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LES MOTS DE LA TERRE
Paroles d’agriculteurs
en pays de Pontivy
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LES MOTS DE LA TERRE
Paroles d’agriculteurs
en pays de Pontivy
Les textes de :
Claire Raflé
Catherine Le Clezio
Joseph Garin
Yolande Guégan
Valérie Le Ruyet
L’auteur pour Liv’éditions
Martine Rouellé
Les photos de :
Laurent Gueneau
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Sommaire
LE LIEU DE VIE ......................................................................................................9
La maison .............................................................................................................9
La famille........................................................................................................... 19
Le quotidien ..................................................................................................... 23
Les vacances .................................................................................................... 44
La succession .................................................................................................. 50
LES RELATIONS EXTERIEURES ................................................................. 58
Le village ........................................................................................................... 58
La terre et les animaux ............................................................................... 68
Le temps ............................................................................................................ 77
LE GVA (Groupement de Vulgarisation de l’Agriculture) .......... 80
CHANGER LE REGARD .................................................................................... 92
Produire pour nourrir ................................................................................ 92
L’écriture ........................................................................................................ 108
Le besoin de reconnaissance ................................................................ 114
Conclusion de l’aventure ........................................................................ 120
Remerciements : ............................................................................................. 122
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En septembre 2008, lors du conseil d’administration du
Groupement de Vulgarisation Agricole, Valérie, Claire, Catherine,
Yolande et Jo, agriculteurs de la région de Pontivy, s’interrogent
sur la représentation que se fait le monde extérieur de leur
métier.
« Les gens sont-ils conscients de ce qui se passe dans notre
profession, questionnait Joseph :
Comment nous faire entendre ? demandait Catherine.
Il faudrait l’écrire », pensait tout haut Valérie.
La conseillère, Marie-Claude, propose alors de mettre par écrit le
ressenti de chacun. Si tous adhèrent à l’idée, la mise en pratique
se trouve confrontée à une première difficulté. L’époque des
rédactions faites à l’école est bien lointaine, mettre sa pensée en
mots sur le papier se révèle plus complexe que d’échanger par la
parole. Comment fixer son idée, l’organiser, la rendre
compréhensible ? Comment faire passer les émotions,
transmettre les images ?
Deux mois plus tard, un premier contact est établi entre les
agriculteurs et les animateurs d’un atelier d’écriture, Pierre et
Simone.
« Témoins de compréhension et d'ajustement, nous nous sommes
efforcés de rendre cohérent ce que chacun des cinq intervenants
avaient à exprimer. Cette présence, tout au long des trois années
d'écriture, aussi discrète que possible, n'a pas été neutre, malgré
notre souci d'objectivité. Les échos renvoyés aux uns et aux autres,
ou suscités entre les uns et les autres, à chaque séance, ont modifié
les trajectoires de pensée des « écrivants », comme des nôtres. La
liberté entre nous et le respect réciproque ont été suffisamment
grands pour nous permettre d'aboutir à ce texte collectif qui, le
plus souvent, prend la forme d'un colloque, au sens que la tradition
donne à ce terme : un entretien entre plusieurs personnes, dans la
diversité des points de vue ».
Trois années s’écoulent pendant lesquelles les cinq écrivains
amateurs expriment à la fois toutes les palettes de la vie de
paysan et toutes les couleurs de leurs humeurs. Ils témoignent
avec simplicité et spontanéité d’un métier dans lequel ils sont
entrés par tradition familiale ou par choix. Ils évoquent les
enfants qui grandissent dans leur univers professionnel et
s’investissent dans certains travaux. Prendront-ils la suite de
l’exploitation ?
Ils expliquent leur travail, les gestes répétitifs, le paysage qui
change en fonction des saisons, les animaux d’élevage ou
domestiques, les cultures.
Les relations de voisinage peuvent parfois se révéler
conflictuelles mais elles montrent également la solidarité entre
villageois, l’entraide lors des travaux agricoles, la participation
aux fêtes, les échanges et la communication sociale.
L’agriculteur ne compte ni ses jours de travail, ni son temps, ni le
sacrifice de ses loisirs. Il doit se plier à une réglementation de
plus en plus draconienne pour un gain toujours réduit. Pour ne
pas se sentir isolé et pour partager avec d’autres, les
associations, comme le GVA, permettent d’échanger sur des
sujets techniques ou sociaux, de rire, de pleurer aussi parfois.
Cette nécessaire soupape de sécurité se fait au sein d’un groupe
convivial, solidaire et heureux de se réunir.
Les hommes et les femmes qui travaillent dans l’agriculture ont
un but fondamental : nourrir la population. La passion de la terre
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et des animaux leur ont fait choisir ce métier. Or, il n’est pas
reconnu et subit des attaques de tous bords.
Les cinq auteurs souhaitent faire ressentir au lecteur
l’attachement à leur métier mais aussi leurs doutes, leurs
désarrois, voire leur rage.
« Nous ne parlons pas au nom d’une profession, ni au nom d’une
communauté, nous rendons simplement compte de notre vie de
paysans. Nous prenons la parole avec franchise pour témoigner
de nous-mêmes, paysans, ici et maintenant, sur notre petit bout
de terre de Bretagne.
Nous souhaitons affirmer ce que nous sommes, en tant que
personne et partager avec vous, un peu du chemin de notre vie.
Nous essayons d’apprivoiser les mots qui correspondent le
mieux à notre personnalité, avec sincérité ».
Au fil des pages, les écrits se font écho. Vous ferez la
connaissance de Yolande, partagerez sa vie au milieu de ses
lapins, et ses démêlés avec son ordinateur ou sa comptabilité.
Vous aurez peut-être la chance de goûter à son civet de lapin aux
petits pois tout en feuilletant l’album-photos de son voyage
d’études au Québec.
Vous arpenterez les champs avec Joseph, et muni de votre
binette, vous traquerez, comme lui, les repousses de rumex. Il
vous invitera à boire un café ou vous fera goûter sa limonade au
sureau. Il vous racontera ses aventures rocambolesques et vous
entrainera sous son hangar voir sa dernière invention pour
presser la graine de chanvre.
Vous irez chercher les vaches au champ avec Catherine, soigner
ses cochons tout l’écoutant vous expliquer le cours du porc
breton. Ses fils, férus de matériel, ne manqueront pas de vous
embaucher pour une corvée d’ensilage virtuel sous la table de la
cuisine avant de vous embarquer au vrai potager ramasser leur
production de radis.
Il vous faudra vous lever de bonne heure pour suivre Valérie à la
salle de traite et avoir le pied alerte pour courir après les
génisses. Elle vous parlera, avec les yeux qui brillent, de son
bonheur, ses filles et sa prochaine destination de vacances, à
moins que le prix du lait n’ait ce jour-là assombri sa journée.
Et puis, un soir, vous franchirez le seuil d’une vieille bâtisse et
serez accueilli par Claire, en chambre d’hôtes à la ferme. Vous
partagerez son univers, elle vous contera l’histoire de Grisette, la
mule qui ne voulait pas être apprivoisée. Et tout en épluchant les
pommes de terre pour le repas du midi, elle vous relatera des
anecdotes sur ses hôtes ou ses coups de colère mémorables.
Mais quelle que soit sa préoccupation du moment, sa potée sera
toujours aussi réconfortante.
Vous ne pourrez oublier tous ces moments précieux passés au
plus près de chacun de ces paysans. Puissent ces petites
étincelles de vie, lancées comme autant de graines, comme sont
égrenés leurs mots, vous inviter à les accompagner dans leurs
gestes au quotidien, gestes précieux qui vous relient à eux, et
nous tous à la Terre.
Souhaitons que cette forme du dialogue sociétal puisse s'ouvrir audelà
de notre petit cercle et contribuer à une meilleure
compréhension des uns et des autres, au seuil d'un « vivre
ensemble » qui a besoin de se renouveler en ces temps de crise.
Simone et Pierre
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Pierre : L’agriculture remonte à plusieurs millénaires dans le
bassin de Pontivy. Des fouilles ont été réalisées dans le canton qui
confirment l'ancienneté de cette occupation du sol au Néolithique.
Joseph : Ces fouilles ont été faites, en août 2007, par un groupe
d'une douzaine de personnes : archéologues, dessinateurs,
étudiants, bénévoles. Grâce au mobilier lithique, ce site du
Dillien est répertorié avec celui de Bellevue en Neulliac, comme
datant du Néolithique ancien, soit 5000 ans avant J.C.
L'archéologue Grégoire Marchand, ayant obtenu un budget, s'est
mis en relation avec Gérard Tournay de Neulliac, passionné
d'archéologie et ayant déjà effectué des repérages sur ce site.
Avec l'accord du propriétaire du champ, des tranchées ont été
creusées afin de rechercher des traces.
Les hommes utilisaient des outils dont les fameuses haches
polies. Une bonne partie des agriculteurs du coin en possède au
moins une dans leur armoire. La position géographique
correspond à l’implantation des chasseurs-cueilleurs venus de
l’Europe de l’Est. L’endroit est stratégique car pour se
sédentariser les hommes avaient besoin d'un lieu hors d'eau, 6 à
7 mètres au-dessus d'un cours d'eau, ensoleillé et boisé. Ils
défrichent le territoire et pratiquent l’élevage.
Ces hommes sont donc les premiers agriculteurs du canton.
L'histoire ne nous dit pas s’ils étaient accueillants, comme tous
ceux qui sont venus apporter, lors des fouilles, des haches polies
pour qu'elles soient dessinées.
A partir de ce petit échantillon, le Groupement de Vulgarisation
de l’Agriculture a réalisé une exposition afin de présenter le
travail effectué lors des fouilles, montrer les haches polies, les
silex, et présenter ce qu'était le Néolithique. Cette exposition a
eu lieu tout l'été de 2008 dans une salle de la mairie de
Cléguérec.
Pierre : As-tu d'autres remarques qui aient un rapport avec votre
environnement ?
Joseph : Le Canal de Nantes à Brest a beaucoup compté dans le
passé récent de la région. C'est un cours d'eau artificiel décidé
par Napoléon et réalisé au début du XIX e siècle. Il passe à cinq
cent mètres à vol d'oiseau de ma maison. Je l'aperçois d'une de
mes parcelles agricoles.
De nombreuses revues lui ont été consacrées. Sans entrer dans
le détail, ce canal a été creusé à la main, en majorité par des
prisonniers venus d'Espagne. Il a été conçu pour la navigation de
marchandises faites par des péniches tirées avec des chevaux.
Pour alimenter ce canal en eau tout au long de son parcours, il a
fallu construire en parallèle, ce que l'on appelle des rigoles
d'alimentation, des biefs de partage. Ce sont de petits cours
d'eau dont le dénivelé entre le point de départ et le point
d'arrivée est très faible. Pour la partie du canal de Nantes à Brest
qui passe près de chez moi, la rigole démarre à Bosméléac dans
les Côtes-d'Armor, à une vingtaine de kilomètres.
Le cours d'eau, en revanche, avec son faible dénivelé, sillonne la
campagne costarmoricaine sur une distance bien plus longue. Le
fond du lit a été réalisé en argile sur une largeur d'un mètre en
eau. Il est bordé d’arbres, soit des hêtres, soit des chênes, comme
pour le canal.
Le canal proprement dit mesure dix mètres de large, il est bordé
par endroit d’étangs où sont aménagées des écluses, afin de
compenser la forte pente rencontrée sur son parcours. Ces
écluses, d'une longueur de quarante mètres et d'une largeur de
six mètres avec aux extrémités deux portes qui s’ouvrent et se
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ferment pour recevoir les bateaux sont toutes construites en
pierre de granite taillée.
Une seule péniche pouvait se présenter dans l'écluse ; les étangs
font office actuellement de zone d’évitement aux autres bateaux,
si plusieurs d'entre eux s’y présentent
Comme mentionné plus haut, les bords du canal sont aussi
plantés d'arbres. Des essences locales poussent en campagne
parfois, dans la traversée de la ville de Pontivy, on rencontre des
palmiers. La partie du canal près de chez moi a la particularité
d'avoir une série d'étangs et d'écluses, ce qui lui donne à l'heure
actuelle un charme propice à la marche et à la découverte.
Du fait de sa proximité, je m'y rends souvent à vélo, plutôt l'été
en fin journée pour regarder les bandes de gardons ou autres
poissons à la surface de l'eau.
L'automne est aussi un moment privilégié car la couleur des
feuilles de hêtre passe du vert à l’ocre doré. Si un jour d'automne
vous passez sur l'axe Pontivy-St-Caradec et que vous voyez la
pancarte : Canal de Nantes à Brest, arrêtez-vous et descendez
faire une marche en direction du pont de chemin de fer situé à
trois cents mètres de votre route, car cette partie encaissée est
naturellement boisée. En revenant sur vos pas, passez sous le
pont de la route où vous vous êtes arrêtés et prolongez jusqu'aux
écluses et étangs, afin de découvrir ce dénivelé permettant
d’admirer les prouesses faites par des mains d'hommes (et aussi
peut-être de femmes).
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LE LIEU DE VIE
La maison
Valérie : Alain s'est installé en 1992. Nous avons habité un
appartement au bourg de Cléguérec, pendant quatre années, ce
n'était pas très pratique pour le travail. Nous avons eu
l'opportunité de nous rapprocher dans le village. Mais au bout de
quelque temps, nous nous sommes dit : Pourquoi ne pas
construire ? Mais où ? N'ayant pas de terrain à proximité de
l'exploitation, comment faire ? C'est une conseillère de la
chambre d'Agriculture qui nous a ouvert les yeux en nous
rappelant que nous possédions un bois dans un coin du village,
bien centré entre les terres qu'Alain venait d'acquérir ces
années-là. Pourquoi ne pas tenter l’aventure ? Qui ne tente rien
n'a rien…
Au bout de plusieurs mois de démarches administratives, nous
avons obtenu le permis de construire. Le projet pouvait
commencer par le déboisement, afin d’obtenir une clairière
assez lumineuse avec un bon ensoleillement. Nous sommes
situés en hauteur du village qui comprend une vingtaine de
maisons d'habitation, en plus de notre ancienne exploitation.
Nous savions ce que nous voulions : une maison simple et
fonctionnelle avec beaucoup de chaleur, autant humaine que
naturelle.
On y entre par le sous-sol, par commodité par rapport à
l'exploitation, avec une cuisine pour les chantiers d'ensilage et
une salle de bain pour qu’Alain évite de mettre de la poussière à
l'étage, lorsqu’il rentre des champs pendant les périodes sèches.
Ensuite, vient la pièce principale, à la fois salle, salon et cuisine
pour profiter d'être tous, tout le temps, ensemble. Une cheminée
centrale y est aménagée. Cette pièce est très lumineuse avec ses
deux baies vitrées et très chaleureuse grâce à ses couleurs
chaudes, jaune pale et saumon oranger. J'adore ces teintes, cela
me donne de l'énergie.
Vient ensuite l'étage, constitué de trois chambres. La chambre
princesse rose et violette d’Océane, puis la nôtre qui se trouve
côté sud. Quand le soleil traverse le carreau du velux, il chauffe
mon lit, ce qui donne envie d'y plonger. Enfin celle de Coralie,
vert pastel, rose et blanche, des tons frais et lumineux, comme
son sourire. Enfin, la salle de bain verte, couleur de l'espoir.
Aujourd'hui, alors que j'écris ces mots, je me dis : Quelle chance
nous avons d'avoir ce magnifique cadre de vie ! Du pied du lit,
parfois, on aperçoit les chevreuils paître sur la pelouse. Assise
sur ma chaise quand je lève la tête, j'aperçois les azalées qui vont
éclore, la couleur des arbres qui change tous les jours, l'herbe
qui pousse. Je ne me lasse pas d’observer en mai, mon mois
préféré, tous les bouleversements de la nature.
Quel plaisir nous avons de vivre dans notre maison et
d'accueillir notre famille et nos amis l'été, sur la terrasse
embaumée par les rosiers ; l'automne, quand les feuilles
tombent ; l'hiver, quand les arbres sont recouverts de neige,
assis sur le bord de la cheminée, on se sent baignés d’une
atmosphère cordiale. Notre maison ne nous apporte que du
bonheur.
Claire : Notre maison n'est pas toute neuve, ses plus vieux murs
datent de 1664. Cette longère tout en granite, grande et massive,
avec une poutraison impressionnante, comporte deux étages et
un immense grenier, témoins d'un passé remontant sans doute
aux riches heures du commerce du lin. La grange adjacente, au
pilier de granite et aux stalles de schiste, abrite la cave à cidre de
1880. L'ancienne étable, accolée à l'arrière de la maison, a été
rajoutée dans l'entre-deux-guerres.
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Nous en avons hérité des parents et grands- parents de Nicolas,
en 1991, quand nous avons décidé de reprendre la ferme
familiale. Elle comprend aussi les hangars agricoles, le matériel,
et en prime toute l'histoire et le passé d'une maison et d'une
famille, héritage avec son lot de bonheur et aussi ses non-dits.
La ferme de Lintever, cette belle maison entourée d'un très joli
jardin, où s’épanouissent rhododendrons, camélias, châtaigniers,
nous l'avons d'abord aménagée pour nous, Nicolas et moi, pour y
fonder notre foyer, y faire naître nos petits : Marie en 1993,
Thomas en 1995 et Juliette en 1998. L'aménagement s'est donc
fait petit à petit et de petit en petit. Depuis 1991, il ne se passe
pas deux ans sans déménagements intérieurs et travaux ou
réaffectations de pièces. Je pense que notre chambre a dû
voyager dans toutes les pièces de la maison (sauf la cuisine).
À la naissance de Juliette, j'ai eu envie, et besoin, de prendre du
recul par rapport à ma vie professionnelle et me créer une
activité plus proche des miens et répondant à mes aspirations.
C'est ainsi qu'a germé tranquillement et de plus en plus
précisément, de la vague idée au plan métré, le projet de quatre
chambres d'hôtes que nous avons finalement inaugurées en
2003.
Que j'aime notre maison ! C'est une vraie maison solide, bien
plantée là, en haut d'une colline, à la campagne, de stature
rassurante, avec des murs épais de plus d’un mètre. Il y règne
souvent une bonne odeur de gâteaux. Il y a toujours un peu de
bazar, on y entend souvent de la musique ou une radio, des
livres traînent dans chaque pièce, des chiens se prélassent sous
nos pieds. Les enfants rient ou se chamaillent selon le temps.
Nicolas entre, sort et repart au champ, et moi je m'affaire entre
la cuisine et le reste de la maison. En hiver, un feu ronfle dans le
poêle à bois.
Dehors, devant la maison, on trouve toujours quelques fonds de
casseroles pour les oiseaux et les chats ; aux beaux jours des
restes de goûter ou décossage de petits pois sur la table de la
terrasse ; en automne des seaux de pommes et des potirons en
file d’attente pour les prochaines soupes et compotes. Et tout
autour, le jardin verdoyant et luxuriant que j'aime avec ce
mélange d'essences précieuses, de beaux arbres et d'herbes
folles qui croissent et s'entremêlent avec naturel et liberté pour
mon plus grand bonheur. Et enfin, une vue magnifique sur les
collines ou les champs cultivés et les prairies découpées en
damiers avec, à l'horizon, les buttes de la forêt de Quénécan.
Oui, j'aime ma vie, ma maison, mon jardin et mon pays. C'est un
peu tout cela que j'ai voulu partager en ouvrant les chambres
d'hôtes : ouvrir les portes d'une vraie maison, offrir aux hôtes la
chance d’y partager des moments privilégiés, dans un lieu qui a
un passé, un présent, un futur, bref qui vit.
Bien sûr, d'autres motivations se greffent : envie de créer sa
propre activité, être maître de son projet, travailler avec les gens
du coin, cuisiner et décorer, faire connaître son pays, gagner sa
vie. Mais toutes ces raisons ne valent rien sauf si, de temps en
temps, quand tous les astres sont bien alignés, nous avons la
chance de vivre en commun des moments uniques avec nos
hôtes. On ne gagne pas à tous les coups. Il y a des matins ou rien
de spécial ne se passe, c'est juste sympathique. Mais d’autres
matins, les touristes se détendent, laissent tomber leurs
masques. Je leur raconte des histoires et ils me racontent les
leurs. Les langues se délient et des rires fusent, et là, c'est la
magie qui opère : il y a des vibrations de bonheur qui sont
palpables. J'utilise souvent le mot communion parce que c'est ce
que l'on ressent et je suis très fière que ces moments de partage,
rares, précieux, inespérés, inattendus, inoubliables se passent
dans ma maison.
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Catherine : Ma maison ? C’est celle que mes beaux parents
ont construite en 1972, tout près de l’exploitation et dont
nous avons hérité en 1995, lorsque j’ai été mutée à Saint-
Brieuc, après trois années passées seule à Angers.
A mon retour en Bretagne, mes beaux parents se sont alors
installés naturellement dans leur maison neuve construite
dans le bourg de Kergrist.
Malgré les kilomètres qui séparaient mon domicile de mon
travail, j’ai choisi d’habiter au Botcol. Mais 11 ans plus tard,
ces 95 kms quotidiens ont fini par me lasser. Mon emploi
offrait peu de perspectives d’évolution de carrière, voilà
comment je suis là aujourd’hui à écrire ces quelques mots.
Quelques années ont été nécessaires pour que je
commence à me sentir chez moi. Dès le début, nous avons
entamé quelques travaux : casser les cloisons du couloir,
changer le carrelage, pour s’approprier notre nouveau
logement.
Une nouvelle famille s’est constituée, remplaçant celle
d’origine, la mienne, composée de Gwénaël et moi, Coline,
Maëlan et Romain et toujours au moins un chat !
En 2003, nous avons décidé d’agrandir la maison pour que
chacun puisse avoir sa chambre et son petit univers bien à
lui. Nous avons construit une véranda qui fait office de
salon, pièce toujours très fréquentée du fait de sa clarté, il y
fait toujours bon, dès le premier rayon de soleil.
La maison, c’est aussi l’endroit où chacun des membres de
la famille se sent en sécurité et se lâche. Par exemple, en
rentrant de l’école le (mauvais) réflexe est de balancer
cartable et manteau par terre comme si c’était enfin l’heure
et le lieu de la délivrance, sans doute faut-il y voir l’origine
de l’expression « fais comme chez toi ».
Joseph : J’ai hérité ma maison de mes parents, elle vient du
côté de mon père. Ses parents s’y sont installés en 1921,
venant des Côtes-d'Armor à une douzaine de kilomètres de
là. Mes grands-parents sont donc arrivés avec le cheval
trainant la charrette contenant leurs meubles, et déjà six
enfants. A l'époque, les fermes se vendaient à la saint
Michel, le 29 septembre. Papa y est né quatre mois plus tard
et cinq autres frères et sœurs y ont vus le jour. Grand-père,
grand-mère, douze enfants, plus les bonnes et les commis y
vivaient. Au premier jour de son emménagement, la famille
a ramassé des cailloux dans les champs afin d'empierrer la
cour devant la maison.
Mes parents l'ont transformée en 1960 et à mon tour je la
modifie depuis 2006. Elle est ouverte au maximum en
grand aux beaux jours, pour passer de l'intérieur à
l'extérieur sans le remarquer. Elle ne correspond pas à mon
idéal d’habitation, mais comme je l'ai achetée, j'aurai
toujours un pied-à-terre. Posséder sa propre maison me
rassure. Quand je pars, je sais où rentrer dormir le soir
venu.
Le mot « simple » convient à cet endroit. Je ne me suis
jamais posé la question de ma présence à cet endroit,
comme si tout est naturel. J'aménage la maison sans trop
l'encombrer pour qu’elle soit la plus aérée possible. Les
terres sont découpées par des haies pour équilibrer le sol,
la chlorophylle, les animaux.
Je me passionne pour l'histoire et le temps joue avec moi,
tous les vingt ans, je trouve par hasard soit une pièce de
monnaie, soit un médaillon médiéval. D'autres avant moi y
ont trouvé des haches polies.
Mon bonheur s'est d'être là tout bonnement, je suis calme
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de nature, mon exploitation l'est aussi.
Pierre : Tous les cinq, vous êtes issus de familles d'origine
rurale. Vous avez eu, sauf Joseph, une expérience
professionnelle extérieure au milieu agricole, et pourtant
vous y êtes revenues par intérêt profond pour la terre. Y a-t-il
un autre témoignage qui puisse nous permettre
d'approfondir un peu plus cet attachement, on pourrait
même dire cette passion ?
Yolande : Je suis née dans une petite ferme et n’étais pas
destinée à l’agriculture, même si, pendant les vacances, je
participais aux travaux de la ferme. Lorsque le moment de
choisir une profession est venu, je ne savais pas vers où
m’orienter. La directrice de l’école et mes parents m’ont
proposé le collège d'enseignement technique avec en
première année deux formations : vente et comptabilité. En
fin d’année, le choix fut vite fait car la comptabilité me
convient. Après deux années d’études, j’ai obtenu un
certificat d’aptitude professionnelle. Je n’ai fait que
quelques remplacements. La comptabilité me plaisait, mais
pour trouver un emploi, il aurait fallu que je quitte la région
or mes parents ne le voulaient pas. J’ai dû me résigner à
travailler en usine, à l’atelier d’un abattoir de volailles. Je ne
m’y épanouissais pas du tout. L’idée de m’occuper
d’animaux germait dans ma tête. Je me voyais naisseurengraisseur
de porcs ou de lapins, seulement je n’avais
aucun diplôme agricole nécessaire pour l’installation. J’ai
donc passé le brevet professionnel agricole agricultureélevage.
Ensuite, j’ai consolidé ma formation de comptable,
à présent, je fais toute la comptabilité et la gestion de
l’élevage.
Je me suis installée en location avec 135 boites à nid en
lapin. Trois années plus tard, j’ai acheté un élevage qui en
comprend 210. J’ai aménagé les 135 boites dans une salle,
cela m’en faisait 345 en tout. Je continue toujours
l’évolution puisqu’aujourd’hui j’en possède 460, je m’arrête
là.
Mon bureau se trouvait à la maison, distante de sept
kilomètres, ce qui me posait parfois problème lors de
contrôle, car si un document manquait, je devais aller le
chercher. J'ai donc pris la décision d’en construire un de 30
m 2 . Il est en aggloméré recouvert de tôles couleur ardoise,
éclairé par deux portes-fenêtres et la porte d'entrée vitrée.
Des plaques de bois isolent les murs. J'aime beaucoup le
bois, aussi ai-je acheté une salle à manger rustique. La table
me sert de bureau et le buffet de rangement pour les
documents. J’ai installé une kitchenette pour prendre mes
repas sur place et offrir un café à la technicienne. Un
ordinateur et une imprimante sont venus compléter
l’équipement. L’hiver, un radiateur électrique et un poêle à
pétrole chauffe la pièce. Cela ne m'a pas coûté très cher,
tous les meubles sont d'occasion. Je me sens bien dans cette
salle. Je ne regrette qu'une seule chose, c'est de ne pas
l'avoir fait avant.
Joseph : Il me faut évoquer mon histoire. Je suis né en 1958,
le dernier d'une famille de cinq enfants. J’étais facile à
élever, ce qui a permis à mes parents de consacrer du
temps à mes deux frères. Philippe est décédé à 4 ans, je
n'en ai aucun souvenir (mes parents ne m’en ont jamais
vraiment parlé). Mon autre frère, Jean, était asthmatique,
mes parents se relayaient constamment pour
l'accompagner vers des jours meilleurs. Mes deux sœurs
ainées, m'ont laissé m'initier à leur vie de jeunes filles. Pas
étonnant que j'adore les femmes élégantes, faire les
boutiques, tout essayer sans rien acheter. J’ai toujours vu
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mes parents au travail jusqu'à ce que nous soyons capables,
tous les quatre, de les seconder. Ils ont su nous éduquer au
travail, même si nous rechignions parfois. En récompense,
nous pouvions regarder Zorro le jeudi, à l'heure du café ;
aller en été le dimanche après-midi, à la mer ; déjeuner au
restaurant pour leur anniversaire de mariage.
J'ai commencé ma scolarité à Neulliac et je mangeais tous
les midis avec mes grands-parents qui habitaient au bourg.
Ils me faisaient faire quelques courses et j'avais le droit
d'écouter Le jeu des mille francs. Mais pas question de faire
du bruit, sinon gare au coup de béret de pépé !
J’étais un élève moyen, souvent dans la lune, bon en sport.
Je fus le seul de ma classe a redoublé la dernière année à
Neulliac. Puis le collège, aux Saints Anges, à Pontivy, de la
6 ème à la 3 ème , toujours moyen, toujours dans la lune. En
3 ème , j'ai fini par rattraper tous mes copains, sauf un.
Dans la foulée, j’ai suivi des études agricoles par un BEP en
un an. N’ayant pas le goût de l’école, mes parents m’ont pris
comme aide familial. Pendant cette période, j’ai entrepris
une formation mécanique accélérée à Bignan. Le service
militaire, à Rennes, me permettait de rentrer, le week-end,
pour travailler à la maison et sortir avec les copains. Puis,
j’ai suivi une formation en comptabilité-gestion, toujours à
Bignan.
Je n'ai pas voulu poursuivre mes études pour faire un BTA,
je suis donc resté définitivement aide familial jusqu'à mon
installation. Je me suis installé en 1982 comme agriculteur
auprès de mes parents. Papa venait d'avoir 60 ans, maman
56 ans. La transmission s'est faite en douceur, j'étais déjà
en permanence sur l'exploitation depuis trois ans Mes
parents sont partis habiter au bourg, dans la maison de mes
grands-parents maternels. Les premières années, ils
venaient tous les jours, puis quand il y avait les grandes
corvées, arrachage des pommes de terre, calibrage de
celles-ci, semis au printemps.
Devenir agriculteur, je l'ai choisi parce que ce métier me
donnait des responsabilités, une liberté de travail, me
faisait découvrir le matériel, la tenue de la comptabilité,
l’entretien de la maison, différents métiers. Certains
hommes n'en connaissent qu'un seul dans leur vie.
14

Claire : Pour parler de mon attachement à la terre, rien de mieux
pour moi que d’évoquer ma grand-mère et son parler Gallo. C'est
bien dans cette terre que plongent nos racines, et dont sort aussi
tout ce qui pousse, chez nous, en Bretagne, ces merveilleux
légumes qui égaient nos potagers, nos paniers et nos assiettes.
Tiens, si on se faisait une potée !
Tout d’abord, vérifier qu’au niveau du cochon, tout est déjà fin prêt. Chez votre charcutier habituel : saucisses fraiches, palette
fumée, jarret demi-sel, lard demi-sel. Sinon, vous n’avez plus qu’à faire comme l’expliquait si bien un livre de cuisine antillaise
donnant la recette du boudin aux pommes : « Abattez un cochon dont vous recueillez immédiatement le sang que vous mélangez alors
avec du sel et une cuillérée à soupe de vinaigre. »
Puis, pour les légumes, on va commencer par le début, juste après la pluie.
Il est à peine 10 heures du matin, chaussez vos bottes, mettez votre doudoune verte, prenez un seau noir (comme celui pour les
petits veaux), un grand couteau, et hop, au champ !
Les premiers pas dehors saisissent un peu, il fait frais ce matin, l’herbe sur le chemin est mouillée et c’est un peu la gadoue avec
toute la pluie qui est tombée ces derniers jours (mais, on en avait besoin de cette pluie). Maintenant, la brume se lève, et un timide
mais agréable rayon de soleil réveille les couleurs de l’automne. Les bottes en caoutchouc rebondissent sur le chemin et font corps
avec la terre. C’est toujours pour moi un moment spécial, quand on a le temps, de marcher sur la terre, les pieds bien dans ses
bottes. Ça a l’air idiot, eh bien, moi, ça me fait du bien ! Partout où je vais en voyage, je ne me sens pas arrivée «chez moi» tant que je
n’ai pas marché vraiment sur des chemins de terre.
Arrivés au potager, commencez par choisir un beau chou vert frisé bien pommé, coupez le, et hop, dans le seau !
Puis quelques grosses carottes, Ah, par ce temps-là, ça colle un peu, on va arracher autant de terre que de carottes, alors, on gratte
un peu, et on coupe les fanes, et hop, dans le seau !
Puis, les navets, ils sont en plein champ, un peu plus loin, c’est plus facile, seules leurs racines sont en terre. On choisit les plus
ronds et on tire sur les fanes, à pleine main, un coup de machette sur les racines, un autre sur les fanes, et hop, dans le seau !
Bon, les patates, elles sont déjà en tas dans le hangar, il n’y a plus qu’à en prendre une quinzaine sur le haut du tas, en choisissant
les plus rondes, deux brassées, et hop, dans le seau !
16

Ah, j’ai oublié deux ou trois poireaux, retour au potager, j’en arrache trois, tac-tac, un coup de couteau sur les racines, un autre sur
les bouts verts, et hop, dans le seau !
De retour à la maison, je quitte bottes et doudoune. Je me lave les mains et j’enfile mon grand tablier (ça fait partie des deux choses
essentielles pour commencer la cuisine : on ne fait rien de bon sans tablier, ni du bout des doigts). Je pose mon seau près du grand
évier. Le travail peut débuter.
Je commence par éplucher et tailler, sur la planche, au couteau, trois ou quatre beaux oignons jaunes, puis je lave à grande eau les
poireaux et les fends aussi en quatre.
Je lance la cuisson, je remplis une grande casserole d’eau avec deux poignées de gros sel de Guérande et j’allume le gaz. J’y plonge
oignons et poireaux, cela va donner du goût tout de suite au bouillon, je rajoute tous les morceaux de cochons avec couenne qui ont
besoin de cuire longtemps (le lard et le jarret).
Je m’occupe du chou : crac, crac, crac, crac, j’arrache rapidement les feuilles extérieures les plus vertes (les chèvres vont se régaler)
puis, je saisis le chou à pleine main (de ma main gauche) et le coupe en quatre de deux coups de couteau net et sans bavures de la
main droite. J’aime ces gestes précis et entiers qui m’ont été transmis par ma mère, mes grands-mères et Marie aussi, la fermièreaubergiste
voisine.
Elles me disaient, quand j’étais plus jeune, devant ma tâche à accomplir : « Reste pas à mesauter ou bouiner là. Vas-y, croches dedans
!».
Et voilà, maintenant, j’adore ca, prendre les légumes à pleine main, de façon sûre, enfoncer le couteau, et entendre le chou frais
crisser sous la pression et se fendre en 4 par magie.
Il est temps de mettre le chou à cuire. Puis, j’épluche les carottes, vite fait, bien fait, je les lave et les coupe en morceaux, à la volée,
au couteau de cuisine au-dessus de la casserole. Je rajoute la palette fumée, je jette une poignée de poivre. Je prépare mes navets et
mes patates, je les épluche et les coupe en 4, entre les mains, et les laisse en attente dans l’eau froide. Je les mettrai tout à l’heure à
cuire, en même temps que les saucisses, précisément une heure avant que les hommes n’arrivent du champ (il y a du monde
aujourd’hui : semis de blé et arrachage de navets).
Quand les hommes entreront, la table sera mise, les assiettes, les verres, les couverts bien alignés. Le grand pain de 3 livres bien cuit
et le beurre salé trôneront au milieu de la table. La maison sera remplie des bonnes odeurs de légumes mélangées au fumet du
cochon, sans oublier le parfum de la tarte Tatin aux pommes du verger qui finira de cuire dans le four. Alors, ils poseront la
bouteille de cidre ramenée de la cave au milieu de la table, puis, en s’asseyant et en ramenant leur chaise, ils soupireront d’aise et
diront « Humm, ca sent bon, ici, ca sent toujours bon » et déboucheront la bouteille en silence avec pour toute musique le pschitt
des bulles du cidre qui s’échappent de la bouteille.
"A la not’ ! Bon Appétit !"
17

La famille
Autour de vous, parmi vos enfants, par exemple, pensez-vous
que vous puissiez transmettre cet équilibre que vous avez
trouvé ?
Catherine : Au Botcol, le printemps est arrivé avec son lot
de travaux des champs à programmer et à exécuter. Il va
sans dire que pour mes deux garçons Maëlan et Romain,
qui ont un goût prononcé pour « fouiner » dans la terre, il
en est de même.
L’un des parterres, que j’ai dû abandonner à force d’être
biné, creusé, gratté, retourné, situé près de l’exploitation
s’est transformé en champ cultivé puisqu’il y pousse petits
pois et maïs, bien en rang, le travail de Maëlan dont il est
fier.
Tous les jours, il jette un petit coup d’œil pour surveiller la
bonne pousse de ses cultures. Chipie, notre petite chienne
qui vient de chez Claire, l’ accompagne et en profite pour
s’entraîner à dénicher taupe ou mulot, elle comprend vite
qu’il vaut mieux s’arrêter là sous peine d’un bon coup de
pied au derrière ! Nous avons aussi un jardin potager de
plus de 250 m 2 , en commun avec ma belle-mère, et avec
Maëlan et Romain, bien sûr. Chacun a son petit lopin de
terre et en est responsable : semis (radis, carottes,
betteraves rouges, salades, haricots) et désherbage manuel.
Une visite quotidienne s’impose également, toujours en
compagnie de Chipie qui creuse un petit trou au milieu des
haricots. En ce moment, il faut bien observer la pousse des
graines et récolter les radis.
« Maman, mes haricots commencent à sortir, j’en ai
compté cinq ! »
« Mes betteraves, elles sont hautes comme ça ! ».
Sous forme de jeux, munis de râteaux, ou mimant
bruyamment des tracteurs tirant une herse ou une charrue,
ils ont réussi à travailler la moitié du jardin. Ils se sont
amusés à faire des sillons, sous l’œil réjoui de leur mamie
qui n’en revient pas que, si petits, ils puissent en faire
autant.
Depuis cette année, nous laissons Maëlan tondre les
pelouses avec le tracteur-tondeuse et, si on l’observe bien,
on peut entendre un autre bruit que celui du moteur de la
tondeuse, c’est Maëlan qui imite le tracteur (la tondeuse
n’est sans doute pas assez bruyante). Ils sont tellement
passionnés de machines agricoles que leurs chambres en
sont remplies, ils sont même mieux équipés que leur papa.
Leur programme est souvent calqué sur le sien en fonction
des saisons.
Lorsqu’arrive la période des moissons, en journée, pas
question d’en perdre une miette. Le soir, une fois douchés,
ils vont dans leur chambre, sortent la moissonneuse, les
tracteurs et les remorques et refont le film de la journée :
Maëlan :
« Moi je vais aller faire un échantillon dans le
champ qui est en bas (entendez sous la table de
la salle à manger ou dans la véranda ou tout
ailleurs, car dans ces moments-là toute la
maison est à moissonner)
- Si c’est bon et quand la trémie sera pleine je
t’appelle, tu viens avec le Mac Cormik et la
remorque Joskin et tu iras livrer à la CECAB,
19

OK ? »
Romain :
« Oui, oui et je vais dire à pépé de venir avec
l’autre remorque, comme ça je pourrais
commencer à presser la paille.
Et voilà encore toutes les pièces de la maison
envahie de jouets à enjamber (et à ne pas
toucher) accompagnés d’un bruit de fond de
moteur, d’alarme de recul et de :
«Hé ! Tu viens ou quoi ?» hurle Maëlan.
- Oui j’arrive ! Oh ! Pouuuufff ! Tu ne peux pas
attendre un peu ? répond Romain.
- Non, je suis pressé, car ils annoncent de la pluie
à la météo ...»
Maëlan a réponse à tout.
Et généralement au bout d’un moment tout se
termine par un :
La ferme LE CLEZIO
Il était une fois un agriculteur qui élevait des vaches
montbéliardes. Il avait beaucoup de veaux et un taureau,
mais son taureau était méchant. Il avait deux tracteurs un «
McCormick » et un « Case Ih ». Il avait aussi un « Bobcat » et
un « Manutrac » et aussi un petit « McCormick ». Il avait une
moissonneuse « New Holland ». Marc Henrio qui vient faire
des travaux agricoles a de grosses machines et que du « John
Deer ». Nous avons fait beaucoup de travaux autour de notre
ferme. Les travaux étaient la rénovation du hangar, les
souches à arracher, nous avons aussi rénové une longère et
en 2008 nous avons construit un hangar pour stocker la
paille. Maëlan était en train d’enlever les racines qui
restaient. Le hangar que nous avons refait est raccourci et il
y a une cour devant où l’on peut jouer. Gwénaël va faire du
canadien pour enlever les racines qui restent plantées dans
la terre. Nous élevons aussi de 300 à 400 cochons.
Maëlan 10 ans
«J’en ai marre de votre boucan ! Vous ne pouvez
pas aller jouer ailleurs ?» ronchonne Coline
Maëlan : «T’as qu’à aller dans ta chambre !»
Coline : «Ce sera pareil avec tout le bruit que
vous faites !»
Dans ces cas là, c’est moi qui interviens : « À table »
L'autre jour, Maëlan m'a remis un texte qu'il a écrit pour
vous. Sans doute pour nous montrer à tous que lui aussi est
capable d'écrire sur l'agriculture. Le voici :
20

Valérie : Ma petite famille est constituée de quatre personnes.
Alain est un homme réfléchi, un peu trop parfois, perfectionniste,
la tête de la maison, passionné par son métier d'éleveur. Moi,
Valérie qui aime le relationnel, ne réfléchis pas toujours assez, ce
qui génère un stress permanent. Coralie, la rêveuse et la plus
sensible de la famille, toujours à griffonner de ses petites mains
sur tout ce qu'elle trouve. La seconde tête, Océane, cogite tout le
temps. Mes filles, toute ma vie ! Elles ont actuellement 15 et.13
ans. Les années se sont écoulées sans que l'on se rende compte
qu'elles grandissaient.
Alain et moi travaillons en fonction des filles pour leur permettre
de vivre leur vie d'adolescentes. Pourtant elles sont insatisfaites,
jamais contentes de leur sort, toujours à en vouloir plus, nous
reprochant de travailler tout le temps, de ne pas les aimer;
jusqu'à parfois, dans des colères très fortes, nous demander si
elles n'ont pas été adoptées. Si elles savaient comme nous les
aimons, nos filles. Nous n'avons même pas besoin de penser à
elles, elles sont tout le temps avec nous, dans notre cœur.
Que pouvons-nous faire ? J'ai imaginé dans un rêve d’arrêter
mon métier pour être à leurs petits soins. Ce ne serait pas leur
rendre service. Nous, parents, subissons actuellement la crise
d'adolescence. Qui est à plaindre, les enfants ou les parents ?
La réalité est cruelle, le travail est une priorité, pour, de nos
jours, moins gagner notre vie.
Socialement, nous sommes deux personnes dynamiques et
actives. Nous nous intégrons facilement dans le milieu associatif,
aussi bien localement, professionnellement que
personnellement, pour ne pas nous refermer sur nous-mêmes. Il
faut positiver, voir le bon coté des choses, surtout en ce moment.
Nous devons rester vigilants, ne pas baisser la pression, nous
pousser de l’avant et garder le sourire.
Toute cette petite famille cohabite dans une maison, au milieu
d'un bois, proche de la nature pour la regarder se développer.
Pierre : Les relations avec les adolescents, tu nous as laissé
entendre que c'était parfois sportif.
Valérie : Oh que oui ! Des relations difficiles. Ma fille
Océane, depuis quelques temps, ne cherche qu'à se balader
en ville ou aller chez ses copines de 13 ans. Elle me paraît
trop jeune pour sortir, il y a trop de danger à notre époque.
Si je ne cède pas à ses caprices, les insultes pleuvent suivies
de claquage de porte. Que faire dans cette situation ? Le mal
de ventre s'installe, l'angoisse de ce qui pourrait arriver.
Vivement qu'elle rentre. Je ne suis pas du tout tranquille.
Étant distraite pendant la traite des vaches, je commets des
erreurs. Les antibiotiques tombent dans le lait et voilà tout
est à jeter dans la fosse.
Je suis à écrire et Océane qui est à la fête de la musique au
bourg, m'appelle pour demander si elle peut dormir chez
une copine. Je refuse mais elle ne comprend pas mes
raisons. Quand le dialogue s'installe, on me dit que nous ne
sommes pas de la même époque. Que puis-je répondre à
tant d'interrogations ?
Quand je vois Coralie très câline, ça me réconforte. Elle,
contrairement à sa sœur, il faut la pousser dehors ou lui
proposer de sortir avec une copine. Elles sont totalement
différentes, heureusement, mais il faut veiller à ne pas
dépasser les limites.
Pierre : Et toi Yolande, ta famille ?
Yolande : Les enfants ont quitté le foyer, désormais ils
22

volent de leurs propres ailes. Ma fille depuis une quinzaine
d’années, les études et le travail l’ont conduit loin de la
maison. Elle exerce la profession qu'elle a choisie :
employée de bureau. Elle vit avec Patrice. Mes deux fils,
Patrick et Sylvain ont quitté la maison à 30 ans, il y a très
peu de temps. Sylvain travaille dans la maintenance, tandis
que Patrick est routier. Souvent, le samedi ils passent à la
maison. Pour notre bonheur, deux petites filles Ophélia et
Eugénie sont venues agrandir la famille. Elles viennent de
temps en temps passer le week-end. Cela me suffit, car le
travail à l’élevage m’attend. Nous faisons souvent des repas
de famille, c’est un moment pour nous retrouver, pour
discuter de nos préoccupations, de nos projets.
Le quotidien
Comment constater diversité de la vie sinon en regardant
vivre, tout au long d'une journée ordinaire, chacun des
membres du groupe ? Nous leur avons donc demandé de
détailler au printemps 2009, l'emploi du temps de leur
activité agricole, et les réflexions que chaque moment leur
inspirait.
Catherine, Violette, Raquette, Berline et les autres
Il est 5h15 et la radio nous réveille. C'est tôt mais Gwénaël
doit aller traiter les petits pois avant que le vent ne se lève.
La radio annonce un accord "soudain" (juste avant les
européennes) sur le prix du litre de lait payé aux
producteurs de 280 € pour 1000 litres pour l'année 2009.
Vendre à perte n'est pas l'objectif de toute activité, c'est
sûrement ça, la crise. Bref il faut quand même se lever, il est
déjà 6 heures.
Pendant que notre fille Coline sort du lit, je prépare le petit
déjeuner pour toute la famille. Une demi-heure plus tard, je
pars au travail et laisse Coline prendre le car de 7 heures.
J'enfile bottes et bleu de travail et je vais chercher les
vaches au champ, du moins les traînardes, toujours les
mêmes : Violette et Raquette. Jamais pressées ces deux là !
Il fait si beau ce matin que j’en oublierais presque mes
soucis. Tout en marchant, j'observe le ballet incessant des
hirondelles qui vont et viennent tout en gazouillant.
Quand tout le monde est rentré, la traite peut démarrer : 52
vaches à traire, il ne faut pas traîner. Les vaches montent
sur les quais (6 de chaque côté). En fait, ce sont toujours les
mêmes qui montent les premières, à droite Anisette et à
gauche Berline. Elles sont comme nous, elles ont leurs
habitudes, leur caractère et chacune porte un numéro et un
nom. Ce sont en quelque sorte des collègues de travail,
toutes différentes.
Je mets en marche la machine à traire, puis je lave les
trayons (hygiène oblige) et ensuite je pose les
"griffes"(appareil qui sert à traire). Pendant ce temps, j’en
profite pour aller dire bonjour aux veaux et vérifier que
tout va bien. Les douze premières étant traites, elles
sortent pour laisser place aux suivantes et ainsi de suite
jusqu'aux dernières : Chine, Baronne, Raquette et Violette,
tiens encore elles. Certaines sont plus longues à traire
comme Tanagra et Nielle. Je sais que j'aurai le temps de
distribuer le lait (2 litres et demi) aux 15 veaux, pas de
temps morts.
La traite se termine à 8 heures. Je mets le lavage de la
machine à traire en automatique et je vais donner le
biberon au dernier né de la veille.
Je retourne à la maison, Maëlan et Romain déjeunent, ils se
23

préparent tranquillement, on profite un instant pour
réciter les poésies et en voiture tout le monde.
Au retour, je remets bottes et bleu et je retourne à
l'exploitation pour laver la salle de traite comme tous les
matins et soirs à la pompe haute pression. Ensuite, je vais
distribuer les céréales aux veaux et les pailler.
A 9h30, Gwénaël est de retour, on discute un moment des
enfants, de la vache Vitamine en chaleur, d’un veau pas trop
en forme et aussi bien sûr du prix du lait puis de ce que
chacun va faire dans la matinée.
Après, je me dirige vers la stabulation pour pousser
l'ensilage de maïs aux vaches car en mangeant, elles ont
tendance à tout étaler, j'ouvre la barrière et les laisse sortir
à leur rythme, puisqu'il n'y a pas de route à traverser.
Enfin, je passe par le poulailler donner du grain aux
poulets.
De retour à la maison pour 10h30, je range un peu la
cuisine, prend une douche et programme le four pour le
rôti de 13 heures car je dois me rendre à Pontivy faire
quelques courses. Nous tuons aujourd'hui un cochon, il
sera détaillé demain. A la maison vers 12h30, je prépare le
repas et dresse la table dehors sur la terrasse. Il fait si beau
! Il faut en profiter, rares sont les journées où l'on peut
manger dehors, il faut savourer ces instants de chaleur.
Après le repas, la vaisselle, encore la vaisselle. Puis, je range
et nettoie le sous-sol et installe les tables pour la découpe
du lendemain. Vient l'heure d'aller à l'école chercher les
garçons et Théo un petit voisin, en passant, je vois Gwénaël
faucher le foin, c'est vraiment l'été.
Pendant le goûter, les garçons me racontent leur journée et
nous faisons ensemble les devoirs.
A 17h30, l'heure de la traite du soir a sonné. Même rituel
que le matin, j'enfile bleu et bottes, Maëlan et Romain
également, car eux aussi ont du travail à terminer dans leur
"ferme".
Je vais au champ, j'appelle les vaches, elles se lèvent et
viennent (sauf devinez qui ?) elles reconnaissent nos voix.
Je vois le car de Coline passer. Aujourd'hui, ce n'est pas le
jour de la collecte du lait, je peux donc prendre un peu plus
mon temps.
Après la traite, le lavage et le soin aux veaux, je vais dans la
stabulation donner des céréales aux petites génisses et
pousser le reste d'ensilage du matin. Après observations, je
dirige Coquine la génisse qui est à terme, vers le box de
vêlage où elle passera la nuit, je pense que c'est pour ce
soir. Ensuite, je laisse le reste du troupeau sortir pour la
nuit.
Il est bientôt 20 heures, j'appelle les garçons, toujours très
affairés, ces deux là, ils sont vraiment tombés dedans tout
petits, et on rentre à la maison. Pendant qu'ils se douchent,
j’aide Coline à ses devoirs et l'écoute raconter sa journée.
Puis je m’occupe du diner. Pendant ce temps, Gwénaël se
prépare car il a une réunion ce soir pour organiser la
randonnée de dimanche prochain (il mangera en rentrant).
Il est 20h30 lorsqu'on se met à table. Je jette un œil rapide
sur les devoirs des garçons pour voir si tout est fait et bien
fait. À 21heures, brossage des dents, un peu de lecture et
extinction des feux.
24

Je redescends ranger la cuisine, la vaisselle et prépare les
vêtements des garçons pour le lendemain.
Il est presque 22 heures lorsque je m’écroule dans le
canapé, il faudrait que je profite de ce moment de calme
pour aller sur l'ordinateur déclarer le veau né la veille et
sortir les vaches vendues cette semaine mais.... trop la
flemme ! On verra ça demain, alors je lis le Ouest-France du
jour.
Il est 22h30 et Gwénaël n'est toujours pas rentré. Je vais me
coucher, car demain est un autre jour.
25

Yolande, jour de départ des lapins
J'ouvre la porte de l'élevage « Bonjour mes trésors ». Je sors
mon déjeuner de la voiture, je suis ici pour la journée, ma
maison est à 7 km. Je me change, j'enfile ma cotte bleue et
fais le tour de l'élevage, je regarde si les animaux vont bien.
Je repère celui qui a les poils hérissés, celui qui a le nez sale,
celui qui reste dans son coin. Il est 8 heures, la radio donne
les informations, je suis attentive aux faits divers car mes
proches sont souvent sur la route.
Le silo est presque vide, je dois passer commande
aujourd'hui si je ne veux pas être en rupture de stock.
L'aliment est un mélange de blé, de mélasse de canne à
sucre, de pulpe de betterave, de tourteau de colza et de
tournesol. La luzerne donne de l'appétence, on ajoute aussi
minéraux et vitamines. Que des bons aliments pour faire
grandir mes lapins. Les animaux sont nourris
automatiquement avec une chaine d'alimentation, je
surveille et ne fais pas d'efforts physiques.
Aujourd'hui, c'est jour de vente, mes lapins partent dans la
soirée. Je dois rassembler les lapines que je veux réformer :
elles ont environ deux ans et demi et elles ont mis bas une
quinzaine de fois, d'autres souffrent de maux de pattes. Je
les repère d'après leur fiche. Les lapins ont environ deux
mois et demi, je les trie, je repère à l'œil et au toucher. S’ils
pèsent moins de 2 kg, je les mets dans un caddie, trop
légers, ils seraient refusés à l'abattoir. Au-delà, ils vont
partir à l'abattoir et seront destinés à la consommation,
entiers ou à la découpe.
27

Il est déjà 18h00, je suis contente du travail accompli. Le
camion d'enlèvement arrive, mes proches m'aident dans
cette charge, le chauffeur met à disposition un Fenwick
remplis de cages dans lesquelles je dépose les lapins qu’on
me passe. C'est si rapide que je n'ai pas le temps de
m'apitoyer sur leur sort. En deux heures, les lapins sont
dans le camion, très tôt demain matin, ils seront abattus. Le
travail est fini, mais je pense déjà à demain, c'est la corvée
du nettoyage, je n'apprécie guère cette tâche, je ne suis pas
au contact de mes animaux. Pendant que le chauffeur
remplit ses documents d'enlèvement, on se retrouve pour
le café, jus de fruit et gâteau maison. C'est un moment de
convivialité, on est de bonne humeur, on parle de la pluie et
du beau temps. La nuit est déjà avancée lorsque chacun
repart de son côté.
Nettoyage, jour de corvée ! C'est fou la poussière et les
toiles d'araignée qui se sont accumulées en deux mois et
demi. Je balaie plafond, murs et couloirs, je nettoie les tôles
de déjection. Avec l'aspirateur, j'ôte les restes d'aliments
dans les gamelles. Avec la balayette, j'enlève la poussière
sur les cages. Le nettoyage est terminé, je peux maintenant
laver. J'installe la pompe à haute pression, je lessive et
désinfecte. Deux journées sont nécessaires pour faire ces
travaux. Il faut bien nettoyer pour éviter les problèmes
sanitaires, nous devons toujours être performants. 20
heures, je me sens lasse, je me change et rentre à la maison.
A présent, les lapereaux sont sevrés, ils ont 35 jours, leurs
mères les quittent, elles vont rejoindre les salles toutes
propres. Dans huit jours, elles donneront à nouveau
naissance à des petits.
Le jour des naissances, je dois être présente pour veiller à
ce que les portées soient équilibrées : 8 à 10 lapereaux par
mère. Certaines vont donc adopter les petits des mères les
plus prolifiques, l’adoption ne pose aucun souci. Tout en
comptant, je prépare pour les nouveaux nés un nid douillet
fait de copeaux, de talc et des poils que la mère s'est
arraché. Pour chaque cage, je prends soin de noter le
nombre de nés vivants, de nés morts, d'éliminés car trop
chétifs. J'aime ce moment de communion avec mes
animaux petits et grands. Durant trois à quatre jours, je
vais ainsi assister les naissances.
Le cycle est presque infernal, je pense déjà à faire
reproduire les lapines. Dix jours après la mise bas, elles
sont inséminées, la semence apporte la génétique, c'est-àdire
le rendement en viande. Pour favoriser l'ovulation, on
pratique un stress lumineux. Durant les 8 jours qui
précèdent, on passe de 12 à 16 heures de lumière
artificielle dans les salles. J'ai aussi pris soin d'apporter de
la vitamine E dans l'eau de boisson.
29

Claire, un samedi en mai
7h45 Le réveil sonne, toujours au moins deux fois. Parfois,
je me demande pourquoi j'ai choisi ce métier, moi qui suis
plutôt du soir. Je me lève d'un coup, une fois debout, tout va
très vite !
Je prépare le petit déjeuner des h6tes et installe une belle
table avec les pains, les confitures maison, les fruits frais, le
pain d'épices, les crêpes, le tout installé sur une jolie nappe
en tissu. Comme dans le choix des plantes du jardin
(couleurs des floraisons), j'aime assortir les couleurs des
tissus et de la vaisselle. Une certaine façon de souligner
l’attention que je porte à l'accueil.
La table est mise. Je vérifie mon travail. C'est un moment
que j'apprécie, la table est belle, fait envie et ça sent bon. Je
fais de mon mieux pour qu'il en soit ainsi tous les matins,
avec toujours des nouveautés ou des petites surprises, des
fraises de Ste-Brigitte, du fromage fermier, des figues du
jardin. Satisfaite, je m'accorde un premier café.
8h30 Mes premiers hôtes de La Rochelle arrivent prendre
leur petit déjeuner. Je lance un « Bonjour, installez-vous,
servez-vous !» Je m'éclipse et les laissent émerger.
Je réapprovisionne en café et enchaîne un petit brin de
causette, sur les environs, les choses à découvrir...
Mes hôtes de Nantes se sont installés. "Bonjour !" J’entame
une conversation puis les laisse faire connaissance.
Je vais consulter mes mails et répondre aux plus urgents.
Dans ce métier de Chambres d'hôtes à la ferme, on passe
souvent du coq à l'âne dans la même journée.
Je retourne voir si tout va bien autour de la grande table.
Tout le monde est bien installé, la famille belge et les
retraités parisiens sont descendus. Une belle tablée de 12
convives et de la bonne humeur. Ces instants de
communion sont presque palpables. J’aime ce métier pour
ces beaux moments d'échanges et de partage.
9h45 Je donne des renseignements aux hôtes en fonction
de leurs envies : cartes de randonnée, idées de visites, de
restaurants, de marchés de produits locaux ...
Je prévois le repas du midi. Je sors ce qu'il faut du
congélateur et commence à cuisiner en attendant les
départs du jour.
Nos hôtes nantais nous quittent ce matin. Je prépare la
facture. Ils veulent du cidre fermier et des pommes de
terre. Je leur explique que chez nous, la récolte est en
septembre, il faudra revenir. Ils me disent tout ce qu'ils ont
apprécié ici, l'accueil, le petit déjeuner pantagruélique, la
verdure, le calme, les livres....
C'est le moment pour moi d'aérer, de vider les poubelles, de
ramasser les serviettes de toilette humides de la chambre
qui vient d'être libérée, de mettre du linge à la machine.
Tout le monde a quitté la table du petit déjeuner et la
maison. Je mets la musique à fond, un morceau qui me
donne du courage. Je débarrasse, remplis le lave-vaisselle
et le met à tourner. Je rassemble tous les restes comestibles
sur la table de la cuisine et appelle mes enfants : Thomas,
Marie et Juliette.
"Réveillez-vous ! Il y a tout ce qu'il faut pour votre petit
déjeuner, recyclage des bons restes : brioche, crêpes, jus de
fruits, compotes, riz au lait ...
Je m'assoie cinq minutes avec eux, leur donne les consignes
pour préparer le déjeuner. Je prends un café avec une
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onne tartine de pain frais et de confiture de fraises. Je fais
le point des arrivées du jour et des chambres à préparer.
11h30 Allez, au boulot ! Défaire les lits, mettre les draps
sales dans le sac pour l'entreprise de pressing
(heureusement que je l'ai ce pressing, sinon je croulerais
tous les soirs sous des montagnes de housses de couette à
repasser). Je refais tous les lits avec des draps propres et
bien repassés, puis m'attaque au ménage des sanitaires,
puis passe l’aspirateur.
12h45 Je descends voir si les enfants ont bien mis en route
le repas, sinon, petit rappel à l'ordre.
Je m'installe à table avec Nicolas, les enfants, et Fabrice,
l'ouvrier du jour. Avril et mai ont été beaux cette année, les
chantiers de plantation de pommes de terre se sont bien
passés et sont maintenant achevés. Reste à nettoyer et
ranger planteuse, billonneur et tamiseuse jusqu'à l'année
prochaine. Les jours de changements d'hôtes, le menu est
simple : tomates-feta-jambon d'Aoste, steak-pois-carottes
et yaourt.
Je donne les consignes aux enfants pour ranger la table et
remplir le lave-vaisselle. Je vérifie mes mails et y réponds,
l'occasion aussi de faire une pause seule et assise.
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Je remonte nettoyer les chambres, aspirateur, serpillère
dans toutes les chambres en arrivée, les escaliers, le hall, et
la grande salle des petits déjeuners, que ceux qui me disent
que je ne fais pas de sport me suivent.
J’installe mes petites ardoises et post-it au cas où les
nouveaux hôtes arriveraient en avance. Toujours être prêt !
15h30 Vite, vite, je vais prendre une douche.
La sieste, moment sacré qui sépare ma journée en deux, un
break salutaire qui me permet d'être à nouveau prête pour
accueillir sereinement les nouveaux arrivants.
Allez, la pause est finie. Je prends un thé avec les enfants,
tranquillement.
Je réponds à mes mails. Je confectionne des gâteaux pour le
lendemain matin
17h30 Des nouveaux hôtes Anglais arrivent. Hello, How are
you ? Je les accueille en franglais, leur explique le
fonctionnement de la maison d'hôtes, les excursions.
Je retourne à mes gâteaux : far, pain d'épices, riz au lait. Ah,
il serait temps que je change mes spécialités, mes recettes
ont presque fait le tour du monde et sont devenues
populaires avec les «Mercredis à la Ferme »
Je remets une tournée de linge en route.
18h15 Voila mes randonneurs à vélo qui arrivent du canal
de Nantes à Brest. Je fais le tour avec eux. C'est bon, tout le
monde est installé pour aujourd'hui. J'ai le temps de faire
une échappée pour des petites courses à Cléguérec. Je
croise Sylvain de la crêperie, on parle du début de saison et
de ses émissions sur Radio-France Armorique. Je passe
chercher du lait frais chez les voisins à Locmaria.
Je rentre, vide les courses et compose le repas du soir :
pommes de terre nouvelles, laitue fraiche, poitrine de porc
à griller, les choses simples sont souvent les meilleures, je
démoule les gâteaux, « Humm le pain d'épices est réussi à
souhait ! »,
Un petit tour de tondeuse, un moment que j'aime bien, il
me permet de prendre l'air et de chanter sans que
personne ne m'entende. Je fais des allées dans le verger en
fleurs. Le printemps est vraiment magnifique cette année.
Je mets le couvert pour le petit déjeuner du lendemain. Je
cause avec les enfants. Wally, le plus jeune des chiens est
collant, il ne me quitte pas d'une semelle et pleure dès qu'il
ne nous voit plus.
20h15 Le dîner est un moment important pour se poser en
famille, il nous réunit ensemble, sans télévision. C'est
souvent à la fin du repas que des petites choses se
dénouent. Les pommes de terre Amandine nouvelles du
jardin sont délicieuses surtout avec un peu de crème
fraiche et de ciboulette. On se régale des fraises toutes
fraiches qu’Isabelle de Ste-Brigitte me dépose après sa
journée de maraîchage.
Je vais dans mon tout petit potager enlever quelques
mauvaises herbes et ramasser quelques cerises. J’apprécie
de prendre l'air le soir quand il a fait bon et que tout est
calme, admirer la vue sur les champs, la campagne
environnante, les éoliennes.
Je retourne devant mon écran d'ordinateur, mails,
confirmation des réservations, et un peu de surf sur le Net,
pour me tenir au courant et faire quelques mises à jour sur
mes sites et blogs, ça fait aussi partie du métier.
34

22h La nuit tombe, Nicolas et moi faisons le point de la
production journalière d'électricité de nos panneaux
photovoltaïques. 249 KWh, pas mal du tout, un record
même ! C'est une nouvelle aventure dans notre vie
d'agriculteurs–énergiculteurs.
Je remplis à nouveau le lave linge et plie la précédente
lessive. Encore debout à piétiner à 22h, ce métier ne
s'arrête donc jamais ? Et aujourd'hui, je n'avais pas de
réunion du GVA ou avec Bienvenue à la Ferme.
Je prépare encore quelques affaires pour gagner du temps
demain matin. Je suis décidément plus du soir que du
matin. Je m'assois dans un fauteuil, près de Nicolas, on
discute devant un verre de vin, du Saint-Pourçain ce soir.
On se choisit une émission parmi les programmes de
deuxième partie de soirée, un débat animé par Fréderic
Tadéï, j'aime sa façon de rassembler des personnalités
éclectiques sur un sujet d'actualité.
On monte se coucher. En ce moment, je lis avec plaisir La
réserve de Russel Banks, l’histoire se passe dans les
Adirondacks. Nicolas termine Millénium.
01h00 Extinction des feux.
Valérie, entre deux traites
La sonnerie du réveil se met à vibrer, une sonnerie très
désagréable à entendre qui ne vous fait pas rester au lit. Je
m'habille avec une sensation d'avoir les jambes lourdes, le
corps mou. Quel enthousiasme pour commencer sa journée
!
La descente de l'escalier se fait tout doucement, je branche
la cafetière, coupe mes quatre tartines de pain et file à la
boite aux lettres en courant pour prendre le journal. Je
reviens en regardant les titres de la première page,
toujours des mauvaises nouvelles. Je m'installe déjeuner en
parcourant les pages. De temps en temps j'appelle Alain : «
Tu viens ?», le bruit du lit se fait entendre, hier il a mis un
pied devant l'autre au bout de 20 minutes. Le voilà qui
arrive.
Le journal lu, j'attends, en lui disant : Allez, dépêche-toi ! Je
vais consulter les comptes sur l'ordinateur et voir si la paie
de lait a été virée. La déception doit se lire sur mon visage
quand je vois le chiffre affiché et que je sais que je
n’arriverai pas à payer nos factures ce mois-ci. Combien de
temps cela va-t-il durer ? La morosité s'installe dans le
foyer, des questions se posent, sans réponse. Mais nous ne
pouvons pas nous appesantir sur notre sort. Il faut traire
les vaches. Enfin Alain est prêt.
Nous descendons l'escalier du sous-sol sans nous presser.
Nous enfilons notre tenue de travail et prenons notre
véhicule puisque nous n'habitons pas sur le siège
d'exploitation, cela nous donne du temps pour discuter.
Alain descend chercher les vaches. Pendant ce temps, je
vais mettre les fils pour que les bêtes s'orientent vers la
bonne direction du bâtiment. Puis c'est la préparation de la
salle de traite. J'enlève une à une les griffes de leur support,
mouille les quais, le sol, les murs de la salle de traite pour
éviter que la bouse des vaches ne s'y colle, ce sera plus
facile a nettoyer ensuite. Je reviens au bout de la salle de
traite pour mettre les manettes à leur place afin de diriger
le lait vers le tank. Je monte dans le parc d'attente orienter
la barrière pour que les vaches se dirigent dans la salle de
traite. Demi-tour dans la laiterie, installation de la canne à
lait au tank, préparation des lavettes pour désinfecter les
trayons des vaches.
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Les voilà qui arrivent, chacune de leur côté. Nous trayons
par deux rangs de 5 vaches. Je nettoie chaque vache avec
une lavette individuelle puis je tire les premiers jets pour
vérifier que le lait n'est pas infecté. Je prends la griffe d'une
main et de l'autre je la dirige vers chaque trayon. Grâce au
décrochage automatique, à la fin de la traite, ça se
débranche tout seul. Je vérifie qu’elles sont bien traites tout
en appliquant un produit pour qu'elles ne s'infectent pas,
étant donné que le sphincter reste encore ouvert quelques
minutes après la traite. J'ouvre les portes de devant pour
que les vaches sortent de la salle. Elles longent un couloir
de sortie pour aller s'alimenter à la table d'alimentation ou
pour se détendre vers les logettes.
Je continue, lot après lot, en regardant vers l'extérieur. Le
bâtiment ouvert me permet de voir les pâtures et le
paysage. La traite terminée, il faut pousser la bouse vers le
couloir d'exercice pour éviter de gaspiller de l'eau en lavant
les quais.
Quand tout est fini, je vais mettre du foin aux génisses
logées dans un autre bâtiment face à celui des vaches. Puis
je rejoins Alain pour avancer les fils du troupeau des
vaches limousines afin qu'elles puissent pâturer.
L'heure de la sortie des vaches est arrivée. Alain me
précède pour ouvrir la brèche du champ, je les pousse en
criant «allez, allez, ho» tout le long du chemin qui mène à la
pâture. Nous restons un instant pour les regarder et
entendre l'herbe craquer à chaque bouchée prise.
Nous revenons ensemble vers le bâtiment en nous arrêtant
devant la haie bocagère remplie de prunes. Nous vérifions
leur maturité en en mangeant quelques-unes. La pause-café
est arrivée, nous descendons à la maison.
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Arrivée devant la boite aux lettres, je crie comme tous les
jours, « le facteur est passé ». Arrêt obligatoire, j'ai besoin
de connaître les nouvelles même si elles ne sont pas
toujours bonnes. Devant ma tasse de café, je feuillette le
courrier. Satisfaite, je vais préparer le repas du midi. Puis
nous repartons ramasser les prunes avec les enfants.
Océane et moi sommes dans le godet du tracteur pour
cueillir les fruits pendant que Coralie et Alain sont à
l’intérieur du tracteur ou à ramasser en bas. Au bout d'une
heure, le seau est rempli de rouge et jaune, voir ces fruits
qui finiront en confiture me fait plaisir. Hélas, la pluie
tombe, nous commençons à avoir froid en hauteur. Je n'ai
qu'une envie, rentrer au chaud, par contre, les filles, par
leurs cris de joie, montrent qu'elles sont heureuses d'être
secouées de bas en haut dans le godet sur le chemin du
retour.
Nous rentrons déjeuner très vite puisque Océane et moi
devons descendre à Pontivy acheter une casquette pour
partir en camp et commander les livres de Coralie pour la
rentrée prochaine. Océane me fait la remarque qu'il n'y a
personne en ville. En effet, je regarde autour de nous, pas
un chat.
« C'est la crise ma fille, les gens font plus attention et c'est
aussi la fin du mois ». Nous nous dépêchons, nous avons
rendez-vous chez le dentiste pour un contrôle.
A peine sorties, le téléphone sonne, c'est Alain :
« Où es-tu ?
- J'arrive ! Je suis à l'embranchement du village.
- J'ai besoin de toi pour mettre le veau dans la voiture
et l'emmener à l'abattoir. »
Je descends de la voiture et cours me changer encore une
fois, je mets mon bleu, mes bottes et me voilà repartie
charger le veau et chercher les vaches pour les rentrer
s'alimenter, avant la traite. Je les regroupe. Alain est
devant, sur la route, pour se signaler aux voitures et diriger
le troupeau vers le bon chemin. À mi-chemin, nous
échangeons nos bâtons et drapeaux. Alain continue seul
derrière les vaches. Je rejoins la voiture pour aller au
bâtiment tout préparer dans la salle de traite. Pendant que
les vaches vont manger, nous mettons le veau dans la
voiture.
Alain emmène le veau à l'abattoir, j'ai le temps de repasser
mon linge. Au bout de trois quart d'heure, je l'entends
monter les marches du sous-sol, la porte s'ouvre :
« Es-tu là ?
- Oui, j'arrive ! »
Je descends pour enfiler mon bleu, mes bottes. Nouveau
trajet, direction l'exploitation Le Ruyer. Alain et moi
suivons le même rituel que le matin. Nous nous retrouvons
pour sortir les vaches et les observer une dernière fois de la
journée.
Le retour se fait dans le calme, chacun dans ses pensées, à
attendre une météo favorable pour avancer dans la
moisson, en espérant demain voir apparaître le soleil.
Joseph : 1 - Rumex : 0
Cette nuit, mon sommeil a été de plomb, le résultat d'être
depuis deux jours à marcher et piocher pour enlever du
rumex.
En tirant le rideau de la fenêtre de la chambre, je vois que
déjà les voitures de ceux qui travaillent de bonne heure
passent sur la route. Le coq a réveillé sa basse-cour et se
promène dans l'herbe. Le ciel est dégagé, le soleil sera au
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endez-vous.
Je descends à la cuisine, les chattes Cannelle et Lola
attendent leurs croquettes. Je mets le café à chauffer dans
une casserole et pendant ce temps, je donne à manger aux
chattes sur le seuil de la porte d’entrée. Elles ont aussi le
droit à quelques caresses. Je reviens vers mon café, sort un
bol, deux sucres, le pain, le beurre et m'assoie à la table de
la cuisine. J'allume la télévision pour regarder Télé-matin
afin d'avoir la météo et les informations de sept heures.
A sept heures trente, je me lève de table, range le petitdéjeuner.
Je fais ma toilette et sors de la maison pour
donner en vitesse du blé aux poules.
Je pars à pied au champ. Il me reste jusqu'à la fin de l'aprèsmidi
pour finir d'enlever le rumex dans le dernier champ.
J'emmène avec moi un seau et ma pioche. Ce travail
physique me plait pour différentes raisons. Je sais que je
garderai mon côté sportif, habitué à l'endurance, pour
conserver un physique musclé et fin. Naturellement, j'aime
l'effort. Ce travail basique d'entretien des champs, à
marcher et piocher, me convient. Je suis au plus prés du sol,
seul avec la terre que j’ai choisie pour avoir ma propre
liberté d'entreprendre, sans compte à rendre à personne.
Seul le bruit de la pioche au contact du sol marque ma
présence au cœur de la nature. Cet outil fait partie de ma
vie. Mon père me l'avait donné à 14 ou 15 ans, quand il m'a
appris à sélectionner les plants de pommes de terre. Sa
forme étroite d'une vingtaine de centimètres, son manche
en bois court me facilitent le travail quel qu'il soit. Je n'ai
jamais désiré le modifier pour qu'il soit plus performant.
Je coupe à travers champ pour passer vers le milieu de la
haie de noisetiers, à cet endroit ce sont des noisetiers
rouvres qui ont été plantés, ils sont moins hauts et moins
étoffés que les noisetiers greffés. J'utilise souvent ce
passage et je ne suis pas le seul à m'en servir. Les animaux
l'utilisent aussi, entre autres Mozart, le labrador de Marie-
Reine qui fait son tour tous les jours au village. Je le trouve
sur son chemin de retour, il me connait bien et suivant son
humeur, il se laisse caresser ou reste à distance de deux
pas, l’air de me dire : « Aujourd’hui je suis pressé de rentrer
à la maison. »
Les renards aussi l'empruntent, mais pas les lièvres qui ne
veulent pas se faire repérer alors qu'ils gîtent quelques fois
à cinquante mètres du passage.
Dès cette haie passée, les bruits s'estompent, je vais
retrouver mon ambiance de travail en silence. Je reprends
ma marche normale entre les rangs de cannes de maïs
laissées l'année précédente. Jusqu'à la fin de la matinée,
j'avance à bonne allure dans cette parcelle de neuf hectares
à l'écart des bruits de la route. Elle est en forme de cuvette
et donne l'impression, suivant où l'on se trouve, d'être
petite ou au contraire démesurée. Je l'ai entourée de haies
bocagères, ce qui amplifie le sentiment d'être au fin fond de
nulle part. Je n'ai pas de montre, midi est sûrement passé.
Je suis content car je n'ai pas trouvé de grand foyer de
rumex. Je prends la décision d'aller me faire à manger. Je
dépose mon seau et ma pioche au bout du rang de cannes
de maïs et rentre à pied à la maison.
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Il est douze heures trente. Qu’est-ce que je fais à manger ?
Évidemment je n'y ai pas pensé ce matin, trop pressé de
partir au champ. Allez, va pour des carottes râpées, une
omelette avec des pâtes, un bout de fromage, une pomme
en dessert. Tout en préparant le repas, je branche la télé
pour voir la fin de l'émission « Qui veut prendre sa place ? »
Seule la fin de l'émission m'intéresse, au moment où Nagui
commence à poser des questions sur le sujet du jour et sur
le choix du thème retenu par le champion ou la
championne. Ça me permet de trouver ou d'apprendre
certaines réponses.
Treize heures, l’heure des informations, j'ai fini de manger.
Le facteur vient de passer, je vais chercher le courrier dans
la boite aux lettres. Aujourd'hui, pas de factures, que de la
publicité, elle va directement à la poubelle. Je contrôle si les
poules ont pondu et rejoins le hangar, au bord de la route,
pour repartir au champ, avec mon tracteur Deutz de 50
chevaux. J’attèle la benne, car cet après-midi j'en aurai
besoin pour ramasser tous les tas faits en bout de champ et
aussi pour le positionner auprès d'un important foyer de
rumex où mon seau ne suffira pas.
J'avance toujours à bonne allure, la moitié du champ est
réalisée, mon repère pour ce champ n'est pas compliqué
car il se situe au fond de la cuvette. Les choses sérieuses
vont commencer.
Avant 1985, ce fond séparait deux propriétés et avait un
fossé d'écoulement de l'eau. De chaque coté, les
propriétaires avaient l'habitude de déposer les cailloux
ramassés sur le champ ainsi que les plantes gênantes pour
les cultures en place, entre autres le rumex et l'avoine folle.
Depuis, j'ai acquis les deux parcelles de chaque coté du
fossé, l'association de drainage est passée par là, le fossé à
été comblé, l'eau circule par des drains enterrés à 80
centimètres. Nous sommes en 2009, il y a encore quelques
cailloux qui reviennent en surface et aussi du rumex qui
pousse en grande quantité. Je visualise l'étendue de la tâche
à accomplir et décide d'alterner un passage où je devrais
piocher en permanence, pendant une heure à peu prés, et
plusieurs passages plus haut dans le champ où le nombre
de rumex est peu important.
Avec ces concentrations de mauvaises herbes, l'heure passe
à toute allure et je m'aperçois que je n'aurai pas le temps de
finir entièrement le champ. J'aurai toutefois la satisfaction
d'avoir réduit énormément ce grand foyer. Je le finirai
avant le semis de haricots ou quand ils seront en place. Je
décide d'aller vider le rumex à coté du chenil de Daniel où
un espace non cultivé me sert à entreposer les branches
mortes et où je peux mettre le feu de temps en temps.
J'étale le contenu de la benne afin de le faire sécher
rapidement et retourne chercher les tas faits au bout des
cannes de maïs. Il est temps de rentrer car je dois
téléphoner à Jean-Luc pour savoir si je peux prendre le
déchaumeur.
En arrivant à la maison, je rentre le tracteur au hangar et
ferme le portail. Un bon café-pain-beurre me fera du bien. Il
est déjà 17h30, je téléphone à Jean-Luc qui me dit que je
peux récupérer le tracteur et le déchaumeur vers 18
heures. J'en profite pour m'assoir tranquillement. J'ai le
temps de ramasser les œufs. Je ferme la maison à clef et
prends la voiture pour aller chercher le tracteur (il est à 4
kilomètres de chez moi).
En arrivant, personne. Le déchaumeur est bien accroché
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sur le tracteur, je téléphone avec mon portable pour
demander les consignes. Jean-Luc me dit que je peux
disposer des outils pour labourer chez moi et aussi que j'ai
à déchaumer chez lui et Gilles. Il m'indique à quelle vitesse
travailler.
Changement de décor, ce tracteur fait 150 chevaux avec
ordinateur de bord. Il y a un volant, ouf ! Bon cela ne
m'impressionne plus car j'ai l'habitude de le prendre. Je
n'oublie plus comment le faire avancer, cela m'est déjà
arrivé de téléphoner à Jean-Luc pour lui demander quelle
manette utiliser. Avec ces engins et tous ces gadgets, il y a
un ordre bien précis à respecter sinon, 4 heures après, on
est toujours dans la cour de la ferme. Me voilà parti, il est
19 heures, je vais directement au champ. Je note mon heure
d'arrivée dans le carnet et fais mes réglages sur 30 ou 40
mètres pour aller démarrer le long de la haie de noisetiers.
Je ne finirai pas de bonne heure ce soir. Ici l'ambiance est
différente. Il y a le bruit du tracteur, même si la cabine
fermée m'en enlève une partie. J'ai le chauffage (ou la
climatisation suivant la saison) la radio, un ordinateur de
bord qui me sert à vérifier tous les circuits : vérin
hydraulique, gasoil, vitesse, régime moteur. Un variateur de
vitesse permet l'avancement automatique. Pour le moment,
je ne me sers pas de toutes les fonctions car Jean-Luc n'a
pas encore pris le temps de m'expliquer l'ensemble des
possibilités. C'est bien connu les patrons sont toujours
pressés.
20h30, je décide d'aller manger. Je laisse mon tracteur au
champ et vais à pied à la maison. Je prends 15 minutes pour
manger et donner des croquettes aux chattes.
La nuit est tombée, le tracteur est bien équipé en éclairage
mais en principe, je préfère travailler de jour, on s'aperçoit
tout de suite si un souci arrive. Cependant, avec le
déchaumeur, on ne prend pas de grands risques. La radio
me tient compagnie. Je finis le champ à 2 heures du matin.
Je laisse le tracteur le long des sapins, prés de la maison. Je
n'ai pas de place pour le rentrer à l’abri.
Je me débarbouille vite fait....
Et, au lit !
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Les vacances
Pierre : Et les vacances, y en a-t-il parmi vous qui en
prennent ?
Catherine. Partir et découvrir d’autres régions ou pays, se
vider la tête, ne plus penser au boulot.
Et surtout, passer du temps avec les enfants, tout
simplement, prendre le petit déjeuner ensemble. Un petit
plaisir que nous ne connaissons pas le reste de l’année.
Montrer à nos enfants que le métier d’agriculteur permet
également de suivre l’évolution de notre société où les
loisirs et le temps libre prennent une part de plus en plus
importante, qu’ils puissent aussi raconter leurs vacances à
leurs copains d’école.
Valérie : Oh, les vacances, sujet tabou dans le monde agricole.
"J'ai pas le temps. Y a du travail !
- T'auras toujours du travail.
- Tu pars encore Valérie !
- Eh, oui ! »
C'est ma source d'énergie. Pas de vacances, pas de boulot,
voilà ma devise. De toutes façons, il restera toujours du
travail, nous ne l'emporterons pas avec nous.
Valérie : N'étant pas originaire du milieu agricole, j'ai passé
toutes mes grandes vacances au bord de mer. Il était
impensable pour moi de ne plus partir. J'ai toujours
demandé au moins une semaine quand j'étais encore
salariée à l'extérieur.
Quand je suis venue sur l'exploitation, j’ai accepté de
travailler les week-ends. Mais les vacances, c'est sacré !
Nous prenons deux semaines dans l'année, j'estime que
nous méritons bien ce repos. Nous travaillons tout de
même 7 jours sur 7, toute l'année, même le dimanche, aux
oubliettes les grâces matinées. Rien qu’à la traite et au
lavage, nous effectuons déjà les 35 heures de travail par
semaine, auxquels il faut ajouter le reste de la journée, et
les repas de famille. L'obligation du métier nous rappelle à
l’ordre, malade ou pas.
Catherine : Nous ne pouvons pas partir en vacances sans
trouver une personne à qui nous confions notre outil de
travail et nos animaux, avec les responsabilités qui en
découlent. Ce remplacement nous coûte 1000€ minimum la
semaine, charges comprises (encore un effort), ce qui
augmente évidemment le coût des vacances.
Mais ne jamais prendre de congés, ne jamais partir de chez
soi, c’est aussi passer à côté de beaucoup de choses.
Faire une vraie coupure permet aussi de reprendre son
travail avec motivation et plaisir, repartir du bon pied.
Catherine : Je dirais, plutôt, sujet sensible.
Bien que de plus en plus d’agriculteurs s’accordent une,
voire deux, semaines de vacances par an (rarement plus),
ce n’est pas encore une évidence pour tout le monde. Un
agriculteur qui part en vacances, s’accorde un temps de
repos alors que pour un salarié, c’est un droit.
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Valérie : Ces vacances sont bien méritées. Il ne faut pas
oublier que nous les préparons un an à l'avance. Toute une
organisation est à mettre en place : avant et après cette
semaine de vacances, pas d'insémination, pour ne pas avoir
de vêlage ; préparation du pâturage, de l'alimentation, pour
que le remplaçant ait le minimum de charge. Il n’en
travaille pas moins 70 heures par semaine. Il faut le trouver
et lui faire confiance.
J’aime voyager, j'ai soif de découvertes comme le Maroc, la
Tunisie, les Antilles : la Guadeloupe, Marie-Galante, les
Saintes, Saint-Martin ; le Sénégal, l'Égypte, du soleil,
toujours du soleil et de la bonne cuisine. Une culture
différente, d’autres pratiques religieuses, des paysages
nouveaux.
Catherine : Eh oh, Valérie en France aussi il y a des belles
régions.
Valérie : Bien sûr ! Je le sais bien, puisque nos deux familles
sont allées ensemble au Pays basque. Pas de chance, alerte
orange toute la semaine et un beau soleil le jour de la
rentrée pour nous raccompagner à la maison.
Heureusement que nous avions fait notre barbecue le
premier jour, beau souvenir de la soupe en plein mois
d'août !
Catherine : Et aussi l’île de Ré à vélo et dernièrement la
Dordogne en camping sous un soleil de plomb, toujours
ensemble.
Les vacances changent les idées et nous enrichissent à
travers la découverte de régions riches en culture et
agriculture différentes des nôtres. On garde en mémoire un
petit coin de France.
Valérie : L'île de Ré ! Semaine sportive, du vélo, toujours du
vélo de long en large avec, bien sûr, quelques chutes de nos
petits cascadeurs.
La Dordogne, une belle région avec la fameuse descente de
14 kms en canoës, sous 36 degrés qui vous sèchent sur
place, et son bon foie gras à déguster. L'Alsace, réputée
pour sa route des vins. L'Auvergne où l’on se régale avec
ses tripoux, ses fromages et son aligot.
On se retrouve en famille, sans vache, sans heure de traite,
sans ronchonner, une vraie coupure, de belles rencontres,
des échanges fructueux. Ces moments me sont
indispensables pour survivre et avoir de l'énergie toute
l'année. Lors des mauvais moments, il est bon de se
remémorer ces instants pour évacuer la tension du
quotidien. Connaitre une autre richesse que celui du monde
agricole et avoir une nouvelle ouverture.
Catherine : Cette année, nous irons skier à Châtel en Haute-
Savoie, expérience que nous renouvelons pour la troisième
fois au grand bonheur des enfants. Une semaine de
dépaysement total pendant laquelle on n’a plus le temps de
penser à ses vaches, c’est très appréciable.
Yolande : Depuis quelques années, tous les deux ans
environ, je m'absente une semaine pour voyager. Mais pour
profiter pleinement de cette semaine de découverte, je dois
prévoir mon remplacement au moins six mois avant le
départ. J'essaie de choisir la semaine la plus creuse. Jusqu'à
présent, j'ai fait appel à une personne de la région qui
auparavant s'occupait d'un élevage de lapins. Elle est
contente de retrouver un temps cette activité depuis qu'elle
a dû l'arrêter.
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Je pars toujours en voyage organisé, je préfère cette
formule. J'ai visité deux pays : la Tchéquie avec la société
d'aliments Sanders et, au Canada, le Québec, avec le GVA du
Faouët. Cette façon de voyager me permet de rencontrer
d'autres personnes sans souci d’intendance. Le matin est
consacré aux visites professionnelles et le reste de la
journée est réservé au tourisme. Nous n'avons qu'à nous
laisser porter. Nous prenons nos repas et dormons dans de
superbes hôtels-restaurants. Si j'allais en individuelle, je
n'aurais pas les moyens de me payer cette qualité
d'hébergement. Ce qui m'a le plus marqué en Tchéquie,
c'est la visite de l'élevage de lapins. Nous n'avons rien à
leur envier. Nous nous serions crus revenus vingt à trente
ans en arrière. Le matériel était d'occasion et venait de
France, les animaux également L'élevage de lapins n'est pas
très développé dans ce pays.
De temps en temps, je prends le week-end pour me
retrouver en famille. Nous visitons une île. En Bretagne,
nous avons de la chance, les îles sont à notre portée. Nous
partons pour la journée et passons ensuite la nuit et la
journée du dimanche chez l'un de mes frères ou de mes
enfants. C'est à chacun son tour de recevoir. La prochaine
sortie se termine chez moi. Pour cela aussi une personne
me remplace, mais seulement pour surveiller, car dans ce
cas, je choisis le week-end où il y a le moins de travail. De
toutes ces escapades, je reviens plus positive, pleine
d'énergie pour continuer l'année.
Pierre : Et Claire, tu ne nous as rien dit sur les vacances.
Claire : Moi je rêve...
Je rêve de prendre des vacances qui durent plus de 7 jours.
Je rêve de pouvoir éclater de rire sans ombre aucune en
pensée.
Je rêve de passer un hiver dans le Montana.
Je rêve d’une terrasse sur pilotis avec la baie d’Along à
perte de vue.
Je rêve de calme, de quiétude, de grand air, de grands
espaces, de nature belle et sauvage.
Je rêve d’une cabane tout en haut dans les arbres.
48

La succession
Pierre : La succession préoccupe tout le milieu agricole.
Voulez-vous qu'on l'évoque ensemble ?
Yolande : L’heure de la retraite va bientôt sonner pour moi.
Je n’ai pas de repreneur. Je ne connais pas le devenir du
bâtiment, mais cela ne m’inquiète pas. Aujourd’hui, c’est
très difficile d’installer un jeune car les contraintes
administratives sont nombreuses et les revenus ne sont pas
à la hauteur.
J'en ai parlé avec les enfants. Voilà, à peu près ce qu'a été
notre discussion :
« Qu'en dis-tu Edwige ? Veux-tu prendre ma succession ?
- Personne ne veut prendre ta suite. Nous avons
choisi notre profession. Si l'un d'entre nous était motivé
pour l'élevage ça se saurait déjà. Je travaille dans les
assurances, même si cela n'est pas toujours facile, avec les
clients mécontents, je préfère cette situation. Je suis aux 35
heures, quand je travaille le samedi, je récupère dans la
semaine. Dans mon entreprise, j’ai de nombreux avantages,
notamment quand les enfants sont malades. Je bénéficie de
vacances à prix modéré, reçois des cadeaux pour les
enfants à Noël...
- Et toi, Arnaud ?
- L’idée d’être son propre patron m’intéresse car
j'apprécie l'indépendance, mais je n'aime pas les animaux.
Être enfermé avec eux toute la journée, quelle horreur !
- Et Anthony que dis-tu ?
- Que de travail ! De bonne heure le matin, tard le
soir, souvent le samedi et le dimanche matin. Où sont les 35
heures. Je préfère conduire des camions, voir du paysage et
surtout avoir des week-ends et cinq semaines de congés.
C'est Edwige qui conclut :
- Et pour toi, où sont tes avantages ? »
Il y a un tel fossé entre nous !
Catherine : Chez nous les garçons interpellent souvent leur
grand-père.
« Dis Pépé, quand tu étais agriculteur, on ne faisait
pas ça ? » demande Maëlan, 11 ans, à son grand-père,
retraité « actif », tout en regardant son père régler le
semoir pour semer les couverts végétaux après la récolte
des céréales.
- Oh que non ! C’était bien moins compliqué de mon
temps !
- Alors tu mettais quoi après la moisson ?
- Rien, tu sais maintenant c’est l’environnement : y a
plus que ça qui compte ! »
Beaucoup de choses ont changé en agriculture depuis .cette
époque Aujourd’hui pour s’en sortir et réduire les charges,
être agriculteur c’est être à la fois éleveur, vétérinaire (et
pharmacien), cultivateur, mécanicien, négociant mais aussi
gestionnaire, comptable, informaticien etc.
Nos parents, bien que retraités de l’agriculture depuis
plusieurs années, s’y intéressent toujours et restent
informés sur son évolution. Ils s’inquiètent toujours de ces
nouvelles réglementations qu’ils n’ont pas vécues, qui
forcément sont des contraintes supplémentaires. Encore
des charges qui fragilisent un peu plus la situation
financière et entament parfois le moral et la motivation.
Nous ne travaillons plus comme eux, nous sommes tenus à
plus de réflexion et d’anticipation dans la gestion de notre
50

exploitation. Même si nous arrivons à nous adapter,
l’inquiétude demeure pour l’avenir et la transmission de
l’exploitation.
A l’opposé, les enfants baignés tout-petits dans ce système
et sûrement trop jeunes encore pour tout comprendre,
s’adapteront plus facilement que nous. Ils sont nés à une
époque où tout bouge vite et tout est éphémère.
Lorsque j’entends Romain, 9 ans, dire : « Quand je serai
grand, je serai agriculteur, comme ça, j’aurai des gros
tracteurs», je me pose la question : que sera l’agriculture
dans 20 ans, française, européenne ? Existera-t-il toujours
des structures familiales ou ne verra-t-on que de grosses
entités (des sociétés de productions agricoles) regroupant
plusieurs exploitations associées où chacun sera gérant
d’une activité spécialisée ?
Leur restera-t-il une âme d’agriculteur admirant notre belle
nature au détour d’un chemin ? Conserveront-ils l’amour
de la terre ? Seront-ils uniquement gestionnaires d’un outil
de production avec un objectif à atteindre ?
51

Valérie : L’absence de succession devient alarmante.
Qu’adviendrait- il de nos exploitations dans 20 ans, la
population agricole vieillit, plus de la moitié des exploitants
ont entre 40 et 55 ans, moins de 10 % ont 35 ans.
Autrefois la succession ne posait aucun souci puisque le fils
reprenait automatiquement après son père, aujourd'hui
cela n'est plus le cas. La population s’intéresse davantage à
des métiers plus modernes dans les grandes villes. La
campagne évoque le paysage, une balade à cheval ou à vélo,
une randonnée, bien plus que nourrir la population. Nos
terres seront-elles en friche dans 20 ans ? Un exploitant
doit aujourd'hui préparer sa succession 10 ans avant son
départ afin d’avoir un repreneur qui a le même ressenti, les
mêmes envies concernant la conduite de l'élevage, le
système fourrager et trouver fiscalement une bonne
stratégie pour les deux parties.
Troisièmement, monter un projet cohérent : finances,
organisation du travail, système fourrager, production lait,
cochon.
Il lui faudra être très motivé, aimer son métier et foncer.
J’ai 40 ans, rien ne presse si je reste en bonne santé, mais il
est clair que trouver la stratégie la mieux adaptée pour ma
succession restera présente dans mon esprit, tout au long
des années à venir.
J’espère que la lecture de nos témoignages suscitera des
vocations.
Mon souhait serait qu’un jeune puisse s’'installer sur notre
exploitation, plutôt que d'assister à son démantèlement
pour agrandir d'autres exploitations et qu’elle devienne
une usine à vaches. Aujourd’hui, on nous pousse à prendre
des décisions concernant la contractualisation avec les
laiteries et d’autres industriels. Nous ne serons plus
maîtres chez nous face à l'industrie, mais tributaires de
grandes entreprises. Pour un jeune, reprendre une
exploitation relève du défi. Tout au long de sa carrière, il
devra s'accrocher pour atteindre son objectif, et être bien
armé financièrement.
Premièrement, se mettre en accord avec son successeur
concernant les terres (achat ou location), les bâtiments, le
matériel, le cheptel ; trouver le juste milieu pour que
chacun soit satisfait.
Deuxièmement, entamer les démarches administratives, un
vrai parcourt du combattant.
53

Catherine : Nos parents ne s’y retrouveraient plus, ils ont vécu
des évolutions, certes, mais en gardant une certaine stabilité
dans leur vie professionnelle.
Yolande : L'autre jour, j’ai assisté à la rencontre de deux
voisins. Antoine, un jeune de 22 ans et Marie qui en a 90.
Voilà à peu près ce que j'ai retenu de leur dialogue :
« Bonjour Antoine, encore un tracteur neuf, alors que tu viens juste de t'installer ! Où tu vas chercher l'argent pour le
payer, tu crois que c'est nécessaire d'avoir un tracteur de 100 CV ? Tu sais, Hubert et moi avons commencé avec le
cheval et la charrette. Nous avions acheté un tracteur neuf de 25 CV, que quatre ans après l'installation.
- Mais aujourd'hui, Marie, je suis seul sur une exploitation de 100 ha et e si je trouvais des terres à louer, je les prendrai.
- Oui, vous les jeunes, vous voulez tout avoir en même temps : le tracteur et tout le matériel qui va avec, des beaux
bâtiments, beaucoup de vaches, beaucoup de terre. Et vous vous plaignez toujours, vous n'avez jamais assez.
- Mais Marie, ce n'est pas moi qui le veut, c'est la société qui est arrivée à ce point, si par exemple je n'ai pas un certain
litrage de lait, la laiterie ne passera pas chez moi. Qu'est-ce que je ferai alors ?
- Nous, au début, nous avions acheté et payé comptant les quatre vaches de mes parents, puisque c'est là que nous nous
sommes installés. Puis, avec l'argent rapporté par ces vaches, nous en achetions d'autres. Nous avions eu jusque 24
vaches et 15 ha de terre. C'était déjà une belle ferme. Tu ris, mais c'est vrai. Je me souviens lorsqu’après la traite, à la
trayeuse, (c’était au début des années 60), nous allions, Hubert et moi, planter des choux, arrachés dans la journée, avec
la pioche, nous restions jusque la nuit noire. La planteuse est venue après, lorsque nous avons eu assez d'argent pour la
payer. A l'automne, on effeuillait les choux pour donner aux vaches. Mais aujourd'hui, je ne vois pas un jeune le faire,
c'est trop difficile. Il préfère regarder la télé ou aller à une soirée.
- Marie, je sème des choux pour pâturer, tu sais, il faut vivre avec son temps.
- Les vaches étaient dans des étables où le sol n'était pas cimenté. On enlevait le fumier tous les jours avec la brouette et
on faisait attention de ne pas enlever les cailloux. La litière était faite de lande et de feuilles mortes qu'on allait ramasser
dans les bois. Il est vrai, les temps ont bien changés. Mon Dieu ! Les vaches d'aujourd'hui sont des princesses, elles
habitent dans des bâtiments modernes, aire paillée, aire d'exercice, aire de repos. Enfin je ne connais pas tout. Quand je
pense à ces êtres humains, les S.D.F, eux n'ont rien, même pas de toit. Les animaux sont mieux traités que certains êtres
humains.
- Je dois dire que je suis entièrement d'accord avec toi sur ce point. Mais les leucocytes, les butyriques n'existaient pas de
ton temps, ou du moins on n'en parlait pas, mais actuellement, c'est sur la fiche de paie du lait qu'on sait s'il y en a ou
pas. C’est pour cela qu'on est obligé d'avoir des bâtiments adéquats.
- Autrefois la laiterie ramassait tout le lait en pots. Le foin se faisait à la main, j'ai connu ça, on le fauchait avec la faux,
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dans les prairies humides, ailleurs c'était avec le tracteur. Ensuite, dans ces endroits-là, avec la fourche, on le retournait
pour qu’il sèche et quelques jours après, toujours avec la fourche, on le chargeait dans la charrette pour le rentrer dans
le grenier par des petites lucarnes. C'était un travail très physique, ça nous permettait aussi de ramasser le foin dans les
endroits humides. Toute la surface était utilisée. Ce n'est pas comme aujourd'hui, on travaille les endroits accessibles
avec le tracteur. Le reste, c'est de la friche ou du bois.
- De nos jours, Marie, il y a les DPU, la PAC, on est géré par Bruxelles et par la banque, sans eux on n'existe pas.
- Qu'est-ce que c'est que ce baratin-là ! Vous êtes trop savants, vous allez à l'école jusque 20 ans ou plus pour prendre
une ferme, vous prenez des vacances, mais vous êtes toujours stressés : somnifères, barbituriques et j'en passe. J'ai
toujours été heureuse dans ma ferme et en bonne santé et pourtant j'ai travaillé dur. A douze ans, je suis sortie de l'école
pour couper la lande et garder les vaches. Moi, la banque, j'y allais pour déposer de l'argent. Je n'ai jamais fait un crédit
de ma vie. J'ai toujours vécu, simplement peut-être, mais bien. Je ne roule pas sur l'or mais j'ai toujours dormi sur mes
deux oreilles. Je ne me suis jamais posé la question « comment je ferais demain pour rembourser les emprunts ». Car les
emprunts, les emprunts, il faut les rembourser et donner plus avec les intérêts. Moi je calcule autrement !
- Oui, Marie. C'était une autre façon de travailler, de vivre, beaucoup moins contraignante. Hélas, sans emprunts, je ne
pourrais pas investir, je ne pourrais pas être exploitant agricole tout simplement ! »
Pierre : Mais des jeunes, comme Antoine, y en a-t-il beaucoup
dans le secteur.
Yolande : Guère !
Claire : L'autre jour, j’ai été à une réunion où tous les
agriculteurs du canton étaient invités. L’animateur, en
faisant un clin d’œil vers moi, nous a dit que ça lui faisait
plaisir de voir que les jeunes s’étaient déplacés.
L’agriculture, enfin, un métier où tu es jeune à 48 ans ! Ces
métiers sont rares, chérissons-les.
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LES RELATIONS EXTERIEURES
Le village
Pierre : Si nous parlions de vos relations à l'extérieur de la
ferme. Elles font partie de votre vie et, d'une certaine façon,
lui donnent des couleurs différentes de celles de l'agriculture
qui a tendance à envahir votre horizon.
Catherine : Dans la famille, tout le monde pratique au
moins une activité sportive, entre le football, le VTT, le
karaté, la marche et le body-karaté, chacun y trouve son
compte.
Le sport est bon pour le corps mais aussi pour l’esprit. Se
dépenser beaucoup, sur un temps court, permet de ne
penser à rien d’autre, de se défouler et de voir des gens que
l’on n’aurait jamais rencontrés autrement.
Les garçons ont hérité de leur père la passion du football.
Ils ont couru après un ballon dès leurs premiers pas, ont
débuté à 5 ans comme pré-débutants. Aujourd’hui, Maëlan
est poussin deuxième année et Romain débutant
deuxième année.
Le mercredi, chacun a son planning des entrainements et
des matchs le samedi, ce qui nous vaut parfois beaucoup de
va-et-vient dans la même journée. L’essentiel est que ça
leur plaise. Ils retrouvent aussi avec plaisir leurs copains et
partagent avec eux les réussites et les échecs.
Grâce à leur club, ils ont la possibilité d’assister à de vrais
matchs à Guingamp, Rennes ou Lorient, alors là c’est la fête.
À leur âge, être dans un vrai stade au sein de l’ambiance, ne
se retrouve pas dans tous les sports. Une fois par an, le club
leur permet également d’accompagner des grands joueurs
(main dans la main) sur le terrain avant le début du match.
Pour des enfants, ce sont de bons souvenirs qui les
récompensent de leur assiduité.
Valérie : Aujourd'hui, nous avons de moins en moins de
relations humaines sur nos exploitations. A quoi est-ce dû ?
A la crise économique que nous traversons, sans doute. Il y
a une dizaine d'années, on voyait deux ou trois personnes
par semaine. Nous passions du temps à discuter de choses
et d'autres, à refaire le monde. Maintenant, nous nous
renfermons sur nous-mêmes, toujours à la recherche d’une
meilleure rentabilité.
Avant, nous demandions des conseils autour de nous,
actuellement, nous nous débrouillons seuls. Quand on se
retrouve vraiment dans les difficultés, on fait appel aux
techniciens pour qu'ils nous conseillent.
Si, de nous-mêmes, nous ne faisions pas l'effort de sortir de
nos exploitations pour voir d'autres personnes, nous
resterions confinés chez nous. Et au fil du temps, de moins
en moins de choses nous intéresseraient.
Je trouve déplorable que, dans le village, il y ait moins de
convivialité, moins de chaleur humaine qu'autrefois. Quand
on passait avec le troupeau de vaches laitières deux fois par
jour, on côtoyait les voisins, disait un petit bonjour,
demandait des nouvelles. Tout ceci est bel et bien fini.
Quelle tristesse de voir les gens s'assombrir, se refermer
sur eux-mêmes, atteints par le stress quotidien de la vie
actuelle.
J'espère, un jour, retrouver dans le village la joie qui y
régnait jadis, la fête du village aussi, et que chacun y mette
du sien pour vivre en harmonie. Une lueur d'espoir s'est
ouverte il y a peu de temps au sein du village. L’histoire
commence par un simple geste de sympathie.
58

En fin de campagne laitière, nous avons décidé de mettre
un petit mot dans les boites aux lettres des villageois pour
les informer que nous leurs offrions du lait gratuitement à
la traite, pendant une semaine, pour éviter de dépasser
notre quota laitier. Un moment très enrichissant entre
nous. Nous avons expliqué notre travail, échangé les uns
avec les autres, et les voisins se sont rencontrés. Nous
avons eu plaisir à fréquenter des gens que l'on ne voit pour
ainsi dire jamais de l'année.
Nous avons été agréablement surpris au bout de quelques
jours de distribution, car certaines personnes nous ont
gentiment remerciées en nous apportant des pancakes,
gâteaux, brioches, une soirée café, une délicatesse. Quel
réconfort de se sentir reconnus pour une action sincère de
notre part. La communication peut toujours exister dans
n'importe quelle circonstance. Certaines personnes
dynamiques ont décidé d'organiser une fête du village,
prochainement chacun apportera son pique-nique. Les
villageois auront l’opportunité de se connaître, de se
détendre dans la convivialité en espérant que l’expérience
se renouvelle.
Pierre : L'invitation s’est donc révélée positive.
Valérie. Nous avons noué des liens et revu des personnes,
ainsi, Marie avec ses yaourts. Bernard le voisin est lui aussi
venu chercher du lait à l'occasion du baptême de son petit
fils Sacha, pour faire un far breton et qu’il a cuit dans son
vieux four à pain. Il m'a proposé d'en faire un pour moi. J'ai
trouvé sympathique de sa part de me le proposer. Il existe
encore des personnes à tendre la main, comme Thérèse et
Damien, qui nous rendent service quand on a besoin de
renfort pour l'ensilage. Heureusement qu'ils sont là pour
nous aider à arranger le tas, mettre la bâche et les pneus.
Sinon, comment faire tous les deux ? Un coup de vent et
hop la bâche est partie, il n’y a plus qu'à recommencer et à
se disputer, belle ambiance.
Claire : Et bien, moi, j’adore mes voisins. Mercredi, l’un
d’eux arrive avec un gros pochon de girolles qui sent bon la
forêt. À peine la porte refermée, un autre arrive avec une
caisse de vins. Ah, on s’est régalé avec le cuisseau de
chevreuil qu’un troisième nous avait déposé le lundi matin
et qui était en train de mariner. Avec nos patates, un
délice ! C’est encore meilleur quand on l’offre avec le
sourire et le cuisine avec le cœur.
Pierre : Yolande, où se situe ton élevage ?
L’élevage se situe à proximité d’un bourg de 1400
habitants. Lorsque le temps me le permet, je vais à pied
chercher le pain et le journal. Une agence postale est
59

ouverte le matin. L’an dernier elle a été menacée de
fermeture. Ce serait regrettable pour la population, car par
commodité, beaucoup de personnes âgées vivent au bourg.
On trouve aussi deux écoles, publique et privée. Quant au
secondaire, les jeunes doivent se rendre dans d’autres
communes, des transports scolaires sont organisés. Le
médecin est parti, il n’a pas été remplacé.
Un cabinet d’infirmières a trouvé sa place. Une boulangerie,
un restaurant, une crêperie et, bien sûr, plusieurs débits de
boissons animent le bourg. Quelques commerçants
ambulants déballent sur la place de l’église. La MAPA
accueille les personnes âgées de la commune et des
environs. Toutes les semaines, je me rends à la ville
distante de 15 kilomètres pour la banque, les démarches
administratives et toutes les courses.
L’agriculture occupe une place très importante, les terrains
accidentés et les zones humides favorisent les pâtures où
paissent des vaches laitières ou à viande.
Par ailleurs, nous avons même un élevage de buffles. En
parcourant la campagne, on découvre quelques élevages
hors-sol : lapins, volailles, porcs. Des chambres d’hôtes et
des gites ruraux ainsi qu’un village de vacances attirent les
touristes. De nombreux chemins de randonnées nous
invitent à la marche, à la détente.
Simone : Votre condition de femme à la tête d'une
exploitation ou d'un atelier d'exploitation est-elle reconnue
par ceux que vous rencontrez ?
Catherine. Dans nos exploitations bien que travaillant sur
notre lieu de vie, nous gardons quand même un contact
avec le monde extérieur (le para agricole comme on
l’appelle) à savoir : les voisins, l’inséminateur, le chauffeur
laitier, le contrôleur laitier, les techniciens en aliment bétail
et en cultures, le banquier, le comptable, etc. Pour ceux-là
en général, pas de problème, le courant passe plutôt bien.
Mais il y a les autres, visiteurs occasionnels : démarcheurs
en tout genre de produits d’hygiène, aliments spéciaux (de
groupements avec lesquels on ne travaille pas). Ils viennent
vers vous, d’un pas bien décidé, et :
« Il n’est pas là l’ patron ? »
Ah ! La voilà la phrase qui blesse, celle que j‘entendais déjà
chez mes parents lorsque j‘avais 12 ans. Donc, presque 30
ans plus tard, les femmes ne sont toujours pas considérées
comme des patrons.
Nous avons obtenu, il y a déjà quelques années, le droit
d’avoir un statut équivalent aux hommes, chef
d’exploitation (terme plus exact que « l’patron »), que nous
60

avons fait des études, agricoles ou non, avons obtenu des
diplômes. Alors, est-il nécessaire de nous aborder de cette
façon ?
Je ne pense pas que l’on puisse demander un entretien avec
le directeur d’une entreprise de cette manière (avec les
mains dans les poches), alors pourquoi ce ton familier ?
Avons-nous toujours des airs de péquenot ? Est-ce parce
que notre " uniforme" n’est pas toujours très présentable
ou parce que " ici c’est la campagne" ?
Claire : C’est un peu paradoxal, je l'avoue, parce que la vie
qu’on mène au quotidien en tant qu’agriculteurs dans des
petites communes rurales est finalement plutôt
sympathique, agréable et bien vivable. Pourtant, quand on
parle de notre métier, on a tendance à ressortir d’abord la
grogne, l’incompréhension, les sentiments d’injustice face à
ce que l’on perçoit du message des médias, de la société,
des décisions politiques…
Nos journées, même si dans nos fermes d’aujourd’hui il y a
beaucoup moins de gens à y travailler, à y vivre à temps
plein, sont remplies de toutes nos tâches quotidiennes et
variées, mais aussi de tous les contacts avec les gens qui
gravitent autour. Ils font que notre vie sur la ferme, qui
peut sembler isolée de loin, est en fait bien peuplée de tous
les petits liens de tous les gens qui téléphonent, écrivent,
passent et repassent sur la ferme.
Pas une journée ne passe sans qu’un technicien de la
coopérative, un vendeur de matériel, un artisan avec qui on
est en affaire, un contrôleur du syndicat de plants, le
banquier ou la comptable ne vienne sur place, et chacun est
heureux de se voir même si c’est pour parler « boulot ».
Pas une journée non plus sans l’arrivée d’un livreur de
compost, d’agglos ou de semences ou d’un camion qui vient
charger du blé ou des patates et avec qui il est parfois, je
l’avoue, plus difficile de discuter en polonais ou en
portugais.
Souvent, on partage le déjeuner avec notre fidèle salarié
saisonnier ou le chauffeur de la CUMA (Coopérative
d'Utilisation de Matériel Agricole) ou de l’ETA (Entreprise
de Travaux Agricoles), qui est venu nous aider à semer le
blé ou arracher les navets. C’est l’occasion de faire mijoter
un bon pot-au-feu et d’enfourner une bonne tarte aux
pommes. En soirée, c’est le voisin qui passe emprunter le
petit tracteur, un autre qui vient demander un service, ou
nous offrir un morceau de bon fromage fermier rapporté de
ses dernières vacances.
Pas un matin sans courrier, avec évidemment son lot de
factures et de relevés de banque. Mais aussi des
sollicitations, plus alléchantes les unes que les autres, pour
aller à un vernissage, à des réunions d’information, des
A.G., des formations, des débats toujours très intéressants,
autant en tourisme qu’en agriculture, ou en vie locale. Le
seul embêtement est de choisir.
Le mercredi, c’est la fille de la voisine qui vient nous vendre
un billet de tombola pour aller en Angleterre avec sa
classe. Le samedi midi, c’est un retraité qui arrive chercher
un sac de pommes de terre, un autre qui débarque avec sa
petite remorque chercher du blé pour ses poules ou un
round de paille pour son cheval. Client ou ami en profite
pour nous faire goûter les premières tomates du jardin ou
les poires du verger.
Pas un week-end ne passe sans qu’on ait l’embarras du
choix entre la Potée de l’école, le Fest-Noz du Cercle
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Celtique, le petit concert au bistrot du coin, le Jarret-Frites
de l’école de foot, le pardon de la chapelle d’à-côté, sans
parler des spectacles de théâtre ou de musique un peu plus
loin.
Aux beaux jours, c’est le ballet, chez nous, des hôtes ou
randonneurs qui arrivent, qui s’installent, qu’on rencontre,
qu’on apprécie, et qui repartent, vers de nouvelles
aventures.
Ah, j’allais oublier ! Pas un midi aussi ne passe sans qu’une
voix sibylline ou exotique nous interpelle au téléphone
pour nous vendre des pierres à lécher, ou nous installer des
panneaux solaires, trop tard, c’est déjà fait.
Oui, finalement, sur nos fermes, il y a de quoi s’occuper,
travailler, apprendre, échanger, rigoler et râler ou grogner
aussi de temps en temps, mais s’ennuyer, jamais !
petite surface d'exploitation familiale comparée à celle de
mes voisins. Dans les dix ans qui ont suivi mon installation,
deux seules entreprises agricoles familiales ont été
reprises.
En 2010, je reste le seul fils d'agriculteur des exploitations
ayant existées. Auparavant, les sept exploitations étaient
tenues par l'homme et la femme, avec seulement dix ans
d'écart entre exploitations. Ces exploitants se sont
retrouvés au bout de quarante ans de carrière à partir
ensemble pour la retraite. Brutalement, le nombre a chuté à
deux. Si à l'échelle du village ce phénomène s'est produit
dans les années 90 pour la génération de mes parents, ma
génération subira le même phénomène dans les années
2020 mais à l'échelle de la commune. Nous sommes une
douzaine à nous être installés entre 1980 et 1985 à
Kergrist.
Pierre : Et toi, Joseph, quel est ton rapport à ton
environnement humain ?
Je vis dans un village qui possède 10 habitations et compte
24 habitants. Comme une bonne partie des villages ruraux,
il est composé d'exploitations agricoles et de maisons
neuves construites depuis 10 et 30 ans.
Depuis 10 ans, le village est majoritairement ouvrier, deux
exploitations agricoles entretiennent les terres dont la
mienne. Je suis seul à tenir l'exploitation ainsi que l'autre
agriculteur, sa femme travaillant à l'extérieur.
Le village a vécu avec sept exploitations, jusque dans les
années 70.
Lors de mon emménagement en septembre 1982, cinq
exploitations existaient encore. Je me suis établi sur la plus
62

Côtoyer ses voisins est un grand mot, il n'est pas d'actualité
en 2010. Le fait de basculer dans les années 2000 avec des
voisins travaillant hors du village, limite les rencontres. Je
garde toujours les contacts avec ceux qui y sont nés et y
habitent en tant que retraités ou salariés rentrant tous les
soirs. Cette inter-génération permet lors de bavardages sur
le pas de la porte ou sur la route, d'évoquer des
évènements propres au village. Les personnes arrivées
suite à des changements de propriétaires ne veulent pas
tisser des liens, à peine un signe de la main.
Seuls Christine et Bernard, ayant repris l'exploitation
familiale dans les années 1987, mais repartis travailler à
l'extérieur quelques années plus tard, réunissent deux à
trois fois l'an une partie du village pour un repas ou un
goûter.
La porte est ouverte à qui veut me voir. Il y aura toujours
un café ou un thé et cinq minutes pour discuter. Le monde
change, je travaille à proximité de certaines maisons, c'est à
moi de ne pas déranger les habitants dans leurs habitudes.
Vis à vis des autres, je ne suis pas un modèle, je préfère les
entendre m'exposer leurs idées et qu'ils s'y sentent
épanouis. Des idées contraires aux miennes ne me
choquent pas. La vie est faite de rencontres qui ne sont pas
anodines, les gens que je n'aime pas, je m'en éloigne très
vite et ceux qui sont tellement différents de moi, je ne
risque pas de lier connaissance avec eux.
J'ai une vie plus sereine maintenant, j’attends le moment
pour consacrer du temps à mes parents quand leur
autonomie diminuera. Garder toujours ce temps libre pour
accomplir ce que l'on a décidé. Après mon métier
d'agriculteur, j'irai à la rencontre des gens, avec le souhait
d'aider ceux que je croiserai sur ma route.
Pierre : Toutes ces mutations dans les villages ne posentelles
pas d'autres problèmes, au niveau du foncier, en
particulier ?
Valérie. Effectivement, il se passe un drôle de phénomène
qui prend de grandes proportions : la vente du foncier à
des particuliers. On commence à s'en rendre compte dans
le milieu agricole. Au début, nous ne faisions pas trop
attention mais cela commence à poser quelques problèmes
au niveau financier et humain.
Aujourd'hui, certains propriétaires n'ont plus aucun
scrupule de vendre leur lopin de terre sans avoir prévenu
leur locataire. Lui qui travaille cette terre depuis des
années, qui cotise à la M.S.A., entretient le paysage, paie son
loyer, se donne du mal, le voilà dehors comme un
malpropre. Mais ces propriétaires auraient-ils oublié qu'ils
63

doivent impérativement prévenir 18 mois à l'avance de
leur intention de vendre ?
On voit de tout. On prévient de la vente le jour de la
signature du compromis chez le notaire. Ou tout
simplement, vous l'apprenez par un tiers :
« Alors, Untel vend son terrain ?
- Ah bon, je ne suis pas au courant ! »
A quoi vont-elles servir ces terres ? Est-ce simplement pour
mettre un cheval, des lamas, des ânes... Avoir un bien ?
La conséquence est la surenchère sur le prix du foncier. S’il
ne s'agissait que d'un demi-hectare, mais pour 25 ou 50
hectares, ce n'est plus la même chose. Quand le prix double
ou triple tout change au point de vue de la rentabilité. Il
faut abattre plus de travail, suer, faire face aux
remboursements. Mais où va-t-on ?
Qu'adviendra-t-il de l'agriculture si tout le monde veut son
lopin de terre ? Peut-être, à long terme, ces personnes
nourriront-elles la planète à notre place, quand nous ne
serons plus là pour le faire ?
Yolande : A la fin des années 60, mes parents ont investi
dans une exploitation de 15 ha, située à 1 km du bourg.
Aujourd'hui 15 ha, cela fait sourire. Mais à cette époque-là,
c’était une exploitation viable pour un couple.
Le temps a passé. Autour, des bourgs, des villes, des zones
artisanales, industrielles ou commerciales ont poussés
comme des champignons ; prenant la terre aux
agriculteurs. Dans ce village, lors du départ en retraite du
propriétaire, les terrains laissés libres, sont destinés à la
zone commerciale.
Aujourd'hui, à la place de cette exploitation plusieurs
commerces ont été construits. Nous avons eu la chance de
pouvoir négocier, nous-mêmes, avec les enseignes
commerciales, contrairement à d'autres villes où les
agriculteurs sont expropriés et souvent avec beaucoup
de fracas. C’est pour cela qu'une commission s'est créée, le
S.C.O.T. (Schéma de Cohérence et d’’organisaiton du
Territoire) constitué d'agriculteurs et d'autres acteurs du
territoire pour contenir l'urbanisation : le regroupement
des zones et non l'étalement, éviter le mitage.
En France, un département disparait tous les dix ans.
Imaginez que dans trente ans, on ait rayé de la carte de
France, les départements des Côtes-d’Armor, du Morbihan,
du Finistère pour cause d’urbanisation, alors qu’en
parallèle la population n'aura cessé de croître.
Claire : Près de 10.000 ha chaque année sont grignotées
sur les terres agricoles en Bretagne. Ces terres sont
définitivement perdues pour l'agriculture.
Ce sont souvent de bonnes terres (terres constructibles,
zones non- humides, non-inondables) qui vont être
transformées en lotissement, routes, quatre-voies, rond-
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point, aéroport, zones commerciales, parking, zones
industrielles…
Yolande : Comment les agriculteurs pourront-ils travailler
pour produire l'alimentation de l'ensemble de la
population ? De plus, ces terres destinées aux zones
d'activité sont plus évaluées d’où des répercussions sur le
prix des terres labourables. Le prix de la terre est élevé, si
bien que les agriculteurs ont des difficultés pour investir
dans ce domaine. Pourtant, qu'ils soient paysans ou
éleveurs, ils ont besoin de terre pour répandre le lisier, le
fumier, produire des céréales, des légumes, pour nourrir
les animaux et les êtres humains.
Alors quelle solution ?
Claire : Si certaines réalisations sont tout à fait justifiées, je
pense qu’il est temps d’être sobre dans la réquisition des
terres agricoles. On pourrait raisonnablement descendre ce
chiffre d'au-moins 30 %, en réhabilitant des zones
commerciales désaffectées, en mutualisant les surfaces de
parking, de pelouses autour des usines, en faisant des
étages aux bâtiments.
30 %, ça fait 3.000 ha de bonnes terres proches des villes
donc proches des acheteurs potentiels, cela permettrait
d'installer 1000 maraichers ou producteurs en vente
directe en bordure de ville.
A trop vouloir aménager, embellir, développer nos villes et
nos villages, nous éliminons définitivement une profession
vitale de certains territoires, vitale pour l’alimentation de
ses habitants, déjà, mais vitale aussi pour l’équilibre des
paysages, et surtout des hommes qui vivent là.
Pierre : N'y a-t-il pas aussi la menace de voir les terres
rachetées par les industriels de l'agro-alimentaire, et les
agriculteurs remplacés sur ces terres par de simples salariés,
comme cela se passe déjà en Afrique et aux Amériques ?
Joseph : On voit, en effet, apparaître des organismes
internationaux, des gouvernements, achetant des terres en
dehors de leurs frontières, en Afrique en particulier. Il y a
aussi les fonds de pensions américains ou autres, qui
spéculent sur les denrées alimentaires, formatent les
futures générations à une bataille économique sans
sentiment et sans aménagement pour des populations
défavorisées, alors que toutes les populations devraient
pouvoir prétendre à un revenu décent.
Pierre : Cela pose en tout cas le problème de l'avenir de la
société rurale telle que nous la connaissons, telle que vous la
vivez, encore aujourd'hui, quoique fortement transformée
par rapport à celle qu'ont connu vos parents et grandsparents.
Joseph : Je veux bien parler de ma relation avec mon
environnement extérieur, mais je ne sais pas trop si c'est la
réponse à la question que vous posez...
Depuis toujours je m'intéresse à tout. Tout ne me plait pas
mais, j'essaie dans un premier temps de comprendre. Mes
obligations professionnelles ou familiales me font sortir de
chez moi. Le simple fait de devoir aller quelque part
déclenche mon imagination. Il n'est pas interdit de rêver,
alors j'en profite.
À l’extérieur, je trouve des gens avec une vision différente,
sur le travail, la vie de famille, les loisirs. Suivant mon degré
d'affinités, je m'y attarde plus ou moins, je m’intéresse au
décor. Si la maison a du caractère, j'essaie de la situer dans
l'histoire :
« Tiens, ce bâtiment, à première vue, a été
65

construit à deux époques différentes. Qui
construisait ? Selon quel critère les bâtiments
étaient-ils disposés ? Était-ce un grand
bâtisseur, ou une façon d'affirmer sa position
dans la société ? »
Récemment, je suis allé à une vente aux enchères, il y avait
un puits dans la cour de la résidence où avait lieu la vente.
En papotant avec le gardien, il m'expliqua que ce puits avait
été construit pour cinq familles autorisées à venir y puiser
de l’eau. La marque de ce droit était cinq boules disposées
sur le linteau décorant le puits en granite.
Je suis revenu à la maison en me disant que je me
coucherais moins bête. Si je me décide un jour à visiter les
enclos paroissiaux dans le Finistère, il y aura bien
quelqu'un pour me raconter leurs histoires et peut-être en
prime aurais-je un verre au café d'en face.
Si je m'éloigne plus de chez moi, dans le bourg, il y a plus de
vie. On y trouve l’église, la mairie, des commerces, des rues,
des lotissements... L'organisation du bourg est pensée
collectivement, tout ce qui est du domaine public est géré
par la mairie, cela peut être l'occasion d'apprendre le
fonctionnement d'une municipalité.
Les commerces nous font découvrir des métiers d'artisans,
j'y vais parce que le pain est bon, que je trouve mon
bonheur chez la fleuriste, un magasin de déco pour faire
plaisir aux amis.
Un bourg c'est plus de monde donc plus d'anecdotes à
raconter, il y a les classiques du genre :
« Y a Untel qui a eu un bébé.
- Il y a Marie et Jean-François qui se marient.
- Il y a Albert qui est décédé. »
Il y a aussi des histoires plus croustillantes. Prenez la place
Pobéguin à Cléguérec, notre chef-lieu de canton, il y a une
quinzaine d'années, la municipalité a refait la place, c'était à
la mode. Notre belle statue en bronze représentant la
statue de la Liberté a failli être décapitée par un ouvrier
manœuvrant sa pelleteuse. Imaginez les commentaires
dans le bourg.
Je privilégie les personnes qui aiment à raconter leur
parcours, qui vous procurent des émotions positives tant
ils prennent leur métier à cœur. Dernièrement, un artisan,
ancien compagnon en retraite, me téléphone pour des
renseignements sur le chanvre. Nous avons discuté de son
métier et de la manière de façonner le chanvre dans son
projet. Voilà une occasion de connaître la technique de
construction d’une maison à colombages faite entièrement
à la main avec des outils d'époque.
Pierre : Et la ville toute proche. Chacun de vous en a évoqué
la présence, mais sans insister .Y a-t-il quelqu'un qui veut en
dire plus sur cette cité de Pontivy ?
Joseph : Pontivy n’est pas loin de chez moi, 15 000
habitants, ville où deux époques prédominent. Au XV e
siècle, le château fort est bâti dans le fief des ducs de
Rohan, pour servir de repli en cas d'invasions. La vieille
ville est constituée de maisons à colombages, de grandes
avenues tirées aux cordeaux, des bâtiments de la caserne
abritant les armées avec des écuries, tout cela réhabilité en
logements. La chapelle Saint-Joseph se dresse au milieu
d'un parc. Une place d'arme, appelée maintenant Plaine, est
flanquée d'un côté par le tribunal, de l'autre par la souspréfecture
et la mairie.
Et aussi, des établissements indispensables pour les
66

affaires courantes : banques, assureurs, chambre
d'agriculture ou de métier, poste, etc. J’y vais aussi comme
consommateur, pas de dialogue ou très peu dans des
commerces intéressants. La ville propose aussi des
animations culturelles variées, surtout à la saison estivale.
Je ne consacre pas de temps à ces rendez-vous. L'été est
pour moi la période où le travail ne manque pas.
Les grandes villes, ce sont de beaux musées, de belles
expositions de peintures, du théâtre. Ma vie professionnelle
est basée aussi sur ce même concept. Je n'aime pas la
routine, je pense toujours à plusieurs choses à la fois.
Évidemment je ne m’enrichis pas mais j'arrive à joindre les
deux bouts, c'est le principal. Tout est prétexte pour voir si
je peux transposer des idées vues ailleurs dans mon
exploitation, comme une technique de fabrication ou de
travail du sol.
Catherine. Pontivy, petite ville, assez dynamique et plutôt
bien desservie en services, commerces −on ne les compte
plus− et administrations, bien que certaines aient été
fermées récemment.
Le bassin d'activités essentiellement agroalimentaires a
permis de conserver des emplois peu qualifiés et la vie en
centre Bretagne, fondamental pour une région délaissée
des pouvoirs publics, notamment en infrastructures
routières.
Les agriculteurs peuvent trouver facilement le nécessaire
en matériel et outillage, presque toutes les concessions de
tracteurs y sont présentes, ainsi que banques, centres de
gestion, coopératives et groupements de producteurs
(aliments du bétail, laiterie, abattoir etc.) et robot de traite.
Même si le nombre d’agriculteurs diminue, l’activité paraagricole
reste dynamique sur le secteur, voilà pour le
l’aspect positif.
En revanche, hormis l’animation-concours annuelle en
octobre « Oh la vache ! » qui connaît toujours un grand
succès auprès du public, grâce à son côté champêtre et
ludique, ce sont deux mondes à part. Les Pontiviens, élus
compris, ne se préoccupent pas de l’agriculture, même
parmi ceux qui travaillent en lien avec le monde agricole.
Réciproquement, les agriculteurs ne s’inquiètent guère des
emplois supprimés dans telle ou telle entreprise de la
région.
Nous vivons dans une société où le lien entre agriculteur et
nourriture n’existe plus. Il suffit d'aller au supermarché
pour trouver de quoi manger sans se poser de question sur
l’origine et le travail fourni derrière tous ces produits. Dès
lors, le fossé entre ruraux, non néo-ruraux et citadins se
creusent de plus en plus.
Claire. Pour aller dans le même sens que Catherine, il y a
quelque chose qui m’émeut (sans jeux de mots), je ne sais
pas vraiment pourquoi, mais ça me donne à la fois le
sourire, une fierté, et presque envie de pleurer.
Voilà, chaque automne, vers la mi-octobre, est organisé le
grand concours départemental de l’élevage à la Halle Safire.
Quand je passe ces jours-là au centre-ville, je croise une
belle bétaillère accrochée à un superbe tracteur. Cela fait
blang-blang sur les passages cloutés, ralentit un peu la
circulation, les passants se retournent. Mon regard croise
celui d’une des deux magnifiques vaches qui sortent leur
museau. Vous avez déjà regardé une vache dans les yeux,
en ville ? Alors, ça met de bonne humeur de les voir toutes
guillerettes dans leur carrosse, bien brossées et prêtes à se
pavaner au concours. Je ressens alors un sentiment de
fierté, d’appartenance à un groupe, à un monde, au «
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monde agricole ». Et l’envie de pleurer devant les
incertitudes de l’avenir et la lancinante question de savoir
combien de temps on va exister, pouvoir encore cohabiter.
Faut-il demander à inscrire les derniers paysans au
Patrimoine Mondial de l’Humanité avant leur disparition ?
La terre et les animaux
Pierre : Vous entretenez avec la nature, les animaux, la terre,
le paysage, des relations qui varient, suivant les saisons, les
types de cultures, vos stratégies de production, de
commercialisation.
Joseph : Ma place dans la nature ? J'y suis né, j'y resterai.
Elle me rassure, m'angoisse, m'oblige à la chercher dans ses
plus beaux atours. Quand j’évoque la nature ce sont ses
animaux, son silence, ses bruits, sa luminosité, son noir, ses
formes, ses odeurs. Elle est mon héritage. Je ne m'ennuie
jamais quand je suis dehors.
Ma chatte Cannelle réclame ses croquettes. Je lui parle,
j'appelle aussi Lola, mon autre chatte souvent en
vadrouille. Si j'ai le temps, je brosse Cannelle qui ne
demande que cela. Évidemment, je rouspète car elle
n'arrête pas de gesticuler, d'avancer, se retourner, se
frotter à la brosse.
Au tour des poules, je leur mets du blé tous les jours, je
surveille l'eau, surtout en été. Ces temps-ci, j’élève un coq
et treize poules : des Coucous de Rennes, des Bramas, des
Nègres soies, les autres sont des croisées. Elles sont toutes
nées à la maison. J’ai également des poules naines que je
garde parce qu'elles sont jolies et qu'elles couvent bien.
Tout un art pour avoir des poussins. Les poules décident
toujours de couver où je ne veux pas. Je les laisse s'installer
tranquillement puis je transfère de nuit celles que le
changement ne dérange pas. Pour les récalcitrantes, je leur
aménage un petit enclos où elles peuvent se dégourdir les
pattes, avec à disposition du grain et de l'eau.
Puis, je passe voir mes moutons de race Ouessant qui, les
trois quart de l'année, sont dans le verger derrière la
maison. En ce moment, je leur donne du foin de trèfle, des
betteraves et de l'eau tous les jours. En période de froid, ils
n'ont plus d'herbe et l'eau de pluie est trop froide ainsi que
la neige de ces jours-ci.
La nature offre un abri loin des nuisances sonores. Le
silence, rien que le silence. Que je l'aime ce silence ! Il me
serre le ventre, me déstabilise. Plus il dure, plus j'ai envie
que rien ne bouge. Je l’apprécie lorsque le soleil se couche
à l'horizon et que je l'observe sur les côtes de Malguenac ou
en été sur la forêt de Quénécan. Il m’arrive de me lever au
milieu de la nuit pour aller en plein champ observer les
étoiles dans le calme absolu.
68

Lors de la tempête de 1987, à quatre heures du matin,
quand le vent s’est calmé, j’ai été frappé par cette
impression que le ciel observait les dégâts.
Pierre : Tu nous as laissé entendre que tu préparais ta
reconversion en bio, peux tu nous dire où tu en es aujourd'hui
de tes projets ?
J'ai fait le choix de garder une petite exploitation, de la
réorienter dés que ma notion de revenu décent, ne pas me
mettre dans le rouge, était empiété. Ma dernière
orientation en agriculture biologique suit cette même
logique, tiens, dans biologique il y a logique. Je suis
soucieux d'un respect de la nature que j'ai adopté en
agriculture conventionnel.
Aujourd'hui, mes revenus sont toujours récompensés par
ma ligne de conduite de départ, c'est-à-dire partager la
terre et non prendre la place d'un autre. Je revalorise mes
cultures au mieux pour le temps consacré à les produire et
à les commercialiser.
Je pratique une culture qui, depuis 5 ans qu'elle est
développée sur l'exploitation, me fait à nouveau aimer mon
métier. Bien sûr, elle se développe à petit pas. Elle fait
partie de mes préoccupations, dans cette recherche
d'innover. Elle est simple en apparence, pourtant dès qu’on
la manipule, elle donne du fil à retordre. Mais quel bonheur
de la vendre, de voir les personnes s'y intéresser, écouter
mes conseils, accepter que je leur montre comment réussir
par eux-mêmes et la voir entrer dans leur demeure.
Il s’agit du chanvre, un isolant naturel. Cette culture me fait
connaître des personnes de professions différentes, très
sympathiques, heureuses dans leur choix de vie, j'espère
que je leur montre aussi cette image. Elle m'a éloigné de la
réalité économique du monde agricole, je lui ai fixé moimême
sa valeur ajoutée. Elle m'oblige à me démarquer, à
protéger mon savoir, mes innovations futures, à réactiver
mon envie de faire des choses dans la vie.
Elle me met en décalage avec ma profession, car elle ne
nourrit personne alors que c'est pourtant notre vocation
d'agriculteur. On doit nourrir la planète car nous sommes
déjà 7 milliards dans le monde.
Par ailleurs, ma réflexion sur ma conversion en bio n'est
pas peaufinée, tout n'est pas encore clair dans ma tête. J'ai
quand même fait un tri dans toutes mes idées. Il y a un an,
mon premier texte parlait d'essai de branches broyées.
Aujourd'hui, je m’interroge sur les plantations dans mes
terres. Pour une bonne partie des surfaces, mes choix sont
définitifs. Pour le reste il y a un problème car je n'ai que 27
hectares. Je dois garder à l’esprit que je ne peux pas être
partout à la fois. Mon rythme de travail a diminué et ma
passion pour l'agriculture s'en est allée. Ce qui me tient
encore, c'est que j'espère trouver des jeunes pour qui mon
exploitation donnera un sens à leur vie. J'aime d'abord
rendre service aux autres et m'occuper de moi après. Me
concentrer sur les cultures que je commercialise, améliorer
ce travail me permettra de tenir financièrement.
Pierre : Et toi Yolande ?
69

Je suis au service de mes lapins, je dirais même en
communion avec eux. Je les vois naître, grandir. Les
troubles digestifs sont réglés par un jeûne de 24 heures, ou
plus, selon leur état de santé. Je suis à l’écoute des
dernières techniques d’élevage. Je dois suivre des
règlements dictés par l’administration : un poids d’animaux
au mètre carré, des fosses, un bâtiment avec ventilation,
chauffage l’hiver et climatisation l’été. Tout cela pour le
"bien être" de l’animal.
Lorsque la technicienne rentre dans l’élevage, son travail
consiste à l’inspecter et à faire ses critiques que je mets en
application après discussion, car je ne suis pas toujours
d’accord. Je fais aussi des essais et si je les trouve
concluants, j’adapte la technique, dans le but d’améliorer
les performances. Cette façon de travailler me convient
parfaitement. Même si je préfèrerais m’occuper d’un
élevage plus librement : produire moi-même la nourriture
et vendre les lapins à un prix que j’aurais fixé et non décidé
par l’acheteur.
Je pense à la retraite qui sera active si la santé me le
permet. J’envisage de m’occuper d’animaux mais cette fois
en plein air. Je me sens libre de mes choix car je peux
toujours discuter, malgré les contraintes de la
réglementation et du travail dimanches et jours fériés.
Je m’aperçois qu’en dehors de l’agriculture notre métier est
mal compris malgré toutes les communications qui sont
faites, tout comme moi, je connais mal les autres
professions. J’aime échanger avec des personnes de
l’extérieur et donner mes idées, mes avis.
Dans mon métier d’éleveur de lapins, je ne pense pas aux
heures de travail mais à la passion, au bonheur que j’ai de
vivre avec des animaux. Je m’épanouis dans cette
profession par rapport à l’usine, au travail à la chaîne. Je
participe à des formations professionnelles qui
m’apportent beaucoup.
Pierre : Catherine que pouvez-vous dire sur vos vaches ?
Catherine. Mes amis me disent souvent : « Comment
reconnais-tu tes vaches ? Elles sont toutes pareilles ! »
C’est vrai, chez moi les vaches sont rouges et blanches et
toujours la tête blanche. Ce sont des Montbéliardes, des
vaches de montagne, plus précisément du Jura, un coup de
cœur que nous avons eu en 2000 pour cette race. Elles sont
rustiques et ont un fichu caractère mais c’est aussi ce qui
fait leur qualité. Toutes pareilles ? Eh bien non !
Il y a la grande Choupette avec ses lunettes, la petite
Candie, la grosse Royale, Tulipe avec son nez en trompette,
70

Sourire avec sa grosse mamelle, il y a aussi Nielle la toute
blanche et Chipie toute rouge, et aussi Athéna avec ses
grosses cornes ou les jumelles Coquine et Câline qui ne se
séparent jamais. Et puis il y a Rita, Agate, Babylone, Alizé,
Vichy, Vérone, Comète, Ushuaia, Vodka, Saga, Tacotte,
Rubie etc.
Elles sont toutes différentes, tant dans leur apparence que
dans le comportement. Nous n’avons pas le même rapport
avec chacune d’entre elles. Par exemple, ce matin, en
rentrant les vaches pour la traite, « Alleeeeez ! », c’est le cri
de ralliement, j’ai découvert dans les logettes un petit veau
tout juste né, une femelle que j’ai appelé Fionie.
Elle était bien entourée de toutes les vaches les plus
maternelles, j’ai mis plusieurs minutes à trouver la vraie
maman. La maman ? Anisette qui était partie manger
tranquillement comme si rien ne s’était passé. bien souvent
les naissances se font sans notre aide. Anisette est parfaite,
une vache sereine, sympa et belle en plus.
Tous les jours, lorsque je remets de la paille fraîche dans les
logettes, elle vient me voir et elle attend. Elle attend que je
lui gratte le cou et le dos, et lorsque je la fais patienter, elle
me donne des petits coups de tête dans le dos l’air de me
dire : « Oh, je suis là ! » Alors je lui réponds : « Tout à
l’heure, attends que je finisse ! » Elle me suit et c’est
toujours moi qui cède : « Bon d’accord, mais juste deux
minutes ! »
Il y a aussi les récalcitrantes et les lambines toujours dans
les dernières à la traite. Tanagra, nerveuse, démarre en
trombe à chaque fois qu’on s’approche d’elle, alors souvent
je lui dis « Ma pauvre fille ça fait cinq ans que l’on te trait
matin et soir et tu es toujours la même, incurable !» Alors
elle rase les murs en courant, l’air de dire « C’est bon
j’arrive, j’arrive ! ». Effectivement elle arrive, mais
seulement si je vais la chercher.
La traite du matin terminée, les vaches attendent dans une
cour fermée que le repas du jour soit distribué dans la
stabulation. Elles sont donc obligées de patienter, mais si
on écoute bien, on entend un petit gémissement comme
une plainte, c’est Sagesse. Elle a faim et s’impatiente.
Sagesse, c’est la chef et la meilleure vache du troupeau, déjà
9 ans et six veaux, toujours fraîche et vaillante, jamais
malade, toujours la première à la traite et surtout pour
manger. Quand Sagesse mange, il ne faut pas la déranger,
d’ailleurs elle est très affairée à repousser toutes celles qui
voudraient s’approcher.
Tulipe avec son nez en trompette a une particularité, elle
n’aime pas que Maëlan vienne l’agacer, elle s’avance, donne
des coups de tête, et ouvre grand la gueule comme un
hippopotame et le plus étrange est qu’elle ne le fait qu’avec
lui. Les vaches auraient-elles le don de différencier leurs
maîtres ?
Je donne peut être l’impression de parler des vaches
comme des membres de la famille. Elles ont toutes été «
baptisées » en fonction de la lettre de l’année et en rapport
avec leur origine (une autre manière de suivre la génétique
et les descendances), leur couleur, leur tempérament.
Royale a plusieurs filles dans l’élevage : Baronne, Comtesse,
Duchesse et Galante (tout est histoire de royauté). La fille
de Chipie, c’est Friponne, la fille de Texane, Dallas mais il y
a aussi Flamme toute rouge ou Flocon toute blanche,
Baltique et Doudoune nées des jours de grand froid.
71

Vous comprendrez ainsi que nous aimons nos animaux et
que ce ne sont pas uniquement des outils de travail ou des
robots, même si elles ont obligation de résultat, tout
comme un salarié.
Valérie : Catherine a évoqué tout à l'heure un vêlage qui
s'est fait sans elle. Cela n'est pas toujours aussi simple.
Vendredi, nous sommes allés aux champs voir nos génisses
prêtes à vêler et en avons rapproché quatre près du
bâtiment laitier pour mieux les surveiller. Dimanche matin,
l'une d'entre elles se tortillait un peu mais sans donner de
signe particulier. Pendant la traite, j'observais de temps en
temps par la lucarne de la laiterie, tout était normal. Avant
de partir à un rendez-vous, Alain est allé jeter un coup d'œil
vers 11 h30. Elle était tranquillement rentrée dans la
stabulation à manger du foin au cornadis.
Quand nous sommes remontés à 17h20 pour rentrer les
vaches, la génisse était allongée, le travail se faisait, une
patte était sortie. Alain a pu l'approcher et a constaté que
l'autre patte était coincée et qu'il manquait du passage. Il
nous a fallu mettre la vêleuse pour l'aider dans son travail.
Mais hélas, la petite femelle ne respirait plus. Une grande
déception, du remords, de la culpabilité. Une perte sèche,
12 mois de travail perdu pour un peu de négligence de
notre part, un manque de surveillance pendant quelques
heures d’absences.
Notre métier est dur moralement. Physiquement, nous
sommes tributaires de plusieurs facteurs : le travail avec du
vivant, la météo, 24h sur 24, sans relâche, aucun répit, mais
aussi la joie de vivre au grand air et de gérer son temps.
Pierre : Et toi Valérie, comment vis-tu ton rapport à la
nature ?
Valérie : En tant qu'agricultrice, je pense que nous sommes
plus attentives et sensibles au développement de la nature
autour de nous. Au début du printemps, quand je monte en
direction de l'exploitation, je peux observer l'évolution des
parterres de fleurs ainsi que les haies. Leurs couleurs
multicolores changent au fil des jours. On peut sentir dans
l'air, le parfum transporté par le vent.
Quand je mène les vaches laitières en pâture, j'ai le temps
d'observer du côté gauche du chemin les haies de pruniers.
Les bourgeons commencent à éclore, au fil des jours la
fleur apparaît d'une blancheur naturelle qui attire le regard
dans leur direction. Dans les branches, on peut entendre les
oiseaux siffler leurs refrains à tue-tête.
De l'autre côté, j'aperçois le changement du paysage, la
couleur des pâtures qui passe du vert foncé au vert clair.
Les petites marguerites qui montrent leur bout de nez, les
fleurs des pissenlits. Sans oublier les taupinières !
72

Après avoir marché un petit moment, j'arrive à destination
avec le troupeau, mené par Augustine toujours la première
à la tête du groupe. Malgré leur robe noire et blanche elles
sont toutes différentes par leur caractère, leur douceur,
leur lenteur, leur façon de marcher. Une fois arrivées,
chacune part dans son coin renifler l'herbe pour la brouter.
En tendant l’oreille, on peut entendre craquer l'herbe de
chaque bouchée prise.
On ne nait pas paysan, on le devient par passion du métier.
L'agriculteur, s’il fait ses choix en toute liberté, connait
énormément d'inconvénients dans son métier, des tâches
difficiles à accomplir. Il lui faut se soumettre aux conditions
climatiques pendant la période des semis, des récoltes, aux
heures de traite, et respecter de l'environnement.
En revanche, nous avons le privilège de respirer le bon air,
crier nos joies, observer le paysage, gérer notre temps, ne
pas courir pour prendre le métro. Voilà ce qu'offre notre
métier de jardinier de la terre.
Yolande : Dans mon élevage hors sol, je n'ai pas beaucoup
de relation avec la terre, si ce n'est par le jardin. Je trouve
agréable de semer une graine, la regarder grandir pour
ensuite la retrouver dans l'assiette.
La tempête avait décimé les sapins plantés depuis plusieurs
années, j'ai nettoyé, débroussaillé le terrain pour replanter
des conifères sur 5000 m 2 environ. Aujourd'hui, les sapins
servent de brise vent et ainsi intègrent l'élevage dans le
paysage.
J'ai planté aussi une haie fleurie pour le décor, les oiseaux y
trouvent refuge. Au printemps, ils construisent leur nid,
parfois j'assiste à leur va et vient avec des brindilles dans
leur bec. J'observe des mésanges, des rouges-gorges et
d'autres espèces dont je ne connais pas le nom. Comme je
leur donne aussi de la nourriture, je fais tout pour les
attirer.
C'est un bonheur de déjeuner dehors lorsque le temps le
permet, de regarder les nuages, les arbres, les vaches dans
le champ voisin. Parfois un héron vient leur rendre visite. Il
n'y a jamais deux jours semblables. Suivant les saisons le
paysage change de couleur. Dans la salle proche du bois, il
m'arrive d'apercevoir des écureuils sauter de branche en
branche. Je côtoie d'autres animaux que des lapins. Quel
bonheur de vivre à la campagne !
Claire : Dans notre ferme à Lintever, nous n'élevons pas
d'animaux.
Nous sommes de la terre. Soulever, gratter, patouiller,
semer, s'embourber, trimballer et remuer de la terre, on
connait.
Les animaux, je ne pratique pas vraiment à titre
professionnel à part des souvenirs d'adolescence de
l’élevage de porcs chez mes parents.
Depuis que je suis installée à la ferme avec Nicolas, nos
animaux sont dits de (bonne) compagnie. Des chiens,
toujours, indispensables et indissociables de notre vie. Les
noms changent avec les années, les nouvelles portées, les
accidents imprévus, Momo, Lassy, Chips, Régis, en ce
moment c'est Piou-Piou, Wally et Ratafia. Ratafia qui vient
d'être maman pour la première fois, 7 d'un coup, 7 petits
êtres qu'on va regarder grandir et qu'on va câliner et
apprivoiser jusqu'à ce qu'on leur trouve de nouveaux
maîtres, ce qui nous fait dix chiens à la maison. C'est la vie,
le mouvement, et j'aime ça, toujours une compagnie
attentive, un regard implorant, un pelage chaud et doux à
portée de main, sans oublier leurs petites manies. Wally ne
73

supporte pas la solitude et veut toujours être dans la même
pièce que moi, sous ma chaise, quand je suis au bureau,
mais l’ennui, c'est qu'il pète tout le temps, c'est ça aussi la
nature.
Il y a quelques années, à l'ouverture des chambres d'hôtes,
nous avons fait une tentative pour développer notre «
cheptel » : poules de toutes les couleurs, lapins, cochons
d'Inde, canards, oies, moutons d’Ouessant. Nous avons
apprivoisé les poules, Sucette, Noisette, Coucou. Mais les
renards et d'autres aventures moins glorieuses ont eu
raison de notre tentative. Actuellement, seuls nos deux
moutons d'Ouessant entretiennent le verger.
Cet été, un évènement imprévu et une rencontre
exceptionnelle ont fait germer l'envie de nous recréer un
environnement animal familier. Pauline, une jeune fille de
Nantes a débarqué chez nous par une belle fin d'après-midi
d'août ensoleillé, avec pour tout compagnon, un âne bâté
nommé Ismaël. Ce couple insolite faisait le tour de
Bretagne à pied, tranquillement, au rythme de l'âne,
s'arrêtant dans les fermes pour la nuit, se suffisant d’un
carré d'herbe et d’un seau d'eau. Cette rencontre toute
simple, mais très riche de petits bonheurs partagés, nous a
donné envie de retenter l'expérience : se rapprocher d'un
animal, tisser des liens, vivre plus près de la nature au
quotidien, à un rythme plus lent, être plus détendu, moins
courir. Nous nous sommes mis à la recherche d'un âne.
Après quelques mois de recherche, nous avons eu un coup
de cœur pour Grisette : une mule (croisement ponette et
âne) de 4 ans, à la une robe blanche et grise. Sa tête et son
regard vif nous ont plu. Nous l'avons ramené à Lintever en
octobre 2009. Au bout de quelques jours dans notre enclos,
surprise, Grisette est très curieuse, s'approche et mange les
croutons qu'on lui offre, mais l'attraper à la longe, ce n'est
pas dans ses cordes.
Jour après jour, nous lui parlons, néanmoins les progrès
sont faibles, pas si facile d'apprivoiser une mule dont on ne
connait pas le passé. Après quelques échappées et des
courses poursuites épiques (et hippiques) chez les voisins
qui ont aussi des ânes, nous avons décidé de réduire
l'enclos de Grisette. Nous l'appâtons avec des granulés, elle
s'approche de nous mais reste à une distance de quelques
mètres et se méfie dès qu'on tend la main pour attraper sa
longe. Je pense qu'on gagnera sa confiance par la
nourriture et aussi par sa curiosité. Quand elle est
contrariée, elle bouge les deux oreilles indépendamment
l’une de l’autre et tourne la tête de côté. Parfois, elle donne
un coup de sabot, fait demi-tour puis s'en va, mais elle
revient dès que l'on a le dos tourné pour vérifier si on n'est
pas en train de faire quelque chose d'intéressant.
La mule nous a donné des idées, nous allons aussi adopter
un couple de chèvres naines, cela lui tiendra compagnie et
nous apportera de la fantaisie. Les chèvres sont des
animaux gais et sympathiques, nous espèrons que cela
contribuera à amadouer Grisette.
Un compagnon inattendu s'est ajouté à notre crèche, un
beau poulet blanc destiné à la casserole, a débarqué à
Lintever (cadeau d'un ami contre un service). Nous l'avons
« posé » dans l'enclos en attendant le coup de grâce.
Grisette s'y est habituée, nous aussi, cela fait maintenant
deux mois qu'il partage nos restes d’épluchures de légumes
avec ses compagnons à quatre pattes. Il accourt à nos pieds
dès qu'il nous entend et nous donne des coups de bec sur
nos chaussures pour dire qu'il est là.
J'ai hâte de pouvoir caresser Grisette et de lui parler à
l'oreille, de la faire travailler tranquillement. Je souhaiterais
74

la bâter pour faire du portage de pique-nique pour mes
hôtes, envoyer Juliette chercher le lait frais à la ferme d'àcôté.
Il est encore un peu tôt pour échafauder des plans, car
avec notre tête de mule, la patience et la persévérance sont
les premiers enseignements que nous avons appris, avec
l'envie et la curiosité d'en savoir plus sur ces compagnons,
ceux qui justement ont aidé les hommes à retourner la
terre, inlassablement.
Pierre : Sur vos exploitations en plus des vaches, des veaux,
des cochons, des lapins, des poules, des mules, des chiens, n'y
a-t-il pas quelques autres bestioles qui s'invitent et parfois
s'installent pour longtemps.
Catherine. Eh oui ! Des « sales » bêtes comme on les
appelle souvent, des nuisibles. Tous ces animaux qui, en
plus du fait de ne pas être les bienvenus chez nous, ont la
faculté de se reproduire à une telle vitesse qu’il est très
difficile de s’en débarrasser, tels que les souris, les rats, les
pigeons ramiers, les mouches.
Il faut aussi parler des étourneaux, véritable fléau hivernal
des élevages laitiers. Tous les ans, la Toussaint rime avec
l'arrivée des étourneaux. C’est la période où ils migrent du
Nord de l’Europe vers des contrées au climat plus clément,
où ils trouveront leur nourriture pour passer l’hiver. Ils
arrivent par dizaine de milliers et jettent leur dévolu sur le
maïs des bovins, trient les grains qu’ils ingurgitent à une
vitesse impressionnante. Or le grain de maïs est aussi une
source d’énergie pour les vaches laitières.
Tous les jours, même scénario, vers 9 heures le nuage noir
vient de l‘Est, approche, se divise en plusieurs groupes. Ils
nichent tous les soirs au même endroit, souvent dans les
bois ou en ville ; chacun a sa ferme attitrée sans doute. Là,
ils attendent, perchés sur les arbres, dans un vacarme
assourdissant qu’on leur laisse le champ libre pour se
« restaurer ».
Chassez-les, ils sont de retour cinq minutes plus tard et au
fil du temps, ils deviennent tellement effrontés que plus
rien ne les effraie (ni les chats, ni les cris d‘éperviers, ni la
radio). À 17heures, tout le monde retourne au dortoir, le
ventre plein.
Ce manège dure jusqu’à la fin février, et pendant ce temps
ils n’oublient pas de laisser leurs fientes sur les charpentes
des bâtiments, dans la litière et l’alimentation des animaux,
et aussi sur le dos des pauvres vaches contraintes de
75

partager leur nourriture avec ces envahisseurs.
La solution ? Il y en a peu de vraiment efficace. Devant cette
nuisance, qui peut devenir un problème sanitaire,
l’Administration déjà contactée à maintes reprises par des
éleveurs excédés, n’a jamais été très perspicace (c’est
sûrement plus facile de contrôler si les vaches ont bien une
boucle à chaque oreille que de s’attaquer à des invasions
d’oiseaux nuisibles).
Pierre : Nous avons évoqué le renard, c'est un autre nuisible,
dont le voisinage n'est pas toujours facile à supporter.
Joseph : Je sais qu'il est présent sur la ferme, ou qu'il ne fait
que passer, mais je ne le vois jamais. C'est un nuisible
surtout par manque de vigilance de ma part, il sait
endormir les gens.
Sur la ferme cohabitent souris, mulots, rats, lapins, lièvres,
chiens, chats, quelques sangliers de passage et des
chevreuils. Près de la maison, grenouilles, crapauds,
hérissons et des insectes ; moineaux, pinsons, mésanges,
bergeronnettes, merles, mauvis, grives, rouges-gorges,
roitelets, mes poules et mes oies. En plein champ, les
alouettes, les cailles, les perdrix et faisans lâchés pour la
chasse. Dans les haies, passereaux migrateurs, bouvreuils,
chardonnerets, bruyants zizis, tarins des aulnes, verdiers,
serins ; et les rapaces : faucons crécerelles, buses.
Avec toute cette faune, maître Renard a de quoi se nourrir
une bonne partie de l'année. La période d'abondance dans
les nids correspond à l’époque où il élève ses petits.
L’animal est plutôt nocturne mais je l'ai déjà surpris, lors
d'une de mes balades à pieds, à chasser parmi les chevaux
dans une prairie. Dans ce cas, le mot d'ordre est de ne plus
bouger et d’observer.
Du bout de son nez à sa belle queue en panache, l’animal
est fuselé. Son museau long avec des poils blancs suivis de
poils roux, constitue son atout majeur pour flairer sa
nourriture. Sa tête fine est animée par des yeux en amande
qui lui donnent tout de suite un air malicieux ou cruel
suivant sa position à la chasse. Les oreilles, en permanence
à l'écoute, s'orientent séparément, l’une au vent, l'autre
vers l'objectif à atteindre. Il se déplace en souplesse,
essayant de ne pas faire de bruit à chaque fois qu'il touche
le sol. Même s’il n'est pas à la chasse, il marche comme s’il
effleurait la terre. La queue, en forme d'obus, touffue, aussi
longue que son corps, en fait sa beauté mais aussi le
trophée des chasseurs qui l’élimine.
La ferme fait partie de son territoire, il y vient pour se
nourrir, trouver un terrier pour élever sa famille ou ne fait
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que passer. Sa vigilance et sa discrétion me font l'oublier
mais quelques signes me prouvent son existence. Quand j'ai
planté des haies de noisetiers, le renard ou les renards ont
compris que les noisettes allaient être à leur disposition.
Moi aussi j'aime les noisettes et j'ai vite repéré leur
manège, ainsi que celui du mulot des champs. Je dois donc
faire aussi vite qu'eux, et aller ramasser les noisettes tous
les jours ou tous les deux jours. Sinon la sanction est
immédiate, les renards et mulots ont pris leur part. À terre,
ce ne sont que coques de noisette cassées et vides.
Heureusement, ils ne connaissent pas ma recette de cornes
de gazelle à base de pâte de noisettes.
Comme je suis tolérant, j'accepte qu'ils en mangent un peu ;
pendant qu'ils sont à manger des noisettes ou qu'ils
trouvent de la nourriture sur les terres, ils ne s'approchent
pas de la maison et surtout de mes poules. Car si le
poulailler est dans leur ligne de mire, adieu les poules ! Je
sais qu'un jour ils viendront, mais quand ? Les poules et les
oies vivent dans un parc dont je dois en principe abaisser la
trappe de l'enclos où elles dorment le soir. Mais depuis
quatre ans, il y a du laisser-aller, je ne la ferme pas. Or le
verger n’est entouré que d'un simple grillage à moutons.
Les renards peuvent très bien passer à travers les mailles
ou tout simplement sauter par-dessus, qu'est-ce qu'un
bond d’un mètre pour eux.
Depuis deux ans, une de mes poules a décidé de pondre à
l'extérieur du parc. Je lui dis pourtant : « Tu verras, un jour
le renard ne fera qu'une bouchée de toi ! » Mais les renards
feront comme il y a quatre ans. Cette fois-ci ils n'auront
même pas à attendre que je me lève le matin pour ouvrir la
trappe du poulailler. Pendant que je prendrai mon petit
déjeuner, ils s’empareront de plusieurs poules et comme
par hasard celles qui pondent le mieux. J'aurai beau
ameuter la terre entière, ils seront loin et contents d’avoir
d'aussi belles prises pour se régaler.
Le temps
Pierre : Dans la phase préparatoire de l'écriture, à la fin de
l'automne 2008, il avait été convenu de noter chaque matin
les mots qui venaient à l'esprit en ouvrant la fenêtre, et les
sensations éprouvées en constatant le temps qu'il faisait.
Le bouquet de petits textes que nous avions alors
recueilli, révélait déjà la diversité des préoccupations, des
sensibilités et par conséquent des imaginaires.
Catherine : A chaque saison, la nature est différente. Noël
passé, on nous annonce déjà que les jours rallongent. La
nature va se réveiller, les jonquilles pointent le bout de leur
nez, les premiers bourgeons apparaissent, le printemps
prépare son grand retour.
Pour les agriculteurs, le travail évolue au rythme des
saisons : semer, observer les premières pousses des orges,
les voir monter en épis puis contempler un court instant les
vagues que forment leurs barbes au gré du vent.
Et aussi, parcourir les pâtures avant la mise à l’herbe et se
surprendre à observer le ballet des hirondelles, entendre le
coucou au lointain, sentir les odeurs de la végétation qui
renaît. Enfin, se prendre un temps pour contempler la
nature face à cette vie qui nous fait courir. Ce sont de petits
instants de bonheur, qui ne coûtent rien et, qui nous
permettent de conserver la passion de notre métier.
Pierre : Mais le temps n’est pas toujours clément.
Catherine : Certes, la boue sera toujours la boue.
Ah, la météo, vaste sujet de conversation dans les
77

campagnes tant nous en sommes tributaires. Bien souvent
lorsqu’il pleut, ce n’est pas le bon moment (en période de
semis et de récolte) et lorsqu’il ne pleut pas, on réclame un
peu d’eau. C’est vrai que la météo n’est pas toujours
clémente avec nous. Une année, nous avons connu cinq
mois de pluie continue compromettant les semis d’hiver
des céréales, suivis d’une période de six mois de
sécheresse, mettant en danger cette fois-ci le bon
développement des cultures et entrainant la quasidisparition
de l’herbe, principal aliment de nos vaches. Au
sein d’un contexte économique difficile, de tels aléas
fragilisent un peu plus la situation financière de nos
entreprises.
Nous entendons régulièrement : « Ah, comme vous avez de
la chance de travailler à l’extérieur, au grand air, au contact
de la nature». Certes, mais ce que les gens oublient
souvent, c’est que nous sommes dehors toute l’année et pas
seulement quand le soleil brille.
Nous travaillons sous tous les temps : pluie, vent, froid,
neige et soleil. Parfois, on se dit qu’on voudrait bien
travailler à l’abri, surtout l’hiver quand il faut mettre le nez
dehors à 6 heures du matin, que la radio annonce des
températures glaciales ou des trombes d’eau et que l’on va
devoir travailler dans l’humidité, le froid et la gadoue.
Même si nos conditions de travail se sont améliorées,
comparées à celles des générations précédentes, il reste
toujours le côté salissant. Quoi que l’on fasse, de l’eau
mélangée à de la terre fera toujours de la boue. D’où
l’expression qui colle aussi à notre métier, celle de «
bouseux».
J’ai toujours ce sentiment de découragement quand
j’entends mes bottes clapoter dans la boue. Cette
impression est renforcée lors d’été calamiteux quand je
dois bien faire attention à chaque pas de ne pas laisser mes
bottes derrière moi, tant la boue devient collante.
Pierre : Et la neige ?
Joseph : Le froid d'abord. Pour faire face à la saison
hivernale, je me suis arrangé pour ne pas être bousculé de
travail à cette période. Je suis comme ma mère, toujours les
extrémités des mains et des pieds froides, même l'été.
Comme certains qui ont toujours chaud, moi le froid me
paralyse. Cela m'arrive pourtant de devoir être en extérieur
quand il y a des impératifs, quand les cultures en place
prennent du retard et demandent une récolte par temps
froid. Mais cela doit rester très épisodique. On prend son
courage à deux mains et on l'accepte quelques jours
maximum.
Avec la neige, le rapport est différent. Ce sont surtout des
souvenirs d'enfance qui me reviennent car elle est moins
fréquente qu'il y a quarante ans. Elle arrive souvent en
Bretagne après une période de froid, par radoucissement
des températures, combiné à des nuages venant de l'Ouest.
Cette année elle est venue en deux vagues, à quelques jours
d'intervalles. Pour une fois, la météo ne s'était pas trompée.
La neige est tombée en début de soirée. Dans la lumière de
la cour, de petits flocons sont apparus puis un mélange de
petits et de gros et enfin des gros flocons, comme en
montagne, recouvrant le sol en l'espace de cinq minutes. Je
me réjouis comme un gamin, car demain un beau paysage
s'offrira à mes yeux. Bien au chaud sous la couette, j'ai
regardé vers la fenêtre s'installer les reflets lumineux de la
neige dans le noir de la nuit. Je n'ai pu m'empêcher de me
78

lever deux fois pour contempler le tapis neigeux et le ciel
dégagé. Les étoiles scintillent, plus blanches que jamais,
nimbées de ce bleu qui donne l'impression d'une voûte
céleste plus proche de nous.
Au matin en ouvrant le rideau de la fenêtre, je suis content,
la neige n'a pas disparu, vite je descends chercher l'appareil
photo et remonte. J'ouvre la fenêtre et prend trois photos.
Je cadre le croissant de lune, dans un ciel mi-jour mi-nuit,
toujours bleuté. Pas une trace dans la neige comme si les
animaux ne voulaient pas toucher à ce décor. Je guette le
lever du soleil, j'irai faire aussi des photos derrière la
maison, seul cet endroit donne cette combinaison de
couleurs avec les pommiers, la neige, le soleil et ses rayons
jaunes qui cherchent à pénétrer tous les recoins et se
heurtent à la neige qui renvoie en brillance des reflets d’or.
Comme je ne travaille pas vingt-quatre heures sur vingtquatre,
la neige est le prétexte pour ne rien faire. Si d'autres
appréhendent son arrivée qui déstabilise leur rythme de
vie, moi je prends le temps de la regarder. Je joue avec elle,
je cherche des décors, des lumières qui m’enchantent.
La neige m'oblige également à me soucier de ceux qui n'ont
pas de moyen de transports et fait renouer les contacts
avec les voisins.
Comme je m'intéresse à tout, je consacre une partie de mon
temps pour accueillir des personnes autour d'une table.
Papoter avec des amies de tous milieux, avoir des loisirs, en
fonction du temps qu'il me reste après le travail. Il y a des
périodes de travail très intenses que l'on accepte parce
qu'ensuite, on sait que l'on pourra relâcher et avoir du
temps libre. Suivant les années, la météo peut tout
compromettre, il faut recommencer plusieurs fois la
préparation des terres, ce qui empiète sur nos temps libres.
Des récoltes moins bonnes en rendement ou des prix plus
bas diminuent notre bénéfice et retardent nos choix
d'investissement pour améliorer la maison, ou s’offrir un
divertissement.
Valérie : Une petite anecdote de l'hiver dernier.
Nous avons connu quelques difficultés avec la neige. Tout le
monde se lève le matin et voit un tapis blanc. Les filles
éclatent de joie:" Il y a de la neige, il neige ! Super ! Pas
d'école !" Elles se dépêchent de mettre leur combinaison de
ski pour aller se rouler dans le manteau blanc, faire des
bonhommes de neige, se laisser glisser dans les pentes des
champs. La joie de vivre se lit sur leurs visages.
À l’inverse, pour nous la journée va être difficile.
L’exploitation se trouve sur une butte ventée dont l'accès
est très en pente. Première difficulté : le laitier ne peut pas
monter. A nous de nous débrouiller pour ne pas jeter le lait
à la fosse. On ne peut pas fermer boutique aujourd'hui, et
attendre demain. Les vaches laitières ne s'arrêtent pas de
produire du lait du jour au lendemain. Encore une difficulté
à résoudre. Il nous faut une cuve alimentaire propre de
mille litres pour la mettre dans la voiture et siphonner le
lait, du tank à la cuve (nous n'avions pas de pompe à ce
moment-là). La surveillance oblige à rester immobile dans
le froid le temps que le lait coule dans la cuve. Des heures
de travail supplémentaires, avec la livraison du lait dans les
points de collecte que la laiterie nous indique. Des heures à
faire la queue, toujours dans le froid, en espérant que le
laitier ne prévienne pas trop tard que le camion est plein, et
qu'il faut aller plus loin. Au bout de deux jours de neige,
nous sommes à saturation. À quand un retour à la vie
79

normale ?
Quand il neige, il faut aussi aller voir les bêtes au champ,
casser la glace au marteau dans les bacs à eau quand elle
est épaisse. Au bout de quelques jours, d'autres difficultés
s’ajoutent, le courant ne passe plus dans les champs à cause
de la masse de neige sur les fils, on craint que les bêtes ne
s'échappent, il faut toujours être sur nos gardes quand il y
a de la neige.
L'été a aussi ses inconvénients. Quand il fait chaud, l'herbe
des vaches laitières ne pousse plus. Les pâtures grillent
comme des paillassons. Nous devons encore surmonter
une difficulté, car grâce à cette herbe nous valorisons notre
prix du lait. Quand il n’y a plus d'herbe, on passe à la ration
hivernale, le coût n'est plus le même. Par excès de chaleur,
les céréales s'échaudent, d’où moins de grains à la récolte,
moins de rendement, moins d'argent. Et voilà quelques
aléas du temps face à notre métier.
Yolande : Moi, non plus, je n'aime pas la neige !
L'autre dimanche, je me lève, ouvre les volets, et que vois-je
? Je n’en crois pas mes yeux. La neige, au moins 10 cm
recouvre la pelouse. Comment vais-je faire pour rejoindre
mon élevage car j’ai beaucoup de travail. Même le
dimanche, il faut y aller.
J’appelle mon fils habitué à rouler sur la neige puisqu’il est
routier. Nous prenons la voiture, il roule prudemment.
Arrivés à l’élevage, je me suis dit que j'aurais pu le faire,
que finalement ce n’était pas si difficile. Je me précipite
pour observer les salles. Les températures sont basses mais
restent correctes. Heureusement le chauffage a bien
fonctionné.
LE GVA (Groupement de Vulgarisation de
l’Agriculture)
Il a pour objet le développement agricole, ses objectifs sont
d’assurer le développement des exploitations par de la
formation, de l’information, du conseil en collectif. Il privilégie le
collectif au bénéfice de la personne, renforce l’autonomie des
agriculteurs dans leurs prises de décisions. Ses actions
concernent la personne, l’exploitation, le territoire et portent sur
les domaines techniques, économiques, humains et de
développement local.
Pierre : Quand on vit des situations si différentes, dans une
même profession, le témoin qui vous observe peut se
demander ce qui vous pousse à venir aux réunions du GVA ?
Catherine. Sortir de chez moi, voir du monde. Je ne veux
pas faire partie de ceux qui ne sortent jamais de la ferme.
J'espère retrouver, toujours avec plaisir, notre petite
équipe. Je me demande si tous vont bien. Dans quel état
80

d'esprit vont-il être : contents, énervés, motivés, désabusés
?
Nous vivons une période de crise agricole qui risque de
s'aggraver. Moralement, c'est parfois dur. Nous sommes
une bonne équipe soudée et contents de nous revoir, de
nous stimuler.
Valérie : Ce qui me fait plaisir, c'est de rejoindre les autres
membres de l'équipe d'animateurs, en sachant que je
retrouverai de la chaleur humaine, un réconfort que l'on ne
trouve pas forcément dans d'autres réunions.
Catherine : Chacun apporte ses idées. Nous discutons et
cherchons ce qui pourrait intéresser nos membres :
actions, soirées, débats, formations. Nous souhaitons être le
plus proche possible des préoccupations de la profession.
Notre souhait serait de retrouver un dynamisme au sein
des adhérents.
Valérie : Nous échangeons dans la convivialité. Cela me
rend heureuse de pouvoir mener à bien nos projets.
Claire : La fenêtre qu'ouvre ce groupe est devenue
irremplaçable, rare, riche, précieuse, source d'équilibre,
une des meilleures bouffées d'oxygène, voire parfois, de
bouée de sauvetage. De savoir qu'un groupe comme le GVA
(respectueux, convivial, formateur) existait autour de moi,
a été un élément déterminant dans ma prise de décision de
revenir sur l'exploitation pour y créer mon activité agrotouristique.
L'existence d'un tel groupe est essentielle pour
que ma vie sur la ferme soit vivable.
Yolande : Je participe avec bonheur aux réunions. Nous
partageons nos préoccupations, nous échangeons sur nos
problèmes. Nous voyons que nous ne sommes pas seuls
face aux difficultés dans l'agriculture et ressortons de là
plus forts pour affronter le lendemain.
Joseph : Je suis tombé dedans avec le MRJC (Mouvement
Rural de Jeunesse Chrétienne). J’y ai fait mes premières
armes, ai appris le fonctionnement d'un groupe. À 16 ans,
en 1974, j'étais trop timide pour imposer mes idées. Le plus
important pour moi était d'éprouver la sensation d'être
bien, et que les autres se sentent bien avec moi.
Je voyais déjà ce sentiment chez mes parents qui
participaient aux activités du GVA comme simples
adhérents. Concrètement, les voir améliorer leurs
conditions de travail, prendre du temps pour s'informer,
voyager avec des conseillers, sentir dans leur vie cet
enthousiasme, m'a marqué. Pouvoir apporter une
sensation de bien-être me suffit, je ne cherche pas autre
chose.
Yolande : Le GVA est un organisme neutre…
Claire :...avec des valeurs de non-jugement, de
confidentialité, de respect, d'écoute, de partage, sans parti
pris politique ou religieux, comme devraient l'être
beaucoup d'associations.
Yolande : Chacun y apporte les problèmes du terrain, et, en
ce moment, ce n'est pas cela qui manque.
Valérie : Ce que je trouve merveilleux dans ce travail
d'équipe c'est que personne ne décide pour le groupe,
chacun apporte ses idées, ses choix.
Catherine : Ses envies aussi…
81

Valérie : ...les thèmes à aborder ensemble. Nous cheminons
dans le même sens. Nous avons appris à nous connaître,
être à l'écoute de chacun, au fil des années passées.
Catherine : On peut parler librement entre nous, on ne se
juge pas, on se sent écouté.
Je sors de chez moi. Je l’ai déjà dit mais j'insiste. Pour moi,
qui travaillais avant dans les bureaux, c'est vital. Il est
important de voir d'autres agriculteurs plutôt que de rester
confiné chez soi. Dans notre métier, nous ne voyons en effet
que peu de monde, hormis vendeurs, commerciaux, etc. qui
nous rendent visite dans un but bien précis. On consacre un
temps pour réfléchir, faire le point sur nos préoccupations
professionnelles ou familiales, c'est aussi un moment de
convivialité. Nous établissons un programme d'actions, en
journée ou soirée, sur des thèmes qui peuvent intéresser
les adhérents. Ce qui me rend le plus heureuse, ce sont des
actions réussies.
Valérie : Cela permet aux adhérents d'échanger, de se
remettre en question, de trouver des solutions, changer
leurs manières de faire, concrétiser un projet.
Claire : Le GVA peut accompagner notre vie d'agriculteurs
du début à la fin sur des niveaux différents, humains,
relationnels, techniques, pratiques... et nous aide à
progresser, à prendre des décisions, à vivre des situations
difficiles, à mettre en place des actions collectives
enrichissantes.
Joseph : J'exerce le métier d'agriculteur et je n'ai connu que
cela, je ne peux pas le comparer aux autres corps de
métiers. J'ai commencé à 24 ans, plein d'enthousiasme,
plein de projets en tête, avec un acquis hérité des parents.
La crise économique qui m'a frappée dès mon entrée dans
le métier, face à une installation qui demande une période
d’adaptation, sans pouvoir me libérer pour voir ailleurs. Je
me suis engouffré dans la course à la production, les heures
de travail, des remises en question, des prévisions
chamboulées.
Ma carrière a commencé par une crise avicole, alors que je
possédais un atelier de 11 000 pondeuses. Au bout de 6
mois, j'ai connu la première crise de l'œuf. En février 1983,
je décide de vendre les poules car la vente des œufs ne
couvrait plus l'achat de l’aliment. Un industriel, à qui j'avais
vendu les poules avant l'heure m'avait dit :" Plus il y a de
crise, plus on fera de bénéfice sur votre dos." Bilan
déficitaire dès mon premier lot, à 24 ans, ça vous vaccine à
vie.
J'ai réfléchi aux différentes possibilités afin de pouvoir
continuer sans trop de dégâts. Le choix d'augmenter ma
superficie me laissait plus de liberté pour vendre mes
produits à qui je voulais. Il m’a fallu 10 ans pour combler
mon déficit, mais j’ai fait ce choix.
Après l’achat de foncier pour atteindre 27 hectares, je me
suis concentré sur la production de plants de pomme de
terre qui, à son tour, a connu des bas en 1992.
J’ai réorganisé mon mode de commercialisation pour me
lancer comme producteur-vendeur. Cela m'évitait d’être
déficitaire, de vivre avec peu de moyens, mais de réussir à
rembourser tous mes emprunts. En 2003, j’ai arrêté la
pomme de terre, elle subissait des prix toujours tirés vers
le bas. La seule solution pour avoir le même revenu, peu
reluisant, aurait été d'augmenter les surfaces.
82

J’ai opéré une réorientation pour remplacer les pommes de
terre par du chanvre. Il me demande un temps de mise en
route pour décoller dans mes ventes en direct auprès des
particuliers et des artisans.
Le métier d'agriculteur me fatigue, m'éloigne de ma
conception de la profession, m'enlève cette idée de métier
libre qui jusque-là me permettait de suivre mon chemin et
de préserver ma santé.
outil de travail ? J'ai entrepris la plantation de haies
bocagères (dites brise-vent) avec les conseils du GVA. Je
connais le brise-vent, j'ai dans un tiroir, un document
datant de 1972 écrit par Jean-Louis Joyeux.
Leurs lieux d'emplacements m'ont permis de protéger les
bâtiments d'exploitation, la maison et d'éviter l'érosion des
champs. Les couverts végétaux font leur apparition sur la
ferme. Je mets en place, suite à une formation, la réduction
de doses de produits phytosanitaires depuis 1988. Certains
organismes qui gravitent autour de moi sont toujours dans
l’expectative, ceux qui font des efforts sont ignorés et ceux
qui ne respectent rien ne sont jamais inquiétés.
J'ai multiplié mes différentes formes de production en
ayant en tête de ne pas me mettre en danger. À chaque
changement de cap, j’ai toujours gardé cette envie de
connaître les gens. Évidemment, on fait une sélection mais
cela vous ouvre des portes, des horizons.
J'ai appris, pour ne pas être trop dépendant des autres, à
réparer moi-même mon matériel, l'améliorer, faire de la
soudure, de l’électricité, la comptabilité.
Pierre : Et c'est le GVA qui t'a accompagné durant toutes ces
années ?
Joseph : Bien sûr ! La question d'une terre respectée est
venue avec la tempête de 1987. Comment protéger son
Pierre : Et toi Valérie ?
Valérie : Parfois, j'ai l'impression d'avoir intégré un groupe
de thérapie. Quand ça ne va pas, les autres membres du
groupe sont là pour vous dynamiser, vous rendre le
sourire, rire pour oublier le quotidien.
Pierre : Mais le GVA, ce n’est pas seulement des réunions du
groupe des animateurs, si j'ai bien compris ?
Claire : Effectivement, c'est aussi tous ceux et celles qu'on
voit souvent aux formations ou aux actions de
communication (de Cléguérec ou de Pontivy), que l'on
croise occasionnellement à une formation, que l'on
accueille pour notre AG annuelle, enfin tous ceux, plus ou
moins lointains, qui nous rejoignent pour l'AG ou les
actions départementales, les voyages d'études. Le GVA c'est
tout ça, un noyau très local et fort avec des satellites, plus
au moins proches et variables dans le temps, il tient du
système solaire.
83

Catherine : Lorsque nous nous engageons dans la
préparation d'une action, nous gagnons de l'assurance.
Grâce au GVA, j'ai appris à être plus à l'aise devant un
public (jusqu'aux saynètes de l'AG).
Claire. C'est l'un des rares groupes que je connaisse où l’on
passe de l'idée à l'action, sur des thématiques très
diversifiées. C'est encourageant d'aller à des réunions où
l'on sait à l'avance que quelque chose de concret en sortira,
comme les mercredis à la ferme par exemple.
Pierre : Peux-tu nous dire en quoi cela consiste, et nous
raconter un de ces mercredis ?
Claire : L'idée de départ, en 2002-2003, était de proposer
aux citadins, touristes, néo-ruraux, voisins, la découverte
d'une ferme d'aujourd'hui. Nous avions besoin de
communiquer sur notre métier et ses diverses facettes,
notre vie quotidienne, et aussi de réaffirmer notre place sur
le territoire et dans la vie locale.
Concrètement, il s’agit d’une animation à la ferme que les
GVA de Cléguérec et Pontivy ont proposée chaque
mercredi, pendant l'été de 2003 à 2008. Une ferme
différente ouvrait ses portes chaque mercredi après-midi :
accueil, visite commentée, goûter champêtre avec les
produits de la ferme, suivi selon la commune d'une visite
guidée du patrimoine local (chapelle, four à pain,
fontaine...). Ainsi chaque mercredi (de 3 à 8 selon l'année)
30 à 150 visiteurs débarquaient sur une ferme et passaient
un bon moment avec les agriculteurs accueillants et toute
l'équipe des "Mercredis".
Au fil du temps, on s'est rendu compte que les visiteurs
recherchaient la découverte, étaient intéressés par la visite,
mais surtout ce qu'ils appréciaient c'était le grand air, la
campagne, la ferme, dans la bonne humeur, la convivialité,
la simplicité.
Plus de 5000 visiteurs ont ainsi arpenté les chemins des
deux cantons pour caresser veaux, vaches, cochons,
moutons, pigeons ; toucher blé, herbe, patates, chanvre,
maïs, partager lait, far, cidre, crêpes, riz au lait, prunes.
Du côté des organisateurs participants, les Mercredis nous
ont appris à mieux nous connaître, à monter un projet en
groupe, et a permis de rassembler des agriculteurs dans un
même but. Nous avons acquis un savoir-faire en
organisation de manifestation à la ferme : réunions
préparatoires, conférence de presse, organisation de
l'événement, kit de l'organisateur, préparation du circuit de
la visite, organisation et service du goûter ; nous avons
appris à parler et intéresser un groupe de visiteurs, à
parfaire l’accueil et à réaliser des enquêtes de satisfaction.
Un des principes était que les personnes du groupe allaient
aider chez ceux qui ouvraient leur porte. J'ai, comme pour
un bon noyau du groupe, sillonné les routes du canton avec
dans mon coffre du cidre, du far, du riz au lait, fins prêts
pour le goûter de 16 heures. D’autres se sont spécialisés
"caissières", ou "chiens de troupeau" chargés de pousser et
de rassembler les groupes de visiteurs.
Côté visiteurs, je garde en mémoire la petite lumière que
j'ai vu s'allumer dans les yeux de personnes très âgées du
Foyer Jeanne de Kervénoël, adeptes des mercredis, tout
comme celles du Foyer de vie de Cléguérec. Prononcer les
mots de Bintje, Charlotte, marcher sur la terre et la toucher,
prendre une bolée de cidre au grand air tous ensemble, ce
sont des moments partagés de communion, riches et rares
à cultiver.
Un des moments les plus émouvants pour moi a été la
rencontre de Madeleine, une petite dame très âgée du
84

foyer, avec Piou Piou, notre petite chienne. Dès son arrivée,
elle a attrapé le chien « Ah, mon Médor, je t'ai enfin
retrouvé ! », elle a marché en le serrant très fort, pendant
toute la visite dans le verger, l'a gardé sur ses genoux
pendant le goûter, et a eu beaucoup de mal à s'en séparer
au moment du départ.
tourisme, les banques et les élus. Nous pouvons tous être
très fiers de cette action menée pendant plusieurs étés et
surtout avoir apporté aux gens ces moments simples de
convivialité à la ferme.
Pour conclure, voici le mot d'un petit garçon très gourmand
qui a suivi les mercredis : « Eh, Madame, vous allez devenir
très riche avec votre riz au-lait, il va faire le tour du monde
tellement il est bon ».
Côté agriculteurs, l'expérience nous a fait en rencontrer
beaucoup, certains n'ont fait que passer, d'autres sont
devenus des collègues fidèles. L’objectif du départ était de
communiquer vers l'extérieur, mais nous avons aussi
appris à mieux nous découvrir, et cela en valait la peine. Au
bout de six ans, nous avons décidé de faire une pause car
l'énergie et la disponibilité demandées devenaient trop
grandes pour recruter de nouveaux soutiens. Je suis
satisfaite de l'avoir vécu, d’avoir fait sur le pays quelque
chose de reconnu par les habitants, par les offices de
Pierre : Pouvez-vous nous parler d'autres activités qui vous
ont marquées ?
Valérie : Il y a quelques années, le GVA a permis à huit
d'entre nous de partir ensemble à Paris, au Salon de
l'agriculture, bien sûr. Échanger, voir ce qui se passe
ailleurs, prendre du bon temps, goûter le rhum des Antilles,
déguster le fromage, le jambon du Pays Basque pour mieux
les savourer l'année suivante dans leur région. On a pu
constater qu'à Paris, il n'y a pas toujours d'eau chaude pour
se laver. La ville n'est pas mieux desservie que notre
campagne. Deux jours à vivre ou à ne pas vivre, courir pour
traverser les rues, courir dans le métro, voir ces gens
tristes qui regardent le sol, dans leurs pensées, les yeux
fixes. Nous nous sommes découverts hors de notre
contexte habituel et avons renforcé notre amitié.
Qu'est-ce qu'on est mieux au vert !
Pierre : Et le voyage au Québec, l'an dernier ?
Yolande : A la mi-septembre, une trentaine d'agriculteurs
de la région Est du Morbihan s'est envolée vers le Canada
pour un voyage d'étude. Cette région m'a été conseillée par
des personnes qui l'ont visitée. Au Québec, la première
85

langue est le Français, la seconde l'Anglais. Nous nous
sentions comme chez nous, grâce aux Français qui ont fait
la traversée il y a bien longtemps.
Nous n'avons pas à envier leurs routes, elles sont abimées
par des hivers rigoureux. Par contre, nous étions reçus
dans des hôtels confortables et la nourriture était très
appréciable. C'est une vaste région. Nous faisions deux à
trois cent kilomètres par jour pour une visite
d'exploitation.
Les vaches sont toute l'année dans des étables entravées.
Dans certains endroits, même les queues sont attachées.
L'éleveur est en permanence dans l'étable pour nettoyer
sous elles et les nourrir. Les étables comptent entre 50 et
100 laitières. Nous avons visité un autre modèle
d'exploitation : 160 laitières en stabulation avec quatre
robots de traite. Les terrains sont praticables de mai à
novembre : maïs, soja, blé, luzerne sont les principales
cultures.
Nous avons rencontré Solidarité rurale du Québec. La
mission de cet organisme est de promouvoir la
revitalisation et le développement du monde rural, de ses
villages, de manière à intégrer dans les campagnes les
agriculteurs et les autres occupants du territoire :
chasseurs, pécheurs. « Tant vaut le village, tant vaut le
pays » comme ils disent.
Comme chez nous, certains reviennent au pays, laissant
derrière eux de confortables revenus. Par exemple, ce
couple d'une quarantaine d'années qui installe un élevage
de bisons et construit une ferme auberge. Ils apprécient
cette situation.
Pierre : Il y a eu un autre voyage récemment, en Allemagne
celui-là. Joseph peux-tu nous en parler ?
Joseph : En novembre 2008, une réunion d'information sur
les panneaux photovoltaïques était organisée par les
conseillers agricoles de la Chambre d'agriculture et des
agriculteurs engagés dans la pose ces panneaux. L'idée
m'avait séduite en partie, seul l'aspect rentabilité m'avait
freiné dans mon élan. J'avais fait le voyage avec Claire à
Kerguéhennec pour cette réunion.
Le groupe précurseur a poursuivi sa réflexion et décidé
d'organiser un voyage en Allemagne. Pourquoi ne pas
étudier cet aspect photovoltaïque ?
Nous sommes partis à une trentaine d'agriculteurs et
agricultrices, et des responsables, conseillers agricoles, du
26 au 29 janvier 2009 pour Fribourg et ses alentours. Nous
sommes en mission, c'est-à-dire moitié découverte du pays,
moitié travail d'étude sur notre sujet « Nouvelles énergies».
Le voyage en train au départ de Vannes, avec Karine
comme animatrice, a permis de faire connaissance avec le
groupe.
Le séjour a associé la visite de certains lieux dans des villes
où nous passions et des exploitations ayant investi soit
dans le photovoltaïque, soit la méthanisation, soit le
chauffage à partir du bois déchiqueté.
Notre première visite à débuter à Shiltigheim, par
l'entreprise Heineken, suivie de la visite de Strasbourg,
pour montrer que les bretons savent apprécier une bonne
bière.
À partir du deuxième jour, les choses sérieuses ont
commencées, visites et contacts directs avec des
86

propriétaires. Un accompagnateur allemand nous a rejoints
pour faciliter la traduction. Le groupe pouvait prendre des
photos, poser des questions souvent très techniques afin
comprendre les différences entre les normes établies en
Allemagne et en France. Karine avait constitué, dès le
matin, des groupes de travail avec pour mission de noter
les renseignements communiqués lors des visites. Ces
informations, sous forme de résumés, étaient relues à
l'ensemble du groupe lors de nos déplacements en car,
entre deux visites d’exploitations. Les données ont été
inscrites par écrit. Cet échange va dans les deux sens, ceux
du groupe non désignés pour le résumé peuvent compléter
des idées vues ou entendues.
Pendant deux jours, nous avons sillonné la région de
Fribourg par un temps sec et froid. Rester sur place à
écouter une personne n’est pas un exercice auquel nous
sommes accoutumés.
Le dernier jour, le groupe est revenu en France pour
sillonner la « Route des énergies » dans le département de
Meurthe-et-Moselle. Nous avons visité un gîte muni d’un
équipement panneaux solaires couplés avec une chaudière
à bois déchiqueté, un ensemble d’éoliennes, une
installation de méthanisation et pour finir une exploitation
laitière équipée d'un roto tandem pouvant accueillir 25
vaches pour la traite. Retour sur Nancy pour prendre le
train pour la Bretagne via Paris.
Ce voyage m'a plu, j'ai rencontré des personnes qui vont de
l'avant avec une dimension tout autre par rapport à mes
ambitions. Certaines reconversions dans ces nouvelles
énergies m'ont choquées, je n'étais pas le seul. Ainsi cette
exploitation de méthanisation où toute la surface agricole
implantée en mais, herbe, ensilage servait en totalité à
alimenter la méthanisation. Une petite partie allait quand
même aux vaches laitières, mais toute la paille et le fumier
finissait dans la méthanisation, seul le lait était exporté de
l’exploitation.
Ce déplacement est comme tous ceux réalisés au pas de
course. Il permet d'aller voir et de visiter des installations
qui acceptent les groupes, qui consentent à donner des
réalisations chiffrées, à parler de leurs difficultés tels
l’aspect financier, le temps de travail, la fiabilité du
matériel, le choix des matériaux et les petits trucs appris
sur le tas.
Au bilan, j’ai repris confiance dans le photovoltaïque, j’ai
replongé dans les réunions organisées pour peaufiner mon
projet. Si tout n'est pas facile ensuite, la coordination de
l'organisme agricole et de l’agriculteur associés facilite des
éclairages tels que planning des réunions, compte rendu
écrit, échange de nos souhaits. Ces aspects administratifs
sont indispensables mais, de par notre métier, trop longs à
gérer individuellement, si nous faisions tout nous-mêmes,
nous ne serions plus jamais sur l'exploitation.
Pierre : Claire, au début de notre rencontre, tu nous parlais
du GVA comme d'une fenêtre ouverte, « vitale pour que la vie
sur la ferme soit vivable ». Le premier contact que tu as eu
avec le GVA, t'en souviens-tu ? Est-ce cette première
impression qui a motivé ton engagement ?
Claire : Je me souviens très bien de ma première rencontre
avec la technicienne de l’époque, Yolande, accompagnée
d’une animatrice agricultrice. Elles avaient demandé à
venir me voir à la maison pour discuter, faire connaissance.
Je m’en souviens bien pour plusieurs raisons. Nicolas est
originaire de Cléguérec, mais moi, j’y habitais depuis moins
87

d’un an et je ne connaissais pas grand monde. J’étais
connue comme la femme de Nicolas, mais je fréquentais
peu de personnes, j’étais donc toute contente qu’elles
veuillent me voir.
Je les ai accueillies à la maison, on s’est assises, et on a parlé
tranquillement. Elles m’ont écoutée, je les ai écoutées, et
c’est ce qui m’a plu, cette qualité de relation, de contact
établi entre nous.
Lors de cette première rencontre, elles m’ont demandé de
venir témoigner à l’occasion d’une soirée-débat-relations
humaines dont le thème était « Femmes d’agriculteurs
travaillant à l’extérieur. Femmes d’agriculteurs travaillant à
la ferme ». J’ai accepté. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers
pas au GVA, directement mis dans le bain. J’ai apporté mon
témoignage devant une trentaine de personnes, croisant
mon expérience avec celles de deux autres femmes, et
recevant les commentaires vifs et animés de l’assemblée,
surtout composée de femmes.
Je leur ai parlé de la façon dont s’organisait notre vie
quotidienne, notre journée, sachant que j’avais un emploi
assez prenant à « l’extérieur », partant le matin à 7h30 et
revenant rarement le soir avant 19h (c’était bien avant les
35h). J’ai expliqué que, compte tenu de mon emploi du
temps, et sachant que je considère que mon mari était
assez grand, je ne lui lavais pas son linge sale, que je ne lui
préparais pas son repas le soir pour le lendemain midi, en
gros, il se débrouillait. Cette notion d’égalité hommesfemmes
était évidente pour moi à l’époque, mais elle avait
provoqué de vives réactions : « Quoi, tu ne prépares pas à
manger à ton homme. Ah, moi, je ne pourrais pas ! » Et moi,
rétorquant: « Et pourquoi pas ? »
Pierre : Cela c'était au siècle dernier. Mais maintenant
comment voyez- vous les choses ?
Claire : Avec presque 20 ans de recul, je ris, parce qu’il y a
certaines choses sur lesquelles je n’ai pas cédé –par
exemple, chez nous, chacun repasse, ou ne repasse pas,
pour soi– mais il y a aussi eu quelques désillusions et reculs
ou aménagements de complaisance dans l’organisation,
bien carrée, que j’avais ordonnée après notre mariage.
Depuis que j’ai créé mon activité chambres d’hôtes à la
maison, et que je suis tout le temps là, il y a eu des
«mauvaises habitudes » de prises. Pour recaler le tout, de
temps en temps, cela fait du bien de partir en voyage
d’études 8 jours, seule, sans (presque) rien prévoir pour les
repas, ou de s’absenter pour des réunions à la journée. Mais
le plus dur, c’est quand j’ai une grosse charge de travail
dans mes chambres d’hôtes et que je suis quand même à la
maison, donc corvéable pour préparer le repas, le servir,
débarrasser, etc.
Pierre : Tout cela aurait-il été possible sans le GVA ?
Claire : Quand je repense à tout ce que je viens de dire, je
crois que la barre était haute et je pèse, à sa juste valeur,
tout ce que m'a apporté le GVA. Un espace de liberté et
d'échanges, lieu où l'on s'informe et se forme, où l'on
progresse, où l'on rêve, puis on bâtit des projets collectifs,
un lieu d'intégration aussi pour les nouveaux. À ce sujet, je
voudrais que l'on réfléchisse à notre groupe actuel : on y
est très bien, vraiment très bien. Mais sommes-nous
ouverts, prêts à accueillir et à intégrer de nouveaux
arrivants ?
Catherine : Grande question.
En ce qui concerne notre équipe, nous sommes toujours
88

volontaires, mais je me pose des questions face à la
démobilisation dans les campagnes, car peu de nos
adhérents se déplacent pour assister aux actions que nous
mettons en place, sauf pour notre A.G. Alors pourquoi ? Pas
envie ? Pas Concernés ? Pas intéressés ?
Valérie : Comment sera l'avenir ? J'espère qu'on restera
solidaire pour poursuivre nos objectifs, élargir la mixité de
notre équipe en conservant son harmonie. Que chacun
trouve son équilibre dans une ambiance amicale.
Claire : Va-t-on réussir ensemble à tenir ce degré
d'exigence, voire d'excellence ? Je le pense car notre atout
est de ne pas être seuls, nous constituons un groupe.
Pierre : Ce groupe a ses règles qui régissent sa vie, son
fonctionnement, détermine ses objectifs et les stratégies à
mettre en œuvre tout au long des jours, mais il est restreint.
Où sont prises les décisions qui vont orienter les activités du
GVA sur toute l'année ?
Joseph : Dans un groupe chacun anime suivant ses
convictions. Mises bout à bout, les choses avancent
finalement.
Pierre : Mais, les grandes orientations ? Catherine vient
d'évoquer l'assemblée générale, qu'en dites-vous ?
Yolande : L'assemblée générale reste un moment fort.
Beaucoup d'agriculteurs y participent. L'ambiance est
bonne. Cela nous rend heureux d'être ensemble, de
partager ces moments de convivialité.
Pierre : C'est ce que nous avons constaté lors de la dernière
assemblée générale à laquelle vous nous aviez invités.
Pouvez-vous préciser ce que vous en avez retiré sur vos
orientations et encouragements pour vos nouveaux projets ?
Catherine : Nous gardons notre fil conducteur, à savoir
rester proche et à l’écoute de nos adhérents surtout dans le
contexte économique actuel particulièrement
décourageant. Il est important de les consulter pour
connaître aussi leurs attentes, tout sujet social ou
économique peut être abordé sans préjugés. Nous sommes
là pour essayer de maintenir un tissu social qui s’effiloche
de plus en plus par un rythme de vie oppressant et où l’on
perd souvent toute notion de convivialité et solidarité.
Yolande : Certaines AG sont plus réussies que d’autres. Je
me souviens particulièrement de celle de l’an dernier, le
thème était « Nos produits ont la patate ». Des membres du
bureau ont fait un sketch sur ce thème, et des gâteaux ont
été distribués pendant la réunion. C’est difficile d’être tous
les ans au top malgré tous les efforts fournis. Maintenant, le
groupe est rodé : chaque personne a son poste pour la
préparation de la salle, le buffet et tous les à-côtés. Chacun
a aussi son rôle dans le déroulement du programme. Des
journées de formations sont aussi proposées comme la
89

gestion du stress, qui a donné lieu à une petite saynète que
Catherine et Valérie ont interprétée.
Deux amies se rencontrent :
Delphine : Depuis le temps qu’on ne s’est pas vu, comment vas-tu ?
(Elle est visiblement heureuse et détendue)
Annette : Oh moi, pas très bien. (Sa tenue laisse à désirer et elle est mal coiffée.)
D : Ah bon, pourquoi ?
A : (ton déprimé.) L’agriculture va très mal, tu as vu le prix du lait, il ne cesse de baisser. Je me demande jusqu’à quand je vais pouvoir régler les
factures. Je dors très mal. J’ai mal ici et là (elle montre la tête, l’estomac, le dos …). Je vais chez le médecin qui me donne des antidépresseurs. Non,
ça ne va pas.
D : Tous, plus ou moins, nous vivons la crise mais on ne peut agir individuellement.
A : Et bien, on ne dirait pas à te voir, tu as un grand sourire. Comment fais-tu ?
D: Je ne vais pas voir le médecin, je ne prends pas de médicaments, je ne contribue pas au déficit de la Sécurité Sociale (et elle rit.)
A : Tu as de la chance, mais comment fais-tu ?
D : Je suis de temps en temps des formations avec le GVA, en plus de nous former, on se retrouve, on échange, on relativise, du coup, on se libère
de nos préoccupations et on apprend à prendre de la distance, à gérer notre stress ou à regarder l’avenir au-delà de la situation actuelle. On
dépend beaucoup de l’extérieur mais notre vie c’est quand même nous qui devons la mener. Et en plus, ça ne coûte pas très cher d’autant qu’on
reçoit des aides de Bruxelles.
Viens nous rejoindre, bientôt tu n’auras plus besoin de tes béquilles de médicaments. Tu te sentiras beaucoup mieux.
point des projets envisagés et des objectifs fixés à l'assemblée
générale ?
Pierre : Et pour terminer sur le GVA, pouvez-vous faire le
Valérie : Lors de notre dernière assemblée générale, nous
avons posé la question aux adhérents :
« Qu’attendez-vous du GVA et qu’est-ce que vous
souhaiteriez que l’on fasse ensemble au sein de notre
groupe ? »
90

Une proposition de voyage d’étude a été émis à plusieurs
reprises pour découvrir une autre région et ses habitants,
agriculteurs mais aussi commerçants, artisans, toute
personne impliquée dans la vie locale de son pays.
Si ce projet est une attente de certains adhérents, nous
nous sentons le devoir d'y travailler activement pour
répondre à leurs attentes.
Nous souhaitons constituer un groupe de travail composé
d'élus, d'agriculteurs, de commerçants qui désirent
s'investir activement dans le projet.
91

CHANGER LE REGARD
Produire pour nourrir
Simone. Au sortir de la guerre 39-45, à la demande des
politiques, et pour répondre aux besoins de la population
française, les instances agricoles de l'époque se sont données
clairement pour mission de « nourrir les Français. »
« Ferons-nous la soudure ? » telle était la question que les
journaux posaient chaque été avant les moissons, de 1946 à
1949, au gouvernement obligé d'importer du blé américain
ou australien pour assurer le ravitaillement de la population.
Pierre : Après, tout rentra dans l'ordre, le rationnement
disparut et la France retrouva son autosuffisance
alimentaire. Puis, devant le développement de la population
mondiale, le slogan devint :
« Nourrir la planète ! ».
Les gouvernements de l’époque mirent en œuvre des
politiques agricoles, appuyées sur les recherches de l'INRA
qui aboutirent au modèle productiviste dont on déplore
aujourd'hui certains aspects, ou certaines conséquences.
Les agriculteurs se trouvent placés devant les multiples
contradictions de ce type d'agriculture dans une économie
néolibérale mondialisée, contradictions encore accrues par
les crises qui ont secoué et secouent la planète. Ces difficultés
créent tensions, incompréhensions, graves
dysfonctionnements ressentis le plus souvent en termes
d'injustice. Raisons pour lesquelles, vous vous sentez
démunis, dévalorisés parfois même à vos propres yeux.
Catherine. Je grogne, et j'en arrive à inventer des mots
dans cette jungle administrativenvironnementalagricole !
Imaginez : DEXEL, PMPOA 1 et 2, Directives Nitrates 1, 2, 3,
4 … droits à produire, autorisation d’exploiter, plans
d’épandage, de fumure et de fertilisation, calendrier
d’épandage, mises aux normes, cahier phytosanitaire,
bandes enherbées, couverts végétaux, redevances
pollution, phytosanitaire, registres d’élevage, de pharmacie,
bien-être animal, charte sanitaire, agrément, certification,
aides PAC, photos satellites, DPU, Grenelle de
l’environnement 1 et 2, conditionnalité, écoconditionnalité
…
Je vais m’en tenir là pour aujourd’hui, vous allez attraper le
tournis,
Il faut bien admettre que les agriculteurs sont de moins en
moins nombreux, mais de plus en plus surveillés et que
l'administration bruxelloise ne manque pas d’imagination.
Il est plus facile d’œuvrer pour l’environnement, assis dans
des bureaux, souvent surchauffés et bien éclairés, que
d’être tous les jours les pieds dans la boue dehors par tous
les temps.
Chaque année, une nouveauté fait son apparition, une taxe
ou redevance, un texte interdisant ceci ou cela. En cause,
l’environnement, au nom de la sauvegarde de notre bonne
vieille Terre.
Je n’aime pas le gaspillage, la pollution des milieux
naturels, il faut effectivement faire des efforts pour sauver
la planète.
Les erreurs du passé ne vont pas s’effacer d’un coup de
baguette magique. Les efforts d’aujourd’hui porteront leur
fruit sur le long terme. Mais pourquoi est-ce toujours à
nous de tout supporter, et en Europe plus que dans les
autres continents? Nous ne pouvons plus être
92

concurrentiels économiquement face aux autres pays sur
le marché mondial.
Nous sommes prêts à limiter l’utilisation des produits
phytosanitaires. Nous pensons à l’avenir de nos enfants.
Mais, qui pense à nous ? Allons-nous être en mesure de
poursuivre une activité de plus en plus exigeante et de
moins en moins rémunératrice ?
Derrière la contestation, il y a aussi le sentiment de révolte
face à tout ce système bien structuré où prime le profit et
où l’humain ne trouve plus sa place.
De producteur nourricier de la population, nous ne
sommes plus que le premier maillon de la chaîne de
l’industrie agro-alimentaire à la pointe de la technologie.
Mais sans ce maillon, la machine, même bien huilée, ne
fonctionnera pas longtemps et nous devons, tous
producteurs confondus, rassembler nos forces pour nous
sortir de ces sables mouvants.
Voilà, il est 17 heures, l’heure de la traite. Une fois de plus !
Ah ! Si j’avais un robot !
Pierre. Et toi Claire, l'an dernier tu parlais de ta « rage » et
en parsemais tes textes. Aujourd'hui est-elle toujours au
même niveau ?
Claire. Comment ne pas gronder quand les obstacles ou la
bêtise dépassent les bornes ?
Dans notre profession, nous sommes confrontés à un
dilemme, d’un côté, on nous demande de nourrir la planète
dont la population s’accroît d’année en année, de produire
« propre », au moindre coût, de l’autre, nous assistons à un
grignotage des terres agricoles.
Je suis une personne plutôt entière, certains sujets abordés
dans l’actualité, dans le monde agricole, dans les médias,
les réunions, les discussions, me mettent hors de moi. Il en
résulte une discussion tendue, une rancoeur, ou un grand
silence.
Voila une sélection de ce que je ne supporte plus.
La non-reconnaissance du travail à la maison pour les agricultrices et les femmes à la maison qui s’investissent bénévolement dans
des associations locales :
« Est-ce que tu vas à la réunion demain pour les rencontres parents-professeurs ?
93

- Voisine : Et bien, non, je ne peux pas y aller, tu comprends, Claire, moi, je travaille !
- Et tu iras aider pour éplucher les légumes pour la Potée de l’école ? C’est samedi.
- Ben non, tu comprends, moi, je n’ai pas le temps, les courses, le ménage, les enfants à emmener aux activités. Tu en as de la chance,
toi.
- Rrrhhh…. Tu sais, souvent, quand je reviens d’une réunion vers 22h30, il n’est pas rare que je mette lave-linge, sèche-linge, lavevaisselle
en route et plie 2 ou 3 tournées de linge sec en retard. Parfois, se libérer pour aider pour l’école ou une association, n’est
pas qu’une question de temps, c’est choisir de privilégier ce qui compte, pour soi, ses enfants.
Les gens qui reprochent aux autres ce qu’ils font eux-mêmes :
«Dis donc, vos gros tracteurs, ils consomment un maximum.
- Oui, mais on produit à manger, ce n’est pas rien.
- On revient de Grèce avec les enfants.
- Et alors, vous y êtes allés comment, à vélo ?
- Non, en avion, c’est formidable, rapide et pas cher.
- Oui, et en plus, ça ne consomme pas ! »
L’ignorance ou la sous-information volontaire pour des sujets d’économie basique
France Inter, septembre 2010 : Le prix de la baguette va de nouveau flamber. En cause, le prix de la tonne de blé qui a augmenté de 50
% ces jours derniers. Les consommateurs vont encore trinquer. Ah, non, ils ne vont pas encore nous refaire le coup de la baguette qui
flambe !
Pour mémoire :
Pour faire une baguette de pain, il faut environ 250 g de blé.
La baguette s’est vendue environ 1€ en 2010.
Prix de la tonne de blé achetée au producteur ?
En moyenne, ces dernières années, autour de 100-150 € la tonne (à part quelques envolées, il y a deux ans à 200-250 €, et cet
automne à 180-200 €).
Ce qui veut dire que, dans le prix d’une baguette en France, la matière première « blé » au cours mondial de 150 €/tonne ne
représente que 0,0375 € (c'est-à-dire moins de 4 cts d’euros, c'est-à-dire moins de 4%) et que même si le blé était payé tout le
temps 200 € la tonne, ce qui correspondrait à un prix plus équitable pour les producteurs, cela ne représenterait que 0,05 € soit 5
centimes, soit 5% c'est-à-dire moins que la TVA qui est prélevée (5.5%) sur chaque baguette.
94

Quand un prix augmente, pourquoi s’attaque-t-on toujours à celui qui est au début de la chaîne, au prix de la matière première,
comme si c’était le seul levier pour ne pas augmenter les prix.
On ne demande, ni au meunier, ni à l’URSSAF, ni à EDF, ni à la TVA, ni aux autres fournisseurs du boulanger de diminuer leurs
marges ou prélèvements. La seule ressource, devenue très pratique, est de pressurer les producteurs, sans tenir compte qu’ils ont
eux aussi des charges qui augmentent chaque année, comme celles des collègues boulangers.
persistais à user le matériel jusqu'au bout.
Yolande. J'ai connu une période difficile de 1998 à 2002.
Beaucoup d'éleveurs ont dû arrêter la production, d'autres
comme moi se sont battus. Malgré les visites répétées des
techniciens et des vétérinaires, la mortalité restait
importante. Ils conseillaient de faire un vide sanitaire avant
de reprendre l'activité. Mais je ne voulais pas l'entendre, et
Dans cette période difficile, je n'ai pas reçu l'aide que
j'attendais de personnes proches. Celles que j'avais aidées
auparavant m'ont ignorée ou abandonnée. Par contre, j'ai
eu de l'aide de personnes dont je n'attendais rien :
techniciens, vétérinaires, responsable du groupement,
banquier.
95

Enfin, en 2002 je me suis résignée à arrêter et faire un vide
sanitaire. Je pensais toujours reprendre l’activité en lapin
bio ou label. En attendant, je me suis retrouvée à l'usine.
C'était l'horreur, mais j'avais le choix : rester à la maison
tourner en rond, ou travailler en usine. J'ai choisi la
deuxième solution en me disant qu'au moins je gagnerai de
l'argent et surtout que je cotiserai pour la retraite. Après
deux ans de vide sanitaire et de démarches infructueuses
pour le label et le bio, j'ai repris l'élevage intensif de lapins.
A ma grande satisfaction, les nouvelles conditions de travail
dues au matériel et aux méthodes d'élevage conseillées par
les techniciens que je rencontre fréquemment, ont
révolutionné le sanitaire et les résultats sont là aujourd'hui.
Par exemple, je travaille en bande unique. Tous les animaux
du même âge sont dans la même salle. Lors du départ pour
l'abattoir, la salle est vide. Je la nettoie entièrement à la
haute pression et la désinfecte. Elle est deux ou trois jours
sans animaux, l'hygiène est ainsi améliorée. Les
reproducteurs rentrent dans une salle propre.
Je suis contente que les médias parlent enfin des abus entre
le prix payé au producteur et le prix payé par le
consommateur. La production française de lapins a
diminué avec des arrêts d'élevage dû à une conjoncture
morose. Au fil des ans, le revenu stagne. Il y a 25 ans avec
150 cages mères, l'éleveur s'en sortait correctement. Il faut
aujourd'hui plus de 400 cages mères pour espérer dégager
un revenu.
Voici quelques chiffres donnant la situation il y a 20 ans et
aujourd’hui :
- Les charges sociales : de1000€ à 3/4000€.
- Le prix des reproducteurs est passé de 7 à 18€,
- Le prix de l'aliment de 140 € la tonne en sac, à 210 €
la tonne en vrac.
- Le prix de vente du kg de lapin sorti de l’élevage de
2,18€/kg à 1,57€/kg en 2009. Le consommateur a
vu le prix augmenter de 35 à 50 %.
Cette fourchette de prix est évocatrice.
Autrefois, dans ma famille, on était agriculteur de père en
fils. Lorsque le fils arrivait en âge de travailler vers 14 ou
15 ans, même avant dans certains cas, il quittait l'école
pour aider à la ferme, pas besoin de diplôme pour
l'installation. Le matériel n'existait pas ou si peu, ce qui
était un avantage pour reprendre la ferme au moindre coût.
La banque n'avait pas non plus le rôle qu'elle a aujourd'hui.
Au fur et à mesure que l'argent rentrait, on remboursait les
autres héritiers.
Pierre : Mais tout cela c'était hier ou avant-hier, aujourd'hui
96

la situation est fort différente. Et si la grogne est parfois le
dernier moyen pour exprimer un mal-être profond, doit-on
s'en satisfaire ?
Yolande : Non, bien sûr. Lors des manifestations qui se
multiplient dans tous les milieux ces derniers temps, on
entend souvent des commentaires injustes par manque de
connaissance de nos problèmes. D'où la nécessité de
communiquer, de parler, d'expliquer sa profession, de
montrer sa vie.
Les journées "portes ouvertes" ou la rando-ferme, par
exemple, peuvent nous y aider.
Joseph : Quand je rouspète après une personne ou un
établissement, si on ne se rencontre pas, si je laisse la
situation s'éterniser, j'ai l'impression qu'on m'en veut.
Alors qu'une fois le contact établi, l'affaire est classée
rapidement et surtout rien de ce que j'imaginais n'est
évoqué.
Dans mon travail, j’aime mettre en place de nouvelles idées.
En trente ans de carrière, l'exploitation a vu trois ou quatre
révolutions. Je fais avec les moyens du bord, car l'argent
n'est jamais au rendez-vous. L’important a été de réfléchir
sur mon projet et de rencontrer des personnes qui m’ont
apporté leurs conseils.
Pierre : Mais au niveau de la production, comment vois-tu
les choses pour « nourrir la planète », comme disent les
experts ?
Joseph : Je suis agriculteur depuis 29 ans, j'ai toujours pris
le temps de m'informer sur le monde extérieur. Certaines
personnes m'ont appris, pendant toutes ces années, à
comprendre le fonctionnement de certains organismes
s'occupant d'humanitaire. J'en ai choisi quelques-uns car
leurs actions au niveau local restent concrètes et simples.
Deux fois par an sur la commune de Neulliac, des femmes
font des galettes de pomme de terre, pour le Secours
catholique et pour le Comité contre la faim et le
développement. L’argent récolté grâce à la vente de ces
galettes est versé aux deux organismes. À mon niveau,
j'essaie d'en vendre dans mon quartier. Les personnes qui
en achètent savent que l’action est destinée aux
associations humanitaires. Ces galettes sont réalisées avec
des ingrédients donnés gratuitement, produits par des
agriculteurs de la région. Je reste sur ce simple
engagement, j'essaie d'en vendre, j'en achète, j’en
consomme.
J'ai aussi décidé depuis trois ans de consacrer une somme
d'argent pour une association travaillant avec le Sénégal.
Cette somme, versée et envoyée en intégralité, permet à
deux enfants d'aller à l'école et d'avoir un repas à midi
pendant un an. Je sais que ces enfants sont choisis parmi les
familles les plus démunies. Ma mission s'arrête là. Les
enfants africains doivent avoir une éducation, après ils
décideront de leur avenir.
Le choix de cet organisme a été guidé par son éthique. Les
médias relatent trop souvent des dérives, une gestion des
denrées alimentaires et des fonds récoltés qui fait vivre une
économie parallèle au détriment des bénévoles et des
donateurs.
Je me trompe peut-être, mais n'avoir que 27 hectares est
ma façon de nourrir la planète. J'ai 30 ans de métier, j'ai
97

investi, je ne dois rien à personne, je ne cherche pas à
prendre la place d'autres agriculteurs. La terre appartient à
tout le monde. Je produis des légumes et n'hésite pas à en
donner à ceux qui n'ont pas trop les moyens. J'ai la
conscience tranquille.
Pierre : Comment se passe ton rapport avec les organismes
et institutions agricoles?
Joseph : J'aborderai le rapport avec les organismes
agricoles ou non agricoles, sur deux aspects du relationnel.
J’en rencontre au moins 18, deux ou trois fois par an.
Pour la moitié d’entre eux, l'argent est au cœur de notre
relation. Lorsqu’il n’est pas négociable, elle se borne à des
échanges de courrier via la poste, c’est la première forme.
À présent, tout est organisé pour faire soi-même ces
démarches. Dans les banques, tout peut se faire au guichet
automatique, à la poste une multitude d'opérations se font
sans interlocuteur, avec les GPS dans les voitures plus
besoin de demander son chemin.
Pour d’autres organismes, un interlocuteur s'impose pour
compléter des documents afin de recevoir de l'argent ou
d'en verser. Et ce deuxième versant n'est pas le plus facile.
La démarche auprès des organismes est très variée, elle
peut aller d'une simple demande de documents, d’adresse,
d’aide à remplir un dossier ou de se faire connaître auprès
des services.
Une fois la conversation engagée, il n’est pas évident de
trouver les mots pour dire que l'on ne comprend pas un
document, ou de formuler sa demande. Je me suis souvent
retrouvé face à des personnes qui croient qu’on en a
l’habitude, alors qu'on utilise ces démarches une à deux fois
par an.
Il n'empêche que pour moi qui suis célibataire, et qui ai
l'habitude de rester silencieux toute la journée, à force de
rester trop longtemps sans parler, je ressens de
l'appréhension à aller vers les autres et évidement à
trouver les mots pour m'exprimer, ce n'est pas toujours
facile à vivre.
Pierre : Tous les organismes sont-ils tous aussi
déshumanisés ?
Claire : J’aimerais vous faire ressentir les liens qu’on tisse
avec nos techniciens de coopératives, nos acheteurs. Même
si nous sommes parfois en désaccord, il est important
d’installer des relations de confiance. Être correct et savoir
qu’on peut compter les uns sur les autres, même si les
règles sont souvent faussées, le rapport de force étant
inégal avec l’agro-industrie et la grande distribution.
Nous appartenons pour l’instant à un système complexe
dans lequel nous cherchons, petit à petit, à travers nos
questionnements, nos recherches, nos nouvelles pratiques
et nos nouveaux projets à aller dans un sens plus logique,
plus autonome et plus équitable. C’est ainsi que nous
modifions progressivement des pratiques culturales, plus
de compost, moins d’engrais, moins de travail du sol, plus
de couverts végétaux…
Nous essayons de diversifier nos activités pour ne pas être
dépendant ou tributaire d’un seul acheteur. Quand nous
produisons du plant certifié de pommes de terre ou du
légume-industrie ou du blé, nous ne sommes pas sur les
mêmes marchés, ni avec les mêmes acheteurs. Le fait de
développer l’activité photovoltaïque et bientôt, nous
l’espérons, de participer au développement de la filière
98

ois-énergie, nous permet de trouver une certaine
indépendance et un enthousiasme sur des projets porteurs
et tournés vers le futur.
Yolande : Je voudrais dire aussi que les assurances sont
chères mais obligatoires, heureusement, car si on ne
s'assurait pas, ce pourrait être catastrophique, lors de
sinistre. Quant à la MSA, elle prélève des sommes
importantes sur le revenu, mais de cette cotisation
dépendra le montant de la retraite le moment venu.
L'an passé, j'ai été contrôlée par une fonctionnaire de la
DDA. J'ai reçu un courrier 8 jours avant. La veille, elle m'a
appelée, avec des paroles rassurantes. Le jour même, elle
me téléphone à nouveau au moment du repas pour me dire,
avec toujours des paroles confiantes, qu'elle aurait un peu
de retard. A son arrivée, je lui présente les documents
demandés, ensuite nous avons visité l'élevage, car elle ne
connaissait pas l’élevage de lapin. Un point négatif a été
trouvé : le portail de la fosse. J’éclate alors de rire en lui
disant que c'est moi qui ai dit de ne pas grillager ce portail,
je trouvais que la ferraille suffisait. Depuis, bien sûr, le
grillage a été placé.
Je l'ai trouvée bienveillante, on a beaucoup parlé de la
profession et de ses problèmes. Bien que représentante une
Institution, elle avait beaucoup de qualités humaines.
Pierre : Et l'Europe, nous en avons encore peu parlé.
Yolande : La PAC et ses lourdeurs administratives, son
incapacité à juguler les cours mondiaux des matières
agricoles qui remontent en flèche. Ces aides publiques
devenues parfois des rentes foncières, versées même
quand rien n'est produit, paraissent une absurdité quand le
nombre de bouches à nourrir dans le monde augmente
chaque jour. Tiraillée entre les exigences de qualité et de
quantité, de normes environnementales et d'équité, elle est
tel un attelage cherchant son allure.
Joseph : Quand on lit les journaux traitant des problèmes
agricoles, on a le sentiment d'une agriculture qui essaie de
sauver les meubles, toujours en perpétuelle recherche pour
garder son revenu quand il y en a. Les articles traitent
d'exploitations de tailles différentes dans lesquelles des
organismes externes à l'agriculture s'introduisent pour
prendre une part du gâteau. Et l'on s'aperçoit que le
dimensionnement optimum des structures enlève tout
espoir de garder les petites en place. Que ce soit au plan
local ou au plan mondial, quand il s'agit d'obtenir des
capitaux qu'ils soient tirés des revenus agricoles ou venant
de l'extérieur (impossible de connaître les proportions) le
plus fort gagne à tous les coups.
A notre échelle locale, les décideurs des versements
d'argent public travaillent sur du court terme et prennent
progressivement du retard sur l'économie mondiale. Les
industriels du domaine privé se regroupent de plus en plus,
souvent avec l'apport de nos parts sociales, et l'on
remarque de graves incohérences. Des entreprises qui ont
des revenus positifs à titre individuel sont fermées sur
décisions de conseils administrations considérant que
l'ensemble des entreprises ont majoritairement des
revenus négatifs.
Les nouveaux agriculteurs se rendent-ils comptent des
enjeux sur le territoire ? Ils investissent des fonds de plus
en plus importants, mais qui supportera leurs dettes en cas
99

de faillite dans le cadre de l'économie libérale où le plus
fort gagne ?
Catherine : Je voudrais revenir à la suite de Claire et de
Valérie sur la « flambée » (les guillemets ont toute leur
importance) du prix des céréales et pour abonder dans leur
sens. Je voudrais préciser, en tant que producteur de
céréales et également éleveur de porcs, que le discours qui
voudrait mettre dos à dos les céréaliers et les producteurs
de viande est une façon de détourner le problème des cours
de la viande, maintenus volontairement très bas. Après
avoir décimé l’élevage avicole en Bretagne, celui du porc
est au bord du gouffre.
Par exemple, lorsque nous vendons nos céréales 20 € de
plus la tonne (tant mieux), il va sans dire que le prix de
l’aliment lui augmentera de plus de 40 €. Alors, je demande
aux fabricants d’aliments du bétail, qui est le plus à
plaindre ? En effet, ce ne sont pas tant que les céréales
soient trop chères, puisque à 200 € la tonne, c’est le prix
normal pour que le producteur puisse vivre, mais c’est
surtout que le prix du kilo de porc ou de viande bovine
reste irrémédiablement à un niveau très bas. Comment
l’expliquer ?
Sachant que les importations de porcs (surtout d’Espagne)
augmentent en volume d’année en année, il y a donc de la
demande. Gwénael et moi possédons un petit atelier de 360
porcs « fermiers Label Rouge » : une petite niche dans la
filière qualité (avec un cahier des charges très stricte)
puisque nous ne sommes plus qu’une dizaine
d’engraisseurs sur la Bretagne, chiffre qui décroit.
Malgré la prime à la qualité, la situation reste difficile,
l’abatteur invoque des soucis de débouchés. Il nous a lancé
lors d’une assemblée générale « Ah, si vos cochons
n’étaient fait que de jambon ! » Pas facile à résoudre
comme problème.
S’il est vrai que le consommateur français est
particulièrement amateur de jambon (plus que nos voisins
européens), on dit bien que dans le cochon tout est bon,
non ?
Il en est de même pour la viande bovine, pourquoi
maintenir des cours aussi bas ? Selon les associations de
producteurs de viande bovine, le simple fait d’augmenter
(départ exploitation) de 0.60 €/kg entrainerait un surcoût
pour le consommateur de 8 € par an (sans intégrer les
coefficients multiplicateurs de la grande distribution, bien
sûr) sur sa consommation de viande. Ce n’est pas
exorbitant 8€ : un paquet de cigarettes, 2 apéros, une
pizza….
100

Pour ce qui est de la filière lait, également concernée par la
hausse du prix des aliments du bétail, une étude récente
montre que le prix du litre de lait UHT demi-écrémé a
augmenté dans les rayons de 17% entre 2000 et 2010.
Dans le même temps, le prix payé au producteur de lait
(entier ) n’a progressé que de 0,7%, preuve donc que les
hausses sont bien répercutées (et on l’annonce clairement
à grand coup médiatique) mais les baisses ne se voient pas
forcément en rayon.
Le vrai débat réside dans le fait que personne ne veut
admettre que produire et se nourrir a un coût et que ce
coût doit être assumé par toute la chaîne de la « fourche à
la fourchette ».
Claire : Les derniers chiffres de l'INSEE montre que les
ménages européens dépensent en moyenne moins de 11 %
de leur budget dans l'alimentaire. Dans cette part, 1/3 soit
3,6 % repart aux agriculteurs pour payer la matière
première, qu'on peut arrondir à 4 % si on intègre les
primes PAC (le reste rémunère les industries de l'agroalimentaire,
les emballages, le transport et les GMS). Donc 4
% du budget des ménages rémunère les produits agricoles.
C'est peu par rapport au 35-40 % d'il y a 50 ans ici en
France ou aux 50-60% encore d'actualité dans les pays dits
en voie de développement.
C’est d'ailleurs un critère de développement au niveau
international, plus ce pourcentage baisse, plus on considère
que le niveau de vie augmente, drôle de critère plutôt
cynique.
Voltaire ne disait-il pas déjà en son temps : « On a trouvé,
en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux
qui, en cultivant la terre, font vivre les autres ».
J'entends dire aussi parfois que l'alimentaire est, dans les
pays occidentaux, la variable ajustable que l'on cherche à
faire tendre vers zéro, on n'en est plus très loin.
On dit aussi qu’il faut des produits de meilleure qualité, il
faut des produits bio moins chers. Toujours plus, mieux et
moins cher. L'alimentation a une valeur, un juste prix,
correspondant à des coûts, des heures de travail, que la
plupart des consommateurs ont tendance à oublier quand
cela les arrange. La plupart des agriculteurs sont prêts à
effectuer des changements à condition d'obtenir des
engagements sur les prix.
Pierre : N'y a-t-il pas, au-delà des coûts de la production et
de prix à la consommation, un problème de
commercialisation qui reste tributaire des goûts de la
clientèle ?
Yolande : Même enfant, on peut cuisiner le lapin avec des
recettes très simples et rapides. Il est dommage de se
priver d'une chair peu onéreuse, saine, digeste et
délicieuse, pourvu qu'elle soit accommodée avec talent.
En France, la filière représente environ 3 500 élevages et
10 000 emplois. Elle est, hélas, en baisse sensible, ce qui est
infiniment regrettable pour l'équilibre diététique et le
plaisir gastronomique des Français.
Le goût français a évolué. Le lapin est aujourd'hui plus
facile à trouver dans les rayons des supermarchés et plus
apprécié que le lapin de garenne jugé trop fort par
beaucoup de consommateurs, il est vrai de moins en moins
habitués à manger du gibier. Il possède d'éminentes vertus
diététiques, pauvre en lipides, d'autant qu'il est facile à
dégraisser, riche en oméga 3, en vitamines B3 et B12, en
phosphore, potassium et sélénium. Certains le jugent un
peu fade, mais en réalité sa viande est savoureuse à
101

condition de l'accompagner, et si on le souhaite, avec les os,
y compris ceux de la tête qui donnent de la richesse aux
sauces et les lient naturellement.
Parmi les recettes prisées par les présidents de la V ème
République, « la terrine de lapereaux à la confiture
d'oignons » était appréciée par Valéry Giscard d’Estaing. Le
lapin est désormais parvenu sur les plus belles tables de
France. Sa chair se prête à tant de préparations
savoureuses et digestes qu'il serait dommage de s'en
priver.
Pierre : Si je vous comprends bien malgré la grogne et les
coups de gueule justifiés, tout n'est pas aussi sombre que cela
peut paraître au premier abord.
Les abats sont aussi délicieux, cervelle, langue et surtout le
foie et les rognons qui peuvent être préparés pour euxmêmes,
les premiers, poêlés, les seconds grillés ou à la
crème et aux champignons. Ils s’accommodent très bien
aussi avec des tomates, du maïs. Sa chair tendre absorbe
bien les liquides : vins blanc, rouge, bière, cidre et les
matières grasses. Elle prend les parfums des ingrédients
avec lesquels on le cuit, en particulier les herbes
aromatiques, thym, laurier, sauge, sarriette, estragon,
persil, romarin, ciboulette, ail et oignons. Le lapin
s'accommode bien de fruits secs. Après avoir bien mijoté,
les sauces prennent facilement en gelée, ce qui permet
terrines et rillettes peu grasses.
Catherine : Après les récriminations « administratives »,
notre rapport aux institutions est parfois et heureusement
positif. Ainsi, nos relations avec l’antenne locale de la
Chambre d’agriculture et avec la CUMA (Coopérative
d’Utilisation du Matériel Agricole), deux organismes
proches du terrain.
Lorsque je me rends à la Chambre d’agriculture de Pontivy,
je me sens à l’aise, on se connaît presque tous et l’accueil y
est chaleureux. L’investissement dans le GVA y est aussi
pour quelque chose. Comme l'a dit Valérie, la formation
continue en agriculture est indispensable (et c’est une
chance que nous avons par rapport à d’autres corps de
métier). On y propose un catalogue de formations à un
faible coût.
La Chambre est le lieu où l’on peut trouver des
informations concernant les nouveautés (contraintes
environnementales), les évolutions des techniques
culturales et d’élevage auprès des techniciens de formation
agricole ou agronomique qui restent proches du terrain.
Sa neutralité et le fait qu’elle n’ait rien à vendre, nous
102

permet d’y trouver gratuitement des documents et
renseignements nécessaires.
C’est aussi un lieu de rencontre et d’échange entre
agriculteurs par le biais des groupes « lait » et « culture »,
groupes animés par des techniciens et conseillers formés
pour animer des réunions.
Plus près de l’exploitation, nous adhérons à la CUMA pour
l’utilisation de matériel d’épandage de fumier et lisier.
Cette association d’agriculteurs a acquis, sous forme de
mutualisation, du matériel agricole qui n’est utilisé que
temporairement dans l’année, ce qui limite ainsi les
investissements financiers puisque le coût du matériel est
réparti entre tous ses membres.
Chez nous, nous pratiquons également la mutualisation
pour tout ce qui est matériel de culture : charrue, semoir,
pulvérisateur, moissonneuse-batteuse, round-baller,
faneuse, faucheuse, etc., matériel utilisé seulement
quelques mois dans l’année, ce qui réduit les frais. Ce type
de fonctionnement permet également aux agriculteurs de
se rencontrer de temps en temps et de discuter, un moyen
d’éviter aussi l’isolement dans nos exploitations.
Pour finir sur la mutualisation des outils de travail, nous
adhérons également à un groupement d’employeurs. Nous
sommes neuf exploitations qui employons à l’année un
salarié polyvalent dont l’emploi du temps est établi tous les
premiers lundi du mois entre les adhérents. Cette pratique
donne une aide pendant les périodes de surcharge de
travail sans être obligé d’embaucher un salarié à l’année.
Pierre : Le département et la Région, personne n'en encore
parlé...
Claire : Le Conseil Régional de Bretagne a lancé, le
trimestre dernier, un forum sur son site, ainsi formulé «
Pour la nouvelle alliance de l'agriculture bretonne et les
citoyens. » J'y ai participé et je peux retranscrire ici
certaines de mes contributions au débat.
Je souhaite, d'abord, reformuler la question : "En tant que
citoyen, quelles sont vos attentes vis-à-vis de l'agriculture
en Bretagne ?" d'une autre façon : en tant que citoyen
breton, consommateur et acteur en Bretagne, comment
soutenez-vous concrètement par vos achats l'agriculture
que vous aspirez à voir se développer ?
En effet, dans les contributions et dans les médias, on
adresse aux paysans les nouvelles attentes sociétales. Plus
de bio, plus de qualité, plus de lien social, moins de
pesticides, plus de proximité, relocalisation, plus de circuits
courts, projets qui sont certainement en partie les clés pour
le présent et l'avenir de l'agriculture bretonne. Or, faisons
le point des achats dans la ville, comptons les voitures
garées devant les grandes enseignes, les hard-discount, et
comparons à celles garées devant les commerces de
proximité, les producteurs fermiers ou l'AMAP (Association
pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne) locale. La
démonstration parle d’elle-même.
Je pense qu'avant de dire ce que chacun souhaite pour
l'agriculture, il serait bon de se poser les questions :
- Comment agir ? Et de transformer ses dires en actes
d'achats concrets dès à présent.
- Où acheter les produits alimentaires ?
- Où sont-ils produits et par qui ?
- Sont-ils locaux, fermiers, bio, équitables, labellisés,
103

de qualité ?
- A quel prix au magasin ?
- À quel prix au producteur ?
Si la Région s'interroge, personnellement je suis
convaincue que l’agriculture bretonne a de l’avenir :
- Pour tous les jeunes qui veulent courageusement
s’installer en agriculture et à qui nous devons
donner de l’espoir.
- Pour tous ceux qui sont installés depuis 5, 10, 20
ans, qui ont fait le choix risqué de reprendre une
exploitation, qui vivent et subissent des crises,
cherchent des solutions, se diversifient,
réfléchissent, se forment, évoluent…
- Parce que la Bretagne est une des régions les plus «
productives » de France et du monde au niveau
agricole et agro-alimentaire. Tout y pousse et nous
savons tout faire, tout transformer, nous avons la
terre, les hommes, les outils, les savoir-faire
agricoles et agro-alimentaires, le climat tempéré et
la pluie.
Il faut évidement relocaliser ce qui est relocalisable,
favoriser les circuits courts, évoluer vers des systèmes
plus écologiques, et surtout plus équitables et
rémunérateurs, mais ce serait un comble de réduire la
future agriculture bretonne à une simple agriculture de
vie en autarcie. Nous avons de quoi nourrir plus de 10
fois notre population, et nous abandonnerions ?
Pierre : Mais concrètement qu'est-ce qu'en tant
qu'agricultrice, tu attends des collectivités locales ?
Claire : Les collectivités locales doivent montrer l'exemple
dans les restaurations collectives qu'elles cofinancent
(cantines scolaires, hôpitaux, crèches, maisons de retraite).
Ce serait pour nous, agriculteur, un signal fort, clair,
encourageant et motivant. C'est une des pistes, mais pas la
seule, le sujet est bien trop vaste pour n'avoir qu'une
solution.
Sachant qu'un repas sur quatre en Bretagne est pris en
restaurant collectif, cela permettrait déjà d'installer, ou
d'aider à maintenir un bon nombre de fermes pour de
l'approvisionnement local sous contrat vivable, viable et
équitable et cela aurait la force de l'exemple. Accepter que
le prix du repas soit payé à son juste prix, à des
producteurs locaux.
Petit rappel pour les non-convaincus, 92% de la viande
servie en restauration collective est d'origine nonfrançaise.
Il conviendrait également de changer le fonctionnement et
le calcul des budgets. Toute la nouvelle génération de
cuisiniers de restauration collective a été bien formée à
gérer des ratios au plus bas et à « sortir du repas » à moins
de 1,50€ de coût-matière déjà semi-ouvrée et livrée.
La nourriture est vitale pour l'homme. Dans les budgets des
familles, des Collectivités, des Régions, des Pays, la valeur
de l'alimentation est la base et doit être réaffirmée comme
telle.
Ce que les agriculteurs produisent ne doit pas être la
variable ajustable à faire toujours tendre vers zéro pour
rentrer dans un budget mais posé comme le socle,
l'essentiel, la base non-négociable. Arrêtons les discours et
104

agissons dans nos achats et nos politiques locales.
Un autre champ d'action possible serait le soutien à la
diversification des activités agricoles, afin de ne pas être
soumis de front à des crises agricoles, ou des baisses de
prix, pour ne pas être tributaire d'une seule production,
d'un seul acheteur. Par exemple, avoir une activité de
tourisme sur la ferme (hébergement, restauration, ferme
pédagogique, faire de la vente directe, développer les
circuits courts, transformer à la ferme les produits de
l'agriculture), produire de l'énergie (photovoltaïque sur les
hangars existants), faire de la biomasse, du biogaz, des
réseaux de chaleur, du compost, développer la filière boisénergie.
Ces pistes ont déjà donné des résultats positifs et viables
pour certains et pourraient être envisagées pour d’autres
en étudiant tous les aspects. Car il ne faut pas oublier que
les produits agricoles de base doivent d'abord être achetés
à un prix équitable. La vente en circuit court, certes, mais à
quel prix ?
La question du nombre de bras sur les fermes se pose
également. Quel coût humain, familial, pour se diversifier ?
Comment des agriculteurs déjà surchargés peuvent-ils
décemment ajouter des activités supplémentaires sur leur
ferme ? La suggestion peut convenir en termes de revenus,
mais en temps de travail, est-ce toujours vivable ?
La production d’énergie photovoltaïque sur les hangars
existants (nous y croyons puisque nous sommes nousmêmes
producteurs) a donné de l'espoir à des agriculteurs
pour produire de l'énergie locale, propre et sans emprise
sur les terres agricoles. Malheureusement, l'État français
actuellement se désengage des petits projets délocalisés
sur tout le territoire et souhaite favoriser les très grosses
unités « centralisées ».
Pendant ce temps, que fait la Région ? La région Bretagne
préfère signer un pacte électrique avec l'État français
plutôt que de développer massivement le biogaz local ou la
biomasse ou la filière bois-énergie.
Comment, les agriculteurs convaincus peuvent-il s’engager
sereinement dans une filière bois-énergie (replanter et
entretenir des haies, investir pour livrer des chaudières
collectives) alors que très peu de collectivités territoriales,
à ce jour, font le choix de s'engager clairement dans ces
nouvelles filières ?
Nous, agriculteurs, sommes souvent pris entre deux feux,
au centre de beaucoup de débats mais le décalage entre le
105

discours des attentes sociétales et les actes concrets nous
laisse très souvent perplexe.
Pierre : Et la pollution ? On en parle beaucoup pour la
mettre sur le dos de l'agriculture intensive ?
Claire : Question un peu risquée et polémique, je vous
l'accorde, mais vu le niveau d'agressivité de certains, j'ose
interroger : Où vont les eaux usées domestiques ? Eaux
ménagères : évacuation de cuisines et salles de bains
polluées par les détergents, lessives, graisses, eaux de
vaisselle… et eaux d’évacuation des toilettes. Où vont les
milliers de tonnes d'ordures ménagères produites par les
familles et les restaurations collectives ?
Pierre : Et les métaux lourds qu'on retrouve dans les cours
d'eau et les boues des stations d'épuration, ils ne viennent
pas que de l'agriculture ?
Claire : Dans ce débat, on dirait qu'il n'y a que les cochons
qui produisent des déjections, ils en produisent beaucoup,
certes (et je ne minimise pas ce problème), mais chacun à
son niveau doit prendre les dispositions qui s'imposent et
agir. Par exemple, en diminuant sa consommation de
produits d'entretien, en achetant moins de produits suremballés,
en diminuant sa propre production de déchets,
en triant beaucoup mieux et plus finement pour pouvoir
réutiliser, recycler, valoriser les déchets fermentescibles
pour des unités de méthanisation ou en faire du bon
compost épandable, sans y retrouver les bâtonnets
plastiques des coton-tige.
Pierre : Avez-vous le sentiment, Nicolas et toi, de « tenir »
une ferme comme l'imagine encore les gens d'aujourd'hui,
qu'ils soient urbains ou néo ruraux ?
Claire : Je suis souvent interpellée par des collègues ou par
des hôtes qui sont en séjour chez nous, quand ils constatent
que nous n'avons pas de vaches : « chez vous, ce n’est pas
une vraie ferme ».
La ferme de Lintever et ses 103 hectares cultivés n’est pas
une ferme ! Alors, qu’est-ce qu’une ferme ?
J’espérais qu'on avait tourné la page sur les mini-fermes qui
jouent à la ferme avec trois poules, deux canards, un jardinet et
trois pommiers. Je croyais avoir fait comprendre, en ouvrant
mes chambres d’hôtes, qu'on montrait des fermes d'aujourd'hui,
dans toutes leurs diversités. De vraies exploitations qui à partir
de la terre, de l'eau, de l'air et des graines, font pousser de la
matière vivante (des végétaux) ou les animaux qui nourrissent
les humains, ou qui font pousser d’autres matières premières
(nous appartenons bien au secteur primaire) qui produiront du
tissu, du papier ou de l’énergie, et même des fermes éoliennes ou
solaires. On voulait expliquer à nos hôtes les saisons, notre
métier, nos spécificités, notre réalité.
À La Ferme de Lintever, on produit 250 tonnes de blé par
an, ce qui permet de fabriquer 1.250.000 baguettes de 200
g/an. On peut dire que 3.500 français mangent chaque jour
une baguette fabriquée avec du blé de Lintever.
On produit :
- 1000 tonnes de plants de pommes de terre par an,
dont 200 tonnes vont partir directement en
consommation pour faire 80.000 filets de 2.5 kg de
106

pomme de terre de consommation. 800 tonnes vont
être vendues en France et dans le bassin
méditerranéen pour que les fermiers européens,
égyptiens, marocains, grecs, tunisiens, israéliens,
puissent produire à leur tour.
- 200 tonnes de pois de conserve par an, qui vont être
transformées en Bretagne chez Daucy pour produire
500.000 boites équivalent 4/4 de petits pois. Nos
petits pois de Lintever se retrouvent chaque
semaine de l'année sur la table de 10.000 foyers
français.
- 500 tonnes de navets, qui, mélangés à des pois, des
carottes, des haricots, des flageolets (autres légumes
produits aussi en Bretagne), soit 2.500.000 kg de
macédoine qui vont se retrouver dans les barquettes
des restaurants d'entreprises. 240.000 Français
mangent chaque semaine dans leur macédoine des
navets de Lintever.
- 100 tonnes de maïs grain qui vont contribuer à
l'engraissement de volailles. 4.200 européens
mangent chaque semaine, du poulet nourri au grain
de Lintever.
bios ou non, qui ont un quota de 500.000 litres de lait/an,
fournit le lait nécessaire à la fabrication de 4.000.000 de
yaourts/an. Chacune de ces fermes apporte donc aux
cantines scolaires le yaourt quotidien de 25.000 écoliers
français.
Voilà les chiffres concrets. Je ne sais pas si c’est bien ou mal,
si c’est tendance, si cela éclaire sur la mondialisation, ou
sur la nature de notre production. Ces chiffres montrent
juste la réalité de ce que nous produisons chaque année, et
qui permet de nourrir des hommes.
Est-ce que nous nourrissons assez de personnes pour avoir
le droit de nous appeler ferme ?
Nous chauffons également avec notre bois et éclairons avec
notre lumière électrique, non nucléaire.
Nous mettons tout notre cœur pour accueillir chaque année
150 couples ou familles pour des week-ends ou des séjours,
à qui nous faisons découvrir nos produits et ceux des
fermes voisines.
Est-ce suffisant pour être considérée comme une vraie
ferme ?
A titre de comparaison, chacun de mes collègues laitiers,
107

L’écriture
"Je voudrais vous dire"
Monsieur le ministre de l'Agriculture,
Vous qui nous imposez les lois, les mises aux normes, la productivité, le respect de l'environnement,
Messieurs les techniciens, vous qui valorisez vos matières premières : l’aliment ou les produits phytosanitaires sans
aucune négociation possible.
Croyez-vous que nous puissions toujours subir, sans rechigner ?
Nous n'avons pas le droit de dire, ni même de penser, que demain on s’arrête.
Non ! Les prélèvements des emprunts sur le relevé de compte savent nous remettre à notre place.
Mais, me direz vous, vous avez choisi.
C'est exact, mais pas à ce prix. La morosité et l'amertume s'installent jour après jour.
Aucune assurance d’une meilleure reconnaissance du fruit de notre travail.
Continuer à compter, pour ne pas s'effondrer.
Comment, messieurs, voulez vous, que nous nous épanouissions dans notre métier, que nous donnions la vocation à
nos jeunes, que nous maintenions notre idéal, que nous travaillions à notre juste valeur ?
Nous aussi, nous avons envie de faire la grasse matinée, de ne pas courir après le temps, de nous épanouir tout
simplement, en préservant notre métier.
Messieurs les voisins, que la proximité de nos biens dérange et qui voulez vous approprier nos terres pour enrichir
votre patrimoine et vous donner des airs de grandeur, c'est à vous aujourd'hui que je m’adresse. Faut-il vous rappeler
que les agriculteurs ont besoin de leurs terres pour vous apporter la nourriture qui vous fait vivre ?
Nous les agriculteurs travaillons sept jours sur sept, malades ou pas, devons assumer nos astreintes, sans nous
plaindre, subir les prix imposés à nos produits, les augmentations de charges, les intrants.
Comment garder espoir, dans le désespoir, en l’attente d’un changement ?
Nous aspirons à enfin trouver la reconnaissance que nous attendons tous, dans notre petit espace.
Nous voulons continuer à nous émerveiller au spectacle des vaches laitières pâturant l'herbe de l'enclos, admirer la
nature s'épanouir au lever du soleil pendant que la traite se déroule.
Nous rendre au travail en sifflant, ne plus y aller contraints et forcés. Nous épanouir dans ce que nous faisons.
108

Est-ce beaucoup demander ?
Dites-moi comment rester positive, trouver mon équilibre et contribuer à l'avenir du monde agricole ?
Valérie
109

Simone : Dans les premiers temps de nos rencontres, Valérie,
tu avais rédigé cette lettre que tu destinais au ministre de
l'Agriculture et dans laquelle tu exprimais toute la hargne
que tu portais en toi. Et tu ressentais fortement les injustices
que tu vivais, c'était au plus fort de la crise laitière. Cette
lettre, l'as-tu envoyée ?
Valérie : Non ! Je n’ai pas expédié ma lettre peut- être par
faiblesse, par modestie, ou parce que j'ai le sentiment que
je ne serais pas entendue.
Pierre. La réécrirais-tu telle qu'elle est, aujourd'hui ?
Valérie : Bien sûr. Mes opinions n'ont pas changé vis-à-vis
de la conjoncture agricole. Les coûts des céréales
augmentent engendrant des problèmes financiers et
humains. Cette augmentation a des répercussions
immédiates sur le prix de l'aliment que nous donnons à nos
bêtes pour pouvoir atteindre, en fin de campagne, notre
quota de production laitière. Ce prix ne cesse de flamber,
comme la baguette de pain et le fuel. Tout augmente, sauf
nos prix de base.
statut, rejoindre leur mari, améliorer les conditions de
travail ? Cette formation m'a permis d'être présente
auprès de mes enfants pendant mon congé parental et
d'obtenir mon BPREA sur trois ans, de monter un projet
cohérent, de frapper aux bonnes portes. Un point
important est à souligner à propos de cette formation, à
aucun moment on ne vous juge, tout le monde est mis sur le
même plan d’égalité, quelque soit le niveau d’études. Les
conseillères savent vous encourager et vous aident à
persévérer. Sans la Chambre d’agriculture je n’aurais sans
doute pas franchi le pas.
Aujourd’hui, je crois en ce que je fais, j’atteins mes objectifs
tout en poursuivant ma formation.
On critique facilement, mais en cas de difficultés, qui
appelle-t-on ?
Je veux rester positive.
J’entends souvent critiquer la Chambre d’agriculture, à tort
ou à raison. Je me suis souvent emportée contre certaines
personnes qui décident pour nous sans nous concerter ni
venir sur le terrain. Discutons ensemble avant de prendre
des décisions qui peuvent avoir parfois de graves
conséquences. On peut toujours trouver une solution.
Quand je regarde en arrière, je ne peux que constater que
c’est la Chambre d’agriculture qui m’a tendu la main et m’a
fait confiance. Combien de femmes ont pu depuis dix ans,
par le biais de la formation à temps partagé, obtenir un
110

Simone : Quel est ton souhait à l’heure actuelle ?
Valérie : Je n’ai pas envie de m’enfoncer en ronchonnant
tout le temps.
De quoi ai-je envie ? De garder le sourire et penser à
l'avenir, de poursuivre ce que nous avons construit
ensemble Alain et moi ces dix dernières années : la
délocalisation du siège d’exploitation, l'agrandissement des
terres, la construction du bâtiment pour les génisses et le
fourrage, l’achat de terres et de maisons.
Ensemble nous avons donné toute notre énergie pour
atteindre chaque objectif. Ensemble nous avons échangé et
avancé, au fil des années. Ensemble, nous avons rencontré
du monde, continué à avoir des perspectives pour notre
exploitation et notre vie privée, affronté les aléas de la vie,
la tristesse, les pleurs, les joies.
Ensemble nous devons garder la tête haute, être fiers de ce
que l'on fait pour poursuivre notre parcours.
Nous devons rester soudés pour poursuivre nos actions sur
ce territoire.
Notre métier d’agriculteur en vaut un autre, et de plus nous
sommes indispensables à la société.
Et puis, ce qui n’est pas fait aujourd'hui, le sera demain !
Ce fut Catherine qui la première réagit à la lecture de la
lettre de Valérie, et ouvrit les débats.
Catherine: Cela me donne envie de raconter notre vie
d'agriculteur, et de décrire toutes les facettes de ce métier,
sûrement l'un des plus anciens qui existent.
Joseph : Oui, décrire notre vie, au quotidien, d’agricultrices
ou d'agriculteurs.
Claire : J'ajouterai la raison pour laquelle, il y a dix-sept
ans, Nicolas, et moi, avons fait le choix de nous installer à la
campagne, en Bretagne intérieure et de reprendre la ferme
familiale plutôt que de rester salariés dans des postes
confortables et des vies citadines.
Yolande : Je voudrais dire, aussi, la beauté de mon métier,
moi qui m'occupe d'animaux, des lapins.
Catherine : Même si le métier d'agriculteur a évolué avec le
temps et la technologie, nous conservons ce contact avec la
nature et les animaux. Notre vie et notre travail restent
111

toujours liés au rythme des saisons.
Valérie : Je voudrais pouvoir continuer à avoir du plaisir
dans la poursuite notre métier qui nous donne tant de
bonheur parfois, cultiver nos produits, être en plein air,
regarder la nature se développer à chaque saison qui passe.
Catherine : C'est ce sentiment que je voudrais partager
avec tous, contempler la nature s'éveiller au printemps,
regarder le blé murir, élever les animaux en les respectant.
Joseph : Et cette année, tout nous incite à mettre des mots
sur ce que l'on voit, ce que l'on sent, ce que l'on ressent, ce
que l'on entend, ce que l'on touche. Au moment où nous
commençons à écrire nos premières phrases, la nature
nous offre le maximum de ce qu'elle peut donner. Je
voudrais vous parler de l'explosion des fleurs, de l'arrivée
précoce des hirondelles, des travaux dans les champs
rondement menés.
Claire : Je voudrais vous montrer aussi comment notre vie,
notre métier, bien qu'accrochés sur la même terre depuis
dix-sept ans, évoluent chaque jour et nous entraînent vers
de nouveaux projets, nous font accomplir des choses
inhabituelles et nouvelles pour nous.
Yolande : C'est grâce à ce métier que je rencontre d'autres
personnes, dans les réunions, les visites avec les
techniciens qui me permettent d'être toujours au courant
des dernières trouvailles, pour le bien de mes lapins.
Valérie : Donnez-moi rien qu'un petit geste de
reconnaissance pour poursuivre l'idée que je m'étais faite
de mon avenir et celui du monde agricole.
Catherine : Moi, je voudrais que ce métier reste une
passion. Comme toute passion, il suscite des réactions,
parfois vives. Nous la vivons au quotidien, en famille, avec
ses moments de bonheur et de désillusion.
Valérie: Permettez-nous de nous épanouir à travailler nos
terres, trouver le juste milieu pour que tout le monde soit
satisfait de son sort.
Joseph : A chacun, dans sa diversité.
Pierre : Qu'est-ce que l'écriture a changé pour vous ?
Valérie : Je dirais plutôt que l’écriture nous a fait grandir.
Quelle belle et enrichissante aventure nous avons vécu
depuis trois ans.
Sans elle, nous n'aurions pas rencontré Pierre et Simone. Ils
nous apportent de bons conseils par l'échange, l’écoute et
leur vécu pour nous permettre d'avancer dans notre projet.
Il ne faut pas oublier notre amitié qui se renforce à chaque
rencontre, autour d'un bon repas préparé par Yolande. Son
civet de « lapin-petits pois-carottes » dont on ne se lasse
pas. Sans oublier les desserts de Jo et Claire, les tartes aux
noix, la salade de fruits. Des moments inoubliables,
appréciés de tous par les éclats de rire, surtout quand
Yolande redessine son tee-shirt de taches de gras. Ne
croyez pas que Catherine et moi ne faisons rien. Et la
vaisselle, alors ! Chacun sa tâche.
Professionnellement, l’écriture m'a offert d’observer, pour
le coucher sur le papier, les changements du paysage, des
cultures, les vols des oiseaux, d’analyser ce que je vis, ce
que je ne faisais pas forcément auparavant.
112

ma vie de famille, mon métier d’agricultrice, mes joies, mes
colères. L’écriture, c’est l’occasion de se poser un instant,
de revenir parfois sur le passé, l’analyser et prendre du
recul, de trouver le sens de ce que l’on fait ici dans cette
société où il faut être le meilleur, le plus rapide, le plus
performant, de faire travailler sa mémoire et son
vocabulaire aussi.
C’est une expérience unique de nous plonger dans ce
monde de l’écriture, de la photographie, de l’édition. Elle
m’a permis de rencontrer d’autres personnes qui sont
étrangères au milieu de l’agriculture et que je n’aurai
probablement pas connues autrement
Joseph : Avec notre équipe, Valérie, Catherine, Claire,
Yolande, mes complices, nous avons eu l'idée et la volonté
d'écrire un temps de notre vie personnelle et
professionnelle.
L'écriture nous permet de noter et de mémoriser des faits
vécus par chacun de nous, pour faire comprendre pourquoi
et comment nous exerçons notre métier. Cela signifie, pour
moi, de prendre du temps pour réfléchir, repenser ma vie,
dégager le négatif et le positif. Cette écriture me stoppe
dans mon élan, comme si je ne pouvais le contrôler, je reste
figé dans le vide, perdu dans mes pensées. Je cherche des
mots pour construire des phrases cohérentes.
Catherine : Les paroles passent, les écrits restent.
C’est toujours avec le même plaisir que je retrouve toute
l’équipe à chaque rendez-vous.
Jamais, je n’aurais pensé qu'un jour je jetterai sur le papier
Notre projet de livre suscite la curiosité et l’étonnement de
notre entourage tant c’est une expérience plutôt marginale
dans le milieu agricole. La nécessité d’observer pour écrire
m’a fait prendre conscience de la quantité d’images et de
mots que j’enregistre inconsciemment.
Je n’ai jamais caché que j’exerçais ce métier d’agriculteur,
en dépit des clichés qui persistent.
Yolande : Trois ans plus tard, c'est toujours avec beaucoup
de difficultés que je trouve les mots pour construire un
texte. C'est d'ailleurs pour cette raison que je me suis jetée
dans cette aventure en coopération avec d'autres
agriculteurs.
Prendre un peu de temps pour soi, se concentrer sur un
thème, ce n'est pas tous les jours que l'on peut s'offrir cette
pause. Dans ma profession, ce qui me plait le plus c'est la
remise en question, ne pas avoir un travail répétitif,
apprendre, toujours apprendre par des formations
organisées par la Chambre d'agriculture ou par le service
113

technique et les rencontres avec d'autres collègues.
L'atelier d'écriture m'a fait connaitre d'autres personnes,
m’a ouverte à d'autres productions et découvrir les
professions du livre.
Pierre : Toi aussi Claire, tu avais besoin de l'écrire pour le
dire ?
Claire : Justement, au moment d’une énième crise agricole
avec son cortège de doute, de mal-être, nous nous sommes
dits, sans trop savoir où cela allait nous mener, qu’il fallait,
au lieu de perdre notre énergie à crier sans être entendu,
de nous débattre dans le vide, faire quelque chose, se poser,
pour prendre le temps de faire le point.
J’avais l’envie de ne plus laisser les autres parler à ma
place et d’exprimer ma façon de vivre, d’agir, mon énergie
et mes changements d’humeur, mes contradictions et mes
convictions, mes erreurs, mes emballements, mes projets,
mes rêves, et aussi les déceptions, les recommencements,
les rages, les réussites, les réalisations, ma vie, en somme.
Et au fur et à mesure, en vivant cet atelier, j’ai réalisé que
l’écriture en groupe nous apporte beaucoup humainement,
la richesse d’un projet collectif, le soutien et la force des
amitiés, la stimulation et la confiance en soi.
Je me doutais de ce côté bénéfique, mais j’ai découvert que
l’écriture à plusieurs mains, n’est pas la simple addition
d’écritures solitaires. Les mots de l’un tempèrent ceux de
l’autre, amènent du recul, de la distance, ou de la légèreté,
un autre éclairage, ou inversement, apportent de la force,
de l’énergie, ou plus de convictions.
En écoutant lire le texte produit par un autre membre du
groupe, je m’étonne de ne pas avoir eu la même perception
et ça m’ouvre les yeux. Quand j’apprécie un propos, je me
dis que j’aurais bien aimé le dire de cette façon.
Et, pour couronner le tout, de l’envie de se poser pour
écrire, nous est venue l’idée d’en faire un vrai livre, petit à
petit l’idée a germé d’en faire un beau livre. Qui dit beau
livre, dit belles photos, nous voilà embarqués dans les
appels d’offres et le choix du photographe.
C’est important, ce temps que l’on s’accorde et où l’on
cherche nos accords.
À présent, on parle d’exposition itinérante et pourquoi pas
d’une pièce de théâtre. Chaque chose en son temps, les
choses et les projets viendront à mesure, mais quelle joie
de pouvoir se projeter en avant, d’imaginer des choses
impensables, inaccessibles, inimaginables il y a deux ans.
En voilà une belle sortie des « sables mouvants », un beau
coup de talon dans le fond.
L’aventure n’est pas terminée, il y a encore du travail.
Le besoin de reconnaissance
Pierre : Qu’avez-vous envie d’ajouter pour changer l’image
qui vous colle à la peau ?
Claire : Ce qui nous a réunis en atelier d’écriture, c’est que
nous sommes agriculteurs. Nous ne sommes pas si
différents des autres catégories de la population, à
l’exception de ce qu’on ressent comme essentiel, voire
d’universel. Comme tous les premiers cultivateurs qui ont
défrichés et colonisés de nouvelles terres en se
sédentarisant, en abandonnant la vie nomade, nous avons
choisi un pays, une terre et nous nous y sommes installés,
pour de bon et souvent pour la vie.
114

Nous regardons les maisons d’à-côté se construire, se
remplir, se vider, les voisins qui emménagent, vous invitent
à l’apéritif et puis qui s’en vont.
Les paysans constituent la base, le socle de la vie rurale
parce que nous sommes là, toujours là, jour et nuit, 24 h sur
24 h, toujours prêts, toujours disponibles, toujours (ou
presque) au travail, pendant que les autres arrivent,
repartent, ou changent de métier.
m’interrogeais sur le sens de ma vie de couple
d'agriculteurs. Tout d'abord, nous devons avancer dans le
même sens, ce qui implique que chacun doit faire des
efforts pour accepter les idées de l'autre. Être agriculteur,
c'est vivre au rythme des saisons, ne pas compter ses
heures, subir les aléas climatiques et conjoncturels mais la
finalité reste toujours la même, nourrir l'humanité.
Pourtant, c'est ce qui semble être oublié à l'heure actuelle.
Nous avons un rôle essentiel, vital, à la fois de produire de
la nourriture en faisant partie intégrante du paysage et en
l’entretenant, et, en même temps d'être planté là comme
mémoire ou repère d’une certaine vie sociale.
Notre présence, en nombre suffisant et bien réparti, serait
comme le garant d’un certain équilibre du pays.
Tout le monde court, zappe, défait, refait, veut tout, tout de
suite et pour rien, achète et jette. Nous essayons aussi de
suivre, de nous aligner, d’être compétitif, de répondre aux
demandes incohérentes et aux injonctions contradictoires
de la société, à cela près que nous, nous sommes ancrés
dans la terre. Nous ne pouvons pas fuir et prenons le contre
coup en pleine face.
Catherine : J’ai également le sentiment d'assurer la
continuité et de faire perdurer ce que nos aïeux nous ont
transmis, depuis plusieurs générations. Bien que les
méthodes de production soient aujourd'hui fortement
contestées, il reste un des plus anciens métiers du monde.
J’apporte ma pierre à l'édifice et je transmets à mon tour à
mes enfants les valeurs de la terre et de notre métier.
Il y a deux ans, quand nous avons commencé à écrire je
Je suis issue d'une famille d'agriculteurs, parents et grandsparents
paternels, et j'ai gardé cette attirance pour la
nature et la campagne, besoin d'espaces et de contacts avec
les animaux. J’ai été 13 ans fonctionnaire, administratif
dans des services techniques agricoles (ou alimentaires) et
à chaque fois mon intérêt se portait plus sur le technique
115

que sur l'administratif. Actuellement, je suis plutôt
satisfaite de ma situation professionnelle et familiale et
j'espère continuer ainsi. Dans l'avenir, j'espère être
toujours agricultrice et pouvoir aider mes enfants à trouver
leur voie.
Le métier d'agriculteur est une profession de plus en plus
mise en accusation par les médias en ce qui concerne les
problèmes de pollution. Or toute activité humaine pollue et
n'est pas forcément autant médiatisée. Ceux qui nous
accusent de détruire la nature devraient reconnaître que
nous entretenons aussi le paysage et ce qui n’est pas mis en
évidence.
week-end, font du shopping, prennent un peu de vacances,
surfent sur internet etc.
Je suis soulagée de voir que mes enfants n’ont pas honte de
notre métier.
Claire : Je crois que c'est plus par ignorance que les gens ne
nous acceptent pas tels que nous sommes.
Aujourd’hui, justement, un peu d’humour et de
grincements de dents. Un florilège des réflexions les plus
surprenantes ou déconcertantes de mes vacanciers :
Je ne regrette pas mes choix, même si parfois je me dis que
j'aurais pu faire mieux. Je fais un beau métier et je ne me
lasse pas de regarder mes vaches profiter des premiers
rayons de soleil, allongées dans l'herbe verte. Je suis
toujours fière de ce que je fais, mais parfois aussi
désemparée de voir les yeux écarquillés de personnes qui
s'étonnent de mon activité professionnelle. Aujourd'hui,
les agriculteurs sont comme tout le monde. Ils sortent le
« Alors comme ça, vous faîtes chambres d’hôtes ?
- Oui, ça fait 8 ans, et ça me plait, ça marche bien et quasiment toute l’année…
- Et sinon, vous faites quoi comme métier ?
- Pardon ? (mais c’est mon métier !)
C’est confortable chez vous et bien aménagé, on voit bien que vous êtes une femme sensée et cultivée.
- Oui, merci du compliment.
- Mais je ne comprendrai jamais comment une femme, intelligente comme vous, a épousé un paysan ! Non, je comprendrai
jamais qu’est-ce qui vous a pris ?
La sincérité de la dame me stupéfie et me fait encore rire aujourd’hui.
116

Ça doit être bien de faire des chambres d’hôtes, discuter, rencontrer des gens…
- Oui, mon métier me plait, chaque client est différent.
- En fait, c’est comme si vous étiez tout le temps en vacances.
- En fait non… Devant vous, je suis calme et sereine mais dès que vous partez vous promener, je vis à cent à l’heure.
Alors, comme ça, vous êtes agriculteurs ?
- Je m’occupe des chambres d’hôtes à la ferme, de la maison, des enfants, et quelques responsabilités associatives et mon
mari s’occupe des 103 ha de terre, il a aussi quelques responsabilités dans la filière agricole. Nous sommes également
producteurs d’énergie photovoltaïque.
- Mais vous n’avez pas d’animaux. Humm, vous avez moins de contraintes, ça n’a rien à voir, les animaux, c’est l’esclavage,
j’en connais, moi, je peux vous le dire.
- Et bien, moi aussi, j’en connais et je compatis d’ailleurs, sans doute plus que vous, mais j’aimerais que vous voyiez la
tête de mon mari si vous lui disiez qu’il a moins de contraintes. Il est rentré de la moisson hier soir à 1h du matin et s’est
relevé à 6h, pour déplacer l’enrouleur pour arroser ses navets. Il y a toujours quelque chose à faire dans une ferme,
animaux ou pas. Bon, je vous laisse aller vous promener, profitez bien de vos vacances !
Eh bien, chère madame, c'est tout à fait divin chez vous, de si charmantes chambres dans une ferme, nous ne nous y
attendions vraiment pas. Vos chambres sont aménagées avec goût. Vous vous êtes fait aider par un décorateur ?
- Ben, non. C'est moi qui ai fait tous les plans et la décoration.
- Ah, on n’aurait pas dit, vous avez des talents cachés.
- Pardon ?
- Oh, un piano, et vous êtes mélomane en plus ?
- Eh bien oui, pourquoi pas ?
- Et puis tous ces livres dans la bibliothèque. C'est surprenant. Vous les avez lus ?
117

- Oh, non, vous savez, nous, agriculteurs, on ne sait pas lire, ils sont juste là pour faire joli. Non je rigole ! Ah, vous m'aviez
cru ?
Il m’arrive effectivement parfois de lancer quelques
boutades pince-sans-rire de ce genre quand certaines
personnes restent sur leurs préjugés, juste comme ça, pour
essayer de les bousculer. Ça passe ou ça casse, et quand ça
passe, c’est mieux après.
Heureusement, il y a tous les curieux, ouverts, attentifs qui
viennent de Bretagne, de France ou d’au-delà des océans,
qui écoutent, posent des questions, s’expriment librement.
Ceux à qui je prête une oreille neutre pour échanger,
comprendre, se rencontrer, se confier, rire. Parce que
certains clichés ont la vie dure, ma mission est de les faire
tomber, un à un, et de passer à autre chose, à de vraies
rencontres humaines.
Un petit clin d’œil à la famille Cermakova de Prague qui a
illuminé une soirée de juillet 2010, un beau cadeau de la
vie.
Je veux aussi, vraiment, vous faire partager nos
engagements pour un monde rural vivant, vivable, actif, nos
implications locales ou régionales pour que l’on ne nous
oublie pas et que l’on ne se retrouve pas, un jour, nous ou
nos enfants, sans l’avoir choisi, entassés aux abords d’une
mégapole, déracinés. Ma motivation la plus profonde est
finalement de dire que pour tout un ensemble de raisons, je
suis farouchement opposée à l’exode rural. J’y pense
souvent, et quand je regarde les faits ou les actes ou choix
semés derrière moi depuis toutes ces années, cela
ressemble à mon fil rouge.
118

J’ai fait le choix très conscient d’une orientation
professionnelle proche de la terre. J’ai refusé l’exode et
plusieurs offres d’emploi sur Paris en début de carrière. Je
me suis bien épanouie dans une grande coopérative
bretonne, aux outils agro-industriels très performants. Puis
Nicolas et moi, avons décidés, en 1992, de revenir sur
l’exploitation familiale, dans une petite commune du centre
Bretagne à une période où sa démographie allait en
diminuant. Je me suis battue en créant une association qui
s’appelait « Cantons Toniques » sur les cantons de
Guémené-Cléguérec pour proposer des activités, des loisirs,
des lieux d’échanges et de convivialité pour les jeunes
enfants et les familles. Cela a été une réussite à l’époque et
je suis persuadée que ce genre d’initiative a permis à des
enfants et habitants de revaloriser l’image qu’ils avaient de
leur lieu de vie.
Je me suis démenée aussi pour monter mon projet
chambres d’hôtes à Cléguérec, et dépensé de l’énergie pour
expliquer qu’il n’y avait pas plus qu’ailleurs de raisons que
ça ne marche pas. Inlassablement, avec beaucoup d’énergie,
parfois avec maladresse, je participe aux différents réseaux
locaux agricoles ou touristiques, afin d’y apporter mon
point de vue et contribuer à faire avancer des projets qui
apportent une plus-value au territoire en créant du lien, de
la cohésion.
J’essaie d’avoir une ligne de conduite pour mes
partenariats et mes achats locaux, même si ce n’est pas
parfait, et d’en assurer la promotion auprès de mes hôtes.
Ce tourisme durable met en valeur les commerçants,
artisans, prestataires de service, producteurs qui sont
installés autour de moi, qui vivent et commercent
ensemble. J’ai un principe, ce que je gagne, grâce aux
touristes que j’accueille, je le dépense intégralement sur
place. J’aime commercer avec les personnes qui
m’appellent par mon nom et que je peux aussi appeler par
le leur, et quand c’est le prénom et qu’on plaisante, c’est
encore mieux !
Catherine. A mes voisins néo-ruraux, je voudrais dire :
Le 30 septembre 2011, voici ce que je lis dans la revue La
France Agricole :
« Depuis six ans, le ministère de l'Agriculture et de
l'Alimentation commande chaque année au Credoc (Centre
de recherche pour l'étude et l'observation des conditions
de vie) une étude approfondie sur les habitudes
alimentaires des Français, leurs perceptions de la qualité
alimentaire et de la politique menée en la matière.
Selon cette enquête menée en juin 2011 et qui vient d'être
publiée, la part de l'alimentation dans le budget des
Français ne cesse de diminuer. »
Au détriment de qui se fait cette baisse de la part de
l’alimentation ? Nous, éleveurs engraisseurs de porcs Label
Rouge (donc un critère de qualité) ne dégageons aucun
bénéfice de notre activité. De la naissance du petit cochon
jusqu’à sa commercialisation sous forme de charcuterie, à
chaque étape de la chaîne, tout le monde se voit verser une
rémunération (pas toujours extraordinaire, j’en conviens)
sauf nous.
Combien de temps ce système qui commence à s’ébranler,
va-t-il tenir ?
Sachez que les agriculteurs ne font que répondre aux
attentes de la société, alors pourquoi toujours vouloir nous
tenir la tête sous l’eau, être toujours sur le banc des accusés
dès que survient un désastre écologique ? Les algues vertes
ne sont-elles pas aussi l’affaire de toute notre société de
119

consommation ?
Il nous faut communiquer sur notre façon de travailler.
Ainsi est née la charte « Bien vivre ensemble à Kergrist ».
J’encourage les gens à venir dans nos exploitations, les
portes vous sont grandes ouvertes, on gagne toujours à se
rencontrer.
Je voudrais également dire à tous ceux qui achètent des
produits issus du commerce équitable, de commencer à
être équitables avec le paysan qui est leur voisin.
A vous qui regrettez l’agriculture de grand papa et les
produits qui avaient du goût : mangez des fruits et légumes
de saison, récoltés à maturité et ne consommez pas de
tomates et courgettes en hiver.
Conclusion de l’aventure
Pierre : Il va bientôt être temps de conclure. Pour une
démarche commencée voici trois ans, sans savoir si nous
irions jusqu'au bout, quelle aventure !
Claire : Trois ans, en effet, que nous avons démarré cet
atelier d’écriture, et nous sommes toujours là !
Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est qu’il resterait encore à
dire ?
Des avancées dans notre réflexion sur la vie tout court, des
prises de conscience, des découvertes.
En relisant mes écrits, j’ai pris conscience que j’oscille
constamment entre le pessimisme, le désespoir face à notre
avenir d’agriculteurs et l’envie folle, viscérale, vitale, de
réagir, de m’exprimer, de dire et d’avancer. Je le vois écrit
noir sur blanc, certains jours une formidable énergie ou
une légèreté se dégage de mes textes, d’autres jours, c’est
une rage désespérée. Face à moi, les autres membres du
groupe ne voient pas les choses de la même façon,
réussissent à cultiver l’optimisme sans se perdre dans des
colères sans fond. Chacun vit et raconte à sa manière et
c’est tout l’intérêt de cette écriture croisée, alternance des
avis, des humeurs, des opinions, avec toujours le respect et
le non-jugement de ce qu’exprime l’autre, comme cela
devrait être dans la vie.
Au bout du compte, me demander ce que j’attends pour
bousculer ma vie, me libérer de mes freins imaginaires.
Être enfin en accord avec moi-même et faire ce que j’ai
envie de faire.
Le fait de se poser pour écrire conduit forcément à un
moment à s’interroger sur sa vie.
Comment rester soi-même, faire ses propres choix et les
mener à leur terme, ne pas se laisser alourdir ou freiner par
le poids des critiques ? Comment avancer, avec, en
héritage, le regard de nos pères, l’obligation de réussir, le
jugement et la culpabilisation ? Comment vais-je faire pour
m’affranchir de tout cela et surtout pour ne pas le
transmettre, le faire peser sur mes propres héritiers ?
J’ai l’impression, peut-être à tort, que l’agriculteur est au
centre de beaucoup d’enjeux vitaux pour l’avenir, qu’il est
un acteur essentiel. Famine, exode rural, alimentation, coût
de la vie, énergies renouvelables, déchets, paysages, qualité
de l’eau, urbanisme, aménagement du territoire, qualité de
la vie, lien social et développement local, relocalisations :
notre métier est primordial. Nous en avons conscience et
nous en sommes fiers, mais nous ne voulons pas que cela
nous échappe, que les décisions, face à tous ces enjeux, se
prennent sans nous, en dehors de nous. Les solutions, tant
au niveau de la Bretagne qu’au niveau planétaire doivent se
négocier, non pas dans la confrontation stérile, mais dans la
connaissance, le dialogue et les actions concrètes. Utopie ?
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Que verront nos lecteurs à travers nos mots et nos images ?
Percevront-ils la formidable générosité de la nature,
l’abondance des récoltes, notre fierté face à la promesse
d’une bonne saison, la richesse de nos sols, la brume qui se
lève, les arbres qui nous entourent ?
Entendront-ils les mouettes qui hurlent derrière nos
charrues, le ronronnement du tracteur qui revient à la nuit
tombante, les pommiers qui craquent sous le poids des
fruits, le bruit des bottes en caoutchouc enfoncées dans la
boue, le piétinement sourd du troupeau qui s’approche ?
Ressentiront-ils l’odeur de la pluie sur la terre fraîchement
semée, la chaleur des repas simplement partagés, la
blancheur du lait qui coule à flot, le formidable miracle de
la nature et des saisons qui fait qu’à partir d’un peu de
terre, de soleil, d’air et de minuscules graines, nos champs
regorgent de plantes nourricières ? Vont-ils palper un bref
instant une parcelle de cette explosion de vie à l’état brut ?
Et comprendront-ils que c’est tout cela, et bien plus, que
l’on a voulu partager dans cet atelier, au-delà de nos
rancœurs et de nos doutes ?
Nous offrons à nos lecteurs notre enthousiasme, notre
générosité, notre formidable énergie déployée au quotidien
dans chacun de nos métiers d’agriculteurs, notre
attachement viscéral à notre terre.
Et plantée dans ma cuisine, les deux pieds sur terre, tout en
épluchant mes patates, je scrute l'horizon, magnifique.
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Remerciements :
Écriture :
Marie-Claude JUHEL
Sophie BEAUSIRE
Pierre et Simone BOURGES
Soutien :
Le GVA de Cléguérec
Mi Tamm
La Chambre d’agriculture de Pontivy
La famille des auteurs
Soutien financier :
Le Pays de Pontivy
Le Conseil Général du Morbihan
La Région Bretagne
Leader
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4 ème de couverture
Quatre agricultrices, un agriculteur. Qu’ont-ils vraiment en commun ? Ils partagent tous les cinq leur soif de
reconnaissance. Ils éprouvent un besoin impératif de s'exprimer, de ne pas laisser à d'autres le soin de dire à leur
place. Guidés par la nécessité de partager, d'exercer eux-mêmes leur droit d'expression et de réponse, ils montrent
un esprit de très grande ouverture et une réelle liberté de parole.
Ils revendiquent leur diversité mais portent ensemble, dans un même enthousiasme, ce projet d’écriture.
Au fil des trois années de rédaction, ils nous offrent d’aller à la découverte de leur univers. Un témoignage sur
l’amour de leur métier qui ne laisse pas indifférent et change le regard porté sur l’agriculture.
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