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L'intégralité du colloque - CAUE

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ensemble <strong>du</strong> grand nombre. Il s’agit de la masse, disait Paul Ricœur, il y manque la gloire. Certains ont<br />

voulu inscrire, face à ce changement, une continuité de travestissement. Bofill a fait « Versailles pour le<br />

peuple », « Antigone », « Le Palacio d’Abraxas », des logements parvenus, des simulacres de gloire.<br />

Pour certains, cette émergence <strong>du</strong> tout-venant sent le souffre et la poudre, inverse un ordre de la<br />

distinction et dérange désagréablement des « liturgies » patrimoniales - François Loyer a parlé de «<br />

sectes » patrimoniales - où la parole errante vient soudain couvrir les figures anciennes et les rendre<br />

à leur tour inaudibles ou invisibles.<br />

Comment faire pour créer des éléments marquants, des jalons mémoriels dans l’histoire de la ville,<br />

qui servent des valeurs actuelles ? Nietzsche, dans le « Gai Savoir » appelait la création dans les<br />

grandes villes de monuments laïques, destinés à la méditation et au retirement temporaire des<br />

passants, des lieux, disait-il, pour ceux qui n’ont pas de dieux. Mais le plus important, c’est l’ordinaire.<br />

Trouver des grands architectes pour construire des arcs de triomphe est facile. L’architecture <strong>du</strong><br />

quotidien est beaucoup plus difficile. Le travail des <strong>CAUE</strong> est à ce titre extraordinaire puisqu’ils se<br />

préoccupent justement de l’ordinaire. L’assomption de l’indivi<strong>du</strong> comme valeur suprême correspond<br />

à l’émergence d’une architecture virtuose, d’objets autonomes, solitaires et désolidarisés. La ville ne<br />

se fait pas par cette eau-là, comme une pluie tombée <strong>du</strong> ciel. Assez d’originalité géniale, répétons-le<br />

encore, il faut qu’une maison ressemble à une maison, réclamait Adolf Loos. On reconnaît la qualité<br />

d’un homme à son ordinaire, nous devrions nous en préoccuper.<br />

Un autre phénomène <strong>du</strong> XX e siècle est ce que l’on a appelé la négativité. Le XX e siècle fut, selon Albert<br />

Camus, un siècle impitoyable, empli d’horreur.s Paul Virilio, qui avait défini une Bunker Archéologie,<br />

recensant notamment les bases sous-marines, veut intro<strong>du</strong>ire une archéologie préventive, ce sont<br />

ses termes, de la négativité. Il faut, dit-il, instaurer et conserver des monuments négatifs : le musée<br />

au centre d’Hiroshima, celui d’Auschwitz qui sont inscrits au Patrimoine mondial, Oradour-sur-Glane,<br />

le Struthof, non pour représenter la beauté et la gloire mais parce que ce monument négatif est<br />

terrorisant et qu’il nous aidera à prévenir l’impensable et la catastrophe, d’Auschwitz à Srebrenica,<br />

en passant par Tchernobyl et Ground Zero. La négativité et l’erreur doivent avoir une dimension<br />

culturelle, affirme Virilio. En architecture, il faut établir un principe de précaution et intro<strong>du</strong>ire l’éthique<br />

dans l’esthétique. Pour le patrimoine, précise-t-il, il ne faut pas vouloir tout sauver. Il ajoute d’ailleurs<br />

que quand en matière militaire on veut tout défendre d’un territoire, on est sûr de perdre. Mais, dit-il,<br />

il faut conserver l’erreur architecturale, quelques erreurs monumentales doivent faire partie au titre<br />

de la négativité de notre patrimoine. Je pense qu’il serait facile d’en trouver quelques unes.<br />

Je voudrais maintenant essayer de préciser, dans le détail, en quoi le passage <strong>du</strong> XX e siècle constitue<br />

un changement de nature <strong>du</strong> patrimoine. Le XX e siècle doit refonder les valeurs patrimoniales. Il<br />

marque l’arrivée d’une architecture de masse et la prise en compte d’une demande sociale. Hormis<br />

quelques grands projets de la puissance publique, le patrimoine <strong>du</strong> quotidien, le patrimoine social et<br />

le petit patrimoine deviennent prégnants. Le XX e siècle aura été le siècle le plus constructeur mais<br />

aussi le plus destructeur de l’histoire de l’humanité. Julien Gracq parlera à ce propos <strong>du</strong> « vertige de<br />

la métamorphose » des villes. En France les quatre cinquièmes de nos logements ont été construits<br />

après 1914, et plus de la moitié depuis 1950. En trente années après la guerre, on construira davantage<br />

que pendant les trois siècles précédents.<br />

Alors comment devenir patrimoine ? Ce qui accède le plus naturellement au patrimoine est ce qui<br />

n’a plus d’usage, et plus encore ce qui n’en a jamais eu de fonctionnel. Le meilleur exemple étant,<br />

selon moi, celui de ces bâtiments d’un seul niveau à 35 mètres de hauteur sous plafond, je veux parler<br />

des cathédrales. On pourrait aussi ajouter que c’est aussi ce qui n’a plus d’âge. Il faut laisser vieillir le<br />

contemporain d’aujourd’hui pour qu’il devienne patrimoine visible. Moi je ne suis pas personnellement<br />

choqué par la faible proportion de patrimoine <strong>du</strong> XX e siècle aujourd’hui protégé parce qu’on a le<br />

20<br />

ARCHITECTURES ET PATRIMOINES DU XX e SIÈCLE<br />

de l’indifférence à la reconnaissance

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