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Béton armé : la construction d'une image - CDH - EPFL

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<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Badin Nico<strong>la</strong>s, Beaudoin Lorraine, Joud Christophe<br />

Section Architecture (ENAC)<br />

Projet SHS de 1 ère année master<br />

Encadré par<br />

Humair Cédric, Gigase Marc, histoire sociale et culturelle des technologies<br />

Rapport présenté le 24 mai 2008<br />

Essais de résistance d’une poutre Hennebique,<br />

Lausanne, 1893, S. de Mollins ingénieur<br />

Lausanne, année académique 2007 – 2008


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Remerciements à :<br />

- nos encadrants,<br />

- Véronique Czàka, pour son importante notice bibliographique,<br />

- Matthieu Jaccard qui nous a accordé de son temps pour des<br />

compléments d’information,<br />

- Pierre Frey et le bureau des archives de <strong>la</strong> Construction Moderne.<br />

1


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

TABLE DES MATIERES<br />

1. Identification de l’objet technique………………………………………………………………… 3<br />

2. Bibliographie………………………………………………………………………………………. 4<br />

3. Problématique…………………………………………………………………………………….... 8<br />

4. L’entrée en scène du béton <strong>armé</strong>………………………………………………………………....... 9<br />

5. Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances..................................................................10<br />

5.1 Les constructeurs et fournisseurs.......................................................................................11<br />

5.2 Les scientifiques, à <strong>la</strong> recherche de fondements théoriques……………………………..13<br />

5.3 Les organes de réglementation..........................................................................................14<br />

5.4 Les commanditaires.......................................................................................................... 16<br />

5.5 Le milieu intellectuel........................................................................................................ 17<br />

6. Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion............................................. 18<br />

6.1 Les revues techniques et les journaux...............................................................................19<br />

6.2 Les concours et les expositions......................................................................................... 20<br />

6.3 La photographie et <strong>la</strong> publicité......................................................................................... 21<br />

7. Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique..................................22<br />

8. Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression............................................... 24<br />

9. Conclusion........................................................................................................................................26<br />

Dossier de sources<br />

2


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

1. IDENTIFICATION DE L’OBJET TECHNIQUE<br />

Le présent document porte l’attention sur l’objet technique suivant : le béton <strong>armé</strong>.<br />

Nous proposons, dans un premier temps d’en esquisser une identification.<br />

Le béton <strong>armé</strong> est un matériau de <strong>construction</strong> qui se fabrique à partir de composants hétérogènes mais<br />

complémentaires. Son intérêt résulte dans l’association du béton pour ses qualités de résistance à <strong>la</strong><br />

compression et de l’acier pour ses qualités de résistance à <strong>la</strong> traction.<br />

- Le béton, sorte de pierre factice est obtenu par liaison de différents agrégats naturels (gravier,<br />

sable…) au moyen de ciment mé<strong>la</strong>ngé à l’eau.<br />

- L’acier, qui se présente sous diverses formes (tubes, profilés…), est un métal dur alliant fer et<br />

carbone.<br />

La naissance du « béton <strong>armé</strong> » est délicate à situer et <strong>la</strong> définition de <strong>la</strong> paternité du procédé reste<br />

floue. Il est en revanche l’aboutissement d’une série d’expérimentations sur <strong>la</strong> matière qui ont toutes<br />

pour but <strong>la</strong> recherche de <strong>la</strong> compacité et de <strong>la</strong> dureté. C’est ainsi qu’au cours de ce long processus se<br />

succédèrent <strong>la</strong> pouzzo<strong>la</strong>ne, le pisé, <strong>la</strong> chaux, <strong>la</strong> chaux artificielle, le mortier, le ciment, le ciment <strong>armé</strong>,<br />

le béton aggloméré…<br />

Cette recherche constante du monolithe, qualité première du béton <strong>armé</strong>, va se retrouver dans ses<br />

différentes applications. D’abord utilisé de manière segmentaire, c'est-à-dire pour des fragments<br />

d’ouvrages, et des éléments fonctionnels de base (voûte, p<strong>la</strong>ncher, poutre, poteau), il servit ensuite<br />

d’« outil<strong>la</strong>ge passif » de petites ou grandes dimensions, en exploitant sa capacité à être coulé dans un<br />

moule.<br />

Voici quelques dates significatives :<br />

- 1729 : Bernard Forest de Belidor publie La Science des ingénieurs, dans lequel il utilise le terme<br />

« béton » pour décrire un mortier.<br />

- 1818 : Vicat publie ses Recherches expérimentales sur les chaux de <strong>construction</strong>, les bétons et les<br />

mortiers ordinaires, dans lesquelles il re<strong>la</strong>te avec précision sa méthode pour produire de <strong>la</strong> chaux<br />

hydraulique. C’est l’an zéro de l’ère du ciment.<br />

- 1849 : Joseph-Louis Lambot présente une barque de son invention, composée d’un « réseau<br />

métallique enrobé de matière p<strong>la</strong>stique » à l’Exposition Universelle de Paris.<br />

- 1854 : W. B. Wilkinson dépose en Angleterre un brevet pour les éléments de <strong>construction</strong> résistants<br />

au feu, composés de poutres métalliques et de fils de fer noyés dans du mortier.<br />

- 1867 : Joseph Monier dépose un brevet de Systèmes de caisse-bassins mobiles en fer et ciment<br />

applicables à l’horticulture.<br />

- 1877 : T. Hyatt démontre par l’expérience l’adhérence du fer et du béton.<br />

- 1887 : G.-A. Wayss et M. Koenen publie le premier traité de <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong>, Das system<br />

Monier, Eisengrüppe mit Cementumhülung.<br />

L’Histoire culturelle et sociale du béton porte ainsi en elle une particu<strong>la</strong>rité, matériau sans nom utilisé<br />

dès l’époque romaine, oublié pendant le Moyen-Age, « sans forme » durant le XVIII ème , affaire<br />

d’ingénieurs au XIX ème , célébré par les architectes du mouvement moderne au XX ème , il constitue<br />

aujourd’hui notre quotidien. Afin de faciliter <strong>la</strong> lecture, nous emploierons pour <strong>la</strong> suite du document le<br />

terme de « béton <strong>armé</strong> ».<br />

3


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

2. BIBLIOGRAPHIE<br />

LITTERATURE SECONDAIRE<br />

- OUVRAGES<br />

ANDREY Georges et alii., Nouvelle histoire de <strong>la</strong> Suisse et des Suisses. Tome III, Lausanne, Editions<br />

Payot, 1983.<br />

BOSC Jean-Louis, Joseph Monier et <strong>la</strong> naissance du ciment <strong>armé</strong>, Paris, Editions du Linteau, 2001.<br />

COLLINS Peter, Splendeur du béton. Les prédécesseurs et l’œuvre d’Auguste Perret, Paris, Editions<br />

Hazan, 1995.<br />

CZAKA Véronique et alii., Les débuts du béton <strong>armé</strong> en Suisse. Contribution à une histoire sociale et<br />

culturelle des techniques, Lausanne, Université de Lausanne, 2002.<br />

DELHUMEAU G. et alii, Le <strong>Béton</strong> en représentation. La mémoire photographique de l’entreprise<br />

Hennebique 1890-1930, Paris, Ed. Hazan, 1993.<br />

DELHUMEAU Gwenaël, L’invention du béton <strong>armé</strong>. Hennebique 1890-1914, Paris, Norma Editions,<br />

1999.<br />

GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse,<br />

Lausanne, Editions L’Age d’Homme, 1975.<br />

JACCARD Robert, Histoire de l’économie vaudoise, Lausanne, Imprimeries Réunies S.A., 1959.<br />

JOST Hans Ulrich, Les avant-gardes réactionnaires. La naissance de <strong>la</strong> nouvelle droite en Suisse,<br />

Lausanne, Editions d’en bas, 1992.<br />

KINOLD K<strong>la</strong>us et alii., Architecture et <strong>Béton</strong>, Munich, atelier Kinold, 1994.<br />

SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau. Economie, technique, architecture, Marseille,<br />

Editions Parenthèse, 2005.<br />

- ARTICLES<br />

HALHING Albert, « Dans <strong>la</strong> vallée des Ormonts, un intéressant monument d’histoire technique : le<br />

Pont des P<strong>la</strong>nches près du Sepey », in Revue Historique Vaudoise, 1990, pp.85-100.<br />

JOST Hans Ulrich, « The introduction of reinforced concrete in Switzer<strong>la</strong>nd (1890-1914): social and<br />

cultural aspects. », in CHS-Newsletter de <strong>la</strong> Construction History Society, n°75, 2006, pp.5-8.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

SOURCES<br />

- JOURNAUX ET REVUES<br />

- Le <strong>Béton</strong> Armé. Organe des concessionnaires et agents du système Hennebique<br />

« Le système Hennebique », n°13, Juin 1899, pp.1-2.<br />

« Escalier monumental de 11m de portée. Exposition de Genève », n° 7, Décembre 1898, pp.3-4.<br />

« De <strong>la</strong> coupe aux lèvres », n° 46, Mars 1902, p.142.<br />

« L’accident de Bâle et les accidents de chantier », n°49, pp.5-8.<br />

« L’insécurité des ouvrages métalliques », n°47, Avril 1902, pp. 164-165<br />

« L’accident de Bâle », n° 48, Mai 1902, pp.163-164.<br />

« VII ème Congrès du béton <strong>armé</strong>. Communication à S. de Mollins sur <strong>la</strong> réglementation des<br />

<strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> en Allemagne et en Suisse », n°57, Février 1903, pp.149-152.<br />

« Les trahisons du fer », n° 48, Mai 1902, pp.175-176.<br />

« Le système Hennebique dans le monde », n°69, Février 1902, P<strong>la</strong>nche I.<br />

- Bulletin de <strong>la</strong> Société Vaudoise des ingénieurs et des architectes<br />

SCHÜLE F., « Le concours des ponts de Lausanne », n°2 et 3, 1899, p.145.<br />

VAUTIER A., « Le béton de ciment <strong>armé</strong>: système Hennebique », Vol. 20, 1894, pp.176-180.<br />

- Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande (BTSR)<br />

BEZENCENET, « Hôtel des postes et des télégraphes, à Lausanne », n°15, 1902, pp.189-194.<br />

« Constructions en béton <strong>armé</strong>. Enquête sur l’accident de l’Aeschenvorstadt, à Bâle. », n°2, 1902,<br />

pp.133-134.<br />

ELSKES E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Quelques faits nouveaux », n°16, 1901, pp.133-137.<br />

ELSKES E., « Divers. À propos de béton <strong>armé</strong> », n°18, 1903, pp.253-254.<br />

E., « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai<br />

1902 », n°11, 1902, p.148<br />

E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Encore quelques faits nouveaux. I. Le pont sur l’Inn à Zuoz. », n°2, 1903, pp.33-35.<br />

E., « <strong>Béton</strong> Armé. Encore quelques faits nouveaux. Notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong>,<br />

construits dès 1894 par <strong>la</strong> Compagnie de chemins de fer du Jura Simplon », n°15, 1903, pp. 201-205.<br />

« Essais de béton <strong>armé</strong> », n°1, 1906, p.23.<br />

5


« Fendillement des surfaces en béton », n° 18, 1906, pp.216-217.<br />

SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

I.-S., E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>. Magasins Badan & Cie, à Genève. », n° 15, 1905, pp.189-191.<br />

MURET Henri, « Commission du béton <strong>armé</strong>. Réserves de MM. .Muret et De Vallière », n°1, 1903,<br />

p.15.<br />

« Passerelle en ciment <strong>armé</strong> », n° 17, 1906, p.224.<br />

« Prescriptions provisoires pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> des chemins de fer suisse », n°22,<br />

1906, pp. 212-213.<br />

« Procès verbal de <strong>la</strong> première séance du 16 février 1901 de <strong>la</strong> commission du ciment <strong>armé</strong>, instituée<br />

par le ministère des travaux publics de France », n°1, 1901, pp.106-107.<br />

« Rapport sur les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> et sur les <strong>construction</strong>s de p<strong>la</strong>nchers présenté au<br />

Directeur du Département des Travaux de Bâle-ville. », n°19, 1902, pp.256-259<br />

« Rapport de gestion du comité central sur les années 1902-1903 », n°17, 1903, pp.233-234.<br />

« Résumé du rapport des experts sur les projets de re<strong>construction</strong> du Pont du Mont-B<strong>la</strong>nc », n°2, 1902,<br />

pp.99-105.<br />

SIA, « Rapport de gestion du comité central sur les années 1903-1905 », n° 15, 1905, pp.192-195.<br />

SPIRO J., « Des inventions brevetables en Suisse », n°2, 1902, pp.182-184<br />

« Traité théorique et pratique de <strong>la</strong> résistance des matériaux appliquée au béton et au ciment <strong>armé</strong>. »,<br />

Rubrique Bibliographie, n°12, 1905, p.138.<br />

« Une usine entièrement construite en béton <strong>armé</strong> », n°10, 1903, pp.142-143.<br />

VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du Pont Chauderon-Montbenon », n°2, 1902, pp.12-14.<br />

VAUTIER A., « Section Vaudoise de <strong>la</strong> Société suisse des Ingénieurs et des Architectes. Commission<br />

du béton <strong>armé</strong>. Rapport. », n°23, 1902, pp. 314-316<br />

VAUTIER Alph., « Poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », n°14, 1903, pp.189-192.<br />

VAUTIER Alph., Rubrique Bibliographie, n° 18, 1906, pp. 212-213.<br />

- La Gazette de Lausanne<br />

« Une maison qui tombe », 29 août 1901.<br />

« Une maison qui tombe », 30 août 1901.<br />

« Bâle-ville », 31 août 1901.<br />

« Bâle-ville », 2 septembre 1901.<br />

« Bâle », 3 septembre1901.<br />

« Bâle », 6 septembre 1901.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

« Bâle-ville », 10 septembre 1901.<br />

« Enquête sur le système Hennebique », 11 octobre 1901.<br />

« Ecroulement d’un bâtiment », 24 août 1905.<br />

« La catastrophe de Berne », 25 août 1905.<br />

« Berne », 26 août 1905.<br />

« Berne », 31 août 1905.<br />

- Heimatschutz<br />

BOVET Ernest, « Le Heimatschutz et les ingénieurs », n°7, 1910, p.80.<br />

BOVET Ernest, « A <strong>la</strong> rue du Pré à Lausanne », n°4, 1909, p.31.<br />

GODET Philippe, « Beauté et patrie », n° 1, 1906, p.25-26.<br />

- La Patrie Suisse<br />

« Un accident à Berne », n°312, 1905, p.216.<br />

BONARD A., « Le nouvel Hôtel des Postes de Lausanne », n° 199, 1901, pp.111-113.<br />

BONARD A., « Pa<strong>la</strong>is de <strong>la</strong> Banque », n°173, 1900, pp.112-113.<br />

BONARD A., « Un sky-scraper à Lausanne », n°146, 1899, p.108.<br />

D. A., « Une ville qui se transforme », 1894, p.34.<br />

KHUNE E., « Exposition nationale de 1896 », n°48, 1895, pp.176-178.<br />

KHUNE E., Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière, n°55, 1895, pp.256-257.<br />

KHUNE E., « Au vil<strong>la</strong>ge Suisse », n°51, 1895, pp.249-251.<br />

« Sur le Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière », n°68, 1896, p.108.<br />

« Les prisons de Lausanne », n°296, 1905, pp.18-19.<br />

- Schweizerische bauzeitung (SBZ)<br />

FAVRE A., « Le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : rectifications, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />

de MOLLINS S., « Le <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> Système Hennebique », Vol. 33/34, 1899, p.109.<br />

RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) », Vol.29/30, 1897, p.61.<br />

RITTER W., « die Bauweise Hennebique », Vol. 33/34, 1899, pp.41-43, pp.49-52, pp.59-61.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

3. PROBLEMATIQUE<br />

Cette étude constitue pour nous une occasion de s’intéresser à une innovation technique ayant marqué<br />

<strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Dans l’imaginaire collectif, le béton <strong>armé</strong> est encore aujourd’hui un matériau<br />

controversé. Cette représentation peut-elle se comprendre dans ses origines historiques<br />

La grande dépression qui touche l’Europe aux alentours de 1870 va faire p<strong>la</strong>ce, dès les années 1890, à<br />

une période marquée par une forte croissance économique qui s’accompagne d’une expansion urbaine<br />

importante. Ce contexte a favorisé l’émergence et le développement d’un ensemble d’innovations<br />

techniques parmi lesquelles figure le béton <strong>armé</strong>.<br />

La Suisse, quant à elle, apparaît comme une société partagée entre sa modernisation et l’exaltation de<br />

ses valeurs traditionnelles. La nouvelle Constitution Fédérale adoptée en 1848 va favoriser, à travers<br />

diverses mesures, le progrès industriel. 1 D’un autre côté, l’identité helvétique s’affirme à travers une<br />

série d’expositions nationales organisées pour célébrer le « Vil<strong>la</strong>ge Suisse », qui magnifie le caractère<br />

rural et pittoresque de <strong>la</strong> Suisse.<br />

Dans ce contexte, l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> apparaît problématique. A travers quelles épreuves<br />

l’<strong>image</strong> du béton s’est-elle construite Nous proposons de retenir cette question comme fil conducteur<br />

de notre travail.<br />

Pour y répondre, il nous paraît important d’examiner l’ensemble des débats, interre<strong>la</strong>tions d’acteurs et<br />

évènements qui ont favorisé ou au contraire freiné l’émergence du béton <strong>armé</strong>.<br />

La naissance du béton <strong>armé</strong> est difficile à situer précisément. En effet, l’invention à proprement parler<br />

du béton <strong>armé</strong> n’est pas le fait d’une seule personne, mais plutôt le résultat d’un ensemble<br />

d’expérimentations menées dans toute l’Europe.<br />

Dès lors, comment faire accepter un matériau sans référence constructive ni base juridique <br />

L’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> se manifeste dans un climat d’incertitude nourri par le scepticisme<br />

des théoriciens face à l’hétérogénéité des deux constituants du matériau : le béton et le fer. Malgré<br />

tout, nous pouvons relever dans les deux dernières décennies du XIX ème l’augmentation du nombre de<br />

dépôts de procédés d’assemb<strong>la</strong>ges ciment et fer, révé<strong>la</strong>nt l’espoir p<strong>la</strong>cé dans ce nouveau matériau.<br />

Quels arguments sont mis en avant Et comment ce nouveau matériau est-il passé de spécu<strong>la</strong>tion à<br />

invention puis à un mode de <strong>construction</strong> répandu et réglementé <br />

Si l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> dépendait de son potentiel constructif, elle dépend aussi d’un<br />

ensemble d’acteurs, qui selon leurs intérêts, al<strong>la</strong>ient participer à en faire <strong>la</strong> publicité, ou tenter au<br />

contraire d’en compromettre l’émancipation. Le béton <strong>armé</strong>, en tant qu’innovation technique, a des<br />

partisans et des dissidents qui, à travers leurs discours, participent beaucoup à construire son <strong>image</strong>.<br />

Quelles ont été les stratégies des uns et des autres pour défendre leurs positions L’étude tentera de<br />

faire l’analyse des conflits d’intérêts en jeu, et de leurs impacts sur <strong>la</strong> représentation qu’on se faisait à<br />

l’époque du matériau. Sur quels supports <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong> s’est elle appuyée <br />

En outre, comme toute innovation qui se forme, des incidents arrivent nécessairement. Au début du<br />

XX ème siècle le béton <strong>armé</strong> est <strong>la</strong>rgement diffusé dans l’ensemble de <strong>la</strong> Suisse. La bonne résistance<br />

dans le temps de ces différentes réalisations motive un climat de confiance re<strong>la</strong>tive dans les différents<br />

milieux professionnels. Or, deux accidents en particulier, à Bâle et à Berne, surviennent lors de <strong>la</strong> mise<br />

en œuvre même du béton <strong>armé</strong>. La presse helvétique s’en fera alors l’écho au travers de nombreux<br />

articles. Comment ces accidents sont-ils traités par <strong>la</strong> presse en général, et <strong>la</strong> presse technique en<br />

particulier Quels impacts ont-ils eu sur l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong> <br />

1 JACCARD Robert, Histoire de l’économie vaudoise, Lausanne, Imprimeries Réunies S.A., 1959.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

S’il apparaît que le béton <strong>armé</strong> a eu comme première difficulté de devoir faire ses preuves sur le p<strong>la</strong>n<br />

technique, il a également en arrière p<strong>la</strong>n, suscité des questions difficiles concernant son expression. Le<br />

béton a <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité d’être un matériau sans forme a priori (contrairement aux <strong>construction</strong>s en bois<br />

ou en acier, résultats de l’assemb<strong>la</strong>ge d’éléments). Les potentialités infinies du matériau l’ont desservi<br />

dans sa définition esthétique, parce que celui-ci ne dicte pas une manière unique d’être mis en œuvre,<br />

et par extension, ne correspond pas à « une expression toute trouvée ». Quelle expression donner aux<br />

réalisations en béton <strong>armé</strong> Et comment les objets auxquels il se substitue vont-il influencer notre<br />

représentation du béton <strong>armé</strong> <br />

4. L’ENTREE EN SCENE DU BETON ARME<br />

Avant d’être combiné à l’acier, le béton a fait l’objet d’expérimentations sur sa composition et ses<br />

propriétés. L’obtention de cette pâte sans forme procédait d’un dosage précis de ses différents<br />

composants que l’on cherchait à établir pour l’appliquer à <strong>la</strong> <strong>construction</strong>.<br />

Les premières expérimentations isolées sur l’assemb<strong>la</strong>ge du fer et du ciment ont lieu au long du<br />

XIX ème siècle notamment en France et en Angleterre, mais c’est à partir de 1850 que le béton <strong>armé</strong><br />

fait l’objet d’une série significative d’initiatives privées conduisant au dépôt de brevets. La barque en<br />

béton <strong>armé</strong> de Joseph-Louis Lambot, réalisée autour de 1855, a <strong>la</strong>issé une <strong>image</strong> marquante dans le<br />

monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Mais l’un des brevets les plus décisifs est celui d’un jardinier français,<br />

Joseph Monier, qui publie en 1867 son « système de caisses-bassins mobiles en fer et ciment<br />

applicable à l’horticulture » 2 . D’autres exemples encore montrent bien le caractère « bricolé » du<br />

matériau à ses premiers balbutiements.<br />

Pendant près de quarante ans, les expériences empiriques se succèdent autour de ce nouveau procédé,<br />

en même temps que celui-ci soulève le scepticisme des théoriciens de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En effet, les<br />

deux constituants du béton <strong>armé</strong>, le fer et le béton, sont antinomiques du point de vue de leurs<br />

propriétés physiques. Ils posent alors <strong>la</strong> question de leur dissociation sous <strong>la</strong> contrainte et de leur tenue<br />

dans le temps. De plus, les calculs connus à l’époque pour dessiner une ossature porteuse sont ceux<br />

déterminés par <strong>la</strong> statique des ouvrages métalliques. Ces calculs qui donnent scientifiquement <strong>la</strong> forme<br />

au fer, ne sont pas transposables aux ouvrages en béton.<br />

Face à ce<strong>la</strong>, le béton présente aussi des qualités qui le rendent intéressant dans son usage : on<br />

découvre qu’il est notamment résistant au feu, imputrescible, et qu’il correspond à un coût de mise en<br />

œuvre avantageux. Pour certains, ces atouts constituent des raisons suffisantes de persévérer pour<br />

l’inscrire parmi les techniques de <strong>construction</strong>.<br />

Autour des années 1890, un tournant s’opère en Allemagne avec le brevet déposé par Wayss et<br />

Freytag en 1886. Ces ingénieurs allemands, s’intéressant aux brevets déposés par Joseph Monier,<br />

décident de le réemployer pour é<strong>la</strong>borer le premier système appliqué à <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Il s’ensuit un<br />

premier ouvrage théorique sur le ciment <strong>armé</strong> publié par Wayss et Koenen en 1887, qui embraye une<br />

série de réalisations. Ce système se voit rapidement concurrencé par celui de l’ingénieur franco-belge<br />

François Hennebique 3 , dont l’entreprise s’imp<strong>la</strong>nte vite dans différents pays d’Europe. En Suisse, il<br />

s’impose également à travers une succursale à Lausanne, pilotée par l’ingénieur Samuel de Mollins.<br />

Par <strong>la</strong> suite de nouveaux « systèmes » continuent d’apparaître en Suisse : les systèmes Lossier,<br />

Siegwart, Koenen… Ces différents systèmes s’appliquent uniquement à des parties d’ouvrages<br />

spécifiques, c'est-à-dire les poutres ou les p<strong>la</strong>nchers.<br />

2 COLLINS Peter, Splendeur du béton. Les prédécesseurs et l’œuvre d’Auguste Perret, Paris, Editions Hazan, 1995.<br />

3 François Hennebique, ingénieur franco-belge, dépose le brevet du système Hennebique en Août 1892, soit six ans après<br />

celui du Système déposé par Wayss et Freytag en 1886 (Allemagne).<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

L’intérêt et les potentialités du béton <strong>armé</strong> continuent néanmoins à être mis en doute, ce dont<br />

témoignent les revues techniques de l’époque, comptant de nombreux articles qui vont jusqu’à<br />

remettre en question sa résistance au feu et son aspect économique 4 .<br />

La difficulté à défendre le béton par <strong>la</strong> théorie et le raisonnement pousse alors les différents<br />

entrepreneurs à légitimer son usage par le biais de l’empirisme, avec le déploiement d’une véritable<br />

mise en scène de l’expérience 5 . Tentant de suppléer au défaut de bases théoriques, des démonstrations<br />

sont effectivement réalisées dans le but de gagner <strong>la</strong> confiance des milieux professionnels, qu’il<br />

s’agisse de commanditaires, d’entrepreneurs ou de scientifiques. Un nouvel article de <strong>la</strong><br />

Schweizerische Bauzeitung, nous fait part quelques mois après de l’efficience de cette stratégie 6 :<br />

« Heureusement que le calcul des poutres Hennebique repose sur des bases plus solides<br />

que sur une théorie mathématique qui, le plus souvent, ne concorde pas avec <strong>la</strong> pratique.<br />

Le calcul de ces poutres est en effet basé sur d’innombrables essais, et les résultats<br />

trouvés ont prouvé que <strong>la</strong> méthode employée pour les calculer donnait des résultats<br />

dignes d’une confiance absolue. »<br />

Certains exemples en Suisse nous renseignent sur le déroulement de ces expériences, notamment celle<br />

menée à Lausanne par S. De Mollins pour <strong>la</strong> Compagnie privée de chemin de fer du Jura-Simplon 7 :<br />

« L’expérience réalisée en 1893 à Lausanne, fut une première dans le domaine de <strong>la</strong><br />

<strong>construction</strong> en béton et qui donna à tous [les experts présents], une confiance étendue,<br />

[…] dans <strong>la</strong> résistance inattendue de l’assemb<strong>la</strong>ge bien fait du fer et du béton. »<br />

De cette première approche, nous pouvons retenir le fait que l’entrée en scène du béton <strong>armé</strong> se<br />

caractérise par une période d’incertitude. L’<strong>image</strong> que renvoie le béton n’est pour ainsi dire peu<br />

f<strong>la</strong>tteuse, autant associée à une « pâte sans forme » à <strong>la</strong> destination encore peu comprise, qu’à un<br />

mé<strong>la</strong>nge hétérogène et peu sûr... En réaction à cette mauvaise presse, c’est par <strong>la</strong> voie de l’empirisme<br />

que les efforts vont se porter pour défendre les qualités de ce matériau. A l’<strong>image</strong> de <strong>la</strong> matière<br />

informe se substitue celle d’un matériau à toute épreuve, garantie par l’expérience-démonstration et<br />

dont <strong>la</strong> multiplication des brevets viendront confirmer son emploi.<br />

5. UN RESEAU D’ACTEURS EN JEU : ENGOUEMENTS ET RESISTANCES<br />

La <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> fait intervenir un réseau d’acteurs privés et publics depuis <strong>la</strong> commande<br />

jusqu’à l’exécution, sans oublier en parallèle, les acteurs des milieux scientifiques, intellectuels et du<br />

domaine de <strong>la</strong> réglementation. Les interdépendances au sein de ces réseaux nous permettent de mieux<br />

saisir les débats qui animent cette période entre protagonistes et opposants.<br />

4 (voir Annexe 1) RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) », in SBZ, Vol.29/30, 1897,<br />

p.61.<br />

5<br />

(voir Image 1) « Essais de résistance d’une poutre Hennebique, Lausanne 1893, S. de Mollins ingénieur », in<br />

DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de<br />

l’entreprise Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p37.<br />

6 (voir Annexe 2) FAVRE A., « Le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : Rectifications », in SBZ, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />

7 E., « <strong>Béton</strong> Armé. Encore quelques faits nouveaux. Notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong>, construits dès 1894 par <strong>la</strong><br />

Compagnie de chemins de fer du Jura Simplon », in BTSR, n°15, 1903, pp. 201-205.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

5.1 Les constructeurs et fournisseurs<br />

Dans un contexte socioculturel où prédomine encore fortement l’académisme qui fixe les règles des<br />

<strong>construction</strong>s en matériaux traditionnels (pierre, bois..), deux attitudes liées au béton <strong>armé</strong> se mêlent,<br />

les empiristes c’est-à-dire les entrepreneurs et constructeurs qui, par des séries d’essais, font leur<br />

propre validation de leurs procédés de <strong>construction</strong> 8 et les théoriciens, professeurs et autres<br />

scientifiques qui cherchent à codifier l’usage du matériau par l’établissement de modèles théoriques.<br />

Parmi les empiristes, essayons de comprendre le fonctionnement de <strong>la</strong> société de <strong>construction</strong> qui fera<br />

figure d’exception par sa portée mondiale : <strong>la</strong> firme Hennebique. En effet, l’expansion de cette<br />

entreprise joue un rôle essentiel dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> et <strong>la</strong> diffusion de l’<strong>image</strong> du béton, reflétant les<br />

mécanismes d’une importante avancée que mène Hennebique dans le domaine de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En<br />

Suisse comme dans bon nombre de pays, <strong>la</strong> société occupe sans conteste une part dominante du<br />

marché.<br />

Son incroyable essor repose sur <strong>la</strong> simplicité de mise en œuvre de ses brevets et surtout <strong>la</strong> performance<br />

de son organisation hiérarchique. François Hennebique, ingénieur franco-belge, supervise ainsi un<br />

premier niveau d’agents de formation ingénieur, répartis en France, en Europe puis rapidement dans le<br />

monde entier 9 ; <strong>la</strong> Suisse est représentée par Samuel de Mollins. Puis ces agents dirigent un deuxième<br />

échelon de concessionnaires répartis par ville (A Lausanne, il s’agit de M. Ferrari) qui sont chargés de<br />

répandre le « <strong>la</strong>bel » et transmettre les données de calcul de chaque affaire conclue, au bureau central<br />

siégeant à Paris. Les publicités diffusées dans le BTSR montrent l’étendue de <strong>la</strong> couverture de son<br />

réseau de concessionnaires sur le territoire suisse. 10<br />

De plus, comme le précise C. Simonnet 11 , <strong>la</strong> force d’action de Hennebique réside dans <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />

à <strong>la</strong> tête du réseau, d’un système de bureaux d’études ou « d’ingénieurs-conseils » qui reçoivent et<br />

traitent ces éléments de calcul issus des commandes. Leur tâche consiste en un travail d’anticipation<br />

propre à chaque projet pour fournir au client des devis et <strong>la</strong> garantie d’études préliminaires totalement<br />

détachées de <strong>la</strong> réalité des chantiers, une nouveauté par rapport aux manières de faire des constructeurs<br />

métalliques. La concurrence se joue désormais sur cette capacité des différentes firmes à assumer ces<br />

études préa<strong>la</strong>bles au projet qui fournissent au client une certaine légitimité de leur choix. C’est ainsi<br />

que tel ou tel brevet peut afficher sa pertinence et supériorité sur le marché puisque, bien souvent, pour<br />

le commanditaire, <strong>la</strong> supériorité technique de l’un ou l’autre ne s’exprime guère, du moins sur le p<strong>la</strong>n<br />

des applications.<br />

Pour l’exécution des projets, <strong>la</strong> société Hennebique signe des contrats avec des entreprises de<br />

<strong>construction</strong>s locales auxquelles elle confie un « droit d’exploitation, s’engageant en retour à fournir<br />

les éléments nécessaires à une mise en œuvre conforme 12 ».<br />

Ces entreprises de <strong>construction</strong> locale qui ne se démarquent pas par <strong>la</strong> propriété d’un brevet sont alors<br />

reléguées à un deuxième p<strong>la</strong>n sur le marché. Elles se voient effectivement comme diminuées de leur<br />

véritable pouvoir de <strong>construction</strong> puisqu’elles ne possèdent pas « d’exclusivité » pour l’application des<br />

brevets mais simplement un « droit d’exploitation » à renouveler à chaque projet…<br />

En ce sens, <strong>la</strong> puissante société Hennebique en p<strong>la</strong>ce a su s’organiser de manière à se prévaloir de<br />

toutes responsabilités notamment en cas d’accident 13 puisque, comme évoqué précédemment, <strong>la</strong><br />

séparation de <strong>la</strong> conception et de l’exécution <strong>la</strong>isse une grande part de responsabilités à l’entreprise<br />

intermédiaire… Dépassant alors le matériau lui-même, c’est peu à peu une expérience et <strong>la</strong> notoriété<br />

de <strong>la</strong> firme que l’on achète…<br />

8 SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau. Economie, technique, architecture, Marseille, Ed. Parenthèse, 2005,<br />

pp. 79-80.<br />

9 (voir Image 2) « Le système Hennebique dans le monde », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 69, février 1904, p<strong>la</strong>nche 1.<br />

10 (voir Image 3) Publicité de <strong>la</strong> société Hennebique, in BTSR, n°14, 1903.<br />

11 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p. 66.<br />

12 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p. 66.<br />

13 cf. partie 7 Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Par suite <strong>la</strong> question des ouvriers se pose et notamment celle de leur connaissance technique envers un<br />

matériau nouveau et dont <strong>la</strong> mise en oeuvre, à cette époque, dépend exclusivement de l’organisation et<br />

de <strong>la</strong> performance sur les chantiers. A noter que les ouvriers ne sont plus les garants du savoir faire<br />

comme pouvaient l’être, à l’aire industrielle, les maîtres charpentiers métalliques, ou encore les<br />

compagnons maçons. On est désormais en présence de nouveaux métiers ouvriers indépendants qui<br />

interviennent de manière segmentaire sur les chantiers : « le boiseur, le coffreur, le ferrailleur… » 14<br />

Ainsi, <strong>la</strong> <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> sépare et multiplie davantage les tâches au cours du long<br />

processus d’é<strong>la</strong>boration, invente de nouveaux intermédiaires dans le domaine du bâtiment construisant<br />

peu à peu aux yeux du public l’<strong>image</strong> d’une importante organisation ; bientôt le statut des ouvriers se<br />

verra augmenté de sécurité, des normes seront mises en p<strong>la</strong>ce…<br />

Le développement d’entreprises de <strong>construction</strong> pose également en parallèle <strong>la</strong> question de leur<br />

approvisionnement en matières premières et donc principalement du réseau créé avec les cimentiers.<br />

Il est à noter qu’avant le développement significatif du béton <strong>armé</strong> en Suisse au tournant du siècle, les<br />

cimenteries ont d’ores et déjà vu le jour sur le territoire depuis une vingtaine d’année. Le ciment est<br />

alors utilisé comme liant (mortier) dans des ouvrages de maçonneries, où il remp<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> chaux pour un<br />

coût moins élevé ainsi que dans des réalisations en béton. Les fabriques de ciment exploitent une<br />

matière première calcaire particulièrement abondante en Suisse, qui leur permet de rivaliser avec les<br />

marchés étrangers.<br />

A cette même période, les industries minières de fer et charbon subissent, quant à elles, un re<strong>la</strong>tif<br />

déclin avec <strong>la</strong> perte de compétitivité et l’épuisement de ces ressources peu généreuses. Beaucoup<br />

d’entre elles s’empressent alors de se reconvertir et adaptent leur structure pour <strong>la</strong> fabrication du<br />

ciment, en utilisant les couches calcaires des exploitations minières jusqu’ici négligées.<br />

Le terrain suisse est donc très propice à l’essor du béton <strong>armé</strong>, ce qui n’échappe certainement pas aux<br />

entreprises qui décident de s’y imp<strong>la</strong>nter, telles que <strong>la</strong> firme Hennebique. Entrepreneurs et cimentiers<br />

s’engagent dans une course aux marchés ; en effet, <strong>la</strong> qualité du ciment est un gage important de celle<br />

du béton <strong>armé</strong>, dont elle détermine en partie <strong>la</strong> résistance. Les fabriques se manifestent alors<br />

abondamment aux travers des expositions, qui, en fonction de leur productivité et de leurs innovations,<br />

leur attribuent des médailles. La presse technique regorge de publicités où se joue <strong>la</strong> concurrence des<br />

fabriques de ciment qui vantent les médailles obtenues 15 .<br />

Mais l’analyse de ces presses, ne nous permet pas pour autant de percer les véritables enjeux<br />

économiques cachés qui relient les cimentiers aux entrepreneurs, les nécessaires re<strong>la</strong>tions de fidélité<br />

ou de partenariat qui pourraient exister...car, on le devine, l’enjeu commercial prend toute son<br />

ampleur.<br />

Dans ce contexte, les constructeurs métalliques, déjà déstabilisés par un minerai en mauvaise posture<br />

derrière le ciment, voient naturellement en l’avancée du béton <strong>armé</strong> un affaiblissement de leur marché.<br />

Ils s’engagent alors activement dans le débat et utilisent principalement les accidents de <strong>construction</strong><br />

en béton pour troubler l’opinion publique. 16<br />

Cette bataille qui consiste à discuter les catastrophes respectives des deux modes de <strong>construction</strong> est<br />

particulièrement bien retranscrite et alimentée dans le discours que véhicule <strong>la</strong> firme Hennebique dans<br />

sa revue mensuelle : Le <strong>Béton</strong> Armé. Se définissant comme un « organe d’enseignement mutuel » 17 ,<br />

cette revue <strong>la</strong>ncée en 1898 produit une certaine ému<strong>la</strong>tion interne à <strong>la</strong> firme qui permet d’affronter<br />

avec force <strong>la</strong> concurrence. Au-delà même, un avis est <strong>la</strong>ncé aux lecteurs pour qu’ils deviennent leurs «<br />

col<strong>la</strong>borateurs en [leur] envoyant des notes et croquis, dessins ou photographies sur tous les travaux<br />

qu’ils exécutent ou voient exécuter autour d’eux [...] »<br />

Usant du sarcasme et de l’ironie, elle présente systématiquement « les trahisons de l’acier » 18 en<br />

réponse aux attaques manifestées par les constructeurs en métal.<br />

14 SIMONNET Cyrille, in op. cit., p.60.<br />

15 (voir Image 4) Publicités de cimentiers, in BTSR, n°10, 1903.<br />

16 JOST Hans-Ulrich, the introduction of reinforced concrete in Switzer<strong>la</strong>nd (1890-1914) : Social & Culutral Aspects<br />

17 « Avis », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°48, mai 1902, p. 163<br />

18 (voir Image 5) « Les trahisons du fer. Incendie de l’usine de Derendingen (Suisse) », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 47, avril 1902,<br />

p<strong>la</strong>nche 3.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

En voici un exemple :<br />

« Nous recevons d’un de nos correspondants, <strong>la</strong> note suivante :<br />

« Sous ce titre expressif vous avez publié dans votre dernier numéro un article<br />

instructif où vous montrez les défail<strong>la</strong>nces du fer en présence du feu. « Nous ne nous<br />

permettrons d’ajouter que quelques mots à cet article ; [...] Chacun peut en tirer cette<br />

conclusion que : <strong>la</strong> sécurité des ouvrages métalliques est nulle contre les attaques du<br />

feu. [...] « Quant à <strong>la</strong> sécurité statique pendant <strong>la</strong> période des travaux, elle est tout<br />

aussi problématique ; [...] Pour <strong>la</strong> durée, il en est de même, on <strong>la</strong> voit chaque jour<br />

compromise par l’oxydation [...] » 19<br />

En conclusion, nous voyons qu’autour du béton <strong>armé</strong> s’organise un important réseau de<br />

professionnels. Parmi eux, l’entreprise Hennebique s’impose à travers une <strong>la</strong>rge couverture du<br />

marché et une stratégie de communication efficace, tel qu’on lui attribue souvent « l’invention<br />

du béton <strong>armé</strong> ». S’il y a invention, elle se situe davantage dans <strong>la</strong> structure et <strong>la</strong> puissance de<br />

l’entreprise qu’il met en œuvre, supportant d’influentes logiques de production.<br />

5.2 Les scientifiques, à <strong>la</strong> recherche des fondements théoriques<br />

L’<strong>image</strong> et le développement du béton <strong>armé</strong> en Suisse passe incontestablement par l’intervention des<br />

institutions et en particulier l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (fondée en 1855), au travers de<br />

<strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> recherche scientifique se concentre et s’exprime.<br />

En 1880, <strong>la</strong> chaire de « statique de <strong>construction</strong> » de l’EPFZ jusqu’alors tenue par Karl Culmann 20 se<br />

poursuit en deux enseignements scientifiques qui se penchent sur le développement de méthodes de<br />

calcul des ouvrages en béton <strong>armé</strong> : l’enseignement théorique que conduit le Professeur Ritter et <strong>la</strong><br />

recherche pratique menée par le Professeur Tetmajer.<br />

Dès lors, pour é<strong>la</strong>borer ses théories, W. Ritter choisit d’effectuer une série de tests sur les systèmes de<br />

<strong>la</strong> firme Hennebique, qu’il ne manque pas de divulguer dans de nombreux articles publiés dans <strong>la</strong><br />

presse technique 21 . De cette manière, l’entreprise Hennebique se voit acquérir un précieux crédit<br />

scientifique de <strong>la</strong> part de ce professeur, crédit que l’agent Hennebique en Suisse, Samuel de Mollins,<br />

s’empresse de saluer dans un article paru quelques mois plus tard dans <strong>la</strong> même revue 22 :<br />

« Il nous est précieux, après tant d’efforts et de travail effectif de voir les hommes les<br />

plus illustres de <strong>la</strong> science rendre hommage aux vérités scientifiques que nous défendons<br />

et que nous appliquons avec un certain succès. »<br />

Un autre professeur, F.L. Schüle, s’implique aussi dans le développement de nouveaux procédés en<br />

béton <strong>armé</strong>. C’est ainsi que, quelques années plus tard, le système développé par l’ingénieur Lossier 23 ,<br />

ex-membre de l’équipe Hennebique, entre sur le terrain de <strong>la</strong> concurrence en bénéficiant aussi de tests<br />

au <strong>la</strong>boratoire d’essais des matériaux de l’EPFZ, sous <strong>la</strong> direction de ce professeur.<br />

Ces deux exemples illustrent les re<strong>la</strong>tions étroites d’interdépendance qu’entretiennent les dépositaires<br />

de système constructif et le milieu académique, les uns cherchant à bénéficier autant que possible d’un<br />

appui scientifique valorisant leur procédé et les autres un moyen d’appliquer leurs modèles de calcul.<br />

19 « Les trahisons du fer », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°48, mai 1902, pp. 175-176<br />

20 Karl Culmann crée l’école d’ingénieurs à l’EPFZ et y enseigne dès 1855. Il s’attache à représenter les efforts des<br />

<strong>construction</strong>s de ponts par un nouveau moyen : le graphique, qu’utilisera notamment R. Mail<strong>la</strong>rt et publie son ouvrage<br />

majeur sur <strong>la</strong> statique graphique en 1864-1866.<br />

21 RITTER A., « die Bauweise Hennebique », in SBZ, vol.33/34, 1899, pp.41-43, pp.49-52, pp.59-61.<br />

22 (voir Annexe 3) de MOLLINS S., Rubrique Korrespondenz : « le béton <strong>armé</strong>, système Hennebique », in SBZ, vol. 33/34,<br />

1899, p. 109.<br />

23 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph, « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, n° 14, 1903, p. 190.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Malgré tout, plus de dix ans après ces premiers essais et validations de calcul accordées à certains<br />

systèmes constructifs, les ingénieurs <strong>la</strong>issent toujours p<strong>la</strong>ner le doute quant à <strong>la</strong> possibilité d’anticiper<br />

de manière univoque les comportements généraux du béton <strong>armé</strong>.<br />

A propos d’une brochure exposant les résultats d’essais sur <strong>la</strong> résistance du béton <strong>armé</strong>, il est dit dans<br />

un article BTSR de 1906 24 :<br />

« [...] L’auteur démontre combien il est improbable que l’on puisse jamais obtenir des<br />

méthodes scientifiques incontestables pour <strong>la</strong> détermination des dimensions des ouvrages<br />

de cette nature, mais que l’impossibilité où l’on se trouve de calculer d’avance les<br />

tensions que produira une charge donnée dans un corps hétérogène ne doit pas détourner<br />

l’ingénieur de se servir de telle ou telle méthode de calcul […] »<br />

Durant toute cette période, un climat d’incertitudes règne donc du fait des faiblesses théoriques<br />

inhérentes au matériau, qui ne se lèvent pas. Toutefois, ces préoccupations et appréhensions des<br />

scientifiques ne freinent pas pour autant l’engouement manifesté à l’égard du béton <strong>armé</strong>. Au<br />

contraire, elles nourrissent en même temps <strong>la</strong> recherche de nouveaux systèmes officialisés par le dépôt<br />

de brevets qui engendrent naturellement l’émergence de nouvelles sociétés de <strong>construction</strong>.<br />

C’est d’ailleurs de cette manière qu’est apparu le système Lossier, dont nous parlions précédemment,<br />

basant essentiellement l’innovation sur <strong>la</strong> résolution de <strong>la</strong> question que se posaient les théoriciens à ce<br />

moment de l’adhérence du fer au ciment. 25<br />

5.3 Les organes de réglementation<br />

Face au développement des <strong>construction</strong>s en béton, il convient de comprendre davantage comment<br />

sont codifiées les applications du matériau c’est-à-dire son étape «de mise en conformité<br />

scientifique». 26<br />

Notons au préa<strong>la</strong>ble, qu’en 1901, le BTSR expose le procès-verbal 27 d’une commission du ciment<br />

<strong>armé</strong> qui a lieu cette année en France. Son enjeu est, entre autre, de <strong>la</strong>ncer des recherches en vue<br />

d’établir des règles pour l’emploi du <strong>Béton</strong> Armé dans les travaux publics français. Et, cette<br />

commission survient notamment après l’exposition nationale de 1900 à Paris où une <strong>construction</strong><br />

Hennebique en chantier s’écroule...<br />

C’est dans ce même état de fait et surtout en réaction à l’accident de Bâle de 1901 28 que <strong>la</strong> Société<br />

privée des Ingénieurs et Architectes Suisses (SIA) se préoccupe aussi d’établir des normes provisoires,<br />

durant <strong>la</strong> période 1901-1903.<br />

Les premiers grands accidents du début du siècle sont bel et bien les éléments déclencheurs, en France<br />

comme en Suisse, du souci de réglementation, car ils ébranlent <strong>la</strong> confiance accordée entre<br />

professionnels.<br />

Pour concevoir ces normes, les différentes sections (vaudoise, fribourgeoise...) vont régulièrement<br />

débattre, au cours de l’année 1902, pour apporter leurs préavis au Comité central SIA qui se chargera<br />

par <strong>la</strong> suite de synthétiser et publier les textes établis. Ces nombreuses séances sont données en résumé<br />

ou sous forme de rapports dans le BTSR. Nous pouvons en retenir quelques uns pour les précisions<br />

qu’ils apportent...<br />

En mai 1902 29 , à Berne, une séance se déroule avec presque <strong>la</strong> totalité des sections et nous apprenons<br />

que le nombre des membres ne cesse d’augmenter accusant de l’intérêt croissant des ingénieurs pour<br />

ce problème donné de <strong>la</strong> réglementation du béton <strong>armé</strong>.<br />

24 VAUTIER Alph., Rubrique Bibliographie, in BTSR, n° 18, 1906, pp. 212-213.<br />

25 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph, « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, n° 14, 1903, pp. 189-<br />

192.<br />

26 SIMONNET Cyrille, in op cit., p. 94.<br />

27 Le Ciment, « Procès verbal de <strong>la</strong> première séance du 16 février 1901 de <strong>la</strong> Commission du ciment <strong>armé</strong>, instituée par le<br />

Ministère des Travaux publics de France. », in BTSR, n°27, 1901, pp. 106-107<br />

28 cf. partie 7 Un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

En octobre 30 , le BTSR dévoile le contenu d’un important rapport présenté au directeur du département<br />

des travaux de Bâle-ville où notamment les Professeurs Ritter et Schüle exposent les conditions pour<br />

l’exécution des <strong>construction</strong>s suivant les différents systèmes. On y apprend par exemple combien <strong>la</strong><br />

suprématie du système Hennebique se heurte à <strong>la</strong> concurrence d’autres procédés, concurrence qui, plus<br />

qu’économique se joue désormais au niveau des garanties en sécurité. En effet, il est précisé qu’en<br />

cherchant <strong>la</strong> compétitivité économique, <strong>la</strong> société Hennebique a opéré des changements dans son<br />

système de <strong>construction</strong> qui ont contribué à affaiblir <strong>la</strong> sécurité des bâtiments. De plus, ce système a<br />

particu<strong>la</strong>rité d’être exclusivement mis en œuvre sur le chantier et donc <strong>la</strong> sécurité des <strong>construction</strong>s ne<br />

peut se faire en amont (contrairement à d’autres systèmes qui usent de <strong>la</strong> préfabrication d’éléments), il<br />

implique un « contrôle régulier du travail » des ouvriers qui d’ailleurs seront les seuls mis en cause<br />

dans <strong>la</strong> catastrophe de Bâle...<br />

Ainsi, cette période de réflexion sur les normes permet de soulever les effets préoccupants qui se<br />

cachent derrière <strong>la</strong> concurrence des différentes sociétés de <strong>construction</strong>.<br />

Les mois suivants, le Comité central demande l’avis des sections sur les « règlements de <strong>la</strong> police des<br />

<strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> de cinq villes allemandes » qu’il propose en soutien. La section vaudoise<br />

répond :<br />

« [...] nous ne pouvons conseiller d’imiter <strong>la</strong> réglementation des villes allemandes.<br />

Celle-ci nous paraît très prématurée et beaucoup plus propre à entraver ce système de<br />

<strong>construction</strong> (le béton <strong>armé</strong>) qu’à assurer ses progrès et sa sécurité publique. [...] » 31<br />

Cette année 1902 dévoile donc une véritable effervescence au sein de <strong>la</strong> SIA pour établir ces<br />

réglementations mobilisant rapidement les grands professeurs, <strong>la</strong> diversité des avis qu’offrent les<br />

différentes sections réparties dans les cantons al<strong>la</strong>nt même jusqu’à puiser dans les règlements de<br />

l’Allemagne, déjà mis en p<strong>la</strong>ce... Certes, le climat d’instabilité et d’incertitude issu de ces accidents<br />

hante certains professionnels qui aimeraient se décharger de quelques responsabilités, comme le<br />

<strong>la</strong>issent penser ces propos :<br />

« [...] Quelques malheureux plus exposés que d’autres aux tracasseries du béton<br />

<strong>armé</strong>, demandent à grands cris qu’on établisse immédiatement des normes<br />

provisoires, en attendant les travaux définitifs de MM. les professeurs. On éviterait<br />

ainsi beaucoup d’ennuis aux administrations et aux entrepreneurs eux-mêmes, qui<br />

s’entre-dévorent, et on préviendrait peut-être des accidents.<br />

Tous les constructeurs et avec eux, sans doute, les représentants de toutes les nuances<br />

recommandables de béton <strong>armé</strong> verront avec p<strong>la</strong>isir cette réglementation sans autre<br />

apparat que l’assentiment des ingénieurs et architectes du pays [...]» 32 .<br />

Toutefois, <strong>la</strong> SIA se trouve dans une situation complexe et ambiguë, partagée entre le devoir de<br />

sécurité publique et le souhait de ne pas entraver le progrès technique. Quant bien même, elle pense<br />

qu’avec une surveil<strong>la</strong>nce précise de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>, l’innovation peut continuer son chemin, les grands<br />

acteurs de ce progrès tels que <strong>la</strong> firme Hennebique sont là pour les convaincre du contraire... 33<br />

29 E. , « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai 1902 », in BTSR, n°11,<br />

1902, p.148<br />

30 « Rapport sur les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> et sur les <strong>construction</strong>s de p<strong>la</strong>nchers présenté au Directeur du Département<br />

des Travaux de Bâle-ville. », in BTSR, n°19, 1902, pp.256-259<br />

31 A. VAUTIER, « Section Vaudoise de <strong>la</strong> Société suisse des Ingénieurs et des Architectes. Commission du béton <strong>armé</strong>.<br />

Rapport. », in BTSR, n°23, 1902, pp. 314-316<br />

32 E. , « Assemblée des délégués de <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et des Architectes, à Berne le 25 Mai 1902 », in BTSR, n°11,<br />

1902, p.148.<br />

33 (voir Annexe 5) « VIIème Congrès du <strong>Béton</strong> Armé. Communication de M. de Mollins sur <strong>la</strong> réglementation des<br />

<strong>construction</strong>s en <strong>Béton</strong> Armé, en Allemagne et en Suisse. », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°57, février 1903, pp. 149-152.<br />

15


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Finalement, en 1903, le Comité central 34 nous présente l’aboutissement de cette année de travail en un<br />

projet de réglementations provisoires distribué aux différentes sections. Pour l’heure, il est dit que <strong>la</strong><br />

Confédération n’intervient pas, villes et cantons s’aident mutuellement. Par contre, nous apprenons<br />

que <strong>la</strong> société des fabricants de chaux et de ciment est entrée en col<strong>la</strong>boration pour participer<br />

financièrement aux essais théoriques qui seront encore p<strong>la</strong>nifiés les années suivantes.<br />

Désormais les cimentiers, premiers maillons de <strong>la</strong> chaîne de production, se sont organisés en<br />

associations, augmentant leur force d’action. Ils peuvent participer avec influence au développement<br />

du matériau, se positionnant entre les intérêts du constructeur et du théoricien et donc assurer leur<br />

marché.<br />

Quant à <strong>la</strong> « Jeune Confédération », outre sa présence à travers le <strong>la</strong>boratoire d’essais de l’Ecole<br />

Polytechnique Fédérale de Zürich (EPFZ), il faudra effectivement attendre deux années pour <strong>la</strong> voir<br />

participer pleinement à cette réglementation.<br />

Suite à une requête <strong>la</strong>ncée à nouveau par <strong>la</strong> SIA, <strong>la</strong> Confédération répondra :<br />

« [...] Disons d’emblée que, étant données les applications et l’importance toujours plus<br />

considérable du béton <strong>armé</strong>, nous approuvons naturellement le désir de faire des essais<br />

étendus avec cette matière. Le fait que <strong>la</strong> Confédération a continuellement en exécution<br />

des <strong>construction</strong>s importantes, qu’elle se fait de plus un devoir de s’occuper de questions<br />

d’intérêt général, qu’elle est enfin propriétaire du <strong>la</strong>boratoire fédéral d’essais des<br />

matériaux, nous dispose à participer activement à de tels essais.[...] » 35<br />

C’est enfin <strong>la</strong> prise de conscience par le pouvoir public des responsabilités liées à <strong>la</strong> croissance forte<br />

du béton <strong>armé</strong>. La Confédération prend alors en charge les essais « dans toute leur étendue » pour une<br />

période de 4 ans, à <strong>la</strong> suite desquels elle produit d’importantes prescriptions. 36<br />

5.4 Les commanditaires<br />

Aux débuts de l’émergence du béton, les commanditaires étaient en grande majorité des promoteurs<br />

privés car, <strong>la</strong> Confédération n’ayant pas encore reconnu ce nouveau procédé de <strong>construction</strong>, ce<strong>la</strong><br />

posait <strong>la</strong> nécessaire question de <strong>la</strong> prise de responsabilités sans le couvert de normes… C’est ainsi que,<br />

par exemple, <strong>la</strong> Compagnie privée de chemin de fer Jura-Simplon se <strong>la</strong>nce, au tournant du siècle, dans<br />

un double « défi » : celui d’employer le béton <strong>armé</strong> pour ses ouvrages d’art et entrepôts en plus du défi<br />

d’expansion des voies ferrées.<br />

Dans ce contexte, les différentes expériences menées par S. de Mollins dont celle de 1893, ont<br />

convaincu <strong>la</strong> « jeune » Compagnie des chemins de fer Jura-Simplon 37 à tester les systèmes<br />

Hennebique avant de les généraliser à l’ensemble de leur ligne. Ainsi, chaque ouvrage réalisé était<br />

accompagné d’une série d’essais.<br />

Nous pouvons ainsi lire dans le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, une série d’articles re<strong>la</strong>yant<br />

ces essais 38 :<br />

« […] Essayé avec beaucoup de soin et en présence de nombreux ingénieurs du dehors<br />

le 21 mars 1898, puis avec le mêmes précautions le 12 janvier 1900, inspecté<br />

minutieusement dès lors à plusieurs reprises, ce petit pont n’a donné lieu qu’à une seule<br />

retouche insignifiante : un montant du garde-corps.<br />

34 « Rapport de gestion du Comité central sur les années 1902-1903 », in BTSR, n°17, 1903, pp.233-234.<br />

35 (voir Annexe 6) GEISER A., « SIA Rapport de gestion du Comité central sur les années 1903-1905 », in BTSR, n° 15,<br />

1905, pp. 192-195.<br />

36 « Circu<strong>la</strong>ire du Comité central aux sections », in BTSR, n°35, 1909, p. 202.<br />

37 La compagnie du Jura Simplon est constituée en 1891 par <strong>la</strong> fusion des principales compagnies ferroviaires de Suisse, et<br />

joua un rôle important dans <strong>la</strong> réalisation des transversales Alpines.<br />

38 E., « <strong>Béton</strong> <strong>armé</strong>, Encore quelques faits nouveaux, notes sur les ponts sous rails en béton <strong>armé</strong> construits dès 1894 par <strong>la</strong><br />

Compagnie des chemins de fer Jura-Simplon », in BTSR, n°15, 1903, pp. 202-203.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

[…] Cet essai concluant donna pour ainsi dire droit de cité au béton <strong>armé</strong>, non<br />

seulement à <strong>la</strong> Compagnie J.-S., mais encore aux yeux du Contrôle fédéral des chemins<br />

de fer, et les applications devinrent nombreuses. »<br />

Rapidement, d’autres promoteurs privés et même publics s’intéressent au béton. Un grand nombre de<br />

personnes d’horizon divers telles que les pompiers, les horlogers, les postiers, les banquiers, les<br />

directeurs de théâtre, les conservateurs de musées et même les hôteliers s’y intéressent.<br />

Mais quels avantages voient-ils dans le béton <br />

A priori ce ne sont pas les capacités techniques de portée d’une dalle en béton qui retiennent<br />

l’attention de ces corporations. Le point commun de ces commanditaires se trouve plutôt dans les<br />

atouts de protection du matériau lui-même, mis en avant par les constructeurs, protection face aux<br />

incendies, aux dégâts d’eau, aux infractions… Les casernes des pompiers, coffres-forts des banquiers<br />

ou encore les musées seront ainsi réalisés en béton <strong>armé</strong>… 39<br />

Le jeu de concurrence est aussi renforcé par les commanditaires qui recherchent les meilleurs prix audelà<br />

même de <strong>la</strong> nature des systèmes, comme le montre l’attitude manifestée par <strong>la</strong> compagnie du Jura<br />

Simplon dans un article du BTSR 1903 40 : « Les prix élevés du béton Hennebique, dont les<br />

concessionnaires ne valent pas tous feu Ferrari, et les progrès réalisés par certains concurrents sur ces<br />

entrefaites, engagèrent <strong>la</strong> Compagnie J-S. à essayer aussi d’autres systèmes […] ».<br />

5.5 Le milieu intellectuel<br />

En dehors des professionnels impliqués de fait par le béton <strong>armé</strong>, d’autres acteurs tels qu’intellectuels,<br />

écrivains et artistes s’intéressent à <strong>la</strong> question, de manière plus ou moins directe.<br />

Les transformations du territoire dérivées de <strong>la</strong> « modernisation », dans beaucoup d’esprits, mettent à<br />

mal <strong>la</strong> beauté des paysages suisses.<br />

Certains écrivains, à travers des ouvrages ou des articles de presse, s’affligent de ces<br />

bouleversements ; ils identifient <strong>la</strong> révolution industrielle comme responsable d’un en<strong>la</strong>idissement du<br />

paysage et de <strong>la</strong> perte des traditions architecturales locales. Ces observations suscitent des critiques<br />

tranchées. Leur discours n’est pas précisément ciblé sur le béton <strong>armé</strong> en lui-même, mais celui-ci est<br />

évoqué implicitement dans les observations dont ils rendent compte.<br />

En 1904, l’écrivain Guil<strong>la</strong>ume Fatio 41 publie un ouvrage exaltant les valeurs de <strong>la</strong> Suisse pittoresque et<br />

déplorant <strong>la</strong> banalité de l’architecture qui se développe. Si l’ouvrage met en avant des préoccupations<br />

d’ordre esthétique, le texte exprime souvent en arrière p<strong>la</strong>n un scepticisme plus profond, lié au<br />

changement de <strong>la</strong> société en elle-même. « Les idées égalitaires qui tourmentent les sociétés actuelles<br />

veulent, de plus en plus, que <strong>la</strong> maison du pauvre prenne autant que possible l’aspect de celle du<br />

riche. » 42 La critique faite à l’architecture en dissimule une autre, faite à <strong>la</strong> société.<br />

Un autre auteur, Charles Melley, 43 dont le discours est proche de celui de G. Fatio, critique les<br />

procédés -dont le ciment- qui permettent à un moindre prix d’imiter les décorations auparavant<br />

réservées aux maisons fastueuses, brouil<strong>la</strong>nt ainsi les conceptions du beau et du <strong>la</strong>id, de l’authenticité<br />

et du pastiche. Les inquiétudes, sont donc aussi d’ordre identitaire et social. Notons aussi que <strong>la</strong><br />

révolution industrielle implique une immigration étrangère qui attise une xénophobie grandissante.<br />

Beaucoup d’ouvriers étrangers sont amenés à travailler dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des bâtiments :entre<br />

autochtones et immigrés, les tensions naissent sur les chantiers, éc<strong>la</strong>tant en conflits violents en cas<br />

d’accident.<br />

39 DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., in op. cit.<br />

40 E., in art. cit., pp. 201-205.<br />

41 Cf. GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse, Lausanne, L’Age<br />

d’Homme, 1975.<br />

42 Propos de FATIO G. in GUBLER Jacques, in op. cit.<br />

43 MELLEY C. in GUBLER Jacques, in op. cit.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Ces préoccupations transparaissent c<strong>la</strong>irement dans le climat politique qui voit une droite<br />

protectionniste prendre forme, défendant une vision patriotique et protectionniste. 44<br />

L’exaltation des valeurs patriotiques est précisément marquante dans l’exposition nationale « Le<br />

vil<strong>la</strong>ge Suisse 45 ». Les expositions servant habituellement à montrer les innovations, il parait étonnant<br />

d’y voir exposées des reconstitutions de vil<strong>la</strong>ges ruraux très traditionnels. Cette attitude peut<br />

ressembler à une négation d’une nouvelle réalité qui dép<strong>la</strong>ît. On sent aussi le besoin qu’a <strong>la</strong> Suisse<br />

d’affirmer une identité forte aux pays étrangers.<br />

Outre des auteurs isolés, un groupe important se forme en 1905. Le Heimatschutz 46 – littéralement, <strong>la</strong><br />

ligue pour <strong>la</strong> beauté- rassemble un groupe d’individus ayant pour but commun <strong>la</strong> défense de <strong>la</strong> Suisse<br />

pittoresque. Le groupe publie une revue du même nom, qui, à travers nombres d’articles, dessins et<br />

photos, valorise allègrement le patrimoine vernacu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> Suisse, tout en déplorant cette nouvelle<br />

architecture naissante. L’un des principes de <strong>la</strong> revue consiste à comparer systématiquement des<br />

<strong>construction</strong>s faites dans les règles de l’art vernacu<strong>la</strong>ire – dites « bons exemples » à des bâtiments de<br />

fonction simi<strong>la</strong>ire mais « modernes »-dits « mauvais exemples », comme si les auteurs se donnait un<br />

devoir d’éducation artistique 47 . Le Heimatschutz s’élève contre <strong>la</strong> destruction à des fins hygiénistes de<br />

certains bâtiments jugés valeureux 48 . Ceci aiguise l’animosité et le scepticisme envers ce qui vient en<br />

remp<strong>la</strong>cement, en l’occurrence : les <strong>construction</strong>s en béton.<br />

Sans ménagements, un jugement de valeur est émis sur les <strong>construction</strong>s modernes, le plus souvent<br />

qualifiées de « banales ». Là encore, on ne mentionne pas directement le béton <strong>armé</strong>, mais c’est bien à<br />

lui que l’on fait référence. Il faut pour autant préciser que les membres Heimatschutz ne sont pas<br />

toujours très cohérents ni totalement univoques. Pas systématiquement réfractaires à l’architecture<br />

moderne, ils peuvent envisager des transformations de l’architecture pourvu que celles-ci conservent<br />

un caractère pittoresque, unique, et qu’elles puissent promouvoir une identité helvétique.<br />

C’est <strong>la</strong> critique de l’uniformité qui apparaît le plus tangiblement dans les commentaires. Le béton est<br />

une figure de cette uniformité, un matériau venu de partout et se répandant partout… Parce qu’il a un<br />

caractère universel, il est antinomique avec l’idée d’une architecture nationale qui puisse promouvoir<br />

l’identité Suisse.<br />

Le béton, en tant que matériau de <strong>construction</strong> n’est pas remis en question. Mais, parce qu’il donne<br />

une forme visible à un ensemble de changements jugés dangereux, il devient une cible efficace.<br />

Ceci peut expliquer en partie une représentation négative qui a pu marquer le béton <strong>armé</strong>.<br />

6. REPRESENTATION DU BETON ARME :<br />

L’INFLUENCE DES MOYENS DE DIFFUSION<br />

L’étude précédente à permis de soulever <strong>la</strong> diversité d’acteurs gravitant autour du béton <strong>armé</strong>, qui<br />

selon leurs intérêts, participent à en faire <strong>la</strong> publicité, ou tenter au contraire de compromettre sa<br />

diffusion.<br />

Ainsi, l’écrit et l’<strong>image</strong> véhiculent le béton <strong>armé</strong> à travers une grande variété de supports de diffusion<br />

que sont les périodiques (<strong>la</strong> Patrie suisse, <strong>la</strong> Gazette de Lausanne), <strong>la</strong> presse technique (Bulletin<br />

Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, die Schweizerische Bauzeitung…), les manuels ou « <strong>la</strong> leçon » dans<br />

les grande écoles, les brochures d’information publicitaires.<br />

44 JOST Hans Ulrich, Les avant-gardes réactionnaires. La naissance de <strong>la</strong> nouvelle droite en Suisse. 1890-1914, Lausanne,<br />

Editions d’En Bas, 1992.<br />

45 (voir Annexe 7) KHUNE E., « Au vil<strong>la</strong>ge Suisse », in La Patrie Suisse, 1895, pp. 250-252.<br />

46 (voir Annexe 8) « Le Heimatschutz et les Ingénieurs », in Heimatschutz n°7, 1910, p. 80.<br />

47 (voir Annexe 9), Figure 10 et 11, in Heimatschutz, n°7, 1912, p. 54. / Figure 8, in op. cit., p. 173.<br />

48 « A <strong>la</strong> Rue du Pré à Lausanne », in Heimatschutz, n°4, 1909, p. 31.<br />

18


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

6.1 Les revues techniques et les journaux<br />

En exposant en continu l’état des avancées et des recherches sur le sujet, <strong>la</strong> presse technique participe<br />

de manière singulière à <strong>la</strong> diffusion et à <strong>la</strong> <strong>construction</strong> de l’<strong>image</strong> du béton. Prenons pour exemple le<br />

Bulletin Technique de Suisse Romande (BTSR) 49 , revue subordonnée à <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et<br />

Architectes Suisses (SIA), où chaque ouvrage réalisé ou contenant du béton est ainsi présenté sous<br />

différentes formes : texte descriptif, photographies ou dessins.<br />

Nous pouvons alors distinguer dans un premier temps les articles qui se font l’écho des différents<br />

systèmes récemment brevetés. Se faisant l’intermédiaire des entrepreneurs, les articles rédigés par des<br />

ingénieurs ou des professionnels ne peuvent qu’appuyer le bien fondé des résultats acquis par les<br />

recherches. De manière générale, nous pouvons relever le fait que ces articles, par leur forme et leur<br />

contenu montrent une stratégie nouvelle de <strong>la</strong> part des entrepreneurs qui n’hésitent plus à publier des<br />

données précises, dévoi<strong>la</strong>nt ainsi leur recette aux concurrents. Ainsi on peut par exemple voir<br />

Alphonse Vautier rédiger un article 50 sur le système Lossier, en décrivant les différentes étapes qui ont<br />

précédé son brevetage, p<strong>la</strong>ns, coupes et photographies à l’appui…<br />

Le second intérêt que nous pouvons porter au Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande réside dans sa<br />

rubrique « <strong>Béton</strong> Armé, faits nouveaux » spécialement créée pour re<strong>la</strong>ter les résultats acquis par<br />

l’expérience dans le domaine du béton <strong>armé</strong>.<br />

En effet, <strong>la</strong> lecture de <strong>la</strong> rubrique « faits nouveaux » parue dans le second numéro de l’année 1903 du<br />

BTSR, ne <strong>la</strong>isse indifférent. Nous y apprenons que <strong>la</strong> Rédaction de <strong>la</strong> revue décida d’en modifier le<br />

contenu en ne présentant pas des résultats issus d’expériences mais un ouvrage d’art réalisé l’année<br />

précédente à Zuoz 51 :<br />

« […] les constructeurs de béton <strong>armé</strong>, tout en n’étant pas avare de leur prose, ne disent<br />

que ce qu’ils ne veulent pas taire et sont, par le fait, un peu sujet à caution ; c’est ainsi<br />

que le lecteur, même bénévole, se hâte maintenant de tourner <strong>la</strong> page lorsque ce titre<br />

obsédant de béton <strong>armé</strong> revient sous ses yeux. »<br />

Ainsi créée à son origine pour traiter de manière objective le béton <strong>armé</strong>, <strong>la</strong> rubrique « faits<br />

nouveaux » est devenue le reflet d’une spécu<strong>la</strong>tion grandissante autour du béton <strong>armé</strong>, dépassant sa<br />

vocation.<br />

Cette ému<strong>la</strong>tion autour du béton se reflétait également dans les débats techniques qui furent l’objet<br />

d’altercations entre protagonistes par articles interposés. La Schweizeriche Bauzeitung (SBZG) ou<br />

encore le BTSR en sont ainsi le théâtre. Nous donnons pour exemple l’article 52 rédigé par l’ingénieur<br />

Elskes en réaction à celui écrit par A. Vautier et cité précédemment :<br />

« Il ne faut pas surtout […] <strong>la</strong>isser sans protester dans un journal technique de<br />

Lausanne, l’un des berceaux du béton <strong>armé</strong> […] que tout ce que l’on a fait jusqu’ici en<br />

béton <strong>armé</strong> est mauvais et qu’on ignore dans notre pays comment tout ce<strong>la</strong> peut tenir.<br />

Et quant au jeune chercheur […] nous croyons de notre devoir de lui rappeler que le<br />

béton <strong>armé</strong> révolta à l’origine tous les théoriciens qui s’en régalent aujourd’hui. »<br />

Tribunes de nombreux débats où chacun des acteurs de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> pouvaient s’exprimer, les<br />

revues techniques sont le reflet des visions d’entrepreneurs (présentation des systèmes Hennebique,<br />

Lossier…) mais aussi des convictions de différents milieux (académiques, ingénieurs, architectes…).<br />

49 Crée en 1877 sous le nom de Bulletin technique de <strong>la</strong> société vaudoise des ingénieurs et des architectes, elle parait<br />

aujourd’hui sous le nom de Tracés.<br />

50 (voir Annexe 4) VAUTIER Alph., « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in BTSR, Vol. 29, 1903, pp.<br />

189-192.<br />

51 E., « <strong>Béton</strong> Armé, encore quelques faits nouveaux, I. Le pont sur l’Inn à Zuoz », in BTSR, n°2, 1903, pp. 33-35.<br />

52 Elskes, « Divers, à propos du béton <strong>armé</strong> », in BTSR, n°18, 1903, pp. 253-254.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Par ailleurs, au-delà de <strong>la</strong> presse technique telle que BTSR ou SBZ qui traite de l’ensemble des<br />

techniques de l’époque, nous pouvons noter l’existence de <strong>la</strong> revue Le <strong>Béton</strong> Armé éditée dès 1898<br />

par <strong>la</strong> société Hennebique. Le <strong>Béton</strong> Armé 53 est alors utilisé comme outil de propagande ayant pour<br />

but <strong>la</strong> diffusion du système Hennebique et tentant de contrer <strong>la</strong> revue Le Ciment 54 qui accorde à ses<br />

concurrents une couverture médiatique importante…Tous les moyens étant bons, <strong>la</strong> stratégie de<br />

valorisation du système breveté se fera par l’exploitation opportuniste de sources diverses<br />

(photographies professionnelles ou amateurs, articles de journaux divers…), créant pour ce<strong>la</strong> au sein<br />

même de son organigramme un service de <strong>la</strong> publicité.<br />

Cependant, l’ensemble de ces revues s’inscrit dans le cercle professionnel où chacun souhaite<br />

défendre ses idées, nous pouvons alors nous demander de quelle manière est abordé le béton <strong>armé</strong> au<br />

travers des journaux grand public <br />

Contrairement à <strong>la</strong> presse technique, le béton <strong>armé</strong> ne fait pas directement l’objet d’articles dans ces<br />

journaux. Ceux-ci re<strong>la</strong>tent davantage des faits de sociétés aux travers desquels le matériau peut être<br />

abordé : articles concernant les expositions nationales, les concours, les <strong>construction</strong>s récentes ou<br />

encore les accidents 55 . Il appartient alors à chacune des Rédactions de traiter l’information de <strong>la</strong><br />

manière souhaitée, et globalement nous pouvons observer deux tendances différentes : l’une<br />

progressiste et l’autre conservatrice.<br />

Chaque Rédaction fabrique ainsi une opinion orientée, le béton <strong>armé</strong> y est tantôt associé à <strong>la</strong><br />

croissance industrielle, tantôt à <strong>la</strong> dénaturation du paysage suisse 56 . Nous pouvons alors supposer que<br />

le traitement de l’information autour d’un accident impliquant le béton <strong>armé</strong>, en tant qu’évènement<br />

susceptible de remettre en cause sa diffusion, sera soumis à de telles influences. Nous verrons<br />

ultérieurement l’exemple de La Gazette de Lausanne qui est un journal à <strong>la</strong> position ambiguë : tribune<br />

d’expression des partis libéraux et proche de Samuel de Mollins, elle est également liée à des<br />

mouvements conservateurs 57 .<br />

6.2 Les concours et les expositions<br />

Les concours et les expositions apparaissent comme le lieu de rencontre des innovations avec le grand<br />

public. La portée du béton <strong>armé</strong> peut ainsi se déployer au delà du milieu professionnel et de <strong>la</strong> presse<br />

technique.<br />

Les concours consistent à mettre en concurrence différentes équipes d’ingénieurs et architectes pour <strong>la</strong><br />

réalisation d’un projet d’importance. Un jury examine les propositions des candidats : <strong>la</strong> décision de<br />

primer un projet <strong>la</strong>uréat parmi de multiples autres propositions ne constitue pas en ce sens un acte<br />

anodin, puisqu’il engage sur un long terme. Dans un premier temps, <strong>la</strong> nomination des projets fait<br />

l’objet d’une publication dans les différentes revues techniques, validant le procédé technique. Puis,<br />

dans un deuxième temps, <strong>la</strong> réalisation du projet fera l’objet d’articles de presse officialisant son<br />

existence et enfin, le projet en lui-même devra convaincre par son utilisation…<br />

Le concours pour l’Hôtel des Postes de Lausanne en est un bel exemple, honoré par un article dans La<br />

Patrie Suisse 58 .<br />

Un tournant important s’opère alors en 1898, lorsque Samuel de Mollins obtient le droit de faire<br />

concourir des ponts en béton <strong>armé</strong> auprès des ouvrages métalliques 59 . C’est dans ce contexte que <strong>la</strong><br />

ville de Lausanne <strong>la</strong>nce une série de mises à concours de projets de ponts au-dessus de <strong>la</strong> vallée du<br />

Flon.<br />

53 cf. partie 5.1 les constructeurs et fournisseurs p.11.<br />

54 Journal bimensuel, crée en 1896, organe officiel de <strong>la</strong> chambre syndicale des Fabricants de Ciment Port<strong>la</strong>nd en France.<br />

55 (voir Annexe 12)<br />

56 cf. partie 5.5 le milieu intellectuel p.16.<br />

57 cf. partie 7 un matériau mis à l’épreuve : l’impact des accidents sur l’opinion publique p.21.<br />

58 BONARD A., « l’Hôtel des Postes de Lausanne », in La Patrie Suisse, n°199, 1901, pp. 111-113.<br />

59 (voir Annexe 10) « Le béton <strong>armé</strong> dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des grands viaducs », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°4, 1898, p.1.<br />

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SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Le projet <strong>la</strong>uréat pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon 60 n’est autre qu’un pont réalisé en<br />

béton <strong>armé</strong>. Celui-ci bénéficie alors d’une formidable tribune publicitaire : publié dans le Bulletin<br />

Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande à travers un article exhaustif de plusieurs pages, le projet fut aussi<br />

abondamment traité par <strong>la</strong> presse non spécialisée et adressée à un plus <strong>la</strong>rge public, comme La Gazette<br />

de Lausanne ou La Patrie Suisse. L’intégration du béton <strong>armé</strong> dans des ouvrages emblématiques de <strong>la</strong><br />

ville lui donne ainsi un important crédit aux yeux du plus grand nombre.<br />

Il en est de même pour les expositions, un espace de démonstration où se joue <strong>la</strong> promotion du béton<br />

<strong>armé</strong> à travers des challenges audacieux. Les expositions nationales 61 , dont <strong>la</strong> portée atteint des<br />

visiteurs étrangers, constituent en effet un enjeu majeur pour l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong>. Ainsi l’entreprise<br />

Hennebique, dont le projet pour le concours du Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière à Genève a perdu face à un<br />

projet en béton non <strong>armé</strong>, prend sa revanche à l’exposition nationale de Genève en 1896. Il y réalise<br />

entre autres un escalier monumental de 11m de portée, qui lui vaudra une médaille d’or.<br />

De moindre portée, les expositions cantonales ont d’avantage pour rôle d’organiser <strong>la</strong> rencontre des<br />

différents milieux professionnels. L’exposition cantonale vaudoise de Vevey en 1901 expose ainsi les<br />

innovations de l’industrie du bâtiment, et notamment des usines de chaux et ciments. Des médailles<br />

sont décernées aux plus prometteuses en matière d’innovations et de productivité. Ces médailles sont<br />

ensuite mentionnées dans les publicités figurant dans <strong>la</strong> presse technique 62 .Ces expositions constituent<br />

donc un enjeu majeur pour ces fournisseurs qui espèrent gagner l’intérêt et <strong>la</strong> confiance des<br />

entrepreneurs.<br />

6.3 La photographie et <strong>la</strong> publicité<br />

La fin des années 1890 est marquée par un usage particulier de <strong>la</strong> photographie dans le domaine de <strong>la</strong><br />

<strong>construction</strong>. Elle est d’abord utilisée comme auxiliaire d’expérience par les entrepreneurs devenant le<br />

complément indispensable à <strong>la</strong> rédaction du procès-verbal d’essais de cas de charge précédant un<br />

brevet. L’<strong>image</strong> apporterait ainsi de manière plus explicite qu’un texte lourd en syntaxe, <strong>la</strong> preuve au<br />

brevet.<br />

La photographie comme témoin fiable du système mis en p<strong>la</strong>ce sera également utilisée par des<br />

journalistes, à l’<strong>image</strong> d’un article parut dans <strong>la</strong> Patrie Suisse, qui accompagne le cliché du pont de <strong>la</strong><br />

Coulouvrenière par <strong>la</strong> phrase suivante 63 :<br />

« [...] Les évènements ont confirmé les prévisions des ingénieurs, et <strong>la</strong> preuve <strong>la</strong> plus<br />

palpable en est donnée par notre cliché d’aujourd’hui. »<br />

Cependant, certains entrepreneurs notamment S. de Mollins, utilisent <strong>la</strong> photographie pour son<br />

pouvoir visuel, dépassant le simple caractère informatif.<br />

En effet, comme le montre Cyrille Simonnet 64 , <strong>la</strong> photographie permettra de diffuser une « pédagogie<br />

spectacle » afin de promouvoir le matériau 65 . Nombreuses photographies d’essais de résistance sont<br />

données dans les revues affichant <strong>la</strong> fierté des dépositaires de tel ou tel brevet, au-dessus de <strong>la</strong> dalle<br />

résistante à <strong>la</strong> mise à l’épreuve 66 . La photographie devient <strong>la</strong> preuve irréfutable d’un propos ou d’une<br />

action alors mise à <strong>la</strong> disposition du plus grand nombre avec des atouts d’immédiateté et de réalisme<br />

que ne connaissaient pas encore les <strong>construction</strong>s en pierre ou en bois.<br />

60 (voir Annexe 11) VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon », in BTSR, n°2, 1902, pp.<br />

12-14.<br />

61 Dans <strong>la</strong> période qui nous intéresse, trois expositions nationales ont eu lieu : Exposition nationale de Zurich en 1883,<br />

Genève en 1896, et Berne en 1914.<br />

62 (voir Image 4) Publicité de cimentier, in BTSR, Vol.29, 1903.<br />

63 « Sur le pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière », in La Patrie Suisse, n° 68, 1896, p. 108.<br />

64 SIMMONNET C., in op. cit.<br />

65<br />

(voir Image 6) « Gênes (Italie), <strong>construction</strong> du p<strong>la</strong>ncher de <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Figari, L. Rovelli architecte, <strong>Béton</strong>s <strong>armé</strong>s<br />

Hennebique, 1903-1904 », in SIMONNET Cyrille, Le béton : histoire d’un matériau : économie, technique, architecture,<br />

Marseille, Ed. Parenthèse, 2005, p. 78<br />

66 (voir Image 7) Essais de résistance, Genève, août 1894, S. de Mollins ingénieur, procès-verbal d’une série d’expériences<br />

faites sur une poutre en « sidéro-béton », in DELHUMEAU G., in op. cit.<br />

21


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Leur procédé de représentation se faisait par d’autres moyens plus archaïques tels que le dessin, <strong>la</strong><br />

peinture ou du moins <strong>la</strong> main interprétative d’un acteur nécessairement non objectif.<br />

Malgré tout, ces photographies ne servent qu’à diffuser le béton <strong>armé</strong> comme procédé technique et le<br />

matériau reste sans référence constructive, contrairement à l’acier que nous pouvons notamment<br />

associer à <strong>la</strong> Tour Eiffel…Une évolution est alors à considérer lorsque l’usage de <strong>la</strong> photographie<br />

dépasse le rôle démonstratif, et permet aussi de contrecarrer le « déficit d’iconicité » du matériau,<br />

déficit qui s’explique par le caractère abstrait des disciplines qui ont permis son é<strong>la</strong>boration : <strong>la</strong><br />

chimie, le calcul scientifique. En substituant une nouvelle perception de l’objet construit à celle du<br />

matériau lui-même, <strong>la</strong> photographie véhicule et participe à l’é<strong>la</strong>boration d’un imaginaire esthétique du<br />

matériau. Celle du chantier du théâtre de Berne 67 en est un exemple : l’<strong>image</strong> du matériau béton se<br />

substitue à celle de l’ouvrage…<br />

Ainsi, <strong>la</strong> photographie contribua fortement à <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong>, en é<strong>la</strong>borant autour du<br />

matériau et des <strong>construction</strong>s un champ nouveau et diversifié de représentations, d’<strong>image</strong>s.<br />

Les médias de communication et de diffusion suscitent également l’intérêt des entrepreneurs qui<br />

voient derrière chaque exemp<strong>la</strong>ire de presse technique tiré et acheté un client potentiel de leur système<br />

breveté ou de services d’autre nature. C’est le cas des groupes de Cimentiers ou du Bureau Central des<br />

brevets Hennebique en Suisse (Lausanne), qui profitent de cette tribune pour s’afficher. Conscients du<br />

marché que <strong>la</strong> revue peut couvrir, les auteurs de ces publicités emploient des termes précis tout en<br />

sachant retenir l’attention du public le plus <strong>la</strong>rge. Ils é<strong>la</strong>borent ainsi une stratégie commerciale qui<br />

s’articule le plus souvent autour d’un slogan 68 :<br />

« Construction de grande résistance, économique et à l’épreuve de l’action du feu et de<br />

l’eau. »<br />

7. UN MATERIAU MIS A L’EPREUVE :<br />

L’IMPACT DES ACCIDENTS SUR L’OPINION PUBLIQUE<br />

Afin d’analyser l’impact des accidents sur l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong>, nous nous appuierons sur deux<br />

exemples significatifs et marquants de <strong>la</strong> période qui nous intéresse : l’effondrement d’une maison à<br />

Bâle, le 28 août 1901, une <strong>construction</strong> employant le système Hennebique, et celui d’un bâtiment<br />

annexe au théâtre à Berne, le 23 Août 1905, employant le système Lossier.<br />

Dans quel type de presse ces évènements sont-ils re<strong>la</strong>tés, et comment sont-ils traités Quelles<br />

répercussions ont-ils sur le développement du matériau <br />

L’accident de Bâle est re<strong>la</strong>té par La Gazette de Lausanne, un journal quotidien, dans une suite<br />

d’articles s’éta<strong>la</strong>nt du 28 août jusqu’au 11 octobre 1901 69 . Celui de Berne fait l’objet de plusieurs<br />

articles écrits entre le 24 et le 26 août 1905. Le fait que ces deux accidents produits dans des cantons<br />

différents apparaissent de manière répétée dans ce journal romand dont l’influence dépasse même <strong>la</strong><br />

Sarrine montre bien leur portée, et donc <strong>la</strong> force de l’impact que de tels articles sont susceptibles<br />

d’avoir sur le béton <strong>armé</strong>. Reste à savoir si le matériau est fortement mis en faute par <strong>la</strong> presse.<br />

67 (voir Image 7) Théâtre de Berne, 1899-1903, de Würstemberger architecte, Anselmier & Cie entrepreneur, in<br />

DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., in op. cit., p. 23.<br />

68 (voir Images 3 et 4)<br />

69 (voir Annexe 11) « Une maison qui tombe », 29 août 1901 ; « Une maison qui tombe », 30 août 1901 ; « Bâle-ville », 3<br />

septembre 1901, in La Gazette de Lausanne.<br />

22


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Le premier article concernant l’accident de Bâle décrit l’évènement sans mentionner le béton <strong>armé</strong>. Le<br />

deuxième article donne un peu plus de détails en indiquant l’emploi de p<strong>la</strong>nchers en ciment <strong>armé</strong><br />

système Hennebique, et en mentionnant l’identité de deux experts nommés pour déterminer les causes<br />

de l’effondrement de <strong>la</strong> maison : W. Ritter et J. Rosshändler. Enfin, quelques jours plus tard, un article<br />

fait état d’une vive polémique « touchant l’emploi du béton <strong>armé</strong>, système Hennebique ou autre ». Le<br />

débat s’est animé alors qu’il s’agissait de comprendre ce qui, des façades en pierre ou des p<strong>la</strong>nchers en<br />

béton <strong>armé</strong>, avait cédé, entraînant l’ensemble de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> à sa perte.<br />

Comme nous l’avons vu, le premier expert, W. Ritter, est professeur à L’Ecole Polytechnique Fédérale<br />

de Zurich, où il enseigne; il est un agent précieux de <strong>la</strong> diffusion du béton <strong>armé</strong> dans le milieu<br />

universitaire. Joseph Rosshändler est ingénieur dans le service d’une compagnie de <strong>construction</strong> en<br />

métal, à Bâle. Ces éléments permettent sans doute de mieux comprendre l’éc<strong>la</strong>tement d’une telle<br />

polémique. Le débat d’expert dissimule en fait un conflit d’intérêt. A l’occasion de cet accident,<br />

l’ingénieur Bâlois écrira une lettre, publiée dans les Basler Nachrichten, attaquant violemment le<br />

béton <strong>armé</strong>, comme le re<strong>la</strong>te l’article du 3 septembre 1901 de La Gazette de Lausanne. Les<br />

<strong>construction</strong>s en acier touchées par des accidents tout aussi désastreux donnent aux défenseurs du<br />

béton <strong>armé</strong> un moyen de répliquer. On peut donc douter que ces attaques discréditent plus<br />

particulièrement le béton <strong>armé</strong> que d’autres systèmes de <strong>construction</strong>. Elles ont probablement pour<br />

effet de rendre l’opinion publique sceptique et méfiante à l’égard des innovations techniques en<br />

général.<br />

La Gazette de Lausanne semble re<strong>la</strong>tivement impartiale dans le débat, se contentant de faire état des<br />

polémiques. Finalement, l’ensemble des articles joue plutôt en <strong>la</strong> faveur du béton <strong>armé</strong>: le dernier<br />

article paru à propos de l’accident de Bâle, datant du 11 octobre 1901, expose les résultats d’une<br />

enquête menée sur le système Hennebique, <strong>la</strong>ncée suite à l’accident, à travers diverses villes suisses et<br />

allemandes. Les résultats démontrent le caractère exceptionnel de l’accident de Bâle. Le béton <strong>armé</strong> en<br />

tant que procédé technique est innocenté. Il en ressort que c’est l’exécution des travaux par des<br />

ouvriers parfois peu qualifiés qui pose problème. Les deux ouvrages construits en béton <strong>armé</strong> sont en<br />

effet en cours de <strong>construction</strong> au moment des accidents. Cet élément est important pour comprendre<br />

que <strong>la</strong> pérennité, <strong>la</strong> solidité du béton <strong>armé</strong> n’est pas remise en cause par ces accidents, mais plutôt sa<br />

mise en œuvre, parce qu’elle appelle un nouveau savoir faire complexe, et qu’elle contient une part<br />

d’incertitude, liée par exemple au fait que le béton sèche plus ou moins vite selon les paramètres<br />

climatiques. Seule l’expérience permet de maîtriser peu à peu ces paramètres.<br />

La revue bimensuelle <strong>la</strong> Patrie Suisse ne parle pas de l’accident de Bâle, mais elle consacre un article<br />

à l’accident de Berne. L’article semble avoir été écrit pour écarter les soupçons et empêcher <strong>la</strong><br />

naissance d’un nouveau débat : « Les experts ne se sont pas encore prononcés sur les causes de <strong>la</strong><br />

catastrophe mais une enquête sommaire innocente le béton <strong>armé</strong> » 70 . Très souvent, on peut remarquer<br />

que les articles traitant d’accidents quels qu’ils soient commencent par re<strong>la</strong>tiviser, précisant que les<br />

incidents restent rares.<br />

Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande ne fait pas mention de ces accidents au moment où ils se<br />

produisent. On peut comprendre que le BTSR évite de prendre part aux polémiques, préférant faire<br />

état des progressions, afin de maintenir une perception positive des innovations techniques. Toutefois<br />

ces accidents sont éventuellement expliqués à posteriori. L’accident de Bâle fait ainsi l’objet d’un<br />

article datant du 20 Janvier 1902, exposant les résultats de l’expertise 71 . En fin de compte le système<br />

de <strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong> n’est pas remis en cause en lui-même par l’expertise, mais plutôt les<br />

négligences liées à l’exécution et le manque de vérifications. La revue de <strong>la</strong> société Hennebique, Le<br />

<strong>Béton</strong> Armé, ne manquera pas de souligner ce point dans un article dont le titre est d’ailleurs révé<strong>la</strong>teur<br />

de son insistance. 72<br />

70 «Un accident à Berne », in La Patrie suisse, 1905, p.216.<br />

71 (voir Annexe 13) « Constructions en béton <strong>armé</strong> », in BTSR, Vol. 28, 20 Janvier 1902, pp. 133-134<br />

72 (voir Annexe 14) « L’accident de Bâle et les accidents de chantier », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°49, Juin 1902, pp.5-8<br />

23


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Si les accidents touchant les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> remettent en cause sa sécurité et donnent aux<br />

dissidents une occasion pour attaquer le matériau, compromettant son <strong>image</strong>, ils sont susceptibles<br />

d’avoir dans un second temps des répercussions bénéfiques. En l’occurrence, l’accident de Bâle a<br />

incité les cantons à prendre communément des mesures visant à assurer <strong>la</strong> sécurité des <strong>construction</strong>s<br />

en béton <strong>armé</strong>, mettant en évidence <strong>la</strong> nécessité pressante que <strong>la</strong> Confédération en établisse une<br />

codification. Comme nous l’avons vu en amont, les accidents accélèrent en effet le processus de<br />

réglementation, indispensable à une légitimité acquise. 73<br />

Une autre question est de savoir si les accidents sont l’apanage du béton <strong>armé</strong>. En réalité non, comme<br />

en témoignent les journaux de l’époque, re<strong>la</strong>tant fréquemment des accidents re<strong>la</strong>tifs aux voies de<br />

chemin de fer, à d’autres écroulements d’ouvrages, tels que des ponts en pierre, ainsi que, plus<br />

régulièrement, des incendies. Ceci permet de se resituer dans une époque où, de manière générale, <strong>la</strong><br />

sécurité des <strong>construction</strong>s (et des chantiers) était bien moins assurée qu’aujourd’hui ; dans cette<br />

condition, il semble que le béton n’apparaît pas plus dangereux que d’autres matériaux de<br />

<strong>construction</strong>. En outre s’il présente quelques difficultés au moment du chantier, il est difficile de<br />

trouver des exemples d’effondrement d’ouvrages achevés, ce qui va plutôt dans son sens. Par ailleurs,<br />

le grand nombre d’incendies re<strong>la</strong>tés dans <strong>la</strong> presse est utile pour comprendre <strong>la</strong> valeur de l’argument<br />

majeur du béton <strong>armé</strong> : il résiste aux incendies.<br />

8. UN MATERIAU EN QUETE D’IDENTITE : LA PROBLEMATIQUE DE L’EXPRESSION<br />

On voit bien que le béton <strong>armé</strong> a été en premier lieu une affaire d’ingénieurs, soucieux de faire valoir<br />

le potentiel d’une innovation technique afin de lui donner une p<strong>la</strong>ce au sein des pratiques<br />

constructives. Le béton et ses qualités sont alors envisagés sur un p<strong>la</strong>n essentiellement technique. Pour<br />

Jacques Gubler, « il existe effectivement un déca<strong>la</strong>ge entre l’apparition de nouveaux matériaux et <strong>la</strong><br />

réflexion théorique sur leur signification architecturale » 74 . Il identifie le fait que les nouveaux<br />

matériaux, tels le béton <strong>armé</strong>, mais aussi le Linoléum et l’Eternit, « entrent dans les moeurs du<br />

bâtiment bien avant que les architectes ne se posent <strong>la</strong> question de leur utilisation spécifique »,<br />

ajoutant que « le problème de <strong>la</strong> signification expressive du béton <strong>armé</strong> ne se débattra que dans les<br />

années 1920. ».<br />

On peut penser que ce déca<strong>la</strong>ge ait eu des conséquences sur <strong>la</strong> représentation du matériau. Le fait que<br />

le matériau se soit développé pendant plusieurs années sans faire l’objet d’une réflexion sur son<br />

expression peut expliquer qu’il donne le sentiment d’être banal, sans intérêt, sans noblesse. Cyrille<br />

Simonnet parle d’un « manque d’iconicité » 75 pour désigner cet état de chose. Le béton a ceci de<br />

particulier qu’il est un matériau p<strong>la</strong>stique, liquide. Pouvant tout former, il ne correspond pas à une<br />

expression toute trouvée, inhérente à ses propriétés, comme on pourrait le dire de l’acier qui se<br />

formalise en un assemb<strong>la</strong>ge de profilés donnant à toute <strong>construction</strong> de ce type un caractère é<strong>la</strong>ncé et<br />

élégant. De plus, les <strong>la</strong>rges possibilités du béton <strong>armé</strong> ne le prédestinent à aucune destination en<br />

particulier. Il semble ainsi que ses plus grandes qualités le desservent dans sa quête d’identité.<br />

Si le béton prendra toute sa légitimité architecturale dans le mouvement moderne, dont il se fera<br />

l’icône, les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong> datant de <strong>la</strong> période qui nous intéresse mettent déjà en exergue<br />

certaines questions re<strong>la</strong>tives à son expression.<br />

Le béton peut-il être montré Ses qualités doivent-elle se plier à un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique de<br />

l’architecture, ou sont-elle l’occasion d’inventer une autre expression <br />

73 SIA, « Compte-rendu du comité central sur les évènements et activités majeures de l’année 1902 », in BTSR, n°15, 1903, p.<br />

234.<br />

74 GUBLER Jacques, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de <strong>la</strong> Suisse, Lausanne, L’Age<br />

d’Homme, 1975, p.57<br />

75 SIMONNET Cyrille, in op. cit..<br />

24


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

A l’origine le béton n’est pas montré, ne servant qu’à certaines parties de <strong>construction</strong> non apparentes<br />

ou recouvertes. Des ouvrages comme <strong>la</strong> Banque Cantonale Vaudoise et l’Hôtel des Postes, deux<br />

bâtiments représentatifs, font emploi du béton <strong>armé</strong> dans leur <strong>construction</strong>, mais sous une forme<br />

dissimulée. En apparence, rien ne change dans l’expression c<strong>la</strong>ssique des bâtiments. Il en est de même<br />

pour les ouvrages d’art en ville. En 1895, le pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière à Genève, alors en<br />

<strong>construction</strong>, fait l’objet d’un article dans <strong>la</strong> revue La Patrie suisse 76 .<br />

Dans sa description de l’ouvrage, l’auteur de l’article souligne que le pont aura bel et bien l’apparence<br />

de <strong>la</strong> pierre. On peut imaginer que l’ouvrage en chantier puisse avoir <strong>la</strong>issé croire à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion,<br />

puisqu’il n’était manifestement pas construit en pierre, qu’il n’aurait pas l’apparence de <strong>la</strong> pierre. Le<br />

pont de Montbenon à Lausanne 77 , construit en 1905, prend déjà une position un peu différente : le<br />

béton n’est plus caché : il se combine harmonieusement à <strong>la</strong> pierre. Le béton est ici exprimé dans le<br />

respect d’un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique. Dans de tels ouvrages, le béton se réduit à une fonction structurelle, et,<br />

même s’il est montré, il ne compromet pas les traditions architecturales c<strong>la</strong>ssiques. Il est alors<br />

surprenant de trouver, dans les mêmes années, certains ponts de Robert Mail<strong>la</strong>rt. Le pont de<br />

Tavanasa 78 , construit en 1905, fait apparaître le béton sous un tout autre jour.<br />

Dans cet ouvrage, art et technique forme un tout. Le béton y exprime ses qualités structurelles et<br />

p<strong>la</strong>stiques, notamment parce qu’il est compris comme un matériau tridimensionnel et monolithique. Il<br />

faut alors préciser que ce pont n’est pas un pont urbain, mais qu’il se trouve dans <strong>la</strong> nature, et peut<br />

sans doute mieux, à ce titre, s’abstraire d’un <strong>la</strong>ngage décoratif et des conventions stylistiques de<br />

l’architecture des monuments.<br />

A ce sujet, il est aussi intéressant de noter qu’alors que se poursuivait <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’ouvrages d’art<br />

liés au développement du réseau ferroviaire suisse, les ponts en béton furent finalement mieux<br />

acceptés que les ouvrages en acier, car d’une certaine façon, le béton, d’origine minérale, paraissait<br />

mieux se confondre dans le paysage.<br />

Enfin, il apparaît que c’est l’architecture moderne, en s’appropriant le matériau, qui donnera au béton<br />

<strong>armé</strong> toute sa légitimité architecturale, notamment en l’appliquant à <strong>la</strong> problématique du logement<br />

collectif. Ses qualités coïncident en effet avec une conception sociale et égalitaire, rationnelle, de<br />

l’architecture moderne. Cette idéologie doit s’exprimer à travers une expression de pureté et de<br />

neutralité qui donne au béton <strong>armé</strong> une expression nouvelle.<br />

76 KHUNE E., « Pont de <strong>la</strong> Coulouvrenière »,in La Patrie Suisse, 1895, pp. 256-257.<br />

77 (voir Annexe 11) VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon », in BTSR, n°2, 1902,<br />

pp.12-14.<br />

78 (voir Image 9) Pont de Tavanasa, MAILLART R., architecte-ingénieur, Tavanasa (GR), 1905.<br />

25


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

9. CONCLUSION<br />

Au tournant du siècle, alors que <strong>la</strong> Suisse cultive ses valeurs traditionnelles et <strong>la</strong> beauté de ses<br />

paysages, l’é<strong>la</strong>n de progrès technique cherche ses marques. C’est alors qu’un curieux mé<strong>la</strong>nge sans<br />

forme ni destination commence à élever l’attention de certains. Uniquement bon à constituer les<br />

massifs de fondation sous terre, voilà que ce nouveau matériau, nécessairement emprunt d’une<br />

certaine disgrâce, voit progressivement le jour, prenant pour première figure les seuls objets<br />

techniques (poutres, dalles) que l’on sait se représenter…Cette « sortie délicate de terre » -ses<br />

constituants en sont d’ailleurs issus- engendre très vite face au matériau une double attitude qui nourrit<br />

les débats en même temps qu’elle construit les futures représentations.<br />

On l’a vu, une première attitude est celle des empiristes qui, très vite, s’approprient le matériau pour<br />

lui donner consistance sur le terrain, le faire parler de ses qualités curieuses et novatrices de résistance<br />

et de compacité qu’il reste encore à dompter. C’est l’<strong>image</strong> d’une forte <strong>la</strong>bellisation qui affiche <strong>la</strong><br />

croyance en un système d’avenir. La fierté des constructeurs s’en fait aussitôt ressentir, ils cherchent à<br />

mobiliser les foules d’experts.<br />

En face d’eux, les théoriciens se veulent trouver les modèles mathématiques qui, à l’<strong>image</strong> de ceux de<br />

l’acier, permettraient de codifier et légitimer les intuitions bien remarquées des empiristes. Mais<br />

rapidement, tous se retrouvèrent devant le constat déroutant d’un matériau hétérogène difficilement<br />

cernable scientifiquement. Et pourtant, ce<strong>la</strong> marchait, les dalles chargées à outrance résistaient… alors<br />

refus ou espoirs <br />

Des points forts ont en grande partie jouer en faveur de l’espoir. D’une part les matières premières<br />

minérales nécessaires à sa fabrication gorgeaient le sol de <strong>la</strong> Suisse davantage que celles de l’acier,<br />

assurant donc un appui de base. D’autre part, quelques brevets et noms s’étaient déjà démarqués<br />

auparavant en France et en Angleterre se construisant par l’expérience une notoriété attirante. Les<br />

<strong>construction</strong>s adoptèrent le béton <strong>armé</strong>, d’abord par interventions ponctuelles mais en restant toujours<br />

cachées du public.<br />

Au fond les incertitudes des théoriciens n'arrivèrent pas à déstabiliser <strong>la</strong> progression du matériau.<br />

Aussi, <strong>la</strong> recherche continuelle de solutions en réaction aux nouvelles préoccupations des théoriciens<br />

dévoile une ascension continue du béton <strong>armé</strong> ; <strong>la</strong> légitimité de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> prenant le pas sur <strong>la</strong><br />

science. Légitimité fragile pour peu qu’un accident survienne, c’est toute une pratique qui se voit<br />

remise en cause. Et pourtant, là encore <strong>la</strong> faute n’atteint pas le matériau lui-même et cette force de<br />

résistance s’explique au regard du réseau des acteurs.<br />

Un puissant groupe d’acteurs sous l’égide de François Hennebique joue pour beaucoup dans le<br />

développement du béton <strong>armé</strong>. On voit à travers <strong>la</strong> puissance hiérarchique qu’il met en p<strong>la</strong>ce combien<br />

le matériau commence à avoir des répercussions sur l’organisation du monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. En<br />

effet, de nouvelles professions apparaissent, les corps de métiers s’étagent… Les organes privés<br />

poussant en ce sens, <strong>la</strong> Confédération s’oblige à établir des réglementations, fondant ainsi l’avenir du<br />

béton sur des bases plus sûres. La diffusion du béton <strong>armé</strong> fait appel à des stratégies commerciales,<br />

utilisant efficacement <strong>la</strong> photographie, avec tout le caractère spectacu<strong>la</strong>ire et convaincant qu’elle<br />

permet. L’<strong>image</strong> s’enrichit d’une puissance démonstrative et fournit d’autres alternatives au manque<br />

théorique : un catalogue des possibles.<br />

Ainsi le béton <strong>armé</strong> triomphe-t-il, réussissant à passer outre les difficultés et les résistances auxquelles<br />

il se heurte. Ce triomphe est probablement tout autant redevable aux intuitions d’une poignée de<br />

personnalités indépendantes du monde de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>, qu’aux ingénieurs et entrepreneurs qui<br />

déployèrent des forces assez efficaces pour l’inscrire parmi les procédés courant de <strong>construction</strong>s.<br />

Fort de ses performances techniques, le béton <strong>armé</strong> ne gagne cependant pas toutes les sympathies.<br />

Lorsqu’il s’affiche, c’est pour remp<strong>la</strong>cer d’anciennes <strong>construction</strong>s et donc se heurter à un patrimoine<br />

culturel, social, un imaginaire collectif très conservateur. Dans ce contexte à double vitesse, certains<br />

acteurs isolés ou groupés expriment violemment <strong>la</strong> banalité, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ideur de ces <strong>construction</strong>s sans<br />

caractère. Mis à part ces mouvements, le béton n’est pas encore assez développé et émancipé à cette<br />

époque pour qu’il préoccupe vraiment le public.<br />

26


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Il existe probablement un déca<strong>la</strong>ge entre les premières manifestations du béton <strong>armé</strong> et le moment où<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se sent interpellée et concernée par son émancipation. Aussi, aux yeux du plus grand<br />

nombre, le béton <strong>armé</strong> semble être aujourd’hui plutôt associé à deux autres moments de l’Histoire où<br />

il joua un rôle significatif pour <strong>la</strong> société : celui de l’entre-deux-guerres où s’érigèrent des monuments<br />

symboles du pouvoir des régimes totalitaires, et celui de <strong>la</strong> re<strong>construction</strong> de l’après deuxième guerre<br />

mondiale où put se concrétiser l’idéologie de l’architecture moderne à travers <strong>la</strong> profusion les grands<br />

ensembles. Ces périodes <strong>la</strong>issant nécessairement aux popu<strong>la</strong>tions un souvenir amer, il semble que<br />

l’<strong>image</strong> du béton <strong>armé</strong> ne peut que en avoir été affectée.<br />

27


SHS – Histoire sociale et culturelle des technologies<br />

<strong>Béton</strong> <strong>armé</strong> : <strong>la</strong> <strong>construction</strong> d’une <strong>image</strong><br />

Badin Nico<strong>la</strong>s /AR<br />

Beaudoin Lorraine /AR<br />

Joud Christophe /AR<br />

DOSSIER DE SOURCES<br />

Lausanne, année académique 2007 / 2008


IMAGE 1<br />

Thèmes<br />

Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité<br />

Essais de résistance d’une poutre Hennebique, Lausanne 1893, S. de Mollins<br />

ingénieur, in : DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C.,<br />

Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise<br />

Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.37.<br />

Source Mayor & Co. Ou Nitsche, Lausanne, épreuve 12x16 cm, chambre 13 x 18.<br />

Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />

Commentaires<br />

Alors que les théoriciens expriment leur scepticisme vis-à-vis des différents<br />

procédés en béton <strong>armé</strong>, certains empiristes développent une stratégie nouvelle<br />

s’articu<strong>la</strong>nt autour de l’usage de <strong>la</strong> photographie.<br />

S. de Mollins, agent actif de <strong>la</strong> Société Hennebique ; multipliant les essais de<br />

poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> ; se sert de <strong>la</strong> photographie aux fins suivantes :<br />

-prouver de manière objective <strong>la</strong> résistance des procédés techniques<br />

-enrichir <strong>la</strong> rédaction des procès-verbaux.<br />

Puis, de manière générale, les photographies prises nous renvoient <strong>la</strong> fierté des<br />

protagonistes suite à l’essai concluant.


IMAGE 2<br />

Thème<br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

« Le système Hennebique dans le monde », in Le <strong>Béton</strong> Armé, n° 69, février<br />

1904, p<strong>la</strong>nche 1.<br />

Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />

du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />

rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />

réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />

sont faites.<br />

Ce p<strong>la</strong>nisphère situe l’imp<strong>la</strong>ntation d’agents ou concessionnaires du système<br />

Hennebique dans le monde. Il permet de prendre conscience de l’ampleur de<br />

cette exceptionnelle et rapide offensive menée par <strong>la</strong> firme dans <strong>la</strong> conquête du<br />

domaine de <strong>la</strong> <strong>construction</strong>. Son quasi monopole en Suisse n’est ainsi qu’une<br />

petite part de son expansion mondiale – douze ans seulement après le dépôt du<br />

brevet -.


IMAGE 3<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité Publicité de <strong>la</strong> société Hennebique, in BTSR, n°14, 1903.<br />

Source<br />

Contexte<br />

Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />

fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />

succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />

en 1875.<br />

Cette publicité de S. de Mollins, agent direct de Hennebique en Suisse, révèle<br />

l’importance des concessionnaires répartis dans tout le pays ainsi que les<br />

arguments de promotion de <strong>la</strong> société : l’économie des <strong>construction</strong>s, <strong>la</strong><br />

résistance au feu et à l’eau.


IMAGE 4<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité Publicités de cimentiers, in BTSR, n° 10, 1903.<br />

Source<br />

Contexte<br />

Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />

fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />

succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />

en 1875.<br />

Cette série de publicités issue d’un même cahier du BTSR montre combien, à<br />

cette période, ces acteurs tentent de convaincre et conquérir le marché vantant<br />

respectivement leurs décorations, prix et surtout le dynamisme de leur<br />

production.<br />

Les médailles, gages de qualité, sont obtenues lors des expositions nationales et<br />

cantonales ; Les fabriques y exposaient des échantillons ou construisaient des<br />

pavillons de démonstration en béton.<br />

A noter aussi que ces trois sociétés sont vaudoises : leur extension considérable<br />

à cette période s’explique notamment par l’importance des matières premières<br />

qu’offre le sol.


IMAGE 5<br />

Thème<br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

« Les trahisons du fer. Incendie de l’usine de Derendingen (Suisse) », in Le<br />

<strong>Béton</strong> Armé, n° 47, avril 1902, p<strong>la</strong>nche 3.<br />

Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />

du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />

rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />

réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />

sont faites.<br />

Cette page, extraite parmi les séries de p<strong>la</strong>nches photographiques qui illustrent<br />

chaque volume de <strong>la</strong> revue, exhibe comme beaucoup d’autres, des prises de<br />

vues d’accidents ou d’incendies qui surviennent dans les <strong>construction</strong>s en acier.<br />

Elles contribuent à discréditer l’opposant pour mieux révéler les atouts du béton<br />

<strong>armé</strong> qui éviterait tout simplement de telles catastrophes, notamment en ce qui<br />

concerne <strong>la</strong> tenue au feu.<br />

La photographie pour preuve remp<strong>la</strong>ce alors tous les discours et requiert sans<br />

commune mesure l’attention du lecteur; « Trahisons », « Insécurités » sont les<br />

titres expressifs régulièrement employés...


IMAGE 6<br />

Thème<br />

Fiche d’identité<br />

Contexte<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

« Gênes (Italie), <strong>construction</strong> du p<strong>la</strong>ncher de <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Figari, L. Rovelli<br />

architecte, <strong>Béton</strong>s <strong>armé</strong>s Hennebique, 1903-1904 », in SIMONNET Cyrille, Le<br />

béton : histoire d’un matériau : économie, technique, architecture, Marseille,<br />

Ed. Parenthèse, 2005, p.78.<br />

Cyrille Simonnet écrit en légende de cette photographie : « construisant l’<strong>image</strong><br />

autant que l’ouvrage, l’armature est l’instrument d’une mise en scène<br />

magistralement exploitée par le photographe. » En effet, le cliché est utilisé ici<br />

comme preuve : on immortalise, dans le coffrage, <strong>la</strong> disposition de l’acier<br />

bientôt noyé dans le béton, qui suit les lignes de forces de <strong>la</strong> future dalle<br />

attestant de <strong>la</strong> bonne tenue de celle-ci. Les calculs de l’ingénieur sont ainsi<br />

rendus visibles par l’<strong>image</strong>, étayant <strong>la</strong> confiance du client.


IMAGE 7<br />

Thème<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité<br />

Essais de résistance, Genève, août 1894, S. de Mollins ingénieur, procès-verbal<br />

d’une série d’expériences faites sur une poutre en « sidéro-béton », in :<br />

DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET C., Le <strong>Béton</strong> en<br />

représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise Hennebique 1890-<br />

1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.37.<br />

Source Anonyme, 4 épreuves cyanotypes 12 x 16 cm, chambre 13 x 18.<br />

Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />

Commentaires<br />

Les documents suivant accompagnent le procès-verbal de l’expérience réalisée<br />

le 10 août 1894 et reflètent assez bien l’idée d’une expérience démonstration :<br />

-en illustrant le p-v, les photographies enrichissent <strong>la</strong> rédaction par des prises de<br />

vues choisies (« disposition générale de l’expérience », détail : « aspect des<br />

fentes de l’âme »…), lui conférant un aspect didactique<br />

-les photographies véhiculent aussi une <strong>image</strong> forte qui marque les esprits audelà<br />

du simple cliché comme preuve de l’essai : le système résiste. Elles<br />

deviennent ici un outil indispensable à <strong>la</strong> promotion et à <strong>la</strong> propagande du<br />

système Hennebique<br />

-et pour ce<strong>la</strong>, les essais deviennent le lieu de véritable mise en scène, illustrée<br />

ici par <strong>la</strong> posture des personnes photographiées, ainsi que <strong>la</strong> masse de personnes<br />

présentes sur <strong>la</strong> photographie « vue inférieure de <strong>la</strong> poutre. »


IMAGE 8<br />

Thème<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité<br />

Théâtre de Berne, 1899-1903, de Würstemberger architecte, Anselmier & Cie<br />

entrepreneur, in DELHUMEAU G., GUBLER J., LEGAULT R., SIMONNET<br />

C., Le <strong>Béton</strong> en représentation, <strong>la</strong> mémoire photographique de l’entreprise<br />

Hennebique 1890-1930, Ed. Hazan, Paris, 1993, p.23.<br />

Source Emil Vollenveider, Berne, épreuve 38 x 29 cm, chambre 30 x 40.<br />

Epreuves provenant du fonds Hennebique.<br />

Commentaires<br />

La photographie suivante nous montre une étape du chantier du Théâtre de<br />

Berne. Cette photographie n’est pas anodine, car elle fige l’<strong>image</strong> d’un béton<br />

« nu », qui vient d’être décoffré et dont <strong>la</strong> portée esthétique est à souligner. En<br />

effet, dépassant <strong>la</strong> simple objectivité du cliché, <strong>la</strong> photographie va rendre<br />

service au béton <strong>armé</strong> en véhicu<strong>la</strong>nt des <strong>image</strong>s esthétisantes, comb<strong>la</strong>nt son<br />

manque d’iconicité.


IMAGE 9<br />

Thème<br />

Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression<br />

Fiche d’identité<br />

Photographie du Pont construit en 1905 par Robert Mail<strong>la</strong>rt à Tavanasa,<br />

Grisons. Dimensions inconnues. Auteur inconnu.<br />

Source Photographie issue du site internet :<br />

http://dgcwww.epfl.ch/guide_des_ponts/ingenieurs/mail<strong>la</strong>rt/tavanasa.htm<br />

Commentaires<br />

Dans cet ouvrage de Robert Mail<strong>la</strong>rt, ingénieur suisse notamment connu pour<br />

ses ponts, art et technique forment un tout. Le béton y exprime ses qualités<br />

structurelles et p<strong>la</strong>stiques, notamment parce qu’il est compris comme un<br />

matériau tridimensionnel et monolithique.<br />

Son expression semble décalée par rapport à l’époque, presque contemporaine.<br />

Le pont n’existe plus aujourd’hui.


ANNEXE 1<br />

Thème<br />

Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />

Fiche d’identité RAPPAPORT S., « Berechnungen der Monier-Träger (System Hennebique) »,<br />

in Schweizerische Bauzeitung, Vol.29/30, 1897, p.61.<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

Article rédigé par S. Rappaport, ingénieur à St Gall, (CH-SG) participant à <strong>la</strong><br />

rédaction de <strong>la</strong> revue hebdomadaire technique suisse allemande, die SBZ,<br />

fondée en 1883 (Organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes suisses).<br />

Dans cet article, l’ingénieur saint-gallois nous fait part de ses convictions et de<br />

ses inquiétudes vis-à-vis du béton <strong>armé</strong> et notamment du système Hennebique<br />

récemment breveté. Sa thèse s’appuyant sur ses craintes quant à l’hétérogénéité<br />

du béton <strong>armé</strong> pouvant causer de nombreux problèmes en chaînes : mauvaise<br />

adhérence de ses composants, attaque de l’eau altérant ses propriétés<br />

ignifuges…Une démonstration qui se veut complète et technique, illustrée de<br />

calculs et de schémas.<br />

L’intérêt de cet article réside dans son inscription dans le débat national qui<br />

oppose théoricien et empiriste. Il nous permet ainsi de rendre compte des<br />

résistances faites à <strong>la</strong> diffusion du nouveau matériau de <strong>construction</strong>. La nature<br />

hétérogène du matériau se retrouve alors dans <strong>la</strong> scission presque idéologique<br />

entre les différents protagonistes de l’époque. Il est alors intéressant de voir <strong>la</strong><br />

richesse des réactions que suscite un matériau de <strong>construction</strong> et dont <strong>la</strong> presse<br />

technique s’en fait l’écho.


6i SCHWEIZERISCHE BAUZEITUNG [Bd. XXIX Nr. 9.


ANNEXE 2<br />

Thème<br />

Entrée en scène du béton <strong>armé</strong><br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

FAVRE A., « le béton <strong>armé</strong> système Hennebique : Rectifications », in<br />

Schweizerische Bauzeitung, Vol.29/30, 1897, p.68.<br />

Article rédigé par A. Favre, ingénieur participant à l’é<strong>la</strong>boration de <strong>la</strong> revue<br />

hebdomadaire technique suisse allemande, die SBZ, fondée en 1883 (Organe de<br />

<strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes suisses).<br />

Dans cet article, A. Favre rebondit sur celui rédigé par S. Rappoport critiquant<br />

le procédé du béton <strong>armé</strong>. A. Favre reprend alors point par point les thèses<br />

énoncées dans l’article précédant puis les contredits afin de recentrer le débat<br />

sur ses propres convictions. Souhaitant ainsi « rassurer » le lecteur, A. Favre<br />

nous fait part du rôle irréfutable des essais de résistances sur le béton <strong>armé</strong> dans<br />

<strong>la</strong> garantie des procédés de <strong>construction</strong>, égratignant au passage <strong>la</strong> preuve par le<br />

calcul que met en avant S. Rappaport.<br />

Cet article vient en complément du précédent et s’inscrit dans le débat qui<br />

oppose théoricien et empiriste. Il est alors intéressant de comprendre les<br />

arguments développés par chacun d’eux et <strong>la</strong> manière dont ils défendent leur<br />

point de vue. Ainsi, <strong>la</strong> confrontation de cet article avec celui rédigé par M.<br />

Rappaport met en évidence <strong>la</strong> difficulté à faire accepter le béton <strong>armé</strong> en tant<br />

que procédé constructif. L’introduction d’un tel matériau à <strong>la</strong> nature hétérogène<br />

va alors semer le doute dans les connaissances scientifiques acquises à l’époque.


ANNEXE 3<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

de MOLLINS Samuel, « Le <strong>Béton</strong> Armé Système Hennebique », in<br />

Schweizerische Bauzeitung, Vol.33/34, 1899, p.109.<br />

Lettre de Samuel de Mollins ; Agent central des brevets Hennebique pour <strong>la</strong><br />

Suisse, ingénieur civil diplômé de l’école spéciale de Lausanne (1866) ; parue<br />

dans <strong>la</strong> Schweizerische Bauzeitung, revue hebdomadaire technique suisse<br />

allemande fondée en 1883 (organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes<br />

suisses).<br />

La Schweizerische Bauzeitung publie dans sa rubrique Korrespondenz une lettre<br />

écrite par Samuel de Mollins en réponse à l’étude effectuée par le Prof. Ritter<br />

(EPFZ) sur les systèmes Hennebique en vigueur en Suisse et publiée dans le<br />

même numéro.<br />

La lettre comprend 3 parties :<br />

1. remerciements de S. de Mollins à <strong>la</strong> contribution du Pf. Ritter pour le<br />

soutien au développement des procédés Hennebique<br />

2. compléments à l’étude du Pf. Ritter apportés par S. de Mollins<br />

3. description (orientée) de <strong>la</strong> stratégie et du mode de fonctionnement de<br />

<strong>la</strong> société Hennebique.<br />

La publication de cette lettre dans <strong>la</strong> revue polytechnique nous renseigne sur les<br />

liens d’intérêts existants entre scientifiques et entrepreneurs. L’un cherchant à<br />

développer des méthodes de calcul pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong>, et<br />

l’autre cherchant le crédit du milieu scientifique pour appuyer <strong>la</strong> diffusion du<br />

système constructif. En effet, il y a peu de temps que le système Hennebique<br />

existe (1892-1893) et <strong>la</strong> réception d’un tel appuis ne peut constituer qu’une<br />

chance pour <strong>la</strong> promotion du matériau…<br />

D’autre part, en dépit du caractère promotionnel de <strong>la</strong> lettre, sa lecture nous<br />

révèle les logiques de fonctionnement de <strong>la</strong> Société Hennebique ainsi que sa<br />

stratégie commerciale adoptée, qui font d’elle <strong>la</strong> firme dominante sur le marché<br />

suisse.


ANNEXE 4<br />

Thèmes<br />

Un réseau d’acteur en jeu : engouements et résistances<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

VAUTIER A., « poutres et dalles en béton <strong>armé</strong> du système Lossier », in<br />

BTSR, n°14, 1903, pp.189-192.<br />

Article rédigé par A. Vautier, ingénieur contribuant à <strong>la</strong> rédaction du Bulletin<br />

Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle fondée en 1899,<br />

(organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes). Cette revue succède au<br />

Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé en 1875.<br />

Cet article, est l’occasion pour l’ingénieur de présenter un nouveau système<br />

constructif en béton <strong>armé</strong>, mais il lui permet également de soulever ses propres<br />

incertitudes sur le matériau.<br />

Dans un premier temps, A. Vautier énonce ses doutes en plusieurs points<br />

techniques (inquiétude sur l’adhérence fer et ciment, et incidences sur <strong>la</strong> qualité<br />

constructive du matériau) qu’il ponctue systématiquement par l’expression :<br />

« on l’ignore. »<br />

Puis, dans un deuxième temps, <strong>la</strong> présentation du nouveau brevet se fait de<br />

manière précise par le biais de p<strong>la</strong>ns, coupes, élévations et photographies.<br />

L’intérêt de cet article réside dans les deux points énoncés précédemment.<br />

En effet, les inquiétudes prononcées par A. Vautier rencontreront le courroux de<br />

l’ingénieur Ed. Elskes, qui y consacrera un article.<br />

Puis, par sa forme et son contenu, l’article reflète une stratégie nouvelle de <strong>la</strong><br />

part des entrepreneurs qui n’hésitent plus à publier des données précises. Outre<br />

le dévoilement du « secret de fabrication », les photographies qui accompagnent<br />

l’article nous plongent dans l’intimité des expériences qui ont conduit au<br />

brevetage, apportant <strong>la</strong> preuve et <strong>la</strong> garantie constructive du nouveau système.<br />

Cette attitude nous renseigne alors sur le recours à <strong>la</strong> photographie comme outil<br />

auxiliaire de l’expérience et preuve de <strong>la</strong> résistance.


29me Annee. 25 juillet 1903. N» 14.<br />

Bulletin technique de <strong>la</strong> Suisse romande<br />

ORGANE EN LANGUE FRANQAISE DE LA SOCIETE SUISSE DES INGENIEURS ET DES ARCHITECTES. ParaiSSant ußUX fois par HlOiS.<br />

Redacteur en chef: M. P. HOFFET, professeur ä l'Ecole d'Ingenieurs de l'Universite de Lausanne.<br />

490 BULLETIN TECHNIQUE DE LA SUISSE ROMANDE<br />

posee sur ses appuis et chargee uniformement. Dans le<br />

quantite on augmente le coüt sans que <strong>la</strong> resis¬<br />

cas d'encastrement, une seconde barre munie de ses tiges<br />

tance augmente dans <strong>la</strong> mßme proporlion.<br />

serait p<strong>la</strong>cee au haut de <strong>la</strong> poutre dans <strong>la</strong> partie tendue.<br />

Un calcul tres simple permet de determiner pour les<br />

divers modes de charge le nombre et <strong>la</strong> position des tiges,<br />

il suffit pour ce<strong>la</strong> de connaitre <strong>la</strong> resistance qu'elles peu¬<br />

vent fournir en toute securite, ce que nous indiquerons<br />

plus loin.<br />

Pour les dalles de faible epaisseur, les tiges sont supprimees,<br />

mais au lieu d'employer des fers ronds sur toute<br />

leur longueur on les ap<strong>la</strong>tit de loin en loin.<br />

Avant de construire sa premiere poutre, M. Lossier a<br />

procede ä une etude approfondie des diverses parties et<br />

les a soumises ä des experiences faites, sous l'habile di¬<br />

rection de M. Schule, au <strong>la</strong>boratoire d'essais de Zürich.<br />

1° On a essaye de faire glisser les douilles sur <strong>la</strong> barre<br />

qu'elles embrassent, et l'on a constate que<br />

<strong>la</strong> traction qui<br />

cj On peut compter sur une resistance ä l'ecrasement<br />

de 150 ä 17.0 kg., mais il faut adopter, comme<br />

pour tous les materiaux, un coefficient notable-*<br />

ment moindre»-<br />

Apres avoir acquis ainsi une connaissance complete<br />

des diverses parties de son Systeme, M. Lossier a prepare<br />

deux poutres et deux dalles, de concert avec M. Charles<br />

Pache, entrepreneur.<br />

Deux de ces poutres et une dalle ont ete essayees le<br />

15 mai, en presence<br />

de MM. les professeurs Dommer et<br />

Bosset, des ingenieurs Robert et Paris et du soüssigne.<br />

Les dimensions de ces poutres sont indiquees dans le<br />

dessin ci-joint. Le beton est compose de 350 kg. de ci¬<br />

ment de Paudex par metre cube de sable et gravier.<br />

opere ce glissement depend de l'epaisseur de <strong>la</strong> douille et<br />

du diametre de <strong>la</strong> barre.<br />

M'^:*<br />

Voici un resume<br />

de ces essais.<br />

Diametre<br />

de <strong>la</strong> barre.<br />

Epaisseur<br />

moyenne de <strong>la</strong> Effort produisant le glissement.<br />

douille.<br />

20 mm. 5 mm. 1,05 ä 1,65 lonnes.<br />

20 » 8<br />

2,8S<br />

30 » 3 » 5,48 »<br />

30 » 8<br />

7,35 »<br />

36 » 8 » 6,65 »<br />

36 » 6 » 6,37 »<br />

wwww<br />

Wr«.<br />

2° On a eprouve<br />

les tiges en les etirant selon leur di¬<br />

rection. En exergant des efforts de 9 tonnes environ on<br />

rompait <strong>la</strong> tige en son milieu sans allerer <strong>la</strong> douille.<br />

3° On essaya d'arracher du böton des barres en fer<br />

rond munies de crochets terminaux, ou bien ap<strong>la</strong>ties en<br />

divers points, ou bien avec ces deux systemes combines,<br />

et l'on constata que ces moyens d'empecher<br />

sont tres efficaces.<br />

le glissement<br />

4° Enfin on soumit un grand nombre de blocs de be¬<br />

ton ä des öpreuves<br />

de flexion et d'öcrasement.<br />

Ces blocs, fabriques par l'entrepreneur de <strong>la</strong> möme<br />

maniere que pour un travail courant, avaient des dosages<br />

de ciment de Paudex variant de 250 & 800 kg. par metre<br />

cube de gravier et sable.<br />

II resulte de ces essais :<br />

Fig. 2. Essai de Charge de <strong>la</strong> poutre<br />

N° 1.<br />

La premiere poutre (flg.<br />

1 et 2), construite le 9 avril,<br />

avait ainsi 5 semaines au moment de l'essai.<br />

Lasecondepoutre, construite le 16 avril, avait un mois.<br />

Les surcharges ötaient uniformöment reparties et les fleches<br />

etaient mesurees par unappareil multiplicateur Griot.<br />

L'essai de <strong>la</strong> premiere poutre n'a pas 6te pousse jus¬<br />

qu'ä <strong>la</strong> rupture el sous <strong>la</strong> surcharge de 8000 kg. eile ne<br />

prösentait encore aucune trace de fatigue bien que <strong>la</strong> limite<br />

d'e<strong>la</strong>sticitö du fer fut probablement depassee.<br />

En tenant compte du poids propre, <strong>la</strong> Charge etait<br />

efliWron 2)Ya fois celle que l'on admettrait en pratique.<br />

On remarquera que les fleches, indiquees en centiemes<br />

de millimetres, sont extreniement faibles.<br />

aj Que le gravier tout venant donne des rösultats un<br />

Bien que l'observation des fleches n'ait que peu de<br />

peu inferieurs ä ceux que l'on obtient avec le<br />

meme dosage de ciment mö<strong>la</strong>nge<br />

gravier et 500 litres de sable.<br />

ä 800 litres de<br />

valeur au point de vue de <strong>la</strong> theorie pure, puisque, pour<br />

le beton arme, les fleches sont rarement proporlionnelles<br />

aux charges, elles constituent cependant un element de<br />

bj Le dosage de 300 ä 350 kg. de ciment de Paudex comparaison entre deux poutres simi<strong>la</strong>ires.<br />

paratt le plus convenable; en augmentant cette<br />

La premiere poutre, avec tirant noye dans le beton,<br />

1<br />

1<br />

1


Photographies d’expériences extraites de l’article (fig.4 p191, fig.5 p192)


ANNEXE 5<br />

Thème<br />

Fiche d’identité<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

« VII ème Congrès du <strong>Béton</strong> Armé. Communication de M. de Mollins sur <strong>la</strong><br />

réglementation des <strong>construction</strong>s en <strong>Béton</strong> Armé, en Allemagne et en Suisse. »,<br />

in Le <strong>Béton</strong> Armé, n°57, février 1903, pp.149-152.<br />

Extrait d’un article de <strong>la</strong> revue mensuelle : Le <strong>Béton</strong> Armé créée en 1898 par<br />

l’organe des concessionnaires et des agents du système Hennebique. Cette revue<br />

permet à l’entreprise de rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer<br />

l’étendue de ses réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse<br />

aux critiques qui lui sont faites.<br />

Cet article est en réalité <strong>la</strong> retranscription du discours prononcé par S. de<br />

Mollins, agent Hennebique en Suisse, à l’occasion du VII ème Congrès du <strong>Béton</strong><br />

Armé sur le thème de <strong>la</strong> réglementation.<br />

En 1903, <strong>la</strong> Société des Ingénieurs et Architectes Suisses (SIA) est en train<br />

d’établir des normes provisoires pour les <strong>construction</strong>s en béton <strong>armé</strong>. La<br />

France se trouve dans une situation semb<strong>la</strong>ble, ayant <strong>la</strong>ncé ses études en 1901 à<br />

travers une première commission dont faisait partie M. Hennebique.<br />

L’Allemagne possède déjà, à cette période, des polices de <strong>construction</strong> par<br />

villes qui ne constituent pas pour autant une loi fédérale. S. de Mollins<br />

s’exprime alors dans ce contexte qu’il connaît bien puisque <strong>la</strong> firme Hennebique<br />

exerce son activité dans ces pays.<br />

Cette première page donne <strong>la</strong> teinte de tout le discours de S. de Mollins ; il<br />

expose et décrit <strong>la</strong> complexité et les aberrations d’un système réglementaire<br />

allemand pour étayer les nombreuses réserves que <strong>la</strong> société Hennebique<br />

manifeste à l’égard des normes provisoires émergeant en Suisse. Ces grands<br />

entrepreneurs n’ont effectivement pas d’avantages à ce qu’une réglementation<br />

stricte vienne entraver leurs activités. S. de Mollins dénonce <strong>la</strong> fausseté des<br />

formules et coefficients énoncés dans ces prescriptions allemandes et<br />

l’incompétence des personnes qui les ont produites. Dans <strong>la</strong> suite de l’article, il<br />

montre que ces observations et pressions ont conduit à l’enlisement de <strong>la</strong><br />

commission SIA suisse qui finit par démissionner. Elle sera remp<strong>la</strong>cée par une<br />

seconde qui poursuit l’étude...


ANNEXE 6<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Fiche d’identité GEISER A., « SIA Rapport de gestion du Comité central sur les années 1903-<br />

1905 », in BTSR, n°15, 1905, pp.192-195.<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

Extrait d’un article écrit par A. Geiser, président central de <strong>la</strong> SIA, comme<br />

rapporteur du bi<strong>la</strong>n qu’a établi le comité central SIA sur ses actions depuis<br />

1903. (Le reste de l’article ne concerne plus <strong>la</strong> réglementation du béton <strong>armé</strong>)<br />

Le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle<br />

fondée en 1899, est l’organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes. Elle<br />

succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé<br />

en 1875.<br />

Suite à l’accident de Bâle en 1901, <strong>la</strong> Société privée Suisse des Ingénieurs et<br />

Architectes (SIA) s’est <strong>la</strong>ncée dans <strong>la</strong> conception de normes provisoires pour <strong>la</strong><br />

<strong>construction</strong> en béton <strong>armé</strong>. Le Comité central supervise alors les différentes<br />

sections SIA réparties dans les cantons qui débattent régulièrement, pendant une<br />

première période de deux ans. La période 1903-1905 suivante, décrite ici,<br />

expose <strong>la</strong> continuité de son activité après l’établissement des règlements<br />

provisoires de 1903.<br />

Cet article illustre un aspect du réseau d’acteurs qui s’établit autour de cette<br />

société privée, pour apporter un soutien financier aux essais qui continuent à<br />

être réalisés. Qui porte alors un intérêt particulier à ce qu’on établisse des<br />

normes Il est intéressant de voir que les corporations ayant répondu<br />

favorablement à l’appel <strong>la</strong>ncé sont deux groupements de cimentiers. Ces<br />

derniers ne sont donc plus des fabriques autonomes, ils se sont associés et<br />

subventionnent <strong>la</strong> SIA pour, sans nul doute, assurer un contrôle de <strong>la</strong> richesse<br />

commerciale qu’ils détiennent : le ciment.<br />

On apprend que l’appel est aussi reçu par l’association des villes Suisses (<strong>la</strong><br />

catastrophe de Bâle-ville perturbe forcément <strong>la</strong> tranquillité d’autres villes<br />

suisses...). Enfin, un acteur important apparaît : le Département Fédéral de<br />

l’Intérieur dont on retranscrit intégralement <strong>la</strong> lettre-réponse. Celui propose<br />

ainsi de prendre en charge les nouveaux essais pour <strong>la</strong> période à venir, par le<br />

Laboratoire Fédéral qui se trouve à l’EPFZ. Le pouvoir public se rallie au projet<br />

de <strong>la</strong> SIA qui assumera désormais un rôle de consultante.


ANNEXE 7<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Fiche d’identité<br />

KHUNE E., « Au Vil<strong>la</strong>ge Suisse », in La Patrie Suisse, n°51, 1895, p.249-252<br />

Source<br />

La Patrie Suisse est une revue bimensuelle illustrée. Sans être forcément<br />

conservatrice, son contenu parait empreint d’un sentiment patriotique certain,<br />

prêtant notamment ses pages à tous les évènements traditionnels suisses.<br />

L’auteur écrit régulièrement des articles de <strong>la</strong> revue.<br />

Contexte<br />

L’année précédant l’exposition Nationale de 1896, l’article présente le contenu<br />

de l’exposition à travers texte et dessins.<br />

Commentaires<br />

La première colonne de l’article fait état des choses qui s’exposent<br />

habituellement aux expositions nationales, faisant du vil<strong>la</strong>ge suisse un<br />

évènement exceptionnel. Le quatrième paragraphe exprime l’écoeurement<br />

suscité par les « fabriques » et « hôtels ».<br />

Regardé en parallèle des photos véhiculées alors sur les prouesses du béton<br />

<strong>armé</strong>, les dessins paraissent presque anachroniques, montrant bien une Suisse<br />

tiraillée entre progrès et conservatisme.<br />

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ANNEXE 8<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouements et résistances<br />

Fiche d’identité BOVET E., « Le Heimatschutz et les ingénieurs », in Heimatschutz, n°7, 1910,<br />

p.80.<br />

Source<br />

Le Heimatschutz est <strong>la</strong> revue publiée par <strong>la</strong> ligue du même nom. Fondée en<br />

1905, celle-ci entend défendre <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> Suisse pittoresque.<br />

Commentaires<br />

Cet article vient en réponse à une protestation faite par un ingénieur à l’égard de<br />

l’attitude protectionniste de <strong>la</strong> ligue du Heimatschutz.<br />

L’article montre comment des acteurs d’origines différentes (professionnels de<br />

<strong>la</strong> <strong>construction</strong> et intellectuels) confrontent leur vision du progrès technique et<br />

des valeurs esthétiques.


ANNEXE 9<br />

Thème<br />

Un réseau d’acteurs en jeu : engouement et résistance<br />

Fiche d’identité Figures 10 et 11, in Heimatschutz, n°7, 1912, p. 54.<br />

Figure 8, in Heimatschutz, n° 7, 1912, p. 173.<br />

Source<br />

Le Heimatschutz est <strong>la</strong> revue publiée par <strong>la</strong> ligue du même nom. Fondée en<br />

1905, celle-ci entend défendre <strong>la</strong> conservation de <strong>la</strong> Suisse pittoresque.<br />

Commentaires<br />

Ces photographies montrent des exemples concrets de bâtiments modernes<br />

types qui font l’objet des critiques de <strong>la</strong> ligue du Heimatschutz.<br />

Les commentaires révèlent les jugements tranchés et le ton cynique employé<br />

pour discréditer une nouvelle forme d’architecture. Un reproche ressort :<br />

l’absence de caractère local. Les commentaires mettent en exergue le caractère<br />

systématique des critiques du Heimatschutz. On remarque <strong>la</strong> récurrence de<br />

l’adjectif « banal ». Utilisant toujours le même leitmotiv, <strong>la</strong> ligue se dispense<br />

d’appuyer son jugement sur des arguments, donnant l’illusion d’une vérité<br />

indiscutable, alors qu’il s’agit d’un avis subjectif.


ANNEXE 10<br />

Thème<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong>: l’influence des moyens de diffusion<br />

Fiche d’identité<br />

« Le béton <strong>armé</strong> dans <strong>la</strong> <strong>construction</strong> des grands viaducs », in Le <strong>Béton</strong> Armé,<br />

n°4, 1898, p.1.<br />

Source<br />

Article paru dans Le béton <strong>armé</strong>, organe des concessionnaires et des agents du<br />

système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de se<br />

valoriser en montrant l’étendue de ses réalisations et sa portée internationale, de<br />

donner réponse aux critiques qui lui sont faites, de se prononcer sur les<br />

actualités du béton <strong>armé</strong>.<br />

Contexte<br />

Cette lettre donne suite à une demande formulée par S. De Mollins, agent<br />

central des brevets Hennebique pour <strong>la</strong> Suisse, auprès du département des<br />

travaux publics afin de faire admettre les projets en béton <strong>armé</strong> à concourir pour<br />

les ouvrages d’art au même titre que ceux en acier.<br />

Commentaires<br />

Ce document montre le rôle actif que mène l’agent suisse du système<br />

Hennebique pour le développement de l’utilisation du béton <strong>armé</strong> en Suisse. Il<br />

met également en perspective <strong>la</strong> concurrence qui se joue avec les constructeurs<br />

acier. Il est alors intéressant de rappeler que le concours pour le pont de<br />

Chauderon-Montbenon à Lausanne est <strong>la</strong>ncé peu de temps après cette<br />

autorisation et que le projet primé utilise le béton <strong>armé</strong>.


ANNEXE 11<br />

Thèmes<br />

Représentation du béton <strong>armé</strong> : l’influence des moyens de diffusion<br />

Un matériau en quête d’identité : <strong>la</strong> problématique de l’expression<br />

Fiche d’identité VAUTIER A., « Concours pour l’exécution du pont Chauderon-Montbenon »,<br />

in BTSR, n°2, 1902, pp.12-14.<br />

Source<br />

Contexte<br />

Commentaires<br />

Article rédigé par A. Vautier, ingénieur contribuant à <strong>la</strong> rédaction du Bulletin<br />

Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique bimensuelle fondée en 1899,<br />

(organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes). Cette revue succède au<br />

Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes, fondé en 1875.<br />

L’article rend compte des décisions prises par le jury du concours pour<br />

l’exécution du Pont Chauderon-Montbenon et présente l’ensemble des p<strong>la</strong>nches<br />

de rendu du projet <strong>la</strong>uréat, ainsi que des vues partielles des deux autres projets<br />

primés.<br />

Le projet remportant le concours ; devise « feuille de chênes » ; est basé sur un<br />

principe constructif d’arches en béton <strong>armé</strong> et devance deux autres propositions<br />

de viaduc métalliques.<br />

L’article a une valeur didactique en nous renseignant dans un premier temps sur<br />

les modes de représentations de l’époque. Puis, dans un deuxième temps, nous<br />

comprenons <strong>la</strong> portée du choix du jury, qui, en privilégiant l’ouvrage en béton<br />

<strong>armé</strong>, lui offre par <strong>la</strong> suite une tribune publicitaire. La description technique,<br />

l’explication des détails d’assemb<strong>la</strong>ges, et les p<strong>la</strong>nches de rendu assurent ainsi<br />

une <strong>la</strong>rge diffusion du béton <strong>armé</strong> dans les milieux professionnels.<br />

Par ailleurs, nous pouvons é<strong>la</strong>rgir <strong>la</strong> portée de cet article puisqu’il introduit <strong>la</strong><br />

problématique de l’expression du béton <strong>armé</strong> dans un ouvrage d’art à l’impact<br />

urbain fort. L’analyse du projet rendu, nous donne certes l’indication que le<br />

béton <strong>armé</strong> est ici apparent, mais nous remarquons qu’il est exprimé dans le<br />

respect d’un <strong>la</strong>ngage c<strong>la</strong>ssique…


ANNEXE 12<br />

Thème<br />

Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />

Fiche d’identité « Une maison qui tombe », in La Gazette de Lausanne, 29 août 1901.<br />

« Une maison qui tombe », in La Gazette de Lausanne, 30 août 1901.<br />

« Bâle », in La Gazette de Lausanne, 3 septembre 1901.<br />

Source<br />

La Gazette de Lausanne, journal quotidien de Suisse romande à tendance<br />

libérale, re<strong>la</strong>te dans une suite d’articles l’accident de Bâle. Le nom de l’auteur<br />

de l’article n’est pas connu.<br />

Contexte<br />

Le 28 août 1901, une maison dans le faubourg d’Aesch, à Bâle, s’effondre,<br />

entraînant plusieurs victimes.<br />

Commentaires<br />

L’ensemble de ces articles est utile pour comprendre dans quelle mesure le<br />

béton <strong>armé</strong> est remis en cause à travers les articles exposant l’accident. Ils<br />

révèlent comment celui-ci a ravivé des polémiques au sein du milieu des<br />

ingénieurs. On peut remarquer que l’article semble traiter l’information de<br />

manière re<strong>la</strong>tivement objective et impartiale.


ANNEXE 13<br />

Thème<br />

Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />

Fiche d’identité<br />

« Constructions en béton <strong>armé</strong>. Enquête sur l’accident de l’Aeschenvorstadt, à<br />

Bâle », in BTSR, n°2, 1902, pp.133-134.<br />

Source<br />

Article paru dans le Bulletin Technique de <strong>la</strong> Suisse Romande, revue technique<br />

bimensuelle fondée en 1899, organe de <strong>la</strong> Société des ingénieurs et architectes.<br />

Elle succède au Bulletin de <strong>la</strong> Société vaudoise des ingénieurs et architectes,<br />

fondé en 1875.<br />

Contexte<br />

Près de six mois après l’accident de <strong>la</strong> maison de l’Aeschenvorstadt à Bâle,<br />

l’article expose les résultats de l’expertise visant à déterminer les causes de<br />

l’accident.<br />

Commentaires<br />

- L’article ne mentionne pas les mêmes experts que ceux cités dans l’article de<br />

La Gazette de Lausanne du 30 août 1901. Ici l’ingénieur Rosshändler n’est pas<br />

impliqué. Ce détail est d’importance puisqu’on sait que les professeur W. Ritter<br />

et F. Schüle sont tous deux actifs dans le développement de <strong>la</strong> <strong>construction</strong> en<br />

béton <strong>armé</strong> : aussi cette expertise peut poser question du point de vue de son<br />

impartialité.<br />

- Le Chap. 8 de l’article intitulé « Remarques complémentaires » est<br />

particulièrement intéressant ; il cherche à faire valoir l’intérêt du système<br />

Hennebique, défendant le fait que celui doive continuer d’être utilisé.


ANNEXE 14<br />

Thème<br />

Un matériau mis à l’épreuve: l’impact des accidents sur l’opinion publique<br />

Fiche d’identité « L’accident de Bâle et les accidents de chantier », in Le <strong>Béton</strong> Armé, Juin 1902,<br />

n°49, p.5-8.<br />

Source<br />

Le <strong>Béton</strong> Armé, fondé en 1898, est l’organe des concessionnaires et des agents<br />

du système Hennebique. Cette revue mensuelle permet en outre à l’entreprise de<br />

rendre compte des actualités du béton <strong>armé</strong>, de montrer l’étendue de ses<br />

réalisations et sa portée internationale, et de donner réponse aux critiques qui lui<br />

sont faites.<br />

Contexte<br />

Cet article parait peu après les résultats de l’expertise visant à déterminer les<br />

causes de l’accident survenu à Bâle. Le système Hennebique, employé dans <strong>la</strong><br />

<strong>construction</strong> en question, se voit innocenté par l’expertise, qui attribue plutôt<br />

l’accident à un manque de sécurité dans l’exécution des travaux (cf. Annexe 12<br />

« Constructions en béton <strong>armé</strong> », in BTSR, n°2, 1902, pp.133-134.). L’article<br />

présent tient donc à souligner ces conclusions qui apportent un appui<br />

scientifique important au béton <strong>armé</strong>, et au système Hennebique en particulier,<br />

en citant des passages de l’expertise.<br />

Commentaires<br />

L’article est intéressant à beaucoup de points de vue.<br />

- Il rend tout d’abord compte du lourd climat conflictuel qui oppose les<br />

constructeurs en béton <strong>armé</strong> aux constructeurs en acier. Ces derniers n’ont pas<br />

manqué d’utiliser l’accident pour tenter de décrédibiliser le béton <strong>armé</strong>. A son<br />

tour, l’article s’en donne à coeur joie de rétorquer à ses adversaires.<br />

- Ensuite, il n’est pas vraiment étonnant de voir W.Ritter, innocenter dans<br />

l’expertise avec une certaine insistance le système Hennebique. Il s’agit de<br />

rappeler qu’en effet, 2 ans plus tôt, les recherches du Professeur avaient soutenu<br />

le système Hennebique, en lui apportant un précieux crédit scientifique.<br />

- Il faut par ailleurs noter que l’article ne retranscrit que des passages choisis. Il<br />

n’évoque pas les dimensions quelques peu sous-estimées de l’ouvrage, aspect<br />

pourtant mentionné dans l’expertise, même si l’accident en lui même ne lui est<br />

pas imputable.<br />

- Quoiqu’il en soit, on voit bien comment l’article prend le soin d’éc<strong>la</strong>ircir en<br />

tous points, comme pour ne <strong>la</strong>isser aucun doute, les raisons de l’accident, par<br />

des explications étayées d’un croquis.<br />

- Il est enfin assez amusant de constater que l’article se termine par une liste<br />

d’accidents survenus sur des <strong>construction</strong>s métalliques, suivis d’un<br />

commentaire incisif, le tout sous le titre « les trahisons du métal ».


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