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LEXIQUE<br />

LE GRAND<br />

MAGASIN<br />

Monument, au cœur des villes, le grand magasin se visite aujourd’hui au même titre<br />

qu’un musée. Davantage que du commerce mais réinventant toujours le commerce,<br />

voici une brève histoire du grand magasin.<br />

Dans chaque grand magasin,<br />

une abondance de biens exhibés,<br />

un environnement visuel<br />

séducteur mais aussi l’absence de<br />

vitrine et d’horloge, tout participe<br />

à l’entreprise d’éblouissement<br />

du consommateur.<br />

signe au flâneur. Ainsi travestie, elle est tantôt un paysage,<br />

tantôt une chambre. Le grand magasin, exploitant<br />

l’un et l’autre de ces thèmes, met à contribution<br />

la flânerie elle-même. Le grand magasin est le dernier<br />

trottoir du flâneur », analyse Walter Benjamin dans ses<br />

Écrits français.<br />

1. Peu de symboles sont aussi puissants que le grand<br />

magasin quand il est question de l’avènement du capitalisme,<br />

de la ville moderne et de la famille bourgeoise.<br />

Phénomène né au XIX e , il avait pour projet de mettre à<br />

disposition en un seul lieu différents types de biens<br />

qui ne se trouvaient jusqu’alors que dans les boutiques<br />

spécialisées. Et à une époque de transformation<br />

de la société, le grand magasin est le lieu témoin des<br />

changements des modes de consommation, des attitudes<br />

sexuelles et des relations de classes.<br />

2. Bennett’s of Irongate, dans la petite ville de Derby<br />

dans les East Midlands en Angleterre, est le premier<br />

grand magasin connu. Il a été créé en 1734 et est toujours<br />

en activité à ce jour.<br />

3. Puis, bien plus important en taille, Le Bon Marché<br />

à Paris, et premier grand magasin français. À l’origine<br />

petit commerce fondé par Aristide Boucicaut en 1838,<br />

il devint en 1852 un grand magasin à prix fixes. L’immeuble<br />

du 24 rue de Sèvres pourrait ainsi être le premier<br />

édifice au monde conçu et construit pour abriter<br />

un grand magasin.<br />

4. Au Bonheur des Dames (Émile Zola, 1883) est le<br />

roman du couple Boucicaut du Bon Marché, Octave<br />

Mouret et Denise Baudu. Mouret est un homme à<br />

femmes qui les exploite surtout pour son intérêt économique.<br />

Son goût des affaires est prononcé et il aime<br />

plus que tout manipuler les clientes, bien qu’il les<br />

méprise. Cela ne l’empêcha pas de tomber amoureux de<br />

Denise Baudu, une jeune provinciale montée à Paris<br />

pour être vendeuse au Bonheur des Dames, rue du<br />

Dix-Décembre.<br />

5. Le vol à l’étalage connut lui aussi un certain essor,<br />

comme un pendant au développement du concept, et<br />

une nouvelle pathologie est apparue : la cleptomanie.<br />

Jusqu’alors derrière des comptoirs ou dans des vitrines,<br />

les produits sont désormais sous les yeux et à portée<br />

de la main du client. Il faut amener les clients, principalement<br />

les clientes, à désirer des objets dont elles<br />

n’ont pas besoin ou qu’elles ne peuvent pas se payer.<br />

Certaines femmes, riches ou pauvres, ont dès lors succombé<br />

à ce que le psychologue suisse André Matthey<br />

a appelé « klopemania » et qui s’appellera plus tard<br />

cleptomanie.<br />

6. Le grand magasin a par ailleurs été célébré comme<br />

un facteur important de la libération de la femme.<br />

Là, elles pouvaient avoir une vie sociale en dehors<br />

du foyer et exercer un emploi respectable. À la fin<br />

du XIX e siècle, alors que l’économie se développait,<br />

les transports publics ont suivi le mouvement et les<br />

biens connurent une production accrue, de sorte que<br />

le shopping acquit le statut de passe-temps qu’on lui<br />

connaît aujourd’hui. La nouvelle population urbaine,<br />

plus riche et plus mobile, était à même d’apprécier des<br />

espaces publics conçus spécialement pour satisfaire<br />

ses besoins fonctionnels, sociaux et de représentation.<br />

7. Beaucoup de grands magasins devinrent alors des<br />

lieux de luxe, des palais imaginaires, qui apportaient<br />

toutes sortes de loisirs aux consommateurs : des shows<br />

musicaux, visuels, des spectacles de théâtre oriental…<br />

Et proposaient pléthore<br />

de services : garderie,<br />

espace de coiffure, club<br />

et salon d’écriture féminin<br />

et masculin, toilettes<br />

homme et femme, restaurant,<br />

salon de thé, toitjardin<br />

avec pergola, zoo,<br />

patinoire, galerie de peinture,<br />

banque, agence de<br />

voyages, alimentation et<br />

service de livraison.<br />

8. Le grand magasin<br />

allait devenir avec le<br />

XX e siècle un point de<br />

repère de la vie urbaine. « C ’est le regard du flâneur,<br />

dont le mode de vie couvre encore d’un éclat apaisant<br />

la désolation à laquelle sera bientôt voué l’habitant<br />

des grandes villes. Le flâneur […] se cherche un asile<br />

dans la foule […] Celle-ci est le voile à travers lequel<br />

la ville familière apparaît comme fantasmagorie et fait<br />

9. L’avènement du grand<br />

magasin est un moment<br />

clé pour la société tout<br />

entière. Il génère la production<br />

de masse, le<br />

marketing de masse et,<br />

finalement, l’entreprise<br />

moderne. À la fin du XIX e ,<br />

les magasins lancent des<br />

campagnes de publicité<br />

pour faire face au développement<br />

des stocks, des<br />

types de biens, et donc à<br />

la multiplication de la<br />

clientèle. Les catalogues, affiches et incitations tels<br />

que les facilités de crédit ou d’échange sont les prémisses<br />

du système de consommation de masse actuel.<br />

10. La galerie commerciale est certes devenue<br />

aujourd’hui le palais des désirs du consommateur<br />

contemporain, mais le grand magasin demeure un<br />

emblème de la vie moderne. Les grandes marques de<br />

luxe ne se satisfont plus de leurs boutiques propres :<br />

pas un grand magasin aujourd’hui qui ne propose<br />

dans ses murs un espace Louis Vuitton, Gucci ou<br />

Prada ! Dans chacun d’eux, une abondance de biens<br />

exhibés, un environnement visuel séducteur mais<br />

aussi l’absence de vitrine et d’horloge, tout participe<br />

à l’entreprise d’éblouissement du consommateur. Le<br />

client peut ainsi fuir la réalité et plonger dans un<br />

monde de rêve de la consommation. Et pour progresser<br />

dans ce labyrinthe si déroutant, il ne lui faut rien<br />

moins qu’un psychopompe, incarné ici par un personal<br />

shopper, pour l’accompagner dans ces méandres<br />

enivrants.<br />

Anja Aronowsky Cronberg<br />

Traduit de l’anglais par<br />

Thibaut Mosneron Dupin<br />

Walter Benjamin, Œuvres, Gallimard « Folio Essais ».<br />

MAGAZINE N O 8<br />

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