04.09.2014 Views

iconiques - Magazine

iconiques - Magazine

iconiques - Magazine

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

BIOGRAPHIE<br />

RAYMOND<br />

LOEWY<br />

Longtemps incompris en Europe, Raymond Loewy a consacré sa vie entière<br />

au service du « beau ». Celui que le magazine « Life » définissait comme l’une des<br />

cent personnes ayant fait l’Amérique fut l’un des premiers à prouver que le succès<br />

d’un produit dépend autant de son esthétique que de sa fonction.<br />

« L’ingénieur en chef commença par<br />

m’expliquer tout ce que je ne pourrais<br />

pas faire. Lorsqu’il eut fini, une heure<br />

plus tard, il m’apparut, avec évidence,<br />

qu’il ne me restait plus que le droit de<br />

sauter par la fenêtre […] »<br />

1893 Naissance à Neuilly, d’un père gentleman journaliste<br />

économique et d’une mère dont la principale<br />

occupation est d’empêcher ses trois fils de s’intéresser<br />

aux mannequins de la rue de la Paix.<br />

1905 « L a vie d’un jeune homme aux environs de 1905<br />

était passionnante. Imaginez un jeune garçon qui<br />

assiste successivement à la naissance de l’ampoule<br />

électrique, du téléphone, de l’automobile, de l’avion,<br />

du cinéma et de la radio.<br />

Comment un enfant de<br />

ma génération aurait-il<br />

pu souhaiter autre chose<br />

que de prendre une part<br />

active dans une de ces<br />

inventions qui allaient<br />

bouleverser le monde ? » Amoureux des locomotives à<br />

vapeur aérodynamiques et passionné d’aéroplane, le<br />

jeune Raymond devient bientôt une célébrité parmi la<br />

jeunesse du bois de Boulogne lorsqu’il fonde sa compagnie<br />

de modèles réduits d’avions. La compagnie Ayrel<br />

siège au 235 rue du Faubourg Saint-Honoré et organise<br />

une série de conférences dans les grandes villes pour<br />

faire connaître ce nouveau sport qu’était l’aviation.<br />

Après avoir financé la construction d’un canot automobile<br />

de course et gagné la Coupe Branger pour modèles<br />

réduits de bateaux, il retourne à ses études, car il est un<br />

jeune homme raisonnable. « Ce qui me frappe maintenant,<br />

c’est qu’en construisant mes deux modèles, l’avion<br />

et le canot, j’en avais soigné l’aspect extérieur beaucoup<br />

plus que ne le faisaient les autres enfants... Ce fut là<br />

sans doute le début inconscient d’un processus de pensée<br />

qui, plus tard, m’orienterait vers ma profession. »<br />

1914 La mobilisation générale est décrétée. Affecté aux<br />

communications, le caporal Loewy se taille un uniforme<br />

sur mesure. « Les uniformes de l’armée étaient<br />

mal coupés et, tant qu’à faire, je préférais aller au feu<br />

bien habillé. » De sa première permission à Paris, il ne<br />

ramène pas du calvados ou du chocolat mais des rouleaux<br />

de papier peint fleuri, des morceaux de tenture<br />

et des coussins pour se confectionner un abri « dernier<br />

cri de l’élégance » et tenter de mettre un peu de douceur<br />

dans la laideur.<br />

1919 Démobilisé, il embarque sur le paquebot France<br />

pour tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique.<br />

L’Amérique prospère de 1919 entrait alors dans l’ère de<br />

la machine, une décennie de développements industriels<br />

sans précédent. Mais la révolution industrielle ne<br />

se souciait guère de l’esthétique. La quête absolue de<br />

fonctionnalité avait évincé les artisans. « Toute la production<br />

était absorbée par un public avide qui jugeait<br />

seulement d’après les performances, sans se soucier de<br />

la présentation. Le pays était inondé de réfrigérateurs<br />

perchés sur des hautes pattes grêles ou surmontés de<br />

réservoirs disgracieux. Les machines à écrire étaient<br />

mastoc et lugubres. Pour ranger un aspirateur, il fallait<br />

presque tout un hangar et quant aux appareils<br />

télé phoniques, ils avaient l’air disloqués. » Quelques<br />

artistes ont bien tenté de masquer la misère sous des<br />

couches de fioritures, mais le résultat est désastreux.<br />

Devenu étalagiste pour le grand magasin Macy’s, le<br />

« L es uniformes de l’armée<br />

étaient mal coupés et, tant qu’à<br />

faire, je préférais aller au feu<br />

bien habillé. »<br />

jeune Raymond se heurte à ses vieux démons : « L a<br />

techni que était alors de bourrer les vitrines d’une<br />

masse de choses hétéroclites, y compris une douzaine<br />

de mannequins sur lesquels étaient empilées des<br />

tonnes de marchandises en couches superposées […]<br />

Ces vitrines étaient aussi hideuses qu’inefficaces commercialement.<br />

Mon amour de la simplicité, assaisonné<br />

d’une pointe de logique française, me faisait entrevoir<br />

une technique différente. » Il décide alors de revêtir<br />

un mannequin d’une robe noire, minimale, de disposer<br />

tout autour quelques accessoires et de baigner la<br />

vitrine dans une semi-obscurité. De quoi déclencher un<br />

véritable scandale, et il est renvoyé sur le champ.<br />

1924 Les lignes modernes de ses dessins et ses compositions<br />

typographiques épurées attirent cependant<br />

l’œil d’Horace Saks, alors président de la maison Saks<br />

& Company. Après avoir préparé la campagne publicitaire<br />

qui précède l’inauguration d’une succursale sur la<br />

5 e Avenue et dessiné un uniforme spécial pour le personnel,<br />

il fournit des dessins de mode au groupe Condé<br />

Nast, au Harper’s Bazaar, et devient illustrateur pour la<br />

chaîne de magasins Bonwit Teller. « Je travaillais avec<br />

plus d’ardeur que jamais à mes illustrations, mais je<br />

n’étais toujours pas heureux […] Je n’avais pas envie<br />

de continuer à faire des projets de prospectus pour le<br />

rayon de layette des grands magasins alors que des<br />

myriades de produits honnêtes et de qualité, maltraités,<br />

abîmés, criaient au secours pour être délivrés du sens<br />

“artistique” de fabricants aveugles. »<br />

1929 Dix années de petits boulots n’auront pas eu raison<br />

de son opiniâtreté. En pleine crise économique, il<br />

part en croisade pour la cause du bon goût. « Je m’intéressais<br />

de plus en plus à toutes les choses stupéfiantes<br />

qui se vendaient dans les magasins… J’étais ébloui<br />

devant la marée de produits qui résultaient de l’activité<br />

et de la merveilleuse technique américaine. Je ne<br />

pouvais pas croire qu’un génie productif put être à<br />

ce point abondant. » Le pays se voyait en effet inondé<br />

d’une vague de produits bon marché précipités dans de<br />

nouveaux réseaux de distribution tels que les bureaux<br />

de tabac, les kiosques à journaux ou les drugstores.<br />

« Pour un Français habitué<br />

à la dignité professionnelle<br />

des pharmacies<br />

françaises, c’était stupéfiant.<br />

Au lieu de la petite<br />

boutique sombre aux<br />

relents d’acide phénique<br />

et d’élixir parégorique, je<br />

trouvais un magasin étincelant,<br />

brillamment éclairé, où s’accumulait jusqu’au<br />

plafond tout ce qu’on peut imaginer au monde, depuis<br />

les cachets d’aspirine jusqu’aux patins à roulettes, tandis<br />

qu’un phonographe criard jouait Dardanella et que<br />

le parfum du café frais s’évertuait à noyer l’odeur de<br />

l’iode et des sandwiches au fromage. » Mais s’il se laisse<br />

impressionner par la quantité et la qualité de ces produits<br />

manufacturés en série, il n’en supporte pas la laideur<br />

et la vulgarité. « Toutes ces enjolivures stupides<br />

étaient coûteuses, car elles ne surgissaient pas spontanément.<br />

Il fallait les peindre, les graver, les frapper, les<br />

calquer, les frotter, les repousser, les bosseler ; il fallait<br />

les cuire, les vaporiser, les rouler. Cela impliquait un<br />

travail inutile et, par conséquent, une augmentation<br />

parasitaire du coût du produit fini pour le consommateur.<br />

J’en étais scandalisé ! » Pour pallier ce manque<br />

d’imagination des industriels, Raymond tente de rallier<br />

à sa cause les fabricants. Il imprime sur ses cartes de<br />

visite : « Entre deux produits de même prix et de même<br />

qualité, celui qui a la plus belle apparence se vendra le<br />

mieux » et part faire la tournée des usines des banlieues<br />

décaties de Pittsburgh, Cleveland, Chicago, son carton à<br />

dessins sous le bras.<br />

1930 Entre toutes les portes qui lui claquent au nez,<br />

celle de Sigmund Gestetner, un fabricant de duplicateurs,<br />

s’entrebâille et on lui laisse sa chance. En trois<br />

jours, le jeune ambitieux relève le défi : « Ce n’était qu’un<br />

mélange de poussière, de papier et de vapeur d’encre.<br />

C’était vraiment une triste machine malgré quelques<br />

filets dorés qui ne réussissaient pas à lui remonter le<br />

moral. » Il lui ampute les quatre pieds, prend le parti de<br />

cacher tous les organes de l’appareillage de la machine<br />

dans une carapace facilement amovible et simplifie<br />

la ligne, diminuant ainsi le coût de production. C’est<br />

un succès. Il se fait ensuite repérer par la Hupp Motor<br />

MAGAZINE N O 8<br />

44<br />

MAGAZINE N O 8<br />

45

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!