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Un livre les Mots de la terre - Pardessuslahaie.net

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LES MOTS DE LA TERRE<br />

Paro<strong>les</strong> d’agriculteurs<br />

en pays <strong>de</strong> Pontivy<br />

1


LES MOTS DE LA TERRE<br />

Paro<strong>les</strong> d’agriculteurs<br />

en pays <strong>de</strong> Pontivy<br />

Les textes <strong>de</strong> :<br />

C<strong>la</strong>ire Raflé<br />

Catherine Le Clezio<br />

Joseph Garin<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> Guégan<br />

Valérie Le Ruyet<br />

L’auteur pour Liv’éditions<br />

Martine Rouellé<br />

Les photos <strong>de</strong> :<br />

Laurent Gueneau<br />

2


Sommaire<br />

LE LIEU DE VIE ......................................................................................................9<br />

La maison .............................................................................................................9<br />

La famille........................................................................................................... 19<br />

Le quotidien ..................................................................................................... 23<br />

Les vacances .................................................................................................... 44<br />

La succession .................................................................................................. 50<br />

LES RELATIONS EXTERIEURES ................................................................. 58<br />

Le vil<strong>la</strong>ge ........................................................................................................... 58<br />

La <strong>terre</strong> et <strong>les</strong> animaux ............................................................................... 68<br />

Le temps ............................................................................................................ 77<br />

LE GVA (Groupement <strong>de</strong> Vulgarisation <strong>de</strong> l’Agriculture) .......... 80<br />

CHANGER LE REGARD .................................................................................... 92<br />

Produire pour nourrir ................................................................................ 92<br />

L’écriture ........................................................................................................ 108<br />

Le besoin <strong>de</strong> reconnaissance ................................................................ 114<br />

Conclusion <strong>de</strong> l’aventure ........................................................................ 120<br />

Remerciements : ............................................................................................. 122<br />

3


En septembre 2008, lors du conseil d’administration du<br />

Groupement <strong>de</strong> Vulgarisation Agricole, Valérie, C<strong>la</strong>ire, Catherine,<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> et Jo, agriculteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> région <strong>de</strong> Pontivy, s’interrogent<br />

sur <strong>la</strong> représentation que se fait le mon<strong>de</strong> extérieur <strong>de</strong> leur<br />

métier.<br />

« Les gens sont-ils conscients <strong>de</strong> ce qui se passe dans notre<br />

profession, questionnait Joseph :<br />

Comment nous faire entendre ? <strong>de</strong>mandait Catherine.<br />

Il faudrait l’écrire », pensait tout haut Valérie.<br />

La conseillère, Marie-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, propose alors <strong>de</strong> mettre par écrit le<br />

ressenti <strong>de</strong> chacun. Si tous adhèrent à l’idée, <strong>la</strong> mise en pratique<br />

se trouve confrontée à une première difficulté. L’époque <strong>de</strong>s<br />

rédactions faites à l’école est bien lointaine, mettre sa pensée en<br />

mots sur le papier se révèle plus complexe que d’échanger par <strong>la</strong><br />

parole. Comment fixer son idée, l’organiser, <strong>la</strong> rendre<br />

compréhensible ? Comment faire passer <strong>les</strong> émotions,<br />

transmettre <strong>les</strong> images ?<br />

Deux mois plus tard, un premier contact est établi entre <strong>les</strong><br />

agriculteurs et <strong>les</strong> animateurs d’un atelier d’écriture, Pierre et<br />

Simone.<br />

« Témoins <strong>de</strong> compréhension et d'ajustement, nous nous sommes<br />

efforcés <strong>de</strong> rendre cohérent ce que chacun <strong>de</strong>s cinq intervenants<br />

avaient à exprimer. Cette présence, tout au long <strong>de</strong>s trois années<br />

d'écriture, aussi discrète que possible, n'a pas été neutre, malgré<br />

notre souci d'objectivité. Les échos renvoyés aux uns et aux autres,<br />

ou suscités entre <strong>les</strong> uns et <strong>les</strong> autres, à chaque séance, ont modifié<br />

<strong>les</strong> trajectoires <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong>s « écrivants », comme <strong>de</strong>s nôtres. La<br />

liberté entre nous et le respect réciproque ont été suffisamment<br />

grands pour nous permettre d'aboutir à ce texte collectif qui, le<br />

plus souvent, prend <strong>la</strong> forme d'un colloque, au sens que <strong>la</strong> tradition<br />

donne à ce terme : un entretien entre plusieurs personnes, dans <strong>la</strong><br />

diversité <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue ».<br />

Trois années s’écoulent pendant <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> cinq écrivains<br />

amateurs expriment à <strong>la</strong> fois toutes <strong>les</strong> palettes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong><br />

paysan et toutes <strong>les</strong> couleurs <strong>de</strong> leurs humeurs. Ils témoignent<br />

avec simplicité et spontanéité d’un métier dans lequel ils sont<br />

entrés par tradition familiale ou par choix. Ils évoquent <strong>les</strong><br />

enfants qui grandissent dans leur univers professionnel et<br />

s’investissent dans certains travaux. Prendront-ils <strong>la</strong> suite <strong>de</strong><br />

l’exploitation ?<br />

Ils expliquent leur travail, <strong>les</strong> gestes répétitifs, le paysage qui<br />

change en fonction <strong>de</strong>s saisons, <strong>les</strong> animaux d’élevage ou<br />

domestiques, <strong>les</strong> cultures.<br />

Les re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> voisinage peuvent parfois se révéler<br />

conflictuel<strong>les</strong> mais el<strong>les</strong> montrent également <strong>la</strong> solidarité entre<br />

vil<strong>la</strong>geois, l’entrai<strong>de</strong> lors <strong>de</strong>s travaux agrico<strong>les</strong>, <strong>la</strong> participation<br />

aux fêtes, <strong>les</strong> échanges et <strong>la</strong> communication sociale.<br />

L’agriculteur ne compte ni ses jours <strong>de</strong> travail, ni son temps, ni le<br />

sacrifice <strong>de</strong> ses loisirs. Il doit se plier à une réglementation <strong>de</strong><br />

plus en plus draconienne pour un gain toujours réduit. Pour ne<br />

pas se sentir isolé et pour partager avec d’autres, <strong>les</strong><br />

associations, comme le GVA, permettent d’échanger sur <strong>de</strong>s<br />

sujets techniques ou sociaux, <strong>de</strong> rire, <strong>de</strong> pleurer aussi parfois.<br />

Cette nécessaire soupape <strong>de</strong> sécurité se fait au sein d’un groupe<br />

convivial, solidaire et heureux <strong>de</strong> se réunir.<br />

Les hommes et <strong>les</strong> femmes qui travaillent dans l’agriculture ont<br />

un but fondamental : nourrir <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. La passion <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong><br />

4


et <strong>de</strong>s animaux leur ont fait choisir ce métier. Or, il n’est pas<br />

reconnu et subit <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong> tous bords.<br />

Les cinq auteurs souhaitent faire ressentir au lecteur<br />

l’attachement à leur métier mais aussi leurs doutes, leurs<br />

désarrois, voire leur rage.<br />

« Nous ne parlons pas au nom d’une profession, ni au nom d’une<br />

communauté, nous rendons simplement compte <strong>de</strong> notre vie <strong>de</strong><br />

paysans. Nous prenons <strong>la</strong> parole avec franchise pour témoigner<br />

<strong>de</strong> nous-mêmes, paysans, ici et maintenant, sur notre petit bout<br />

<strong>de</strong> <strong>terre</strong> <strong>de</strong> Bretagne.<br />

Nous souhaitons affirmer ce que nous sommes, en tant que<br />

personne et partager avec vous, un peu du chemin <strong>de</strong> notre vie.<br />

Nous essayons d’apprivoiser <strong>les</strong> mots qui correspon<strong>de</strong>nt le<br />

mieux à notre personnalité, avec sincérité ».<br />

Au fil <strong>de</strong>s pages, <strong>les</strong> écrits se font écho. Vous ferez <strong>la</strong><br />

connaissance <strong>de</strong> Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, partagerez sa vie au milieu <strong>de</strong> ses<br />

<strong>la</strong>pins, et ses démêlés avec son ordinateur ou sa comptabilité.<br />

Vous aurez peut-être <strong>la</strong> chance <strong>de</strong> goûter à son civet <strong>de</strong> <strong>la</strong>pin aux<br />

petits pois tout en feuilletant l’album-photos <strong>de</strong> son voyage<br />

d’étu<strong>de</strong>s au Québec.<br />

Vous arpenterez <strong>les</strong> champs avec Joseph, et muni <strong>de</strong> votre<br />

bi<strong>net</strong>te, vous traquerez, comme lui, <strong>les</strong> repousses <strong>de</strong> rumex. Il<br />

vous invitera à boire un café ou vous fera goûter sa limona<strong>de</strong> au<br />

sureau. Il vous racontera ses aventures rocambo<strong>les</strong>ques et vous<br />

entrainera sous son hangar voir sa <strong>de</strong>rnière invention pour<br />

presser <strong>la</strong> graine <strong>de</strong> chanvre.<br />

Vous irez chercher <strong>les</strong> vaches au champ avec Catherine, soigner<br />

ses cochons tout l’écoutant vous expliquer le cours du porc<br />

breton. Ses fils, férus <strong>de</strong> matériel, ne manqueront pas <strong>de</strong> vous<br />

embaucher pour une corvée d’ensi<strong>la</strong>ge virtuel sous <strong>la</strong> table <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cuisine avant <strong>de</strong> vous embarquer au vrai potager ramasser leur<br />

production <strong>de</strong> radis.<br />

Il vous faudra vous lever <strong>de</strong> bonne heure pour suivre Valérie à <strong>la</strong><br />

salle <strong>de</strong> traite et avoir le pied alerte pour courir après <strong>les</strong><br />

génisses. Elle vous parlera, avec <strong>les</strong> yeux qui brillent, <strong>de</strong> son<br />

bonheur, ses fil<strong>les</strong> et sa prochaine <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> vacances, à<br />

moins que le prix du <strong>la</strong>it n’ait ce jour-là assombri sa journée.<br />

Et puis, un soir, vous franchirez le seuil d’une vieille bâtisse et<br />

serez accueilli par C<strong>la</strong>ire, en chambre d’hôtes à <strong>la</strong> ferme. Vous<br />

partagerez son univers, elle vous contera l’histoire <strong>de</strong> Grisette, <strong>la</strong><br />

mule qui ne vou<strong>la</strong>it pas être apprivoisée. Et tout en épluchant <strong>les</strong><br />

pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> pour le repas du midi, elle vous re<strong>la</strong>tera <strong>de</strong>s<br />

anecdotes sur ses hôtes ou ses coups <strong>de</strong> colère mémorab<strong>les</strong>.<br />

Mais quelle que soit sa préoccupation du moment, sa potée sera<br />

toujours aussi réconfortante.<br />

Vous ne pourrez oublier tous ces moments précieux passés au<br />

plus près <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces paysans. Puissent ces petites<br />

étincel<strong>les</strong> <strong>de</strong> vie, <strong>la</strong>ncées comme autant <strong>de</strong> graines, comme sont<br />

égrenés leurs mots, vous inviter à <strong>les</strong> accompagner dans leurs<br />

gestes au quotidien, gestes précieux qui vous relient à eux, et<br />

nous tous à <strong>la</strong> Terre.<br />

Souhaitons que cette forme du dialogue sociétal puisse s'ouvrir au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> notre petit cercle et contribuer à une meilleure<br />

compréhension <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres, au seuil d'un « vivre<br />

ensemble » qui a besoin <strong>de</strong> se renouveler en ces temps <strong>de</strong> crise.<br />

Simone et Pierre<br />

5


Pierre : L’agriculture remonte à plusieurs millénaires dans le<br />

bassin <strong>de</strong> Pontivy. Des fouil<strong>les</strong> ont été réalisées dans le canton qui<br />

confirment l'ancien<strong>net</strong>é <strong>de</strong> cette occupation du sol au Néolithique.<br />

Joseph : Ces fouil<strong>les</strong> ont été faites, en août 2007, par un groupe<br />

d'une douzaine <strong>de</strong> personnes : archéologues, <strong>de</strong>ssinateurs,<br />

étudiants, bénévo<strong>les</strong>. Grâce au mobilier lithique, ce site du<br />

Dillien est répertorié avec celui <strong>de</strong> Bellevue en Neulliac, comme<br />

datant du Néolithique ancien, soit 5000 ans avant J.C.<br />

L'archéologue Grégoire Marchand, ayant obtenu un budget, s'est<br />

mis en re<strong>la</strong>tion avec Gérard Tournay <strong>de</strong> Neulliac, passionné<br />

d'archéologie et ayant déjà effectué <strong>de</strong>s repérages sur ce site.<br />

Avec l'accord du propriétaire du champ, <strong>de</strong>s tranchées ont été<br />

creusées afin <strong>de</strong> rechercher <strong>de</strong>s traces.<br />

Les hommes utilisaient <strong>de</strong>s outils dont <strong>les</strong> fameuses haches<br />

polies. <strong>Un</strong>e bonne partie <strong>de</strong>s agriculteurs du coin en possè<strong>de</strong> au<br />

moins une dans leur armoire. La position géographique<br />

correspond à l’imp<strong>la</strong>ntation <strong>de</strong>s chasseurs-cueilleurs venus <strong>de</strong><br />

l’Europe <strong>de</strong> l’Est. L’endroit est stratégique car pour se<br />

sé<strong>de</strong>ntariser <strong>les</strong> hommes avaient besoin d'un lieu hors d'eau, 6 à<br />

7 mètres au-<strong>de</strong>ssus d'un cours d'eau, ensoleillé et boisé. Ils<br />

défrichent le territoire et pratiquent l’élevage.<br />

Ces hommes sont donc <strong>les</strong> premiers agriculteurs du canton.<br />

L'histoire ne nous dit pas s’ils étaient accueil<strong>la</strong>nts, comme tous<br />

ceux qui sont venus apporter, lors <strong>de</strong>s fouil<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s haches polies<br />

pour qu'el<strong>les</strong> soient <strong>de</strong>ssinées.<br />

A partir <strong>de</strong> ce petit échantillon, le Groupement <strong>de</strong> Vulgarisation<br />

<strong>de</strong> l’Agriculture a réalisé une exposition afin <strong>de</strong> présenter le<br />

travail effectué lors <strong>de</strong>s fouil<strong>les</strong>, montrer <strong>les</strong> haches polies, <strong>les</strong><br />

silex, et présenter ce qu'était le Néolithique. Cette exposition a<br />

eu lieu tout l'été <strong>de</strong> 2008 dans une salle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mairie <strong>de</strong><br />

Cléguérec.<br />

Pierre : As-tu d'autres remarques qui aient un rapport avec votre<br />

environnement ?<br />

Joseph : Le Canal <strong>de</strong> Nantes à Brest a beaucoup compté dans le<br />

passé récent <strong>de</strong> <strong>la</strong> région. C'est un cours d'eau artificiel décidé<br />

par Napoléon et réalisé au début du XIX e siècle. Il passe à cinq<br />

cent mètres à vol d'oiseau <strong>de</strong> ma maison. Je l'aperçois d'une <strong>de</strong><br />

mes parcel<strong>les</strong> agrico<strong>les</strong>.<br />

De nombreuses revues lui ont été consacrées. Sans entrer dans<br />

le détail, ce canal a été creusé à <strong>la</strong> main, en majorité par <strong>de</strong>s<br />

prisonniers venus d'Espagne. Il a été conçu pour <strong>la</strong> navigation <strong>de</strong><br />

marchandises faites par <strong>de</strong>s péniches tirées avec <strong>de</strong>s chevaux.<br />

Pour alimenter ce canal en eau tout au long <strong>de</strong> son parcours, il a<br />

fallu construire en parallèle, ce que l'on appelle <strong>de</strong>s rigo<strong>les</strong><br />

d'alimentation, <strong>de</strong>s biefs <strong>de</strong> partage. Ce sont <strong>de</strong> petits cours<br />

d'eau dont le dénivelé entre le point <strong>de</strong> départ et le point<br />

d'arrivée est très faible. Pour <strong>la</strong> partie du canal <strong>de</strong> Nantes à Brest<br />

qui passe près <strong>de</strong> chez moi, <strong>la</strong> rigole démarre à Bosméléac dans<br />

<strong>les</strong> Côtes-d'Armor, à une vingtaine <strong>de</strong> kilomètres.<br />

Le cours d'eau, en revanche, avec son faible dénivelé, sillonne <strong>la</strong><br />

campagne costarmoricaine sur une distance bien plus longue. Le<br />

fond du lit a été réalisé en argile sur une <strong>la</strong>rgeur d'un mètre en<br />

eau. Il est bordé d’arbres, soit <strong>de</strong>s hêtres, soit <strong>de</strong>s chênes, comme<br />

pour le canal.<br />

Le canal proprement dit mesure dix mètres <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge, il est bordé<br />

par endroit d’étangs où sont aménagées <strong>de</strong>s écluses, afin <strong>de</strong><br />

compenser <strong>la</strong> forte pente rencontrée sur son parcours. Ces<br />

écluses, d'une longueur <strong>de</strong> quarante mètres et d'une <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong><br />

six mètres avec aux extrémités <strong>de</strong>ux portes qui s’ouvrent et se<br />

6


ferment pour recevoir <strong>les</strong> bateaux sont toutes construites en<br />

pierre <strong>de</strong> granite taillée.<br />

<strong>Un</strong>e seule péniche pouvait se présenter dans l'écluse ; <strong>les</strong> étangs<br />

font office actuellement <strong>de</strong> zone d’évitement aux autres bateaux,<br />

si plusieurs d'entre eux s’y présentent<br />

Comme mentionné plus haut, <strong>les</strong> bords du canal sont aussi<br />

p<strong>la</strong>ntés d'arbres. Des essences loca<strong>les</strong> poussent en campagne<br />

parfois, dans <strong>la</strong> traversée <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Pontivy, on rencontre <strong>de</strong>s<br />

palmiers. La partie du canal près <strong>de</strong> chez moi a <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité<br />

d'avoir une série d'étangs et d'écluses, ce qui lui donne à l'heure<br />

actuelle un charme propice à <strong>la</strong> marche et à <strong>la</strong> découverte.<br />

Du fait <strong>de</strong> sa proximité, je m'y rends souvent à vélo, plutôt l'été<br />

en fin journée pour regar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gardons ou autres<br />

poissons à <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> l'eau.<br />

L'automne est aussi un moment privilégié car <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong>s<br />

feuil<strong>les</strong> <strong>de</strong> hêtre passe du vert à l’ocre doré. Si un jour d'automne<br />

vous passez sur l'axe Pontivy-St-Cara<strong>de</strong>c et que vous voyez <strong>la</strong><br />

pancarte : Canal <strong>de</strong> Nantes à Brest, arrêtez-vous et <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>z<br />

faire une marche en direction du pont <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer situé à<br />

trois cents mètres <strong>de</strong> votre route, car cette partie encaissée est<br />

naturellement boisée. En revenant sur vos pas, passez sous le<br />

pont <strong>de</strong> <strong>la</strong> route où vous vous êtes arrêtés et prolongez jusqu'aux<br />

écluses et étangs, afin <strong>de</strong> découvrir ce dénivelé permettant<br />

d’admirer <strong>les</strong> prouesses faites par <strong>de</strong>s mains d'hommes (et aussi<br />

peut-être <strong>de</strong> femmes).<br />

7


LE LIEU DE VIE<br />

La maison<br />

Valérie : A<strong>la</strong>in s'est installé en 1992. Nous avons habité un<br />

appartement au bourg <strong>de</strong> Cléguérec, pendant quatre années, ce<br />

n'était pas très pratique pour le travail. Nous avons eu<br />

l'opportunité <strong>de</strong> nous rapprocher dans le vil<strong>la</strong>ge. Mais au bout <strong>de</strong><br />

quelque temps, nous nous sommes dit : Pourquoi ne pas<br />

construire ? Mais où ? N'ayant pas <strong>de</strong> terrain à proximité <strong>de</strong><br />

l'exploitation, comment faire ? C'est une conseillère <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

chambre d'Agriculture qui nous a ouvert <strong>les</strong> yeux en nous<br />

rappe<strong>la</strong>nt que nous possédions un bois dans un coin du vil<strong>la</strong>ge,<br />

bien centré entre <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s qu'A<strong>la</strong>in venait d'acquérir ces<br />

années-là. Pourquoi ne pas tenter l’aventure ? Qui ne tente rien<br />

n'a rien…<br />

Au bout <strong>de</strong> plusieurs mois <strong>de</strong> démarches administratives, nous<br />

avons obtenu le permis <strong>de</strong> construire. Le projet pouvait<br />

commencer par le déboisement, afin d’obtenir une c<strong>la</strong>irière<br />

assez lumineuse avec un bon ensoleillement. Nous sommes<br />

situés en hauteur du vil<strong>la</strong>ge qui comprend une vingtaine <strong>de</strong><br />

maisons d'habitation, en plus <strong>de</strong> notre ancienne exploitation.<br />

Nous savions ce que nous voulions : une maison simple et<br />

fonctionnelle avec beaucoup <strong>de</strong> chaleur, autant humaine que<br />

naturelle.<br />

On y entre par le sous-sol, par commodité par rapport à<br />

l'exploitation, avec une cuisine pour <strong>les</strong> chantiers d'ensi<strong>la</strong>ge et<br />

une salle <strong>de</strong> bain pour qu’A<strong>la</strong>in évite <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> <strong>la</strong> poussière à<br />

l'étage, lorsqu’il rentre <strong>de</strong>s champs pendant <strong>les</strong> pério<strong>de</strong>s sèches.<br />

Ensuite, vient <strong>la</strong> pièce principale, à <strong>la</strong> fois salle, salon et cuisine<br />

pour profiter d'être tous, tout le temps, ensemble. <strong>Un</strong>e cheminée<br />

centrale y est aménagée. Cette pièce est très lumineuse avec ses<br />

<strong>de</strong>ux baies vitrées et très chaleureuse grâce à ses couleurs<br />

chau<strong>de</strong>s, jaune pale et saumon oranger. J'adore ces teintes, ce<strong>la</strong><br />

me donne <strong>de</strong> l'énergie.<br />

Vient ensuite l'étage, constitué <strong>de</strong> trois chambres. La chambre<br />

princesse rose et violette d’Océane, puis <strong>la</strong> nôtre qui se trouve<br />

côté sud. Quand le soleil traverse le carreau du velux, il chauffe<br />

mon lit, ce qui donne envie d'y plonger. Enfin celle <strong>de</strong> Coralie,<br />

vert pastel, rose et b<strong>la</strong>nche, <strong>de</strong>s tons frais et lumineux, comme<br />

son sourire. Enfin, <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> bain verte, couleur <strong>de</strong> l'espoir.<br />

Aujourd'hui, alors que j'écris ces mots, je me dis : Quelle chance<br />

nous avons d'avoir ce magnifique cadre <strong>de</strong> vie ! Du pied du lit,<br />

parfois, on aperçoit <strong>les</strong> chevreuils paître sur <strong>la</strong> pelouse. Assise<br />

sur ma chaise quand je lève <strong>la</strong> tête, j'aperçois <strong>les</strong> azalées qui vont<br />

éclore, <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong>s arbres qui change tous <strong>les</strong> jours, l'herbe<br />

qui pousse. Je ne me <strong>la</strong>sse pas d’observer en mai, mon mois<br />

préféré, tous <strong>les</strong> bouleversements <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature.<br />

Quel p<strong>la</strong>isir nous avons <strong>de</strong> vivre dans notre maison et<br />

d'accueillir notre famille et nos amis l'été, sur <strong>la</strong> terrasse<br />

embaumée par <strong>les</strong> rosiers ; l'automne, quand <strong>les</strong> feuil<strong>les</strong><br />

tombent ; l'hiver, quand <strong>les</strong> arbres sont recouverts <strong>de</strong> neige,<br />

assis sur le bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> cheminée, on se sent baignés d’une<br />

atmosphère cordiale. Notre maison ne nous apporte que du<br />

bonheur.<br />

C<strong>la</strong>ire : Notre maison n'est pas toute neuve, ses plus vieux murs<br />

datent <strong>de</strong> 1664. Cette longère tout en granite, gran<strong>de</strong> et massive,<br />

avec une poutraison impressionnante, comporte <strong>de</strong>ux étages et<br />

un immense grenier, témoins d'un passé remontant sans doute<br />

aux riches heures du commerce du lin. La grange adjacente, au<br />

pilier <strong>de</strong> granite et aux stal<strong>les</strong> <strong>de</strong> schiste, abrite <strong>la</strong> cave à cidre <strong>de</strong><br />

1880. L'ancienne étable, accolée à l'arrière <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, a été<br />

rajoutée dans l'entre-<strong>de</strong>ux-guerres.<br />

9


Nous en avons hérité <strong>de</strong>s parents et grands- parents <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s,<br />

en 1991, quand nous avons décidé <strong>de</strong> reprendre <strong>la</strong> ferme<br />

familiale. Elle comprend aussi <strong>les</strong> hangars agrico<strong>les</strong>, le matériel,<br />

et en prime toute l'histoire et le passé d'une maison et d'une<br />

famille, héritage avec son lot <strong>de</strong> bonheur et aussi ses non-dits.<br />

La ferme <strong>de</strong> Lintever, cette belle maison entourée d'un très joli<br />

jardin, où s’épanouissent rhodo<strong>de</strong>ndrons, camélias, châtaigniers,<br />

nous l'avons d'abord aménagée pour nous, Nico<strong>la</strong>s et moi, pour y<br />

fon<strong>de</strong>r notre foyer, y faire naître nos petits : Marie en 1993,<br />

Thomas en 1995 et Juliette en 1998. L'aménagement s'est donc<br />

fait petit à petit et <strong>de</strong> petit en petit. Depuis 1991, il ne se passe<br />

pas <strong>de</strong>ux ans sans déménagements intérieurs et travaux ou<br />

réaffectations <strong>de</strong> pièces. Je pense que notre chambre a dû<br />

voyager dans toutes <strong>les</strong> pièces <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison (sauf <strong>la</strong> cuisine).<br />

À <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> Juliette, j'ai eu envie, et besoin, <strong>de</strong> prendre du<br />

recul par rapport à ma vie professionnelle et me créer une<br />

activité plus proche <strong>de</strong>s miens et répondant à mes aspirations.<br />

C'est ainsi qu'a germé tranquillement et <strong>de</strong> plus en plus<br />

précisément, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vague idée au p<strong>la</strong>n métré, le projet <strong>de</strong> quatre<br />

chambres d'hôtes que nous avons finalement inaugurées en<br />

2003.<br />

Que j'aime notre maison ! C'est une vraie maison soli<strong>de</strong>, bien<br />

p<strong>la</strong>ntée là, en haut d'une colline, à <strong>la</strong> campagne, <strong>de</strong> stature<br />

rassurante, avec <strong>de</strong>s murs épais <strong>de</strong> plus d’un mètre. Il y règne<br />

souvent une bonne o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> gâteaux. Il y a toujours un peu <strong>de</strong><br />

bazar, on y entend souvent <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique ou une radio, <strong>de</strong>s<br />

<strong>livre</strong>s traînent dans chaque pièce, <strong>de</strong>s chiens se pré<strong>la</strong>ssent sous<br />

nos pieds. Les enfants rient ou se chamaillent selon le temps.<br />

Nico<strong>la</strong>s entre, sort et repart au champ, et moi je m'affaire entre<br />

<strong>la</strong> cuisine et le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison. En hiver, un feu ronfle dans le<br />

poêle à bois.<br />

Dehors, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> maison, on trouve toujours quelques fonds <strong>de</strong><br />

cassero<strong>les</strong> pour <strong>les</strong> oiseaux et <strong>les</strong> chats ; aux beaux jours <strong>de</strong>s<br />

restes <strong>de</strong> goûter ou décossage <strong>de</strong> petits pois sur <strong>la</strong> table <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

terrasse ; en automne <strong>de</strong>s seaux <strong>de</strong> pommes et <strong>de</strong>s potirons en<br />

file d’attente pour <strong>les</strong> prochaines soupes et compotes. Et tout<br />

autour, le jardin verdoyant et luxuriant que j'aime avec ce<br />

mé<strong>la</strong>nge d'essences précieuses, <strong>de</strong> beaux arbres et d'herbes<br />

fol<strong>les</strong> qui croissent et s'entremêlent avec naturel et liberté pour<br />

mon plus grand bonheur. Et enfin, une vue magnifique sur <strong>les</strong><br />

collines ou <strong>les</strong> champs cultivés et <strong>les</strong> prairies découpées en<br />

damiers avec, à l'horizon, <strong>les</strong> buttes <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt <strong>de</strong> Quénécan.<br />

Oui, j'aime ma vie, ma maison, mon jardin et mon pays. C'est un<br />

peu tout ce<strong>la</strong> que j'ai voulu partager en ouvrant <strong>les</strong> chambres<br />

d'hôtes : ouvrir <strong>les</strong> portes d'une vraie maison, offrir aux hôtes <strong>la</strong><br />

chance d’y partager <strong>de</strong>s moments privilégiés, dans un lieu qui a<br />

un passé, un présent, un futur, bref qui vit.<br />

Bien sûr, d'autres motivations se greffent : envie <strong>de</strong> créer sa<br />

propre activité, être maître <strong>de</strong> son projet, travailler avec <strong>les</strong> gens<br />

du coin, cuisiner et décorer, faire connaître son pays, gagner sa<br />

vie. Mais toutes ces raisons ne valent rien sauf si, <strong>de</strong> temps en<br />

temps, quand tous <strong>les</strong> astres sont bien alignés, nous avons <strong>la</strong><br />

chance <strong>de</strong> vivre en commun <strong>de</strong>s moments uniques avec nos<br />

hôtes. On ne gagne pas à tous <strong>les</strong> coups. Il y a <strong>de</strong>s matins ou rien<br />

<strong>de</strong> spécial ne se passe, c'est juste sympathique. Mais d’autres<br />

matins, <strong>les</strong> touristes se déten<strong>de</strong>nt, <strong>la</strong>issent tomber leurs<br />

masques. Je leur raconte <strong>de</strong>s histoires et ils me racontent <strong>les</strong><br />

leurs. Les <strong>la</strong>ngues se délient et <strong>de</strong>s rires fusent, et là, c'est <strong>la</strong><br />

magie qui opère : il y a <strong>de</strong>s vibrations <strong>de</strong> bonheur qui sont<br />

palpab<strong>les</strong>. J'utilise souvent le mot communion parce que c'est ce<br />

que l'on ressent et je suis très fière que ces moments <strong>de</strong> partage,<br />

rares, précieux, inespérés, inattendus, inoubliab<strong>les</strong> se passent<br />

dans ma maison.<br />

10


Catherine : Ma maison ? C’est celle que mes beaux parents<br />

ont construite en 1972, tout près <strong>de</strong> l’exploitation et dont<br />

nous avons hérité en 1995, lorsque j’ai été mutée à Saint-<br />

Brieuc, après trois années passées seule à Angers.<br />

A mon retour en Bretagne, mes beaux parents se sont alors<br />

installés naturellement dans leur maison neuve construite<br />

dans le bourg <strong>de</strong> Kergrist.<br />

Malgré <strong>les</strong> kilomètres qui séparaient mon domicile <strong>de</strong> mon<br />

travail, j’ai choisi d’habiter au Botcol. Mais 11 ans plus tard,<br />

ces 95 kms quotidiens ont fini par me <strong>la</strong>sser. Mon emploi<br />

offrait peu <strong>de</strong> perspectives d’évolution <strong>de</strong> carrière, voilà<br />

comment je suis là aujourd’hui à écrire ces quelques mots.<br />

Quelques années ont été nécessaires pour que je<br />

commence à me sentir chez moi. Dès le début, nous avons<br />

entamé quelques travaux : casser <strong>les</strong> cloisons du couloir,<br />

changer le carre<strong>la</strong>ge, pour s’approprier notre nouveau<br />

logement.<br />

<strong>Un</strong>e nouvelle famille s’est constituée, remp<strong>la</strong>çant celle<br />

d’origine, <strong>la</strong> mienne, composée <strong>de</strong> Gwénaël et moi, Coline,<br />

Maë<strong>la</strong>n et Romain et toujours au moins un chat !<br />

En 2003, nous avons décidé d’agrandir <strong>la</strong> maison pour que<br />

chacun puisse avoir sa chambre et son petit univers bien à<br />

lui. Nous avons construit une véranda qui fait office <strong>de</strong><br />

salon, pièce toujours très fréquentée du fait <strong>de</strong> sa c<strong>la</strong>rté, il y<br />

fait toujours bon, dès le premier rayon <strong>de</strong> soleil.<br />

La maison, c’est aussi l’endroit où chacun <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> famille se sent en sécurité et se lâche. Par exemple, en<br />

rentrant <strong>de</strong> l’école le (mauvais) réflexe est <strong>de</strong> ba<strong>la</strong>ncer<br />

cartable et manteau par <strong>terre</strong> comme si c’était enfin l’heure<br />

et le lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> délivrance, sans doute faut-il y voir l’origine<br />

<strong>de</strong> l’expression « fais comme chez toi ».<br />

Joseph : J’ai hérité ma maison <strong>de</strong> mes parents, elle vient du<br />

côté <strong>de</strong> mon père. Ses parents s’y sont installés en 1921,<br />

venant <strong>de</strong>s Côtes-d'Armor à une douzaine <strong>de</strong> kilomètres <strong>de</strong><br />

là. Mes grands-parents sont donc arrivés avec le cheval<br />

trainant <strong>la</strong> charrette contenant leurs meub<strong>les</strong>, et déjà six<br />

enfants. A l'époque, <strong>les</strong> fermes se vendaient à <strong>la</strong> saint<br />

Michel, le 29 septembre. Papa y est né quatre mois plus tard<br />

et cinq autres frères et sœurs y ont vus le jour. Grand-père,<br />

grand-mère, douze enfants, plus <strong>les</strong> bonnes et <strong>les</strong> commis y<br />

vivaient. Au premier jour <strong>de</strong> son emménagement, <strong>la</strong> famille<br />

a ramassé <strong>de</strong>s cailloux dans <strong>les</strong> champs afin d'empierrer <strong>la</strong><br />

cour <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> maison.<br />

Mes parents l'ont transformée en 1960 et à mon tour je <strong>la</strong><br />

modifie <strong>de</strong>puis 2006. Elle est ouverte au maximum en<br />

grand aux beaux jours, pour passer <strong>de</strong> l'intérieur à<br />

l'extérieur sans le remarquer. Elle ne correspond pas à mon<br />

idéal d’habitation, mais comme je l'ai achetée, j'aurai<br />

toujours un pied-à-<strong>terre</strong>. Possé<strong>de</strong>r sa propre maison me<br />

rassure. Quand je pars, je sais où rentrer dormir le soir<br />

venu.<br />

Le mot « simple » convient à cet endroit. Je ne me suis<br />

jamais posé <strong>la</strong> question <strong>de</strong> ma présence à cet endroit,<br />

comme si tout est naturel. J'aménage <strong>la</strong> maison sans trop<br />

l'encombrer pour qu’elle soit <strong>la</strong> plus aérée possible. Les<br />

<strong>terre</strong>s sont découpées par <strong>de</strong>s haies pour équilibrer le sol,<br />

<strong>la</strong> chlorophylle, <strong>les</strong> animaux.<br />

Je me passionne pour l'histoire et le temps joue avec moi,<br />

tous <strong>les</strong> vingt ans, je trouve par hasard soit une pièce <strong>de</strong><br />

monnaie, soit un médaillon médiéval. D'autres avant moi y<br />

ont trouvé <strong>de</strong>s haches polies.<br />

Mon bonheur s'est d'être là tout bonnement, je suis calme<br />

12


<strong>de</strong> nature, mon exploitation l'est aussi.<br />

Pierre : Tous <strong>les</strong> cinq, vous êtes issus <strong>de</strong> famil<strong>les</strong> d'origine<br />

rurale. Vous avez eu, sauf Joseph, une expérience<br />

professionnelle extérieure au milieu agricole, et pourtant<br />

vous y êtes revenues par intérêt profond pour <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. Y a-t-il<br />

un autre témoignage qui puisse nous permettre<br />

d'approfondir un peu plus cet attachement, on pourrait<br />

même dire cette passion ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Je suis née dans une petite ferme et n’étais pas<br />

<strong>de</strong>stinée à l’agriculture, même si, pendant <strong>les</strong> vacances, je<br />

participais aux travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme. Lorsque le moment <strong>de</strong><br />

choisir une profession est venu, je ne savais pas vers où<br />

m’orienter. La directrice <strong>de</strong> l’école et mes parents m’ont<br />

proposé le collège d'enseignement technique avec en<br />

première année <strong>de</strong>ux formations : vente et comptabilité. En<br />

fin d’année, le choix fut vite fait car <strong>la</strong> comptabilité me<br />

convient. Après <strong>de</strong>ux années d’étu<strong>de</strong>s, j’ai obtenu un<br />

certificat d’aptitu<strong>de</strong> professionnelle. Je n’ai fait que<br />

quelques remp<strong>la</strong>cements. La comptabilité me p<strong>la</strong>isait, mais<br />

pour trouver un emploi, il aurait fallu que je quitte <strong>la</strong> région<br />

or mes parents ne le vou<strong>la</strong>ient pas. J’ai dû me résigner à<br />

travailler en usine, à l’atelier d’un abattoir <strong>de</strong> vo<strong>la</strong>il<strong>les</strong>. Je ne<br />

m’y épanouissais pas du tout. L’idée <strong>de</strong> m’occuper<br />

d’animaux germait dans ma tête. Je me voyais naisseurengraisseur<br />

<strong>de</strong> porcs ou <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins, seulement je n’avais<br />

aucun diplôme agricole nécessaire pour l’instal<strong>la</strong>tion. J’ai<br />

donc passé le brevet professionnel agricole agricultureélevage.<br />

Ensuite, j’ai consolidé ma formation <strong>de</strong> comptable,<br />

à présent, je fais toute <strong>la</strong> comptabilité et <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong><br />

l’élevage.<br />

Je me suis installée en location avec 135 boites à nid en<br />

<strong>la</strong>pin. Trois années plus tard, j’ai acheté un élevage qui en<br />

comprend 210. J’ai aménagé <strong>les</strong> 135 boites dans une salle,<br />

ce<strong>la</strong> m’en faisait 345 en tout. Je continue toujours<br />

l’évolution puisqu’aujourd’hui j’en possè<strong>de</strong> 460, je m’arrête<br />

là.<br />

Mon bureau se trouvait à <strong>la</strong> maison, distante <strong>de</strong> sept<br />

kilomètres, ce qui me posait parfois problème lors <strong>de</strong><br />

contrôle, car si un document manquait, je <strong>de</strong>vais aller le<br />

chercher. J'ai donc pris <strong>la</strong> décision d’en construire un <strong>de</strong> 30<br />

m 2 . Il est en aggloméré recouvert <strong>de</strong> tô<strong>les</strong> couleur ardoise,<br />

éc<strong>la</strong>iré par <strong>de</strong>ux portes-fenêtres et <strong>la</strong> porte d'entrée vitrée.<br />

Des p<strong>la</strong>ques <strong>de</strong> bois isolent <strong>les</strong> murs. J'aime beaucoup le<br />

bois, aussi ai-je acheté une salle à manger rustique. La table<br />

me sert <strong>de</strong> bureau et le buffet <strong>de</strong> rangement pour <strong>les</strong><br />

documents. J’ai installé une kitche<strong>net</strong>te pour prendre mes<br />

repas sur p<strong>la</strong>ce et offrir un café à <strong>la</strong> technicienne. <strong>Un</strong><br />

ordinateur et une imprimante sont venus compléter<br />

l’équipement. L’hiver, un radiateur électrique et un poêle à<br />

pétrole chauffe <strong>la</strong> pièce. Ce<strong>la</strong> ne m'a pas coûté très cher,<br />

tous <strong>les</strong> meub<strong>les</strong> sont d'occasion. Je me sens bien dans cette<br />

salle. Je ne regrette qu'une seule chose, c'est <strong>de</strong> ne pas<br />

l'avoir fait avant.<br />

Joseph : Il me faut évoquer mon histoire. Je suis né en 1958,<br />

le <strong>de</strong>rnier d'une famille <strong>de</strong> cinq enfants. J’étais facile à<br />

élever, ce qui a permis à mes parents <strong>de</strong> consacrer du<br />

temps à mes <strong>de</strong>ux frères. Philippe est décédé à 4 ans, je<br />

n'en ai aucun souvenir (mes parents ne m’en ont jamais<br />

vraiment parlé). Mon autre frère, Jean, était asthmatique,<br />

mes parents se re<strong>la</strong>yaient constamment pour<br />

l'accompagner vers <strong>de</strong>s jours meilleurs. Mes <strong>de</strong>ux sœurs<br />

ainées, m'ont <strong>la</strong>issé m'initier à leur vie <strong>de</strong> jeunes fil<strong>les</strong>. Pas<br />

étonnant que j'adore <strong>les</strong> femmes élégantes, faire <strong>les</strong><br />

boutiques, tout essayer sans rien acheter. J’ai toujours vu<br />

13


mes parents au travail jusqu'à ce que nous soyons capab<strong>les</strong>,<br />

tous <strong>les</strong> quatre, <strong>de</strong> <strong>les</strong> secon<strong>de</strong>r. Ils ont su nous éduquer au<br />

travail, même si nous rechignions parfois. En récompense,<br />

nous pouvions regar<strong>de</strong>r Zorro le jeudi, à l'heure du café ;<br />

aller en été le dimanche après-midi, à <strong>la</strong> mer ; déjeuner au<br />

restaurant pour leur anniversaire <strong>de</strong> mariage.<br />

J'ai commencé ma sco<strong>la</strong>rité à Neulliac et je mangeais tous<br />

<strong>les</strong> midis avec mes grands-parents qui habitaient au bourg.<br />

Ils me faisaient faire quelques courses et j'avais le droit<br />

d'écouter Le jeu <strong>de</strong>s mille francs. Mais pas question <strong>de</strong> faire<br />

du bruit, sinon gare au coup <strong>de</strong> béret <strong>de</strong> pépé !<br />

J’étais un élève moyen, souvent dans <strong>la</strong> lune, bon en sport.<br />

Je fus le seul <strong>de</strong> ma c<strong>la</strong>sse a redoublé <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière année à<br />

Neulliac. Puis le collège, aux Saints Anges, à Pontivy, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

6 ème à <strong>la</strong> 3 ème , toujours moyen, toujours dans <strong>la</strong> lune. En<br />

3 ème , j'ai fini par rattraper tous mes copains, sauf un.<br />

Dans <strong>la</strong> foulée, j’ai suivi <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s agrico<strong>les</strong> par un BEP en<br />

un an. N’ayant pas le goût <strong>de</strong> l’école, mes parents m’ont pris<br />

comme ai<strong>de</strong> familial. Pendant cette pério<strong>de</strong>, j’ai entrepris<br />

une formation mécanique accélérée à Bignan. Le service<br />

militaire, à Rennes, me permettait <strong>de</strong> rentrer, le week-end,<br />

pour travailler à <strong>la</strong> maison et sortir avec <strong>les</strong> copains. Puis,<br />

j’ai suivi une formation en comptabilité-gestion, toujours à<br />

Bignan.<br />

Je n'ai pas voulu poursuivre mes étu<strong>de</strong>s pour faire un BTA,<br />

je suis donc resté définitivement ai<strong>de</strong> familial jusqu'à mon<br />

instal<strong>la</strong>tion. Je me suis installé en 1982 comme agriculteur<br />

auprès <strong>de</strong> mes parents. Papa venait d'avoir 60 ans, maman<br />

56 ans. La transmission s'est faite en douceur, j'étais déjà<br />

en permanence sur l'exploitation <strong>de</strong>puis trois ans Mes<br />

parents sont partis habiter au bourg, dans <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> mes<br />

grands-parents maternels. Les premières années, ils<br />

venaient tous <strong>les</strong> jours, puis quand il y avait <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

corvées, arrachage <strong>de</strong>s pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong>, calibrage <strong>de</strong><br />

cel<strong>les</strong>-ci, semis au printemps.<br />

Devenir agriculteur, je l'ai choisi parce que ce métier me<br />

donnait <strong>de</strong>s responsabilités, une liberté <strong>de</strong> travail, me<br />

faisait découvrir le matériel, <strong>la</strong> tenue <strong>de</strong> <strong>la</strong> comptabilité,<br />

l’entretien <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, différents métiers. Certains<br />

hommes n'en connaissent qu'un seul dans leur vie.<br />

14


C<strong>la</strong>ire : Pour parler <strong>de</strong> mon attachement à <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, rien <strong>de</strong> mieux<br />

pour moi que d’évoquer ma grand-mère et son parler Gallo. C'est<br />

bien dans cette <strong>terre</strong> que plongent nos racines, et dont sort aussi<br />

tout ce qui pousse, chez nous, en Bretagne, ces merveilleux<br />

légumes qui égaient nos potagers, nos paniers et nos assiettes.<br />

Tiens, si on se faisait une potée !<br />

Tout d’abord, vérifier qu’au niveau du cochon, tout est déjà fin prêt. Chez votre charcutier habituel : saucisses fraiches, palette<br />

fumée, jarret <strong>de</strong>mi-sel, <strong>la</strong>rd <strong>de</strong>mi-sel. Sinon, vous n’avez plus qu’à faire comme l’expliquait si bien un <strong>livre</strong> <strong>de</strong> cuisine antil<strong>la</strong>ise<br />

donnant <strong>la</strong> recette du boudin aux pommes : « Abattez un cochon dont vous recueillez immédiatement le sang que vous mé<strong>la</strong>ngez alors<br />

avec du sel et une cuillérée à soupe <strong>de</strong> vinaigre. »<br />

Puis, pour <strong>les</strong> légumes, on va commencer par le début, juste après <strong>la</strong> pluie.<br />

Il est à peine 10 heures du matin, chaussez vos bottes, mettez votre doudoune verte, prenez un seau noir (comme celui pour <strong>les</strong><br />

petits veaux), un grand couteau, et hop, au champ !<br />

Les premiers pas <strong>de</strong>hors saisissent un peu, il fait frais ce matin, l’herbe sur le chemin est mouillée et c’est un peu <strong>la</strong> gadoue avec<br />

toute <strong>la</strong> pluie qui est tombée ces <strong>de</strong>rniers jours (mais, on en avait besoin <strong>de</strong> cette pluie). Maintenant, <strong>la</strong> brume se lève, et un timi<strong>de</strong><br />

mais agréable rayon <strong>de</strong> soleil réveille <strong>les</strong> couleurs <strong>de</strong> l’automne. Les bottes en caoutchouc rebondissent sur le chemin et font corps<br />

avec <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. C’est toujours pour moi un moment spécial, quand on a le temps, <strong>de</strong> marcher sur <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, <strong>les</strong> pieds bien dans ses<br />

bottes. Ça a l’air idiot, eh bien, moi, ça me fait du bien ! Partout où je vais en voyage, je ne me sens pas arrivée «chez moi» tant que je<br />

n’ai pas marché vraiment sur <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> <strong>terre</strong>.<br />

Arrivés au potager, commencez par choisir un beau chou vert frisé bien pommé, coupez le, et hop, dans le seau !<br />

Puis quelques grosses carottes, Ah, par ce temps-là, ça colle un peu, on va arracher autant <strong>de</strong> <strong>terre</strong> que <strong>de</strong> carottes, alors, on gratte<br />

un peu, et on coupe <strong>les</strong> fanes, et hop, dans le seau !<br />

Puis, <strong>les</strong> navets, ils sont en plein champ, un peu plus loin, c’est plus facile, seu<strong>les</strong> leurs racines sont en <strong>terre</strong>. On choisit <strong>les</strong> plus<br />

ronds et on tire sur <strong>les</strong> fanes, à pleine main, un coup <strong>de</strong> machette sur <strong>les</strong> racines, un autre sur <strong>les</strong> fanes, et hop, dans le seau !<br />

Bon, <strong>les</strong> patates, el<strong>les</strong> sont déjà en tas dans le hangar, il n’y a plus qu’à en prendre une quinzaine sur le haut du tas, en choisissant<br />

<strong>les</strong> plus ron<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>ux brassées, et hop, dans le seau !<br />

16


Ah, j’ai oublié <strong>de</strong>ux ou trois poireaux, retour au potager, j’en arrache trois, tac-tac, un coup <strong>de</strong> couteau sur <strong>les</strong> racines, un autre sur<br />

<strong>les</strong> bouts verts, et hop, dans le seau !<br />

De retour à <strong>la</strong> maison, je quitte bottes et doudoune. Je me <strong>la</strong>ve <strong>les</strong> mains et j’enfile mon grand tablier (ça fait partie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux choses<br />

essentiel<strong>les</strong> pour commencer <strong>la</strong> cuisine : on ne fait rien <strong>de</strong> bon sans tablier, ni du bout <strong>de</strong>s doigts). Je pose mon seau près du grand<br />

évier. Le travail peut débuter.<br />

Je commence par éplucher et tailler, sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nche, au couteau, trois ou quatre beaux oignons jaunes, puis je <strong>la</strong>ve à gran<strong>de</strong> eau <strong>les</strong><br />

poireaux et <strong>les</strong> fends aussi en quatre.<br />

Je <strong>la</strong>nce <strong>la</strong> cuisson, je remplis une gran<strong>de</strong> casserole d’eau avec <strong>de</strong>ux poignées <strong>de</strong> gros sel <strong>de</strong> Guéran<strong>de</strong> et j’allume le gaz. J’y plonge<br />

oignons et poireaux, ce<strong>la</strong> va donner du goût tout <strong>de</strong> suite au bouillon, je rajoute tous <strong>les</strong> morceaux <strong>de</strong> cochons avec couenne qui ont<br />

besoin <strong>de</strong> cuire longtemps (le <strong>la</strong>rd et le jarret).<br />

Je m’occupe du chou : crac, crac, crac, crac, j’arrache rapi<strong>de</strong>ment <strong>les</strong> feuil<strong>les</strong> extérieures <strong>les</strong> plus vertes (<strong>les</strong> chèvres vont se régaler)<br />

puis, je saisis le chou à pleine main (<strong>de</strong> ma main gauche) et le coupe en quatre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> couteau <strong>net</strong> et sans bavures <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

main droite. J’aime ces gestes précis et entiers qui m’ont été transmis par ma mère, mes grands-mères et Marie aussi, <strong>la</strong> fermièreaubergiste<br />

voisine.<br />

El<strong>les</strong> me disaient, quand j’étais plus jeune, <strong>de</strong>vant ma tâche à accomplir : « Reste pas à mesauter ou bouiner là. Vas-y, croches <strong>de</strong>dans<br />

!».<br />

Et voilà, maintenant, j’adore ca, prendre <strong>les</strong> légumes à pleine main, <strong>de</strong> façon sûre, enfoncer le couteau, et entendre le chou frais<br />

crisser sous <strong>la</strong> pression et se fendre en 4 par magie.<br />

Il est temps <strong>de</strong> mettre le chou à cuire. Puis, j’épluche <strong>les</strong> carottes, vite fait, bien fait, je <strong>les</strong> <strong>la</strong>ve et <strong>les</strong> coupe en morceaux, à <strong>la</strong> volée,<br />

au couteau <strong>de</strong> cuisine au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> casserole. Je rajoute <strong>la</strong> palette fumée, je jette une poignée <strong>de</strong> poivre. Je prépare mes navets et<br />

mes patates, je <strong>les</strong> épluche et <strong>les</strong> coupe en 4, entre <strong>les</strong> mains, et <strong>les</strong> <strong>la</strong>isse en attente dans l’eau froi<strong>de</strong>. Je <strong>les</strong> mettrai tout à l’heure à<br />

cuire, en même temps que <strong>les</strong> saucisses, précisément une heure avant que <strong>les</strong> hommes n’arrivent du champ (il y a du mon<strong>de</strong><br />

aujourd’hui : semis <strong>de</strong> blé et arrachage <strong>de</strong> navets).<br />

Quand <strong>les</strong> hommes entreront, <strong>la</strong> table sera mise, <strong>les</strong> assiettes, <strong>les</strong> verres, <strong>les</strong> couverts bien alignés. Le grand pain <strong>de</strong> 3 <strong>livre</strong>s bien cuit<br />

et le beurre salé trôneront au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> table. La maison sera remplie <strong>de</strong>s bonnes o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> légumes mé<strong>la</strong>ngées au fumet du<br />

cochon, sans oublier le parfum <strong>de</strong> <strong>la</strong> tarte Tatin aux pommes du verger qui finira <strong>de</strong> cuire dans le four. Alors, ils poseront <strong>la</strong><br />

bouteille <strong>de</strong> cidre ramenée <strong>de</strong> <strong>la</strong> cave au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> table, puis, en s’asseyant et en ramenant leur chaise, ils soupireront d’aise et<br />

diront « Humm, ca sent bon, ici, ca sent toujours bon » et déboucheront <strong>la</strong> bouteille en silence avec pour toute musique le pschitt<br />

<strong>de</strong>s bul<strong>les</strong> du cidre qui s’échappent <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouteille.<br />

"A <strong>la</strong> not’ ! Bon Appétit !"<br />

17


La famille<br />

Autour <strong>de</strong> vous, parmi vos enfants, par exemple, pensez-vous<br />

que vous puissiez transmettre cet équilibre que vous avez<br />

trouvé ?<br />

Catherine : Au Botcol, le printemps est arrivé avec son lot<br />

<strong>de</strong> travaux <strong>de</strong>s champs à programmer et à exécuter. Il va<br />

sans dire que pour mes <strong>de</strong>ux garçons Maë<strong>la</strong>n et Romain,<br />

qui ont un goût prononcé pour « fouiner » dans <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, il<br />

en est <strong>de</strong> même.<br />

L’un <strong>de</strong>s par<strong>terre</strong>s, que j’ai dû abandonner à force d’être<br />

biné, creusé, gratté, retourné, situé près <strong>de</strong> l’exploitation<br />

s’est transformé en champ cultivé puisqu’il y pousse petits<br />

pois et maïs, bien en rang, le travail <strong>de</strong> Maë<strong>la</strong>n dont il est<br />

fier.<br />

Tous <strong>les</strong> jours, il jette un petit coup d’œil pour surveiller <strong>la</strong><br />

bonne pousse <strong>de</strong> ses cultures. Chipie, notre petite chienne<br />

qui vient <strong>de</strong> chez C<strong>la</strong>ire, l’ accompagne et en profite pour<br />

s’entraîner à dénicher taupe ou mulot, elle comprend vite<br />

qu’il vaut mieux s’arrêter là sous peine d’un bon coup <strong>de</strong><br />

pied au <strong>de</strong>rrière ! Nous avons aussi un jardin potager <strong>de</strong><br />

plus <strong>de</strong> 250 m 2 , en commun avec ma belle-mère, et avec<br />

Maë<strong>la</strong>n et Romain, bien sûr. Chacun a son petit lopin <strong>de</strong><br />

<strong>terre</strong> et en est responsable : semis (radis, carottes,<br />

betteraves rouges, sa<strong>la</strong><strong>de</strong>s, haricots) et désherbage manuel.<br />

<strong>Un</strong>e visite quotidienne s’impose également, toujours en<br />

compagnie <strong>de</strong> Chipie qui creuse un petit trou au milieu <strong>de</strong>s<br />

haricots. En ce moment, il faut bien observer <strong>la</strong> pousse <strong>de</strong>s<br />

graines et récolter <strong>les</strong> radis.<br />

« Maman, mes haricots commencent à sortir, j’en ai<br />

compté cinq ! »<br />

« Mes betteraves, el<strong>les</strong> sont hautes comme ça ! ».<br />

Sous forme <strong>de</strong> jeux, munis <strong>de</strong> râteaux, ou mimant<br />

bruyamment <strong>de</strong>s tracteurs tirant une herse ou une charrue,<br />

ils ont réussi à travailler <strong>la</strong> moitié du jardin. Ils se sont<br />

amusés à faire <strong>de</strong>s sillons, sous l’œil réjoui <strong>de</strong> leur mamie<br />

qui n’en revient pas que, si petits, ils puissent en faire<br />

autant.<br />

Depuis cette année, nous <strong>la</strong>issons Maë<strong>la</strong>n tondre <strong>les</strong><br />

pelouses avec le tracteur-ton<strong>de</strong>use et, si on l’observe bien,<br />

on peut entendre un autre bruit que celui du moteur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ton<strong>de</strong>use, c’est Maë<strong>la</strong>n qui imite le tracteur (<strong>la</strong> ton<strong>de</strong>use<br />

n’est sans doute pas assez bruyante). Ils sont tellement<br />

passionnés <strong>de</strong> machines agrico<strong>les</strong> que leurs chambres en<br />

sont remplies, ils sont même mieux équipés que leur papa.<br />

Leur programme est souvent calqué sur le sien en fonction<br />

<strong>de</strong>s saisons.<br />

Lorsqu’arrive <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s moissons, en journée, pas<br />

question d’en perdre une miette. Le soir, une fois douchés,<br />

ils vont dans leur chambre, sortent <strong>la</strong> moissonneuse, <strong>les</strong><br />

tracteurs et <strong>les</strong> remorques et refont le film <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée :<br />

Maë<strong>la</strong>n :<br />

« Moi je vais aller faire un échantillon dans le<br />

champ qui est en bas (enten<strong>de</strong>z sous <strong>la</strong> table <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> salle à manger ou dans <strong>la</strong> véranda ou tout<br />

ailleurs, car dans ces moments-là toute <strong>la</strong><br />

maison est à moissonner)<br />

- Si c’est bon et quand <strong>la</strong> trémie sera pleine je<br />

t’appelle, tu viens avec le Mac Cormik et <strong>la</strong><br />

remorque Joskin et tu iras <strong>livre</strong>r à <strong>la</strong> CECAB,<br />

19


OK ? »<br />

Romain :<br />

« Oui, oui et je vais dire à pépé <strong>de</strong> venir avec<br />

l’autre remorque, comme ça je pourrais<br />

commencer à presser <strong>la</strong> paille.<br />

Et voilà encore toutes <strong>les</strong> pièces <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison<br />

envahie <strong>de</strong> jouets à enjamber (et à ne pas<br />

toucher) accompagnés d’un bruit <strong>de</strong> fond <strong>de</strong><br />

moteur, d’a<strong>la</strong>rme <strong>de</strong> recul et <strong>de</strong> :<br />

«Hé ! Tu viens ou quoi ?» hurle Maë<strong>la</strong>n.<br />

- Oui j’arrive ! Oh ! Pouuuufff ! Tu ne peux pas<br />

attendre un peu ? répond Romain.<br />

- Non, je suis pressé, car ils annoncent <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie<br />

à <strong>la</strong> météo ...»<br />

Maë<strong>la</strong>n a réponse à tout.<br />

Et généralement au bout d’un moment tout se<br />

termine par un :<br />

La ferme LE CLEZIO<br />

Il était une fois un agriculteur qui élevait <strong>de</strong>s vaches<br />

montbéliar<strong>de</strong>s. Il avait beaucoup <strong>de</strong> veaux et un taureau,<br />

mais son taureau était méchant. Il avait <strong>de</strong>ux tracteurs un «<br />

McCormick » et un « Case Ih ». Il avait aussi un « Bobcat » et<br />

un « Manutrac » et aussi un petit « McCormick ». Il avait une<br />

moissonneuse « New Hol<strong>la</strong>nd ». Marc Henrio qui vient faire<br />

<strong>de</strong>s travaux agrico<strong>les</strong> a <strong>de</strong> grosses machines et que du « John<br />

Deer ». Nous avons fait beaucoup <strong>de</strong> travaux autour <strong>de</strong> notre<br />

ferme. Les travaux étaient <strong>la</strong> rénovation du hangar, <strong>les</strong><br />

souches à arracher, nous avons aussi rénové une longère et<br />

en 2008 nous avons construit un hangar pour stocker <strong>la</strong><br />

paille. Maë<strong>la</strong>n était en train d’enlever <strong>les</strong> racines qui<br />

restaient. Le hangar que nous avons refait est raccourci et il<br />

y a une cour <strong>de</strong>vant où l’on peut jouer. Gwénaël va faire du<br />

canadien pour enlever <strong>les</strong> racines qui restent p<strong>la</strong>ntées dans<br />

<strong>la</strong> <strong>terre</strong>. Nous élevons aussi <strong>de</strong> 300 à 400 cochons.<br />

Maë<strong>la</strong>n 10 ans<br />

«J’en ai marre <strong>de</strong> votre boucan ! Vous ne pouvez<br />

pas aller jouer ailleurs ?» ronchonne Coline<br />

Maë<strong>la</strong>n : «T’as qu’à aller dans ta chambre !»<br />

Coline : «Ce sera pareil avec tout le bruit que<br />

vous faites !»<br />

Dans ces cas là, c’est moi qui interviens : « À table »<br />

L'autre jour, Maë<strong>la</strong>n m'a remis un texte qu'il a écrit pour<br />

vous. Sans doute pour nous montrer à tous que lui aussi est<br />

capable d'écrire sur l'agriculture. Le voici :<br />

20


Valérie : Ma petite famille est constituée <strong>de</strong> quatre personnes.<br />

A<strong>la</strong>in est un homme réfléchi, un peu trop parfois, perfectionniste,<br />

<strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, passionné par son métier d'éleveur. Moi,<br />

Valérie qui aime le re<strong>la</strong>tionnel, ne réfléchis pas toujours assez, ce<br />

qui génère un stress permanent. Coralie, <strong>la</strong> rêveuse et <strong>la</strong> plus<br />

sensible <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille, toujours à griffonner <strong>de</strong> ses petites mains<br />

sur tout ce qu'elle trouve. La secon<strong>de</strong> tête, Océane, cogite tout le<br />

temps. Mes fil<strong>les</strong>, toute ma vie ! El<strong>les</strong> ont actuellement 15 et.13<br />

ans. Les années se sont écoulées sans que l'on se ren<strong>de</strong> compte<br />

qu'el<strong>les</strong> grandissaient.<br />

A<strong>la</strong>in et moi travaillons en fonction <strong>de</strong>s fil<strong>les</strong> pour leur permettre<br />

<strong>de</strong> vivre leur vie d'ado<strong>les</strong>centes. Pourtant el<strong>les</strong> sont insatisfaites,<br />

jamais contentes <strong>de</strong> leur sort, toujours à en vouloir plus, nous<br />

reprochant <strong>de</strong> travailler tout le temps, <strong>de</strong> ne pas <strong>les</strong> aimer;<br />

jusqu'à parfois, dans <strong>de</strong>s colères très fortes, nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si<br />

el<strong>les</strong> n'ont pas été adoptées. Si el<strong>les</strong> savaient comme nous <strong>les</strong><br />

aimons, nos fil<strong>les</strong>. Nous n'avons même pas besoin <strong>de</strong> penser à<br />

el<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> sont tout le temps avec nous, dans notre cœur.<br />

Que pouvons-nous faire ? J'ai imaginé dans un rêve d’arrêter<br />

mon métier pour être à leurs petits soins. Ce ne serait pas leur<br />

rendre service. Nous, parents, subissons actuellement <strong>la</strong> crise<br />

d'ado<strong>les</strong>cence. Qui est à p<strong>la</strong>indre, <strong>les</strong> enfants ou <strong>les</strong> parents ?<br />

La réalité est cruelle, le travail est une priorité, pour, <strong>de</strong> nos<br />

jours, moins gagner notre vie.<br />

Socialement, nous sommes <strong>de</strong>ux personnes dynamiques et<br />

actives. Nous nous intégrons facilement dans le milieu associatif,<br />

aussi bien localement, professionnellement que<br />

personnellement, pour ne pas nous refermer sur nous-mêmes. Il<br />

faut positiver, voir le bon coté <strong>de</strong>s choses, surtout en ce moment.<br />

Nous <strong>de</strong>vons rester vigi<strong>la</strong>nts, ne pas baisser <strong>la</strong> pression, nous<br />

pousser <strong>de</strong> l’avant et gar<strong>de</strong>r le sourire.<br />

Toute cette petite famille cohabite dans une maison, au milieu<br />

d'un bois, proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature pour <strong>la</strong> regar<strong>de</strong>r se développer.<br />

Pierre : Les re<strong>la</strong>tions avec <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>cents, tu nous as <strong>la</strong>issé<br />

entendre que c'était parfois sportif.<br />

Valérie : Oh que oui ! Des re<strong>la</strong>tions diffici<strong>les</strong>. Ma fille<br />

Océane, <strong>de</strong>puis quelques temps, ne cherche qu'à se ba<strong>la</strong><strong>de</strong>r<br />

en ville ou aller chez ses copines <strong>de</strong> 13 ans. Elle me paraît<br />

trop jeune pour sortir, il y a trop <strong>de</strong> danger à notre époque.<br />

Si je ne cè<strong>de</strong> pas à ses caprices, <strong>les</strong> insultes pleuvent suivies<br />

<strong>de</strong> c<strong>la</strong>quage <strong>de</strong> porte. Que faire dans cette situation ? Le mal<br />

<strong>de</strong> ventre s'installe, l'angoisse <strong>de</strong> ce qui pourrait arriver.<br />

Vivement qu'elle rentre. Je ne suis pas du tout tranquille.<br />

Étant distraite pendant <strong>la</strong> traite <strong>de</strong>s vaches, je commets <strong>de</strong>s<br />

erreurs. Les antibiotiques tombent dans le <strong>la</strong>it et voilà tout<br />

est à jeter dans <strong>la</strong> fosse.<br />

Je suis à écrire et Océane qui est à <strong>la</strong> fête <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique au<br />

bourg, m'appelle pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si elle peut dormir chez<br />

une copine. Je refuse mais elle ne comprend pas mes<br />

raisons. Quand le dialogue s'installe, on me dit que nous ne<br />

sommes pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> même époque. Que puis-je répondre à<br />

tant d'interrogations ?<br />

Quand je vois Coralie très câline, ça me réconforte. Elle,<br />

contrairement à sa sœur, il faut <strong>la</strong> pousser <strong>de</strong>hors ou lui<br />

proposer <strong>de</strong> sortir avec une copine. El<strong>les</strong> sont totalement<br />

différentes, heureusement, mais il faut veiller à ne pas<br />

dépasser <strong>les</strong> limites.<br />

Pierre : Et toi Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, ta famille ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Les enfants ont quitté le foyer, désormais ils<br />

22


volent <strong>de</strong> leurs propres ai<strong>les</strong>. Ma fille <strong>de</strong>puis une quinzaine<br />

d’années, <strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s et le travail l’ont conduit loin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

maison. Elle exerce <strong>la</strong> profession qu'elle a choisie :<br />

employée <strong>de</strong> bureau. Elle vit avec Patrice. Mes <strong>de</strong>ux fils,<br />

Patrick et Sylvain ont quitté <strong>la</strong> maison à 30 ans, il y a très<br />

peu <strong>de</strong> temps. Sylvain travaille dans <strong>la</strong> maintenance, tandis<br />

que Patrick est routier. Souvent, le samedi ils passent à <strong>la</strong><br />

maison. Pour notre bonheur, <strong>de</strong>ux petites fil<strong>les</strong> Ophélia et<br />

Eugénie sont venues agrandir <strong>la</strong> famille. El<strong>les</strong> viennent <strong>de</strong><br />

temps en temps passer le week-end. Ce<strong>la</strong> me suffit, car le<br />

travail à l’élevage m’attend. Nous faisons souvent <strong>de</strong>s repas<br />

<strong>de</strong> famille, c’est un moment pour nous retrouver, pour<br />

discuter <strong>de</strong> nos préoccupations, <strong>de</strong> nos projets.<br />

Le quotidien<br />

Comment constater diversité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sinon en regardant<br />

vivre, tout au long d'une journée ordinaire, chacun <strong>de</strong>s<br />

membres du groupe ? Nous leur avons donc <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong><br />

détailler au printemps 2009, l'emploi du temps <strong>de</strong> leur<br />

activité agricole, et <strong>les</strong> réflexions que chaque moment leur<br />

inspirait.<br />

Catherine, Violette, Raquette, Berline et <strong>les</strong> autres<br />

Il est 5h15 et <strong>la</strong> radio nous réveille. C'est tôt mais Gwénaël<br />

doit aller traiter <strong>les</strong> petits pois avant que le vent ne se lève.<br />

La radio annonce un accord "soudain" (juste avant <strong>les</strong><br />

européennes) sur le prix du litre <strong>de</strong> <strong>la</strong>it payé aux<br />

producteurs <strong>de</strong> 280 € pour 1000 litres pour l'année 2009.<br />

Vendre à perte n'est pas l'objectif <strong>de</strong> toute activité, c'est<br />

sûrement ça, <strong>la</strong> crise. Bref il faut quand même se lever, il est<br />

déjà 6 heures.<br />

Pendant que notre fille Coline sort du lit, je prépare le petit<br />

déjeuner pour toute <strong>la</strong> famille. <strong>Un</strong>e <strong>de</strong>mi-heure plus tard, je<br />

pars au travail et <strong>la</strong>isse Coline prendre le car <strong>de</strong> 7 heures.<br />

J'enfile bottes et bleu <strong>de</strong> travail et je vais chercher <strong>les</strong><br />

vaches au champ, du moins <strong>les</strong> traînar<strong>de</strong>s, toujours <strong>les</strong><br />

mêmes : Violette et Raquette. Jamais pressées ces <strong>de</strong>ux là !<br />

Il fait si beau ce matin que j’en oublierais presque mes<br />

soucis. Tout en marchant, j'observe le ballet incessant <strong>de</strong>s<br />

hiron<strong>de</strong>l<strong>les</strong> qui vont et viennent tout en gazouil<strong>la</strong>nt.<br />

Quand tout le mon<strong>de</strong> est rentré, <strong>la</strong> traite peut démarrer : 52<br />

vaches à traire, il ne faut pas traîner. Les vaches montent<br />

sur <strong>les</strong> quais (6 <strong>de</strong> chaque côté). En fait, ce sont toujours <strong>les</strong><br />

mêmes qui montent <strong>les</strong> premières, à droite Anisette et à<br />

gauche Berline. El<strong>les</strong> sont comme nous, el<strong>les</strong> ont leurs<br />

habitu<strong>de</strong>s, leur caractère et chacune porte un numéro et un<br />

nom. Ce sont en quelque sorte <strong>de</strong>s collègues <strong>de</strong> travail,<br />

toutes différentes.<br />

Je mets en marche <strong>la</strong> machine à traire, puis je <strong>la</strong>ve <strong>les</strong><br />

trayons (hygiène oblige) et ensuite je pose <strong>les</strong><br />

"griffes"(appareil qui sert à traire). Pendant ce temps, j’en<br />

profite pour aller dire bonjour aux veaux et vérifier que<br />

tout va bien. Les douze premières étant traites, el<strong>les</strong><br />

sortent pour <strong>la</strong>isser p<strong>la</strong>ce aux suivantes et ainsi <strong>de</strong> suite<br />

jusqu'aux <strong>de</strong>rnières : Chine, Baronne, Raquette et Violette,<br />

tiens encore el<strong>les</strong>. Certaines sont plus longues à traire<br />

comme Tanagra et Nielle. Je sais que j'aurai le temps <strong>de</strong><br />

distribuer le <strong>la</strong>it (2 litres et <strong>de</strong>mi) aux 15 veaux, pas <strong>de</strong><br />

temps morts.<br />

La traite se termine à 8 heures. Je mets le <strong>la</strong>vage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

machine à traire en automatique et je vais donner le<br />

biberon au <strong>de</strong>rnier né <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille.<br />

Je retourne à <strong>la</strong> maison, Maë<strong>la</strong>n et Romain déjeunent, ils se<br />

23


préparent tranquillement, on profite un instant pour<br />

réciter <strong>les</strong> poésies et en voiture tout le mon<strong>de</strong>.<br />

Au retour, je remets bottes et bleu et je retourne à<br />

l'exploitation pour <strong>la</strong>ver <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> traite comme tous <strong>les</strong><br />

matins et soirs à <strong>la</strong> pompe haute pression. Ensuite, je vais<br />

distribuer <strong>les</strong> céréa<strong>les</strong> aux veaux et <strong>les</strong> pailler.<br />

A 9h30, Gwénaël est <strong>de</strong> retour, on discute un moment <strong>de</strong>s<br />

enfants, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vache Vitamine en chaleur, d’un veau pas trop<br />

en forme et aussi bien sûr du prix du <strong>la</strong>it puis <strong>de</strong> ce que<br />

chacun va faire dans <strong>la</strong> matinée.<br />

Après, je me dirige vers <strong>la</strong> stabu<strong>la</strong>tion pour pousser<br />

l'ensi<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> maïs aux vaches car en mangeant, el<strong>les</strong> ont<br />

tendance à tout étaler, j'ouvre <strong>la</strong> barrière et <strong>les</strong> <strong>la</strong>isse sortir<br />

à leur rythme, puisqu'il n'y a pas <strong>de</strong> route à traverser.<br />

Enfin, je passe par le pou<strong>la</strong>iller donner du grain aux<br />

poulets.<br />

De retour à <strong>la</strong> maison pour 10h30, je range un peu <strong>la</strong><br />

cuisine, prend une douche et programme le four pour le<br />

rôti <strong>de</strong> 13 heures car je dois me rendre à Pontivy faire<br />

quelques courses. Nous tuons aujourd'hui un cochon, il<br />

sera détaillé <strong>de</strong>main. A <strong>la</strong> maison vers 12h30, je prépare le<br />

repas et dresse <strong>la</strong> table <strong>de</strong>hors sur <strong>la</strong> terrasse. Il fait si beau<br />

! Il faut en profiter, rares sont <strong>les</strong> journées où l'on peut<br />

manger <strong>de</strong>hors, il faut savourer ces instants <strong>de</strong> chaleur.<br />

Après le repas, <strong>la</strong> vaisselle, encore <strong>la</strong> vaisselle. Puis, je range<br />

et <strong>net</strong>toie le sous-sol et installe <strong>les</strong> tab<strong>les</strong> pour <strong>la</strong> découpe<br />

du len<strong>de</strong>main. Vient l'heure d'aller à l'école chercher <strong>les</strong><br />

garçons et Théo un petit voisin, en passant, je vois Gwénaël<br />

faucher le foin, c'est vraiment l'été.<br />

Pendant le goûter, <strong>les</strong> garçons me racontent leur journée et<br />

nous faisons ensemble <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs.<br />

A 17h30, l'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> traite du soir a sonné. Même rituel<br />

que le matin, j'enfile bleu et bottes, Maë<strong>la</strong>n et Romain<br />

également, car eux aussi ont du travail à terminer dans leur<br />

"ferme".<br />

Je vais au champ, j'appelle <strong>les</strong> vaches, el<strong>les</strong> se lèvent et<br />

viennent (sauf <strong>de</strong>vinez qui ?) el<strong>les</strong> reconnaissent nos voix.<br />

Je vois le car <strong>de</strong> Coline passer. Aujourd'hui, ce n'est pas le<br />

jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> collecte du <strong>la</strong>it, je peux donc prendre un peu plus<br />

mon temps.<br />

Après <strong>la</strong> traite, le <strong>la</strong>vage et le soin aux veaux, je vais dans <strong>la</strong><br />

stabu<strong>la</strong>tion donner <strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong> aux petites génisses et<br />

pousser le reste d'ensi<strong>la</strong>ge du matin. Après observations, je<br />

dirige Coquine <strong>la</strong> génisse qui est à terme, vers le box <strong>de</strong><br />

vê<strong>la</strong>ge où elle passera <strong>la</strong> nuit, je pense que c'est pour ce<br />

soir. Ensuite, je <strong>la</strong>isse le reste du troupeau sortir pour <strong>la</strong><br />

nuit.<br />

Il est bientôt 20 heures, j'appelle <strong>les</strong> garçons, toujours très<br />

affairés, ces <strong>de</strong>ux là, ils sont vraiment tombés <strong>de</strong>dans tout<br />

petits, et on rentre à <strong>la</strong> maison. Pendant qu'ils se douchent,<br />

j’ai<strong>de</strong> Coline à ses <strong>de</strong>voirs et l'écoute raconter sa journée.<br />

Puis je m’occupe du diner. Pendant ce temps, Gwénaël se<br />

prépare car il a une réunion ce soir pour organiser <strong>la</strong><br />

randonnée <strong>de</strong> dimanche prochain (il mangera en rentrant).<br />

Il est 20h30 lorsqu'on se met à table. Je jette un œil rapi<strong>de</strong><br />

sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong>s garçons pour voir si tout est fait et bien<br />

fait. À 21heures, brossage <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts, un peu <strong>de</strong> lecture et<br />

extinction <strong>de</strong>s feux.<br />

24


Je re<strong>de</strong>scends ranger <strong>la</strong> cuisine, <strong>la</strong> vaisselle et prépare <strong>les</strong><br />

vêtements <strong>de</strong>s garçons pour le len<strong>de</strong>main.<br />

Il est presque 22 heures lorsque je m’écroule dans le<br />

canapé, il faudrait que je profite <strong>de</strong> ce moment <strong>de</strong> calme<br />

pour aller sur l'ordinateur déc<strong>la</strong>rer le veau né <strong>la</strong> veille et<br />

sortir <strong>les</strong> vaches vendues cette semaine mais.... trop <strong>la</strong><br />

flemme ! On verra ça <strong>de</strong>main, alors je lis le Ouest-France du<br />

jour.<br />

Il est 22h30 et Gwénaël n'est toujours pas rentré. Je vais me<br />

coucher, car <strong>de</strong>main est un autre jour.<br />

25


Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, jour <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s <strong>la</strong>pins<br />

J'ouvre <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> l'élevage « Bonjour mes trésors ». Je sors<br />

mon déjeuner <strong>de</strong> <strong>la</strong> voiture, je suis ici pour <strong>la</strong> journée, ma<br />

maison est à 7 km. Je me change, j'enfile ma cotte bleue et<br />

fais le tour <strong>de</strong> l'élevage, je regar<strong>de</strong> si <strong>les</strong> animaux vont bien.<br />

Je repère celui qui a <strong>les</strong> poils hérissés, celui qui a le nez sale,<br />

celui qui reste dans son coin. Il est 8 heures, <strong>la</strong> radio donne<br />

<strong>les</strong> informations, je suis attentive aux faits divers car mes<br />

proches sont souvent sur <strong>la</strong> route.<br />

Le silo est presque vi<strong>de</strong>, je dois passer comman<strong>de</strong><br />

aujourd'hui si je ne veux pas être en rupture <strong>de</strong> stock.<br />

L'aliment est un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> blé, <strong>de</strong> mé<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> canne à<br />

sucre, <strong>de</strong> pulpe <strong>de</strong> betterave, <strong>de</strong> tourteau <strong>de</strong> colza et <strong>de</strong><br />

tournesol. La luzerne donne <strong>de</strong> l'appétence, on ajoute aussi<br />

minéraux et vitamines. Que <strong>de</strong>s bons aliments pour faire<br />

grandir mes <strong>la</strong>pins. Les animaux sont nourris<br />

automatiquement avec une chaine d'alimentation, je<br />

surveille et ne fais pas d'efforts physiques.<br />

Aujourd'hui, c'est jour <strong>de</strong> vente, mes <strong>la</strong>pins partent dans <strong>la</strong><br />

soirée. Je dois rassembler <strong>les</strong> <strong>la</strong>pines que je veux réformer :<br />

el<strong>les</strong> ont environ <strong>de</strong>ux ans et <strong>de</strong>mi et el<strong>les</strong> ont mis bas une<br />

quinzaine <strong>de</strong> fois, d'autres souffrent <strong>de</strong> maux <strong>de</strong> pattes. Je<br />

<strong>les</strong> repère d'après leur fiche. Les <strong>la</strong>pins ont environ <strong>de</strong>ux<br />

mois et <strong>de</strong>mi, je <strong>les</strong> trie, je repère à l'œil et au toucher. S’ils<br />

pèsent moins <strong>de</strong> 2 kg, je <strong>les</strong> mets dans un caddie, trop<br />

légers, ils seraient refusés à l'abattoir. Au-<strong>de</strong>là, ils vont<br />

partir à l'abattoir et seront <strong>de</strong>stinés à <strong>la</strong> consommation,<br />

entiers ou à <strong>la</strong> découpe.<br />

27


Il est déjà 18h00, je suis contente du travail accompli. Le<br />

camion d'enlèvement arrive, mes proches m'ai<strong>de</strong>nt dans<br />

cette charge, le chauffeur met à disposition un Fenwick<br />

remplis <strong>de</strong> cages dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> je dépose <strong>les</strong> <strong>la</strong>pins qu’on<br />

me passe. C'est si rapi<strong>de</strong> que je n'ai pas le temps <strong>de</strong><br />

m'apitoyer sur leur sort. En <strong>de</strong>ux heures, <strong>les</strong> <strong>la</strong>pins sont<br />

dans le camion, très tôt <strong>de</strong>main matin, ils seront abattus. Le<br />

travail est fini, mais je pense déjà à <strong>de</strong>main, c'est <strong>la</strong> corvée<br />

du <strong>net</strong>toyage, je n'apprécie guère cette tâche, je ne suis pas<br />

au contact <strong>de</strong> mes animaux. Pendant que le chauffeur<br />

remplit ses documents d'enlèvement, on se retrouve pour<br />

le café, jus <strong>de</strong> fruit et gâteau maison. C'est un moment <strong>de</strong><br />

convivialité, on est <strong>de</strong> bonne humeur, on parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie et<br />

du beau temps. La nuit est déjà avancée lorsque chacun<br />

repart <strong>de</strong> son côté.<br />

Nettoyage, jour <strong>de</strong> corvée ! C'est fou <strong>la</strong> poussière et <strong>les</strong><br />

toi<strong>les</strong> d'araignée qui se sont accumulées en <strong>de</strong>ux mois et<br />

<strong>de</strong>mi. Je ba<strong>la</strong>ie p<strong>la</strong>fond, murs et couloirs, je <strong>net</strong>toie <strong>les</strong> tô<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> déjection. Avec l'aspirateur, j'ôte <strong>les</strong> restes d'aliments<br />

dans <strong>les</strong> gamel<strong>les</strong>. Avec <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>yette, j'enlève <strong>la</strong> poussière<br />

sur <strong>les</strong> cages. Le <strong>net</strong>toyage est terminé, je peux maintenant<br />

<strong>la</strong>ver. J'installe <strong>la</strong> pompe à haute pression, je <strong>les</strong>sive et<br />

désinfecte. Deux journées sont nécessaires pour faire ces<br />

travaux. Il faut bien <strong>net</strong>toyer pour éviter <strong>les</strong> problèmes<br />

sanitaires, nous <strong>de</strong>vons toujours être performants. 20<br />

heures, je me sens <strong>la</strong>sse, je me change et rentre à <strong>la</strong> maison.<br />

A présent, <strong>les</strong> <strong>la</strong>pereaux sont sevrés, ils ont 35 jours, leurs<br />

mères <strong>les</strong> quittent, el<strong>les</strong> vont rejoindre <strong>les</strong> sal<strong>les</strong> toutes<br />

propres. Dans huit jours, el<strong>les</strong> donneront à nouveau<br />

naissance à <strong>de</strong>s petits.<br />

Le jour <strong>de</strong>s naissances, je dois être présente pour veiller à<br />

ce que <strong>les</strong> portées soient équilibrées : 8 à 10 <strong>la</strong>pereaux par<br />

mère. Certaines vont donc adopter <strong>les</strong> petits <strong>de</strong>s mères <strong>les</strong><br />

plus prolifiques, l’adoption ne pose aucun souci. Tout en<br />

comptant, je prépare pour <strong>les</strong> nouveaux nés un nid douillet<br />

fait <strong>de</strong> copeaux, <strong>de</strong> talc et <strong>de</strong>s poils que <strong>la</strong> mère s'est<br />

arraché. Pour chaque cage, je prends soin <strong>de</strong> noter le<br />

nombre <strong>de</strong> nés vivants, <strong>de</strong> nés morts, d'éliminés car trop<br />

chétifs. J'aime ce moment <strong>de</strong> communion avec mes<br />

animaux petits et grands. Durant trois à quatre jours, je<br />

vais ainsi assister <strong>les</strong> naissances.<br />

Le cycle est presque infernal, je pense déjà à faire<br />

reproduire <strong>les</strong> <strong>la</strong>pines. Dix jours après <strong>la</strong> mise bas, el<strong>les</strong><br />

sont inséminées, <strong>la</strong> semence apporte <strong>la</strong> génétique, c'est-àdire<br />

le ren<strong>de</strong>ment en vian<strong>de</strong>. Pour favoriser l'ovu<strong>la</strong>tion, on<br />

pratique un stress lumineux. Durant <strong>les</strong> 8 jours qui<br />

précè<strong>de</strong>nt, on passe <strong>de</strong> 12 à 16 heures <strong>de</strong> lumière<br />

artificielle dans <strong>les</strong> sal<strong>les</strong>. J'ai aussi pris soin d'apporter <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vitamine E dans l'eau <strong>de</strong> boisson.<br />

29


C<strong>la</strong>ire, un samedi en mai<br />

7h45 Le réveil sonne, toujours au moins <strong>de</strong>ux fois. Parfois,<br />

je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi j'ai choisi ce métier, moi qui suis<br />

plutôt du soir. Je me lève d'un coup, une fois <strong>de</strong>bout, tout va<br />

très vite !<br />

Je prépare le petit déjeuner <strong>de</strong>s h6tes et installe une belle<br />

table avec <strong>les</strong> pains, <strong>les</strong> confitures maison, <strong>les</strong> fruits frais, le<br />

pain d'épices, <strong>les</strong> crêpes, le tout installé sur une jolie nappe<br />

en tissu. Comme dans le choix <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes du jardin<br />

(couleurs <strong>de</strong>s floraisons), j'aime assortir <strong>les</strong> couleurs <strong>de</strong>s<br />

tissus et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaisselle. <strong>Un</strong>e certaine façon <strong>de</strong> souligner<br />

l’attention que je porte à l'accueil.<br />

La table est mise. Je vérifie mon travail. C'est un moment<br />

que j'apprécie, <strong>la</strong> table est belle, fait envie et ça sent bon. Je<br />

fais <strong>de</strong> mon mieux pour qu'il en soit ainsi tous <strong>les</strong> matins,<br />

avec toujours <strong>de</strong>s nouveautés ou <strong>de</strong>s petites surprises, <strong>de</strong>s<br />

fraises <strong>de</strong> Ste-Brigitte, du fromage fermier, <strong>de</strong>s figues du<br />

jardin. Satisfaite, je m'accor<strong>de</strong> un premier café.<br />

8h30 Mes premiers hôtes <strong>de</strong> La Rochelle arrivent prendre<br />

leur petit déjeuner. Je <strong>la</strong>nce un « Bonjour, installez-vous,<br />

servez-vous !» Je m'éclipse et <strong>les</strong> <strong>la</strong>issent émerger.<br />

Je réapprovisionne en café et enchaîne un petit brin <strong>de</strong><br />

causette, sur <strong>les</strong> environs, <strong>les</strong> choses à découvrir...<br />

Mes hôtes <strong>de</strong> Nantes se sont installés. "Bonjour !" J’entame<br />

une conversation puis <strong>les</strong> <strong>la</strong>isse faire connaissance.<br />

Je vais consulter mes mails et répondre aux plus urgents.<br />

Dans ce métier <strong>de</strong> Chambres d'hôtes à <strong>la</strong> ferme, on passe<br />

souvent du coq à l'âne dans <strong>la</strong> même journée.<br />

Je retourne voir si tout va bien autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> table.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> est bien installé, <strong>la</strong> famille belge et <strong>les</strong><br />

retraités parisiens sont <strong>de</strong>scendus. <strong>Un</strong>e belle tablée <strong>de</strong> 12<br />

convives et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne humeur. Ces instants <strong>de</strong><br />

communion sont presque palpab<strong>les</strong>. J’aime ce métier pour<br />

ces beaux moments d'échanges et <strong>de</strong> partage.<br />

9h45 Je donne <strong>de</strong>s renseignements aux hôtes en fonction<br />

<strong>de</strong> leurs envies : cartes <strong>de</strong> randonnée, idées <strong>de</strong> visites, <strong>de</strong><br />

restaurants, <strong>de</strong> marchés <strong>de</strong> produits locaux ...<br />

Je prévois le repas du midi. Je sors ce qu'il faut du<br />

congé<strong>la</strong>teur et commence à cuisiner en attendant <strong>les</strong><br />

départs du jour.<br />

Nos hôtes nantais nous quittent ce matin. Je prépare <strong>la</strong><br />

facture. Ils veulent du cidre fermier et <strong>de</strong>s pommes <strong>de</strong><br />

<strong>terre</strong>. Je leur explique que chez nous, <strong>la</strong> récolte est en<br />

septembre, il faudra revenir. Ils me disent tout ce qu'ils ont<br />

apprécié ici, l'accueil, le petit déjeuner pantagruélique, <strong>la</strong><br />

verdure, le calme, <strong>les</strong> <strong>livre</strong>s....<br />

C'est le moment pour moi d'aérer, <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r <strong>les</strong> poubel<strong>les</strong>, <strong>de</strong><br />

ramasser <strong>les</strong> serviettes <strong>de</strong> toilette humi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre<br />

qui vient d'être libérée, <strong>de</strong> mettre du linge à <strong>la</strong> machine.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> a quitté <strong>la</strong> table du petit déjeuner et <strong>la</strong><br />

maison. Je mets <strong>la</strong> musique à fond, un morceau qui me<br />

donne du courage. Je débarrasse, remplis le <strong>la</strong>ve-vaisselle<br />

et le met à tourner. Je rassemble tous <strong>les</strong> restes comestib<strong>les</strong><br />

sur <strong>la</strong> table <strong>de</strong> <strong>la</strong> cuisine et appelle mes enfants : Thomas,<br />

Marie et Juliette.<br />

"Réveillez-vous ! Il y a tout ce qu'il faut pour votre petit<br />

déjeuner, recyc<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s bons restes : brioche, crêpes, jus <strong>de</strong><br />

fruits, compotes, riz au <strong>la</strong>it ...<br />

Je m'assoie cinq minutes avec eux, leur donne <strong>les</strong> consignes<br />

pour préparer le déjeuner. Je prends un café avec une<br />

31


onne tartine <strong>de</strong> pain frais et <strong>de</strong> confiture <strong>de</strong> fraises. Je fais<br />

le point <strong>de</strong>s arrivées du jour et <strong>de</strong>s chambres à préparer.<br />

11h30 Allez, au boulot ! Défaire <strong>les</strong> lits, mettre <strong>les</strong> draps<br />

sa<strong>les</strong> dans le sac pour l'entreprise <strong>de</strong> pressing<br />

(heureusement que je l'ai ce pressing, sinon je croulerais<br />

tous <strong>les</strong> soirs sous <strong>de</strong>s montagnes <strong>de</strong> housses <strong>de</strong> couette à<br />

repasser). Je refais tous <strong>les</strong> lits avec <strong>de</strong>s draps propres et<br />

bien repassés, puis m'attaque au ménage <strong>de</strong>s sanitaires,<br />

puis passe l’aspirateur.<br />

12h45 Je <strong>de</strong>scends voir si <strong>les</strong> enfants ont bien mis en route<br />

le repas, sinon, petit rappel à l'ordre.<br />

Je m'installe à table avec Nico<strong>la</strong>s, <strong>les</strong> enfants, et Fabrice,<br />

l'ouvrier du jour. Avril et mai ont été beaux cette année, <strong>les</strong><br />

chantiers <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntation <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> se sont bien<br />

passés et sont maintenant achevés. Reste à <strong>net</strong>toyer et<br />

ranger p<strong>la</strong>nteuse, billonneur et tamiseuse jusqu'à l'année<br />

prochaine. Les jours <strong>de</strong> changements d'hôtes, le menu est<br />

simple : tomates-feta-jambon d'Aoste, steak-pois-carottes<br />

et yaourt.<br />

Je donne <strong>les</strong> consignes aux enfants pour ranger <strong>la</strong> table et<br />

remplir le <strong>la</strong>ve-vaisselle. Je vérifie mes mails et y réponds,<br />

l'occasion aussi <strong>de</strong> faire une pause seule et assise.<br />

32


Je remonte <strong>net</strong>toyer <strong>les</strong> chambres, aspirateur, serpillère<br />

dans toutes <strong>les</strong> chambres en arrivée, <strong>les</strong> escaliers, le hall, et<br />

<strong>la</strong> gran<strong>de</strong> salle <strong>de</strong>s petits déjeuners, que ceux qui me disent<br />

que je ne fais pas <strong>de</strong> sport me suivent.<br />

J’installe mes petites ardoises et post-it au cas où <strong>les</strong><br />

nouveaux hôtes arriveraient en avance. Toujours être prêt !<br />

15h30 Vite, vite, je vais prendre une douche.<br />

La sieste, moment sacré qui sépare ma journée en <strong>de</strong>ux, un<br />

break salutaire qui me permet d'être à nouveau prête pour<br />

accueillir sereinement <strong>les</strong> nouveaux arrivants.<br />

Allez, <strong>la</strong> pause est finie. Je prends un thé avec <strong>les</strong> enfants,<br />

tranquillement.<br />

Je réponds à mes mails. Je confectionne <strong>de</strong>s gâteaux pour le<br />

len<strong>de</strong>main matin<br />

17h30 Des nouveaux hôtes Ang<strong>la</strong>is arrivent. Hello, How are<br />

you ? Je <strong>les</strong> accueille en frang<strong>la</strong>is, leur explique le<br />

fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison d'hôtes, <strong>les</strong> excursions.<br />

Je retourne à mes gâteaux : far, pain d'épices, riz au <strong>la</strong>it. Ah,<br />

il serait temps que je change mes spécialités, mes recettes<br />

ont presque fait le tour du mon<strong>de</strong> et sont <strong>de</strong>venues<br />

popu<strong>la</strong>ires avec <strong>les</strong> «Mercredis à <strong>la</strong> Ferme »<br />

Je remets une tournée <strong>de</strong> linge en route.<br />

18h15 Voi<strong>la</strong> mes randonneurs à vélo qui arrivent du canal<br />

<strong>de</strong> Nantes à Brest. Je fais le tour avec eux. C'est bon, tout le<br />

mon<strong>de</strong> est installé pour aujourd'hui. J'ai le temps <strong>de</strong> faire<br />

une échappée pour <strong>de</strong>s petites courses à Cléguérec. Je<br />

croise Sylvain <strong>de</strong> <strong>la</strong> crêperie, on parle du début <strong>de</strong> saison et<br />

<strong>de</strong> ses émissions sur Radio-France Armorique. Je passe<br />

chercher du <strong>la</strong>it frais chez <strong>les</strong> voisins à Locmaria.<br />

Je rentre, vi<strong>de</strong> <strong>les</strong> courses et compose le repas du soir :<br />

pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> nouvel<strong>les</strong>, <strong>la</strong>itue fraiche, poitrine <strong>de</strong> porc<br />

à griller, <strong>les</strong> choses simp<strong>les</strong> sont souvent <strong>les</strong> meilleures, je<br />

démoule <strong>les</strong> gâteaux, « Humm le pain d'épices est réussi à<br />

souhait ! »,<br />

<strong>Un</strong> petit tour <strong>de</strong> ton<strong>de</strong>use, un moment que j'aime bien, il<br />

me permet <strong>de</strong> prendre l'air et <strong>de</strong> chanter sans que<br />

personne ne m'enten<strong>de</strong>. Je fais <strong>de</strong>s allées dans le verger en<br />

fleurs. Le printemps est vraiment magnifique cette année.<br />

Je mets le couvert pour le petit déjeuner du len<strong>de</strong>main. Je<br />

cause avec <strong>les</strong> enfants. Wally, le plus jeune <strong>de</strong>s chiens est<br />

col<strong>la</strong>nt, il ne me quitte pas d'une semelle et pleure dès qu'il<br />

ne nous voit plus.<br />

20h15 Le dîner est un moment important pour se poser en<br />

famille, il nous réunit ensemble, sans télévision. C'est<br />

souvent à <strong>la</strong> fin du repas que <strong>de</strong>s petites choses se<br />

dénouent. Les pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> Amandine nouvel<strong>les</strong> du<br />

jardin sont délicieuses surtout avec un peu <strong>de</strong> crème<br />

fraiche et <strong>de</strong> ciboulette. On se régale <strong>de</strong>s fraises toutes<br />

fraiches qu’Isabelle <strong>de</strong> Ste-Brigitte me dépose après sa<br />

journée <strong>de</strong> maraîchage.<br />

Je vais dans mon tout petit potager enlever quelques<br />

mauvaises herbes et ramasser quelques cerises. J’apprécie<br />

<strong>de</strong> prendre l'air le soir quand il a fait bon et que tout est<br />

calme, admirer <strong>la</strong> vue sur <strong>les</strong> champs, <strong>la</strong> campagne<br />

environnante, <strong>les</strong> éoliennes.<br />

Je retourne <strong>de</strong>vant mon écran d'ordinateur, mails,<br />

confirmation <strong>de</strong>s réservations, et un peu <strong>de</strong> surf sur le Net,<br />

pour me tenir au courant et faire quelques mises à jour sur<br />

mes sites et blogs, ça fait aussi partie du métier.<br />

34


22h La nuit tombe, Nico<strong>la</strong>s et moi faisons le point <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

production journalière d'électricité <strong>de</strong> nos panneaux<br />

photovoltaïques. 249 KWh, pas mal du tout, un record<br />

même ! C'est une nouvelle aventure dans notre vie<br />

d'agriculteurs–énergiculteurs.<br />

Je remplis à nouveau le <strong>la</strong>ve linge et plie <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte<br />

<strong>les</strong>sive. Encore <strong>de</strong>bout à piétiner à 22h, ce métier ne<br />

s'arrête donc jamais ? Et aujourd'hui, je n'avais pas <strong>de</strong><br />

réunion du GVA ou avec Bienvenue à <strong>la</strong> Ferme.<br />

Je prépare encore quelques affaires pour gagner du temps<br />

<strong>de</strong>main matin. Je suis décidément plus du soir que du<br />

matin. Je m'assois dans un fauteuil, près <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s, on<br />

discute <strong>de</strong>vant un verre <strong>de</strong> vin, du Saint-Pourçain ce soir.<br />

On se choisit une émission parmi <strong>les</strong> programmes <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong> soirée, un débat animé par Fré<strong>de</strong>ric<br />

Tadéï, j'aime sa façon <strong>de</strong> rassembler <strong>de</strong>s personnalités<br />

éclectiques sur un sujet d'actualité.<br />

On monte se coucher. En ce moment, je lis avec p<strong>la</strong>isir La<br />

réserve <strong>de</strong> Russel Banks, l’histoire se passe dans <strong>les</strong><br />

Adirondacks. Nico<strong>la</strong>s termine Millénium.<br />

01h00 Extinction <strong>de</strong>s feux.<br />

Valérie, entre <strong>de</strong>ux traites<br />

La sonnerie du réveil se met à vibrer, une sonnerie très<br />

désagréable à entendre qui ne vous fait pas rester au lit. Je<br />

m'habille avec une sensation d'avoir <strong>les</strong> jambes lour<strong>de</strong>s, le<br />

corps mou. Quel enthousiasme pour commencer sa journée<br />

!<br />

La <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l'escalier se fait tout doucement, je branche<br />

<strong>la</strong> cafetière, coupe mes quatre tartines <strong>de</strong> pain et file à <strong>la</strong><br />

boite aux lettres en courant pour prendre le journal. Je<br />

reviens en regardant <strong>les</strong> titres <strong>de</strong> <strong>la</strong> première page,<br />

toujours <strong>de</strong>s mauvaises nouvel<strong>les</strong>. Je m'installe déjeuner en<br />

parcourant <strong>les</strong> pages. De temps en temps j'appelle A<strong>la</strong>in : «<br />

Tu viens ?», le bruit du lit se fait entendre, hier il a mis un<br />

pied <strong>de</strong>vant l'autre au bout <strong>de</strong> 20 minutes. Le voilà qui<br />

arrive.<br />

Le journal lu, j'attends, en lui disant : Allez, dépêche-toi ! Je<br />

vais consulter <strong>les</strong> comptes sur l'ordinateur et voir si <strong>la</strong> paie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>it a été virée. La déception doit se lire sur mon visage<br />

quand je vois le chiffre affiché et que je sais que je<br />

n’arriverai pas à payer nos factures ce mois-ci. Combien <strong>de</strong><br />

temps ce<strong>la</strong> va-t-il durer ? La morosité s'installe dans le<br />

foyer, <strong>de</strong>s questions se posent, sans réponse. Mais nous ne<br />

pouvons pas nous appesantir sur notre sort. Il faut traire<br />

<strong>les</strong> vaches. Enfin A<strong>la</strong>in est prêt.<br />

Nous <strong>de</strong>scendons l'escalier du sous-sol sans nous presser.<br />

Nous enfilons notre tenue <strong>de</strong> travail et prenons notre<br />

véhicule puisque nous n'habitons pas sur le siège<br />

d'exploitation, ce<strong>la</strong> nous donne du temps pour discuter.<br />

A<strong>la</strong>in <strong>de</strong>scend chercher <strong>les</strong> vaches. Pendant ce temps, je<br />

vais mettre <strong>les</strong> fils pour que <strong>les</strong> bêtes s'orientent vers <strong>la</strong><br />

bonne direction du bâtiment. Puis c'est <strong>la</strong> préparation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

salle <strong>de</strong> traite. J'enlève une à une <strong>les</strong> griffes <strong>de</strong> leur support,<br />

mouille <strong>les</strong> quais, le sol, <strong>les</strong> murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> traite pour<br />

éviter que <strong>la</strong> bouse <strong>de</strong>s vaches ne s'y colle, ce sera plus<br />

facile a <strong>net</strong>toyer ensuite. Je reviens au bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle <strong>de</strong><br />

traite pour mettre <strong>les</strong> ma<strong>net</strong>tes à leur p<strong>la</strong>ce afin <strong>de</strong> diriger<br />

le <strong>la</strong>it vers le tank. Je monte dans le parc d'attente orienter<br />

<strong>la</strong> barrière pour que <strong>les</strong> vaches se dirigent dans <strong>la</strong> salle <strong>de</strong><br />

traite. Demi-tour dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie, instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne à<br />

<strong>la</strong>it au tank, préparation <strong>de</strong>s <strong>la</strong>vettes pour désinfecter <strong>les</strong><br />

trayons <strong>de</strong>s vaches.<br />

35


Les voilà qui arrivent, chacune <strong>de</strong> leur côté. Nous trayons<br />

par <strong>de</strong>ux rangs <strong>de</strong> 5 vaches. Je <strong>net</strong>toie chaque vache avec<br />

une <strong>la</strong>vette individuelle puis je tire <strong>les</strong> premiers jets pour<br />

vérifier que le <strong>la</strong>it n'est pas infecté. Je prends <strong>la</strong> griffe d'une<br />

main et <strong>de</strong> l'autre je <strong>la</strong> dirige vers chaque trayon. Grâce au<br />

décrochage automatique, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> traite, ça se<br />

débranche tout seul. Je vérifie qu’el<strong>les</strong> sont bien traites tout<br />

en appliquant un produit pour qu'el<strong>les</strong> ne s'infectent pas,<br />

étant donné que le sphincter reste encore ouvert quelques<br />

minutes après <strong>la</strong> traite. J'ouvre <strong>les</strong> portes <strong>de</strong> <strong>de</strong>vant pour<br />

que <strong>les</strong> vaches sortent <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle. El<strong>les</strong> longent un couloir<br />

<strong>de</strong> sortie pour aller s'alimenter à <strong>la</strong> table d'alimentation ou<br />

pour se détendre vers <strong>les</strong> logettes.<br />

Je continue, lot après lot, en regardant vers l'extérieur. Le<br />

bâtiment ouvert me permet <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> pâtures et le<br />

paysage. La traite terminée, il faut pousser <strong>la</strong> bouse vers le<br />

couloir d'exercice pour éviter <strong>de</strong> gaspiller <strong>de</strong> l'eau en <strong>la</strong>vant<br />

<strong>les</strong> quais.<br />

Quand tout est fini, je vais mettre du foin aux génisses<br />

logées dans un autre bâtiment face à celui <strong>de</strong>s vaches. Puis<br />

je rejoins A<strong>la</strong>in pour avancer <strong>les</strong> fils du troupeau <strong>de</strong>s<br />

vaches limousines afin qu'el<strong>les</strong> puissent pâturer.<br />

L'heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>s vaches est arrivée. A<strong>la</strong>in me<br />

précè<strong>de</strong> pour ouvrir <strong>la</strong> brèche du champ, je <strong>les</strong> pousse en<br />

criant «allez, allez, ho» tout le long du chemin qui mène à <strong>la</strong><br />

pâture. Nous restons un instant pour <strong>les</strong> regar<strong>de</strong>r et<br />

entendre l'herbe craquer à chaque bouchée prise.<br />

Nous revenons ensemble vers le bâtiment en nous arrêtant<br />

<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> haie bocagère remplie <strong>de</strong> prunes. Nous vérifions<br />

leur maturité en en mangeant quelques-unes. La pause-café<br />

est arrivée, nous <strong>de</strong>scendons à <strong>la</strong> maison.<br />

36


Arrivée <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> boite aux lettres, je crie comme tous <strong>les</strong><br />

jours, « le facteur est passé ». Arrêt obligatoire, j'ai besoin<br />

<strong>de</strong> connaître <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> même si el<strong>les</strong> ne sont pas<br />

toujours bonnes. Devant ma tasse <strong>de</strong> café, je feuillette le<br />

courrier. Satisfaite, je vais préparer le repas du midi. Puis<br />

nous repartons ramasser <strong>les</strong> prunes avec <strong>les</strong> enfants.<br />

Océane et moi sommes dans le go<strong>de</strong>t du tracteur pour<br />

cueillir <strong>les</strong> fruits pendant que Coralie et A<strong>la</strong>in sont à<br />

l’intérieur du tracteur ou à ramasser en bas. Au bout d'une<br />

heure, le seau est rempli <strong>de</strong> rouge et jaune, voir ces fruits<br />

qui finiront en confiture me fait p<strong>la</strong>isir. Hé<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> pluie<br />

tombe, nous commençons à avoir froid en hauteur. Je n'ai<br />

qu'une envie, rentrer au chaud, par contre, <strong>les</strong> fil<strong>les</strong>, par<br />

leurs cris <strong>de</strong> joie, montrent qu'el<strong>les</strong> sont heureuses d'être<br />

secouées <strong>de</strong> bas en haut dans le go<strong>de</strong>t sur le chemin du<br />

retour.<br />

Nous rentrons déjeuner très vite puisque Océane et moi<br />

<strong>de</strong>vons <strong>de</strong>scendre à Pontivy acheter une casquette pour<br />

partir en camp et comman<strong>de</strong>r <strong>les</strong> <strong>livre</strong>s <strong>de</strong> Coralie pour <strong>la</strong><br />

rentrée prochaine. Océane me fait <strong>la</strong> remarque qu'il n'y a<br />

personne en ville. En effet, je regar<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> nous, pas<br />

un chat.<br />

« C'est <strong>la</strong> crise ma fille, <strong>les</strong> gens font plus attention et c'est<br />

aussi <strong>la</strong> fin du mois ». Nous nous dépêchons, nous avons<br />

ren<strong>de</strong>z-vous chez le <strong>de</strong>ntiste pour un contrôle.<br />

A peine sorties, le téléphone sonne, c'est A<strong>la</strong>in :<br />

« Où es-tu ?<br />

- J'arrive ! Je suis à l'embranchement du vil<strong>la</strong>ge.<br />

- J'ai besoin <strong>de</strong> toi pour mettre le veau dans <strong>la</strong> voiture<br />

et l'emmener à l'abattoir. »<br />

Je <strong>de</strong>scends <strong>de</strong> <strong>la</strong> voiture et cours me changer encore une<br />

fois, je mets mon bleu, mes bottes et me voilà repartie<br />

charger le veau et chercher <strong>les</strong> vaches pour <strong>les</strong> rentrer<br />

s'alimenter, avant <strong>la</strong> traite. Je <strong>les</strong> regroupe. A<strong>la</strong>in est<br />

<strong>de</strong>vant, sur <strong>la</strong> route, pour se signaler aux voitures et diriger<br />

le troupeau vers le bon chemin. À mi-chemin, nous<br />

échangeons nos bâtons et drapeaux. A<strong>la</strong>in continue seul<br />

<strong>de</strong>rrière <strong>les</strong> vaches. Je rejoins <strong>la</strong> voiture pour aller au<br />

bâtiment tout préparer dans <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> traite. Pendant que<br />

<strong>les</strong> vaches vont manger, nous mettons le veau dans <strong>la</strong><br />

voiture.<br />

A<strong>la</strong>in emmène le veau à l'abattoir, j'ai le temps <strong>de</strong> repasser<br />

mon linge. Au bout <strong>de</strong> trois quart d'heure, je l'entends<br />

monter <strong>les</strong> marches du sous-sol, <strong>la</strong> porte s'ouvre :<br />

« Es-tu là ?<br />

- Oui, j'arrive ! »<br />

Je <strong>de</strong>scends pour enfiler mon bleu, mes bottes. Nouveau<br />

trajet, direction l'exploitation Le Ruyer. A<strong>la</strong>in et moi<br />

suivons le même rituel que le matin. Nous nous retrouvons<br />

pour sortir <strong>les</strong> vaches et <strong>les</strong> observer une <strong>de</strong>rnière fois <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

journée.<br />

Le retour se fait dans le calme, chacun dans ses pensées, à<br />

attendre une météo favorable pour avancer dans <strong>la</strong><br />

moisson, en espérant <strong>de</strong>main voir apparaître le soleil.<br />

Joseph : 1 - Rumex : 0<br />

Cette nuit, mon sommeil a été <strong>de</strong> plomb, le résultat d'être<br />

<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours à marcher et piocher pour enlever du<br />

rumex.<br />

En tirant le ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong> fenêtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre, je vois que<br />

déjà <strong>les</strong> voitures <strong>de</strong> ceux qui travaillent <strong>de</strong> bonne heure<br />

passent sur <strong>la</strong> route. Le coq a réveillé sa basse-cour et se<br />

promène dans l'herbe. Le ciel est dégagé, le soleil sera au<br />

38


en<strong>de</strong>z-vous.<br />

Je <strong>de</strong>scends à <strong>la</strong> cuisine, <strong>les</strong> chattes Cannelle et Lo<strong>la</strong><br />

atten<strong>de</strong>nt leurs croquettes. Je mets le café à chauffer dans<br />

une casserole et pendant ce temps, je donne à manger aux<br />

chattes sur le seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte d’entrée. El<strong>les</strong> ont aussi le<br />

droit à quelques caresses. Je reviens vers mon café, sort un<br />

bol, <strong>de</strong>ux sucres, le pain, le beurre et m'assoie à <strong>la</strong> table <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cuisine. J'allume <strong>la</strong> télévision pour regar<strong>de</strong>r Télé-matin<br />

afin d'avoir <strong>la</strong> météo et <strong>les</strong> informations <strong>de</strong> sept heures.<br />

A sept heures trente, je me lève <strong>de</strong> table, range le petitdéjeuner.<br />

Je fais ma toilette et sors <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison pour<br />

donner en vitesse du blé aux pou<strong>les</strong>.<br />

Je pars à pied au champ. Il me reste jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'aprèsmidi<br />

pour finir d'enlever le rumex dans le <strong>de</strong>rnier champ.<br />

J'emmène avec moi un seau et ma pioche. Ce travail<br />

physique me p<strong>la</strong>it pour différentes raisons. Je sais que je<br />

gar<strong>de</strong>rai mon côté sportif, habitué à l'endurance, pour<br />

conserver un physique musclé et fin. Naturellement, j'aime<br />

l'effort. Ce travail basique d'entretien <strong>de</strong>s champs, à<br />

marcher et piocher, me convient. Je suis au plus prés du sol,<br />

seul avec <strong>la</strong> <strong>terre</strong> que j’ai choisie pour avoir ma propre<br />

liberté d'entreprendre, sans compte à rendre à personne.<br />

Seul le bruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> pioche au contact du sol marque ma<br />

présence au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Cet outil fait partie <strong>de</strong> ma<br />

vie. Mon père me l'avait donné à 14 ou 15 ans, quand il m'a<br />

appris à sélectionner <strong>les</strong> p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong>. Sa<br />

forme étroite d'une vingtaine <strong>de</strong> centimètres, son manche<br />

en bois court me facilitent le travail quel qu'il soit. Je n'ai<br />

jamais désiré le modifier pour qu'il soit plus performant.<br />

Je coupe à travers champ pour passer vers le milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

haie <strong>de</strong> noisetiers, à cet endroit ce sont <strong>de</strong>s noisetiers<br />

rouvres qui ont été p<strong>la</strong>ntés, ils sont moins hauts et moins<br />

étoffés que <strong>les</strong> noisetiers greffés. J'utilise souvent ce<br />

passage et je ne suis pas le seul à m'en servir. Les animaux<br />

l'utilisent aussi, entre autres Mozart, le <strong>la</strong>brador <strong>de</strong> Marie-<br />

Reine qui fait son tour tous <strong>les</strong> jours au vil<strong>la</strong>ge. Je le trouve<br />

sur son chemin <strong>de</strong> retour, il me connait bien et suivant son<br />

humeur, il se <strong>la</strong>isse caresser ou reste à distance <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

pas, l’air <strong>de</strong> me dire : « Aujourd’hui je suis pressé <strong>de</strong> rentrer<br />

à <strong>la</strong> maison. »<br />

Les renards aussi l'empruntent, mais pas <strong>les</strong> lièvres qui ne<br />

veulent pas se faire repérer alors qu'ils gîtent quelques fois<br />

à cinquante mètres du passage.<br />

Dès cette haie passée, <strong>les</strong> bruits s'estompent, je vais<br />

retrouver mon ambiance <strong>de</strong> travail en silence. Je reprends<br />

ma marche normale entre <strong>les</strong> rangs <strong>de</strong> cannes <strong>de</strong> maïs<br />

<strong>la</strong>issées l'année précé<strong>de</strong>nte. Jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> matinée,<br />

j'avance à bonne allure dans cette parcelle <strong>de</strong> neuf hectares<br />

à l'écart <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> <strong>la</strong> route. Elle est en forme <strong>de</strong> cuvette<br />

et donne l'impression, suivant où l'on se trouve, d'être<br />

petite ou au contraire démesurée. Je l'ai entourée <strong>de</strong> haies<br />

bocagères, ce qui amplifie le sentiment d'être au fin fond <strong>de</strong><br />

nulle part. Je n'ai pas <strong>de</strong> montre, midi est sûrement passé.<br />

Je suis content car je n'ai pas trouvé <strong>de</strong> grand foyer <strong>de</strong><br />

rumex. Je prends <strong>la</strong> décision d'aller me faire à manger. Je<br />

dépose mon seau et ma pioche au bout du rang <strong>de</strong> cannes<br />

<strong>de</strong> maïs et rentre à pied à <strong>la</strong> maison.<br />

39


Il est douze heures trente. Qu’est-ce que je fais à manger ?<br />

Évi<strong>de</strong>mment je n'y ai pas pensé ce matin, trop pressé <strong>de</strong><br />

partir au champ. Allez, va pour <strong>de</strong>s carottes râpées, une<br />

omelette avec <strong>de</strong>s pâtes, un bout <strong>de</strong> fromage, une pomme<br />

en <strong>de</strong>ssert. Tout en préparant le repas, je branche <strong>la</strong> télé<br />

pour voir <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'émission « Qui veut prendre sa p<strong>la</strong>ce ? »<br />

Seule <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'émission m'intéresse, au moment où Nagui<br />

commence à poser <strong>de</strong>s questions sur le sujet du jour et sur<br />

le choix du thème retenu par le champion ou <strong>la</strong><br />

championne. Ça me permet <strong>de</strong> trouver ou d'apprendre<br />

certaines réponses.<br />

Treize heures, l’heure <strong>de</strong>s informations, j'ai fini <strong>de</strong> manger.<br />

Le facteur vient <strong>de</strong> passer, je vais chercher le courrier dans<br />

<strong>la</strong> boite aux lettres. Aujourd'hui, pas <strong>de</strong> factures, que <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

publicité, elle va directement à <strong>la</strong> poubelle. Je contrôle si <strong>les</strong><br />

pou<strong>les</strong> ont pondu et rejoins le hangar, au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> route,<br />

pour repartir au champ, avec mon tracteur Deutz <strong>de</strong> 50<br />

chevaux. J’attèle <strong>la</strong> benne, car cet après-midi j'en aurai<br />

besoin pour ramasser tous <strong>les</strong> tas faits en bout <strong>de</strong> champ et<br />

aussi pour le positionner auprès d'un important foyer <strong>de</strong><br />

rumex où mon seau ne suffira pas.<br />

J'avance toujours à bonne allure, <strong>la</strong> moitié du champ est<br />

réalisée, mon repère pour ce champ n'est pas compliqué<br />

car il se situe au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> cuvette. Les choses sérieuses<br />

vont commencer.<br />

Avant 1985, ce fond séparait <strong>de</strong>ux propriétés et avait un<br />

fossé d'écoulement <strong>de</strong> l'eau. De chaque coté, <strong>les</strong><br />

propriétaires avaient l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> déposer <strong>les</strong> cailloux<br />

ramassés sur le champ ainsi que <strong>les</strong> p<strong>la</strong>ntes gênantes pour<br />

<strong>les</strong> cultures en p<strong>la</strong>ce, entre autres le rumex et l'avoine folle.<br />

Depuis, j'ai acquis <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux parcel<strong>les</strong> <strong>de</strong> chaque coté du<br />

fossé, l'association <strong>de</strong> drainage est passée par là, le fossé à<br />

été comblé, l'eau circule par <strong>de</strong>s drains enterrés à 80<br />

centimètres. Nous sommes en 2009, il y a encore quelques<br />

cailloux qui reviennent en surface et aussi du rumex qui<br />

pousse en gran<strong>de</strong> quantité. Je visualise l'étendue <strong>de</strong> <strong>la</strong> tâche<br />

à accomplir et déci<strong>de</strong> d'alterner un passage où je <strong>de</strong>vrais<br />

piocher en permanence, pendant une heure à peu prés, et<br />

plusieurs passages plus haut dans le champ où le nombre<br />

<strong>de</strong> rumex est peu important.<br />

Avec ces concentrations <strong>de</strong> mauvaises herbes, l'heure passe<br />

à toute allure et je m'aperçois que je n'aurai pas le temps <strong>de</strong><br />

finir entièrement le champ. J'aurai toutefois <strong>la</strong> satisfaction<br />

d'avoir réduit énormément ce grand foyer. Je le finirai<br />

avant le semis <strong>de</strong> haricots ou quand ils seront en p<strong>la</strong>ce. Je<br />

déci<strong>de</strong> d'aller vi<strong>de</strong>r le rumex à coté du chenil <strong>de</strong> Daniel où<br />

un espace non cultivé me sert à entreposer <strong>les</strong> branches<br />

mortes et où je peux mettre le feu <strong>de</strong> temps en temps.<br />

J'étale le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> benne afin <strong>de</strong> le faire sécher<br />

rapi<strong>de</strong>ment et retourne chercher <strong>les</strong> tas faits au bout <strong>de</strong>s<br />

cannes <strong>de</strong> maïs. Il est temps <strong>de</strong> rentrer car je dois<br />

téléphoner à Jean-Luc pour savoir si je peux prendre le<br />

déchaumeur.<br />

En arrivant à <strong>la</strong> maison, je rentre le tracteur au hangar et<br />

ferme le portail. <strong>Un</strong> bon café-pain-beurre me fera du bien. Il<br />

est déjà 17h30, je téléphone à Jean-Luc qui me dit que je<br />

peux récupérer le tracteur et le déchaumeur vers 18<br />

heures. J'en profite pour m'assoir tranquillement. J'ai le<br />

temps <strong>de</strong> ramasser <strong>les</strong> œufs. Je ferme <strong>la</strong> maison à clef et<br />

prends <strong>la</strong> voiture pour aller chercher le tracteur (il est à 4<br />

kilomètres <strong>de</strong> chez moi).<br />

En arrivant, personne. Le déchaumeur est bien accroché<br />

41


sur le tracteur, je téléphone avec mon portable pour<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>les</strong> consignes. Jean-Luc me dit que je peux<br />

disposer <strong>de</strong>s outils pour <strong>la</strong>bourer chez moi et aussi que j'ai<br />

à déchaumer chez lui et Gil<strong>les</strong>. Il m'indique à quelle vitesse<br />

travailler.<br />

Changement <strong>de</strong> décor, ce tracteur fait 150 chevaux avec<br />

ordinateur <strong>de</strong> bord. Il y a un vo<strong>la</strong>nt, ouf ! Bon ce<strong>la</strong> ne<br />

m'impressionne plus car j'ai l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> le prendre. Je<br />

n'oublie plus comment le faire avancer, ce<strong>la</strong> m'est déjà<br />

arrivé <strong>de</strong> téléphoner à Jean-Luc pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle<br />

ma<strong>net</strong>te utiliser. Avec ces engins et tous ces gadgets, il y a<br />

un ordre bien précis à respecter sinon, 4 heures après, on<br />

est toujours dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme. Me voilà parti, il est<br />

19 heures, je vais directement au champ. Je note mon heure<br />

d'arrivée dans le car<strong>net</strong> et fais mes rég<strong>la</strong>ges sur 30 ou 40<br />

mètres pour aller démarrer le long <strong>de</strong> <strong>la</strong> haie <strong>de</strong> noisetiers.<br />

Je ne finirai pas <strong>de</strong> bonne heure ce soir. Ici l'ambiance est<br />

différente. Il y a le bruit du tracteur, même si <strong>la</strong> cabine<br />

fermée m'en enlève une partie. J'ai le chauffage (ou <strong>la</strong><br />

climatisation suivant <strong>la</strong> saison) <strong>la</strong> radio, un ordinateur <strong>de</strong><br />

bord qui me sert à vérifier tous <strong>les</strong> circuits : vérin<br />

hydraulique, gasoil, vitesse, régime moteur. <strong>Un</strong> variateur <strong>de</strong><br />

vitesse permet l'avancement automatique. Pour le moment,<br />

je ne me sers pas <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> fonctions car Jean-Luc n'a<br />

pas encore pris le temps <strong>de</strong> m'expliquer l'ensemble <strong>de</strong>s<br />

possibilités. C'est bien connu <strong>les</strong> patrons sont toujours<br />

pressés.<br />

20h30, je déci<strong>de</strong> d'aller manger. Je <strong>la</strong>isse mon tracteur au<br />

champ et vais à pied à <strong>la</strong> maison. Je prends 15 minutes pour<br />

manger et donner <strong>de</strong>s croquettes aux chattes.<br />

La nuit est tombée, le tracteur est bien équipé en éc<strong>la</strong>irage<br />

mais en principe, je préfère travailler <strong>de</strong> jour, on s'aperçoit<br />

tout <strong>de</strong> suite si un souci arrive. Cependant, avec le<br />

déchaumeur, on ne prend pas <strong>de</strong> grands risques. La radio<br />

me tient compagnie. Je finis le champ à 2 heures du matin.<br />

Je <strong>la</strong>isse le tracteur le long <strong>de</strong>s sapins, prés <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison. Je<br />

n'ai pas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour le rentrer à l’abri.<br />

Je me débarbouille vite fait....<br />

Et, au lit !<br />

42


Les vacances<br />

Pierre : Et <strong>les</strong> vacances, y en a-t-il parmi vous qui en<br />

prennent ?<br />

Catherine. Partir et découvrir d’autres régions ou pays, se<br />

vi<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tête, ne plus penser au boulot.<br />

Et surtout, passer du temps avec <strong>les</strong> enfants, tout<br />

simplement, prendre le petit déjeuner ensemble. <strong>Un</strong> petit<br />

p<strong>la</strong>isir que nous ne connaissons pas le reste <strong>de</strong> l’année.<br />

Montrer à nos enfants que le métier d’agriculteur permet<br />

également <strong>de</strong> suivre l’évolution <strong>de</strong> notre société où <strong>les</strong><br />

loisirs et le temps libre prennent une part <strong>de</strong> plus en plus<br />

importante, qu’ils puissent aussi raconter leurs vacances à<br />

leurs copains d’école.<br />

Valérie : Oh, <strong>les</strong> vacances, sujet tabou dans le mon<strong>de</strong> agricole.<br />

"J'ai pas le temps. Y a du travail !<br />

- T'auras toujours du travail.<br />

- Tu pars encore Valérie !<br />

- Eh, oui ! »<br />

C'est ma source d'énergie. Pas <strong>de</strong> vacances, pas <strong>de</strong> boulot,<br />

voilà ma <strong>de</strong>vise. De toutes façons, il restera toujours du<br />

travail, nous ne l'emporterons pas avec nous.<br />

Valérie : N'étant pas originaire du milieu agricole, j'ai passé<br />

toutes mes gran<strong>de</strong>s vacances au bord <strong>de</strong> mer. Il était<br />

impensable pour moi <strong>de</strong> ne plus partir. J'ai toujours<br />

<strong>de</strong>mandé au moins une semaine quand j'étais encore<br />

sa<strong>la</strong>riée à l'extérieur.<br />

Quand je suis venue sur l'exploitation, j’ai accepté <strong>de</strong><br />

travailler <strong>les</strong> week-ends. Mais <strong>les</strong> vacances, c'est sacré !<br />

Nous prenons <strong>de</strong>ux semaines dans l'année, j'estime que<br />

nous méritons bien ce repos. Nous travaillons tout <strong>de</strong><br />

même 7 jours sur 7, toute l'année, même le dimanche, aux<br />

oubliettes <strong>les</strong> grâces matinées. Rien qu’à <strong>la</strong> traite et au<br />

<strong>la</strong>vage, nous effectuons déjà <strong>les</strong> 35 heures <strong>de</strong> travail par<br />

semaine, auxquels il faut ajouter le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée, et<br />

<strong>les</strong> repas <strong>de</strong> famille. L'obligation du métier nous rappelle à<br />

l’ordre, ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ou pas.<br />

Catherine : Nous ne pouvons pas partir en vacances sans<br />

trouver une personne à qui nous confions notre outil <strong>de</strong><br />

travail et nos animaux, avec <strong>les</strong> responsabilités qui en<br />

découlent. Ce remp<strong>la</strong>cement nous coûte 1000€ minimum <strong>la</strong><br />

semaine, charges comprises (encore un effort), ce qui<br />

augmente évi<strong>de</strong>mment le coût <strong>de</strong>s vacances.<br />

Mais ne jamais prendre <strong>de</strong> congés, ne jamais partir <strong>de</strong> chez<br />

soi, c’est aussi passer à côté <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> choses.<br />

Faire une vraie coupure permet aussi <strong>de</strong> reprendre son<br />

travail avec motivation et p<strong>la</strong>isir, repartir du bon pied.<br />

Catherine : Je dirais, plutôt, sujet sensible.<br />

Bien que <strong>de</strong> plus en plus d’agriculteurs s’accor<strong>de</strong>nt une,<br />

voire <strong>de</strong>ux, semaines <strong>de</strong> vacances par an (rarement plus),<br />

ce n’est pas encore une évi<strong>de</strong>nce pour tout le mon<strong>de</strong>. <strong>Un</strong><br />

agriculteur qui part en vacances, s’accor<strong>de</strong> un temps <strong>de</strong><br />

repos alors que pour un sa<strong>la</strong>rié, c’est un droit.<br />

44


Valérie : Ces vacances sont bien méritées. Il ne faut pas<br />

oublier que nous <strong>les</strong> préparons un an à l'avance. Toute une<br />

organisation est à mettre en p<strong>la</strong>ce : avant et après cette<br />

semaine <strong>de</strong> vacances, pas d'insémination, pour ne pas avoir<br />

<strong>de</strong> vê<strong>la</strong>ge ; préparation du pâturage, <strong>de</strong> l'alimentation, pour<br />

que le remp<strong>la</strong>çant ait le minimum <strong>de</strong> charge. Il n’en<br />

travaille pas moins 70 heures par semaine. Il faut le trouver<br />

et lui faire confiance.<br />

J’aime voyager, j'ai soif <strong>de</strong> découvertes comme le Maroc, <strong>la</strong><br />

Tunisie, <strong>les</strong> Antil<strong>les</strong> : <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, Marie-Ga<strong>la</strong>nte, <strong>les</strong><br />

Saintes, Saint-Martin ; le Sénégal, l'Égypte, du soleil,<br />

toujours du soleil et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne cuisine. <strong>Un</strong>e culture<br />

différente, d’autres pratiques religieuses, <strong>de</strong>s paysages<br />

nouveaux.<br />

Catherine : Eh oh, Valérie en France aussi il y a <strong>de</strong>s bel<strong>les</strong><br />

régions.<br />

Valérie : Bien sûr ! Je le sais bien, puisque nos <strong>de</strong>ux famil<strong>les</strong><br />

sont allées ensemble au Pays basque. Pas <strong>de</strong> chance, alerte<br />

orange toute <strong>la</strong> semaine et un beau soleil le jour <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rentrée pour nous raccompagner à <strong>la</strong> maison.<br />

Heureusement que nous avions fait notre barbecue le<br />

premier jour, beau souvenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> soupe en plein mois<br />

d'août !<br />

Catherine : Et aussi l’île <strong>de</strong> Ré à vélo et <strong>de</strong>rnièrement <strong>la</strong><br />

Dordogne en camping sous un soleil <strong>de</strong> plomb, toujours<br />

ensemble.<br />

Les vacances changent <strong>les</strong> idées et nous enrichissent à<br />

travers <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> régions riches en culture et<br />

agriculture différentes <strong>de</strong>s nôtres. On gar<strong>de</strong> en mémoire un<br />

petit coin <strong>de</strong> France.<br />

Valérie : L'île <strong>de</strong> Ré ! Semaine sportive, du vélo, toujours du<br />

vélo <strong>de</strong> long en <strong>la</strong>rge avec, bien sûr, quelques chutes <strong>de</strong> nos<br />

petits casca<strong>de</strong>urs.<br />

La Dordogne, une belle région avec <strong>la</strong> fameuse <strong>de</strong>scente <strong>de</strong><br />

14 kms en canoës, sous 36 <strong>de</strong>grés qui vous sèchent sur<br />

p<strong>la</strong>ce, et son bon foie gras à déguster. L'Alsace, réputée<br />

pour sa route <strong>de</strong>s vins. L'Auvergne où l’on se régale avec<br />

ses tripoux, ses fromages et son aligot.<br />

On se retrouve en famille, sans vache, sans heure <strong>de</strong> traite,<br />

sans ronchonner, une vraie coupure, <strong>de</strong> bel<strong>les</strong> rencontres,<br />

<strong>de</strong>s échanges fructueux. Ces moments me sont<br />

indispensab<strong>les</strong> pour survivre et avoir <strong>de</strong> l'énergie toute<br />

l'année. Lors <strong>de</strong>s mauvais moments, il est bon <strong>de</strong> se<br />

remémorer ces instants pour évacuer <strong>la</strong> tension du<br />

quotidien. Connaitre une autre richesse que celui du mon<strong>de</strong><br />

agricole et avoir une nouvelle ouverture.<br />

Catherine : Cette année, nous irons skier à Châtel en Haute-<br />

Savoie, expérience que nous renouvelons pour <strong>la</strong> troisième<br />

fois au grand bonheur <strong>de</strong>s enfants. <strong>Un</strong>e semaine <strong>de</strong><br />

dépaysement total pendant <strong>la</strong>quelle on n’a plus le temps <strong>de</strong><br />

penser à ses vaches, c’est très appréciable.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Depuis quelques années, tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux ans<br />

environ, je m'absente une semaine pour voyager. Mais pour<br />

profiter pleinement <strong>de</strong> cette semaine <strong>de</strong> découverte, je dois<br />

prévoir mon remp<strong>la</strong>cement au moins six mois avant le<br />

départ. J'essaie <strong>de</strong> choisir <strong>la</strong> semaine <strong>la</strong> plus creuse. Jusqu'à<br />

présent, j'ai fait appel à une personne <strong>de</strong> <strong>la</strong> région qui<br />

auparavant s'occupait d'un élevage <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins. Elle est<br />

contente <strong>de</strong> retrouver un temps cette activité <strong>de</strong>puis qu'elle<br />

a dû l'arrêter.<br />

46


Je pars toujours en voyage organisé, je préfère cette<br />

formule. J'ai visité <strong>de</strong>ux pays : <strong>la</strong> Tchéquie avec <strong>la</strong> société<br />

d'aliments San<strong>de</strong>rs et, au Canada, le Québec, avec le GVA du<br />

Faouët. Cette façon <strong>de</strong> voyager me permet <strong>de</strong> rencontrer<br />

d'autres personnes sans souci d’intendance. Le matin est<br />

consacré aux visites professionnel<strong>les</strong> et le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

journée est réservé au tourisme. Nous n'avons qu'à nous<br />

<strong>la</strong>isser porter. Nous prenons nos repas et dormons dans <strong>de</strong><br />

superbes hôtels-restaurants. Si j'al<strong>la</strong>is en individuelle, je<br />

n'aurais pas <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> me payer cette qualité<br />

d'hébergement. Ce qui m'a le plus marqué en Tchéquie,<br />

c'est <strong>la</strong> visite <strong>de</strong> l'élevage <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins. Nous n'avons rien à<br />

leur envier. Nous nous serions crus revenus vingt à trente<br />

ans en arrière. Le matériel était d'occasion et venait <strong>de</strong><br />

France, <strong>les</strong> animaux également L'élevage <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins n'est pas<br />

très développé dans ce pays.<br />

De temps en temps, je prends le week-end pour me<br />

retrouver en famille. Nous visitons une île. En Bretagne,<br />

nous avons <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance, <strong>les</strong> î<strong>les</strong> sont à notre portée. Nous<br />

partons pour <strong>la</strong> journée et passons ensuite <strong>la</strong> nuit et <strong>la</strong><br />

journée du dimanche chez l'un <strong>de</strong> mes frères ou <strong>de</strong> mes<br />

enfants. C'est à chacun son tour <strong>de</strong> recevoir. La prochaine<br />

sortie se termine chez moi. Pour ce<strong>la</strong> aussi une personne<br />

me remp<strong>la</strong>ce, mais seulement pour surveiller, car dans ce<br />

cas, je choisis le week-end où il y a le moins <strong>de</strong> travail. De<br />

toutes ces escapa<strong>de</strong>s, je reviens plus positive, pleine<br />

d'énergie pour continuer l'année.<br />

Pierre : Et C<strong>la</strong>ire, tu ne nous as rien dit sur <strong>les</strong> vacances.<br />

C<strong>la</strong>ire : Moi je rêve...<br />

Je rêve <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s vacances qui durent plus <strong>de</strong> 7 jours.<br />

Je rêve <strong>de</strong> pouvoir éc<strong>la</strong>ter <strong>de</strong> rire sans ombre aucune en<br />

pensée.<br />

Je rêve <strong>de</strong> passer un hiver dans le Montana.<br />

Je rêve d’une terrasse sur pilotis avec <strong>la</strong> baie d’Along à<br />

perte <strong>de</strong> vue.<br />

Je rêve <strong>de</strong> calme, <strong>de</strong> quiétu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> grand air, <strong>de</strong> grands<br />

espaces, <strong>de</strong> nature belle et sauvage.<br />

Je rêve d’une cabane tout en haut dans <strong>les</strong> arbres.<br />

48


La succession<br />

Pierre : La succession préoccupe tout le milieu agricole.<br />

Voulez-vous qu'on l'évoque ensemble ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : L’heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite va bientôt sonner pour moi.<br />

Je n’ai pas <strong>de</strong> repreneur. Je ne connais pas le <strong>de</strong>venir du<br />

bâtiment, mais ce<strong>la</strong> ne m’inquiète pas. Aujourd’hui, c’est<br />

très difficile d’installer un jeune car <strong>les</strong> contraintes<br />

administratives sont nombreuses et <strong>les</strong> revenus ne sont pas<br />

à <strong>la</strong> hauteur.<br />

J'en ai parlé avec <strong>les</strong> enfants. Voilà, à peu près ce qu'a été<br />

notre discussion :<br />

« Qu'en dis-tu Edwige ? Veux-tu prendre ma succession ?<br />

- Personne ne veut prendre ta suite. Nous avons<br />

choisi notre profession. Si l'un d'entre nous était motivé<br />

pour l'élevage ça se saurait déjà. Je travaille dans <strong>les</strong><br />

assurances, même si ce<strong>la</strong> n'est pas toujours facile, avec <strong>les</strong><br />

clients mécontents, je préfère cette situation. Je suis aux 35<br />

heures, quand je travaille le samedi, je récupère dans <strong>la</strong><br />

semaine. Dans mon entreprise, j’ai <strong>de</strong> nombreux avantages,<br />

notamment quand <strong>les</strong> enfants sont ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Je bénéficie <strong>de</strong><br />

vacances à prix modéré, reçois <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux pour <strong>les</strong><br />

enfants à Noël...<br />

- Et toi, Arnaud ?<br />

- L’idée d’être son propre patron m’intéresse car<br />

j'apprécie l'indépendance, mais je n'aime pas <strong>les</strong> animaux.<br />

Être enfermé avec eux toute <strong>la</strong> journée, quelle horreur !<br />

- Et Anthony que dis-tu ?<br />

- Que <strong>de</strong> travail ! De bonne heure le matin, tard le<br />

soir, souvent le samedi et le dimanche matin. Où sont <strong>les</strong> 35<br />

heures. Je préfère conduire <strong>de</strong>s camions, voir du paysage et<br />

surtout avoir <strong>de</strong>s week-ends et cinq semaines <strong>de</strong> congés.<br />

C'est Edwige qui conclut :<br />

- Et pour toi, où sont tes avantages ? »<br />

Il y a un tel fossé entre nous !<br />

Catherine : Chez nous <strong>les</strong> garçons interpellent souvent leur<br />

grand-père.<br />

« Dis Pépé, quand tu étais agriculteur, on ne faisait<br />

pas ça ? » <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Maë<strong>la</strong>n, 11 ans, à son grand-père,<br />

retraité « actif », tout en regardant son père régler le<br />

semoir pour semer <strong>les</strong> couverts végétaux après <strong>la</strong> récolte<br />

<strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong>.<br />

- Oh que non ! C’était bien moins compliqué <strong>de</strong> mon<br />

temps !<br />

- Alors tu mettais quoi après <strong>la</strong> moisson ?<br />

- Rien, tu sais maintenant c’est l’environnement : y a<br />

plus que ça qui compte ! »<br />

Beaucoup <strong>de</strong> choses ont changé en agriculture <strong>de</strong>puis .cette<br />

époque Aujourd’hui pour s’en sortir et réduire <strong>les</strong> charges,<br />

être agriculteur c’est être à <strong>la</strong> fois éleveur, vétérinaire (et<br />

pharmacien), cultivateur, mécanicien, négociant mais aussi<br />

gestionnaire, comptable, informaticien etc.<br />

Nos parents, bien que retraités <strong>de</strong> l’agriculture <strong>de</strong>puis<br />

plusieurs années, s’y intéressent toujours et restent<br />

informés sur son évolution. Ils s’inquiètent toujours <strong>de</strong> ces<br />

nouvel<strong>les</strong> réglementations qu’ils n’ont pas vécues, qui<br />

forcément sont <strong>de</strong>s contraintes supplémentaires. Encore<br />

<strong>de</strong>s charges qui fragilisent un peu plus <strong>la</strong> situation<br />

financière et entament parfois le moral et <strong>la</strong> motivation.<br />

Nous ne travaillons plus comme eux, nous sommes tenus à<br />

plus <strong>de</strong> réflexion et d’anticipation dans <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> notre<br />

50


exploitation. Même si nous arrivons à nous adapter,<br />

l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure pour l’avenir et <strong>la</strong> transmission <strong>de</strong><br />

l’exploitation.<br />

A l’opposé, <strong>les</strong> enfants baignés tout-petits dans ce système<br />

et sûrement trop jeunes encore pour tout comprendre,<br />

s’adapteront plus facilement que nous. Ils sont nés à une<br />

époque où tout bouge vite et tout est éphémère.<br />

Lorsque j’entends Romain, 9 ans, dire : « Quand je serai<br />

grand, je serai agriculteur, comme ça, j’aurai <strong>de</strong>s gros<br />

tracteurs», je me pose <strong>la</strong> question : que sera l’agriculture<br />

dans 20 ans, française, européenne ? Existera-t-il toujours<br />

<strong>de</strong>s structures familia<strong>les</strong> ou ne verra-t-on que <strong>de</strong> grosses<br />

entités (<strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> productions agrico<strong>les</strong>) regroupant<br />

plusieurs exploitations associées où chacun sera gérant<br />

d’une activité spécialisée ?<br />

Leur restera-t-il une âme d’agriculteur admirant notre belle<br />

nature au détour d’un chemin ? Conserveront-ils l’amour<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong> ? Seront-ils uniquement gestionnaires d’un outil<br />

<strong>de</strong> production avec un objectif à atteindre ?<br />

51


Valérie : L’absence <strong>de</strong> succession <strong>de</strong>vient a<strong>la</strong>rmante.<br />

Qu’adviendrait- il <strong>de</strong> nos exploitations dans 20 ans, <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion agricole vieillit, plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>s exploitants<br />

ont entre 40 et 55 ans, moins <strong>de</strong> 10 % ont 35 ans.<br />

Autrefois <strong>la</strong> succession ne posait aucun souci puisque le fils<br />

reprenait automatiquement après son père, aujourd'hui<br />

ce<strong>la</strong> n'est plus le cas. La popu<strong>la</strong>tion s’intéresse davantage à<br />

<strong>de</strong>s métiers plus mo<strong>de</strong>rnes dans <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s vil<strong>les</strong>. La<br />

campagne évoque le paysage, une ba<strong>la</strong><strong>de</strong> à cheval ou à vélo,<br />

une randonnée, bien plus que nourrir <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Nos<br />

<strong>terre</strong>s seront-el<strong>les</strong> en friche dans 20 ans ? <strong>Un</strong> exploitant<br />

doit aujourd'hui préparer sa succession 10 ans avant son<br />

départ afin d’avoir un repreneur qui a le même ressenti, <strong>les</strong><br />

mêmes envies concernant <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> l'élevage, le<br />

système fourrager et trouver fiscalement une bonne<br />

stratégie pour <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux parties.<br />

Troisièmement, monter un projet cohérent : finances,<br />

organisation du travail, système fourrager, production <strong>la</strong>it,<br />

cochon.<br />

Il lui faudra être très motivé, aimer son métier et foncer.<br />

J’ai 40 ans, rien ne presse si je reste en bonne santé, mais il<br />

est c<strong>la</strong>ir que trouver <strong>la</strong> stratégie <strong>la</strong> mieux adaptée pour ma<br />

succession restera présente dans mon esprit, tout au long<br />

<strong>de</strong>s années à venir.<br />

J’espère que <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> nos témoignages suscitera <strong>de</strong>s<br />

vocations.<br />

Mon souhait serait qu’un jeune puisse s’'installer sur notre<br />

exploitation, plutôt que d'assister à son démantèlement<br />

pour agrandir d'autres exploitations et qu’elle <strong>de</strong>vienne<br />

une usine à vaches. Aujourd’hui, on nous pousse à prendre<br />

<strong>de</strong>s décisions concernant <strong>la</strong> contractualisation avec <strong>les</strong><br />

<strong>la</strong>iteries et d’autres industriels. Nous ne serons plus<br />

maîtres chez nous face à l'industrie, mais tributaires <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s entreprises. Pour un jeune, reprendre une<br />

exploitation relève du défi. Tout au long <strong>de</strong> sa carrière, il<br />

<strong>de</strong>vra s'accrocher pour atteindre son objectif, et être bien<br />

armé financièrement.<br />

Premièrement, se mettre en accord avec son successeur<br />

concernant <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s (achat ou location), <strong>les</strong> bâtiments, le<br />

matériel, le cheptel ; trouver le juste milieu pour que<br />

chacun soit satisfait.<br />

Deuxièmement, entamer <strong>les</strong> démarches administratives, un<br />

vrai parcourt du combattant.<br />

53


Catherine : Nos parents ne s’y retrouveraient plus, ils ont vécu<br />

<strong>de</strong>s évolutions, certes, mais en gardant une certaine stabilité<br />

dans leur vie professionnelle.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : L'autre jour, j’ai assisté à <strong>la</strong> rencontre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

voisins. Antoine, un jeune <strong>de</strong> 22 ans et Marie qui en a 90.<br />

Voilà à peu près ce que j'ai retenu <strong>de</strong> leur dialogue :<br />

« Bonjour Antoine, encore un tracteur neuf, alors que tu viens juste <strong>de</strong> t'installer ! Où tu vas chercher l'argent pour le<br />

payer, tu crois que c'est nécessaire d'avoir un tracteur <strong>de</strong> 100 CV ? Tu sais, Hubert et moi avons commencé avec le<br />

cheval et <strong>la</strong> charrette. Nous avions acheté un tracteur neuf <strong>de</strong> 25 CV, que quatre ans après l'instal<strong>la</strong>tion.<br />

- Mais aujourd'hui, Marie, je suis seul sur une exploitation <strong>de</strong> 100 ha et e si je trouvais <strong>de</strong>s <strong>terre</strong>s à louer, je <strong>les</strong> prendrai.<br />

- Oui, vous <strong>les</strong> jeunes, vous voulez tout avoir en même temps : le tracteur et tout le matériel qui va avec, <strong>de</strong>s beaux<br />

bâtiments, beaucoup <strong>de</strong> vaches, beaucoup <strong>de</strong> <strong>terre</strong>. Et vous vous p<strong>la</strong>ignez toujours, vous n'avez jamais assez.<br />

- Mais Marie, ce n'est pas moi qui le veut, c'est <strong>la</strong> société qui est arrivée à ce point, si par exemple je n'ai pas un certain<br />

litrage <strong>de</strong> <strong>la</strong>it, <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie ne passera pas chez moi. Qu'est-ce que je ferai alors ?<br />

- Nous, au début, nous avions acheté et payé comptant <strong>les</strong> quatre vaches <strong>de</strong> mes parents, puisque c'est là que nous nous<br />

sommes installés. Puis, avec l'argent rapporté par ces vaches, nous en achetions d'autres. Nous avions eu jusque 24<br />

vaches et 15 ha <strong>de</strong> <strong>terre</strong>. C'était déjà une belle ferme. Tu ris, mais c'est vrai. Je me souviens lorsqu’après <strong>la</strong> traite, à <strong>la</strong><br />

trayeuse, (c’était au début <strong>de</strong>s années 60), nous allions, Hubert et moi, p<strong>la</strong>nter <strong>de</strong>s choux, arrachés dans <strong>la</strong> journée, avec<br />

<strong>la</strong> pioche, nous restions jusque <strong>la</strong> nuit noire. La p<strong>la</strong>nteuse est venue après, lorsque nous avons eu assez d'argent pour <strong>la</strong><br />

payer. A l'automne, on effeuil<strong>la</strong>it <strong>les</strong> choux pour donner aux vaches. Mais aujourd'hui, je ne vois pas un jeune le faire,<br />

c'est trop difficile. Il préfère regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> télé ou aller à une soirée.<br />

- Marie, je sème <strong>de</strong>s choux pour pâturer, tu sais, il faut vivre avec son temps.<br />

- Les vaches étaient dans <strong>de</strong>s étab<strong>les</strong> où le sol n'était pas cimenté. On enlevait le fumier tous <strong>les</strong> jours avec <strong>la</strong> brouette et<br />

on faisait attention <strong>de</strong> ne pas enlever <strong>les</strong> cailloux. La litière était faite <strong>de</strong> <strong>la</strong>n<strong>de</strong> et <strong>de</strong> feuil<strong>les</strong> mortes qu'on al<strong>la</strong>it ramasser<br />

dans <strong>les</strong> bois. Il est vrai, <strong>les</strong> temps ont bien changés. Mon Dieu ! Les vaches d'aujourd'hui sont <strong>de</strong>s princesses, el<strong>les</strong><br />

habitent dans <strong>de</strong>s bâtiments mo<strong>de</strong>rnes, aire paillée, aire d'exercice, aire <strong>de</strong> repos. Enfin je ne connais pas tout. Quand je<br />

pense à ces êtres humains, <strong>les</strong> S.D.F, eux n'ont rien, même pas <strong>de</strong> toit. Les animaux sont mieux traités que certains êtres<br />

humains.<br />

- Je dois dire que je suis entièrement d'accord avec toi sur ce point. Mais <strong>les</strong> leucocytes, <strong>les</strong> butyriques n'existaient pas <strong>de</strong><br />

ton temps, ou du moins on n'en par<strong>la</strong>it pas, mais actuellement, c'est sur <strong>la</strong> fiche <strong>de</strong> paie du <strong>la</strong>it qu'on sait s'il y en a ou<br />

pas. C’est pour ce<strong>la</strong> qu'on est obligé d'avoir <strong>de</strong>s bâtiments adéquats.<br />

- Autrefois <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie ramassait tout le <strong>la</strong>it en pots. Le foin se faisait à <strong>la</strong> main, j'ai connu ça, on le fauchait avec <strong>la</strong> faux,<br />

55


dans <strong>les</strong> prairies humi<strong>de</strong>s, ailleurs c'était avec le tracteur. Ensuite, dans ces endroits-là, avec <strong>la</strong> fourche, on le retournait<br />

pour qu’il sèche et quelques jours après, toujours avec <strong>la</strong> fourche, on le chargeait dans <strong>la</strong> charrette pour le rentrer dans<br />

le grenier par <strong>de</strong>s petites lucarnes. C'était un travail très physique, ça nous permettait aussi <strong>de</strong> ramasser le foin dans <strong>les</strong><br />

endroits humi<strong>de</strong>s. Toute <strong>la</strong> surface était utilisée. Ce n'est pas comme aujourd'hui, on travaille <strong>les</strong> endroits accessib<strong>les</strong><br />

avec le tracteur. Le reste, c'est <strong>de</strong> <strong>la</strong> friche ou du bois.<br />

- De nos jours, Marie, il y a <strong>les</strong> DPU, <strong>la</strong> PAC, on est géré par Bruxel<strong>les</strong> et par <strong>la</strong> banque, sans eux on n'existe pas.<br />

- Qu'est-ce que c'est que ce baratin-là ! Vous êtes trop savants, vous allez à l'école jusque 20 ans ou plus pour prendre<br />

une ferme, vous prenez <strong>de</strong>s vacances, mais vous êtes toujours stressés : somnifères, barbituriques et j'en passe. J'ai<br />

toujours été heureuse dans ma ferme et en bonne santé et pourtant j'ai travaillé dur. A douze ans, je suis sortie <strong>de</strong> l'école<br />

pour couper <strong>la</strong> <strong>la</strong>n<strong>de</strong> et gar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> vaches. Moi, <strong>la</strong> banque, j'y al<strong>la</strong>is pour déposer <strong>de</strong> l'argent. Je n'ai jamais fait un crédit<br />

<strong>de</strong> ma vie. J'ai toujours vécu, simplement peut-être, mais bien. Je ne roule pas sur l'or mais j'ai toujours dormi sur mes<br />

<strong>de</strong>ux oreil<strong>les</strong>. Je ne me suis jamais posé <strong>la</strong> question « comment je ferais <strong>de</strong>main pour rembourser <strong>les</strong> emprunts ». Car <strong>les</strong><br />

emprunts, <strong>les</strong> emprunts, il faut <strong>les</strong> rembourser et donner plus avec <strong>les</strong> intérêts. Moi je calcule autrement !<br />

- Oui, Marie. C'était une autre façon <strong>de</strong> travailler, <strong>de</strong> vivre, beaucoup moins contraignante. Hé<strong>la</strong>s, sans emprunts, je ne<br />

pourrais pas investir, je ne pourrais pas être exploitant agricole tout simplement ! »<br />

Pierre : Mais <strong>de</strong>s jeunes, comme Antoine, y en a-t-il beaucoup<br />

dans le secteur.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Guère !<br />

C<strong>la</strong>ire : L'autre jour, j’ai été à une réunion où tous <strong>les</strong><br />

agriculteurs du canton étaient invités. L’animateur, en<br />

faisant un clin d’œil vers moi, nous a dit que ça lui faisait<br />

p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> voir que <strong>les</strong> jeunes s’étaient dép<strong>la</strong>cés.<br />

L’agriculture, enfin, un métier où tu es jeune à 48 ans ! Ces<br />

métiers sont rares, chérissons-<strong>les</strong>.<br />

56


LES RELATIONS EXTERIEURES<br />

Le vil<strong>la</strong>ge<br />

Pierre : Si nous parlions <strong>de</strong> vos re<strong>la</strong>tions à l'extérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ferme. El<strong>les</strong> font partie <strong>de</strong> votre vie et, d'une certaine façon,<br />

lui donnent <strong>de</strong>s couleurs différentes <strong>de</strong> cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l'agriculture<br />

qui a tendance à envahir votre horizon.<br />

Catherine : Dans <strong>la</strong> famille, tout le mon<strong>de</strong> pratique au<br />

moins une activité sportive, entre le football, le VTT, le<br />

karaté, <strong>la</strong> marche et le body-karaté, chacun y trouve son<br />

compte.<br />

Le sport est bon pour le corps mais aussi pour l’esprit. Se<br />

dépenser beaucoup, sur un temps court, permet <strong>de</strong> ne<br />

penser à rien d’autre, <strong>de</strong> se défouler et <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s gens que<br />

l’on n’aurait jamais rencontrés autrement.<br />

Les garçons ont hérité <strong>de</strong> leur père <strong>la</strong> passion du football.<br />

Ils ont couru après un ballon dès leurs premiers pas, ont<br />

débuté à 5 ans comme pré-débutants. Aujourd’hui, Maë<strong>la</strong>n<br />

est poussin <strong>de</strong>uxième année et Romain débutant<br />

<strong>de</strong>uxième année.<br />

Le mercredi, chacun a son p<strong>la</strong>nning <strong>de</strong>s entrainements et<br />

<strong>de</strong>s matchs le samedi, ce qui nous vaut parfois beaucoup <strong>de</strong><br />

va-et-vient dans <strong>la</strong> même journée. L’essentiel est que ça<br />

leur p<strong>la</strong>ise. Ils retrouvent aussi avec p<strong>la</strong>isir leurs copains et<br />

partagent avec eux <strong>les</strong> réussites et <strong>les</strong> échecs.<br />

Grâce à leur club, ils ont <strong>la</strong> possibilité d’assister à <strong>de</strong> vrais<br />

matchs à Guingamp, Rennes ou Lorient, alors là c’est <strong>la</strong> fête.<br />

À leur âge, être dans un vrai sta<strong>de</strong> au sein <strong>de</strong> l’ambiance, ne<br />

se retrouve pas dans tous <strong>les</strong> sports. <strong>Un</strong>e fois par an, le club<br />

leur permet également d’accompagner <strong>de</strong>s grands joueurs<br />

(main dans <strong>la</strong> main) sur le terrain avant le début du match.<br />

Pour <strong>de</strong>s enfants, ce sont <strong>de</strong> bons souvenirs qui <strong>les</strong><br />

récompensent <strong>de</strong> leur assiduité.<br />

Valérie : Aujourd'hui, nous avons <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong><br />

re<strong>la</strong>tions humaines sur nos exploitations. A quoi est-ce dû ?<br />

A <strong>la</strong> crise économique que nous traversons, sans doute. Il y<br />

a une dizaine d'années, on voyait <strong>de</strong>ux ou trois personnes<br />

par semaine. Nous passions du temps à discuter <strong>de</strong> choses<br />

et d'autres, à refaire le mon<strong>de</strong>. Maintenant, nous nous<br />

renfermons sur nous-mêmes, toujours à <strong>la</strong> recherche d’une<br />

meilleure rentabilité.<br />

Avant, nous <strong>de</strong>mandions <strong>de</strong>s conseils autour <strong>de</strong> nous,<br />

actuellement, nous nous débrouillons seuls. Quand on se<br />

retrouve vraiment dans <strong>les</strong> difficultés, on fait appel aux<br />

techniciens pour qu'ils nous conseillent.<br />

Si, <strong>de</strong> nous-mêmes, nous ne faisions pas l'effort <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong><br />

nos exploitations pour voir d'autres personnes, nous<br />

resterions confinés chez nous. Et au fil du temps, <strong>de</strong> moins<br />

en moins <strong>de</strong> choses nous intéresseraient.<br />

Je trouve déplorable que, dans le vil<strong>la</strong>ge, il y ait moins <strong>de</strong><br />

convivialité, moins <strong>de</strong> chaleur humaine qu'autrefois. Quand<br />

on passait avec le troupeau <strong>de</strong> vaches <strong>la</strong>itières <strong>de</strong>ux fois par<br />

jour, on côtoyait <strong>les</strong> voisins, disait un petit bonjour,<br />

<strong>de</strong>mandait <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong>. Tout ceci est bel et bien fini.<br />

Quelle tristesse <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> gens s'assombrir, se refermer<br />

sur eux-mêmes, atteints par le stress quotidien <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie<br />

actuelle.<br />

J'espère, un jour, retrouver dans le vil<strong>la</strong>ge <strong>la</strong> joie qui y<br />

régnait jadis, <strong>la</strong> fête du vil<strong>la</strong>ge aussi, et que chacun y mette<br />

du sien pour vivre en harmonie. <strong>Un</strong>e lueur d'espoir s'est<br />

ouverte il y a peu <strong>de</strong> temps au sein du vil<strong>la</strong>ge. L’histoire<br />

commence par un simple geste <strong>de</strong> sympathie.<br />

58


En fin <strong>de</strong> campagne <strong>la</strong>itière, nous avons décidé <strong>de</strong> mettre<br />

un petit mot dans <strong>les</strong> boites aux lettres <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>geois pour<br />

<strong>les</strong> informer que nous leurs offrions du <strong>la</strong>it gratuitement à<br />

<strong>la</strong> traite, pendant une semaine, pour éviter <strong>de</strong> dépasser<br />

notre quota <strong>la</strong>itier. <strong>Un</strong> moment très enrichissant entre<br />

nous. Nous avons expliqué notre travail, échangé <strong>les</strong> uns<br />

avec <strong>les</strong> autres, et <strong>les</strong> voisins se sont rencontrés. Nous<br />

avons eu p<strong>la</strong>isir à fréquenter <strong>de</strong>s gens que l'on ne voit pour<br />

ainsi dire jamais <strong>de</strong> l'année.<br />

Nous avons été agréablement surpris au bout <strong>de</strong> quelques<br />

jours <strong>de</strong> distribution, car certaines personnes nous ont<br />

gentiment remerciées en nous apportant <strong>de</strong>s pancakes,<br />

gâteaux, brioches, une soirée café, une délicatesse. Quel<br />

réconfort <strong>de</strong> se sentir reconnus pour une action sincère <strong>de</strong><br />

notre part. La communication peut toujours exister dans<br />

n'importe quelle circonstance. Certaines personnes<br />

dynamiques ont décidé d'organiser une fête du vil<strong>la</strong>ge,<br />

prochainement chacun apportera son pique-nique. Les<br />

vil<strong>la</strong>geois auront l’opportunité <strong>de</strong> se connaître, <strong>de</strong> se<br />

détendre dans <strong>la</strong> convivialité en espérant que l’expérience<br />

se renouvelle.<br />

Pierre : L'invitation s’est donc révélée positive.<br />

Valérie. Nous avons noué <strong>de</strong>s liens et revu <strong>de</strong>s personnes,<br />

ainsi, Marie avec ses yaourts. Bernard le voisin est lui aussi<br />

venu chercher du <strong>la</strong>it à l'occasion du baptême <strong>de</strong> son petit<br />

fils Sacha, pour faire un far breton et qu’il a cuit dans son<br />

vieux four à pain. Il m'a proposé d'en faire un pour moi. J'ai<br />

trouvé sympathique <strong>de</strong> sa part <strong>de</strong> me le proposer. Il existe<br />

encore <strong>de</strong>s personnes à tendre <strong>la</strong> main, comme Thérèse et<br />

Damien, qui nous ren<strong>de</strong>nt service quand on a besoin <strong>de</strong><br />

renfort pour l'ensi<strong>la</strong>ge. Heureusement qu'ils sont là pour<br />

nous ai<strong>de</strong>r à arranger le tas, mettre <strong>la</strong> bâche et <strong>les</strong> pneus.<br />

Sinon, comment faire tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux ? <strong>Un</strong> coup <strong>de</strong> vent et<br />

hop <strong>la</strong> bâche est partie, il n’y a plus qu'à recommencer et à<br />

se disputer, belle ambiance.<br />

C<strong>la</strong>ire : Et bien, moi, j’adore mes voisins. Mercredi, l’un<br />

d’eux arrive avec un gros pochon <strong>de</strong> girol<strong>les</strong> qui sent bon <strong>la</strong><br />

forêt. À peine <strong>la</strong> porte refermée, un autre arrive avec une<br />

caisse <strong>de</strong> vins. Ah, on s’est régalé avec le cuisseau <strong>de</strong><br />

chevreuil qu’un troisième nous avait déposé le lundi matin<br />

et qui était en train <strong>de</strong> mariner. Avec nos patates, un<br />

délice ! C’est encore meilleur quand on l’offre avec le<br />

sourire et le cuisine avec le cœur.<br />

Pierre : Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, où se situe ton élevage ?<br />

L’élevage se situe à proximité d’un bourg <strong>de</strong> 1400<br />

habitants. Lorsque le temps me le permet, je vais à pied<br />

chercher le pain et le journal. <strong>Un</strong>e agence postale est<br />

59


ouverte le matin. L’an <strong>de</strong>rnier elle a été menacée <strong>de</strong><br />

fermeture. Ce serait regrettable pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, car par<br />

commodité, beaucoup <strong>de</strong> personnes âgées vivent au bourg.<br />

On trouve aussi <strong>de</strong>ux éco<strong>les</strong>, publique et privée. Quant au<br />

secondaire, <strong>les</strong> jeunes doivent se rendre dans d’autres<br />

communes, <strong>de</strong>s transports sco<strong>la</strong>ires sont organisés. Le<br />

mé<strong>de</strong>cin est parti, il n’a pas été remp<strong>la</strong>cé.<br />

<strong>Un</strong> cabi<strong>net</strong> d’infirmières a trouvé sa p<strong>la</strong>ce. <strong>Un</strong>e bou<strong>la</strong>ngerie,<br />

un restaurant, une crêperie et, bien sûr, plusieurs débits <strong>de</strong><br />

boissons animent le bourg. Quelques commerçants<br />

ambu<strong>la</strong>nts déballent sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> l’église. La MAPA<br />

accueille <strong>les</strong> personnes âgées <strong>de</strong> <strong>la</strong> commune et <strong>de</strong>s<br />

environs. Toutes <strong>les</strong> semaines, je me rends à <strong>la</strong> ville<br />

distante <strong>de</strong> 15 kilomètres pour <strong>la</strong> banque, <strong>les</strong> démarches<br />

administratives et toutes <strong>les</strong> courses.<br />

L’agriculture occupe une p<strong>la</strong>ce très importante, <strong>les</strong> terrains<br />

acci<strong>de</strong>ntés et <strong>les</strong> zones humi<strong>de</strong>s favorisent <strong>les</strong> pâtures où<br />

paissent <strong>de</strong>s vaches <strong>la</strong>itières ou à vian<strong>de</strong>.<br />

Par ailleurs, nous avons même un élevage <strong>de</strong> buff<strong>les</strong>. En<br />

parcourant <strong>la</strong> campagne, on découvre quelques élevages<br />

hors-sol : <strong>la</strong>pins, vo<strong>la</strong>il<strong>les</strong>, porcs. Des chambres d’hôtes et<br />

<strong>de</strong>s gites ruraux ainsi qu’un vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> vacances attirent <strong>les</strong><br />

touristes. De nombreux chemins <strong>de</strong> randonnées nous<br />

invitent à <strong>la</strong> marche, à <strong>la</strong> détente.<br />

Simone : Votre condition <strong>de</strong> femme à <strong>la</strong> tête d'une<br />

exploitation ou d'un atelier d'exploitation est-elle reconnue<br />

par ceux que vous rencontrez ?<br />

Catherine. Dans nos exploitations bien que travail<strong>la</strong>nt sur<br />

notre lieu <strong>de</strong> vie, nous gardons quand même un contact<br />

avec le mon<strong>de</strong> extérieur (le para agricole comme on<br />

l’appelle) à savoir : <strong>les</strong> voisins, l’inséminateur, le chauffeur<br />

<strong>la</strong>itier, le contrôleur <strong>la</strong>itier, <strong>les</strong> techniciens en aliment bétail<br />

et en cultures, le banquier, le comptable, etc. Pour ceux-là<br />

en général, pas <strong>de</strong> problème, le courant passe plutôt bien.<br />

Mais il y a <strong>les</strong> autres, visiteurs occasionnels : démarcheurs<br />

en tout genre <strong>de</strong> produits d’hygiène, aliments spéciaux (<strong>de</strong><br />

groupements avec <strong>les</strong>quels on ne travaille pas). Ils viennent<br />

vers vous, d’un pas bien décidé, et :<br />

« Il n’est pas là l’ patron ? »<br />

Ah ! La voilà <strong>la</strong> phrase qui b<strong>les</strong>se, celle que j‘entendais déjà<br />

chez mes parents lorsque j‘avais 12 ans. Donc, presque 30<br />

ans plus tard, <strong>les</strong> femmes ne sont toujours pas considérées<br />

comme <strong>de</strong>s patrons.<br />

Nous avons obtenu, il y a déjà quelques années, le droit<br />

d’avoir un statut équivalent aux hommes, chef<br />

d’exploitation (terme plus exact que « l’patron »), que nous<br />

60


avons fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, agrico<strong>les</strong> ou non, avons obtenu <strong>de</strong>s<br />

diplômes. Alors, est-il nécessaire <strong>de</strong> nous abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> cette<br />

façon ?<br />

Je ne pense pas que l’on puisse <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un entretien avec<br />

le directeur d’une entreprise <strong>de</strong> cette manière (avec <strong>les</strong><br />

mains dans <strong>les</strong> poches), alors pourquoi ce ton familier ?<br />

Avons-nous toujours <strong>de</strong>s airs <strong>de</strong> péquenot ? Est-ce parce<br />

que notre " uniforme" n’est pas toujours très présentable<br />

ou parce que " ici c’est <strong>la</strong> campagne" ?<br />

C<strong>la</strong>ire : C’est un peu paradoxal, je l'avoue, parce que <strong>la</strong> vie<br />

qu’on mène au quotidien en tant qu’agriculteurs dans <strong>de</strong>s<br />

petites communes rura<strong>les</strong> est finalement plutôt<br />

sympathique, agréable et bien vivable. Pourtant, quand on<br />

parle <strong>de</strong> notre métier, on a tendance à ressortir d’abord <strong>la</strong><br />

grogne, l’incompréhension, <strong>les</strong> sentiments d’injustice face à<br />

ce que l’on perçoit du message <strong>de</strong>s médias, <strong>de</strong> <strong>la</strong> société,<br />

<strong>de</strong>s décisions politiques…<br />

Nos journées, même si dans nos fermes d’aujourd’hui il y a<br />

beaucoup moins <strong>de</strong> gens à y travailler, à y vivre à temps<br />

plein, sont remplies <strong>de</strong> toutes nos tâches quotidiennes et<br />

variées, mais aussi <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> contacts avec <strong>les</strong> gens qui<br />

gravitent autour. Ils font que notre vie sur <strong>la</strong> ferme, qui<br />

peut sembler isolée <strong>de</strong> loin, est en fait bien peuplée <strong>de</strong> tous<br />

<strong>les</strong> petits liens <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> gens qui téléphonent, écrivent,<br />

passent et repassent sur <strong>la</strong> ferme.<br />

Pas une journée ne passe sans qu’un technicien <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

coopérative, un ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> matériel, un artisan avec qui on<br />

est en affaire, un contrôleur du syndicat <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nts, le<br />

banquier ou <strong>la</strong> comptable ne vienne sur p<strong>la</strong>ce, et chacun est<br />

heureux <strong>de</strong> se voir même si c’est pour parler « boulot ».<br />

Pas une journée non plus sans l’arrivée d’un <strong>livre</strong>ur <strong>de</strong><br />

compost, d’agglos ou <strong>de</strong> semences ou d’un camion qui vient<br />

charger du blé ou <strong>de</strong>s patates et avec qui il est parfois, je<br />

l’avoue, plus difficile <strong>de</strong> discuter en polonais ou en<br />

portugais.<br />

Souvent, on partage le déjeuner avec notre fidèle sa<strong>la</strong>rié<br />

saisonnier ou le chauffeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> CUMA (Coopérative<br />

d'Utilisation <strong>de</strong> Matériel Agricole) ou <strong>de</strong> l’ETA (Entreprise<br />

<strong>de</strong> Travaux Agrico<strong>les</strong>), qui est venu nous ai<strong>de</strong>r à semer le<br />

blé ou arracher <strong>les</strong> navets. C’est l’occasion <strong>de</strong> faire mijoter<br />

un bon pot-au-feu et d’enfourner une bonne tarte aux<br />

pommes. En soirée, c’est le voisin qui passe emprunter le<br />

petit tracteur, un autre qui vient <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un service, ou<br />

nous offrir un morceau <strong>de</strong> bon fromage fermier rapporté <strong>de</strong><br />

ses <strong>de</strong>rnières vacances.<br />

Pas un matin sans courrier, avec évi<strong>de</strong>mment son lot <strong>de</strong><br />

factures et <strong>de</strong> relevés <strong>de</strong> banque. Mais aussi <strong>de</strong>s<br />

sollicitations, plus alléchantes <strong>les</strong> unes que <strong>les</strong> autres, pour<br />

aller à un vernissage, à <strong>de</strong>s réunions d’information, <strong>de</strong>s<br />

A.G., <strong>de</strong>s formations, <strong>de</strong>s débats toujours très intéressants,<br />

autant en tourisme qu’en agriculture, ou en vie locale. Le<br />

seul embêtement est <strong>de</strong> choisir.<br />

Le mercredi, c’est <strong>la</strong> fille <strong>de</strong> <strong>la</strong> voisine qui vient nous vendre<br />

un billet <strong>de</strong> tombo<strong>la</strong> pour aller en Angle<strong>terre</strong> avec sa<br />

c<strong>la</strong>sse. Le samedi midi, c’est un retraité qui arrive chercher<br />

un sac <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong>, un autre qui débarque avec sa<br />

petite remorque chercher du blé pour ses pou<strong>les</strong> ou un<br />

round <strong>de</strong> paille pour son cheval. Client ou ami en profite<br />

pour nous faire goûter <strong>les</strong> premières tomates du jardin ou<br />

<strong>les</strong> poires du verger.<br />

Pas un week-end ne passe sans qu’on ait l’embarras du<br />

choix entre <strong>la</strong> Potée <strong>de</strong> l’école, le Fest-Noz du Cercle<br />

61


Celtique, le petit concert au bistrot du coin, le Jarret-Frites<br />

<strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> foot, le pardon <strong>de</strong> <strong>la</strong> chapelle d’à-côté, sans<br />

parler <strong>de</strong>s spectac<strong>les</strong> <strong>de</strong> théâtre ou <strong>de</strong> musique un peu plus<br />

loin.<br />

Aux beaux jours, c’est le ballet, chez nous, <strong>de</strong>s hôtes ou<br />

randonneurs qui arrivent, qui s’installent, qu’on rencontre,<br />

qu’on apprécie, et qui repartent, vers <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong><br />

aventures.<br />

Ah, j’al<strong>la</strong>is oublier ! Pas un midi aussi ne passe sans qu’une<br />

voix sibylline ou exotique nous interpelle au téléphone<br />

pour nous vendre <strong>de</strong>s pierres à lécher, ou nous installer <strong>de</strong>s<br />

panneaux so<strong>la</strong>ires, trop tard, c’est déjà fait.<br />

Oui, finalement, sur nos fermes, il y a <strong>de</strong> quoi s’occuper,<br />

travailler, apprendre, échanger, rigoler et râler ou grogner<br />

aussi <strong>de</strong> temps en temps, mais s’ennuyer, jamais !<br />

petite surface d'exploitation familiale comparée à celle <strong>de</strong><br />

mes voisins. Dans <strong>les</strong> dix ans qui ont suivi mon instal<strong>la</strong>tion,<br />

<strong>de</strong>ux seu<strong>les</strong> entreprises agrico<strong>les</strong> familia<strong>les</strong> ont été<br />

reprises.<br />

En 2010, je reste le seul fils d'agriculteur <strong>de</strong>s exploitations<br />

ayant existées. Auparavant, <strong>les</strong> sept exploitations étaient<br />

tenues par l'homme et <strong>la</strong> femme, avec seulement dix ans<br />

d'écart entre exploitations. Ces exploitants se sont<br />

retrouvés au bout <strong>de</strong> quarante ans <strong>de</strong> carrière à partir<br />

ensemble pour <strong>la</strong> retraite. Brutalement, le nombre a chuté à<br />

<strong>de</strong>ux. Si à l'échelle du vil<strong>la</strong>ge ce phénomène s'est produit<br />

dans <strong>les</strong> années 90 pour <strong>la</strong> génération <strong>de</strong> mes parents, ma<br />

génération subira le même phénomène dans <strong>les</strong> années<br />

2020 mais à l'échelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> commune. Nous sommes une<br />

douzaine à nous être installés entre 1980 et 1985 à<br />

Kergrist.<br />

Pierre : Et toi, Joseph, quel est ton rapport à ton<br />

environnement humain ?<br />

Je vis dans un vil<strong>la</strong>ge qui possè<strong>de</strong> 10 habitations et compte<br />

24 habitants. Comme une bonne partie <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>ges ruraux,<br />

il est composé d'exploitations agrico<strong>les</strong> et <strong>de</strong> maisons<br />

neuves construites <strong>de</strong>puis 10 et 30 ans.<br />

Depuis 10 ans, le vil<strong>la</strong>ge est majoritairement ouvrier, <strong>de</strong>ux<br />

exploitations agrico<strong>les</strong> entretiennent <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s dont <strong>la</strong><br />

mienne. Je suis seul à tenir l'exploitation ainsi que l'autre<br />

agriculteur, sa femme travail<strong>la</strong>nt à l'extérieur.<br />

Le vil<strong>la</strong>ge a vécu avec sept exploitations, jusque dans <strong>les</strong><br />

années 70.<br />

Lors <strong>de</strong> mon emménagement en septembre 1982, cinq<br />

exploitations existaient encore. Je me suis établi sur <strong>la</strong> plus<br />

62


Côtoyer ses voisins est un grand mot, il n'est pas d'actualité<br />

en 2010. Le fait <strong>de</strong> basculer dans <strong>les</strong> années 2000 avec <strong>de</strong>s<br />

voisins travail<strong>la</strong>nt hors du vil<strong>la</strong>ge, limite <strong>les</strong> rencontres. Je<br />

gar<strong>de</strong> toujours <strong>les</strong> contacts avec ceux qui y sont nés et y<br />

habitent en tant que retraités ou sa<strong>la</strong>riés rentrant tous <strong>les</strong><br />

soirs. Cette inter-génération permet lors <strong>de</strong> bavardages sur<br />

le pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte ou sur <strong>la</strong> route, d'évoquer <strong>de</strong>s<br />

évènements propres au vil<strong>la</strong>ge. Les personnes arrivées<br />

suite à <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> propriétaires ne veulent pas<br />

tisser <strong>de</strong>s liens, à peine un signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> main.<br />

Seuls Christine et Bernard, ayant repris l'exploitation<br />

familiale dans <strong>les</strong> années 1987, mais repartis travailler à<br />

l'extérieur quelques années plus tard, réunissent <strong>de</strong>ux à<br />

trois fois l'an une partie du vil<strong>la</strong>ge pour un repas ou un<br />

goûter.<br />

La porte est ouverte à qui veut me voir. Il y aura toujours<br />

un café ou un thé et cinq minutes pour discuter. Le mon<strong>de</strong><br />

change, je travaille à proximité <strong>de</strong> certaines maisons, c'est à<br />

moi <strong>de</strong> ne pas déranger <strong>les</strong> habitants dans leurs habitu<strong>de</strong>s.<br />

Vis à vis <strong>de</strong>s autres, je ne suis pas un modèle, je préfère <strong>les</strong><br />

entendre m'exposer leurs idées et qu'ils s'y sentent<br />

épanouis. Des idées contraires aux miennes ne me<br />

choquent pas. La vie est faite <strong>de</strong> rencontres qui ne sont pas<br />

anodines, <strong>les</strong> gens que je n'aime pas, je m'en éloigne très<br />

vite et ceux qui sont tellement différents <strong>de</strong> moi, je ne<br />

risque pas <strong>de</strong> lier connaissance avec eux.<br />

J'ai une vie plus sereine maintenant, j’attends le moment<br />

pour consacrer du temps à mes parents quand leur<br />

autonomie diminuera. Gar<strong>de</strong>r toujours ce temps libre pour<br />

accomplir ce que l'on a décidé. Après mon métier<br />

d'agriculteur, j'irai à <strong>la</strong> rencontre <strong>de</strong>s gens, avec le souhait<br />

d'ai<strong>de</strong>r ceux que je croiserai sur ma route.<br />

Pierre : Toutes ces mutations dans <strong>les</strong> vil<strong>la</strong>ges ne posentel<strong>les</strong><br />

pas d'autres problèmes, au niveau du foncier, en<br />

particulier ?<br />

Valérie. Effectivement, il se passe un drôle <strong>de</strong> phénomène<br />

qui prend <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s proportions : <strong>la</strong> vente du foncier à<br />

<strong>de</strong>s particuliers. On commence à s'en rendre compte dans<br />

le milieu agricole. Au début, nous ne faisions pas trop<br />

attention mais ce<strong>la</strong> commence à poser quelques problèmes<br />

au niveau financier et humain.<br />

Aujourd'hui, certains propriétaires n'ont plus aucun<br />

scrupule <strong>de</strong> vendre leur lopin <strong>de</strong> <strong>terre</strong> sans avoir prévenu<br />

leur locataire. Lui qui travaille cette <strong>terre</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

années, qui cotise à <strong>la</strong> M.S.A., entretient le paysage, paie son<br />

loyer, se donne du mal, le voilà <strong>de</strong>hors comme un<br />

malpropre. Mais ces propriétaires auraient-ils oublié qu'ils<br />

63


doivent impérativement prévenir 18 mois à l'avance <strong>de</strong><br />

leur intention <strong>de</strong> vendre ?<br />

On voit <strong>de</strong> tout. On prévient <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente le jour <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

signature du compromis chez le notaire. Ou tout<br />

simplement, vous l'apprenez par un tiers :<br />

« Alors, <strong>Un</strong>tel vend son terrain ?<br />

- Ah bon, je ne suis pas au courant ! »<br />

A quoi vont-el<strong>les</strong> servir ces <strong>terre</strong>s ? Est-ce simplement pour<br />

mettre un cheval, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>mas, <strong>de</strong>s ânes... Avoir un bien ?<br />

La conséquence est <strong>la</strong> surenchère sur le prix du foncier. S’il<br />

ne s'agissait que d'un <strong>de</strong>mi-hectare, mais pour 25 ou 50<br />

hectares, ce n'est plus <strong>la</strong> même chose. Quand le prix double<br />

ou triple tout change au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> rentabilité. Il<br />

faut abattre plus <strong>de</strong> travail, suer, faire face aux<br />

remboursements. Mais où va-t-on ?<br />

Qu'adviendra-t-il <strong>de</strong> l'agriculture si tout le mon<strong>de</strong> veut son<br />

lopin <strong>de</strong> <strong>terre</strong> ? Peut-être, à long terme, ces personnes<br />

nourriront-el<strong>les</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète à notre p<strong>la</strong>ce, quand nous ne<br />

serons plus là pour le faire ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : A <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 60, mes parents ont investi<br />

dans une exploitation <strong>de</strong> 15 ha, située à 1 km du bourg.<br />

Aujourd'hui 15 ha, ce<strong>la</strong> fait sourire. Mais à cette époque-là,<br />

c’était une exploitation viable pour un couple.<br />

Le temps a passé. Autour, <strong>de</strong>s bourgs, <strong>de</strong>s vil<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s zones<br />

artisana<strong>les</strong>, industriel<strong>les</strong> ou commercia<strong>les</strong> ont poussés<br />

comme <strong>de</strong>s champignons ; prenant <strong>la</strong> <strong>terre</strong> aux<br />

agriculteurs. Dans ce vil<strong>la</strong>ge, lors du départ en retraite du<br />

propriétaire, <strong>les</strong> terrains <strong>la</strong>issés libres, sont <strong>de</strong>stinés à <strong>la</strong><br />

zone commerciale.<br />

Aujourd'hui, à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> cette exploitation plusieurs<br />

commerces ont été construits. Nous avons eu <strong>la</strong> chance <strong>de</strong><br />

pouvoir négocier, nous-mêmes, avec <strong>les</strong> enseignes<br />

commercia<strong>les</strong>, contrairement à d'autres vil<strong>les</strong> où <strong>les</strong><br />

agriculteurs sont expropriés et souvent avec beaucoup<br />

<strong>de</strong> fracas. C’est pour ce<strong>la</strong> qu'une commission s'est créée, le<br />

S.C.O.T. (Schéma <strong>de</strong> Cohérence et d’’organisaiton du<br />

Territoire) constitué d'agriculteurs et d'autres acteurs du<br />

territoire pour contenir l'urbanisation : le regroupement<br />

<strong>de</strong>s zones et non l'étalement, éviter le mitage.<br />

En France, un département disparait tous <strong>les</strong> dix ans.<br />

Imaginez que dans trente ans, on ait rayé <strong>de</strong> <strong>la</strong> carte <strong>de</strong><br />

France, <strong>les</strong> départements <strong>de</strong>s Côtes-d’Armor, du Morbihan,<br />

du Finistère pour cause d’urbanisation, alors qu’en<br />

parallèle <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion n'aura cessé <strong>de</strong> croître.<br />

C<strong>la</strong>ire : Près <strong>de</strong> 10.000 ha chaque année sont grignotées<br />

sur <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s agrico<strong>les</strong> en Bretagne. Ces <strong>terre</strong>s sont<br />

définitivement perdues pour l'agriculture.<br />

Ce sont souvent <strong>de</strong> bonnes <strong>terre</strong>s (<strong>terre</strong>s constructib<strong>les</strong>,<br />

zones non- humi<strong>de</strong>s, non-inondab<strong>les</strong>) qui vont être<br />

transformées en lotissement, routes, quatre-voies, rond-<br />

64


point, aéroport, zones commercia<strong>les</strong>, parking, zones<br />

industriel<strong>les</strong>…<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Comment <strong>les</strong> agriculteurs pourront-ils travailler<br />

pour produire l'alimentation <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion ? De plus, ces <strong>terre</strong>s <strong>de</strong>stinées aux zones<br />

d'activité sont plus évaluées d’où <strong>de</strong>s répercussions sur le<br />

prix <strong>de</strong>s <strong>terre</strong>s <strong>la</strong>bourab<strong>les</strong>. Le prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong> est élevé, si<br />

bien que <strong>les</strong> agriculteurs ont <strong>de</strong>s difficultés pour investir<br />

dans ce domaine. Pourtant, qu'ils soient paysans ou<br />

éleveurs, ils ont besoin <strong>de</strong> <strong>terre</strong> pour répandre le lisier, le<br />

fumier, produire <strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s légumes, pour nourrir<br />

<strong>les</strong> animaux et <strong>les</strong> êtres humains.<br />

Alors quelle solution ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Si certaines réalisations sont tout à fait justifiées, je<br />

pense qu’il est temps d’être sobre dans <strong>la</strong> réquisition <strong>de</strong>s<br />

<strong>terre</strong>s agrico<strong>les</strong>. On pourrait raisonnablement <strong>de</strong>scendre ce<br />

chiffre d'au-moins 30 %, en réhabilitant <strong>de</strong>s zones<br />

commercia<strong>les</strong> désaffectées, en mutualisant <strong>les</strong> surfaces <strong>de</strong><br />

parking, <strong>de</strong> pelouses autour <strong>de</strong>s usines, en faisant <strong>de</strong>s<br />

étages aux bâtiments.<br />

30 %, ça fait 3.000 ha <strong>de</strong> bonnes <strong>terre</strong>s proches <strong>de</strong>s vil<strong>les</strong><br />

donc proches <strong>de</strong>s acheteurs potentiels, ce<strong>la</strong> permettrait<br />

d'installer 1000 maraichers ou producteurs en vente<br />

directe en bordure <strong>de</strong> ville.<br />

A trop vouloir aménager, embellir, développer nos vil<strong>les</strong> et<br />

nos vil<strong>la</strong>ges, nous éliminons définitivement une profession<br />

vitale <strong>de</strong> certains territoires, vitale pour l’alimentation <strong>de</strong><br />

ses habitants, déjà, mais vitale aussi pour l’équilibre <strong>de</strong>s<br />

paysages, et surtout <strong>de</strong>s hommes qui vivent là.<br />

Pierre : N'y a-t-il pas aussi <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s<br />

rachetées par <strong>les</strong> industriels <strong>de</strong> l'agro-alimentaire, et <strong>les</strong><br />

agriculteurs remp<strong>la</strong>cés sur ces <strong>terre</strong>s par <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> sa<strong>la</strong>riés,<br />

comme ce<strong>la</strong> se passe déjà en Afrique et aux Amériques ?<br />

Joseph : On voit, en effet, apparaître <strong>de</strong>s organismes<br />

internationaux, <strong>de</strong>s gouvernements, achetant <strong>de</strong>s <strong>terre</strong>s en<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> leurs frontières, en Afrique en particulier. Il y a<br />

aussi <strong>les</strong> fonds <strong>de</strong> pensions américains ou autres, qui<br />

spéculent sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>nrées alimentaires, formatent <strong>les</strong><br />

futures générations à une bataille économique sans<br />

sentiment et sans aménagement pour <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions<br />

défavorisées, alors que toutes <strong>les</strong> popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>vraient<br />

pouvoir prétendre à un revenu décent.<br />

Pierre : Ce<strong>la</strong> pose en tout cas le problème <strong>de</strong> l'avenir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

société rurale telle que nous <strong>la</strong> connaissons, telle que vous <strong>la</strong><br />

vivez, encore aujourd'hui, quoique fortement transformée<br />

par rapport à celle qu'ont connu vos parents et grandsparents.<br />

Joseph : Je veux bien parler <strong>de</strong> ma re<strong>la</strong>tion avec mon<br />

environnement extérieur, mais je ne sais pas trop si c'est <strong>la</strong><br />

réponse à <strong>la</strong> question que vous posez...<br />

Depuis toujours je m'intéresse à tout. Tout ne me p<strong>la</strong>it pas<br />

mais, j'essaie dans un premier temps <strong>de</strong> comprendre. Mes<br />

obligations professionnel<strong>les</strong> ou familia<strong>les</strong> me font sortir <strong>de</strong><br />

chez moi. Le simple fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir aller quelque part<br />

déclenche mon imagination. Il n'est pas interdit <strong>de</strong> rêver,<br />

alors j'en profite.<br />

À l’extérieur, je trouve <strong>de</strong>s gens avec une vision différente,<br />

sur le travail, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> famille, <strong>les</strong> loisirs. Suivant mon <strong>de</strong>gré<br />

d'affinités, je m'y attar<strong>de</strong> plus ou moins, je m’intéresse au<br />

décor. Si <strong>la</strong> maison a du caractère, j'essaie <strong>de</strong> <strong>la</strong> situer dans<br />

l'histoire :<br />

« Tiens, ce bâtiment, à première vue, a été<br />

65


construit à <strong>de</strong>ux époques différentes. Qui<br />

construisait ? Selon quel critère <strong>les</strong> bâtiments<br />

étaient-ils disposés ? Était-ce un grand<br />

bâtisseur, ou une façon d'affirmer sa position<br />

dans <strong>la</strong> société ? »<br />

Récemment, je suis allé à une vente aux enchères, il y avait<br />

un puits dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> <strong>la</strong> rési<strong>de</strong>nce où avait lieu <strong>la</strong> vente.<br />

En papotant avec le gardien, il m'expliqua que ce puits avait<br />

été construit pour cinq famil<strong>les</strong> autorisées à venir y puiser<br />

<strong>de</strong> l’eau. La marque <strong>de</strong> ce droit était cinq bou<strong>les</strong> disposées<br />

sur le linteau décorant le puits en granite.<br />

Je suis revenu à <strong>la</strong> maison en me disant que je me<br />

coucherais moins bête. Si je me déci<strong>de</strong> un jour à visiter <strong>les</strong><br />

enclos paroissiaux dans le Finistère, il y aura bien<br />

quelqu'un pour me raconter leurs histoires et peut-être en<br />

prime aurais-je un verre au café d'en face.<br />

Si je m'éloigne plus <strong>de</strong> chez moi, dans le bourg, il y a plus <strong>de</strong><br />

vie. On y trouve l’église, <strong>la</strong> mairie, <strong>de</strong>s commerces, <strong>de</strong>s rues,<br />

<strong>de</strong>s lotissements... L'organisation du bourg est pensée<br />

collectivement, tout ce qui est du domaine public est géré<br />

par <strong>la</strong> mairie, ce<strong>la</strong> peut être l'occasion d'apprendre le<br />

fonctionnement d'une municipalité.<br />

Les commerces nous font découvrir <strong>de</strong>s métiers d'artisans,<br />

j'y vais parce que le pain est bon, que je trouve mon<br />

bonheur chez <strong>la</strong> fleuriste, un magasin <strong>de</strong> déco pour faire<br />

p<strong>la</strong>isir aux amis.<br />

<strong>Un</strong> bourg c'est plus <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> donc plus d'anecdotes à<br />

raconter, il y a <strong>les</strong> c<strong>la</strong>ssiques du genre :<br />

« Y a <strong>Un</strong>tel qui a eu un bébé.<br />

- Il y a Marie et Jean-François qui se marient.<br />

- Il y a Albert qui est décédé. »<br />

Il y a aussi <strong>de</strong>s histoires plus croustil<strong>la</strong>ntes. Prenez <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

Pobéguin à Cléguérec, notre chef-lieu <strong>de</strong> canton, il y a une<br />

quinzaine d'années, <strong>la</strong> municipalité a refait <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, c'était à<br />

<strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. Notre belle statue en bronze représentant <strong>la</strong><br />

statue <strong>de</strong> <strong>la</strong> Liberté a failli être décapitée par un ouvrier<br />

manœuvrant sa pelleteuse. Imaginez <strong>les</strong> commentaires<br />

dans le bourg.<br />

Je privilégie <strong>les</strong> personnes qui aiment à raconter leur<br />

parcours, qui vous procurent <strong>de</strong>s émotions positives tant<br />

ils prennent leur métier à cœur. Dernièrement, un artisan,<br />

ancien compagnon en retraite, me téléphone pour <strong>de</strong>s<br />

renseignements sur le chanvre. Nous avons discuté <strong>de</strong> son<br />

métier et <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> façonner le chanvre dans son<br />

projet. Voilà une occasion <strong>de</strong> connaître <strong>la</strong> technique <strong>de</strong><br />

construction d’une maison à colombages faite entièrement<br />

à <strong>la</strong> main avec <strong>de</strong>s outils d'époque.<br />

Pierre : Et <strong>la</strong> ville toute proche. Chacun <strong>de</strong> vous en a évoqué<br />

<strong>la</strong> présence, mais sans insister .Y a-t-il quelqu'un qui veut en<br />

dire plus sur cette cité <strong>de</strong> Pontivy ?<br />

Joseph : Pontivy n’est pas loin <strong>de</strong> chez moi, 15 000<br />

habitants, ville où <strong>de</strong>ux époques prédominent. Au XV e<br />

siècle, le château fort est bâti dans le fief <strong>de</strong>s ducs <strong>de</strong><br />

Rohan, pour servir <strong>de</strong> repli en cas d'invasions. La vieille<br />

ville est constituée <strong>de</strong> maisons à colombages, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

avenues tirées aux cor<strong>de</strong>aux, <strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> caserne<br />

abritant <strong>les</strong> armées avec <strong>de</strong>s écuries, tout ce<strong>la</strong> réhabilité en<br />

logements. La chapelle Saint-Joseph se dresse au milieu<br />

d'un parc. <strong>Un</strong>e p<strong>la</strong>ce d'arme, appelée maintenant P<strong>la</strong>ine, est<br />

f<strong>la</strong>nquée d'un côté par le tribunal, <strong>de</strong> l'autre par <strong>la</strong> souspréfecture<br />

et <strong>la</strong> mairie.<br />

Et aussi, <strong>de</strong>s établissements indispensab<strong>les</strong> pour <strong>les</strong><br />

66


affaires courantes : banques, assureurs, chambre<br />

d'agriculture ou <strong>de</strong> métier, poste, etc. J’y vais aussi comme<br />

consommateur, pas <strong>de</strong> dialogue ou très peu dans <strong>de</strong>s<br />

commerces intéressants. La ville propose aussi <strong>de</strong>s<br />

animations culturel<strong>les</strong> variées, surtout à <strong>la</strong> saison estivale.<br />

Je ne consacre pas <strong>de</strong> temps à ces ren<strong>de</strong>z-vous. L'été est<br />

pour moi <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> où le travail ne manque pas.<br />

Les gran<strong>de</strong>s vil<strong>les</strong>, ce sont <strong>de</strong> beaux musées, <strong>de</strong> bel<strong>les</strong><br />

expositions <strong>de</strong> peintures, du théâtre. Ma vie professionnelle<br />

est basée aussi sur ce même concept. Je n'aime pas <strong>la</strong><br />

routine, je pense toujours à plusieurs choses à <strong>la</strong> fois.<br />

Évi<strong>de</strong>mment je ne m’enrichis pas mais j'arrive à joindre <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux bouts, c'est le principal. Tout est prétexte pour voir si<br />

je peux transposer <strong>de</strong>s idées vues ailleurs dans mon<br />

exploitation, comme une technique <strong>de</strong> fabrication ou <strong>de</strong><br />

travail du sol.<br />

Catherine. Pontivy, petite ville, assez dynamique et plutôt<br />

bien <strong>de</strong>sservie en services, commerces −on ne <strong>les</strong> compte<br />

plus− et administrations, bien que certaines aient été<br />

fermées récemment.<br />

Le bassin d'activités essentiellement agroalimentaires a<br />

permis <strong>de</strong> conserver <strong>de</strong>s emplois peu qualifiés et <strong>la</strong> vie en<br />

centre Bretagne, fondamental pour une région dé<strong>la</strong>issée<br />

<strong>de</strong>s pouvoirs publics, notamment en infrastructures<br />

routières.<br />

Les agriculteurs peuvent trouver facilement le nécessaire<br />

en matériel et outil<strong>la</strong>ge, presque toutes <strong>les</strong> concessions <strong>de</strong><br />

tracteurs y sont présentes, ainsi que banques, centres <strong>de</strong><br />

gestion, coopératives et groupements <strong>de</strong> producteurs<br />

(aliments du bétail, <strong>la</strong>iterie, abattoir etc.) et robot <strong>de</strong> traite.<br />

Même si le nombre d’agriculteurs diminue, l’activité paraagricole<br />

reste dynamique sur le secteur, voilà pour le<br />

l’aspect positif.<br />

En revanche, hormis l’animation-concours annuelle en<br />

octobre « Oh <strong>la</strong> vache ! » qui connaît toujours un grand<br />

succès auprès du public, grâce à son côté champêtre et<br />

ludique, ce sont <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s à part. Les Pontiviens, élus<br />

compris, ne se préoccupent pas <strong>de</strong> l’agriculture, même<br />

parmi ceux qui travaillent en lien avec le mon<strong>de</strong> agricole.<br />

Réciproquement, <strong>les</strong> agriculteurs ne s’inquiètent guère <strong>de</strong>s<br />

emplois supprimés dans telle ou telle entreprise <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

région.<br />

Nous vivons dans une société où le lien entre agriculteur et<br />

nourriture n’existe plus. Il suffit d'aller au supermarché<br />

pour trouver <strong>de</strong> quoi manger sans se poser <strong>de</strong> question sur<br />

l’origine et le travail fourni <strong>de</strong>rrière tous ces produits. Dès<br />

lors, le fossé entre ruraux, non néo-ruraux et citadins se<br />

creusent <strong>de</strong> plus en plus.<br />

C<strong>la</strong>ire. Pour aller dans le même sens que Catherine, il y a<br />

quelque chose qui m’émeut (sans jeux <strong>de</strong> mots), je ne sais<br />

pas vraiment pourquoi, mais ça me donne à <strong>la</strong> fois le<br />

sourire, une fierté, et presque envie <strong>de</strong> pleurer.<br />

Voilà, chaque automne, vers <strong>la</strong> mi-octobre, est organisé le<br />

grand concours départemental <strong>de</strong> l’élevage à <strong>la</strong> Halle Safire.<br />

Quand je passe ces jours-là au centre-ville, je croise une<br />

belle bétaillère accrochée à un superbe tracteur. Ce<strong>la</strong> fait<br />

b<strong>la</strong>ng-b<strong>la</strong>ng sur <strong>les</strong> passages cloutés, ralentit un peu <strong>la</strong><br />

circu<strong>la</strong>tion, <strong>les</strong> passants se retournent. Mon regard croise<br />

celui d’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux magnifiques vaches qui sortent leur<br />

museau. Vous avez déjà regardé une vache dans <strong>les</strong> yeux,<br />

en ville ? Alors, ça met <strong>de</strong> bonne humeur <strong>de</strong> <strong>les</strong> voir toutes<br />

guillerettes dans leur carrosse, bien brossées et prêtes à se<br />

pavaner au concours. Je ressens alors un sentiment <strong>de</strong><br />

fierté, d’appartenance à un groupe, à un mon<strong>de</strong>, au «<br />

67


mon<strong>de</strong> agricole ». Et l’envie <strong>de</strong> pleurer <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />

incertitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’avenir et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ncinante question <strong>de</strong> savoir<br />

combien <strong>de</strong> temps on va exister, pouvoir encore cohabiter.<br />

Faut-il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à inscrire <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers paysans au<br />

Patrimoine Mondial <strong>de</strong> l’Humanité avant leur disparition ?<br />

La <strong>terre</strong> et <strong>les</strong> animaux<br />

Pierre : Vous entretenez avec <strong>la</strong> nature, <strong>les</strong> animaux, <strong>la</strong> <strong>terre</strong>,<br />

le paysage, <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions qui varient, suivant <strong>les</strong> saisons, <strong>les</strong><br />

types <strong>de</strong> cultures, vos stratégies <strong>de</strong> production, <strong>de</strong><br />

commercialisation.<br />

Joseph : Ma p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> nature ? J'y suis né, j'y resterai.<br />

Elle me rassure, m'angoisse, m'oblige à <strong>la</strong> chercher dans ses<br />

plus beaux atours. Quand j’évoque <strong>la</strong> nature ce sont ses<br />

animaux, son silence, ses bruits, sa luminosité, son noir, ses<br />

formes, ses o<strong>de</strong>urs. Elle est mon héritage. Je ne m'ennuie<br />

jamais quand je suis <strong>de</strong>hors.<br />

Ma chatte Cannelle réc<strong>la</strong>me ses croquettes. Je lui parle,<br />

j'appelle aussi Lo<strong>la</strong>, mon autre chatte souvent en<br />

vadrouille. Si j'ai le temps, je brosse Cannelle qui ne<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> que ce<strong>la</strong>. Évi<strong>de</strong>mment, je rouspète car elle<br />

n'arrête pas <strong>de</strong> gesticuler, d'avancer, se retourner, se<br />

frotter à <strong>la</strong> brosse.<br />

Au tour <strong>de</strong>s pou<strong>les</strong>, je leur mets du blé tous <strong>les</strong> jours, je<br />

surveille l'eau, surtout en été. Ces temps-ci, j’élève un coq<br />

et treize pou<strong>les</strong> : <strong>de</strong>s Coucous <strong>de</strong> Rennes, <strong>de</strong>s Bramas, <strong>de</strong>s<br />

Nègres soies, <strong>les</strong> autres sont <strong>de</strong>s croisées. El<strong>les</strong> sont toutes<br />

nées à <strong>la</strong> maison. J’ai également <strong>de</strong>s pou<strong>les</strong> naines que je<br />

gar<strong>de</strong> parce qu'el<strong>les</strong> sont jolies et qu'el<strong>les</strong> couvent bien.<br />

Tout un art pour avoir <strong>de</strong>s poussins. Les pou<strong>les</strong> déci<strong>de</strong>nt<br />

toujours <strong>de</strong> couver où je ne veux pas. Je <strong>les</strong> <strong>la</strong>isse s'installer<br />

tranquillement puis je transfère <strong>de</strong> nuit cel<strong>les</strong> que le<br />

changement ne dérange pas. Pour <strong>les</strong> récalcitrantes, je leur<br />

aménage un petit enclos où el<strong>les</strong> peuvent se dégourdir <strong>les</strong><br />

pattes, avec à disposition du grain et <strong>de</strong> l'eau.<br />

Puis, je passe voir mes moutons <strong>de</strong> race Ouessant qui, <strong>les</strong><br />

trois quart <strong>de</strong> l'année, sont dans le verger <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong><br />

maison. En ce moment, je leur donne du foin <strong>de</strong> trèfle, <strong>de</strong>s<br />

betteraves et <strong>de</strong> l'eau tous <strong>les</strong> jours. En pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> froid, ils<br />

n'ont plus d'herbe et l'eau <strong>de</strong> pluie est trop froi<strong>de</strong> ainsi que<br />

<strong>la</strong> neige <strong>de</strong> ces jours-ci.<br />

La nature offre un abri loin <strong>de</strong>s nuisances sonores. Le<br />

silence, rien que le silence. Que je l'aime ce silence ! Il me<br />

serre le ventre, me déstabilise. Plus il dure, plus j'ai envie<br />

que rien ne bouge. Je l’apprécie lorsque le soleil se couche<br />

à l'horizon et que je l'observe sur <strong>les</strong> côtes <strong>de</strong> Malguenac ou<br />

en été sur <strong>la</strong> forêt <strong>de</strong> Quénécan. Il m’arrive <strong>de</strong> me lever au<br />

milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit pour aller en plein champ observer <strong>les</strong><br />

étoi<strong>les</strong> dans le calme absolu.<br />

68


Lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête <strong>de</strong> 1987, à quatre heures du matin,<br />

quand le vent s’est calmé, j’ai été frappé par cette<br />

impression que le ciel observait <strong>les</strong> dégâts.<br />

Pierre : Tu nous as <strong>la</strong>issé entendre que tu préparais ta<br />

reconversion en bio, peux tu nous dire où tu en es aujourd'hui<br />

<strong>de</strong> tes projets ?<br />

J'ai fait le choix <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r une petite exploitation, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réorienter dés que ma notion <strong>de</strong> revenu décent, ne pas me<br />

mettre dans le rouge, était empiété. Ma <strong>de</strong>rnière<br />

orientation en agriculture biologique suit cette même<br />

logique, tiens, dans biologique il y a logique. Je suis<br />

soucieux d'un respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature que j'ai adopté en<br />

agriculture conventionnel.<br />

Aujourd'hui, mes revenus sont toujours récompensés par<br />

ma ligne <strong>de</strong> conduite <strong>de</strong> départ, c'est-à-dire partager <strong>la</strong><br />

<strong>terre</strong> et non prendre <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'un autre. Je revalorise mes<br />

cultures au mieux pour le temps consacré à <strong>les</strong> produire et<br />

à <strong>les</strong> commercialiser.<br />

Je pratique une culture qui, <strong>de</strong>puis 5 ans qu'elle est<br />

développée sur l'exploitation, me fait à nouveau aimer mon<br />

métier. Bien sûr, elle se développe à petit pas. Elle fait<br />

partie <strong>de</strong> mes préoccupations, dans cette recherche<br />

d'innover. Elle est simple en apparence, pourtant dès qu’on<br />

<strong>la</strong> manipule, elle donne du fil à retordre. Mais quel bonheur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vendre, <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> personnes s'y intéresser, écouter<br />

mes conseils, accepter que je leur montre comment réussir<br />

par eux-mêmes et <strong>la</strong> voir entrer dans leur <strong>de</strong>meure.<br />

Il s’agit du chanvre, un iso<strong>la</strong>nt naturel. Cette culture me fait<br />

connaître <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> professions différentes, très<br />

sympathiques, heureuses dans leur choix <strong>de</strong> vie, j'espère<br />

que je leur montre aussi cette image. Elle m'a éloigné <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réalité économique du mon<strong>de</strong> agricole, je lui ai fixé moimême<br />

sa valeur ajoutée. Elle m'oblige à me démarquer, à<br />

protéger mon savoir, mes innovations futures, à réactiver<br />

mon envie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses dans <strong>la</strong> vie.<br />

Elle me met en déca<strong>la</strong>ge avec ma profession, car elle ne<br />

nourrit personne alors que c'est pourtant notre vocation<br />

d'agriculteur. On doit nourrir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète car nous sommes<br />

déjà 7 milliards dans le mon<strong>de</strong>.<br />

Par ailleurs, ma réflexion sur ma conversion en bio n'est<br />

pas peaufinée, tout n'est pas encore c<strong>la</strong>ir dans ma tête. J'ai<br />

quand même fait un tri dans toutes mes idées. Il y a un an,<br />

mon premier texte par<strong>la</strong>it d'essai <strong>de</strong> branches broyées.<br />

Aujourd'hui, je m’interroge sur <strong>les</strong> p<strong>la</strong>ntations dans mes<br />

<strong>terre</strong>s. Pour une bonne partie <strong>de</strong>s surfaces, mes choix sont<br />

définitifs. Pour le reste il y a un problème car je n'ai que 27<br />

hectares. Je dois gar<strong>de</strong>r à l’esprit que je ne peux pas être<br />

partout à <strong>la</strong> fois. Mon rythme <strong>de</strong> travail a diminué et ma<br />

passion pour l'agriculture s'en est allée. Ce qui me tient<br />

encore, c'est que j'espère trouver <strong>de</strong>s jeunes pour qui mon<br />

exploitation donnera un sens à leur vie. J'aime d'abord<br />

rendre service aux autres et m'occuper <strong>de</strong> moi après. Me<br />

concentrer sur <strong>les</strong> cultures que je commercialise, améliorer<br />

ce travail me permettra <strong>de</strong> tenir financièrement.<br />

Pierre : Et toi Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> ?<br />

69


Je suis au service <strong>de</strong> mes <strong>la</strong>pins, je dirais même en<br />

communion avec eux. Je <strong>les</strong> vois naître, grandir. Les<br />

troub<strong>les</strong> digestifs sont réglés par un jeûne <strong>de</strong> 24 heures, ou<br />

plus, selon leur état <strong>de</strong> santé. Je suis à l’écoute <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>rnières techniques d’élevage. Je dois suivre <strong>de</strong>s<br />

règlements dictés par l’administration : un poids d’animaux<br />

au mètre carré, <strong>de</strong>s fosses, un bâtiment avec venti<strong>la</strong>tion,<br />

chauffage l’hiver et climatisation l’été. Tout ce<strong>la</strong> pour le<br />

"bien être" <strong>de</strong> l’animal.<br />

Lorsque <strong>la</strong> technicienne rentre dans l’élevage, son travail<br />

consiste à l’inspecter et à faire ses critiques que je mets en<br />

application après discussion, car je ne suis pas toujours<br />

d’accord. Je fais aussi <strong>de</strong>s essais et si je <strong>les</strong> trouve<br />

concluants, j’adapte <strong>la</strong> technique, dans le but d’améliorer<br />

<strong>les</strong> performances. Cette façon <strong>de</strong> travailler me convient<br />

parfaitement. Même si je préfèrerais m’occuper d’un<br />

élevage plus librement : produire moi-même <strong>la</strong> nourriture<br />

et vendre <strong>les</strong> <strong>la</strong>pins à un prix que j’aurais fixé et non décidé<br />

par l’acheteur.<br />

Je pense à <strong>la</strong> retraite qui sera active si <strong>la</strong> santé me le<br />

permet. J’envisage <strong>de</strong> m’occuper d’animaux mais cette fois<br />

en plein air. Je me sens libre <strong>de</strong> mes choix car je peux<br />

toujours discuter, malgré <strong>les</strong> contraintes <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réglementation et du travail dimanches et jours fériés.<br />

Je m’aperçois qu’en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’agriculture notre métier est<br />

mal compris malgré toutes <strong>les</strong> communications qui sont<br />

faites, tout comme moi, je connais mal <strong>les</strong> autres<br />

professions. J’aime échanger avec <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong><br />

l’extérieur et donner mes idées, mes avis.<br />

Dans mon métier d’éleveur <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins, je ne pense pas aux<br />

heures <strong>de</strong> travail mais à <strong>la</strong> passion, au bonheur que j’ai <strong>de</strong><br />

vivre avec <strong>de</strong>s animaux. Je m’épanouis dans cette<br />

profession par rapport à l’usine, au travail à <strong>la</strong> chaîne. Je<br />

participe à <strong>de</strong>s formations professionnel<strong>les</strong> qui<br />

m’apportent beaucoup.<br />

Pierre : Catherine que pouvez-vous dire sur vos vaches ?<br />

Catherine. Mes amis me disent souvent : « Comment<br />

reconnais-tu tes vaches ? El<strong>les</strong> sont toutes pareil<strong>les</strong> ! »<br />

C’est vrai, chez moi <strong>les</strong> vaches sont rouges et b<strong>la</strong>nches et<br />

toujours <strong>la</strong> tête b<strong>la</strong>nche. Ce sont <strong>de</strong>s Montbéliar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

vaches <strong>de</strong> montagne, plus précisément du Jura, un coup <strong>de</strong><br />

cœur que nous avons eu en 2000 pour cette race. El<strong>les</strong> sont<br />

rustiques et ont un fichu caractère mais c’est aussi ce qui<br />

fait leur qualité. Toutes pareil<strong>les</strong> ? Eh bien non !<br />

Il y a <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> Choupette avec ses lu<strong>net</strong>tes, <strong>la</strong> petite<br />

Candie, <strong>la</strong> grosse Royale, Tulipe avec son nez en trompette,<br />

70


Sourire avec sa grosse mamelle, il y a aussi Nielle <strong>la</strong> toute<br />

b<strong>la</strong>nche et Chipie toute rouge, et aussi Athéna avec ses<br />

grosses cornes ou <strong>les</strong> jumel<strong>les</strong> Coquine et Câline qui ne se<br />

séparent jamais. Et puis il y a Rita, Agate, Babylone, Alizé,<br />

Vichy, Vérone, Comète, Ushuaia, Vodka, Saga, Tacotte,<br />

Rubie etc.<br />

El<strong>les</strong> sont toutes différentes, tant dans leur apparence que<br />

dans le comportement. Nous n’avons pas le même rapport<br />

avec chacune d’entre el<strong>les</strong>. Par exemple, ce matin, en<br />

rentrant <strong>les</strong> vaches pour <strong>la</strong> traite, « Alleeeeez ! », c’est le cri<br />

<strong>de</strong> ralliement, j’ai découvert dans <strong>les</strong> logettes un petit veau<br />

tout juste né, une femelle que j’ai appelé Fionie.<br />

Elle était bien entourée <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> vaches <strong>les</strong> plus<br />

maternel<strong>les</strong>, j’ai mis plusieurs minutes à trouver <strong>la</strong> vraie<br />

maman. La maman ? Anisette qui était partie manger<br />

tranquillement comme si rien ne s’était passé. bien souvent<br />

<strong>les</strong> naissances se font sans notre ai<strong>de</strong>. Anisette est parfaite,<br />

une vache sereine, sympa et belle en plus.<br />

Tous <strong>les</strong> jours, lorsque je remets <strong>de</strong> <strong>la</strong> paille fraîche dans <strong>les</strong><br />

logettes, elle vient me voir et elle attend. Elle attend que je<br />

lui gratte le cou et le dos, et lorsque je <strong>la</strong> fais patienter, elle<br />

me donne <strong>de</strong>s petits coups <strong>de</strong> tête dans le dos l’air <strong>de</strong> me<br />

dire : « Oh, je suis là ! » Alors je lui réponds : « Tout à<br />

l’heure, attends que je finisse ! » Elle me suit et c’est<br />

toujours moi qui cè<strong>de</strong> : « Bon d’accord, mais juste <strong>de</strong>ux<br />

minutes ! »<br />

Il y a aussi <strong>les</strong> récalcitrantes et <strong>les</strong> <strong>la</strong>mbines toujours dans<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières à <strong>la</strong> traite. Tanagra, nerveuse, démarre en<br />

trombe à chaque fois qu’on s’approche d’elle, alors souvent<br />

je lui dis « Ma pauvre fille ça fait cinq ans que l’on te trait<br />

matin et soir et tu es toujours <strong>la</strong> même, incurable !» Alors<br />

elle rase <strong>les</strong> murs en courant, l’air <strong>de</strong> dire « C’est bon<br />

j’arrive, j’arrive ! ». Effectivement elle arrive, mais<br />

seulement si je vais <strong>la</strong> chercher.<br />

La traite du matin terminée, <strong>les</strong> vaches atten<strong>de</strong>nt dans une<br />

cour fermée que le repas du jour soit distribué dans <strong>la</strong><br />

stabu<strong>la</strong>tion. El<strong>les</strong> sont donc obligées <strong>de</strong> patienter, mais si<br />

on écoute bien, on entend un petit gémissement comme<br />

une p<strong>la</strong>inte, c’est Sagesse. Elle a faim et s’impatiente.<br />

Sagesse, c’est <strong>la</strong> chef et <strong>la</strong> meilleure vache du troupeau, déjà<br />

9 ans et six veaux, toujours fraîche et vail<strong>la</strong>nte, jamais<br />

ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, toujours <strong>la</strong> première à <strong>la</strong> traite et surtout pour<br />

manger. Quand Sagesse mange, il ne faut pas <strong>la</strong> déranger,<br />

d’ailleurs elle est très affairée à repousser toutes cel<strong>les</strong> qui<br />

voudraient s’approcher.<br />

Tulipe avec son nez en trompette a une particu<strong>la</strong>rité, elle<br />

n’aime pas que Maë<strong>la</strong>n vienne l’agacer, elle s’avance, donne<br />

<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> tête, et ouvre grand <strong>la</strong> gueule comme un<br />

hippopotame et le plus étrange est qu’elle ne le fait qu’avec<br />

lui. Les vaches auraient-el<strong>les</strong> le don <strong>de</strong> différencier leurs<br />

maîtres ?<br />

Je donne peut être l’impression <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s vaches<br />

comme <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille. El<strong>les</strong> ont toutes été «<br />

baptisées » en fonction <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> l’année et en rapport<br />

avec leur origine (une autre manière <strong>de</strong> suivre <strong>la</strong> génétique<br />

et <strong>les</strong> <strong>de</strong>scendances), leur couleur, leur tempérament.<br />

Royale a plusieurs fil<strong>les</strong> dans l’élevage : Baronne, Comtesse,<br />

Duchesse et Ga<strong>la</strong>nte (tout est histoire <strong>de</strong> royauté). La fille<br />

<strong>de</strong> Chipie, c’est Friponne, <strong>la</strong> fille <strong>de</strong> Texane, Dal<strong>la</strong>s mais il y<br />

a aussi F<strong>la</strong>mme toute rouge ou Flocon toute b<strong>la</strong>nche,<br />

Baltique et Doudoune nées <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong> grand froid.<br />

71


Vous comprendrez ainsi que nous aimons nos animaux et<br />

que ce ne sont pas uniquement <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> travail ou <strong>de</strong>s<br />

robots, même si el<strong>les</strong> ont obligation <strong>de</strong> résultat, tout<br />

comme un sa<strong>la</strong>rié.<br />

Valérie : Catherine a évoqué tout à l'heure un vê<strong>la</strong>ge qui<br />

s'est fait sans elle. Ce<strong>la</strong> n'est pas toujours aussi simple.<br />

Vendredi, nous sommes allés aux champs voir nos génisses<br />

prêtes à vêler et en avons rapproché quatre près du<br />

bâtiment <strong>la</strong>itier pour mieux <strong>les</strong> surveiller. Dimanche matin,<br />

l'une d'entre el<strong>les</strong> se tortil<strong>la</strong>it un peu mais sans donner <strong>de</strong><br />

signe particulier. Pendant <strong>la</strong> traite, j'observais <strong>de</strong> temps en<br />

temps par <strong>la</strong> lucarne <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie, tout était normal. Avant<br />

<strong>de</strong> partir à un ren<strong>de</strong>z-vous, A<strong>la</strong>in est allé jeter un coup d'œil<br />

vers 11 h30. Elle était tranquillement rentrée dans <strong>la</strong><br />

stabu<strong>la</strong>tion à manger du foin au cornadis.<br />

Quand nous sommes remontés à 17h20 pour rentrer <strong>les</strong><br />

vaches, <strong>la</strong> génisse était allongée, le travail se faisait, une<br />

patte était sortie. A<strong>la</strong>in a pu l'approcher et a constaté que<br />

l'autre patte était coincée et qu'il manquait du passage. Il<br />

nous a fallu mettre <strong>la</strong> vêleuse pour l'ai<strong>de</strong>r dans son travail.<br />

Mais hé<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> petite femelle ne respirait plus. <strong>Un</strong>e gran<strong>de</strong><br />

déception, du remords, <strong>de</strong> <strong>la</strong> culpabilité. <strong>Un</strong>e perte sèche,<br />

12 mois <strong>de</strong> travail perdu pour un peu <strong>de</strong> négligence <strong>de</strong><br />

notre part, un manque <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce pendant quelques<br />

heures d’absences.<br />

Notre métier est dur moralement. Physiquement, nous<br />

sommes tributaires <strong>de</strong> plusieurs facteurs : le travail avec du<br />

vivant, <strong>la</strong> météo, 24h sur 24, sans relâche, aucun répit, mais<br />

aussi <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> vivre au grand air et <strong>de</strong> gérer son temps.<br />

Pierre : Et toi Valérie, comment vis-tu ton rapport à <strong>la</strong><br />

nature ?<br />

Valérie : En tant qu'agricultrice, je pense que nous sommes<br />

plus attentives et sensib<strong>les</strong> au développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature<br />

autour <strong>de</strong> nous. Au début du printemps, quand je monte en<br />

direction <strong>de</strong> l'exploitation, je peux observer l'évolution <strong>de</strong>s<br />

par<strong>terre</strong>s <strong>de</strong> fleurs ainsi que <strong>les</strong> haies. Leurs couleurs<br />

multicolores changent au fil <strong>de</strong>s jours. On peut sentir dans<br />

l'air, le parfum transporté par le vent.<br />

Quand je mène <strong>les</strong> vaches <strong>la</strong>itières en pâture, j'ai le temps<br />

d'observer du côté gauche du chemin <strong>les</strong> haies <strong>de</strong> pruniers.<br />

Les bourgeons commencent à éclore, au fil <strong>de</strong>s jours <strong>la</strong><br />

fleur apparaît d'une b<strong>la</strong>ncheur naturelle qui attire le regard<br />

dans leur direction. Dans <strong>les</strong> branches, on peut entendre <strong>les</strong><br />

oiseaux siffler leurs refrains à tue-tête.<br />

De l'autre côté, j'aperçois le changement du paysage, <strong>la</strong><br />

couleur <strong>de</strong>s pâtures qui passe du vert foncé au vert c<strong>la</strong>ir.<br />

Les petites marguerites qui montrent leur bout <strong>de</strong> nez, <strong>les</strong><br />

fleurs <strong>de</strong>s pissenlits. Sans oublier <strong>les</strong> taupinières !<br />

72


Après avoir marché un petit moment, j'arrive à <strong>de</strong>stination<br />

avec le troupeau, mené par Augustine toujours <strong>la</strong> première<br />

à <strong>la</strong> tête du groupe. Malgré leur robe noire et b<strong>la</strong>nche el<strong>les</strong><br />

sont toutes différentes par leur caractère, leur douceur,<br />

leur lenteur, leur façon <strong>de</strong> marcher. <strong>Un</strong>e fois arrivées,<br />

chacune part dans son coin renifler l'herbe pour <strong>la</strong> brouter.<br />

En tendant l’oreille, on peut entendre craquer l'herbe <strong>de</strong><br />

chaque bouchée prise.<br />

On ne nait pas paysan, on le <strong>de</strong>vient par passion du métier.<br />

L'agriculteur, s’il fait ses choix en toute liberté, connait<br />

énormément d'inconvénients dans son métier, <strong>de</strong>s tâches<br />

diffici<strong>les</strong> à accomplir. Il lui faut se soumettre aux conditions<br />

climatiques pendant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s semis, <strong>de</strong>s récoltes, aux<br />

heures <strong>de</strong> traite, et respecter <strong>de</strong> l'environnement.<br />

En revanche, nous avons le privilège <strong>de</strong> respirer le bon air,<br />

crier nos joies, observer le paysage, gérer notre temps, ne<br />

pas courir pour prendre le métro. Voilà ce qu'offre notre<br />

métier <strong>de</strong> jardinier <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong>.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Dans mon élevage hors sol, je n'ai pas beaucoup<br />

<strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion avec <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, si ce n'est par le jardin. Je trouve<br />

agréable <strong>de</strong> semer une graine, <strong>la</strong> regar<strong>de</strong>r grandir pour<br />

ensuite <strong>la</strong> retrouver dans l'assiette.<br />

La tempête avait décimé <strong>les</strong> sapins p<strong>la</strong>ntés <strong>de</strong>puis plusieurs<br />

années, j'ai <strong>net</strong>toyé, débroussaillé le terrain pour rep<strong>la</strong>nter<br />

<strong>de</strong>s conifères sur 5000 m 2 environ. Aujourd'hui, <strong>les</strong> sapins<br />

servent <strong>de</strong> brise vent et ainsi intègrent l'élevage dans le<br />

paysage.<br />

J'ai p<strong>la</strong>nté aussi une haie fleurie pour le décor, <strong>les</strong> oiseaux y<br />

trouvent refuge. Au printemps, ils construisent leur nid,<br />

parfois j'assiste à leur va et vient avec <strong>de</strong>s brindil<strong>les</strong> dans<br />

leur bec. J'observe <strong>de</strong>s mésanges, <strong>de</strong>s rouges-gorges et<br />

d'autres espèces dont je ne connais pas le nom. Comme je<br />

leur donne aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture, je fais tout pour <strong>les</strong><br />

attirer.<br />

C'est un bonheur <strong>de</strong> déjeuner <strong>de</strong>hors lorsque le temps le<br />

permet, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> nuages, <strong>les</strong> arbres, <strong>les</strong> vaches dans<br />

le champ voisin. Parfois un héron vient leur rendre visite. Il<br />

n'y a jamais <strong>de</strong>ux jours semb<strong>la</strong>b<strong>les</strong>. Suivant <strong>les</strong> saisons le<br />

paysage change <strong>de</strong> couleur. Dans <strong>la</strong> salle proche du bois, il<br />

m'arrive d'apercevoir <strong>de</strong>s écureuils sauter <strong>de</strong> branche en<br />

branche. Je côtoie d'autres animaux que <strong>de</strong>s <strong>la</strong>pins. Quel<br />

bonheur <strong>de</strong> vivre à <strong>la</strong> campagne !<br />

C<strong>la</strong>ire : Dans notre ferme à Lintever, nous n'élevons pas<br />

d'animaux.<br />

Nous sommes <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. Soulever, gratter, patouiller,<br />

semer, s'embourber, trimballer et remuer <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, on<br />

connait.<br />

Les animaux, je ne pratique pas vraiment à titre<br />

professionnel à part <strong>de</strong>s souvenirs d'ado<strong>les</strong>cence <strong>de</strong><br />

l’élevage <strong>de</strong> porcs chez mes parents.<br />

Depuis que je suis installée à <strong>la</strong> ferme avec Nico<strong>la</strong>s, nos<br />

animaux sont dits <strong>de</strong> (bonne) compagnie. Des chiens,<br />

toujours, indispensab<strong>les</strong> et indissociab<strong>les</strong> <strong>de</strong> notre vie. Les<br />

noms changent avec <strong>les</strong> années, <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> portées, <strong>les</strong><br />

acci<strong>de</strong>nts imprévus, Momo, Lassy, Chips, Régis, en ce<br />

moment c'est Piou-Piou, Wally et Ratafia. Ratafia qui vient<br />

d'être maman pour <strong>la</strong> première fois, 7 d'un coup, 7 petits<br />

êtres qu'on va regar<strong>de</strong>r grandir et qu'on va câliner et<br />

apprivoiser jusqu'à ce qu'on leur trouve <strong>de</strong> nouveaux<br />

maîtres, ce qui nous fait dix chiens à <strong>la</strong> maison. C'est <strong>la</strong> vie,<br />

le mouvement, et j'aime ça, toujours une compagnie<br />

attentive, un regard implorant, un pe<strong>la</strong>ge chaud et doux à<br />

portée <strong>de</strong> main, sans oublier leurs petites manies. Wally ne<br />

73


supporte pas <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> et veut toujours être dans <strong>la</strong> même<br />

pièce que moi, sous ma chaise, quand je suis au bureau,<br />

mais l’ennui, c'est qu'il pète tout le temps, c'est ça aussi <strong>la</strong><br />

nature.<br />

Il y a quelques années, à l'ouverture <strong>de</strong>s chambres d'hôtes,<br />

nous avons fait une tentative pour développer notre «<br />

cheptel » : pou<strong>les</strong> <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> couleurs, <strong>la</strong>pins, cochons<br />

d'In<strong>de</strong>, canards, oies, moutons d’Ouessant. Nous avons<br />

apprivoisé <strong>les</strong> pou<strong>les</strong>, Sucette, Noisette, Coucou. Mais <strong>les</strong><br />

renards et d'autres aventures moins glorieuses ont eu<br />

raison <strong>de</strong> notre tentative. Actuellement, seuls nos <strong>de</strong>ux<br />

moutons d'Ouessant entretiennent le verger.<br />

Cet été, un évènement imprévu et une rencontre<br />

exceptionnelle ont fait germer l'envie <strong>de</strong> nous recréer un<br />

environnement animal familier. Pauline, une jeune fille <strong>de</strong><br />

Nantes a débarqué chez nous par une belle fin d'après-midi<br />

d'août ensoleillé, avec pour tout compagnon, un âne bâté<br />

nommé Ismaël. Ce couple insolite faisait le tour <strong>de</strong><br />

Bretagne à pied, tranquillement, au rythme <strong>de</strong> l'âne,<br />

s'arrêtant dans <strong>les</strong> fermes pour <strong>la</strong> nuit, se suffisant d’un<br />

carré d'herbe et d’un seau d'eau. Cette rencontre toute<br />

simple, mais très riche <strong>de</strong> petits bonheurs partagés, nous a<br />

donné envie <strong>de</strong> retenter l'expérience : se rapprocher d'un<br />

animal, tisser <strong>de</strong>s liens, vivre plus près <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature au<br />

quotidien, à un rythme plus lent, être plus détendu, moins<br />

courir. Nous nous sommes mis à <strong>la</strong> recherche d'un âne.<br />

Après quelques mois <strong>de</strong> recherche, nous avons eu un coup<br />

<strong>de</strong> cœur pour Grisette : une mule (croisement po<strong>net</strong>te et<br />

âne) <strong>de</strong> 4 ans, à <strong>la</strong> une robe b<strong>la</strong>nche et grise. Sa tête et son<br />

regard vif nous ont plu. Nous l'avons ramené à Lintever en<br />

octobre 2009. Au bout <strong>de</strong> quelques jours dans notre enclos,<br />

surprise, Grisette est très curieuse, s'approche et mange <strong>les</strong><br />

croutons qu'on lui offre, mais l'attraper à <strong>la</strong> longe, ce n'est<br />

pas dans ses cor<strong>de</strong>s.<br />

Jour après jour, nous lui parlons, néanmoins <strong>les</strong> progrès<br />

sont faib<strong>les</strong>, pas si facile d'apprivoiser une mule dont on ne<br />

connait pas le passé. Après quelques échappées et <strong>de</strong>s<br />

courses poursuites épiques (et hippiques) chez <strong>les</strong> voisins<br />

qui ont aussi <strong>de</strong>s ânes, nous avons décidé <strong>de</strong> réduire<br />

l'enclos <strong>de</strong> Grisette. Nous l'appâtons avec <strong>de</strong>s granulés, elle<br />

s'approche <strong>de</strong> nous mais reste à une distance <strong>de</strong> quelques<br />

mètres et se méfie dès qu'on tend <strong>la</strong> main pour attraper sa<br />

longe. Je pense qu'on gagnera sa confiance par <strong>la</strong><br />

nourriture et aussi par sa curiosité. Quand elle est<br />

contrariée, elle bouge <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux oreil<strong>les</strong> indépendamment<br />

l’une <strong>de</strong> l’autre et tourne <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> côté. Parfois, elle donne<br />

un coup <strong>de</strong> sabot, fait <strong>de</strong>mi-tour puis s'en va, mais elle<br />

revient dès que l'on a le dos tourné pour vérifier si on n'est<br />

pas en train <strong>de</strong> faire quelque chose d'intéressant.<br />

La mule nous a donné <strong>de</strong>s idées, nous allons aussi adopter<br />

un couple <strong>de</strong> chèvres naines, ce<strong>la</strong> lui tiendra compagnie et<br />

nous apportera <strong>de</strong> <strong>la</strong> fantaisie. Les chèvres sont <strong>de</strong>s<br />

animaux gais et sympathiques, nous espèrons que ce<strong>la</strong><br />

contribuera à amadouer Grisette.<br />

<strong>Un</strong> compagnon inattendu s'est ajouté à notre crèche, un<br />

beau poulet b<strong>la</strong>nc <strong>de</strong>stiné à <strong>la</strong> casserole, a débarqué à<br />

Lintever (ca<strong>de</strong>au d'un ami contre un service). Nous l'avons<br />

« posé » dans l'enclos en attendant le coup <strong>de</strong> grâce.<br />

Grisette s'y est habituée, nous aussi, ce<strong>la</strong> fait maintenant<br />

<strong>de</strong>ux mois qu'il partage nos restes d’épluchures <strong>de</strong> légumes<br />

avec ses compagnons à quatre pattes. Il accourt à nos pieds<br />

dès qu'il nous entend et nous donne <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> bec sur<br />

nos chaussures pour dire qu'il est là.<br />

J'ai hâte <strong>de</strong> pouvoir caresser Grisette et <strong>de</strong> lui parler à<br />

l'oreille, <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire travailler tranquillement. Je souhaiterais<br />

74


<strong>la</strong> bâter pour faire du portage <strong>de</strong> pique-nique pour mes<br />

hôtes, envoyer Juliette chercher le <strong>la</strong>it frais à <strong>la</strong> ferme d'àcôté.<br />

Il est encore un peu tôt pour échafau<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns, car<br />

avec notre tête <strong>de</strong> mule, <strong>la</strong> patience et <strong>la</strong> persévérance sont<br />

<strong>les</strong> premiers enseignements que nous avons appris, avec<br />

l'envie et <strong>la</strong> curiosité d'en savoir plus sur ces compagnons,<br />

ceux qui justement ont aidé <strong>les</strong> hommes à retourner <strong>la</strong><br />

<strong>terre</strong>, in<strong>la</strong>ssablement.<br />

Pierre : Sur vos exploitations en plus <strong>de</strong>s vaches, <strong>de</strong>s veaux,<br />

<strong>de</strong>s cochons, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>pins, <strong>de</strong>s pou<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s mu<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s chiens, n'y<br />

a-t-il pas quelques autres bestio<strong>les</strong> qui s'invitent et parfois<br />

s'installent pour longtemps.<br />

Catherine. Eh oui ! Des « sa<strong>les</strong> » bêtes comme on <strong>les</strong><br />

appelle souvent, <strong>de</strong>s nuisib<strong>les</strong>. Tous ces animaux qui, en<br />

plus du fait <strong>de</strong> ne pas être <strong>les</strong> bienvenus chez nous, ont <strong>la</strong><br />

faculté <strong>de</strong> se reproduire à une telle vitesse qu’il est très<br />

difficile <strong>de</strong> s’en débarrasser, tels que <strong>les</strong> souris, <strong>les</strong> rats, <strong>les</strong><br />

pigeons ramiers, <strong>les</strong> mouches.<br />

Il faut aussi parler <strong>de</strong>s étourneaux, véritable fléau hivernal<br />

<strong>de</strong>s élevages <strong>la</strong>itiers. Tous <strong>les</strong> ans, <strong>la</strong> Toussaint rime avec<br />

l'arrivée <strong>de</strong>s étourneaux. C’est <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> où ils migrent du<br />

Nord <strong>de</strong> l’Europe vers <strong>de</strong>s contrées au climat plus clément,<br />

où ils trouveront leur nourriture pour passer l’hiver. Ils<br />

arrivent par dizaine <strong>de</strong> milliers et jettent leur dévolu sur le<br />

maïs <strong>de</strong>s bovins, trient <strong>les</strong> grains qu’ils ingurgitent à une<br />

vitesse impressionnante. Or le grain <strong>de</strong> maïs est aussi une<br />

source d’énergie pour <strong>les</strong> vaches <strong>la</strong>itières.<br />

Tous <strong>les</strong> jours, même scénario, vers 9 heures le nuage noir<br />

vient <strong>de</strong> l‘Est, approche, se divise en plusieurs groupes. Ils<br />

nichent tous <strong>les</strong> soirs au même endroit, souvent dans <strong>les</strong><br />

bois ou en ville ; chacun a sa ferme attitrée sans doute. Là,<br />

ils atten<strong>de</strong>nt, perchés sur <strong>les</strong> arbres, dans un vacarme<br />

assourdissant qu’on leur <strong>la</strong>isse le champ libre pour se<br />

« restaurer ».<br />

Chassez-<strong>les</strong>, ils sont <strong>de</strong> retour cinq minutes plus tard et au<br />

fil du temps, ils <strong>de</strong>viennent tellement effrontés que plus<br />

rien ne <strong>les</strong> effraie (ni <strong>les</strong> chats, ni <strong>les</strong> cris d‘éperviers, ni <strong>la</strong><br />

radio). À 17heures, tout le mon<strong>de</strong> retourne au dortoir, le<br />

ventre plein.<br />

Ce manège dure jusqu’à <strong>la</strong> fin février, et pendant ce temps<br />

ils n’oublient pas <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser leurs fientes sur <strong>les</strong> charpentes<br />

<strong>de</strong>s bâtiments, dans <strong>la</strong> litière et l’alimentation <strong>de</strong>s animaux,<br />

et aussi sur le dos <strong>de</strong>s pauvres vaches contraintes <strong>de</strong><br />

75


partager leur nourriture avec ces envahisseurs.<br />

La solution ? Il y en a peu <strong>de</strong> vraiment efficace. Devant cette<br />

nuisance, qui peut <strong>de</strong>venir un problème sanitaire,<br />

l’Administration déjà contactée à maintes reprises par <strong>de</strong>s<br />

éleveurs excédés, n’a jamais été très perspicace (c’est<br />

sûrement plus facile <strong>de</strong> contrôler si <strong>les</strong> vaches ont bien une<br />

boucle à chaque oreille que <strong>de</strong> s’attaquer à <strong>de</strong>s invasions<br />

d’oiseaux nuisib<strong>les</strong>).<br />

Pierre : Nous avons évoqué le renard, c'est un autre nuisible,<br />

dont le voisinage n'est pas toujours facile à supporter.<br />

Joseph : Je sais qu'il est présent sur <strong>la</strong> ferme, ou qu'il ne fait<br />

que passer, mais je ne le vois jamais. C'est un nuisible<br />

surtout par manque <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> ma part, il sait<br />

endormir <strong>les</strong> gens.<br />

Sur <strong>la</strong> ferme cohabitent souris, mulots, rats, <strong>la</strong>pins, lièvres,<br />

chiens, chats, quelques sangliers <strong>de</strong> passage et <strong>de</strong>s<br />

chevreuils. Près <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, grenouil<strong>les</strong>, crapauds,<br />

hérissons et <strong>de</strong>s insectes ; moineaux, pinsons, mésanges,<br />

bergeron<strong>net</strong>tes, mer<strong>les</strong>, mauvis, grives, rouges-gorges,<br />

roitelets, mes pou<strong>les</strong> et mes oies. En plein champ, <strong>les</strong><br />

alouettes, <strong>les</strong> cail<strong>les</strong>, <strong>les</strong> perdrix et faisans lâchés pour <strong>la</strong><br />

chasse. Dans <strong>les</strong> haies, passereaux migrateurs, bouvreuils,<br />

chardonnerets, bruyants zizis, tarins <strong>de</strong>s aulnes, verdiers,<br />

serins ; et <strong>les</strong> rapaces : faucons crécerel<strong>les</strong>, buses.<br />

Avec toute cette faune, maître Renard a <strong>de</strong> quoi se nourrir<br />

une bonne partie <strong>de</strong> l'année. La pério<strong>de</strong> d'abondance dans<br />

<strong>les</strong> nids correspond à l’époque où il élève ses petits.<br />

L’animal est plutôt nocturne mais je l'ai déjà surpris, lors<br />

d'une <strong>de</strong> mes ba<strong>la</strong><strong>de</strong>s à pieds, à chasser parmi <strong>les</strong> chevaux<br />

dans une prairie. Dans ce cas, le mot d'ordre est <strong>de</strong> ne plus<br />

bouger et d’observer.<br />

Du bout <strong>de</strong> son nez à sa belle queue en panache, l’animal<br />

est fuselé. Son museau long avec <strong>de</strong>s poils b<strong>la</strong>ncs suivis <strong>de</strong><br />

poils roux, constitue son atout majeur pour f<strong>la</strong>irer sa<br />

nourriture. Sa tête fine est animée par <strong>de</strong>s yeux en aman<strong>de</strong><br />

qui lui donnent tout <strong>de</strong> suite un air malicieux ou cruel<br />

suivant sa position à <strong>la</strong> chasse. Les oreil<strong>les</strong>, en permanence<br />

à l'écoute, s'orientent séparément, l’une au vent, l'autre<br />

vers l'objectif à atteindre. Il se dép<strong>la</strong>ce en soup<strong>les</strong>se,<br />

essayant <strong>de</strong> ne pas faire <strong>de</strong> bruit à chaque fois qu'il touche<br />

le sol. Même s’il n'est pas à <strong>la</strong> chasse, il marche comme s’il<br />

effleurait <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. La queue, en forme d'obus, touffue, aussi<br />

longue que son corps, en fait sa beauté mais aussi le<br />

trophée <strong>de</strong>s chasseurs qui l’élimine.<br />

La ferme fait partie <strong>de</strong> son territoire, il y vient pour se<br />

nourrir, trouver un terrier pour élever sa famille ou ne fait<br />

76


que passer. Sa vigi<strong>la</strong>nce et sa discrétion me font l'oublier<br />

mais quelques signes me prouvent son existence. Quand j'ai<br />

p<strong>la</strong>nté <strong>de</strong>s haies <strong>de</strong> noisetiers, le renard ou <strong>les</strong> renards ont<br />

compris que <strong>les</strong> noisettes al<strong>la</strong>ient être à leur disposition.<br />

Moi aussi j'aime <strong>les</strong> noisettes et j'ai vite repéré leur<br />

manège, ainsi que celui du mulot <strong>de</strong>s champs. Je dois donc<br />

faire aussi vite qu'eux, et aller ramasser <strong>les</strong> noisettes tous<br />

<strong>les</strong> jours ou tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux jours. Sinon <strong>la</strong> sanction est<br />

immédiate, <strong>les</strong> renards et mulots ont pris leur part. À <strong>terre</strong>,<br />

ce ne sont que coques <strong>de</strong> noisette cassées et vi<strong>de</strong>s.<br />

Heureusement, ils ne connaissent pas ma recette <strong>de</strong> cornes<br />

<strong>de</strong> gazelle à base <strong>de</strong> pâte <strong>de</strong> noisettes.<br />

Comme je suis tolérant, j'accepte qu'ils en mangent un peu ;<br />

pendant qu'ils sont à manger <strong>de</strong>s noisettes ou qu'ils<br />

trouvent <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture sur <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s, ils ne s'approchent<br />

pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison et surtout <strong>de</strong> mes pou<strong>les</strong>. Car si le<br />

pou<strong>la</strong>iller est dans leur ligne <strong>de</strong> mire, adieu <strong>les</strong> pou<strong>les</strong> ! Je<br />

sais qu'un jour ils viendront, mais quand ? Les pou<strong>les</strong> et <strong>les</strong><br />

oies vivent dans un parc dont je dois en principe abaisser <strong>la</strong><br />

trappe <strong>de</strong> l'enclos où el<strong>les</strong> dorment le soir. Mais <strong>de</strong>puis<br />

quatre ans, il y a du <strong>la</strong>isser-aller, je ne <strong>la</strong> ferme pas. Or le<br />

verger n’est entouré que d'un simple gril<strong>la</strong>ge à moutons.<br />

Les renards peuvent très bien passer à travers <strong>les</strong> mail<strong>les</strong><br />

ou tout simplement sauter par-<strong>de</strong>ssus, qu'est-ce qu'un<br />

bond d’un mètre pour eux.<br />

Depuis <strong>de</strong>ux ans, une <strong>de</strong> mes pou<strong>les</strong> a décidé <strong>de</strong> pondre à<br />

l'extérieur du parc. Je lui dis pourtant : « Tu verras, un jour<br />

le renard ne fera qu'une bouchée <strong>de</strong> toi ! » Mais <strong>les</strong> renards<br />

feront comme il y a quatre ans. Cette fois-ci ils n'auront<br />

même pas à attendre que je me lève le matin pour ouvrir <strong>la</strong><br />

trappe du pou<strong>la</strong>iller. Pendant que je prendrai mon petit<br />

déjeuner, ils s’empareront <strong>de</strong> plusieurs pou<strong>les</strong> et comme<br />

par hasard cel<strong>les</strong> qui pon<strong>de</strong>nt le mieux. J'aurai beau<br />

ameuter <strong>la</strong> <strong>terre</strong> entière, ils seront loin et contents d’avoir<br />

d'aussi bel<strong>les</strong> prises pour se régaler.<br />

Le temps<br />

Pierre : Dans <strong>la</strong> phase préparatoire <strong>de</strong> l'écriture, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong><br />

l'automne 2008, il avait été convenu <strong>de</strong> noter chaque matin<br />

<strong>les</strong> mots qui venaient à l'esprit en ouvrant <strong>la</strong> fenêtre, et <strong>les</strong><br />

sensations éprouvées en constatant le temps qu'il faisait.<br />

Le bouquet <strong>de</strong> petits textes que nous avions alors<br />

recueilli, révé<strong>la</strong>it déjà <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s préoccupations, <strong>de</strong>s<br />

sensibilités et par conséquent <strong>de</strong>s imaginaires.<br />

Catherine : A chaque saison, <strong>la</strong> nature est différente. Noël<br />

passé, on nous annonce déjà que <strong>les</strong> jours rallongent. La<br />

nature va se réveiller, <strong>les</strong> jonquil<strong>les</strong> pointent le bout <strong>de</strong> leur<br />

nez, <strong>les</strong> premiers bourgeons apparaissent, le printemps<br />

prépare son grand retour.<br />

Pour <strong>les</strong> agriculteurs, le travail évolue au rythme <strong>de</strong>s<br />

saisons : semer, observer <strong>les</strong> premières pousses <strong>de</strong>s orges,<br />

<strong>les</strong> voir monter en épis puis contempler un court instant <strong>les</strong><br />

vagues que forment leurs barbes au gré du vent.<br />

Et aussi, parcourir <strong>les</strong> pâtures avant <strong>la</strong> mise à l’herbe et se<br />

surprendre à observer le ballet <strong>de</strong>s hiron<strong>de</strong>l<strong>les</strong>, entendre le<br />

coucou au lointain, sentir <strong>les</strong> o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>la</strong> végétation qui<br />

renaît. Enfin, se prendre un temps pour contempler <strong>la</strong><br />

nature face à cette vie qui nous fait courir. Ce sont <strong>de</strong> petits<br />

instants <strong>de</strong> bonheur, qui ne coûtent rien et, qui nous<br />

permettent <strong>de</strong> conserver <strong>la</strong> passion <strong>de</strong> notre métier.<br />

Pierre : Mais le temps n’est pas toujours clément.<br />

Catherine : Certes, <strong>la</strong> boue sera toujours <strong>la</strong> boue.<br />

Ah, <strong>la</strong> météo, vaste sujet <strong>de</strong> conversation dans <strong>les</strong><br />

77


campagnes tant nous en sommes tributaires. Bien souvent<br />

lorsqu’il pleut, ce n’est pas le bon moment (en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

semis et <strong>de</strong> récolte) et lorsqu’il ne pleut pas, on réc<strong>la</strong>me un<br />

peu d’eau. C’est vrai que <strong>la</strong> météo n’est pas toujours<br />

clémente avec nous. <strong>Un</strong>e année, nous avons connu cinq<br />

mois <strong>de</strong> pluie continue compromettant <strong>les</strong> semis d’hiver<br />

<strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong>, suivis d’une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> six mois <strong>de</strong><br />

sécheresse, mettant en danger cette fois-ci le bon<br />

développement <strong>de</strong>s cultures et entrainant <strong>la</strong> quasidisparition<br />

<strong>de</strong> l’herbe, principal aliment <strong>de</strong> nos vaches. Au<br />

sein d’un contexte économique difficile, <strong>de</strong> tels aléas<br />

fragilisent un peu plus <strong>la</strong> situation financière <strong>de</strong> nos<br />

entreprises.<br />

Nous entendons régulièrement : « Ah, comme vous avez <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> chance <strong>de</strong> travailler à l’extérieur, au grand air, au contact<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature». Certes, mais ce que <strong>les</strong> gens oublient<br />

souvent, c’est que nous sommes <strong>de</strong>hors toute l’année et pas<br />

seulement quand le soleil brille.<br />

Nous travaillons sous tous <strong>les</strong> temps : pluie, vent, froid,<br />

neige et soleil. Parfois, on se dit qu’on voudrait bien<br />

travailler à l’abri, surtout l’hiver quand il faut mettre le nez<br />

<strong>de</strong>hors à 6 heures du matin, que <strong>la</strong> radio annonce <strong>de</strong>s<br />

températures g<strong>la</strong>cia<strong>les</strong> ou <strong>de</strong>s trombes d’eau et que l’on va<br />

<strong>de</strong>voir travailler dans l’humidité, le froid et <strong>la</strong> gadoue.<br />

Même si nos conditions <strong>de</strong> travail se sont améliorées,<br />

comparées à cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s générations précé<strong>de</strong>ntes, il reste<br />

toujours le côté salissant. Quoi que l’on fasse, <strong>de</strong> l’eau<br />

mé<strong>la</strong>ngée à <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong> fera toujours <strong>de</strong> <strong>la</strong> boue. D’où<br />

l’expression qui colle aussi à notre métier, celle <strong>de</strong> «<br />

bouseux».<br />

J’ai toujours ce sentiment <strong>de</strong> découragement quand<br />

j’entends mes bottes c<strong>la</strong>poter dans <strong>la</strong> boue. Cette<br />

impression est renforcée lors d’été ca<strong>la</strong>miteux quand je<br />

dois bien faire attention à chaque pas <strong>de</strong> ne pas <strong>la</strong>isser mes<br />

bottes <strong>de</strong>rrière moi, tant <strong>la</strong> boue <strong>de</strong>vient col<strong>la</strong>nte.<br />

Pierre : Et <strong>la</strong> neige ?<br />

Joseph : Le froid d'abord. Pour faire face à <strong>la</strong> saison<br />

hivernale, je me suis arrangé pour ne pas être bousculé <strong>de</strong><br />

travail à cette pério<strong>de</strong>. Je suis comme ma mère, toujours <strong>les</strong><br />

extrémités <strong>de</strong>s mains et <strong>de</strong>s pieds froi<strong>de</strong>s, même l'été.<br />

Comme certains qui ont toujours chaud, moi le froid me<br />

paralyse. Ce<strong>la</strong> m'arrive pourtant <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir être en extérieur<br />

quand il y a <strong>de</strong>s impératifs, quand <strong>les</strong> cultures en p<strong>la</strong>ce<br />

prennent du retard et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une récolte par temps<br />

froid. Mais ce<strong>la</strong> doit rester très épisodique. On prend son<br />

courage à <strong>de</strong>ux mains et on l'accepte quelques jours<br />

maximum.<br />

Avec <strong>la</strong> neige, le rapport est différent. Ce sont surtout <strong>de</strong>s<br />

souvenirs d'enfance qui me reviennent car elle est moins<br />

fréquente qu'il y a quarante ans. Elle arrive souvent en<br />

Bretagne après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> froid, par radoucissement<br />

<strong>de</strong>s températures, combiné à <strong>de</strong>s nuages venant <strong>de</strong> l'Ouest.<br />

Cette année elle est venue en <strong>de</strong>ux vagues, à quelques jours<br />

d'interval<strong>les</strong>. Pour une fois, <strong>la</strong> météo ne s'était pas trompée.<br />

La neige est tombée en début <strong>de</strong> soirée. Dans <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cour, <strong>de</strong> petits flocons sont apparus puis un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong><br />

petits et <strong>de</strong> gros et enfin <strong>de</strong>s gros flocons, comme en<br />

montagne, recouvrant le sol en l'espace <strong>de</strong> cinq minutes. Je<br />

me réjouis comme un gamin, car <strong>de</strong>main un beau paysage<br />

s'offrira à mes yeux. Bien au chaud sous <strong>la</strong> couette, j'ai<br />

regardé vers <strong>la</strong> fenêtre s'installer <strong>les</strong> reflets lumineux <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

neige dans le noir <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit. Je n'ai pu m'empêcher <strong>de</strong> me<br />

78


lever <strong>de</strong>ux fois pour contempler le tapis neigeux et le ciel<br />

dégagé. Les étoi<strong>les</strong> scintillent, plus b<strong>la</strong>nches que jamais,<br />

nimbées <strong>de</strong> ce bleu qui donne l'impression d'une voûte<br />

cé<strong>les</strong>te plus proche <strong>de</strong> nous.<br />

Au matin en ouvrant le ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong> fenêtre, je suis content,<br />

<strong>la</strong> neige n'a pas disparu, vite je <strong>de</strong>scends chercher l'appareil<br />

photo et remonte. J'ouvre <strong>la</strong> fenêtre et prend trois photos.<br />

Je cadre le croissant <strong>de</strong> lune, dans un ciel mi-jour mi-nuit,<br />

toujours bleuté. Pas une trace dans <strong>la</strong> neige comme si <strong>les</strong><br />

animaux ne vou<strong>la</strong>ient pas toucher à ce décor. Je guette le<br />

lever du soleil, j'irai faire aussi <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong><br />

maison, seul cet endroit donne cette combinaison <strong>de</strong><br />

couleurs avec <strong>les</strong> pommiers, <strong>la</strong> neige, le soleil et ses rayons<br />

jaunes qui cherchent à pénétrer tous <strong>les</strong> recoins et se<br />

heurtent à <strong>la</strong> neige qui renvoie en bril<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s reflets d’or.<br />

Comme je ne travaille pas vingt-quatre heures sur vingtquatre,<br />

<strong>la</strong> neige est le prétexte pour ne rien faire. Si d'autres<br />

appréhen<strong>de</strong>nt son arrivée qui déstabilise leur rythme <strong>de</strong><br />

vie, moi je prends le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> regar<strong>de</strong>r. Je joue avec elle,<br />

je cherche <strong>de</strong>s décors, <strong>de</strong>s lumières qui m’enchantent.<br />

La neige m'oblige également à me soucier <strong>de</strong> ceux qui n'ont<br />

pas <strong>de</strong> moyen <strong>de</strong> transports et fait renouer <strong>les</strong> contacts<br />

avec <strong>les</strong> voisins.<br />

Comme je m'intéresse à tout, je consacre une partie <strong>de</strong> mon<br />

temps pour accueillir <strong>de</strong>s personnes autour d'une table.<br />

Papoter avec <strong>de</strong>s amies <strong>de</strong> tous milieux, avoir <strong>de</strong>s loisirs, en<br />

fonction du temps qu'il me reste après le travail. Il y a <strong>de</strong>s<br />

pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travail très intenses que l'on accepte parce<br />

qu'ensuite, on sait que l'on pourra relâcher et avoir du<br />

temps libre. Suivant <strong>les</strong> années, <strong>la</strong> météo peut tout<br />

compromettre, il faut recommencer plusieurs fois <strong>la</strong><br />

préparation <strong>de</strong>s <strong>terre</strong>s, ce qui empiète sur nos temps libres.<br />

Des récoltes moins bonnes en ren<strong>de</strong>ment ou <strong>de</strong>s prix plus<br />

bas diminuent notre bénéfice et retar<strong>de</strong>nt nos choix<br />

d'investissement pour améliorer <strong>la</strong> maison, ou s’offrir un<br />

divertissement.<br />

Valérie : <strong>Un</strong>e petite anecdote <strong>de</strong> l'hiver <strong>de</strong>rnier.<br />

Nous avons connu quelques difficultés avec <strong>la</strong> neige. Tout le<br />

mon<strong>de</strong> se lève le matin et voit un tapis b<strong>la</strong>nc. Les fil<strong>les</strong><br />

éc<strong>la</strong>tent <strong>de</strong> joie:" Il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> neige, il neige ! Super ! Pas<br />

d'école !" El<strong>les</strong> se dépêchent <strong>de</strong> mettre leur combinaison <strong>de</strong><br />

ski pour aller se rouler dans le manteau b<strong>la</strong>nc, faire <strong>de</strong>s<br />

bonhommes <strong>de</strong> neige, se <strong>la</strong>isser glisser dans <strong>les</strong> pentes <strong>de</strong>s<br />

champs. La joie <strong>de</strong> vivre se lit sur leurs visages.<br />

À l’inverse, pour nous <strong>la</strong> journée va être difficile.<br />

L’exploitation se trouve sur une butte ventée dont l'accès<br />

est très en pente. Première difficulté : le <strong>la</strong>itier ne peut pas<br />

monter. A nous <strong>de</strong> nous débrouiller pour ne pas jeter le <strong>la</strong>it<br />

à <strong>la</strong> fosse. On ne peut pas fermer boutique aujourd'hui, et<br />

attendre <strong>de</strong>main. Les vaches <strong>la</strong>itières ne s'arrêtent pas <strong>de</strong><br />

produire du <strong>la</strong>it du jour au len<strong>de</strong>main. Encore une difficulté<br />

à résoudre. Il nous faut une cuve alimentaire propre <strong>de</strong><br />

mille litres pour <strong>la</strong> mettre dans <strong>la</strong> voiture et siphonner le<br />

<strong>la</strong>it, du tank à <strong>la</strong> cuve (nous n'avions pas <strong>de</strong> pompe à ce<br />

moment-là). La surveil<strong>la</strong>nce oblige à rester immobile dans<br />

le froid le temps que le <strong>la</strong>it coule dans <strong>la</strong> cuve. Des heures<br />

<strong>de</strong> travail supplémentaires, avec <strong>la</strong> livraison du <strong>la</strong>it dans <strong>les</strong><br />

points <strong>de</strong> collecte que <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie nous indique. Des heures à<br />

faire <strong>la</strong> queue, toujours dans le froid, en espérant que le<br />

<strong>la</strong>itier ne prévienne pas trop tard que le camion est plein, et<br />

qu'il faut aller plus loin. Au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong> neige,<br />

nous sommes à saturation. À quand un retour à <strong>la</strong> vie<br />

79


normale ?<br />

Quand il neige, il faut aussi aller voir <strong>les</strong> bêtes au champ,<br />

casser <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce au marteau dans <strong>les</strong> bacs à eau quand elle<br />

est épaisse. Au bout <strong>de</strong> quelques jours, d'autres difficultés<br />

s’ajoutent, le courant ne passe plus dans <strong>les</strong> champs à cause<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> neige sur <strong>les</strong> fils, on craint que <strong>les</strong> bêtes ne<br />

s'échappent, il faut toujours être sur nos gar<strong>de</strong>s quand il y<br />

a <strong>de</strong> <strong>la</strong> neige.<br />

L'été a aussi ses inconvénients. Quand il fait chaud, l'herbe<br />

<strong>de</strong>s vaches <strong>la</strong>itières ne pousse plus. Les pâtures grillent<br />

comme <strong>de</strong>s pail<strong>la</strong>ssons. Nous <strong>de</strong>vons encore surmonter<br />

une difficulté, car grâce à cette herbe nous valorisons notre<br />

prix du <strong>la</strong>it. Quand il n’y a plus d'herbe, on passe à <strong>la</strong> ration<br />

hivernale, le coût n'est plus le même. Par excès <strong>de</strong> chaleur,<br />

<strong>les</strong> céréa<strong>les</strong> s'échau<strong>de</strong>nt, d’où moins <strong>de</strong> grains à <strong>la</strong> récolte,<br />

moins <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment, moins d'argent. Et voilà quelques<br />

aléas du temps face à notre métier.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Moi, non plus, je n'aime pas <strong>la</strong> neige !<br />

L'autre dimanche, je me lève, ouvre <strong>les</strong> volets, et que vois-je<br />

? Je n’en crois pas mes yeux. La neige, au moins 10 cm<br />

recouvre <strong>la</strong> pelouse. Comment vais-je faire pour rejoindre<br />

mon élevage car j’ai beaucoup <strong>de</strong> travail. Même le<br />

dimanche, il faut y aller.<br />

J’appelle mon fils habitué à rouler sur <strong>la</strong> neige puisqu’il est<br />

routier. Nous prenons <strong>la</strong> voiture, il roule pru<strong>de</strong>mment.<br />

Arrivés à l’élevage, je me suis dit que j'aurais pu le faire,<br />

que finalement ce n’était pas si difficile. Je me précipite<br />

pour observer <strong>les</strong> sal<strong>les</strong>. Les températures sont basses mais<br />

restent correctes. Heureusement le chauffage a bien<br />

fonctionné.<br />

LE GVA (Groupement <strong>de</strong> Vulgarisation <strong>de</strong><br />

l’Agriculture)<br />

Il a pour objet le développement agricole, ses objectifs sont<br />

d’assurer le développement <strong>de</strong>s exploitations par <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

formation, <strong>de</strong> l’information, du conseil en collectif. Il privilégie le<br />

collectif au bénéfice <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne, renforce l’autonomie <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs dans leurs prises <strong>de</strong> décisions. Ses actions<br />

concernent <strong>la</strong> personne, l’exploitation, le territoire et portent sur<br />

<strong>les</strong> domaines techniques, économiques, humains et <strong>de</strong><br />

développement local.<br />

Pierre : Quand on vit <strong>de</strong>s situations si différentes, dans une<br />

même profession, le témoin qui vous observe peut se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qui vous pousse à venir aux réunions du GVA ?<br />

Catherine. Sortir <strong>de</strong> chez moi, voir du mon<strong>de</strong>. Je ne veux<br />

pas faire partie <strong>de</strong> ceux qui ne sortent jamais <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme.<br />

J'espère retrouver, toujours avec p<strong>la</strong>isir, notre petite<br />

équipe. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si tous vont bien. Dans quel état<br />

80


d'esprit vont-il être : contents, énervés, motivés, désabusés<br />

?<br />

Nous vivons une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise agricole qui risque <strong>de</strong><br />

s'aggraver. Moralement, c'est parfois dur. Nous sommes<br />

une bonne équipe soudée et contents <strong>de</strong> nous revoir, <strong>de</strong><br />

nous stimuler.<br />

Valérie : Ce qui me fait p<strong>la</strong>isir, c'est <strong>de</strong> rejoindre <strong>les</strong> autres<br />

membres <strong>de</strong> l'équipe d'animateurs, en sachant que je<br />

retrouverai <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaleur humaine, un réconfort que l'on ne<br />

trouve pas forcément dans d'autres réunions.<br />

Catherine : Chacun apporte ses idées. Nous discutons et<br />

cherchons ce qui pourrait intéresser nos membres :<br />

actions, soirées, débats, formations. Nous souhaitons être le<br />

plus proche possible <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> <strong>la</strong> profession.<br />

Notre souhait serait <strong>de</strong> retrouver un dynamisme au sein<br />

<strong>de</strong>s adhérents.<br />

Valérie : Nous échangeons dans <strong>la</strong> convivialité. Ce<strong>la</strong> me<br />

rend heureuse <strong>de</strong> pouvoir mener à bien nos projets.<br />

C<strong>la</strong>ire : La fenêtre qu'ouvre ce groupe est <strong>de</strong>venue<br />

irremp<strong>la</strong>çable, rare, riche, précieuse, source d'équilibre,<br />

une <strong>de</strong>s meilleures bouffées d'oxygène, voire parfois, <strong>de</strong><br />

bouée <strong>de</strong> sauvetage. De savoir qu'un groupe comme le GVA<br />

(respectueux, convivial, formateur) existait autour <strong>de</strong> moi,<br />

a été un élément déterminant dans ma prise <strong>de</strong> décision <strong>de</strong><br />

revenir sur l'exploitation pour y créer mon activité agrotouristique.<br />

L'existence d'un tel groupe est essentielle pour<br />

que ma vie sur <strong>la</strong> ferme soit vivable.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Je participe avec bonheur aux réunions. Nous<br />

partageons nos préoccupations, nous échangeons sur nos<br />

problèmes. Nous voyons que nous ne sommes pas seuls<br />

face aux difficultés dans l'agriculture et ressortons <strong>de</strong> là<br />

plus forts pour affronter le len<strong>de</strong>main.<br />

Joseph : Je suis tombé <strong>de</strong>dans avec le MRJC (Mouvement<br />

Rural <strong>de</strong> Jeunesse Chrétienne). J’y ai fait mes premières<br />

armes, ai appris le fonctionnement d'un groupe. À 16 ans,<br />

en 1974, j'étais trop timi<strong>de</strong> pour imposer mes idées. Le plus<br />

important pour moi était d'éprouver <strong>la</strong> sensation d'être<br />

bien, et que <strong>les</strong> autres se sentent bien avec moi.<br />

Je voyais déjà ce sentiment chez mes parents qui<br />

participaient aux activités du GVA comme simp<strong>les</strong><br />

adhérents. Concrètement, <strong>les</strong> voir améliorer leurs<br />

conditions <strong>de</strong> travail, prendre du temps pour s'informer,<br />

voyager avec <strong>de</strong>s conseillers, sentir dans leur vie cet<br />

enthousiasme, m'a marqué. Pouvoir apporter une<br />

sensation <strong>de</strong> bien-être me suffit, je ne cherche pas autre<br />

chose.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Le GVA est un organisme neutre…<br />

C<strong>la</strong>ire :...avec <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong> non-jugement, <strong>de</strong><br />

confi<strong>de</strong>ntialité, <strong>de</strong> respect, d'écoute, <strong>de</strong> partage, sans parti<br />

pris politique ou religieux, comme <strong>de</strong>vraient l'être<br />

beaucoup d'associations.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Chacun y apporte <strong>les</strong> problèmes du terrain, et, en<br />

ce moment, ce n'est pas ce<strong>la</strong> qui manque.<br />

Valérie : Ce que je trouve merveilleux dans ce travail<br />

d'équipe c'est que personne ne déci<strong>de</strong> pour le groupe,<br />

chacun apporte ses idées, ses choix.<br />

Catherine : Ses envies aussi…<br />

81


Valérie : ...<strong>les</strong> thèmes à abor<strong>de</strong>r ensemble. Nous cheminons<br />

dans le même sens. Nous avons appris à nous connaître,<br />

être à l'écoute <strong>de</strong> chacun, au fil <strong>de</strong>s années passées.<br />

Catherine : On peut parler librement entre nous, on ne se<br />

juge pas, on se sent écouté.<br />

Je sors <strong>de</strong> chez moi. Je l’ai déjà dit mais j'insiste. Pour moi,<br />

qui travail<strong>la</strong>is avant dans <strong>les</strong> bureaux, c'est vital. Il est<br />

important <strong>de</strong> voir d'autres agriculteurs plutôt que <strong>de</strong> rester<br />

confiné chez soi. Dans notre métier, nous ne voyons en effet<br />

que peu <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, hormis ven<strong>de</strong>urs, commerciaux, etc. qui<br />

nous ren<strong>de</strong>nt visite dans un but bien précis. On consacre un<br />

temps pour réfléchir, faire le point sur nos préoccupations<br />

professionnel<strong>les</strong> ou familia<strong>les</strong>, c'est aussi un moment <strong>de</strong><br />

convivialité. Nous établissons un programme d'actions, en<br />

journée ou soirée, sur <strong>de</strong>s thèmes qui peuvent intéresser<br />

<strong>les</strong> adhérents. Ce qui me rend le plus heureuse, ce sont <strong>de</strong>s<br />

actions réussies.<br />

Valérie : Ce<strong>la</strong> permet aux adhérents d'échanger, <strong>de</strong> se<br />

remettre en question, <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s solutions, changer<br />

leurs manières <strong>de</strong> faire, concrétiser un projet.<br />

C<strong>la</strong>ire : Le GVA peut accompagner notre vie d'agriculteurs<br />

du début à <strong>la</strong> fin sur <strong>de</strong>s niveaux différents, humains,<br />

re<strong>la</strong>tionnels, techniques, pratiques... et nous ai<strong>de</strong> à<br />

progresser, à prendre <strong>de</strong>s décisions, à vivre <strong>de</strong>s situations<br />

diffici<strong>les</strong>, à mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s actions collectives<br />

enrichissantes.<br />

Joseph : J'exerce le métier d'agriculteur et je n'ai connu que<br />

ce<strong>la</strong>, je ne peux pas le comparer aux autres corps <strong>de</strong><br />

métiers. J'ai commencé à 24 ans, plein d'enthousiasme,<br />

plein <strong>de</strong> projets en tête, avec un acquis hérité <strong>de</strong>s parents.<br />

La crise économique qui m'a frappée dès mon entrée dans<br />

le métier, face à une instal<strong>la</strong>tion qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une pério<strong>de</strong><br />

d’adaptation, sans pouvoir me libérer pour voir ailleurs. Je<br />

me suis engouffré dans <strong>la</strong> course à <strong>la</strong> production, <strong>les</strong> heures<br />

<strong>de</strong> travail, <strong>de</strong>s remises en question, <strong>de</strong>s prévisions<br />

chamboulées.<br />

Ma carrière a commencé par une crise avicole, alors que je<br />

possédais un atelier <strong>de</strong> 11 000 pon<strong>de</strong>uses. Au bout <strong>de</strong> 6<br />

mois, j'ai connu <strong>la</strong> première crise <strong>de</strong> l'œuf. En février 1983,<br />

je déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> vendre <strong>les</strong> pou<strong>les</strong> car <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s œufs ne<br />

couvrait plus l'achat <strong>de</strong> l’aliment. <strong>Un</strong> industriel, à qui j'avais<br />

vendu <strong>les</strong> pou<strong>les</strong> avant l'heure m'avait dit :" Plus il y a <strong>de</strong><br />

crise, plus on fera <strong>de</strong> bénéfice sur votre dos." Bi<strong>la</strong>n<br />

déficitaire dès mon premier lot, à 24 ans, ça vous vaccine à<br />

vie.<br />

J'ai réfléchi aux différentes possibilités afin <strong>de</strong> pouvoir<br />

continuer sans trop <strong>de</strong> dégâts. Le choix d'augmenter ma<br />

superficie me <strong>la</strong>issait plus <strong>de</strong> liberté pour vendre mes<br />

produits à qui je vou<strong>la</strong>is. Il m’a fallu 10 ans pour combler<br />

mon déficit, mais j’ai fait ce choix.<br />

Après l’achat <strong>de</strong> foncier pour atteindre 27 hectares, je me<br />

suis concentré sur <strong>la</strong> production <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> pomme <strong>de</strong><br />

<strong>terre</strong> qui, à son tour, a connu <strong>de</strong>s bas en 1992.<br />

J’ai réorganisé mon mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> commercialisation pour me<br />

<strong>la</strong>ncer comme producteur-ven<strong>de</strong>ur. Ce<strong>la</strong> m'évitait d’être<br />

déficitaire, <strong>de</strong> vivre avec peu <strong>de</strong> moyens, mais <strong>de</strong> réussir à<br />

rembourser tous mes emprunts. En 2003, j’ai arrêté <strong>la</strong><br />

pomme <strong>de</strong> <strong>terre</strong>, elle subissait <strong>de</strong>s prix toujours tirés vers<br />

le bas. La seule solution pour avoir le même revenu, peu<br />

reluisant, aurait été d'augmenter <strong>les</strong> surfaces.<br />

82


J’ai opéré une réorientation pour remp<strong>la</strong>cer <strong>les</strong> pommes <strong>de</strong><br />

<strong>terre</strong> par du chanvre. Il me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un temps <strong>de</strong> mise en<br />

route pour décoller dans mes ventes en direct auprès <strong>de</strong>s<br />

particuliers et <strong>de</strong>s artisans.<br />

Le métier d'agriculteur me fatigue, m'éloigne <strong>de</strong> ma<br />

conception <strong>de</strong> <strong>la</strong> profession, m'enlève cette idée <strong>de</strong> métier<br />

libre qui jusque-là me permettait <strong>de</strong> suivre mon chemin et<br />

<strong>de</strong> préserver ma santé.<br />

outil <strong>de</strong> travail ? J'ai entrepris <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ntation <strong>de</strong> haies<br />

bocagères (dites brise-vent) avec <strong>les</strong> conseils du GVA. Je<br />

connais le brise-vent, j'ai dans un tiroir, un document<br />

datant <strong>de</strong> 1972 écrit par Jean-Louis Joyeux.<br />

Leurs lieux d'emp<strong>la</strong>cements m'ont permis <strong>de</strong> protéger <strong>les</strong><br />

bâtiments d'exploitation, <strong>la</strong> maison et d'éviter l'érosion <strong>de</strong>s<br />

champs. Les couverts végétaux font leur apparition sur <strong>la</strong><br />

ferme. Je mets en p<strong>la</strong>ce, suite à une formation, <strong>la</strong> réduction<br />

<strong>de</strong> doses <strong>de</strong> produits phytosanitaires <strong>de</strong>puis 1988. Certains<br />

organismes qui gravitent autour <strong>de</strong> moi sont toujours dans<br />

l’expectative, ceux qui font <strong>de</strong>s efforts sont ignorés et ceux<br />

qui ne respectent rien ne sont jamais inquiétés.<br />

J'ai multiplié mes différentes formes <strong>de</strong> production en<br />

ayant en tête <strong>de</strong> ne pas me mettre en danger. À chaque<br />

changement <strong>de</strong> cap, j’ai toujours gardé cette envie <strong>de</strong><br />

connaître <strong>les</strong> gens. Évi<strong>de</strong>mment, on fait une sélection mais<br />

ce<strong>la</strong> vous ouvre <strong>de</strong>s portes, <strong>de</strong>s horizons.<br />

J'ai appris, pour ne pas être trop dépendant <strong>de</strong>s autres, à<br />

réparer moi-même mon matériel, l'améliorer, faire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

soudure, <strong>de</strong> l’électricité, <strong>la</strong> comptabilité.<br />

Pierre : Et c'est le GVA qui t'a accompagné durant toutes ces<br />

années ?<br />

Joseph : Bien sûr ! La question d'une <strong>terre</strong> respectée est<br />

venue avec <strong>la</strong> tempête <strong>de</strong> 1987. Comment protéger son<br />

Pierre : Et toi Valérie ?<br />

Valérie : Parfois, j'ai l'impression d'avoir intégré un groupe<br />

<strong>de</strong> thérapie. Quand ça ne va pas, <strong>les</strong> autres membres du<br />

groupe sont là pour vous dynamiser, vous rendre le<br />

sourire, rire pour oublier le quotidien.<br />

Pierre : Mais le GVA, ce n’est pas seulement <strong>de</strong>s réunions du<br />

groupe <strong>de</strong>s animateurs, si j'ai bien compris ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Effectivement, c'est aussi tous ceux et cel<strong>les</strong> qu'on<br />

voit souvent aux formations ou aux actions <strong>de</strong><br />

communication (<strong>de</strong> Cléguérec ou <strong>de</strong> Pontivy), que l'on<br />

croise occasionnellement à une formation, que l'on<br />

accueille pour notre AG annuelle, enfin tous ceux, plus ou<br />

moins lointains, qui nous rejoignent pour l'AG ou <strong>les</strong><br />

actions départementa<strong>les</strong>, <strong>les</strong> voyages d'étu<strong>de</strong>s. Le GVA c'est<br />

tout ça, un noyau très local et fort avec <strong>de</strong>s satellites, plus<br />

au moins proches et variab<strong>les</strong> dans le temps, il tient du<br />

système so<strong>la</strong>ire.<br />

83


Catherine : Lorsque nous nous engageons dans <strong>la</strong><br />

préparation d'une action, nous gagnons <strong>de</strong> l'assurance.<br />

Grâce au GVA, j'ai appris à être plus à l'aise <strong>de</strong>vant un<br />

public (jusqu'aux saynètes <strong>de</strong> l'AG).<br />

C<strong>la</strong>ire. C'est l'un <strong>de</strong>s rares groupes que je connaisse où l’on<br />

passe <strong>de</strong> l'idée à l'action, sur <strong>de</strong>s thématiques très<br />

diversifiées. C'est encourageant d'aller à <strong>de</strong>s réunions où<br />

l'on sait à l'avance que quelque chose <strong>de</strong> concret en sortira,<br />

comme <strong>les</strong> mercredis à <strong>la</strong> ferme par exemple.<br />

Pierre : Peux-tu nous dire en quoi ce<strong>la</strong> consiste, et nous<br />

raconter un <strong>de</strong> ces mercredis ?<br />

C<strong>la</strong>ire : L'idée <strong>de</strong> départ, en 2002-2003, était <strong>de</strong> proposer<br />

aux citadins, touristes, néo-ruraux, voisins, <strong>la</strong> découverte<br />

d'une ferme d'aujourd'hui. Nous avions besoin <strong>de</strong><br />

communiquer sur notre métier et ses diverses facettes,<br />

notre vie quotidienne, et aussi <strong>de</strong> réaffirmer notre p<strong>la</strong>ce sur<br />

le territoire et dans <strong>la</strong> vie locale.<br />

Concrètement, il s’agit d’une animation à <strong>la</strong> ferme que <strong>les</strong><br />

GVA <strong>de</strong> Cléguérec et Pontivy ont proposée chaque<br />

mercredi, pendant l'été <strong>de</strong> 2003 à 2008. <strong>Un</strong>e ferme<br />

différente ouvrait ses portes chaque mercredi après-midi :<br />

accueil, visite commentée, goûter champêtre avec <strong>les</strong><br />

produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme, suivi selon <strong>la</strong> commune d'une visite<br />

guidée du patrimoine local (chapelle, four à pain,<br />

fontaine...). Ainsi chaque mercredi (<strong>de</strong> 3 à 8 selon l'année)<br />

30 à 150 visiteurs débarquaient sur une ferme et passaient<br />

un bon moment avec <strong>les</strong> agriculteurs accueil<strong>la</strong>nts et toute<br />

l'équipe <strong>de</strong>s "Mercredis".<br />

Au fil du temps, on s'est rendu compte que <strong>les</strong> visiteurs<br />

recherchaient <strong>la</strong> découverte, étaient intéressés par <strong>la</strong> visite,<br />

mais surtout ce qu'ils appréciaient c'était le grand air, <strong>la</strong><br />

campagne, <strong>la</strong> ferme, dans <strong>la</strong> bonne humeur, <strong>la</strong> convivialité,<br />

<strong>la</strong> simplicité.<br />

Plus <strong>de</strong> 5000 visiteurs ont ainsi arpenté <strong>les</strong> chemins <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux cantons pour caresser veaux, vaches, cochons,<br />

moutons, pigeons ; toucher blé, herbe, patates, chanvre,<br />

maïs, partager <strong>la</strong>it, far, cidre, crêpes, riz au <strong>la</strong>it, prunes.<br />

Du côté <strong>de</strong>s organisateurs participants, <strong>les</strong> Mercredis nous<br />

ont appris à mieux nous connaître, à monter un projet en<br />

groupe, et a permis <strong>de</strong> rassembler <strong>de</strong>s agriculteurs dans un<br />

même but. Nous avons acquis un savoir-faire en<br />

organisation <strong>de</strong> manifestation à <strong>la</strong> ferme : réunions<br />

préparatoires, conférence <strong>de</strong> presse, organisation <strong>de</strong><br />

l'événement, kit <strong>de</strong> l'organisateur, préparation du circuit <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> visite, organisation et service du goûter ; nous avons<br />

appris à parler et intéresser un groupe <strong>de</strong> visiteurs, à<br />

parfaire l’accueil et à réaliser <strong>de</strong>s enquêtes <strong>de</strong> satisfaction.<br />

<strong>Un</strong> <strong>de</strong>s principes était que <strong>les</strong> personnes du groupe al<strong>la</strong>ient<br />

ai<strong>de</strong>r chez ceux qui ouvraient leur porte. J'ai, comme pour<br />

un bon noyau du groupe, sillonné <strong>les</strong> routes du canton avec<br />

dans mon coffre du cidre, du far, du riz au <strong>la</strong>it, fins prêts<br />

pour le goûter <strong>de</strong> 16 heures. D’autres se sont spécialisés<br />

"caissières", ou "chiens <strong>de</strong> troupeau" chargés <strong>de</strong> pousser et<br />

<strong>de</strong> rassembler <strong>les</strong> groupes <strong>de</strong> visiteurs.<br />

Côté visiteurs, je gar<strong>de</strong> en mémoire <strong>la</strong> petite lumière que<br />

j'ai vu s'allumer dans <strong>les</strong> yeux <strong>de</strong> personnes très âgées du<br />

Foyer Jeanne <strong>de</strong> Kervénoël, a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong>s mercredis, tout<br />

comme cel<strong>les</strong> du Foyer <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> Cléguérec. Prononcer <strong>les</strong><br />

mots <strong>de</strong> Bintje, Charlotte, marcher sur <strong>la</strong> <strong>terre</strong> et <strong>la</strong> toucher,<br />

prendre une bolée <strong>de</strong> cidre au grand air tous ensemble, ce<br />

sont <strong>de</strong>s moments partagés <strong>de</strong> communion, riches et rares<br />

à cultiver.<br />

<strong>Un</strong> <strong>de</strong>s moments <strong>les</strong> plus émouvants pour moi a été <strong>la</strong><br />

rencontre <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine, une petite dame très âgée du<br />

84


foyer, avec Piou Piou, notre petite chienne. Dès son arrivée,<br />

elle a attrapé le chien « Ah, mon Médor, je t'ai enfin<br />

retrouvé ! », elle a marché en le serrant très fort, pendant<br />

toute <strong>la</strong> visite dans le verger, l'a gardé sur ses genoux<br />

pendant le goûter, et a eu beaucoup <strong>de</strong> mal à s'en séparer<br />

au moment du départ.<br />

tourisme, <strong>les</strong> banques et <strong>les</strong> élus. Nous pouvons tous être<br />

très fiers <strong>de</strong> cette action menée pendant plusieurs étés et<br />

surtout avoir apporté aux gens ces moments simp<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

convivialité à <strong>la</strong> ferme.<br />

Pour conclure, voici le mot d'un petit garçon très gourmand<br />

qui a suivi <strong>les</strong> mercredis : « Eh, Madame, vous allez <strong>de</strong>venir<br />

très riche avec votre riz au-<strong>la</strong>it, il va faire le tour du mon<strong>de</strong><br />

tellement il est bon ».<br />

Côté agriculteurs, l'expérience nous a fait en rencontrer<br />

beaucoup, certains n'ont fait que passer, d'autres sont<br />

<strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s collègues fidè<strong>les</strong>. L’objectif du départ était <strong>de</strong><br />

communiquer vers l'extérieur, mais nous avons aussi<br />

appris à mieux nous découvrir, et ce<strong>la</strong> en va<strong>la</strong>it <strong>la</strong> peine. Au<br />

bout <strong>de</strong> six ans, nous avons décidé <strong>de</strong> faire une pause car<br />

l'énergie et <strong>la</strong> disponibilité <strong>de</strong>mandées <strong>de</strong>venaient trop<br />

gran<strong>de</strong>s pour recruter <strong>de</strong> nouveaux soutiens. Je suis<br />

satisfaite <strong>de</strong> l'avoir vécu, d’avoir fait sur le pays quelque<br />

chose <strong>de</strong> reconnu par <strong>les</strong> habitants, par <strong>les</strong> offices <strong>de</strong><br />

Pierre : Pouvez-vous nous parler d'autres activités qui vous<br />

ont marquées ?<br />

Valérie : Il y a quelques années, le GVA a permis à huit<br />

d'entre nous <strong>de</strong> partir ensemble à Paris, au Salon <strong>de</strong><br />

l'agriculture, bien sûr. Échanger, voir ce qui se passe<br />

ailleurs, prendre du bon temps, goûter le rhum <strong>de</strong>s Antil<strong>les</strong>,<br />

déguster le fromage, le jambon du Pays Basque pour mieux<br />

<strong>les</strong> savourer l'année suivante dans leur région. On a pu<br />

constater qu'à Paris, il n'y a pas toujours d'eau chau<strong>de</strong> pour<br />

se <strong>la</strong>ver. La ville n'est pas mieux <strong>de</strong>sservie que notre<br />

campagne. Deux jours à vivre ou à ne pas vivre, courir pour<br />

traverser <strong>les</strong> rues, courir dans le métro, voir ces gens<br />

tristes qui regar<strong>de</strong>nt le sol, dans leurs pensées, <strong>les</strong> yeux<br />

fixes. Nous nous sommes découverts hors <strong>de</strong> notre<br />

contexte habituel et avons renforcé notre amitié.<br />

Qu'est-ce qu'on est mieux au vert !<br />

Pierre : Et le voyage au Québec, l'an <strong>de</strong>rnier ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : A <strong>la</strong> mi-septembre, une trentaine d'agriculteurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> région Est du Morbihan s'est envolée vers le Canada<br />

pour un voyage d'étu<strong>de</strong>. Cette région m'a été conseillée par<br />

<strong>de</strong>s personnes qui l'ont visitée. Au Québec, <strong>la</strong> première<br />

85


<strong>la</strong>ngue est le Français, <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> l'Ang<strong>la</strong>is. Nous nous<br />

sentions comme chez nous, grâce aux Français qui ont fait<br />

<strong>la</strong> traversée il y a bien longtemps.<br />

Nous n'avons pas à envier leurs routes, el<strong>les</strong> sont abimées<br />

par <strong>de</strong>s hivers rigoureux. Par contre, nous étions reçus<br />

dans <strong>de</strong>s hôtels confortab<strong>les</strong> et <strong>la</strong> nourriture était très<br />

appréciable. C'est une vaste région. Nous faisions <strong>de</strong>ux à<br />

trois cent kilomètres par jour pour une visite<br />

d'exploitation.<br />

Les vaches sont toute l'année dans <strong>de</strong>s étab<strong>les</strong> entravées.<br />

Dans certains endroits, même <strong>les</strong> queues sont attachées.<br />

L'éleveur est en permanence dans l'étable pour <strong>net</strong>toyer<br />

sous el<strong>les</strong> et <strong>les</strong> nourrir. Les étab<strong>les</strong> comptent entre 50 et<br />

100 <strong>la</strong>itières. Nous avons visité un autre modèle<br />

d'exploitation : 160 <strong>la</strong>itières en stabu<strong>la</strong>tion avec quatre<br />

robots <strong>de</strong> traite. Les terrains sont praticab<strong>les</strong> <strong>de</strong> mai à<br />

novembre : maïs, soja, blé, luzerne sont <strong>les</strong> principa<strong>les</strong><br />

cultures.<br />

Nous avons rencontré Solidarité rurale du Québec. La<br />

mission <strong>de</strong> cet organisme est <strong>de</strong> promouvoir <strong>la</strong><br />

revitalisation et le développement du mon<strong>de</strong> rural, <strong>de</strong> ses<br />

vil<strong>la</strong>ges, <strong>de</strong> manière à intégrer dans <strong>les</strong> campagnes <strong>les</strong><br />

agriculteurs et <strong>les</strong> autres occupants du territoire :<br />

chasseurs, pécheurs. « Tant vaut le vil<strong>la</strong>ge, tant vaut le<br />

pays » comme ils disent.<br />

Comme chez nous, certains reviennent au pays, <strong>la</strong>issant<br />

<strong>de</strong>rrière eux <strong>de</strong> confortab<strong>les</strong> revenus. Par exemple, ce<br />

couple d'une quarantaine d'années qui installe un élevage<br />

<strong>de</strong> bisons et construit une ferme auberge. Ils apprécient<br />

cette situation.<br />

Pierre : Il y a eu un autre voyage récemment, en Allemagne<br />

celui-là. Joseph peux-tu nous en parler ?<br />

Joseph : En novembre 2008, une réunion d'information sur<br />

<strong>les</strong> panneaux photovoltaïques était organisée par <strong>les</strong><br />

conseillers agrico<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chambre d'agriculture et <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs engagés dans <strong>la</strong> pose ces panneaux. L'idée<br />

m'avait séduite en partie, seul l'aspect rentabilité m'avait<br />

freiné dans mon é<strong>la</strong>n. J'avais fait le voyage avec C<strong>la</strong>ire à<br />

Kerguéhennec pour cette réunion.<br />

Le groupe précurseur a poursuivi sa réflexion et décidé<br />

d'organiser un voyage en Allemagne. Pourquoi ne pas<br />

étudier cet aspect photovoltaïque ?<br />

Nous sommes partis à une trentaine d'agriculteurs et<br />

agricultrices, et <strong>de</strong>s responsab<strong>les</strong>, conseillers agrico<strong>les</strong>, du<br />

26 au 29 janvier 2009 pour Fribourg et ses alentours. Nous<br />

sommes en mission, c'est-à-dire moitié découverte du pays,<br />

moitié travail d'étu<strong>de</strong> sur notre sujet « Nouvel<strong>les</strong> énergies».<br />

Le voyage en train au départ <strong>de</strong> Vannes, avec Karine<br />

comme animatrice, a permis <strong>de</strong> faire connaissance avec le<br />

groupe.<br />

Le séjour a associé <strong>la</strong> visite <strong>de</strong> certains lieux dans <strong>de</strong>s vil<strong>les</strong><br />

où nous passions et <strong>de</strong>s exploitations ayant investi soit<br />

dans le photovoltaïque, soit <strong>la</strong> méthanisation, soit le<br />

chauffage à partir du bois déchiqueté.<br />

Notre première visite à débuter à Shiltigheim, par<br />

l'entreprise Heineken, suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> visite <strong>de</strong> Strasbourg,<br />

pour montrer que <strong>les</strong> bretons savent apprécier une bonne<br />

bière.<br />

À partir du <strong>de</strong>uxième jour, <strong>les</strong> choses sérieuses ont<br />

commencées, visites et contacts directs avec <strong>de</strong>s<br />

86


propriétaires. <strong>Un</strong> accompagnateur allemand nous a rejoints<br />

pour faciliter <strong>la</strong> traduction. Le groupe pouvait prendre <strong>de</strong>s<br />

photos, poser <strong>de</strong>s questions souvent très techniques afin<br />

comprendre <strong>les</strong> différences entre <strong>les</strong> normes établies en<br />

Allemagne et en France. Karine avait constitué, dès le<br />

matin, <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> travail avec pour mission <strong>de</strong> noter<br />

<strong>les</strong> renseignements communiqués lors <strong>de</strong>s visites. Ces<br />

informations, sous forme <strong>de</strong> résumés, étaient relues à<br />

l'ensemble du groupe lors <strong>de</strong> nos dép<strong>la</strong>cements en car,<br />

entre <strong>de</strong>ux visites d’exploitations. Les données ont été<br />

inscrites par écrit. Cet échange va dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sens, ceux<br />

du groupe non désignés pour le résumé peuvent compléter<br />

<strong>de</strong>s idées vues ou entendues.<br />

Pendant <strong>de</strong>ux jours, nous avons sillonné <strong>la</strong> région <strong>de</strong><br />

Fribourg par un temps sec et froid. Rester sur p<strong>la</strong>ce à<br />

écouter une personne n’est pas un exercice auquel nous<br />

sommes accoutumés.<br />

Le <strong>de</strong>rnier jour, le groupe est revenu en France pour<br />

sillonner <strong>la</strong> « Route <strong>de</strong>s énergies » dans le département <strong>de</strong><br />

Meurthe-et-Moselle. Nous avons visité un gîte muni d’un<br />

équipement panneaux so<strong>la</strong>ires couplés avec une chaudière<br />

à bois déchiqueté, un ensemble d’éoliennes, une<br />

instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> méthanisation et pour finir une exploitation<br />

<strong>la</strong>itière équipée d'un roto tan<strong>de</strong>m pouvant accueillir 25<br />

vaches pour <strong>la</strong> traite. Retour sur Nancy pour prendre le<br />

train pour <strong>la</strong> Bretagne via Paris.<br />

Ce voyage m'a plu, j'ai rencontré <strong>de</strong>s personnes qui vont <strong>de</strong><br />

l'avant avec une dimension tout autre par rapport à mes<br />

ambitions. Certaines reconversions dans ces nouvel<strong>les</strong><br />

énergies m'ont choquées, je n'étais pas le seul. Ainsi cette<br />

exploitation <strong>de</strong> méthanisation où toute <strong>la</strong> surface agricole<br />

imp<strong>la</strong>ntée en mais, herbe, ensi<strong>la</strong>ge servait en totalité à<br />

alimenter <strong>la</strong> méthanisation. <strong>Un</strong>e petite partie al<strong>la</strong>it quand<br />

même aux vaches <strong>la</strong>itières, mais toute <strong>la</strong> paille et le fumier<br />

finissait dans <strong>la</strong> méthanisation, seul le <strong>la</strong>it était exporté <strong>de</strong><br />

l’exploitation.<br />

Ce dép<strong>la</strong>cement est comme tous ceux réalisés au pas <strong>de</strong><br />

course. Il permet d'aller voir et <strong>de</strong> visiter <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions<br />

qui acceptent <strong>les</strong> groupes, qui consentent à donner <strong>de</strong>s<br />

réalisations chiffrées, à parler <strong>de</strong> leurs difficultés tels<br />

l’aspect financier, le temps <strong>de</strong> travail, <strong>la</strong> fiabilité du<br />

matériel, le choix <strong>de</strong>s matériaux et <strong>les</strong> petits trucs appris<br />

sur le tas.<br />

Au bi<strong>la</strong>n, j’ai repris confiance dans le photovoltaïque, j’ai<br />

replongé dans <strong>les</strong> réunions organisées pour peaufiner mon<br />

projet. Si tout n'est pas facile ensuite, <strong>la</strong> coordination <strong>de</strong><br />

l'organisme agricole et <strong>de</strong> l’agriculteur associés facilite <strong>de</strong>s<br />

éc<strong>la</strong>irages tels que p<strong>la</strong>nning <strong>de</strong>s réunions, compte rendu<br />

écrit, échange <strong>de</strong> nos souhaits. Ces aspects administratifs<br />

sont indispensab<strong>les</strong> mais, <strong>de</strong> par notre métier, trop longs à<br />

gérer individuellement, si nous faisions tout nous-mêmes,<br />

nous ne serions plus jamais sur l'exploitation.<br />

Pierre : C<strong>la</strong>ire, au début <strong>de</strong> notre rencontre, tu nous par<strong>la</strong>is<br />

du GVA comme d'une fenêtre ouverte, « vitale pour que <strong>la</strong> vie<br />

sur <strong>la</strong> ferme soit vivable ». Le premier contact que tu as eu<br />

avec le GVA, t'en souviens-tu ? Est-ce cette première<br />

impression qui a motivé ton engagement ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Je me souviens très bien <strong>de</strong> ma première rencontre<br />

avec <strong>la</strong> technicienne <strong>de</strong> l’époque, Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, accompagnée<br />

d’une animatrice agricultrice. El<strong>les</strong> avaient <strong>de</strong>mandé à<br />

venir me voir à <strong>la</strong> maison pour discuter, faire connaissance.<br />

Je m’en souviens bien pour plusieurs raisons. Nico<strong>la</strong>s est<br />

originaire <strong>de</strong> Cléguérec, mais moi, j’y habitais <strong>de</strong>puis moins<br />

87


d’un an et je ne connaissais pas grand mon<strong>de</strong>. J’étais<br />

connue comme <strong>la</strong> femme <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s, mais je fréquentais<br />

peu <strong>de</strong> personnes, j’étais donc toute contente qu’el<strong>les</strong><br />

veuillent me voir.<br />

Je <strong>les</strong> ai accueillies à <strong>la</strong> maison, on s’est assises, et on a parlé<br />

tranquillement. El<strong>les</strong> m’ont écoutée, je <strong>les</strong> ai écoutées, et<br />

c’est ce qui m’a plu, cette qualité <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion, <strong>de</strong> contact<br />

établi entre nous.<br />

Lors <strong>de</strong> cette première rencontre, el<strong>les</strong> m’ont <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong><br />

venir témoigner à l’occasion d’une soirée-débat-re<strong>la</strong>tions<br />

humaines dont le thème était « Femmes d’agriculteurs<br />

travail<strong>la</strong>nt à l’extérieur. Femmes d’agriculteurs travail<strong>la</strong>nt à<br />

<strong>la</strong> ferme ». J’ai accepté. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers<br />

pas au GVA, directement mis dans le bain. J’ai apporté mon<br />

témoignage <strong>de</strong>vant une trentaine <strong>de</strong> personnes, croisant<br />

mon expérience avec cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux autres femmes, et<br />

recevant <strong>les</strong> commentaires vifs et animés <strong>de</strong> l’assemblée,<br />

surtout composée <strong>de</strong> femmes.<br />

Je leur ai parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon dont s’organisait notre vie<br />

quotidienne, notre journée, sachant que j’avais un emploi<br />

assez prenant à « l’extérieur », partant le matin à 7h30 et<br />

revenant rarement le soir avant 19h (c’était bien avant <strong>les</strong><br />

35h). J’ai expliqué que, compte tenu <strong>de</strong> mon emploi du<br />

temps, et sachant que je considère que mon mari était<br />

assez grand, je ne lui <strong>la</strong>vais pas son linge sale, que je ne lui<br />

préparais pas son repas le soir pour le len<strong>de</strong>main midi, en<br />

gros, il se débrouil<strong>la</strong>it. Cette notion d’égalité hommesfemmes<br />

était évi<strong>de</strong>nte pour moi à l’époque, mais elle avait<br />

provoqué <strong>de</strong> vives réactions : « Quoi, tu ne prépares pas à<br />

manger à ton homme. Ah, moi, je ne pourrais pas ! » Et moi,<br />

rétorquant: « Et pourquoi pas ? »<br />

Pierre : Ce<strong>la</strong> c'était au siècle <strong>de</strong>rnier. Mais maintenant<br />

comment voyez- vous <strong>les</strong> choses ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Avec presque 20 ans <strong>de</strong> recul, je ris, parce qu’il y a<br />

certaines choses sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> je n’ai pas cédé –par<br />

exemple, chez nous, chacun repasse, ou ne repasse pas,<br />

pour soi– mais il y a aussi eu quelques désillusions et reculs<br />

ou aménagements <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance dans l’organisation,<br />

bien carrée, que j’avais ordonnée après notre mariage.<br />

Depuis que j’ai créé mon activité chambres d’hôtes à <strong>la</strong><br />

maison, et que je suis tout le temps là, il y a eu <strong>de</strong>s<br />

«mauvaises habitu<strong>de</strong>s » <strong>de</strong> prises. Pour recaler le tout, <strong>de</strong><br />

temps en temps, ce<strong>la</strong> fait du bien <strong>de</strong> partir en voyage<br />

d’étu<strong>de</strong>s 8 jours, seule, sans (presque) rien prévoir pour <strong>les</strong><br />

repas, ou <strong>de</strong> s’absenter pour <strong>de</strong>s réunions à <strong>la</strong> journée. Mais<br />

le plus dur, c’est quand j’ai une grosse charge <strong>de</strong> travail<br />

dans mes chambres d’hôtes et que je suis quand même à <strong>la</strong><br />

maison, donc corvéable pour préparer le repas, le servir,<br />

débarrasser, etc.<br />

Pierre : Tout ce<strong>la</strong> aurait-il été possible sans le GVA ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Quand je repense à tout ce que je viens <strong>de</strong> dire, je<br />

crois que <strong>la</strong> barre était haute et je pèse, à sa juste valeur,<br />

tout ce que m'a apporté le GVA. <strong>Un</strong> espace <strong>de</strong> liberté et<br />

d'échanges, lieu où l'on s'informe et se forme, où l'on<br />

progresse, où l'on rêve, puis on bâtit <strong>de</strong>s projets collectifs,<br />

un lieu d'intégration aussi pour <strong>les</strong> nouveaux. À ce sujet, je<br />

voudrais que l'on réfléchisse à notre groupe actuel : on y<br />

est très bien, vraiment très bien. Mais sommes-nous<br />

ouverts, prêts à accueillir et à intégrer <strong>de</strong> nouveaux<br />

arrivants ?<br />

Catherine : Gran<strong>de</strong> question.<br />

En ce qui concerne notre équipe, nous sommes toujours<br />

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volontaires, mais je me pose <strong>de</strong>s questions face à <strong>la</strong><br />

démobilisation dans <strong>les</strong> campagnes, car peu <strong>de</strong> nos<br />

adhérents se dép<strong>la</strong>cent pour assister aux actions que nous<br />

mettons en p<strong>la</strong>ce, sauf pour notre A.G. Alors pourquoi ? Pas<br />

envie ? Pas Concernés ? Pas intéressés ?<br />

Valérie : Comment sera l'avenir ? J'espère qu'on restera<br />

solidaire pour poursuivre nos objectifs, é<strong>la</strong>rgir <strong>la</strong> mixité <strong>de</strong><br />

notre équipe en conservant son harmonie. Que chacun<br />

trouve son équilibre dans une ambiance amicale.<br />

C<strong>la</strong>ire : Va-t-on réussir ensemble à tenir ce <strong>de</strong>gré<br />

d'exigence, voire d'excellence ? Je le pense car notre atout<br />

est <strong>de</strong> ne pas être seuls, nous constituons un groupe.<br />

Pierre : Ce groupe a ses règ<strong>les</strong> qui régissent sa vie, son<br />

fonctionnement, détermine ses objectifs et <strong>les</strong> stratégies à<br />

mettre en œuvre tout au long <strong>de</strong>s jours, mais il est restreint.<br />

Où sont prises <strong>les</strong> décisions qui vont orienter <strong>les</strong> activités du<br />

GVA sur toute l'année ?<br />

Joseph : Dans un groupe chacun anime suivant ses<br />

convictions. Mises bout à bout, <strong>les</strong> choses avancent<br />

finalement.<br />

Pierre : Mais, <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s orientations ? Catherine vient<br />

d'évoquer l'assemblée générale, qu'en dites-vous ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : L'assemblée générale reste un moment fort.<br />

Beaucoup d'agriculteurs y participent. L'ambiance est<br />

bonne. Ce<strong>la</strong> nous rend heureux d'être ensemble, <strong>de</strong><br />

partager ces moments <strong>de</strong> convivialité.<br />

Pierre : C'est ce que nous avons constaté lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

assemblée générale à <strong>la</strong>quelle vous nous aviez invités.<br />

Pouvez-vous préciser ce que vous en avez retiré sur vos<br />

orientations et encouragements pour vos nouveaux projets ?<br />

Catherine : Nous gardons notre fil conducteur, à savoir<br />

rester proche et à l’écoute <strong>de</strong> nos adhérents surtout dans le<br />

contexte économique actuel particulièrement<br />

décourageant. Il est important <strong>de</strong> <strong>les</strong> consulter pour<br />

connaître aussi leurs attentes, tout sujet social ou<br />

économique peut être abordé sans préjugés. Nous sommes<br />

là pour essayer <strong>de</strong> maintenir un tissu social qui s’effiloche<br />

<strong>de</strong> plus en plus par un rythme <strong>de</strong> vie oppressant et où l’on<br />

perd souvent toute notion <strong>de</strong> convivialité et solidarité.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Certaines AG sont plus réussies que d’autres. Je<br />

me souviens particulièrement <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’an <strong>de</strong>rnier, le<br />

thème était « Nos produits ont <strong>la</strong> patate ». Des membres du<br />

bureau ont fait un sketch sur ce thème, et <strong>de</strong>s gâteaux ont<br />

été distribués pendant <strong>la</strong> réunion. C’est difficile d’être tous<br />

<strong>les</strong> ans au top malgré tous <strong>les</strong> efforts fournis. Maintenant, le<br />

groupe est rodé : chaque personne a son poste pour <strong>la</strong><br />

préparation <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle, le buffet et tous <strong>les</strong> à-côtés. Chacun<br />

a aussi son rôle dans le déroulement du programme. Des<br />

journées <strong>de</strong> formations sont aussi proposées comme <strong>la</strong><br />

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gestion du stress, qui a donné lieu à une petite saynète que<br />

Catherine et Valérie ont interprétée.<br />

Deux amies se rencontrent :<br />

Delphine : Depuis le temps qu’on ne s’est pas vu, comment vas-tu ?<br />

(Elle est visiblement heureuse et détendue)<br />

An<strong>net</strong>te : Oh moi, pas très bien. (Sa tenue <strong>la</strong>isse à désirer et elle est mal coiffée.)<br />

D : Ah bon, pourquoi ?<br />

A : (ton déprimé.) L’agriculture va très mal, tu as vu le prix du <strong>la</strong>it, il ne cesse <strong>de</strong> baisser. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> jusqu’à quand je vais pouvoir régler <strong>les</strong><br />

factures. Je dors très mal. J’ai mal ici et là (elle montre <strong>la</strong> tête, l’estomac, le dos …). Je vais chez le mé<strong>de</strong>cin qui me donne <strong>de</strong>s antidépresseurs. Non,<br />

ça ne va pas.<br />

D : Tous, plus ou moins, nous vivons <strong>la</strong> crise mais on ne peut agir individuellement.<br />

A : Et bien, on ne dirait pas à te voir, tu as un grand sourire. Comment fais-tu ?<br />

D: Je ne vais pas voir le mé<strong>de</strong>cin, je ne prends pas <strong>de</strong> médicaments, je ne contribue pas au déficit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sécurité Sociale (et elle rit.)<br />

A : Tu as <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance, mais comment fais-tu ?<br />

D : Je suis <strong>de</strong> temps en temps <strong>de</strong>s formations avec le GVA, en plus <strong>de</strong> nous former, on se retrouve, on échange, on re<strong>la</strong>tivise, du coup, on se libère<br />

<strong>de</strong> nos préoccupations et on apprend à prendre <strong>de</strong> <strong>la</strong> distance, à gérer notre stress ou à regar<strong>de</strong>r l’avenir au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation actuelle. On<br />

dépend beaucoup <strong>de</strong> l’extérieur mais notre vie c’est quand même nous qui <strong>de</strong>vons <strong>la</strong> mener. Et en plus, ça ne coûte pas très cher d’autant qu’on<br />

reçoit <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>.<br />

Viens nous rejoindre, bientôt tu n’auras plus besoin <strong>de</strong> tes béquil<strong>les</strong> <strong>de</strong> médicaments. Tu te sentiras beaucoup mieux.<br />

point <strong>de</strong>s projets envisagés et <strong>de</strong>s objectifs fixés à l'assemblée<br />

générale ?<br />

Pierre : Et pour terminer sur le GVA, pouvez-vous faire le<br />

Valérie : Lors <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnière assemblée générale, nous<br />

avons posé <strong>la</strong> question aux adhérents :<br />

« Qu’atten<strong>de</strong>z-vous du GVA et qu’est-ce que vous<br />

souhaiteriez que l’on fasse ensemble au sein <strong>de</strong> notre<br />

groupe ? »<br />

90


<strong>Un</strong>e proposition <strong>de</strong> voyage d’étu<strong>de</strong> a été émis à plusieurs<br />

reprises pour découvrir une autre région et ses habitants,<br />

agriculteurs mais aussi commerçants, artisans, toute<br />

personne impliquée dans <strong>la</strong> vie locale <strong>de</strong> son pays.<br />

Si ce projet est une attente <strong>de</strong> certains adhérents, nous<br />

nous sentons le <strong>de</strong>voir d'y travailler activement pour<br />

répondre à leurs attentes.<br />

Nous souhaitons constituer un groupe <strong>de</strong> travail composé<br />

d'élus, d'agriculteurs, <strong>de</strong> commerçants qui désirent<br />

s'investir activement dans le projet.<br />

91


CHANGER LE REGARD<br />

Produire pour nourrir<br />

Simone. Au sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre 39-45, à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

politiques, et pour répondre aux besoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

française, <strong>les</strong> instances agrico<strong>les</strong> <strong>de</strong> l'époque se sont données<br />

c<strong>la</strong>irement pour mission <strong>de</strong> « nourrir <strong>les</strong> Français. »<br />

« Ferons-nous <strong>la</strong> soudure ? » telle était <strong>la</strong> question que <strong>les</strong><br />

journaux posaient chaque été avant <strong>les</strong> moissons, <strong>de</strong> 1946 à<br />

1949, au gouvernement obligé d'importer du blé américain<br />

ou australien pour assurer le ravitaillement <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.<br />

Pierre : Après, tout rentra dans l'ordre, le rationnement<br />

disparut et <strong>la</strong> France retrouva son autosuffisance<br />

alimentaire. Puis, <strong>de</strong>vant le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

mondiale, le slogan <strong>de</strong>vint :<br />

« Nourrir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète ! ».<br />

Les gouvernements <strong>de</strong> l’époque mirent en œuvre <strong>de</strong>s<br />

politiques agrico<strong>les</strong>, appuyées sur <strong>les</strong> recherches <strong>de</strong> l'INRA<br />

qui aboutirent au modèle productiviste dont on déplore<br />

aujourd'hui certains aspects, ou certaines conséquences.<br />

Les agriculteurs se trouvent p<strong>la</strong>cés <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> multip<strong>les</strong><br />

contradictions <strong>de</strong> ce type d'agriculture dans une économie<br />

néolibérale mondialisée, contradictions encore accrues par<br />

<strong>les</strong> crises qui ont secoué et secouent <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète. Ces difficultés<br />

créent tensions, incompréhensions, graves<br />

dysfonctionnements ressentis le plus souvent en termes<br />

d'injustice. Raisons pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong>, vous vous sentez<br />

démunis, dévalorisés parfois même à vos propres yeux.<br />

Catherine. Je grogne, et j'en arrive à inventer <strong>de</strong>s mots<br />

dans cette jungle administrativenvironnementa<strong>la</strong>gricole !<br />

Imaginez : DEXEL, PMPOA 1 et 2, Directives Nitrates 1, 2, 3,<br />

4 … droits à produire, autorisation d’exploiter, p<strong>la</strong>ns<br />

d’épandage, <strong>de</strong> fumure et <strong>de</strong> fertilisation, calendrier<br />

d’épandage, mises aux normes, cahier phytosanitaire,<br />

ban<strong>de</strong>s enherbées, couverts végétaux, re<strong>de</strong>vances<br />

pollution, phytosanitaire, registres d’élevage, <strong>de</strong> pharmacie,<br />

bien-être animal, charte sanitaire, agrément, certification,<br />

ai<strong>de</strong>s PAC, photos satellites, DPU, Grenelle <strong>de</strong><br />

l’environnement 1 et 2, conditionnalité, écoconditionnalité<br />

…<br />

Je vais m’en tenir là pour aujourd’hui, vous allez attraper le<br />

tournis,<br />

Il faut bien admettre que <strong>les</strong> agriculteurs sont <strong>de</strong> moins en<br />

moins nombreux, mais <strong>de</strong> plus en plus surveillés et que<br />

l'administration bruxelloise ne manque pas d’imagination.<br />

Il est plus facile d’œuvrer pour l’environnement, assis dans<br />

<strong>de</strong>s bureaux, souvent surchauffés et bien éc<strong>la</strong>irés, que<br />

d’être tous <strong>les</strong> jours <strong>les</strong> pieds dans <strong>la</strong> boue <strong>de</strong>hors par tous<br />

<strong>les</strong> temps.<br />

Chaque année, une nouveauté fait son apparition, une taxe<br />

ou re<strong>de</strong>vance, un texte interdisant ceci ou ce<strong>la</strong>. En cause,<br />

l’environnement, au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre bonne<br />

vieille Terre.<br />

Je n’aime pas le gaspil<strong>la</strong>ge, <strong>la</strong> pollution <strong>de</strong>s milieux<br />

naturels, il faut effectivement faire <strong>de</strong>s efforts pour sauver<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète.<br />

Les erreurs du passé ne vont pas s’effacer d’un coup <strong>de</strong><br />

baguette magique. Les efforts d’aujourd’hui porteront leur<br />

fruit sur le long terme. Mais pourquoi est-ce toujours à<br />

nous <strong>de</strong> tout supporter, et en Europe plus que dans <strong>les</strong><br />

autres continents? Nous ne pouvons plus être<br />

92


concurrentiels économiquement face aux autres pays sur<br />

le marché mondial.<br />

Nous sommes prêts à limiter l’utilisation <strong>de</strong>s produits<br />

phytosanitaires. Nous pensons à l’avenir <strong>de</strong> nos enfants.<br />

Mais, qui pense à nous ? Allons-nous être en mesure <strong>de</strong><br />

poursuivre une activité <strong>de</strong> plus en plus exigeante et <strong>de</strong><br />

moins en moins rémunératrice ?<br />

Derrière <strong>la</strong> contestation, il y a aussi le sentiment <strong>de</strong> révolte<br />

face à tout ce système bien structuré où prime le profit et<br />

où l’humain ne trouve plus sa p<strong>la</strong>ce.<br />

De producteur nourricier <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, nous ne<br />

sommes plus que le premier maillon <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong><br />

l’industrie agro-alimentaire à <strong>la</strong> pointe <strong>de</strong> <strong>la</strong> technologie.<br />

Mais sans ce maillon, <strong>la</strong> machine, même bien huilée, ne<br />

fonctionnera pas longtemps et nous <strong>de</strong>vons, tous<br />

producteurs confondus, rassembler nos forces pour nous<br />

sortir <strong>de</strong> ces sab<strong>les</strong> mouvants.<br />

Voilà, il est 17 heures, l’heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> traite. <strong>Un</strong>e fois <strong>de</strong> plus !<br />

Ah ! Si j’avais un robot !<br />

Pierre. Et toi C<strong>la</strong>ire, l'an <strong>de</strong>rnier tu par<strong>la</strong>is <strong>de</strong> ta « rage » et<br />

en parsemais tes textes. Aujourd'hui est-elle toujours au<br />

même niveau ?<br />

C<strong>la</strong>ire. Comment ne pas gron<strong>de</strong>r quand <strong>les</strong> obstac<strong>les</strong> ou <strong>la</strong><br />

bêtise dépassent <strong>les</strong> bornes ?<br />

Dans notre profession, nous sommes confrontés à un<br />

dilemme, d’un côté, on nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> nourrir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète<br />

dont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion s’accroît d’année en année, <strong>de</strong> produire<br />

« propre », au moindre coût, <strong>de</strong> l’autre, nous assistons à un<br />

grignotage <strong>de</strong>s <strong>terre</strong>s agrico<strong>les</strong>.<br />

Je suis une personne plutôt entière, certains sujets abordés<br />

dans l’actualité, dans le mon<strong>de</strong> agricole, dans <strong>les</strong> médias,<br />

<strong>les</strong> réunions, <strong>les</strong> discussions, me mettent hors <strong>de</strong> moi. Il en<br />

résulte une discussion tendue, une rancoeur, ou un grand<br />

silence.<br />

Voi<strong>la</strong> une sélection <strong>de</strong> ce que je ne supporte plus.<br />

La non-reconnaissance du travail à <strong>la</strong> maison pour <strong>les</strong> agricultrices et <strong>les</strong> femmes à <strong>la</strong> maison qui s’investissent bénévolement dans<br />

<strong>de</strong>s associations loca<strong>les</strong> :<br />

« Est-ce que tu vas à <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong>main pour <strong>les</strong> rencontres parents-professeurs ?<br />

93


- Voisine : Et bien, non, je ne peux pas y aller, tu comprends, C<strong>la</strong>ire, moi, je travaille !<br />

- Et tu iras ai<strong>de</strong>r pour éplucher <strong>les</strong> légumes pour <strong>la</strong> Potée <strong>de</strong> l’école ? C’est samedi.<br />

- Ben non, tu comprends, moi, je n’ai pas le temps, <strong>les</strong> courses, le ménage, <strong>les</strong> enfants à emmener aux activités. Tu en as <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance,<br />

toi.<br />

- Rrrhhh…. Tu sais, souvent, quand je reviens d’une réunion vers 22h30, il n’est pas rare que je mette <strong>la</strong>ve-linge, sèche-linge, <strong>la</strong>vevaisselle<br />

en route et plie 2 ou 3 tournées <strong>de</strong> linge sec en retard. Parfois, se libérer pour ai<strong>de</strong>r pour l’école ou une association, n’est<br />

pas qu’une question <strong>de</strong> temps, c’est choisir <strong>de</strong> privilégier ce qui compte, pour soi, ses enfants.<br />

Les gens qui reprochent aux autres ce qu’ils font eux-mêmes :<br />

«Dis donc, vos gros tracteurs, ils consomment un maximum.<br />

- Oui, mais on produit à manger, ce n’est pas rien.<br />

- On revient <strong>de</strong> Grèce avec <strong>les</strong> enfants.<br />

- Et alors, vous y êtes allés comment, à vélo ?<br />

- Non, en avion, c’est formidable, rapi<strong>de</strong> et pas cher.<br />

- Oui, et en plus, ça ne consomme pas ! »<br />

L’ignorance ou <strong>la</strong> sous-information volontaire pour <strong>de</strong>s sujets d’économie basique<br />

France Inter, septembre 2010 : Le prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> baguette va <strong>de</strong> nouveau f<strong>la</strong>mber. En cause, le prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> tonne <strong>de</strong> blé qui a augmenté <strong>de</strong> 50<br />

% ces jours <strong>de</strong>rniers. Les consommateurs vont encore trinquer. Ah, non, ils ne vont pas encore nous refaire le coup <strong>de</strong> <strong>la</strong> baguette qui<br />

f<strong>la</strong>mbe !<br />

Pour mémoire :<br />

Pour faire une baguette <strong>de</strong> pain, il faut environ 250 g <strong>de</strong> blé.<br />

La baguette s’est vendue environ 1€ en 2010.<br />

Prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> tonne <strong>de</strong> blé achetée au producteur ?<br />

En moyenne, ces <strong>de</strong>rnières années, autour <strong>de</strong> 100-150 € <strong>la</strong> tonne (à part quelques envolées, il y a <strong>de</strong>ux ans à 200-250 €, et cet<br />

automne à 180-200 €).<br />

Ce qui veut dire que, dans le prix d’une baguette en France, <strong>la</strong> matière première « blé » au cours mondial <strong>de</strong> 150 €/tonne ne<br />

représente que 0,0375 € (c'est-à-dire moins <strong>de</strong> 4 cts d’euros, c'est-à-dire moins <strong>de</strong> 4%) et que même si le blé était payé tout le<br />

temps 200 € <strong>la</strong> tonne, ce qui correspondrait à un prix plus équitable pour <strong>les</strong> producteurs, ce<strong>la</strong> ne représenterait que 0,05 € soit 5<br />

centimes, soit 5% c'est-à-dire moins que <strong>la</strong> TVA qui est prélevée (5.5%) sur chaque baguette.<br />

94


Quand un prix augmente, pourquoi s’attaque-t-on toujours à celui qui est au début <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne, au prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière première,<br />

comme si c’était le seul levier pour ne pas augmenter <strong>les</strong> prix.<br />

On ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ni au meunier, ni à l’URSSAF, ni à EDF, ni à <strong>la</strong> TVA, ni aux autres fournisseurs du bou<strong>la</strong>nger <strong>de</strong> diminuer leurs<br />

marges ou prélèvements. La seule ressource, <strong>de</strong>venue très pratique, est <strong>de</strong> pressurer <strong>les</strong> producteurs, sans tenir compte qu’ils ont<br />

eux aussi <strong>de</strong>s charges qui augmentent chaque année, comme cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s collègues bou<strong>la</strong>ngers.<br />

persistais à user le matériel jusqu'au bout.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>. J'ai connu une pério<strong>de</strong> difficile <strong>de</strong> 1998 à 2002.<br />

Beaucoup d'éleveurs ont dû arrêter <strong>la</strong> production, d'autres<br />

comme moi se sont battus. Malgré <strong>les</strong> visites répétées <strong>de</strong>s<br />

techniciens et <strong>de</strong>s vétérinaires, <strong>la</strong> mortalité restait<br />

importante. Ils conseil<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> faire un vi<strong>de</strong> sanitaire avant<br />

<strong>de</strong> reprendre l'activité. Mais je ne vou<strong>la</strong>is pas l'entendre, et<br />

Dans cette pério<strong>de</strong> difficile, je n'ai pas reçu l'ai<strong>de</strong> que<br />

j'attendais <strong>de</strong> personnes proches. Cel<strong>les</strong> que j'avais aidées<br />

auparavant m'ont ignorée ou abandonnée. Par contre, j'ai<br />

eu <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> personnes dont je n'attendais rien :<br />

techniciens, vétérinaires, responsable du groupement,<br />

banquier.<br />

95


Enfin, en 2002 je me suis résignée à arrêter et faire un vi<strong>de</strong><br />

sanitaire. Je pensais toujours reprendre l’activité en <strong>la</strong>pin<br />

bio ou <strong>la</strong>bel. En attendant, je me suis retrouvée à l'usine.<br />

C'était l'horreur, mais j'avais le choix : rester à <strong>la</strong> maison<br />

tourner en rond, ou travailler en usine. J'ai choisi <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>uxième solution en me disant qu'au moins je gagnerai <strong>de</strong><br />

l'argent et surtout que je cotiserai pour <strong>la</strong> retraite. Après<br />

<strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> vi<strong>de</strong> sanitaire et <strong>de</strong> démarches infructueuses<br />

pour le <strong>la</strong>bel et le bio, j'ai repris l'élevage intensif <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins.<br />

A ma gran<strong>de</strong> satisfaction, <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail<br />

dues au matériel et aux métho<strong>de</strong>s d'élevage conseillées par<br />

<strong>les</strong> techniciens que je rencontre fréquemment, ont<br />

révolutionné le sanitaire et <strong>les</strong> résultats sont là aujourd'hui.<br />

Par exemple, je travaille en ban<strong>de</strong> unique. Tous <strong>les</strong> animaux<br />

du même âge sont dans <strong>la</strong> même salle. Lors du départ pour<br />

l'abattoir, <strong>la</strong> salle est vi<strong>de</strong>. Je <strong>la</strong> <strong>net</strong>toie entièrement à <strong>la</strong><br />

haute pression et <strong>la</strong> désinfecte. Elle est <strong>de</strong>ux ou trois jours<br />

sans animaux, l'hygiène est ainsi améliorée. Les<br />

reproducteurs rentrent dans une salle propre.<br />

Je suis contente que <strong>les</strong> médias parlent enfin <strong>de</strong>s abus entre<br />

le prix payé au producteur et le prix payé par le<br />

consommateur. La production française <strong>de</strong> <strong>la</strong>pins a<br />

diminué avec <strong>de</strong>s arrêts d'élevage dû à une conjoncture<br />

morose. Au fil <strong>de</strong>s ans, le revenu stagne. Il y a 25 ans avec<br />

150 cages mères, l'éleveur s'en sortait correctement. Il faut<br />

aujourd'hui plus <strong>de</strong> 400 cages mères pour espérer dégager<br />

un revenu.<br />

Voici quelques chiffres donnant <strong>la</strong> situation il y a 20 ans et<br />

aujourd’hui :<br />

- Les charges socia<strong>les</strong> : <strong>de</strong>1000€ à 3/4000€.<br />

- Le prix <strong>de</strong>s reproducteurs est passé <strong>de</strong> 7 à 18€,<br />

- Le prix <strong>de</strong> l'aliment <strong>de</strong> 140 € <strong>la</strong> tonne en sac, à 210 €<br />

<strong>la</strong> tonne en vrac.<br />

- Le prix <strong>de</strong> vente du kg <strong>de</strong> <strong>la</strong>pin sorti <strong>de</strong> l’élevage <strong>de</strong><br />

2,18€/kg à 1,57€/kg en 2009. Le consommateur a<br />

vu le prix augmenter <strong>de</strong> 35 à 50 %.<br />

Cette fourchette <strong>de</strong> prix est évocatrice.<br />

Autrefois, dans ma famille, on était agriculteur <strong>de</strong> père en<br />

fils. Lorsque le fils arrivait en âge <strong>de</strong> travailler vers 14 ou<br />

15 ans, même avant dans certains cas, il quittait l'école<br />

pour ai<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> ferme, pas besoin <strong>de</strong> diplôme pour<br />

l'instal<strong>la</strong>tion. Le matériel n'existait pas ou si peu, ce qui<br />

était un avantage pour reprendre <strong>la</strong> ferme au moindre coût.<br />

La banque n'avait pas non plus le rôle qu'elle a aujourd'hui.<br />

Au fur et à mesure que l'argent rentrait, on remboursait <strong>les</strong><br />

autres héritiers.<br />

Pierre : Mais tout ce<strong>la</strong> c'était hier ou avant-hier, aujourd'hui<br />

96


<strong>la</strong> situation est fort différente. Et si <strong>la</strong> grogne est parfois le<br />

<strong>de</strong>rnier moyen pour exprimer un mal-être profond, doit-on<br />

s'en satisfaire ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Non, bien sûr. Lors <strong>de</strong>s manifestations qui se<br />

multiplient dans tous <strong>les</strong> milieux ces <strong>de</strong>rniers temps, on<br />

entend souvent <strong>de</strong>s commentaires injustes par manque <strong>de</strong><br />

connaissance <strong>de</strong> nos problèmes. D'où <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong><br />

communiquer, <strong>de</strong> parler, d'expliquer sa profession, <strong>de</strong><br />

montrer sa vie.<br />

Les journées "portes ouvertes" ou <strong>la</strong> rando-ferme, par<br />

exemple, peuvent nous y ai<strong>de</strong>r.<br />

Joseph : Quand je rouspète après une personne ou un<br />

établissement, si on ne se rencontre pas, si je <strong>la</strong>isse <strong>la</strong><br />

situation s'éterniser, j'ai l'impression qu'on m'en veut.<br />

Alors qu'une fois le contact établi, l'affaire est c<strong>la</strong>ssée<br />

rapi<strong>de</strong>ment et surtout rien <strong>de</strong> ce que j'imaginais n'est<br />

évoqué.<br />

Dans mon travail, j’aime mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> idées.<br />

En trente ans <strong>de</strong> carrière, l'exploitation a vu trois ou quatre<br />

révolutions. Je fais avec <strong>les</strong> moyens du bord, car l'argent<br />

n'est jamais au ren<strong>de</strong>z-vous. L’important a été <strong>de</strong> réfléchir<br />

sur mon projet et <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s personnes qui m’ont<br />

apporté leurs conseils.<br />

Pierre : Mais au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> production, comment vois-tu<br />

<strong>les</strong> choses pour « nourrir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète », comme disent <strong>les</strong><br />

experts ?<br />

Joseph : Je suis agriculteur <strong>de</strong>puis 29 ans, j'ai toujours pris<br />

le temps <strong>de</strong> m'informer sur le mon<strong>de</strong> extérieur. Certaines<br />

personnes m'ont appris, pendant toutes ces années, à<br />

comprendre le fonctionnement <strong>de</strong> certains organismes<br />

s'occupant d'humanitaire. J'en ai choisi quelques-uns car<br />

leurs actions au niveau local restent concrètes et simp<strong>les</strong>.<br />

Deux fois par an sur <strong>la</strong> commune <strong>de</strong> Neulliac, <strong>de</strong>s femmes<br />

font <strong>de</strong>s galettes <strong>de</strong> pomme <strong>de</strong> <strong>terre</strong>, pour le Secours<br />

catholique et pour le Comité contre <strong>la</strong> faim et le<br />

développement. L’argent récolté grâce à <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> ces<br />

galettes est versé aux <strong>de</strong>ux organismes. À mon niveau,<br />

j'essaie d'en vendre dans mon quartier. Les personnes qui<br />

en achètent savent que l’action est <strong>de</strong>stinée aux<br />

associations humanitaires. Ces galettes sont réalisées avec<br />

<strong>de</strong>s ingrédients donnés gratuitement, produits par <strong>de</strong>s<br />

agriculteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> région. Je reste sur ce simple<br />

engagement, j'essaie d'en vendre, j'en achète, j’en<br />

consomme.<br />

J'ai aussi décidé <strong>de</strong>puis trois ans <strong>de</strong> consacrer une somme<br />

d'argent pour une association travail<strong>la</strong>nt avec le Sénégal.<br />

Cette somme, versée et envoyée en intégralité, permet à<br />

<strong>de</strong>ux enfants d'aller à l'école et d'avoir un repas à midi<br />

pendant un an. Je sais que ces enfants sont choisis parmi <strong>les</strong><br />

famil<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus démunies. Ma mission s'arrête là. Les<br />

enfants africains doivent avoir une éducation, après ils<br />

déci<strong>de</strong>ront <strong>de</strong> leur avenir.<br />

Le choix <strong>de</strong> cet organisme a été guidé par son éthique. Les<br />

médias re<strong>la</strong>tent trop souvent <strong>de</strong>s dérives, une gestion <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>nrées alimentaires et <strong>de</strong>s fonds récoltés qui fait vivre une<br />

économie parallèle au détriment <strong>de</strong>s bénévo<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s<br />

donateurs.<br />

Je me trompe peut-être, mais n'avoir que 27 hectares est<br />

ma façon <strong>de</strong> nourrir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète. J'ai 30 ans <strong>de</strong> métier, j'ai<br />

97


investi, je ne dois rien à personne, je ne cherche pas à<br />

prendre <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'autres agriculteurs. La <strong>terre</strong> appartient à<br />

tout le mon<strong>de</strong>. Je produis <strong>de</strong>s légumes et n'hésite pas à en<br />

donner à ceux qui n'ont pas trop <strong>les</strong> moyens. J'ai <strong>la</strong><br />

conscience tranquille.<br />

Pierre : Comment se passe ton rapport avec <strong>les</strong> organismes<br />

et institutions agrico<strong>les</strong>?<br />

Joseph : J'abor<strong>de</strong>rai le rapport avec <strong>les</strong> organismes<br />

agrico<strong>les</strong> ou non agrico<strong>les</strong>, sur <strong>de</strong>ux aspects du re<strong>la</strong>tionnel.<br />

J’en rencontre au moins 18, <strong>de</strong>ux ou trois fois par an.<br />

Pour <strong>la</strong> moitié d’entre eux, l'argent est au cœur <strong>de</strong> notre<br />

re<strong>la</strong>tion. Lorsqu’il n’est pas négociable, elle se borne à <strong>de</strong>s<br />

échanges <strong>de</strong> courrier via <strong>la</strong> poste, c’est <strong>la</strong> première forme.<br />

À présent, tout est organisé pour faire soi-même ces<br />

démarches. Dans <strong>les</strong> banques, tout peut se faire au guichet<br />

automatique, à <strong>la</strong> poste une multitu<strong>de</strong> d'opérations se font<br />

sans interlocuteur, avec <strong>les</strong> GPS dans <strong>les</strong> voitures plus<br />

besoin <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r son chemin.<br />

Pour d’autres organismes, un interlocuteur s'impose pour<br />

compléter <strong>de</strong>s documents afin <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong> l'argent ou<br />

d'en verser. Et ce <strong>de</strong>uxième versant n'est pas le plus facile.<br />

La démarche auprès <strong>de</strong>s organismes est très variée, elle<br />

peut aller d'une simple <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> documents, d’adresse,<br />

d’ai<strong>de</strong> à remplir un dossier ou <strong>de</strong> se faire connaître auprès<br />

<strong>de</strong>s services.<br />

<strong>Un</strong>e fois <strong>la</strong> conversation engagée, il n’est pas évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

trouver <strong>les</strong> mots pour dire que l'on ne comprend pas un<br />

document, ou <strong>de</strong> formuler sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Je me suis souvent<br />

retrouvé face à <strong>de</strong>s personnes qui croient qu’on en a<br />

l’habitu<strong>de</strong>, alors qu'on utilise ces démarches une à <strong>de</strong>ux fois<br />

par an.<br />

Il n'empêche que pour moi qui suis célibataire, et qui ai<br />

l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> rester silencieux toute <strong>la</strong> journée, à force <strong>de</strong><br />

rester trop longtemps sans parler, je ressens <strong>de</strong><br />

l'appréhension à aller vers <strong>les</strong> autres et évi<strong>de</strong>ment à<br />

trouver <strong>les</strong> mots pour m'exprimer, ce n'est pas toujours<br />

facile à vivre.<br />

Pierre : Tous <strong>les</strong> organismes sont-ils tous aussi<br />

déshumanisés ?<br />

C<strong>la</strong>ire : J’aimerais vous faire ressentir <strong>les</strong> liens qu’on tisse<br />

avec nos techniciens <strong>de</strong> coopératives, nos acheteurs. Même<br />

si nous sommes parfois en désaccord, il est important<br />

d’installer <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> confiance. Être correct et savoir<br />

qu’on peut compter <strong>les</strong> uns sur <strong>les</strong> autres, même si <strong>les</strong><br />

règ<strong>les</strong> sont souvent faussées, le rapport <strong>de</strong> force étant<br />

inégal avec l’agro-industrie et <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> distribution.<br />

Nous appartenons pour l’instant à un système complexe<br />

dans lequel nous cherchons, petit à petit, à travers nos<br />

questionnements, nos recherches, nos nouvel<strong>les</strong> pratiques<br />

et nos nouveaux projets à aller dans un sens plus logique,<br />

plus autonome et plus équitable. C’est ainsi que nous<br />

modifions progressivement <strong>de</strong>s pratiques cultura<strong>les</strong>, plus<br />

<strong>de</strong> compost, moins d’engrais, moins <strong>de</strong> travail du sol, plus<br />

<strong>de</strong> couverts végétaux…<br />

Nous essayons <strong>de</strong> diversifier nos activités pour ne pas être<br />

dépendant ou tributaire d’un seul acheteur. Quand nous<br />

produisons du p<strong>la</strong>nt certifié <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> ou du<br />

légume-industrie ou du blé, nous ne sommes pas sur <strong>les</strong><br />

mêmes marchés, ni avec <strong>les</strong> mêmes acheteurs. Le fait <strong>de</strong><br />

développer l’activité photovoltaïque et bientôt, nous<br />

l’espérons, <strong>de</strong> participer au développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière<br />

98


ois-énergie, nous permet <strong>de</strong> trouver une certaine<br />

indépendance et un enthousiasme sur <strong>de</strong>s projets porteurs<br />

et tournés vers le futur.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Je voudrais dire aussi que <strong>les</strong> assurances sont<br />

chères mais obligatoires, heureusement, car si on ne<br />

s'assurait pas, ce pourrait être catastrophique, lors <strong>de</strong><br />

sinistre. Quant à <strong>la</strong> MSA, elle prélève <strong>de</strong>s sommes<br />

importantes sur le revenu, mais <strong>de</strong> cette cotisation<br />

dépendra le montant <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite le moment venu.<br />

L'an passé, j'ai été contrôlée par une fonctionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

DDA. J'ai reçu un courrier 8 jours avant. La veille, elle m'a<br />

appelée, avec <strong>de</strong>s paro<strong>les</strong> rassurantes. Le jour même, elle<br />

me téléphone à nouveau au moment du repas pour me dire,<br />

avec toujours <strong>de</strong>s paro<strong>les</strong> confiantes, qu'elle aurait un peu<br />

<strong>de</strong> retard. A son arrivée, je lui présente <strong>les</strong> documents<br />

<strong>de</strong>mandés, ensuite nous avons visité l'élevage, car elle ne<br />

connaissait pas l’élevage <strong>de</strong> <strong>la</strong>pin. <strong>Un</strong> point négatif a été<br />

trouvé : le portail <strong>de</strong> <strong>la</strong> fosse. J’éc<strong>la</strong>te alors <strong>de</strong> rire en lui<br />

disant que c'est moi qui ai dit <strong>de</strong> ne pas gril<strong>la</strong>ger ce portail,<br />

je trouvais que <strong>la</strong> ferraille suffisait. Depuis, bien sûr, le<br />

gril<strong>la</strong>ge a été p<strong>la</strong>cé.<br />

Je l'ai trouvée bienveil<strong>la</strong>nte, on a beaucoup parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

profession et <strong>de</strong> ses problèmes. Bien que représentante une<br />

Institution, elle avait beaucoup <strong>de</strong> qualités humaines.<br />

Pierre : Et l'Europe, nous en avons encore peu parlé.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : La PAC et ses lour<strong>de</strong>urs administratives, son<br />

incapacité à juguler <strong>les</strong> cours mondiaux <strong>de</strong>s matières<br />

agrico<strong>les</strong> qui remontent en flèche. Ces ai<strong>de</strong>s publiques<br />

<strong>de</strong>venues parfois <strong>de</strong>s rentes foncières, versées même<br />

quand rien n'est produit, paraissent une absurdité quand le<br />

nombre <strong>de</strong> bouches à nourrir dans le mon<strong>de</strong> augmente<br />

chaque jour. Tiraillée entre <strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> qualité et <strong>de</strong><br />

quantité, <strong>de</strong> normes environnementa<strong>les</strong> et d'équité, elle est<br />

tel un atte<strong>la</strong>ge cherchant son allure.<br />

Joseph : Quand on lit <strong>les</strong> journaux traitant <strong>de</strong>s problèmes<br />

agrico<strong>les</strong>, on a le sentiment d'une agriculture qui essaie <strong>de</strong><br />

sauver <strong>les</strong> meub<strong>les</strong>, toujours en perpétuelle recherche pour<br />

gar<strong>de</strong>r son revenu quand il y en a. Les artic<strong>les</strong> traitent<br />

d'exploitations <strong>de</strong> tail<strong>les</strong> différentes dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

organismes externes à l'agriculture s'introduisent pour<br />

prendre une part du gâteau. Et l'on s'aperçoit que le<br />

dimensionnement optimum <strong>de</strong>s structures enlève tout<br />

espoir <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> petites en p<strong>la</strong>ce. Que ce soit au p<strong>la</strong>n<br />

local ou au p<strong>la</strong>n mondial, quand il s'agit d'obtenir <strong>de</strong>s<br />

capitaux qu'ils soient tirés <strong>de</strong>s revenus agrico<strong>les</strong> ou venant<br />

<strong>de</strong> l'extérieur (impossible <strong>de</strong> connaître <strong>les</strong> proportions) le<br />

plus fort gagne à tous <strong>les</strong> coups.<br />

A notre échelle locale, <strong>les</strong> déci<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>s versements<br />

d'argent public travaillent sur du court terme et prennent<br />

progressivement du retard sur l'économie mondiale. Les<br />

industriels du domaine privé se regroupent <strong>de</strong> plus en plus,<br />

souvent avec l'apport <strong>de</strong> nos parts socia<strong>les</strong>, et l'on<br />

remarque <strong>de</strong> graves incohérences. Des entreprises qui ont<br />

<strong>de</strong>s revenus positifs à titre individuel sont fermées sur<br />

décisions <strong>de</strong> conseils administrations considérant que<br />

l'ensemble <strong>de</strong>s entreprises ont majoritairement <strong>de</strong>s<br />

revenus négatifs.<br />

Les nouveaux agriculteurs se ren<strong>de</strong>nt-ils comptent <strong>de</strong>s<br />

enjeux sur le territoire ? Ils investissent <strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong> plus<br />

en plus importants, mais qui supportera leurs <strong>de</strong>ttes en cas<br />

99


<strong>de</strong> faillite dans le cadre <strong>de</strong> l'économie libérale où le plus<br />

fort gagne ?<br />

Catherine : Je voudrais revenir à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> C<strong>la</strong>ire et <strong>de</strong><br />

Valérie sur <strong>la</strong> « f<strong>la</strong>mbée » (<strong>les</strong> guillemets ont toute leur<br />

importance) du prix <strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong> et pour abon<strong>de</strong>r dans leur<br />

sens. Je voudrais préciser, en tant que producteur <strong>de</strong><br />

céréa<strong>les</strong> et également éleveur <strong>de</strong> porcs, que le discours qui<br />

voudrait mettre dos à dos <strong>les</strong> céréaliers et <strong>les</strong> producteurs<br />

<strong>de</strong> vian<strong>de</strong> est une façon <strong>de</strong> détourner le problème <strong>de</strong>s cours<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vian<strong>de</strong>, maintenus volontairement très bas. Après<br />

avoir décimé l’élevage avicole en Bretagne, celui du porc<br />

est au bord du gouffre.<br />

Par exemple, lorsque nous vendons nos céréa<strong>les</strong> 20 € <strong>de</strong><br />

plus <strong>la</strong> tonne (tant mieux), il va sans dire que le prix <strong>de</strong><br />

l’aliment lui augmentera <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 40 €. Alors, je <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

aux fabricants d’aliments du bétail, qui est le plus à<br />

p<strong>la</strong>indre ? En effet, ce ne sont pas tant que <strong>les</strong> céréa<strong>les</strong><br />

soient trop chères, puisque à 200 € <strong>la</strong> tonne, c’est le prix<br />

normal pour que le producteur puisse vivre, mais c’est<br />

surtout que le prix du kilo <strong>de</strong> porc ou <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> bovine<br />

reste irrémédiablement à un niveau très bas. Comment<br />

l’expliquer ?<br />

Sachant que <strong>les</strong> importations <strong>de</strong> porcs (surtout d’Espagne)<br />

augmentent en volume d’année en année, il y a donc <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Gwénael et moi possédons un petit atelier <strong>de</strong> 360<br />

porcs « fermiers Label Rouge » : une petite niche dans <strong>la</strong><br />

filière qualité (avec un cahier <strong>de</strong>s charges très stricte)<br />

puisque nous ne sommes plus qu’une dizaine<br />

d’engraisseurs sur <strong>la</strong> Bretagne, chiffre qui décroit.<br />

Malgré <strong>la</strong> prime à <strong>la</strong> qualité, <strong>la</strong> situation reste difficile,<br />

l’abatteur invoque <strong>de</strong>s soucis <strong>de</strong> débouchés. Il nous a <strong>la</strong>ncé<br />

lors d’une assemblée générale « Ah, si vos cochons<br />

n’étaient fait que <strong>de</strong> jambon ! » Pas facile à résoudre<br />

comme problème.<br />

S’il est vrai que le consommateur français est<br />

particulièrement amateur <strong>de</strong> jambon (plus que nos voisins<br />

européens), on dit bien que dans le cochon tout est bon,<br />

non ?<br />

Il en est <strong>de</strong> même pour <strong>la</strong> vian<strong>de</strong> bovine, pourquoi<br />

maintenir <strong>de</strong>s cours aussi bas ? Selon <strong>les</strong> associations <strong>de</strong><br />

producteurs <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> bovine, le simple fait d’augmenter<br />

(départ exploitation) <strong>de</strong> 0.60 €/kg entrainerait un surcoût<br />

pour le consommateur <strong>de</strong> 8 € par an (sans intégrer <strong>les</strong><br />

coefficients multiplicateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> distribution, bien<br />

sûr) sur sa consommation <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>. Ce n’est pas<br />

exorbitant 8€ : un paquet <strong>de</strong> cigarettes, 2 apéros, une<br />

pizza….<br />

100


Pour ce qui est <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière <strong>la</strong>it, également concernée par <strong>la</strong><br />

hausse du prix <strong>de</strong>s aliments du bétail, une étu<strong>de</strong> récente<br />

montre que le prix du litre <strong>de</strong> <strong>la</strong>it UHT <strong>de</strong>mi-écrémé a<br />

augmenté dans <strong>les</strong> rayons <strong>de</strong> 17% entre 2000 et 2010.<br />

Dans le même temps, le prix payé au producteur <strong>de</strong> <strong>la</strong>it<br />

(entier ) n’a progressé que <strong>de</strong> 0,7%, preuve donc que <strong>les</strong><br />

hausses sont bien répercutées (et on l’annonce c<strong>la</strong>irement<br />

à grand coup médiatique) mais <strong>les</strong> baisses ne se voient pas<br />

forcément en rayon.<br />

Le vrai débat rési<strong>de</strong> dans le fait que personne ne veut<br />

admettre que produire et se nourrir a un coût et que ce<br />

coût doit être assumé par toute <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> <strong>la</strong> « fourche à<br />

<strong>la</strong> fourchette ».<br />

C<strong>la</strong>ire : Les <strong>de</strong>rniers chiffres <strong>de</strong> l'INSEE montre que <strong>les</strong><br />

ménages européens dépensent en moyenne moins <strong>de</strong> 11 %<br />

<strong>de</strong> leur budget dans l'alimentaire. Dans cette part, 1/3 soit<br />

3,6 % repart aux agriculteurs pour payer <strong>la</strong> matière<br />

première, qu'on peut arrondir à 4 % si on intègre <strong>les</strong><br />

primes PAC (le reste rémunère <strong>les</strong> industries <strong>de</strong> l'agroalimentaire,<br />

<strong>les</strong> embal<strong>la</strong>ges, le transport et <strong>les</strong> GMS). Donc 4<br />

% du budget <strong>de</strong>s ménages rémunère <strong>les</strong> produits agrico<strong>les</strong>.<br />

C'est peu par rapport au 35-40 % d'il y a 50 ans ici en<br />

France ou aux 50-60% encore d'actualité dans <strong>les</strong> pays dits<br />

en voie <strong>de</strong> développement.<br />

C’est d'ailleurs un critère <strong>de</strong> développement au niveau<br />

international, plus ce pourcentage baisse, plus on considère<br />

que le niveau <strong>de</strong> vie augmente, drôle <strong>de</strong> critère plutôt<br />

cynique.<br />

Voltaire ne disait-il pas déjà en son temps : « On a trouvé,<br />

en bonne politique, le secret <strong>de</strong> faire mourir <strong>de</strong> faim ceux<br />

qui, en cultivant <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, font vivre <strong>les</strong> autres ».<br />

J'entends dire aussi parfois que l'alimentaire est, dans <strong>les</strong><br />

pays occi<strong>de</strong>ntaux, <strong>la</strong> variable ajustable que l'on cherche à<br />

faire tendre vers zéro, on n'en est plus très loin.<br />

On dit aussi qu’il faut <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> meilleure qualité, il<br />

faut <strong>de</strong>s produits bio moins chers. Toujours plus, mieux et<br />

moins cher. L'alimentation a une valeur, un juste prix,<br />

correspondant à <strong>de</strong>s coûts, <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong> travail, que <strong>la</strong><br />

plupart <strong>de</strong>s consommateurs ont tendance à oublier quand<br />

ce<strong>la</strong> <strong>les</strong> arrange. La plupart <strong>de</strong>s agriculteurs sont prêts à<br />

effectuer <strong>de</strong>s changements à condition d'obtenir <strong>de</strong>s<br />

engagements sur <strong>les</strong> prix.<br />

Pierre : N'y a-t-il pas, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s coûts <strong>de</strong> <strong>la</strong> production et<br />

<strong>de</strong> prix à <strong>la</strong> consommation, un problème <strong>de</strong><br />

commercialisation qui reste tributaire <strong>de</strong>s goûts <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

clientèle ?<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Même enfant, on peut cuisiner le <strong>la</strong>pin avec <strong>de</strong>s<br />

recettes très simp<strong>les</strong> et rapi<strong>de</strong>s. Il est dommage <strong>de</strong> se<br />

priver d'une chair peu onéreuse, saine, digeste et<br />

délicieuse, pourvu qu'elle soit accommodée avec talent.<br />

En France, <strong>la</strong> filière représente environ 3 500 élevages et<br />

10 000 emplois. Elle est, hé<strong>la</strong>s, en baisse sensible, ce qui est<br />

infiniment regrettable pour l'équilibre diététique et le<br />

p<strong>la</strong>isir gastronomique <strong>de</strong>s Français.<br />

Le goût français a évolué. Le <strong>la</strong>pin est aujourd'hui plus<br />

facile à trouver dans <strong>les</strong> rayons <strong>de</strong>s supermarchés et plus<br />

apprécié que le <strong>la</strong>pin <strong>de</strong> garenne jugé trop fort par<br />

beaucoup <strong>de</strong> consommateurs, il est vrai <strong>de</strong> moins en moins<br />

habitués à manger du gibier. Il possè<strong>de</strong> d'éminentes vertus<br />

diététiques, pauvre en lipi<strong>de</strong>s, d'autant qu'il est facile à<br />

dégraisser, riche en oméga 3, en vitamines B3 et B12, en<br />

phosphore, potassium et sélénium. Certains le jugent un<br />

peu fa<strong>de</strong>, mais en réalité sa vian<strong>de</strong> est savoureuse à<br />

101


condition <strong>de</strong> l'accompagner, et si on le souhaite, avec <strong>les</strong> os,<br />

y compris ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête qui donnent <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse aux<br />

sauces et <strong>les</strong> lient naturellement.<br />

Parmi <strong>les</strong> recettes prisées par <strong>les</strong> prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> V ème<br />

République, « <strong>la</strong> terrine <strong>de</strong> <strong>la</strong>pereaux à <strong>la</strong> confiture<br />

d'oignons » était appréciée par Valéry Giscard d’Estaing. Le<br />

<strong>la</strong>pin est désormais parvenu sur <strong>les</strong> plus bel<strong>les</strong> tab<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

France. Sa chair se prête à tant <strong>de</strong> préparations<br />

savoureuses et digestes qu'il serait dommage <strong>de</strong> s'en<br />

priver.<br />

Pierre : Si je vous comprends bien malgré <strong>la</strong> grogne et <strong>les</strong><br />

coups <strong>de</strong> gueule justifiés, tout n'est pas aussi sombre que ce<strong>la</strong><br />

peut paraître au premier abord.<br />

Les abats sont aussi délicieux, cervelle, <strong>la</strong>ngue et surtout le<br />

foie et <strong>les</strong> rognons qui peuvent être préparés pour euxmêmes,<br />

<strong>les</strong> premiers, poêlés, <strong>les</strong> seconds grillés ou à <strong>la</strong><br />

crème et aux champignons. Ils s’accommo<strong>de</strong>nt très bien<br />

aussi avec <strong>de</strong>s tomates, du maïs. Sa chair tendre absorbe<br />

bien <strong>les</strong> liqui<strong>de</strong>s : vins b<strong>la</strong>nc, rouge, bière, cidre et <strong>les</strong><br />

matières grasses. Elle prend <strong>les</strong> parfums <strong>de</strong>s ingrédients<br />

avec <strong>les</strong>quels on le cuit, en particulier <strong>les</strong> herbes<br />

aromatiques, thym, <strong>la</strong>urier, sauge, sarriette, estragon,<br />

persil, romarin, ciboulette, ail et oignons. Le <strong>la</strong>pin<br />

s'accommo<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> fruits secs. Après avoir bien mijoté,<br />

<strong>les</strong> sauces prennent facilement en gelée, ce qui permet<br />

terrines et rillettes peu grasses.<br />

Catherine : Après <strong>les</strong> récriminations « administratives »,<br />

notre rapport aux institutions est parfois et heureusement<br />

positif. Ainsi, nos re<strong>la</strong>tions avec l’antenne locale <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Chambre d’agriculture et avec <strong>la</strong> CUMA (Coopérative<br />

d’Utilisation du Matériel Agricole), <strong>de</strong>ux organismes<br />

proches du terrain.<br />

Lorsque je me rends à <strong>la</strong> Chambre d’agriculture <strong>de</strong> Pontivy,<br />

je me sens à l’aise, on se connaît presque tous et l’accueil y<br />

est chaleureux. L’investissement dans le GVA y est aussi<br />

pour quelque chose. Comme l'a dit Valérie, <strong>la</strong> formation<br />

continue en agriculture est indispensable (et c’est une<br />

chance que nous avons par rapport à d’autres corps <strong>de</strong><br />

métier). On y propose un catalogue <strong>de</strong> formations à un<br />

faible coût.<br />

La Chambre est le lieu où l’on peut trouver <strong>de</strong>s<br />

informations concernant <strong>les</strong> nouveautés (contraintes<br />

environnementa<strong>les</strong>), <strong>les</strong> évolutions <strong>de</strong>s techniques<br />

cultura<strong>les</strong> et d’élevage auprès <strong>de</strong>s techniciens <strong>de</strong> formation<br />

agricole ou agronomique qui restent proches du terrain.<br />

Sa neutralité et le fait qu’elle n’ait rien à vendre, nous<br />

102


permet d’y trouver gratuitement <strong>de</strong>s documents et<br />

renseignements nécessaires.<br />

C’est aussi un lieu <strong>de</strong> rencontre et d’échange entre<br />

agriculteurs par le biais <strong>de</strong>s groupes « <strong>la</strong>it » et « culture »,<br />

groupes animés par <strong>de</strong>s techniciens et conseillers formés<br />

pour animer <strong>de</strong>s réunions.<br />

Plus près <strong>de</strong> l’exploitation, nous adhérons à <strong>la</strong> CUMA pour<br />

l’utilisation <strong>de</strong> matériel d’épandage <strong>de</strong> fumier et lisier.<br />

Cette association d’agriculteurs a acquis, sous forme <strong>de</strong><br />

mutualisation, du matériel agricole qui n’est utilisé que<br />

temporairement dans l’année, ce qui limite ainsi <strong>les</strong><br />

investissements financiers puisque le coût du matériel est<br />

réparti entre tous ses membres.<br />

Chez nous, nous pratiquons également <strong>la</strong> mutualisation<br />

pour tout ce qui est matériel <strong>de</strong> culture : charrue, semoir,<br />

pulvérisateur, moissonneuse-batteuse, round-baller,<br />

faneuse, faucheuse, etc., matériel utilisé seulement<br />

quelques mois dans l’année, ce qui réduit <strong>les</strong> frais. Ce type<br />

<strong>de</strong> fonctionnement permet également aux agriculteurs <strong>de</strong><br />

se rencontrer <strong>de</strong> temps en temps et <strong>de</strong> discuter, un moyen<br />

d’éviter aussi l’isolement dans nos exploitations.<br />

Pour finir sur <strong>la</strong> mutualisation <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> travail, nous<br />

adhérons également à un groupement d’employeurs. Nous<br />

sommes neuf exploitations qui employons à l’année un<br />

sa<strong>la</strong>rié polyvalent dont l’emploi du temps est établi tous <strong>les</strong><br />

premiers lundi du mois entre <strong>les</strong> adhérents. Cette pratique<br />

donne une ai<strong>de</strong> pendant <strong>les</strong> pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> surcharge <strong>de</strong><br />

travail sans être obligé d’embaucher un sa<strong>la</strong>rié à l’année.<br />

Pierre : Le département et <strong>la</strong> Région, personne n'en encore<br />

parlé...<br />

C<strong>la</strong>ire : Le Conseil Régional <strong>de</strong> Bretagne a <strong>la</strong>ncé, le<br />

trimestre <strong>de</strong>rnier, un forum sur son site, ainsi formulé «<br />

Pour <strong>la</strong> nouvelle alliance <strong>de</strong> l'agriculture bretonne et <strong>les</strong><br />

citoyens. » J'y ai participé et je peux retranscrire ici<br />

certaines <strong>de</strong> mes contributions au débat.<br />

Je souhaite, d'abord, reformuler <strong>la</strong> question : "En tant que<br />

citoyen, quel<strong>les</strong> sont vos attentes vis-à-vis <strong>de</strong> l'agriculture<br />

en Bretagne ?" d'une autre façon : en tant que citoyen<br />

breton, consommateur et acteur en Bretagne, comment<br />

soutenez-vous concrètement par vos achats l'agriculture<br />

que vous aspirez à voir se développer ?<br />

En effet, dans <strong>les</strong> contributions et dans <strong>les</strong> médias, on<br />

adresse aux paysans <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> attentes sociéta<strong>les</strong>. Plus<br />

<strong>de</strong> bio, plus <strong>de</strong> qualité, plus <strong>de</strong> lien social, moins <strong>de</strong><br />

pestici<strong>de</strong>s, plus <strong>de</strong> proximité, relocalisation, plus <strong>de</strong> circuits<br />

courts, projets qui sont certainement en partie <strong>les</strong> clés pour<br />

le présent et l'avenir <strong>de</strong> l'agriculture bretonne. Or, faisons<br />

le point <strong>de</strong>s achats dans <strong>la</strong> ville, comptons <strong>les</strong> voitures<br />

garées <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s enseignes, <strong>les</strong> hard-discount, et<br />

comparons à cel<strong>les</strong> garées <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> commerces <strong>de</strong><br />

proximité, <strong>les</strong> producteurs fermiers ou l'AMAP (Association<br />

pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne) locale. La<br />

démonstration parle d’elle-même.<br />

Je pense qu'avant <strong>de</strong> dire ce que chacun souhaite pour<br />

l'agriculture, il serait bon <strong>de</strong> se poser <strong>les</strong> questions :<br />

- Comment agir ? Et <strong>de</strong> transformer ses dires en actes<br />

d'achats concrets dès à présent.<br />

- Où acheter <strong>les</strong> produits alimentaires ?<br />

- Où sont-ils produits et par qui ?<br />

- Sont-ils locaux, fermiers, bio, équitab<strong>les</strong>, <strong>la</strong>bellisés,<br />

103


<strong>de</strong> qualité ?<br />

- A quel prix au magasin ?<br />

- À quel prix au producteur ?<br />

Si <strong>la</strong> Région s'interroge, personnellement je suis<br />

convaincue que l’agriculture bretonne a <strong>de</strong> l’avenir :<br />

- Pour tous <strong>les</strong> jeunes qui veulent courageusement<br />

s’installer en agriculture et à qui nous <strong>de</strong>vons<br />

donner <strong>de</strong> l’espoir.<br />

- Pour tous ceux qui sont installés <strong>de</strong>puis 5, 10, 20<br />

ans, qui ont fait le choix risqué <strong>de</strong> reprendre une<br />

exploitation, qui vivent et subissent <strong>de</strong>s crises,<br />

cherchent <strong>de</strong>s solutions, se diversifient,<br />

réfléchissent, se forment, évoluent…<br />

- Parce que <strong>la</strong> Bretagne est une <strong>de</strong>s régions <strong>les</strong> plus «<br />

productives » <strong>de</strong> France et du mon<strong>de</strong> au niveau<br />

agricole et agro-alimentaire. Tout y pousse et nous<br />

savons tout faire, tout transformer, nous avons <strong>la</strong><br />

<strong>terre</strong>, <strong>les</strong> hommes, <strong>les</strong> outils, <strong>les</strong> savoir-faire<br />

agrico<strong>les</strong> et agro-alimentaires, le climat tempéré et<br />

<strong>la</strong> pluie.<br />

Il faut évi<strong>de</strong>ment relocaliser ce qui est relocalisable,<br />

favoriser <strong>les</strong> circuits courts, évoluer vers <strong>de</strong>s systèmes<br />

plus écologiques, et surtout plus équitab<strong>les</strong> et<br />

rémunérateurs, mais ce serait un comble <strong>de</strong> réduire <strong>la</strong><br />

future agriculture bretonne à une simple agriculture <strong>de</strong><br />

vie en autarcie. Nous avons <strong>de</strong> quoi nourrir plus <strong>de</strong> 10<br />

fois notre popu<strong>la</strong>tion, et nous abandonnerions ?<br />

Pierre : Mais concrètement qu'est-ce qu'en tant<br />

qu'agricultrice, tu attends <strong>de</strong>s collectivités loca<strong>les</strong> ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Les collectivités loca<strong>les</strong> doivent montrer l'exemple<br />

dans <strong>les</strong> restaurations collectives qu'el<strong>les</strong> cofinancent<br />

(cantines sco<strong>la</strong>ires, hôpitaux, crèches, maisons <strong>de</strong> retraite).<br />

Ce serait pour nous, agriculteur, un signal fort, c<strong>la</strong>ir,<br />

encourageant et motivant. C'est une <strong>de</strong>s pistes, mais pas <strong>la</strong><br />

seule, le sujet est bien trop vaste pour n'avoir qu'une<br />

solution.<br />

Sachant qu'un repas sur quatre en Bretagne est pris en<br />

restaurant collectif, ce<strong>la</strong> permettrait déjà d'installer, ou<br />

d'ai<strong>de</strong>r à maintenir un bon nombre <strong>de</strong> fermes pour <strong>de</strong><br />

l'approvisionnement local sous contrat vivable, viable et<br />

équitable et ce<strong>la</strong> aurait <strong>la</strong> force <strong>de</strong> l'exemple. Accepter que<br />

le prix du repas soit payé à son juste prix, à <strong>de</strong>s<br />

producteurs locaux.<br />

Petit rappel pour <strong>les</strong> non-convaincus, 92% <strong>de</strong> <strong>la</strong> vian<strong>de</strong><br />

servie en restauration collective est d'origine nonfrançaise.<br />

Il conviendrait également <strong>de</strong> changer le fonctionnement et<br />

le calcul <strong>de</strong>s budgets. Toute <strong>la</strong> nouvelle génération <strong>de</strong><br />

cuisiniers <strong>de</strong> restauration collective a été bien formée à<br />

gérer <strong>de</strong>s ratios au plus bas et à « sortir du repas » à moins<br />

<strong>de</strong> 1,50€ <strong>de</strong> coût-matière déjà semi-ouvrée et livrée.<br />

La nourriture est vitale pour l'homme. Dans <strong>les</strong> budgets <strong>de</strong>s<br />

famil<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s Collectivités, <strong>de</strong>s Régions, <strong>de</strong>s Pays, <strong>la</strong> valeur<br />

<strong>de</strong> l'alimentation est <strong>la</strong> base et doit être réaffirmée comme<br />

telle.<br />

Ce que <strong>les</strong> agriculteurs produisent ne doit pas être <strong>la</strong><br />

variable ajustable à faire toujours tendre vers zéro pour<br />

rentrer dans un budget mais posé comme le socle,<br />

l'essentiel, <strong>la</strong> base non-négociable. Arrêtons <strong>les</strong> discours et<br />

104


agissons dans nos achats et nos politiques loca<strong>les</strong>.<br />

<strong>Un</strong> autre champ d'action possible serait le soutien à <strong>la</strong><br />

diversification <strong>de</strong>s activités agrico<strong>les</strong>, afin <strong>de</strong> ne pas être<br />

soumis <strong>de</strong> front à <strong>de</strong>s crises agrico<strong>les</strong>, ou <strong>de</strong>s baisses <strong>de</strong><br />

prix, pour ne pas être tributaire d'une seule production,<br />

d'un seul acheteur. Par exemple, avoir une activité <strong>de</strong><br />

tourisme sur <strong>la</strong> ferme (hébergement, restauration, ferme<br />

pédagogique, faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente directe, développer <strong>les</strong><br />

circuits courts, transformer à <strong>la</strong> ferme <strong>les</strong> produits <strong>de</strong><br />

l'agriculture), produire <strong>de</strong> l'énergie (photovoltaïque sur <strong>les</strong><br />

hangars existants), faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> biomasse, du biogaz, <strong>de</strong>s<br />

réseaux <strong>de</strong> chaleur, du compost, développer <strong>la</strong> filière boisénergie.<br />

Ces pistes ont déjà donné <strong>de</strong>s résultats positifs et viab<strong>les</strong><br />

pour certains et pourraient être envisagées pour d’autres<br />

en étudiant tous <strong>les</strong> aspects. Car il ne faut pas oublier que<br />

<strong>les</strong> produits agrico<strong>les</strong> <strong>de</strong> base doivent d'abord être achetés<br />

à un prix équitable. La vente en circuit court, certes, mais à<br />

quel prix ?<br />

La question du nombre <strong>de</strong> bras sur <strong>les</strong> fermes se pose<br />

également. Quel coût humain, familial, pour se diversifier ?<br />

Comment <strong>de</strong>s agriculteurs déjà surchargés peuvent-ils<br />

décemment ajouter <strong>de</strong>s activités supplémentaires sur leur<br />

ferme ? La suggestion peut convenir en termes <strong>de</strong> revenus,<br />

mais en temps <strong>de</strong> travail, est-ce toujours vivable ?<br />

La production d’énergie photovoltaïque sur <strong>les</strong> hangars<br />

existants (nous y croyons puisque nous sommes nousmêmes<br />

producteurs) a donné <strong>de</strong> l'espoir à <strong>de</strong>s agriculteurs<br />

pour produire <strong>de</strong> l'énergie locale, propre et sans emprise<br />

sur <strong>les</strong> <strong>terre</strong>s agrico<strong>les</strong>. Malheureusement, l'État français<br />

actuellement se désengage <strong>de</strong>s petits projets délocalisés<br />

sur tout le territoire et souhaite favoriser <strong>les</strong> très grosses<br />

unités « centralisées ».<br />

Pendant ce temps, que fait <strong>la</strong> Région ? La région Bretagne<br />

préfère signer un pacte électrique avec l'État français<br />

plutôt que <strong>de</strong> développer massivement le biogaz local ou <strong>la</strong><br />

biomasse ou <strong>la</strong> filière bois-énergie.<br />

Comment, <strong>les</strong> agriculteurs convaincus peuvent-il s’engager<br />

sereinement dans une filière bois-énergie (rep<strong>la</strong>nter et<br />

entretenir <strong>de</strong>s haies, investir pour <strong>livre</strong>r <strong>de</strong>s chaudières<br />

collectives) alors que très peu <strong>de</strong> collectivités territoria<strong>les</strong>,<br />

à ce jour, font le choix <strong>de</strong> s'engager c<strong>la</strong>irement dans ces<br />

nouvel<strong>les</strong> filières ?<br />

Nous, agriculteurs, sommes souvent pris entre <strong>de</strong>ux feux,<br />

au centre <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> débats mais le déca<strong>la</strong>ge entre le<br />

105


discours <strong>de</strong>s attentes sociéta<strong>les</strong> et <strong>les</strong> actes concrets nous<br />

<strong>la</strong>isse très souvent perplexe.<br />

Pierre : Et <strong>la</strong> pollution ? On en parle beaucoup pour <strong>la</strong><br />

mettre sur le dos <strong>de</strong> l'agriculture intensive ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Question un peu risquée et polémique, je vous<br />

l'accor<strong>de</strong>, mais vu le niveau d'agressivité <strong>de</strong> certains, j'ose<br />

interroger : Où vont <strong>les</strong> eaux usées domestiques ? Eaux<br />

ménagères : évacuation <strong>de</strong> cuisines et sal<strong>les</strong> <strong>de</strong> bains<br />

polluées par <strong>les</strong> détergents, <strong>les</strong>sives, graisses, eaux <strong>de</strong><br />

vaisselle… et eaux d’évacuation <strong>de</strong>s toilettes. Où vont <strong>les</strong><br />

milliers <strong>de</strong> tonnes d'ordures ménagères produites par <strong>les</strong><br />

famil<strong>les</strong> et <strong>les</strong> restaurations collectives ?<br />

Pierre : Et <strong>les</strong> métaux lourds qu'on retrouve dans <strong>les</strong> cours<br />

d'eau et <strong>les</strong> boues <strong>de</strong>s stations d'épuration, ils ne viennent<br />

pas que <strong>de</strong> l'agriculture ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Dans ce débat, on dirait qu'il n'y a que <strong>les</strong> cochons<br />

qui produisent <strong>de</strong>s déjections, ils en produisent beaucoup,<br />

certes (et je ne minimise pas ce problème), mais chacun à<br />

son niveau doit prendre <strong>les</strong> dispositions qui s'imposent et<br />

agir. Par exemple, en diminuant sa consommation <strong>de</strong><br />

produits d'entretien, en achetant moins <strong>de</strong> produits suremballés,<br />

en diminuant sa propre production <strong>de</strong> déchets,<br />

en triant beaucoup mieux et plus finement pour pouvoir<br />

réutiliser, recycler, valoriser <strong>les</strong> déchets fermentescib<strong>les</strong><br />

pour <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> méthanisation ou en faire du bon<br />

compost épandable, sans y retrouver <strong>les</strong> bâton<strong>net</strong>s<br />

p<strong>la</strong>stiques <strong>de</strong>s coton-tige.<br />

Pierre : Avez-vous le sentiment, Nico<strong>la</strong>s et toi, <strong>de</strong> « tenir »<br />

une ferme comme l'imagine encore <strong>les</strong> gens d'aujourd'hui,<br />

qu'ils soient urbains ou néo ruraux ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Je suis souvent interpellée par <strong>de</strong>s collègues ou par<br />

<strong>de</strong>s hôtes qui sont en séjour chez nous, quand ils constatent<br />

que nous n'avons pas <strong>de</strong> vaches : « chez vous, ce n’est pas<br />

une vraie ferme ».<br />

La ferme <strong>de</strong> Lintever et ses 103 hectares cultivés n’est pas<br />

une ferme ! Alors, qu’est-ce qu’une ferme ?<br />

J’espérais qu'on avait tourné <strong>la</strong> page sur <strong>les</strong> mini-fermes qui<br />

jouent à <strong>la</strong> ferme avec trois pou<strong>les</strong>, <strong>de</strong>ux canards, un jardi<strong>net</strong> et<br />

trois pommiers. Je croyais avoir fait comprendre, en ouvrant<br />

mes chambres d’hôtes, qu'on montrait <strong>de</strong>s fermes d'aujourd'hui,<br />

dans toutes leurs diversités. De vraies exploitations qui à partir<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong>, <strong>de</strong> l'eau, <strong>de</strong> l'air et <strong>de</strong>s graines, font pousser <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

matière vivante (<strong>de</strong>s végétaux) ou <strong>les</strong> animaux qui nourrissent<br />

<strong>les</strong> humains, ou qui font pousser d’autres matières premières<br />

(nous appartenons bien au secteur primaire) qui produiront du<br />

tissu, du papier ou <strong>de</strong> l’énergie, et même <strong>de</strong>s fermes éoliennes ou<br />

so<strong>la</strong>ires. On vou<strong>la</strong>it expliquer à nos hôtes <strong>les</strong> saisons, notre<br />

métier, nos spécificités, notre réalité.<br />

À La Ferme <strong>de</strong> Lintever, on produit 250 tonnes <strong>de</strong> blé par<br />

an, ce qui permet <strong>de</strong> fabriquer 1.250.000 baguettes <strong>de</strong> 200<br />

g/an. On peut dire que 3.500 français mangent chaque jour<br />

une baguette fabriquée avec du blé <strong>de</strong> Lintever.<br />

On produit :<br />

- 1000 tonnes <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> <strong>terre</strong> par an,<br />

dont 200 tonnes vont partir directement en<br />

consommation pour faire 80.000 filets <strong>de</strong> 2.5 kg <strong>de</strong><br />

106


pomme <strong>de</strong> <strong>terre</strong> <strong>de</strong> consommation. 800 tonnes vont<br />

être vendues en France et dans le bassin<br />

méditerranéen pour que <strong>les</strong> fermiers européens,<br />

égyptiens, marocains, grecs, tunisiens, israéliens,<br />

puissent produire à leur tour.<br />

- 200 tonnes <strong>de</strong> pois <strong>de</strong> conserve par an, qui vont être<br />

transformées en Bretagne chez Daucy pour produire<br />

500.000 boites équivalent 4/4 <strong>de</strong> petits pois. Nos<br />

petits pois <strong>de</strong> Lintever se retrouvent chaque<br />

semaine <strong>de</strong> l'année sur <strong>la</strong> table <strong>de</strong> 10.000 foyers<br />

français.<br />

- 500 tonnes <strong>de</strong> navets, qui, mé<strong>la</strong>ngés à <strong>de</strong>s pois, <strong>de</strong>s<br />

carottes, <strong>de</strong>s haricots, <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>geolets (autres légumes<br />

produits aussi en Bretagne), soit 2.500.000 kg <strong>de</strong><br />

macédoine qui vont se retrouver dans <strong>les</strong> barquettes<br />

<strong>de</strong>s restaurants d'entreprises. 240.000 Français<br />

mangent chaque semaine dans leur macédoine <strong>de</strong>s<br />

navets <strong>de</strong> Lintever.<br />

- 100 tonnes <strong>de</strong> maïs grain qui vont contribuer à<br />

l'engraissement <strong>de</strong> vo<strong>la</strong>il<strong>les</strong>. 4.200 européens<br />

mangent chaque semaine, du poulet nourri au grain<br />

<strong>de</strong> Lintever.<br />

bios ou non, qui ont un quota <strong>de</strong> 500.000 litres <strong>de</strong> <strong>la</strong>it/an,<br />

fournit le <strong>la</strong>it nécessaire à <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> 4.000.000 <strong>de</strong><br />

yaourts/an. Chacune <strong>de</strong> ces fermes apporte donc aux<br />

cantines sco<strong>la</strong>ires le yaourt quotidien <strong>de</strong> 25.000 écoliers<br />

français.<br />

Voilà <strong>les</strong> chiffres concrets. Je ne sais pas si c’est bien ou mal,<br />

si c’est tendance, si ce<strong>la</strong> éc<strong>la</strong>ire sur <strong>la</strong> mondialisation, ou<br />

sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> notre production. Ces chiffres montrent<br />

juste <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> ce que nous produisons chaque année, et<br />

qui permet <strong>de</strong> nourrir <strong>de</strong>s hommes.<br />

Est-ce que nous nourrissons assez <strong>de</strong> personnes pour avoir<br />

le droit <strong>de</strong> nous appeler ferme ?<br />

Nous chauffons également avec notre bois et éc<strong>la</strong>irons avec<br />

notre lumière électrique, non nucléaire.<br />

Nous mettons tout notre cœur pour accueillir chaque année<br />

150 coup<strong>les</strong> ou famil<strong>les</strong> pour <strong>de</strong>s week-ends ou <strong>de</strong>s séjours,<br />

à qui nous faisons découvrir nos produits et ceux <strong>de</strong>s<br />

fermes voisines.<br />

Est-ce suffisant pour être considérée comme une vraie<br />

ferme ?<br />

A titre <strong>de</strong> comparaison, chacun <strong>de</strong> mes collègues <strong>la</strong>itiers,<br />

107


L’écriture<br />

"Je voudrais vous dire"<br />

Monsieur le ministre <strong>de</strong> l'Agriculture,<br />

Vous qui nous imposez <strong>les</strong> lois, <strong>les</strong> mises aux normes, <strong>la</strong> productivité, le respect <strong>de</strong> l'environnement,<br />

Messieurs <strong>les</strong> techniciens, vous qui valorisez vos matières premières : l’aliment ou <strong>les</strong> produits phytosanitaires sans<br />

aucune négociation possible.<br />

Croyez-vous que nous puissions toujours subir, sans rechigner ?<br />

Nous n'avons pas le droit <strong>de</strong> dire, ni même <strong>de</strong> penser, que <strong>de</strong>main on s’arrête.<br />

Non ! Les prélèvements <strong>de</strong>s emprunts sur le relevé <strong>de</strong> compte savent nous remettre à notre p<strong>la</strong>ce.<br />

Mais, me direz vous, vous avez choisi.<br />

C'est exact, mais pas à ce prix. La morosité et l'amertume s'installent jour après jour.<br />

Aucune assurance d’une meilleure reconnaissance du fruit <strong>de</strong> notre travail.<br />

Continuer à compter, pour ne pas s'effondrer.<br />

Comment, messieurs, voulez vous, que nous nous épanouissions dans notre métier, que nous donnions <strong>la</strong> vocation à<br />

nos jeunes, que nous maintenions notre idéal, que nous travaillions à notre juste valeur ?<br />

Nous aussi, nous avons envie <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> grasse matinée, <strong>de</strong> ne pas courir après le temps, <strong>de</strong> nous épanouir tout<br />

simplement, en préservant notre métier.<br />

Messieurs <strong>les</strong> voisins, que <strong>la</strong> proximité <strong>de</strong> nos biens dérange et qui voulez vous approprier nos <strong>terre</strong>s pour enrichir<br />

votre patrimoine et vous donner <strong>de</strong>s airs <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, c'est à vous aujourd'hui que je m’adresse. Faut-il vous rappeler<br />

que <strong>les</strong> agriculteurs ont besoin <strong>de</strong> leurs <strong>terre</strong>s pour vous apporter <strong>la</strong> nourriture qui vous fait vivre ?<br />

Nous <strong>les</strong> agriculteurs travaillons sept jours sur sept, ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s ou pas, <strong>de</strong>vons assumer nos astreintes, sans nous<br />

p<strong>la</strong>indre, subir <strong>les</strong> prix imposés à nos produits, <strong>les</strong> augmentations <strong>de</strong> charges, <strong>les</strong> intrants.<br />

Comment gar<strong>de</strong>r espoir, dans le désespoir, en l’attente d’un changement ?<br />

Nous aspirons à enfin trouver <strong>la</strong> reconnaissance que nous attendons tous, dans notre petit espace.<br />

Nous voulons continuer à nous émerveiller au spectacle <strong>de</strong>s vaches <strong>la</strong>itières pâturant l'herbe <strong>de</strong> l'enclos, admirer <strong>la</strong><br />

nature s'épanouir au lever du soleil pendant que <strong>la</strong> traite se déroule.<br />

Nous rendre au travail en siff<strong>la</strong>nt, ne plus y aller contraints et forcés. Nous épanouir dans ce que nous faisons.<br />

108


Est-ce beaucoup <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ?<br />

Dites-moi comment rester positive, trouver mon équilibre et contribuer à l'avenir du mon<strong>de</strong> agricole ?<br />

Valérie<br />

109


Simone : Dans <strong>les</strong> premiers temps <strong>de</strong> nos rencontres, Valérie,<br />

tu avais rédigé cette lettre que tu <strong>de</strong>stinais au ministre <strong>de</strong><br />

l'Agriculture et dans <strong>la</strong>quelle tu exprimais toute <strong>la</strong> hargne<br />

que tu portais en toi. Et tu ressentais fortement <strong>les</strong> injustices<br />

que tu vivais, c'était au plus fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise <strong>la</strong>itière. Cette<br />

lettre, l'as-tu envoyée ?<br />

Valérie : Non ! Je n’ai pas expédié ma lettre peut- être par<br />

faib<strong>les</strong>se, par mo<strong>de</strong>stie, ou parce que j'ai le sentiment que<br />

je ne serais pas entendue.<br />

Pierre. La réécrirais-tu telle qu'elle est, aujourd'hui ?<br />

Valérie : Bien sûr. Mes opinions n'ont pas changé vis-à-vis<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> conjoncture agricole. Les coûts <strong>de</strong>s céréa<strong>les</strong><br />

augmentent engendrant <strong>de</strong>s problèmes financiers et<br />

humains. Cette augmentation a <strong>de</strong>s répercussions<br />

immédiates sur le prix <strong>de</strong> l'aliment que nous donnons à nos<br />

bêtes pour pouvoir atteindre, en fin <strong>de</strong> campagne, notre<br />

quota <strong>de</strong> production <strong>la</strong>itière. Ce prix ne cesse <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mber,<br />

comme <strong>la</strong> baguette <strong>de</strong> pain et le fuel. Tout augmente, sauf<br />

nos prix <strong>de</strong> base.<br />

statut, rejoindre leur mari, améliorer <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />

travail ? Cette formation m'a permis d'être présente<br />

auprès <strong>de</strong> mes enfants pendant mon congé parental et<br />

d'obtenir mon BPREA sur trois ans, <strong>de</strong> monter un projet<br />

cohérent, <strong>de</strong> frapper aux bonnes portes. <strong>Un</strong> point<br />

important est à souligner à propos <strong>de</strong> cette formation, à<br />

aucun moment on ne vous juge, tout le mon<strong>de</strong> est mis sur le<br />

même p<strong>la</strong>n d’égalité, quelque soit le niveau d’étu<strong>de</strong>s. Les<br />

conseillères savent vous encourager et vous ai<strong>de</strong>nt à<br />

persévérer. Sans <strong>la</strong> Chambre d’agriculture je n’aurais sans<br />

doute pas franchi le pas.<br />

Aujourd’hui, je crois en ce que je fais, j’atteins mes objectifs<br />

tout en poursuivant ma formation.<br />

On critique facilement, mais en cas <strong>de</strong> difficultés, qui<br />

appelle-t-on ?<br />

Je veux rester positive.<br />

J’entends souvent critiquer <strong>la</strong> Chambre d’agriculture, à tort<br />

ou à raison. Je me suis souvent emportée contre certaines<br />

personnes qui déci<strong>de</strong>nt pour nous sans nous concerter ni<br />

venir sur le terrain. Discutons ensemble avant <strong>de</strong> prendre<br />

<strong>de</strong>s décisions qui peuvent avoir parfois <strong>de</strong> graves<br />

conséquences. On peut toujours trouver une solution.<br />

Quand je regar<strong>de</strong> en arrière, je ne peux que constater que<br />

c’est <strong>la</strong> Chambre d’agriculture qui m’a tendu <strong>la</strong> main et m’a<br />

fait confiance. Combien <strong>de</strong> femmes ont pu <strong>de</strong>puis dix ans,<br />

par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> formation à temps partagé, obtenir un<br />

110


Simone : Quel est ton souhait à l’heure actuelle ?<br />

Valérie : Je n’ai pas envie <strong>de</strong> m’enfoncer en ronchonnant<br />

tout le temps.<br />

De quoi ai-je envie ? De gar<strong>de</strong>r le sourire et penser à<br />

l'avenir, <strong>de</strong> poursuivre ce que nous avons construit<br />

ensemble A<strong>la</strong>in et moi ces dix <strong>de</strong>rnières années : <strong>la</strong><br />

délocalisation du siège d’exploitation, l'agrandissement <strong>de</strong>s<br />

<strong>terre</strong>s, <strong>la</strong> construction du bâtiment pour <strong>les</strong> génisses et le<br />

fourrage, l’achat <strong>de</strong> <strong>terre</strong>s et <strong>de</strong> maisons.<br />

Ensemble nous avons donné toute notre énergie pour<br />

atteindre chaque objectif. Ensemble nous avons échangé et<br />

avancé, au fil <strong>de</strong>s années. Ensemble, nous avons rencontré<br />

du mon<strong>de</strong>, continué à avoir <strong>de</strong>s perspectives pour notre<br />

exploitation et notre vie privée, affronté <strong>les</strong> aléas <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie,<br />

<strong>la</strong> tristesse, <strong>les</strong> pleurs, <strong>les</strong> joies.<br />

Ensemble nous <strong>de</strong>vons gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tête haute, être fiers <strong>de</strong> ce<br />

que l'on fait pour poursuivre notre parcours.<br />

Nous <strong>de</strong>vons rester soudés pour poursuivre nos actions sur<br />

ce territoire.<br />

Notre métier d’agriculteur en vaut un autre, et <strong>de</strong> plus nous<br />

sommes indispensab<strong>les</strong> à <strong>la</strong> société.<br />

Et puis, ce qui n’est pas fait aujourd'hui, le sera <strong>de</strong>main !<br />

Ce fut Catherine qui <strong>la</strong> première réagit à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

lettre <strong>de</strong> Valérie, et ouvrit <strong>les</strong> débats.<br />

Catherine: Ce<strong>la</strong> me donne envie <strong>de</strong> raconter notre vie<br />

d'agriculteur, et <strong>de</strong> décrire toutes <strong>les</strong> facettes <strong>de</strong> ce métier,<br />

sûrement l'un <strong>de</strong>s plus anciens qui existent.<br />

Joseph : Oui, décrire notre vie, au quotidien, d’agricultrices<br />

ou d'agriculteurs.<br />

C<strong>la</strong>ire : J'ajouterai <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle, il y a dix-sept<br />

ans, Nico<strong>la</strong>s, et moi, avons fait le choix <strong>de</strong> nous installer à <strong>la</strong><br />

campagne, en Bretagne intérieure et <strong>de</strong> reprendre <strong>la</strong> ferme<br />

familiale plutôt que <strong>de</strong> rester sa<strong>la</strong>riés dans <strong>de</strong>s postes<br />

confortab<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s vies citadines.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Je voudrais dire, aussi, <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> mon métier,<br />

moi qui m'occupe d'animaux, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>pins.<br />

Catherine : Même si le métier d'agriculteur a évolué avec le<br />

temps et <strong>la</strong> technologie, nous conservons ce contact avec <strong>la</strong><br />

nature et <strong>les</strong> animaux. Notre vie et notre travail restent<br />

111


toujours liés au rythme <strong>de</strong>s saisons.<br />

Valérie : Je voudrais pouvoir continuer à avoir du p<strong>la</strong>isir<br />

dans <strong>la</strong> poursuite notre métier qui nous donne tant <strong>de</strong><br />

bonheur parfois, cultiver nos produits, être en plein air,<br />

regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> nature se développer à chaque saison qui passe.<br />

Catherine : C'est ce sentiment que je voudrais partager<br />

avec tous, contempler <strong>la</strong> nature s'éveiller au printemps,<br />

regar<strong>de</strong>r le blé murir, élever <strong>les</strong> animaux en <strong>les</strong> respectant.<br />

Joseph : Et cette année, tout nous incite à mettre <strong>de</strong>s mots<br />

sur ce que l'on voit, ce que l'on sent, ce que l'on ressent, ce<br />

que l'on entend, ce que l'on touche. Au moment où nous<br />

commençons à écrire nos premières phrases, <strong>la</strong> nature<br />

nous offre le maximum <strong>de</strong> ce qu'elle peut donner. Je<br />

voudrais vous parler <strong>de</strong> l'explosion <strong>de</strong>s fleurs, <strong>de</strong> l'arrivée<br />

précoce <strong>de</strong>s hiron<strong>de</strong>l<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s travaux dans <strong>les</strong> champs<br />

ron<strong>de</strong>ment menés.<br />

C<strong>la</strong>ire : Je voudrais vous montrer aussi comment notre vie,<br />

notre métier, bien qu'accrochés sur <strong>la</strong> même <strong>terre</strong> <strong>de</strong>puis<br />

dix-sept ans, évoluent chaque jour et nous entraînent vers<br />

<strong>de</strong> nouveaux projets, nous font accomplir <strong>de</strong>s choses<br />

inhabituel<strong>les</strong> et nouvel<strong>les</strong> pour nous.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : C'est grâce à ce métier que je rencontre d'autres<br />

personnes, dans <strong>les</strong> réunions, <strong>les</strong> visites avec <strong>les</strong><br />

techniciens qui me permettent d'être toujours au courant<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières trouvail<strong>les</strong>, pour le bien <strong>de</strong> mes <strong>la</strong>pins.<br />

Valérie : Donnez-moi rien qu'un petit geste <strong>de</strong><br />

reconnaissance pour poursuivre l'idée que je m'étais faite<br />

<strong>de</strong> mon avenir et celui du mon<strong>de</strong> agricole.<br />

Catherine : Moi, je voudrais que ce métier reste une<br />

passion. Comme toute passion, il suscite <strong>de</strong>s réactions,<br />

parfois vives. Nous <strong>la</strong> vivons au quotidien, en famille, avec<br />

ses moments <strong>de</strong> bonheur et <strong>de</strong> désillusion.<br />

Valérie: Permettez-nous <strong>de</strong> nous épanouir à travailler nos<br />

<strong>terre</strong>s, trouver le juste milieu pour que tout le mon<strong>de</strong> soit<br />

satisfait <strong>de</strong> son sort.<br />

Joseph : A chacun, dans sa diversité.<br />

Pierre : Qu'est-ce que l'écriture a changé pour vous ?<br />

Valérie : Je dirais plutôt que l’écriture nous a fait grandir.<br />

Quelle belle et enrichissante aventure nous avons vécu<br />

<strong>de</strong>puis trois ans.<br />

Sans elle, nous n'aurions pas rencontré Pierre et Simone. Ils<br />

nous apportent <strong>de</strong> bons conseils par l'échange, l’écoute et<br />

leur vécu pour nous permettre d'avancer dans notre projet.<br />

Il ne faut pas oublier notre amitié qui se renforce à chaque<br />

rencontre, autour d'un bon repas préparé par Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>. Son<br />

civet <strong>de</strong> « <strong>la</strong>pin-petits pois-carottes » dont on ne se <strong>la</strong>sse<br />

pas. Sans oublier <strong>les</strong> <strong>de</strong>sserts <strong>de</strong> Jo et C<strong>la</strong>ire, <strong>les</strong> tartes aux<br />

noix, <strong>la</strong> sa<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> fruits. Des moments inoubliab<strong>les</strong>,<br />

appréciés <strong>de</strong> tous par <strong>les</strong> éc<strong>la</strong>ts <strong>de</strong> rire, surtout quand<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> re<strong>de</strong>ssine son tee-shirt <strong>de</strong> taches <strong>de</strong> gras. Ne<br />

croyez pas que Catherine et moi ne faisons rien. Et <strong>la</strong><br />

vaisselle, alors ! Chacun sa tâche.<br />

Professionnellement, l’écriture m'a offert d’observer, pour<br />

le coucher sur le papier, <strong>les</strong> changements du paysage, <strong>de</strong>s<br />

cultures, <strong>les</strong> vols <strong>de</strong>s oiseaux, d’analyser ce que je vis, ce<br />

que je ne faisais pas forcément auparavant.<br />

112


ma vie <strong>de</strong> famille, mon métier d’agricultrice, mes joies, mes<br />

colères. L’écriture, c’est l’occasion <strong>de</strong> se poser un instant,<br />

<strong>de</strong> revenir parfois sur le passé, l’analyser et prendre du<br />

recul, <strong>de</strong> trouver le sens <strong>de</strong> ce que l’on fait ici dans cette<br />

société où il faut être le meilleur, le plus rapi<strong>de</strong>, le plus<br />

performant, <strong>de</strong> faire travailler sa mémoire et son<br />

vocabu<strong>la</strong>ire aussi.<br />

C’est une expérience unique <strong>de</strong> nous plonger dans ce<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’écriture, <strong>de</strong> <strong>la</strong> photographie, <strong>de</strong> l’édition. Elle<br />

m’a permis <strong>de</strong> rencontrer d’autres personnes qui sont<br />

étrangères au milieu <strong>de</strong> l’agriculture et que je n’aurai<br />

probablement pas connues autrement<br />

Joseph : Avec notre équipe, Valérie, Catherine, C<strong>la</strong>ire,<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, mes complices, nous avons eu l'idée et <strong>la</strong> volonté<br />

d'écrire un temps <strong>de</strong> notre vie personnelle et<br />

professionnelle.<br />

L'écriture nous permet <strong>de</strong> noter et <strong>de</strong> mémoriser <strong>de</strong>s faits<br />

vécus par chacun <strong>de</strong> nous, pour faire comprendre pourquoi<br />

et comment nous exerçons notre métier. Ce<strong>la</strong> signifie, pour<br />

moi, <strong>de</strong> prendre du temps pour réfléchir, repenser ma vie,<br />

dégager le négatif et le positif. Cette écriture me stoppe<br />

dans mon é<strong>la</strong>n, comme si je ne pouvais le contrôler, je reste<br />

figé dans le vi<strong>de</strong>, perdu dans mes pensées. Je cherche <strong>de</strong>s<br />

mots pour construire <strong>de</strong>s phrases cohérentes.<br />

Catherine : Les paro<strong>les</strong> passent, <strong>les</strong> écrits restent.<br />

C’est toujours avec le même p<strong>la</strong>isir que je retrouve toute<br />

l’équipe à chaque ren<strong>de</strong>z-vous.<br />

Jamais, je n’aurais pensé qu'un jour je jetterai sur le papier<br />

Notre projet <strong>de</strong> <strong>livre</strong> suscite <strong>la</strong> curiosité et l’étonnement <strong>de</strong><br />

notre entourage tant c’est une expérience plutôt marginale<br />

dans le milieu agricole. La nécessité d’observer pour écrire<br />

m’a fait prendre conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> quantité d’images et <strong>de</strong><br />

mots que j’enregistre inconsciemment.<br />

Je n’ai jamais caché que j’exerçais ce métier d’agriculteur,<br />

en dépit <strong>de</strong>s clichés qui persistent.<br />

Yo<strong>la</strong>n<strong>de</strong> : Trois ans plus tard, c'est toujours avec beaucoup<br />

<strong>de</strong> difficultés que je trouve <strong>les</strong> mots pour construire un<br />

texte. C'est d'ailleurs pour cette raison que je me suis jetée<br />

dans cette aventure en coopération avec d'autres<br />

agriculteurs.<br />

Prendre un peu <strong>de</strong> temps pour soi, se concentrer sur un<br />

thème, ce n'est pas tous <strong>les</strong> jours que l'on peut s'offrir cette<br />

pause. Dans ma profession, ce qui me p<strong>la</strong>it le plus c'est <strong>la</strong><br />

remise en question, ne pas avoir un travail répétitif,<br />

apprendre, toujours apprendre par <strong>de</strong>s formations<br />

organisées par <strong>la</strong> Chambre d'agriculture ou par le service<br />

113


technique et <strong>les</strong> rencontres avec d'autres collègues.<br />

L'atelier d'écriture m'a fait connaitre d'autres personnes,<br />

m’a ouverte à d'autres productions et découvrir <strong>les</strong><br />

professions du <strong>livre</strong>.<br />

Pierre : Toi aussi C<strong>la</strong>ire, tu avais besoin <strong>de</strong> l'écrire pour le<br />

dire ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Justement, au moment d’une énième crise agricole<br />

avec son cortège <strong>de</strong> doute, <strong>de</strong> mal-être, nous nous sommes<br />

dits, sans trop savoir où ce<strong>la</strong> al<strong>la</strong>it nous mener, qu’il fal<strong>la</strong>it,<br />

au lieu <strong>de</strong> perdre notre énergie à crier sans être entendu,<br />

<strong>de</strong> nous débattre dans le vi<strong>de</strong>, faire quelque chose, se poser,<br />

pour prendre le temps <strong>de</strong> faire le point.<br />

J’avais l’envie <strong>de</strong> ne plus <strong>la</strong>isser <strong>les</strong> autres parler à ma<br />

p<strong>la</strong>ce et d’exprimer ma façon <strong>de</strong> vivre, d’agir, mon énergie<br />

et mes changements d’humeur, mes contradictions et mes<br />

convictions, mes erreurs, mes emballements, mes projets,<br />

mes rêves, et aussi <strong>les</strong> déceptions, <strong>les</strong> recommencements,<br />

<strong>les</strong> rages, <strong>les</strong> réussites, <strong>les</strong> réalisations, ma vie, en somme.<br />

Et au fur et à mesure, en vivant cet atelier, j’ai réalisé que<br />

l’écriture en groupe nous apporte beaucoup humainement,<br />

<strong>la</strong> richesse d’un projet collectif, le soutien et <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s<br />

amitiés, <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> confiance en soi.<br />

Je me doutais <strong>de</strong> ce côté bénéfique, mais j’ai découvert que<br />

l’écriture à plusieurs mains, n’est pas <strong>la</strong> simple addition<br />

d’écritures solitaires. Les mots <strong>de</strong> l’un tempèrent ceux <strong>de</strong><br />

l’autre, amènent du recul, <strong>de</strong> <strong>la</strong> distance, ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> légèreté,<br />

un autre éc<strong>la</strong>irage, ou inversement, apportent <strong>de</strong> <strong>la</strong> force,<br />

<strong>de</strong> l’énergie, ou plus <strong>de</strong> convictions.<br />

En écoutant lire le texte produit par un autre membre du<br />

groupe, je m’étonne <strong>de</strong> ne pas avoir eu <strong>la</strong> même perception<br />

et ça m’ouvre <strong>les</strong> yeux. Quand j’apprécie un propos, je me<br />

dis que j’aurais bien aimé le dire <strong>de</strong> cette façon.<br />

Et, pour couronner le tout, <strong>de</strong> l’envie <strong>de</strong> se poser pour<br />

écrire, nous est venue l’idée d’en faire un vrai <strong>livre</strong>, petit à<br />

petit l’idée a germé d’en faire un beau <strong>livre</strong>. Qui dit beau<br />

<strong>livre</strong>, dit bel<strong>les</strong> photos, nous voilà embarqués dans <strong>les</strong><br />

appels d’offres et le choix du photographe.<br />

C’est important, ce temps que l’on s’accor<strong>de</strong> et où l’on<br />

cherche nos accords.<br />

À présent, on parle d’exposition itinérante et pourquoi pas<br />

d’une pièce <strong>de</strong> théâtre. Chaque chose en son temps, <strong>les</strong><br />

choses et <strong>les</strong> projets viendront à mesure, mais quelle joie<br />

<strong>de</strong> pouvoir se projeter en avant, d’imaginer <strong>de</strong>s choses<br />

impensab<strong>les</strong>, inaccessib<strong>les</strong>, inimaginab<strong>les</strong> il y a <strong>de</strong>ux ans.<br />

En voilà une belle sortie <strong>de</strong>s « sab<strong>les</strong> mouvants », un beau<br />

coup <strong>de</strong> talon dans le fond.<br />

L’aventure n’est pas terminée, il y a encore du travail.<br />

Le besoin <strong>de</strong> reconnaissance<br />

Pierre : Qu’avez-vous envie d’ajouter pour changer l’image<br />

qui vous colle à <strong>la</strong> peau ?<br />

C<strong>la</strong>ire : Ce qui nous a réunis en atelier d’écriture, c’est que<br />

nous sommes agriculteurs. Nous ne sommes pas si<br />

différents <strong>de</strong>s autres catégories <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, à<br />

l’exception <strong>de</strong> ce qu’on ressent comme essentiel, voire<br />

d’universel. Comme tous <strong>les</strong> premiers cultivateurs qui ont<br />

défrichés et colonisés <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> <strong>terre</strong>s en se<br />

sé<strong>de</strong>ntarisant, en abandonnant <strong>la</strong> vie noma<strong>de</strong>, nous avons<br />

choisi un pays, une <strong>terre</strong> et nous nous y sommes installés,<br />

pour <strong>de</strong> bon et souvent pour <strong>la</strong> vie.<br />

114


Nous regardons <strong>les</strong> maisons d’à-côté se construire, se<br />

remplir, se vi<strong>de</strong>r, <strong>les</strong> voisins qui emménagent, vous invitent<br />

à l’apéritif et puis qui s’en vont.<br />

Les paysans constituent <strong>la</strong> base, le socle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie rurale<br />

parce que nous sommes là, toujours là, jour et nuit, 24 h sur<br />

24 h, toujours prêts, toujours disponib<strong>les</strong>, toujours (ou<br />

presque) au travail, pendant que <strong>les</strong> autres arrivent,<br />

repartent, ou changent <strong>de</strong> métier.<br />

m’interrogeais sur le sens <strong>de</strong> ma vie <strong>de</strong> couple<br />

d'agriculteurs. Tout d'abord, nous <strong>de</strong>vons avancer dans le<br />

même sens, ce qui implique que chacun doit faire <strong>de</strong>s<br />

efforts pour accepter <strong>les</strong> idées <strong>de</strong> l'autre. Être agriculteur,<br />

c'est vivre au rythme <strong>de</strong>s saisons, ne pas compter ses<br />

heures, subir <strong>les</strong> aléas climatiques et conjoncturels mais <strong>la</strong><br />

finalité reste toujours <strong>la</strong> même, nourrir l'humanité.<br />

Pourtant, c'est ce qui semble être oublié à l'heure actuelle.<br />

Nous avons un rôle essentiel, vital, à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong> produire <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nourriture en faisant partie intégrante du paysage et en<br />

l’entretenant, et, en même temps d'être p<strong>la</strong>nté là comme<br />

mémoire ou repère d’une certaine vie sociale.<br />

Notre présence, en nombre suffisant et bien réparti, serait<br />

comme le garant d’un certain équilibre du pays.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> court, zappe, défait, refait, veut tout, tout <strong>de</strong><br />

suite et pour rien, achète et jette. Nous essayons aussi <strong>de</strong><br />

suivre, <strong>de</strong> nous aligner, d’être compétitif, <strong>de</strong> répondre aux<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s incohérentes et aux injonctions contradictoires<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> société, à ce<strong>la</strong> près que nous, nous sommes ancrés<br />

dans <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. Nous ne pouvons pas fuir et prenons le contre<br />

coup en pleine face.<br />

Catherine : J’ai également le sentiment d'assurer <strong>la</strong><br />

continuité et <strong>de</strong> faire perdurer ce que nos aïeux nous ont<br />

transmis, <strong>de</strong>puis plusieurs générations. Bien que <strong>les</strong><br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production soient aujourd'hui fortement<br />

contestées, il reste un <strong>de</strong>s plus anciens métiers du mon<strong>de</strong>.<br />

J’apporte ma pierre à l'édifice et je transmets à mon tour à<br />

mes enfants <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong> et <strong>de</strong> notre métier.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux ans, quand nous avons commencé à écrire je<br />

Je suis issue d'une famille d'agriculteurs, parents et grandsparents<br />

paternels, et j'ai gardé cette attirance pour <strong>la</strong><br />

nature et <strong>la</strong> campagne, besoin d'espaces et <strong>de</strong> contacts avec<br />

<strong>les</strong> animaux. J’ai été 13 ans fonctionnaire, administratif<br />

dans <strong>de</strong>s services techniques agrico<strong>les</strong> (ou alimentaires) et<br />

à chaque fois mon intérêt se portait plus sur le technique<br />

115


que sur l'administratif. Actuellement, je suis plutôt<br />

satisfaite <strong>de</strong> ma situation professionnelle et familiale et<br />

j'espère continuer ainsi. Dans l'avenir, j'espère être<br />

toujours agricultrice et pouvoir ai<strong>de</strong>r mes enfants à trouver<br />

leur voie.<br />

Le métier d'agriculteur est une profession <strong>de</strong> plus en plus<br />

mise en accusation par <strong>les</strong> médias en ce qui concerne <strong>les</strong><br />

problèmes <strong>de</strong> pollution. Or toute activité humaine pollue et<br />

n'est pas forcément autant médiatisée. Ceux qui nous<br />

accusent <strong>de</strong> détruire <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>vraient reconnaître que<br />

nous entretenons aussi le paysage et ce qui n’est pas mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce.<br />

week-end, font du shopping, prennent un peu <strong>de</strong> vacances,<br />

surfent sur inter<strong>net</strong> etc.<br />

Je suis sou<strong>la</strong>gée <strong>de</strong> voir que mes enfants n’ont pas honte <strong>de</strong><br />

notre métier.<br />

C<strong>la</strong>ire : Je crois que c'est plus par ignorance que <strong>les</strong> gens ne<br />

nous acceptent pas tels que nous sommes.<br />

Aujourd’hui, justement, un peu d’humour et <strong>de</strong><br />

grincements <strong>de</strong> <strong>de</strong>nts. <strong>Un</strong> florilège <strong>de</strong>s réflexions <strong>les</strong> plus<br />

surprenantes ou déconcertantes <strong>de</strong> mes vacanciers :<br />

Je ne regrette pas mes choix, même si parfois je me dis que<br />

j'aurais pu faire mieux. Je fais un beau métier et je ne me<br />

<strong>la</strong>sse pas <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r mes vaches profiter <strong>de</strong>s premiers<br />

rayons <strong>de</strong> soleil, allongées dans l'herbe verte. Je suis<br />

toujours fière <strong>de</strong> ce que je fais, mais parfois aussi<br />

désemparée <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> yeux écarquillés <strong>de</strong> personnes qui<br />

s'étonnent <strong>de</strong> mon activité professionnelle. Aujourd'hui,<br />

<strong>les</strong> agriculteurs sont comme tout le mon<strong>de</strong>. Ils sortent le<br />

« Alors comme ça, vous faîtes chambres d’hôtes ?<br />

- Oui, ça fait 8 ans, et ça me p<strong>la</strong>it, ça marche bien et quasiment toute l’année…<br />

- Et sinon, vous faites quoi comme métier ?<br />

- Pardon ? (mais c’est mon métier !)<br />

C’est confortable chez vous et bien aménagé, on voit bien que vous êtes une femme sensée et cultivée.<br />

- Oui, merci du compliment.<br />

- Mais je ne comprendrai jamais comment une femme, intelligente comme vous, a épousé un paysan ! Non, je comprendrai<br />

jamais qu’est-ce qui vous a pris ?<br />

La sincérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> dame me stupéfie et me fait encore rire aujourd’hui.<br />

116


Ça doit être bien <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s chambres d’hôtes, discuter, rencontrer <strong>de</strong>s gens…<br />

- Oui, mon métier me p<strong>la</strong>it, chaque client est différent.<br />

- En fait, c’est comme si vous étiez tout le temps en vacances.<br />

- En fait non… Devant vous, je suis calme et sereine mais dès que vous partez vous promener, je vis à cent à l’heure.<br />

Alors, comme ça, vous êtes agriculteurs ?<br />

- Je m’occupe <strong>de</strong>s chambres d’hôtes à <strong>la</strong> ferme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, <strong>de</strong>s enfants, et quelques responsabilités associatives et mon<br />

mari s’occupe <strong>de</strong>s 103 ha <strong>de</strong> <strong>terre</strong>, il a aussi quelques responsabilités dans <strong>la</strong> filière agricole. Nous sommes également<br />

producteurs d’énergie photovoltaïque.<br />

- Mais vous n’avez pas d’animaux. Humm, vous avez moins <strong>de</strong> contraintes, ça n’a rien à voir, <strong>les</strong> animaux, c’est l’esc<strong>la</strong>vage,<br />

j’en connais, moi, je peux vous le dire.<br />

- Et bien, moi aussi, j’en connais et je compatis d’ailleurs, sans doute plus que vous, mais j’aimerais que vous voyiez <strong>la</strong><br />

tête <strong>de</strong> mon mari si vous lui disiez qu’il a moins <strong>de</strong> contraintes. Il est rentré <strong>de</strong> <strong>la</strong> moisson hier soir à 1h du matin et s’est<br />

relevé à 6h, pour dép<strong>la</strong>cer l’enrouleur pour arroser ses navets. Il y a toujours quelque chose à faire dans une ferme,<br />

animaux ou pas. Bon, je vous <strong>la</strong>isse aller vous promener, profitez bien <strong>de</strong> vos vacances !<br />

Eh bien, chère madame, c'est tout à fait divin chez vous, <strong>de</strong> si charmantes chambres dans une ferme, nous ne nous y<br />

attendions vraiment pas. Vos chambres sont aménagées avec goût. Vous vous êtes fait ai<strong>de</strong>r par un décorateur ?<br />

- Ben, non. C'est moi qui ai fait tous <strong>les</strong> p<strong>la</strong>ns et <strong>la</strong> décoration.<br />

- Ah, on n’aurait pas dit, vous avez <strong>de</strong>s talents cachés.<br />

- Pardon ?<br />

- Oh, un piano, et vous êtes mélomane en plus ?<br />

- Eh bien oui, pourquoi pas ?<br />

- Et puis tous ces <strong>livre</strong>s dans <strong>la</strong> bibliothèque. C'est surprenant. Vous <strong>les</strong> avez lus ?<br />

117


- Oh, non, vous savez, nous, agriculteurs, on ne sait pas lire, ils sont juste là pour faire joli. Non je rigole ! Ah, vous m'aviez<br />

cru ?<br />

Il m’arrive effectivement parfois <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer quelques<br />

bouta<strong>de</strong>s pince-sans-rire <strong>de</strong> ce genre quand certaines<br />

personnes restent sur leurs préjugés, juste comme ça, pour<br />

essayer <strong>de</strong> <strong>les</strong> bousculer. Ça passe ou ça casse, et quand ça<br />

passe, c’est mieux après.<br />

Heureusement, il y a tous <strong>les</strong> curieux, ouverts, attentifs qui<br />

viennent <strong>de</strong> Bretagne, <strong>de</strong> France ou d’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s océans,<br />

qui écoutent, posent <strong>de</strong>s questions, s’expriment librement.<br />

Ceux à qui je prête une oreille neutre pour échanger,<br />

comprendre, se rencontrer, se confier, rire. Parce que<br />

certains clichés ont <strong>la</strong> vie dure, ma mission est <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire<br />

tomber, un à un, et <strong>de</strong> passer à autre chose, à <strong>de</strong> vraies<br />

rencontres humaines.<br />

<strong>Un</strong> petit clin d’œil à <strong>la</strong> famille Cermakova <strong>de</strong> Prague qui a<br />

illuminé une soirée <strong>de</strong> juillet 2010, un beau ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vie.<br />

Je veux aussi, vraiment, vous faire partager nos<br />

engagements pour un mon<strong>de</strong> rural vivant, vivable, actif, nos<br />

implications loca<strong>les</strong> ou régiona<strong>les</strong> pour que l’on ne nous<br />

oublie pas et que l’on ne se retrouve pas, un jour, nous ou<br />

nos enfants, sans l’avoir choisi, entassés aux abords d’une<br />

mégapole, déracinés. Ma motivation <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong> est<br />

finalement <strong>de</strong> dire que pour tout un ensemble <strong>de</strong> raisons, je<br />

suis farouchement opposée à l’exo<strong>de</strong> rural. J’y pense<br />

souvent, et quand je regar<strong>de</strong> <strong>les</strong> faits ou <strong>les</strong> actes ou choix<br />

semés <strong>de</strong>rrière moi <strong>de</strong>puis toutes ces années, ce<strong>la</strong><br />

ressemble à mon fil rouge.<br />

118


J’ai fait le choix très conscient d’une orientation<br />

professionnelle proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>terre</strong>. J’ai refusé l’exo<strong>de</strong> et<br />

plusieurs offres d’emploi sur Paris en début <strong>de</strong> carrière. Je<br />

me suis bien épanouie dans une gran<strong>de</strong> coopérative<br />

bretonne, aux outils agro-industriels très performants. Puis<br />

Nico<strong>la</strong>s et moi, avons décidés, en 1992, <strong>de</strong> revenir sur<br />

l’exploitation familiale, dans une petite commune du centre<br />

Bretagne à une pério<strong>de</strong> où sa démographie al<strong>la</strong>it en<br />

diminuant. Je me suis battue en créant une association qui<br />

s’appe<strong>la</strong>it « Cantons Toniques » sur <strong>les</strong> cantons <strong>de</strong><br />

Guémené-Cléguérec pour proposer <strong>de</strong>s activités, <strong>de</strong>s loisirs,<br />

<strong>de</strong>s lieux d’échanges et <strong>de</strong> convivialité pour <strong>les</strong> jeunes<br />

enfants et <strong>les</strong> famil<strong>les</strong>. Ce<strong>la</strong> a été une réussite à l’époque et<br />

je suis persuadée que ce genre d’initiative a permis à <strong>de</strong>s<br />

enfants et habitants <strong>de</strong> revaloriser l’image qu’ils avaient <strong>de</strong><br />

leur lieu <strong>de</strong> vie.<br />

Je me suis démenée aussi pour monter mon projet<br />

chambres d’hôtes à Cléguérec, et dépensé <strong>de</strong> l’énergie pour<br />

expliquer qu’il n’y avait pas plus qu’ailleurs <strong>de</strong> raisons que<br />

ça ne marche pas. In<strong>la</strong>ssablement, avec beaucoup d’énergie,<br />

parfois avec ma<strong>la</strong>dresse, je participe aux différents réseaux<br />

locaux agrico<strong>les</strong> ou touristiques, afin d’y apporter mon<br />

point <strong>de</strong> vue et contribuer à faire avancer <strong>de</strong>s projets qui<br />

apportent une plus-value au territoire en créant du lien, <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cohésion.<br />

J’essaie d’avoir une ligne <strong>de</strong> conduite pour mes<br />

partenariats et mes achats locaux, même si ce n’est pas<br />

parfait, et d’en assurer <strong>la</strong> promotion auprès <strong>de</strong> mes hôtes.<br />

Ce tourisme durable met en valeur <strong>les</strong> commerçants,<br />

artisans, prestataires <strong>de</strong> service, producteurs qui sont<br />

installés autour <strong>de</strong> moi, qui vivent et commercent<br />

ensemble. J’ai un principe, ce que je gagne, grâce aux<br />

touristes que j’accueille, je le dépense intégralement sur<br />

p<strong>la</strong>ce. J’aime commercer avec <strong>les</strong> personnes qui<br />

m’appellent par mon nom et que je peux aussi appeler par<br />

le leur, et quand c’est le prénom et qu’on p<strong>la</strong>isante, c’est<br />

encore mieux !<br />

Catherine. A mes voisins néo-ruraux, je voudrais dire :<br />

Le 30 septembre 2011, voici ce que je lis dans <strong>la</strong> revue La<br />

France Agricole :<br />

« Depuis six ans, le ministère <strong>de</strong> l'Agriculture et <strong>de</strong><br />

l'Alimentation comman<strong>de</strong> chaque année au Credoc (Centre<br />

<strong>de</strong> recherche pour l'étu<strong>de</strong> et l'observation <strong>de</strong>s conditions<br />

<strong>de</strong> vie) une étu<strong>de</strong> approfondie sur <strong>les</strong> habitu<strong>de</strong>s<br />

alimentaires <strong>de</strong>s Français, leurs perceptions <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité<br />

alimentaire et <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique menée en <strong>la</strong> matière.<br />

Selon cette enquête menée en juin 2011 et qui vient d'être<br />

publiée, <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l'alimentation dans le budget <strong>de</strong>s<br />

Français ne cesse <strong>de</strong> diminuer. »<br />

Au détriment <strong>de</strong> qui se fait cette baisse <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong><br />

l’alimentation ? Nous, éleveurs engraisseurs <strong>de</strong> porcs Label<br />

Rouge (donc un critère <strong>de</strong> qualité) ne dégageons aucun<br />

bénéfice <strong>de</strong> notre activité. De <strong>la</strong> naissance du petit cochon<br />

jusqu’à sa commercialisation sous forme <strong>de</strong> charcuterie, à<br />

chaque étape <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne, tout le mon<strong>de</strong> se voit verser une<br />

rémunération (pas toujours extraordinaire, j’en conviens)<br />

sauf nous.<br />

Combien <strong>de</strong> temps ce système qui commence à s’ébranler,<br />

va-t-il tenir ?<br />

Sachez que <strong>les</strong> agriculteurs ne font que répondre aux<br />

attentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> société, alors pourquoi toujours vouloir nous<br />

tenir <strong>la</strong> tête sous l’eau, être toujours sur le banc <strong>de</strong>s accusés<br />

dès que survient un désastre écologique ? Les algues vertes<br />

ne sont-el<strong>les</strong> pas aussi l’affaire <strong>de</strong> toute notre société <strong>de</strong><br />

119


consommation ?<br />

Il nous faut communiquer sur notre façon <strong>de</strong> travailler.<br />

Ainsi est née <strong>la</strong> charte « Bien vivre ensemble à Kergrist ».<br />

J’encourage <strong>les</strong> gens à venir dans nos exploitations, <strong>les</strong><br />

portes vous sont gran<strong>de</strong>s ouvertes, on gagne toujours à se<br />

rencontrer.<br />

Je voudrais également dire à tous ceux qui achètent <strong>de</strong>s<br />

produits issus du commerce équitable, <strong>de</strong> commencer à<br />

être équitab<strong>les</strong> avec le paysan qui est leur voisin.<br />

A vous qui regrettez l’agriculture <strong>de</strong> grand papa et <strong>les</strong><br />

produits qui avaient du goût : mangez <strong>de</strong>s fruits et légumes<br />

<strong>de</strong> saison, récoltés à maturité et ne consommez pas <strong>de</strong><br />

tomates et courgettes en hiver.<br />

Conclusion <strong>de</strong> l’aventure<br />

Pierre : Il va bientôt être temps <strong>de</strong> conclure. Pour une<br />

démarche commencée voici trois ans, sans savoir si nous<br />

irions jusqu'au bout, quelle aventure !<br />

C<strong>la</strong>ire : Trois ans, en effet, que nous avons démarré cet<br />

atelier d’écriture, et nous sommes toujours là !<br />

Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est qu’il resterait encore à<br />

dire ?<br />

Des avancées dans notre réflexion sur <strong>la</strong> vie tout court, <strong>de</strong>s<br />

prises <strong>de</strong> conscience, <strong>de</strong>s découvertes.<br />

En relisant mes écrits, j’ai pris conscience que j’oscille<br />

constamment entre le pessimisme, le désespoir face à notre<br />

avenir d’agriculteurs et l’envie folle, viscérale, vitale, <strong>de</strong><br />

réagir, <strong>de</strong> m’exprimer, <strong>de</strong> dire et d’avancer. Je le vois écrit<br />

noir sur b<strong>la</strong>nc, certains jours une formidable énergie ou<br />

une légèreté se dégage <strong>de</strong> mes textes, d’autres jours, c’est<br />

une rage désespérée. Face à moi, <strong>les</strong> autres membres du<br />

groupe ne voient pas <strong>les</strong> choses <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon,<br />

réussissent à cultiver l’optimisme sans se perdre dans <strong>de</strong>s<br />

colères sans fond. Chacun vit et raconte à sa manière et<br />

c’est tout l’intérêt <strong>de</strong> cette écriture croisée, alternance <strong>de</strong>s<br />

avis, <strong>de</strong>s humeurs, <strong>de</strong>s opinions, avec toujours le respect et<br />

le non-jugement <strong>de</strong> ce qu’exprime l’autre, comme ce<strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>vrait être dans <strong>la</strong> vie.<br />

Au bout du compte, me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que j’attends pour<br />

bousculer ma vie, me libérer <strong>de</strong> mes freins imaginaires.<br />

Être enfin en accord avec moi-même et faire ce que j’ai<br />

envie <strong>de</strong> faire.<br />

Le fait <strong>de</strong> se poser pour écrire conduit forcément à un<br />

moment à s’interroger sur sa vie.<br />

Comment rester soi-même, faire ses propres choix et <strong>les</strong><br />

mener à leur terme, ne pas se <strong>la</strong>isser alourdir ou freiner par<br />

le poids <strong>de</strong>s critiques ? Comment avancer, avec, en<br />

héritage, le regard <strong>de</strong> nos pères, l’obligation <strong>de</strong> réussir, le<br />

jugement et <strong>la</strong> culpabilisation ? Comment vais-je faire pour<br />

m’affranchir <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> et surtout pour ne pas le<br />

transmettre, le faire peser sur mes propres héritiers ?<br />

J’ai l’impression, peut-être à tort, que l’agriculteur est au<br />

centre <strong>de</strong> beaucoup d’enjeux vitaux pour l’avenir, qu’il est<br />

un acteur essentiel. Famine, exo<strong>de</strong> rural, alimentation, coût<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, énergies renouve<strong>la</strong>b<strong>les</strong>, déchets, paysages, qualité<br />

<strong>de</strong> l’eau, urbanisme, aménagement du territoire, qualité <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vie, lien social et développement local, relocalisations :<br />

notre métier est primordial. Nous en avons conscience et<br />

nous en sommes fiers, mais nous ne voulons pas que ce<strong>la</strong><br />

nous échappe, que <strong>les</strong> décisions, face à tous ces enjeux, se<br />

prennent sans nous, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> nous. Les solutions, tant<br />

au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bretagne qu’au niveau p<strong>la</strong>nétaire doivent se<br />

négocier, non pas dans <strong>la</strong> confrontation stérile, mais dans <strong>la</strong><br />

connaissance, le dialogue et <strong>les</strong> actions concrètes. Utopie ?<br />

120


Que verront nos lecteurs à travers nos mots et nos images ?<br />

Percevront-ils <strong>la</strong> formidable générosité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature,<br />

l’abondance <strong>de</strong>s récoltes, notre fierté face à <strong>la</strong> promesse<br />

d’une bonne saison, <strong>la</strong> richesse <strong>de</strong> nos sols, <strong>la</strong> brume qui se<br />

lève, <strong>les</strong> arbres qui nous entourent ?<br />

Entendront-ils <strong>les</strong> mouettes qui hurlent <strong>de</strong>rrière nos<br />

charrues, le ronronnement du tracteur qui revient à <strong>la</strong> nuit<br />

tombante, <strong>les</strong> pommiers qui craquent sous le poids <strong>de</strong>s<br />

fruits, le bruit <strong>de</strong>s bottes en caoutchouc enfoncées dans <strong>la</strong><br />

boue, le piétinement sourd du troupeau qui s’approche ?<br />

Ressentiront-ils l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie sur <strong>la</strong> <strong>terre</strong> fraîchement<br />

semée, <strong>la</strong> chaleur <strong>de</strong>s repas simplement partagés, <strong>la</strong><br />

b<strong>la</strong>ncheur du <strong>la</strong>it qui coule à flot, le formidable miracle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature et <strong>de</strong>s saisons qui fait qu’à partir d’un peu <strong>de</strong><br />

<strong>terre</strong>, <strong>de</strong> soleil, d’air et <strong>de</strong> minuscu<strong>les</strong> graines, nos champs<br />

regorgent <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntes nourricières ? Vont-ils palper un bref<br />

instant une parcelle <strong>de</strong> cette explosion <strong>de</strong> vie à l’état brut ?<br />

Et comprendront-ils que c’est tout ce<strong>la</strong>, et bien plus, que<br />

l’on a voulu partager dans cet atelier, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> nos<br />

rancœurs et <strong>de</strong> nos doutes ?<br />

Nous offrons à nos lecteurs notre enthousiasme, notre<br />

générosité, notre formidable énergie déployée au quotidien<br />

dans chacun <strong>de</strong> nos métiers d’agriculteurs, notre<br />

attachement viscéral à notre <strong>terre</strong>.<br />

Et p<strong>la</strong>ntée dans ma cuisine, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux pieds sur <strong>terre</strong>, tout en<br />

épluchant mes patates, je scrute l'horizon, magnifique.<br />

121


Remerciements :<br />

Écriture :<br />

Marie-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> JUHEL<br />

Sophie BEAUSIRE<br />

Pierre et Simone BOURGES<br />

Soutien :<br />

Le GVA <strong>de</strong> Cléguérec<br />

Mi Tamm<br />

La Chambre d’agriculture <strong>de</strong> Pontivy<br />

La famille <strong>de</strong>s auteurs<br />

Soutien financier :<br />

Le Pays <strong>de</strong> Pontivy<br />

Le Conseil Général du Morbihan<br />

La Région Bretagne<br />

Lea<strong>de</strong>r<br />

122


4 ème <strong>de</strong> couverture<br />

Quatre agricultrices, un agriculteur. Qu’ont-ils vraiment en commun ? Ils partagent tous <strong>les</strong> cinq leur soif <strong>de</strong><br />

reconnaissance. Ils éprouvent un besoin impératif <strong>de</strong> s'exprimer, <strong>de</strong> ne pas <strong>la</strong>isser à d'autres le soin <strong>de</strong> dire à leur<br />

p<strong>la</strong>ce. Guidés par <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> partager, d'exercer eux-mêmes leur droit d'expression et <strong>de</strong> réponse, ils montrent<br />

un esprit <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> ouverture et une réelle liberté <strong>de</strong> parole.<br />

Ils revendiquent leur diversité mais portent ensemble, dans un même enthousiasme, ce projet d’écriture.<br />

Au fil <strong>de</strong>s trois années <strong>de</strong> rédaction, ils nous offrent d’aller à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> leur univers. <strong>Un</strong> témoignage sur<br />

l’amour <strong>de</strong> leur métier qui ne <strong>la</strong>isse pas indifférent et change le regard porté sur l’agriculture.<br />

123

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