<br />

« être créateur », les mythes ont la vie dure. Pourtant la<br />

mode n’est pas un destin, c’est un métier. Aux jeunes<br />

pousses de demain d’en revoir les contours.<br />

Stéphane Wargnier<br />

Défilé Maxime Rappaz, Festival de Hyères 2012<br />

[…] Qui n’a pas son jeune ?<br />

À l’instar des années 80, voici<br />

revenue l’heure des stylistes<br />

chasseurs de primes, tiers-monde<br />

de la mode vivant des oboles des<br />

grands groupes et des institutions<br />

MAGAZINE N O 8<br />

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