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Le miroir dans l'œuvre de Michelangelo Pistoletto - CDH

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<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> l’œuvre <strong>de</strong> <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong><br />

Egest Gjinali, Aline Juon, Florine Wescher<br />

architecture<br />

Projet SHS <strong>de</strong> 1 ère année master<br />

Encadré par<br />

Lugon Olivier, esthétique <strong>de</strong> l’image<br />

Rapport accepté le 21 mai 2008<br />

Lausanne, année académique 2007 – 2008


MICHELANGELO PISTOLETTO<br />

travail shs_esthétique <strong>de</strong> l’image_2007 2008<br />

egest gjinali/aline juon/florine wescher le <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> l’oeuvre <strong>de</strong> michelangelo pistoletto


Sommaire<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> chez <strong>Pistoletto</strong> p 02 - 21<br />

Introduction<br />

<strong>Le</strong> choix <strong>de</strong> la figuration<br />

L’autoportrait<br />

Fenêtre albertienne/autoportrait/lieu<br />

Figures/Tableau-<strong>miroir</strong><br />

C’est le spectateur qui fait le tableau<br />

Temps<br />

Thème du travail<br />

Thème <strong>de</strong> la libération<br />

L’infini : <strong>Le</strong> mètre cube d’infini<br />

L’infini : division et multiplication du <strong>miroir</strong><br />

Épilogue<br />

En guise <strong>de</strong> conclusion : <strong>Le</strong> Rétrocube d’infini<br />

Citations p 22 - 23<br />

Bibliographie p 24 - 25<br />

Illustrations<br />

2


Introduction<br />

Ce mémoire traite <strong>de</strong> l’artiste <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> qui fait usage <strong>de</strong> surfaces<br />

réfléchissantes <strong>dans</strong> beaucoup <strong>de</strong> ses œuvres. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong>, cet objet qui questionne<br />

l’homme hanté par son reflet <strong>de</strong>puis qu’il est homme, est utilisé par <strong>Pistoletto</strong> <strong>dans</strong><br />

tous ses moyens expressifs. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> chez <strong>Pistoletto</strong> reste un outil, un moyen pour<br />

répondre à un questionnement intrinsèque <strong>de</strong> l’oeuvre, plutôt que comme fin en soi.<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> est une conséquence: en effet <strong>Pistoletto</strong> commence son œuvre par peindre<br />

l’homme, par se peindre lui-même, et ce questionnement <strong>de</strong> la condition humaine<br />

continue sera présent pendant toute l’évolution <strong>de</strong> son œuvre.<br />

<strong>Pistoletto</strong> traverse <strong>de</strong>s années où l’art subit une sorte <strong>de</strong> crise en Europe. L’art<br />

européen on le met en question, et parfois on le regar<strong>de</strong> avec une sorte <strong>de</strong> méfiance,<br />

jusqu'à ce que le public, les critiques et collectionneurs se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt la validité <strong>de</strong>s<br />

œuvres d’art. Par rapport à la vigueur productif à l’art en Amérique, qui occulte la<br />

scène artistique en Europe, l’art européen paraît comme une faible copie, dénuée<br />

d’i<strong>de</strong>ntité.<br />

C’est à ce moment-là que l’Italie voit la fin <strong>de</strong> son boom économique et la<br />

genèse <strong>de</strong> sa société <strong>de</strong> consommation. L’on baigne <strong>dans</strong> une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

fermentation aussi artistique que sociale, et l’on est à la recherche d’une nouvelle<br />

i<strong>de</strong>ntité artistique.<br />

Une invitation à la réflexion importante pour les artistes italiens, c’est « L’opera<br />

aperta », « L’œuvre ouverte » d'Umberto Eco. L’oeuvre ouverte traite surtout le<br />

rapport du spectateur à l’œuvre. Eco introduit l’idée d’un possible rapport entre forme<br />

et ouverture « qui déterminerait <strong>dans</strong> quelles limites une œuvre peut accentuer son<br />

ambiguïté et dépendre <strong>de</strong> l’intervention active du spectateur sans perdre pour autant<br />

sa qualité. »(1) Toute œuvre se met en relation avec l’histoire, le temps, et les plus<br />

exemplaires sont celles qui réussissent à gar<strong>de</strong>r ce <strong>de</strong>gré d’ouverture qui leur permet<br />

d’interroger et toucher tout être humain indépendamment <strong>de</strong> l’époque. Eco, à travers<br />

l’analyse <strong>de</strong> différentes œuvres, illustre comment <strong>de</strong>s « créateurs proposent une<br />

œuvre à achever, ou plutôt un type d’œuvre qui , bien que matériellement constituée,<br />

reste ouverte à une continuelle germination interne dont il appartient a chacun <strong>de</strong><br />

découvrir et <strong>de</strong> choisir au cours <strong>de</strong> la même perception. » (2)<br />

Influencés par cet apport critique, les artistes <strong>de</strong> l’Arte Povera répon<strong>de</strong>nt par<br />

une démarche élémentaire qui cherche l’essentiel, le premier geste <strong>dans</strong> la création<br />

humaine. Il y a un nouveau regard sur les principes <strong>de</strong> la Renaissance, loin <strong>de</strong> la<br />

société <strong>de</strong> consommation et commercialisation, pour retrouver cet art qui est issu<br />

d’une interrogation <strong>de</strong> la nature, et d’une investigation <strong>de</strong>s principes cognitifs <strong>de</strong><br />

l’homme.<br />

L’adjectif « povera », pauvre, évoque cette tendance d’un geste retenu, d’une<br />

réduction <strong>de</strong>s moyens. Pour Alan Jones, l’Arte Povera, contrairement au Pop Art, «<br />

3


met l’accent sur le prodige, le merveilleux, un rappel à l’ordre et l’élégance du vœu <strong>de</strong><br />

pauvreté <strong>de</strong> saint François d’Assise. »(3)<br />

Ce qui lie les oeuvres <strong>de</strong> l’Arte Povera, ce n’est pas le résultat formel. Bien au<br />

contraire, il est difficile <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s parallèles stylistiques <strong>dans</strong> la profusion créatrice<br />

<strong>de</strong> ces artistes. Par contre, c’est le processus <strong>de</strong> création qui vise à <strong>de</strong> nouvelles<br />

solutions expressives, à une sorte <strong>de</strong> remise à zéro d’une forme, pour dégager une<br />

idée, qui est une constante chez les « artepoveristes ». C’est l’idée, le<br />

questionnement à la base <strong>de</strong> cet art, la mise en forme d’une idée, et non la mise en<br />

forme d’une forme. Mais le résultat formel, comme véhicule d’une idée gar<strong>de</strong> une<br />

place centrale. L’on retrouve toujours, est par là « l’italianità » <strong>de</strong> l’Arte Povera, un<br />

soin et une sensibilité <strong>dans</strong> la matérialisation, une existence concrète, corporelle et un<br />

procédé artisanal <strong>de</strong> fabrication d’une œuvre, proche du souci <strong>de</strong> la Renaissance pour<br />

la proportion, la géométrie et l’harmonie.<br />

Tous ces éléments seront à la source <strong>de</strong> l’oeuvre <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> qui commence<br />

son travail par une recherche du rapport <strong>de</strong> l’homme au mon<strong>de</strong> et du spectateur à<br />

l’œuvre, mise en forme selon <strong>de</strong> différents procédés, mais exploitant surtout les<br />

surfaces réfléchissantes, qui ont la capacité <strong>de</strong> nous renvoyer l’image du mon<strong>de</strong>.<br />

Ce travail, vu sa mo<strong>de</strong>ste taille, n’a pas comme but <strong>de</strong> traiter l’ensemble <strong>de</strong><br />

l’œuvre <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> qui fait usage du <strong>miroir</strong>, mais <strong>de</strong> chercher quelques principes<br />

générateurs qui seront présents <strong>dans</strong> la production prolifique artistique <strong>de</strong> cet artiste.<br />

Il s’ensuit la nécessité <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix : d’abord un choix d’œuvres significatives,<br />

commençant par ses autoportraits, jusqu’au rétrocube d’infini (fig20). Deuxièmement,<br />

on a fait le choix <strong>de</strong> travailler par thème, solution qui s’adapte le mieux à l’œuvre <strong>de</strong><br />

<strong>Pistoletto</strong> car chaque groupe d’œuvres est généré par une idée ou thématique qui lui<br />

est propre. <strong>Le</strong> choix <strong>de</strong>s thèmes est fait <strong>de</strong> manière à répondre aux considérations <strong>de</strong><br />

<strong>Pistoletto</strong> par rapport au <strong>miroir</strong>. Il manque par exemple <strong>de</strong>s thèmes « constants »,<br />

notamment ceux qui sont liés au symbolisme, ou à la mythologie. <strong>Le</strong> mythe <strong>de</strong><br />

Narcisse et sa belle histoire est absent, si ce n’est que la signification <strong>de</strong> la fascination<br />

<strong>de</strong> Narcisse face à son reflet. <strong>Pistoletto</strong> s’intéressant aux gestes premiers, aux<br />

premières réactions <strong>de</strong> l’homme par rapport au mon<strong>de</strong> qui l’entoure, aura face à son<br />

travail une remise en question constante qui constamment l'emmènera vers <strong>de</strong>s<br />

nouvelles solutions <strong>dans</strong> son œuvre.<br />

<strong>Le</strong> choix <strong>de</strong> la figuration<br />

« J’ai commencé à peindre la figure humaine…Parce que ma culture est figurative<br />

(…) Il s’agit d’une approche du mon<strong>de</strong> basée sur la figuration. »(4)<br />

Ce qui intéresse <strong>Pistoletto</strong> <strong>dans</strong> son parcours artistique c’est le mon<strong>de</strong> habité<br />

par l’être humain. C’est peut-être difficile d’expliquer l’origine <strong>de</strong> cet intérêt, mais cela<br />

n’étonne pas si l’on considère l’intérêt porté sur les principes <strong>de</strong> la Renaissance <strong>de</strong> la<br />

4


part <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong> l’Arte Povera. Pendant la Renaissance naît un art<br />

anthropocentrique, tel que véhiculé par « l’uomo vitruviano », l’homme <strong>dans</strong> un cercle<br />

et un carré. Avec cela, la Renaissance communique l’idée que l’homme, crée selon<br />

<strong>de</strong>s proportions claires, qui se trouvent <strong>de</strong> façon récurrente <strong>dans</strong> la nature, est la<br />

proportion <strong>de</strong> toute chose, <strong>de</strong> l’espace et du temps.<br />

De la même manière que les artistes <strong>de</strong> la Renaissance italienne, <strong>Pistoletto</strong><br />

étudie et recherche la place <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>.<br />

L’oeuvre <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> aboutira à l’inclusion réelle <strong>de</strong> l’être humain <strong>dans</strong><br />

l’espace <strong>de</strong> la représentation, comme pour Anno Bianco (fig.1), 1988, une œuvre<br />

théâtrale interprétée par les habitants d’un village Ligurien. Mais revenons à ses<br />

débuts, quand <strong>Pistoletto</strong> se pose la question <strong>de</strong> la représentation <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> la<br />

réalité qui l’entoure.<br />

Baignant <strong>dans</strong> l’art <strong>de</strong>puis l’enfance et fortement intéressé par les débats<br />

artistiques, notamment ceux qui touchent à la querelle du siècle entre la figuration et<br />

l’abstraction, <strong>Pistoletto</strong> tient une position particulière qui tend vers une synthèse: il<br />

explique comment face à La Flagellation du Christ (fig2) <strong>de</strong> Piero <strong>de</strong>lla Francesca, il<br />

se rend compte que les personnages peints sont à la fois figuratifs et abstraits. Dans<br />

un sens, une figure peinte aura toujours un <strong>de</strong>gré d’abstraction, car l’art nous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix, <strong>de</strong> styliser, et par là, d’abstraire.<br />

L’autoportrait<br />

<strong>Pistoletto</strong> commence sa recherche par peindre son autoportrait, il commence<br />

donc son œuvre artistique en utilisant l’image, la figuration, mais une figuration<br />

particulière :<br />

« Je cherchais <strong>de</strong>s surfaces qui ne soient pas trop physiques, qui incarnent<br />

uniquement une possibilité <strong>de</strong> lumière, une possibilité d’espace. Je cherchais l’espace<br />

autour <strong>de</strong> la figure. »(5) En cherchant l’espace autour <strong>de</strong> la figure, il cherche à<br />

comprendre le statut et le potentiel expressifs <strong>de</strong> la « fenêtre ouverte sur le mon<strong>de</strong> »<br />

<strong>de</strong> la Renaissance. Car cette fenêtre, <strong>dans</strong> La flagellation du Christ ne donne pas<br />

uniquement à voir la posture <strong>de</strong> Oddantonio da Montefeltro, mais le met en rapport<br />

avec le paysage, le mon<strong>de</strong>.<br />

Plutôt qu’à Oddantonio da Montefeltro et à ses conseillers, <strong>Pistoletto</strong><br />

s’intéresse à l’espace <strong>de</strong>rrière eux et appréhen<strong>de</strong> comment une douloureuse<br />

représentation <strong>de</strong> la flagellation est mise en scène à travers la perspective et entre en<br />

relation avec la staticité et la désinvolture <strong>de</strong>s trois protagonistes du tableau.<br />

5


Face à ces considérations, l’on pourrait comprendre les autoportraits sur fonds<br />

d’or monochrome <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> comme une recherche du rapport <strong>de</strong> la figure au fond,<br />

<strong>de</strong> l’homme à son environnement.<br />

Dans l’Autoportrait or (fig3), réalisé en 1960, il peint son image <strong>de</strong>bout sur un<br />

fond doré. Puisque l’homme peint c’est <strong>Pistoletto</strong>, il commence cette recherche à<br />

partir <strong>de</strong> lui-même. Pour lui Narcisse se regardant <strong>dans</strong> l’eau, avant <strong>de</strong> tomber<br />

amoureux <strong>de</strong> son image, se voit et se reconnaît, et voit en simultané <strong>de</strong>s arbres, le<br />

ciel, quelques nuages…il se voit contenu <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>. L’autoportrait, le<br />

dédoublement n’est donc pas une forme d’isolement, <strong>de</strong> narcissisme, c’est bien au<br />

contraire une manière <strong>de</strong> chercher et trouver son rapport au mon<strong>de</strong>. « L’homme a<br />

toujours tenté son dédoublement pour chercher à se connaître. ... <strong>Le</strong> dédoublement<br />

s’est utilisé <strong>dans</strong> le temps <strong>dans</strong> une manière toujours plus systématique et plus<br />

convaincue. <strong>Le</strong> cerveau a construit la représentation sur la base <strong>de</strong> son propre<br />

reflet…<strong>Le</strong> personnage humain a commencé à fixer sur le reflet un point stratégique<br />

pour la mensuration <strong>de</strong> l’univers. Ne se contentant plus <strong>de</strong> la première hallucination<br />

<strong>de</strong> soi-même, il s’est convaincu <strong>de</strong> pouvoir dédoubler l’univers entier pour le<br />

connaître. » (6) <strong>Le</strong> reflet est donc pour <strong>Pistoletto</strong> une forme <strong>de</strong> connaissance.<br />

La figure est peinte en « sfumato », avec certaines parties d’un noir saturé, et<br />

d’autres (surtout sur le visage) qui laissent voir le fond doré. On peut parler d’une<br />

incarnation, d’une figure qui se matérialise <strong>dans</strong> un espace abstrait, dénué <strong>de</strong><br />

perspective ou <strong>de</strong> représentation. L’inspiration <strong>de</strong>s icônes byzantines est évi<strong>de</strong>nte:<br />

l’art byzantin, inspiré <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> l’Orient, rompt avec la représentation naturaliste<br />

<strong>de</strong> l’Antiquité et se dirige vers une simplification et abstraction du paysage. Indiquant<br />

par le doré le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là, les artistes byzantins se réfèrent à l’or comme une<br />

surface abstraite qui joue le rôle d’une substance contenant l’univers. Dans les<br />

fresques ou mosaïques byzantines, les divinités, les animaux, les paysages, flottent<br />

<strong>dans</strong> un espace abstrait qui donne l’impression <strong>de</strong> s’étendre à l’infini. L’or, avec sa<br />

capacité particulière <strong>de</strong> réfléchir la lumière, dématérialise l’espace du tableau et le<br />

personnage peint en noir apparaît comme une image lumineuse fixée, parmi une<br />

infinité <strong>de</strong> possibilités, <strong>dans</strong> l’espace sensible du tableau<br />

Voici la cristallisation d’une idée: on assiste à la naissance, à l’incarnation<br />

d’une image, <strong>de</strong> son autoportrait <strong>dans</strong> un espace abstrait, potentiellement infini, qui<br />

contient conceptuellement la réalité. <strong>Pistoletto</strong> se fait sa propre icône, s’immortalisant<br />

<strong>dans</strong> l’espace <strong>de</strong> l’univers comme la constellation <strong>de</strong> Persée figé au ciel.<br />

« Un jour à la place <strong>de</strong> l’or, j’ai peint en noir et j’ai eu une surprise: je me<br />

regar<strong>de</strong> et je me vois <strong>dans</strong> la toile. Je me suis littéralement copié. » (7)<br />

La combinaison du noir avec un vernis rend la surface du fond du tableau<br />

réfléchissante. Pour la première fois, le coté conceptuel du fond doré comme une<br />

substance qui englobe tout ce qui existe, <strong>de</strong>vient réel, car l'existant trouve son reflet<br />

physique <strong>dans</strong> l'oeuvre. En peignant son propre image <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Présent, l’Autoportrait<br />

noir-vernis (fig4), <strong>Pistoletto</strong> fixe en 1961, un instant <strong>de</strong> ces infinités <strong>de</strong> possibilités.<br />

6


Cette image par sa staticité, contraste et interpelle l'éphémère réalité reflétée <strong>dans</strong> la<br />

noire surface réfléchissante. Différemment <strong>de</strong>s Autoportraits en or, ici l’image est<br />

opaque, soustraite au fond réfléchissant.<br />

Ce qui change ici <strong>dans</strong> sa perpétuelle recherche <strong>de</strong> son rapport au mon<strong>de</strong>,<br />

c’est l’échelle du mon<strong>de</strong>. Dès que la surface <strong>de</strong> l’oeuvre réfléchit physiquement le<br />

mon<strong>de</strong>, on <strong>de</strong>scend <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong>s cieux du fond doré <strong>dans</strong> notre espace <strong>de</strong> vie,<br />

pour étudier et comprendre notre rapport à un mon<strong>de</strong> qui est à notre échelle.<br />

Une nouvelle notion abordée <strong>dans</strong> ces tableaux est le rapport <strong>de</strong> l’homme<br />

spectateur face à l’oeuvre d’art et à l’espace <strong>de</strong> représentation. Quel est le statut du<br />

tableau comme objet accroché au mur et représentant l'espace, comme l'histoire nous<br />

le présente?<br />

<strong>Le</strong> problème <strong>de</strong> la « fenêtre albertienne » était une préoccupation <strong>dans</strong> les<br />

années 60, et reste un concept fortement ancré <strong>dans</strong> la culture occi<strong>de</strong>ntale, au point<br />

que même au MOMA <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>, conçus pour être posées par terre,<br />

étaient accrochées au mur, comme tout tableau qui se respecte.<br />

De nombreux artistes se sont penchés sur la question :<br />

Yves Klein imortalise en 1960 Un saut <strong>dans</strong> le vi<strong>de</strong> (fig5), on y voit l’artiste qui<br />

saute <strong>de</strong> la fenêtre, essayant d’aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’espace <strong>de</strong> la « fenêtre albertienne »,<br />

ou Fontana avec ses « Concepts spatiaux » qui déchire la toile, <strong>dans</strong> une tentative<br />

d’entrer <strong>dans</strong> l’espace du tableau et Duchamp avec son "Grand Verre" peint <strong>dans</strong><br />

une surface transparente, montrant l’espace <strong>de</strong>rrière le tableau.<br />

Fenêtre albertienne/autoportrait/lieu<br />

<strong>Pistoletto</strong> adapte le thème <strong>de</strong> la fenêtre albertienne. D’une par, il transforme la<br />

fenêtre en porte: traverser, sortir, entrer et aller d’une pièce à l’autre ; l’œuvre évolue<br />

en un lieu <strong>de</strong> passage. <strong>Le</strong>s portes s’insèrent à l’intérieur <strong>de</strong> l’espace d’exposition et<br />

multiplient <strong>de</strong>s passages vers d’autres perspectives.<br />

<strong>Le</strong> spectateur est absorbé à l’intérieur <strong>de</strong> l’œuvre et <strong>de</strong>vient image et sujet <strong>de</strong><br />

la composition. Perspective en latin se traduit par « perspicere » qui veut dire : voir à<br />

travers. « La perspective est l’art <strong>de</strong> situer le spectateur <strong>dans</strong> l’espace <strong>de</strong> la scène<br />

représentée et <strong>de</strong> créer une illusion du réel en 3 dimensions, par <strong>de</strong>s objets<br />

représentés sur la surface plane. » (8)<br />

D’autre part, <strong>Pistoletto</strong> transforme la fenêtre en fond, la surface transparente du<br />

verre <strong>de</strong>vient alors opaque et monochrome. Quarante ans plus tôt, Duchamp, <strong>dans</strong> la<br />

Fresh window (fig6) <strong>de</strong> 1920, transforme la lumière en ombre, la fenêtre n’est plus<br />

alors considérée comme une source lumineuse. <strong>Le</strong> verre est remplacé par <strong>de</strong> la<br />

7


peinture noire, la fenêtre ne montre que du noir là ou il <strong>de</strong>vrait y avoir <strong>de</strong> la<br />

transparence, <strong>de</strong> la lumière et par conséquent une vision traversante du mon<strong>de</strong><br />

extérieur. Duchamp donne à voir une fenêtre par la forme <strong>de</strong> son œuvre puisqu’il fait<br />

un « ready-ma<strong>de</strong> » d’une fenêtre dite « à la Française ». Mais il introduit l’œuvre <strong>de</strong><br />

<strong>Pistoletto</strong> <strong>dans</strong> son choix <strong>de</strong> rendre opaque le fond <strong>de</strong> la fenêtre.<br />

<strong>Pistoletto</strong>, <strong>dans</strong> l’Autoportrait or (fig3), illustre les <strong>de</strong>ux thèmes <strong>de</strong> la porte et du<br />

fond. <strong>Le</strong> tableau mesure <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> hauteur. Son format est à l’échelle réelle<br />

d’un corps <strong>de</strong>bout qui se déplace <strong>dans</strong> l’espace. Il est placé contre un mur et posé sur<br />

le sol, il n’est plus suspendu comme la fenêtre albertienne. <strong>Le</strong> fond du tableau <strong>de</strong>rrière<br />

son autoportrait peint est un monochrome doré.<br />

Face à ce tableau, sommes-nous alors encore en présence d’une fenêtre ou<br />

plutôt d’un <strong>miroir</strong>? Tous <strong>de</strong>ux donnent à voir une composition, mais le <strong>miroir</strong> a cette<br />

spécificité <strong>de</strong> repousser la lumière en la réfléchissant, il donne à voir <strong>de</strong>s scènes<br />

d’intérieur domestique et confond le plan <strong>de</strong> la représentation avec le plan matériel du<br />

tableau. En effet, la surface noire brillante <strong>dans</strong> le présent (fig7) <strong>de</strong> 1961, s’anime en<br />

présence <strong>de</strong> spectateurs. Plus il y a d’animation et <strong>de</strong> reflets sur le fond, plus la figure<br />

représentée, l’autoportrait, s’efface <strong>de</strong>vant un fond autonome. <strong>Le</strong>s reflets agrandissent<br />

l’espace limité <strong>de</strong> la toile et présentent le mon<strong>de</strong> du dédoublement, propre au <strong>miroir</strong>.<br />

Déjà pour Matisse, le thème <strong>de</strong> la fenêtre n’est plus seulement une limite entre <strong>de</strong>ux<br />

univers : la représentation et le mon<strong>de</strong> réel, mais elle <strong>de</strong>vient le lieu <strong>de</strong> prolongement<br />

<strong>de</strong> l’espace <strong>de</strong> représentation.<br />

« Quant j’ai peint mon autoportrait sur le <strong>miroir</strong>, j’ai vu que tout l’espace<br />

s’ouvrait et <strong>de</strong>venait vivant. Je suis passé du pigment à l’acier poli. D’une<br />

représentation verticale, figée et passée à un espace horizontal ouvert, présent et<br />

futur. Je peignais l’image <strong>dans</strong> le lieu <strong>de</strong> l’image » (9)<br />

<strong>Pistoletto</strong> parle du "lieu <strong>de</strong> l’image", ou encore affirme que « <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> est le lieu<br />

d’une expérience. » En préférant le mot <strong>de</strong> lieu, à celui d’espace, <strong>Pistoletto</strong> nous<br />

informe sur sa perception du <strong>miroir</strong> et <strong>de</strong> l’espace environnant.<br />

L’espace est un terme abstrait qui est illimité, c’est une notion qui est extensible<br />

et libre. Dans l’espace, on se déplace, mais cela reste au niveau <strong>de</strong>s choses et <strong>de</strong>s<br />

objets. <strong>Le</strong> lieu est créé par le vivant : pour qu’il y est un lieu, il faut une présence<br />

humaine. Pour Aristote, un lieu est un espace qui est autour <strong>de</strong> l’humain, un espace<br />

vital. Il est contenu, délimité par une frontière.<br />

En considérant ces <strong>de</strong>ux termes, on comprend que l’œuvre <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> n’a <strong>de</strong><br />

sens qu’avec la présence du spectateur. <strong>Le</strong> "lieu <strong>de</strong> l’image" et le "lieu d’une<br />

expérience" sont délimités par l’objet <strong>miroir</strong>, <strong>dans</strong> son reflet. L’homme ne peut être<br />

contenu <strong>dans</strong> le lieu du <strong>miroir</strong> physiquement, sa matérialité nous l’empêche, même<br />

Alice (<strong>Le</strong>wis Carroll) atteint le lieu spéculaire par ses rêves et y découvre une tout<br />

autre conception <strong>de</strong> l’espace, ce n’est que pur fantasme. Même si l‘espace intérieur<br />

du <strong>miroir</strong> n’est pas occupé par une présence humaine, c’est le double du spectateur<br />

8


qui pénètre <strong>dans</strong> le <strong>miroir</strong>, son reflet, son image. <strong>Le</strong> fond est l’environnement<br />

immédiat du spectateur. Il n’est pas statique, le mouvement pénètre <strong>dans</strong> ses<br />

œuvres ; illimité, il ouvre sur une autre dimension.<br />

L’espace sensible du <strong>miroir</strong> <strong>de</strong>vient le « lieu d’une expérience », c’est ce que<br />

<strong>Pistoletto</strong> s’applique à accomplir <strong>dans</strong> son œuvre.<br />

Figures/Tableau-<strong>miroir</strong><br />

Après avoir fait l’expérience <strong>de</strong> ses autoportraits, <strong>Pistoletto</strong> réalise la série <strong>de</strong>s<br />

Tableaux-<strong>miroir</strong>s, il intègre désormais le <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> son œuvre. Sa création va à<br />

l’inverse du procédé classique <strong>de</strong> la représentation du <strong>miroir</strong> comme sujet <strong>de</strong><br />

représentation. <strong>Pistoletto</strong> fait entrer la peinture <strong>dans</strong> et sur l’espace spéculaire, <strong>de</strong><br />

cette manière, le <strong>miroir</strong> n’est plus un objet <strong>de</strong> représentation mais <strong>de</strong>vient support et<br />

surface à peindre. Reprenant ainsi les paroles <strong>de</strong> Magritte sur les spécificités du<br />

<strong>miroir</strong> : « d’une part, il est une surface réfléchissante et d’autre part, une surface <strong>de</strong><br />

représentation. » (10)<br />

Pour la Figura Umana (fig8), conçue en 1962, les moyens techniques mis en<br />

œuvre sont simples, il peint la figure sur du papier vélin sur une surface en acier<br />

inoxydable poli qui donne l’effet d’un <strong>miroir</strong>. Il varie sa technique pour le Tableau<strong>miroir</strong>.<br />

La figure est sérigraphiée en noir et blanc, parfois même en couleur, comme<br />

<strong>dans</strong> La paix, 1962-2007. L’acier inoxydable poli permet d’avoir une surface<br />

réfléchissante sans l’épaisseur d’un <strong>miroir</strong> traditionnel. <strong>Le</strong> souhait <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> est<br />

d’avoir un <strong>miroir</strong> infra-mince afin qu’on le confon<strong>de</strong> avec le mur, comme un trou.<br />

« Je me retrouve <strong>dans</strong> le tableau, au-<strong>de</strong>là du mur troué par le <strong>miroir</strong>, même si<br />

ce n’est pas matériellement. Comme il m’est impossible d’y entrer physiquement, pour<br />

poursuivre mes investigations sur la structure <strong>de</strong> l’art, je dois faire entrer le tableau<br />

<strong>dans</strong> la réalité, en créant l’illusion <strong>de</strong> me retrouver au-<strong>de</strong>là du <strong>miroir</strong>. » (11)<br />

Cette impossibilité <strong>de</strong> passage physique <strong>dans</strong> l’espace <strong>de</strong> la représentation<br />

<strong>de</strong>vient le sujet du Tableau-<strong>miroir</strong>. Avec Danger <strong>de</strong> mort (fig9), réalisé en 1974,<br />

l’image <strong>de</strong> la grille métallique avec un panneau ou il est inscrit « danger <strong>de</strong> mort »<br />

marquent violemment la limite entre l’espace réel et l’espace spéculaire. Mais<br />

paradoxalement la sensation <strong>de</strong> pouvoir entrer <strong>dans</strong> l’oeuvre est accentuée, car le<br />

<strong>miroir</strong> disparaît <strong>de</strong>rrière le grillage et l’illusion <strong>de</strong> la prolongation <strong>de</strong> l’espace est<br />

renforcée.<br />

<strong>Le</strong>s figures que <strong>Pistoletto</strong> fige sur la surface <strong>de</strong> l’acier inoxydable, se trouvent<br />

sur le même plan que l’image <strong>de</strong> notre reflet. Il introduit, par ce procédé, un point <strong>de</strong><br />

repère fixe sur l’image instable et furtive du <strong>miroir</strong>. <strong>Le</strong>s figures donnent une i<strong>de</strong>ntité<br />

bien distincte au tableau qu’il perd peu à peu à chaque fois qu’un spectateur y est<br />

réfléchi. Dans l’espace d’exposition et l’espace <strong>de</strong> vie, elles <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s points <strong>de</strong><br />

9


epère stables car elles renvoient à <strong>de</strong>s lieux, actions et personnages immobiles, figés<br />

<strong>dans</strong> le temps. Elles dialoguent avec l’instabilité <strong>de</strong> l’image du <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> une<br />

coexistence entre <strong>de</strong>ux univers. Pour <strong>Pistoletto</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’image est scindé en<br />

<strong>de</strong>ux : le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’image spéculaire, objective, et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’image reproduite.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s commencent avec l’humanité et dérivent <strong>de</strong> l’un vers l’autre car<br />

l’homme, comme <strong>Pistoletto</strong> et son autoportrait, reproduit son imagerie à partir <strong>de</strong> son<br />

reflet. Ces <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s renvoient d’une part à celui <strong>de</strong> la réalité et du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’expérience à 1m 60 <strong>de</strong> hauteur du sol, d’autre part celui <strong>de</strong> l’intérieur, spirituel et<br />

mental. Dans les tableaux-<strong>miroir</strong>s, ces <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s se trouvent écrasés sur une<br />

même surface, l’image reproduite se superpose au reflet objectif: « Alors que la forme<br />

peinte en se détachant du fond <strong>de</strong>vient autonome, le fond réfléchissant recueille<br />

l’image du spectateur ainsi que l’espace situé <strong>de</strong>rrière lui. (…) Nous sommes en<br />

présence d’un cosmos qui réunit le physique et le mental, le réel et l’irréel, le vrai et le<br />

faux, le matériel et l’immatériel, l’immobile et le mouvement, l’opacité et la<br />

transparence, l’absolu et le relatif, l’espace maximum et l’espace minimum, le temps<br />

global et l’instant, etc. » (12)<br />

Ainsi il étend ce phénomène <strong>de</strong> bipolarité à l’ensemble <strong>de</strong> son œuvre,<br />

cherchant sans cesse les oppositions issues <strong>de</strong> la dialectique entre les <strong>de</strong>ux vies <strong>de</strong><br />

l’être humain, la vie mentale et la vie physique. Il étend ce phénomène <strong>de</strong> bipolarité à<br />

l’ensemble <strong>de</strong> son œuvre: le passé le futur, le <strong>de</strong><strong>dans</strong> le <strong>de</strong>hors, le concret et<br />

l’abstrait, la vie et l’art… L’art revient à la vie.<br />

<strong>Le</strong>s figures représentent <strong>de</strong>s objets familiers, <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> rue, d’intérieur ou<br />

d’atelier. La présence humaine est privilégiée : <strong>de</strong>s hommes, <strong>de</strong>s femmes, seuls ou<br />

en groupe. Ils sont saisis <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> repos, méditations et contemplation.<br />

<strong>Le</strong>s figures sont délibérément inexpressives et statiques afin <strong>de</strong> contraster avec la<br />

mobilité <strong>de</strong>s corps reflétés <strong>de</strong> l’espace d’exposition, mettant ceux-ci en valeur.<br />

Placées <strong>dans</strong> la composition <strong>de</strong> manière centrale ou en marge, les figures peuvent<br />

êtres découpées et avoir <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> bras ou <strong>de</strong> corps absents comme <strong>dans</strong><br />

Deux personnes accoudées (fig10), 1962-1973, où il manque le bas du corps d’un<br />

homme et la moitié <strong>de</strong> la tête d’une femme. Ces morceaux manquants appartiennent<br />

en même temps à l’espace <strong>de</strong> représentation et à l’espace d’exposition. Ils sont<br />

consécutivement fictions et réalité. Magritte essaye également d’intégrer <strong>dans</strong> ses<br />

images peintes une notion <strong>de</strong> mystère, d’absence et <strong>de</strong> manque. Pour lui : « La<br />

représentation du dos est une façon <strong>de</strong> rendre visible les limites <strong>de</strong> la peinture, car le<br />

dos, en cachant l’autre partie du corps, indique une « non-présence ». » (13) <strong>Le</strong>s<br />

photos sérigraphiées vues <strong>de</strong> dos font plus que se regar<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> le <strong>miroir</strong>, elles sont<br />

<strong>dans</strong> l’objet-<strong>miroir</strong>, elles le touchent et fusionnent avec lui.<br />

La photo est un in<strong>de</strong>x, c’est-à-dire qu’elle montre. Lorsqu’elle est superposée<br />

au <strong>miroir</strong>, elle s’iconise, c’est-à-dire qu’elle se représente et <strong>de</strong>vient une image noyée,<br />

détériorée et faible face à l’exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s reflets du <strong>miroir</strong>.<br />

10


C’est le spectateur qui fait le tableau<br />

<strong>Le</strong> spectateur est saisi par trois images : l’objet <strong>miroir</strong>, lui regardant l’œuvre et<br />

l’espace d’exposition. Entre le <strong>miroir</strong> et son reflet, il existe une connexion physique qui<br />

lie l’image et le référent : le spectateur qui permet l’image. Comme l’ombre, le reflet ne<br />

peut exister sans son référent. L’image et le référent coexistent <strong>dans</strong> l’instant, le<br />

présent. La réaction face à son reflet n’est pas <strong>de</strong> dire qu’il nous ressemble, mais «<br />

c’est moi que je vois ». <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> à la capacité <strong>de</strong> reproduire l’image qui nous entoure<br />

sans qu’elle soit la même. Platon considère le reflet comme une Mimesis : « sorte <strong>de</strong><br />

copie dégradée du mon<strong>de</strong> sensible, déjà lui-même éloigné <strong>de</strong> la vérité. » (14)<br />

L’homme se distingue <strong>de</strong> son reflet, « (…) Reconnaissant son image par<br />

specularité il la reconnaît comme image <strong>de</strong> soi détachée <strong>de</strong> soi, en tant que double,<br />

représentation <strong>de</strong> soi, c’est-à-dire en tant que signe représentatif <strong>de</strong> soi-même. » (15)<br />

Quelle position tient le spectateur <strong>dans</strong> les œuvres <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> ? Est-ce que le<br />

spectateur doit oublier le support et se retrouver <strong>dans</strong> l’œuvre qui prétend être la<br />

vérité ? Par son reflet, le spectateur est projeté <strong>dans</strong> l’espace du tableau, il coexiste<br />

<strong>dans</strong> l’image et <strong>dans</strong> sa mise en scène. <strong>Le</strong> spectateur tombe littéralement à l’intérieur<br />

<strong>de</strong> l’œuvre, comme capturé <strong>dans</strong> « l’infra-mince » du <strong>miroir</strong>.<br />

Il peut prendre plusieurs rôles, il fait partie du spectacle. Tantôt voyeur lorsque<br />

la photo sérigraphiée est <strong>de</strong> dos, tantôt vu et regardé <strong>dans</strong> La Dessinatrice (fig11),<br />

1975. En effet <strong>dans</strong> cette œuvre, le reflet du spectateur est regardé et <strong>de</strong>ssiné par la<br />

<strong>de</strong>ssinatrice ; à la foi spectateur, témoin passif, et modèle, actif à l’intérieur <strong>de</strong><br />

l’œuvre. La <strong>de</strong>ssinatrice <strong>de</strong>vient spectatrice simultanément, mais elle reste statique,<br />

figée. <strong>Le</strong> spectateur bouge, il peut entrer et disparaître <strong>de</strong> la scène à sa guise. Ainsi<br />

son mouvement confère à l’œuvre <strong>de</strong>s significations différentes. Lorsqu’il est statique,<br />

il fait partie <strong>de</strong> la mise en scène du tableau, il <strong>de</strong>vient modèle. Lorsqu’il est en<br />

mouvement, il rejoint l’espace réel <strong>de</strong> la salle d’exposition.<br />

« Du point <strong>de</strong> vue du spectateur, c’est comme s’il se dédoublait en <strong>de</strong>ux<br />

images, l’une mobile, l’autre regardant la première et immobile figurant une<br />

permanence qui regar<strong>de</strong> le modèle même quand il n’est pas là, même quant il ne veut<br />

pas être vu. » (16)<br />

<strong>Pistoletto</strong> considère son œuvre comme vivante, car les multiples regards, les<br />

déplacements créent <strong>de</strong> nombreuses perspectives. L’espace d’exposition est<br />

théâtralisé. <strong>Le</strong> plan <strong>de</strong> projection <strong>de</strong> l’image du Tableau-<strong>miroir</strong> donne à voir une mise<br />

en scène, un spectacle, <strong>dans</strong> lesquels le spectateur a le rôle principal. De ce fait,<br />

<strong>Pistoletto</strong> contrôle bien peu <strong>de</strong> choses, la théâtralité <strong>de</strong> son œuvre lui échappe, les<br />

images s’autonomisent. Mais il joue avec le spectateur en le faisant se déplacer<br />

autour <strong>de</strong> son œuvre et lui donnant un rôle différent à chaque tableau, un rôle d’acteur<br />

malgré lui.<br />

11


« Il est une surface qui renvoie l’image redoublée <strong>de</strong> l’espace intérieur, et non<br />

une ouverture sur une autre scène. Qu’il réfléchisse ou non, le <strong>miroir</strong> interdit au<br />

regard du spectateur <strong>de</strong> « fuir » vers un autre espace représenté ; le <strong>miroir</strong> renvoie à<br />

la scène principale, ramène vers l’intérieur domestique. » (17)<br />

C’est le spectateur qui donne vie à l’œuvre. L’image mentale et l’image peinte<br />

se rejoignent <strong>dans</strong> une coprésence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux espaces et une simultanéité entre <strong>de</strong>ux<br />

temps.<br />

Temps<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> est soumis <strong>dans</strong> l’inconscient collectif à une part <strong>de</strong> fantastique : le<br />

désir <strong>de</strong> pénétrer et <strong>de</strong> voyager à travers. Alice <strong>de</strong> <strong>Le</strong>wis Caroll, Jean Cocteau (<strong>Le</strong><br />

sang du poète,1930) ou <strong>Pistoletto</strong> recherchent tous la violation <strong>de</strong> l’interdit d’un<br />

mortel, pour que l’homme se promène <strong>dans</strong> l’image et le temps. <strong>Pistoletto</strong> introduit<br />

trois dimensions <strong>dans</strong> son œuvre : il préserve le passé, révèle le présent et projette le<br />

futur. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> : le présent vivant - c’est là ; la photographie : le passé statique - c’est<br />

toujours là. <strong>Le</strong> présent est le temps du <strong>miroir</strong>, traduit par l’instantanéité créée par le<br />

spectateur et son reflet. À l’opposé <strong>de</strong> la fenêtre albertienne qui ne définit qu’un seul<br />

point <strong>de</strong> vue. <strong>Pistoletto</strong> prolonge l’espace d’exposition et nous questionne face au<br />

reflet, sur le <strong>de</strong>vant et le <strong>de</strong>rrière d’un espace, le passé et le futur. En effet, le<br />

spectateur, lorsqu’il fait face à l’œuvre perçoit le passé et le présent mais pas le futur.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier se matérialise toutefois en pensée, lorsque le spectateur se met en<br />

mouvement et tourne le dos au <strong>miroir</strong>. <strong>Le</strong> spectateur projette donc l’image d’un future<br />

proche : son corps vu <strong>de</strong> dos reflété, tandis que le <strong>miroir</strong> continue à lire le présent.<br />

<strong>Le</strong>s Tableaux-<strong>miroir</strong>s sont <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> mémoire.<br />

L’image du <strong>miroir</strong> est immédiate. L’espace spéculaire enregistre passivement<br />

toutes les choses qui se passent <strong>de</strong>vant lui. Mais il ne peut pas fixer ni capter une<br />

image, il est inconstant et ne laisse aucune trace permanente du passage du<br />

spectateur. <strong>Le</strong>s Tableaux-<strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> ce sens, sont amnésiques.<br />

Avec la série <strong>de</strong>s oggeti in meno (fig12), les objets en moins qu’il a réalisé<br />

entre 1965 et 1966, <strong>Pistoletto</strong> continue d’explorer l’idée <strong>de</strong> la représentation du temps.<br />

Cette fois-ci il s’aventure à l’intérieur du <strong>miroir</strong> à la manière d’ « Alice au pays <strong>de</strong>s<br />

merveilles » qui rentre <strong>dans</strong> un tiroir pour y découvrir un mon<strong>de</strong> imaginaire et le faire<br />

vivre. Il veut exprimer la notion <strong>de</strong> temps en s’engageant activement <strong>dans</strong> son travail,<br />

c’est-à-dire qu’en essayant d’entrer <strong>dans</strong> la dimension du <strong>miroir</strong>, il tente <strong>de</strong> rendre<br />

active la dimension du temps. Il voudrait <strong>de</strong> la même manière qu’avec son travail<br />

préce<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s en <strong>de</strong>ux dimensions que l’art pénètre <strong>dans</strong> l’espace <strong>de</strong> la réalité<br />

et que le temps réel <strong>de</strong>vienne objet tridimensionnel. De cette manière, chaque objet<br />

serait différent l’un <strong>de</strong> l’autre.<br />

12


Même si les objets en moins ont une forme, un aspect, ils sont conçus <strong>de</strong><br />

manière à ne rien représenter. <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> dit à ce sujet: « À la différence<br />

<strong>de</strong>s tableaux <strong>miroir</strong>s, mes choses d’aujourd’hui ne représentent pas, mais « sont ». »<br />

(18)<br />

Thème du travail<br />

Pour <strong>Pistoletto</strong>, la production sérielle d’œuvres <strong>de</strong>vient une nécessité pour<br />

vivre et agir selon la dimension du temps. Dans l‘art comme <strong>dans</strong> la réalité <strong>de</strong> la vie<br />

quotidienne, la complexité <strong>de</strong>s événements détruit l’idée d’une répétition <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Dans son travail sur les objets en trois dimensions, comme <strong>dans</strong> sa recherche <strong>de</strong><br />

contemplation qu’il avait mis en place avec les Tableaux Miroirs, il cherche à<br />

matérialiser l’évolution <strong>de</strong> chaque instant présent <strong>dans</strong> le temps. Il tente ainsi <strong>de</strong><br />

représenter à travers la réalisation <strong>de</strong> ses objets « l’impossible répétition <strong>de</strong> tout<br />

instant, <strong>de</strong> tout lieu et donc <strong>de</strong> toute action présente. » (19)<br />

D’une manière générale, les artistes du mouvement <strong>de</strong> l’Arte Povera rejoignent<br />

l’idée que l’art exprime les choses simples <strong>de</strong> la vie. En empruntant à la réalité banale<br />

une capacité créatrice, chaque œuvre se façonne différemment et essaye d’exprimer<br />

le goût <strong>de</strong> l’éphémère, <strong>de</strong> l’imperceptible et <strong>de</strong> l’événement qui ne se reproduit jamais<br />

<strong>de</strong> la même manière.<br />

Par la multiplicité et la différenciation <strong>de</strong> ses œuvres, on remarque que<br />

<strong>Pistoletto</strong> ne repense jamais aux oeuvres qu’il a créées la veille et refuse d’anticiper<br />

ce qu’il produira le len<strong>de</strong>main. Car <strong>dans</strong> l’idée qu’il se fait du temps, au moment où il<br />

réalise un objet il doit s’en détacher aussitôt. Ainsi, comme <strong>dans</strong> les tableaux <strong>miroir</strong>s,<br />

on retrouve cette thématique du continuel présent, ou seul le travail <strong>de</strong> capture du<br />

moment présent semble l’intéresser.<br />

D’une manière générale il existe <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> personnalités, celles que<br />

l’on peut suivre à la trace, et celles qui recherchent l’éclectisme, les variations <strong>de</strong><br />

l’expression.<br />

Pour <strong>Pistoletto</strong>, à la différence <strong>de</strong> ses contemporains minimalistes, l’i<strong>de</strong>ntité<br />

artistique n’existe pas. L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’auteur est toujours renouvelée, c’est-à-dire qu’il<br />

se détache <strong>de</strong> toutes i<strong>de</strong>ntités artistiques qu’il a réalisé auparavant. Il l’éprouve d’une<br />

manière personnelle, ce qui ne l’empêche pas <strong>de</strong> rassembler ses objets disparates en<br />

une oeuvre globale d’un artiste en les exposant <strong>dans</strong> un même lieu.<br />

Son emploi du <strong>miroir</strong>, objet banal et neutre que chacun peut acquérir, est un<br />

matériau libéré <strong>de</strong> toute distinction. L’artiste se l’approprie, mais le <strong>miroir</strong> reste objet<br />

pour lui-même qui a sa propre signification.<br />

13


Thème <strong>de</strong> la libération<br />

<strong>Le</strong> thème <strong>de</strong> la libération est un moteur <strong>dans</strong> le travail <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>. Il ne<br />

considère pas la réalisation d’une œuvre comme une construction mais comme une<br />

libération. Il déci<strong>de</strong> ainsi <strong>de</strong> ne pas suivre la ligne directrice habituelle. Sa vocation est<br />

beaucoup plus subversive, c’est-à-dire qu’il va à l’encontre <strong>de</strong> la monumentalité<br />

traditionnelle d’une œuvre d’art. <strong>Le</strong>s objets en moins ont <strong>de</strong>s proportions domestiques<br />

et évoquent <strong>de</strong>s activités banales.<br />

Grâce à la manipulation d’objets quotidiens, il se donne une liberté. Une liberté<br />

qui lui permet <strong>de</strong> ne pas considérer chaque objet conçu comme un objet en plus, mais<br />

comme un objet qu’il n’a plus besoin d’inventer, signifiant ainsi un objet en moins à<br />

produire.<br />

L’artiste clarifie son idée: « Mes oeuvres ne sont pas <strong>de</strong>s constructions ou <strong>de</strong>s<br />

fabrications <strong>de</strong> nouvelles idées, tout comme elles ne veulent être <strong>de</strong>s objets qui me<br />

représentent, auquel on impose quelque chose et par lequel je m’impose aux autres.<br />

Ce sont <strong>de</strong>s objets à travers lesquels je me libère <strong>de</strong> quelque chose. Ce ne sont pas<br />

<strong>de</strong>s constructions mais <strong>de</strong>s libérations. Je ne les considère pas comme <strong>de</strong>s objets en<br />

plus mais comme <strong>de</strong>s objets en moins, au sens où ils s’accompagnent d’une<br />

expérience perceptive qui a été définitivement extériorisée. » (20)<br />

Sa philosophie veut que la réalisation <strong>de</strong> chaque objet soit une expérience<br />

libératrice. Il s’approprie <strong>de</strong>s objets et les met en scène, créant au jour le jour <strong>de</strong>s<br />

objets à partir <strong>de</strong> faits ou d’événements particuliers qui le marquent. Son originalité se<br />

trouve <strong>dans</strong> l’attention qu’il porte aux choses simples <strong>de</strong> la vie banale et les « libère »<br />

<strong>de</strong> leur fonction première pour leur donner une nouvelle signification.<br />

<strong>Pistoletto</strong> voit la création <strong>de</strong>s objets en moins comme une soustraction <strong>dans</strong> la<br />

création du mon<strong>de</strong>. Contrairement à d’autres artistes qui en produisant <strong>de</strong>s oeuvres<br />

assistent à une naissance, une chose en plus <strong>dans</strong> le répertoire <strong>de</strong> leur oeuvre,<br />

<strong>Pistoletto</strong>, par engagement politique aussi, a la volonté anti-consommatrice <strong>de</strong> ne pas<br />

surcharger la production contemporaine.<br />

<strong>Pistoletto</strong> ne cherche pas à copier d’autres œuvres ou artistes, au contraire, il<br />

leur enlève la possibilité <strong>de</strong> copier en cherchant à rendre les objets uniques. Ainsi, en<br />

renvoyant directement sa production à la postérité, il entend donner une personnalité<br />

à chaque objet afin <strong>de</strong> les rendre unique. Tout comme chaque homme est différent,<br />

ne pouvant pas être produit en série. Plus profondément encore, <strong>Pistoletto</strong> évite que<br />

lui-même ne s’inspire <strong>de</strong> sa propre production, ne construisant pas <strong>de</strong> moule pour les<br />

objets, pas <strong>de</strong> canon pour son style.<br />

<strong>Le</strong>s objets en moins sont nés pour différentes raisons. Par exemple, la<br />

structure pour bavar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>bout (fig13), 1965-66 est née lors d’un vernissage <strong>dans</strong><br />

une galerie. <strong>Pistoletto</strong> remarque que les gens <strong>de</strong>bout s’appuyaient contre le mur et le<br />

salissait avec leurs pieds. Ainsi à la fin <strong>de</strong> la fête, les murs blancs portaient un <strong>de</strong>ssin<br />

14


d’après lequel l’idée lui est ainsi venue <strong>de</strong> créer un point d’appui avec <strong>de</strong>s barres en<br />

acier à bonne hauteur pour se soutenir.<br />

Il y a aussi Puit carton et <strong>miroir</strong> (fig14), 1966. L’idée lui est venue à un moment<br />

ou l’artiste déroulait du carton ondulé et <strong>dans</strong> l’élan qui le poussait à faire quelque<br />

chose, il s’est rendu compte que le carton tenant <strong>de</strong>bout évoquait un puit.<br />

L’impression était plus forte encore lorsqu’en s’éloignant, il se rendait compte qu’il ne<br />

voyait pas le fond et était attiré à voir ce qui s’y passait. Il plaça un <strong>miroir</strong> au fond pour<br />

suggérer l’eau.<br />

Par la suite, <strong>Pistoletto</strong> va s’approprier le thème du puit et en développer<br />

différentes variantes <strong>dans</strong> ses puits <strong>miroir</strong>s (fig15),1966, formés <strong>de</strong> <strong>miroir</strong>s arrondis<br />

posés sur le sol. On trouve toujours cette métaphore <strong>de</strong> l’eau, une illusion <strong>de</strong> l’eau, qui<br />

comme <strong>dans</strong> le mythe <strong>de</strong> Narcisse nous incite au passage <strong>dans</strong> l’au-<strong>de</strong>là, à plonger<br />

<strong>dans</strong> le néant. Contrairement aux Tableaux <strong>miroir</strong>s où le <strong>miroir</strong> avait pour fonction <strong>de</strong><br />

support, <strong>Pistoletto</strong> utilise ici le <strong>miroir</strong> <strong>de</strong> manière illusionniste en lui donnant un sens<br />

métaphorique.<br />

<strong>Le</strong>s Oggeti in meno sont exposés pour la première fois en janvier 1966, chez<br />

l’artiste, <strong>dans</strong> son atelier à Turin. <strong>Le</strong>s objets sont réunis en un même lieu, mais tous<br />

sont indépendants les uns <strong>de</strong>s autres et portent, comme on l’a vu précé<strong>de</strong>mment, un<br />

titre spécifique.<br />

L’ensemble <strong>de</strong>s objets en question ne porte pas d’emblée le titre oggetti in<br />

meno, le nom lui sera attribué par la suite.<br />

<strong>Pistoletto</strong> aimerait que le spectateur en déambulant entre les oeuvres, puisse<br />

revivre instantanément les différents moments <strong>de</strong> son expérience, <strong>de</strong> sa participation<br />

active pour chaque objet en moins et ressentir les diverses émotions qu’il ressentait<br />

en créant. L’artiste, comme <strong>dans</strong> la série <strong>de</strong>s autoportraits, se met en scène et<br />

recherche profondément une interaction avec le spectateur. Cette thématique,<br />

<strong>Pistoletto</strong> va l‘approfondir avec sa compagnie <strong>de</strong> théâtre, « le Zoo » où les comédiens<br />

recherchent ensemble une synergie, une communication, une interrelation entre eux.<br />

Entre une œuvre et une autre, il existe une distance temporelle importante pour<br />

l’artiste. <strong>Le</strong> spectateur passe physiquement entre les objets, mais il vit aussi une suite<br />

d’expériences liées aux différents moments vécus par l’artiste. Entouré <strong>de</strong>s objets en<br />

moins, le spectateur expérimente le lieu et semble perdre la mémoire : « lorsqu’on est<br />

figé <strong>dans</strong> le moment présent, on a la sensation que le moment précé<strong>de</strong>nt est déjà<br />

loin. » (21) <strong>Le</strong>s <strong>miroir</strong>s réfléchissent une impression similaire, cette idée que chaque<br />

moment ne ressemble jamais au moment d’avant.<br />

Comme <strong>dans</strong> ses travaux <strong>de</strong> <strong>miroir</strong>s, <strong>Pistoletto</strong> est intéressé par la sensibilité<br />

du spectateur face à l’œuvre et par le développement <strong>de</strong> ses facultés <strong>de</strong> perspective.<br />

<strong>Pistoletto</strong> reprend <strong>dans</strong> ses œuvres à <strong>de</strong>ux dimensions. L’idée d’Alberti qui interprète<br />

la fenêtre comme perspective sur l’extérieur. L’artiste emploie le <strong>miroir</strong> et joue sur son<br />

15


effet <strong>de</strong> multiplication <strong>de</strong>s perspectives. L’assemblage <strong>de</strong>s objets en moins <strong>dans</strong> le<br />

même lieu, offre <strong>de</strong>s perceptions multiples où le corps est comme projeté sur les<br />

objets.<br />

<strong>Le</strong>s oeuvres dialoguent, mais ne s’affaiblissent pas entre elles. À nouveau il ne<br />

s’agit pas pour <strong>Pistoletto</strong> <strong>de</strong> s’inspirer <strong>de</strong> ses propres œuvres. L’exposition ne tient<br />

pas <strong>dans</strong> l’idée d’une rétrospective, mais comporte le sens <strong>de</strong> confrontation et <strong>de</strong><br />

tensions nouvelles qui peuvent surgirent entre les œuvres. Dans une gran<strong>de</strong> pièce<br />

vi<strong>de</strong>, les oeuvres conçues <strong>dans</strong> la contingence <strong>de</strong> l’exécution <strong>de</strong> l’objet, sont placés<br />

<strong>de</strong> façon précise et il en émane une forte tension. On chemine, on évolue entre les<br />

objets <strong>de</strong> formes différentes qui nous racontent chacun sa propre histoire.<br />

L’infini : <strong>Le</strong> mètre cube d’infini<br />

<strong>Pistoletto</strong>, avec les objets en moins, nous fait participer à l’expérience <strong>de</strong> nous<br />

mouvoir entre les œuvres et comme nous allons le voir, parfois même pénétrer <strong>dans</strong><br />

l’œuvre. <strong>Le</strong> mètre cube d’infini (fig16), 1966, est un objet fermé sur lui-même. Il s’agit<br />

d’un cube opaque d’un mètre <strong>de</strong> côté, formé <strong>de</strong> six surfaces ficelées les unes aux<br />

autres qui se prolongent <strong>de</strong> quelques centimètres à l’extérieur du cube. Ces surfaces<br />

semblent peut-être provenir <strong>de</strong>s Tableaux <strong>miroir</strong>s, elles sont comme assemblées<br />

ensemble provisoirement. Une face miroitante et l’autre opaque, on remarque ainsi<br />

qu’à l’intérieur du cube, les surfaces sont réfléchissantes. De la même manière<br />

qu’avec certains Tableaux <strong>miroir</strong>s où les figures ont <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> corps tronqués,<br />

l’espace du mètre cube d’infini semble se prolonger indéfiniment et ne pas se limiter à<br />

l’espace donné. L’objet correspond à peu près à la dimension <strong>dans</strong> laquelle un<br />

humain peut s’insérer.<br />

<strong>Pistoletto</strong> parle <strong>de</strong> cette œuvre comme le premier <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l'espace (le niveau<br />

un), un mètre sur un mètre sur un mètre. <strong>Le</strong>s <strong>miroir</strong>s délimitent un espace entre eux et<br />

cet espace se multiplie à l’infini. L’effet miroitant <strong>dans</strong> le cube n’est donc pas visible,<br />

on entre <strong>dans</strong> l’intimité <strong>de</strong> l’œuvre exclusivement avec l’imagination.<br />

C’est l’imagination qui donne une dimension métaphysique à cette œuvre. La<br />

dimension n’est pas perçue <strong>dans</strong> un sens religieux car l’artiste rejette la religion qui<br />

fait partie à son avis d’un système politique qui organise la spiritualité. En revanche, il<br />

pense que l’art peut nous libérer et apporter une profon<strong>de</strong>ur à l’esprit. Selon cette<br />

considération, les icônes, à travers l'imagination, emportent le croyant vers les<br />

hauteurs <strong>de</strong>s cieux. <strong>Le</strong> Mètre cube d'infini, lui aussi fonctionne comme un portail, il<br />

nous envoie vers <strong>de</strong>s lieux cosmiques, aux frontières <strong>de</strong> notre perception. Vers le<br />

Paradis? Vers les limites <strong>de</strong> l'univers?<br />

L’œuvre semble contenir l’univers en son sein. Un univers propre à chacun <strong>de</strong><br />

nous. Une gran<strong>de</strong> concentration d’énergie émane <strong>de</strong> cette œuvre et l’on peut en<br />

comprendre une substance spirituelle. On retrouve à nouveau le premier élan créateur<br />

16


<strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>, lorsque <strong>dans</strong> l’Autoportrait en or, en peignant son image sur une<br />

substance sublimée rappelant l'espace cosmique, il se construit sa propre icône.<br />

Mais avec le mètre cube d’infini, on dépasse le tableau, la fenêtre albertienne. Une<br />

fois <strong>de</strong> plus, l’artiste, à travers son art, essaye d’exprimer l’idée du cosmos. <strong>Pistoletto</strong><br />

produit une machine, « une Pierre Noire » (mot utilisé <strong>dans</strong> tout ce qui il y a <strong>de</strong> plus<br />

mystique <strong>dans</strong> ce concept, du caillou du même nom <strong>de</strong> la Kaaba à Mecque jusqu'au<br />

bloc <strong>de</strong> granit <strong>dans</strong> "Space Odissey" <strong>de</strong> Kubrick) nous permettant <strong>de</strong> faire un voyage<br />

aller-retour vers les frontières <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là.<br />

L’objet est impénétrable physiquement et comme le souligne l’artiste, « en<br />

mettant le nez <strong>de</strong><strong>dans</strong>, la dimension <strong>de</strong> ce qui se produirait à l’intérieur se serait<br />

altérée et le travail aurait changé ». Il s’agit avec cette œuvre, <strong>de</strong> rentrer à l’intérieur<br />

avec l’esprit. <strong>Le</strong> spectateur côtoie un objet qui exprime l’infini.<br />

Cette œuvre est une création issue <strong>de</strong> l’élan créateur <strong>de</strong> la série <strong>de</strong>s objets en<br />

moins, elle ouvre une autre brèche <strong>de</strong> recherche pour <strong>Pistoletto</strong>. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> rencontrant<br />

son double, se détache <strong>de</strong> la figure humaine, et donne lieu à une série <strong>de</strong> propriétés.<br />

Quand <strong>de</strong>ux <strong>miroir</strong>s se rencontrent, ils se multiplient, jusqu’à l’infini. Cette rencontre<br />

mène <strong>Pistoletto</strong> vers <strong>de</strong> nouvelles réflexions dirigées vers la recherche <strong>de</strong>s outils qui<br />

ai<strong>de</strong>nt à mieux comprendre et représenter le mon<strong>de</strong>.<br />

L’infini : division et multiplication du <strong>miroir</strong><br />

<strong>Le</strong>ibniz théorise que la perception <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong> grand est rendu<br />

possible par la somme d’une infinité <strong>de</strong> petites perceptions dont on ne se rend pas<br />

compte. Il argumente que « Il y a mille marques, qui font juger qu’il y a à tout moment<br />

une infinité <strong>de</strong> perceptions en nous, mais sans aperceptions et sans réflexion, c’est-àdire<br />

<strong>de</strong>s changements <strong>dans</strong> l’âme même dont nous ne nous apercevons pas » (22)<br />

<strong>Le</strong>ibniz parle ainsi du “presque rien”, <strong>de</strong>s états d’âmes qui passent inaperçus, la<br />

somme <strong>de</strong>squels définit une sensation <strong>dans</strong> un moment précis. Cette considération <strong>de</strong><br />

la divisibilité et constitution d’un objet en une infinité <strong>de</strong> parties est une <strong>de</strong>s bases <strong>de</strong><br />

la pensée infinitésimale <strong>de</strong> <strong>Le</strong>ibniz et sera utilisée <strong>dans</strong> le travail <strong>de</strong> division du <strong>miroir</strong>.<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> tel que pensé par <strong>Pistoletto</strong> partage <strong>de</strong>s caractéristiques avec la mona<strong>de</strong><br />

leibnizienne qui est une constante, une unité éternelle, in<strong>de</strong>structible, immuable créée<br />

par Dieu. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong>, grâce à sa caractéristique physique, ne change pas<br />

qualitativement sa propriété même si elle est coupée ou cassée. Il est immuable en<br />

quelque sorte. Ce qui caractérise la mona<strong>de</strong> c’est non seulement le fait qu’elle est une<br />

unité irréductible mais aussi qu’elle a la capacité <strong>de</strong> contenir une sorte d’ADN <strong>de</strong><br />

l’univers. <strong>Le</strong>s mona<strong>de</strong>s s’organisent <strong>dans</strong> une harmonie pré-établie par Dieu, chaque<br />

mona<strong>de</strong> étant un petit <strong>miroir</strong> <strong>de</strong> l’univers. Selon le modèle leibnizien, l’univers,<br />

divisible à l’infini, est donc constitué d’unités qui le reflètent. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> imprime <strong>de</strong><br />

façon instantanée une image, le <strong>miroir</strong> a une “mémoire momentanée”, fugitive, pour<br />

utiliser les propres paroles <strong>de</strong> <strong>Le</strong>ibniz. « Per me esiste un solo specchio, diviso e qui<br />

moltiplicato in quanti specchi si possono trovare. » (23)<br />

17


<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> donne à voir le mon<strong>de</strong>, mais figé sur le mur, il reflète le<br />

mon<strong>de</strong> d’un unique point <strong>de</strong> vue. Si on le réoriente, il reflétera le mon<strong>de</strong> sous un autre<br />

angle <strong>de</strong> vue. Ce procédé se complexifie quand les <strong>miroir</strong>s croisent leurs reflets. On le<br />

sait par notre expérience, car on s’est souvent amusé à jouer avec <strong>de</strong>ux <strong>miroir</strong>s pour<br />

amplifier notre regard. On n’a par contre jamais pensé que l’ajustement d’une infinité<br />

<strong>de</strong> <strong>miroir</strong>s peut amplifier notre regard à l’infini, nous permettant ainsi <strong>de</strong> voir tout angle<br />

<strong>de</strong> l’univers en simultané. <strong>Le</strong>ibniz écrit : « […] Cette liaison ou cet accommo<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

toutes les choses créées à chacune et <strong>de</strong> chacune à toutes les autres, fait que<br />

chaque substance simple a <strong>de</strong>s rapports qui expriment toutes les autres, et qu’elle est<br />

par conséquent un <strong>miroir</strong> vivant perpétuel <strong>de</strong> l’univers. » (24)<br />

Pour <strong>Le</strong>ibniz, cet accommo<strong>de</strong>ment est décrit comme un « accord » ou encore<br />

comme une « sympathie ». <strong>Le</strong>s <strong>miroir</strong>s ont donc potentiellement la possibilité <strong>de</strong> tout<br />

révéler.<br />

Travaillant instinctivement la matière du <strong>miroir</strong>, <strong>Pistoletto</strong> s’aperçut qu’en<br />

fragmentant la matière, elle ne perdait ni sa valeur, ni sa fonction. Chaque morceau<br />

reflète pareillement le mon<strong>de</strong> qui l’entoure et provient d’un seul et même <strong>miroir</strong>.<br />

Comme une fractale, c’est-à-dire que le tout est semblable à l'une <strong>de</strong> ses parties.<br />

Quelle que soit l’échelle a laquelle on observe le <strong>miroir</strong>, l’aspect ne se modifie pas.<br />

Cette propriété du <strong>miroir</strong>, <strong>Pistoletto</strong> l’expérimente avec une série d’œuvres dont la<br />

plus exemplaire est « <strong>Le</strong> <strong>de</strong>ssin du <strong>miroir</strong> » (fig17), 1973-1979. Des <strong>miroir</strong>s <strong>de</strong><br />

différentes tailles et différentes formes sont groupés et appuyés contre un mur. La<br />

mise en forme <strong>de</strong> cette œuvre rappelle le lieu <strong>de</strong> création, un atelier ou une exposition<br />

en preparation. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> n’est plus considéré ici comme un lieu d’inscription pictural,<br />

mais comme un objet-<strong>miroir</strong>.<br />

<strong>Pistoletto</strong> introduit un nouvel élément, le cadre. Est-ce un retour au concept <strong>de</strong><br />

la « fenêtre albertienne » ? La fonction du cadre est double. D’une part, le cadre isole<br />

le <strong>miroir</strong> <strong>de</strong> la réalité, le rendant un « objet à observer», d’autre part il donne au <strong>miroir</strong><br />

une limite, une forme, il le cristallise. <strong>Pistoletto</strong> divise et par ce fait multiplie le <strong>miroir</strong><br />

puis l’expose. La fenêtre et la porte sont <strong>de</strong>s ouvertures « réelles » qui donnent à voir<br />

un spectacle. En revanche, le <strong>miroir</strong>, lui, donne à voir une image sur une surface<br />

réfléchissante. C’est donc la notion <strong>de</strong> support, qui lie le <strong>miroir</strong> et le tableau peint.<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> participe <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, c’est-à-dire qu’il crée un espace et est également<br />

un support, une surface ou s’inscrit une représentation. Toutefois, les motifs <strong>de</strong><br />

l’ouverture, du reflet et du tableau <strong>dans</strong> le tableau ont essentiellement un point<br />

commun : le cadre.<br />

<strong>Le</strong> tableau est un objet <strong>de</strong> regard, le cadre contribue à l’exposition d’une œuvre<br />

et fait partie <strong>de</strong>s accessoires propres au tableau. Il sert d’autre part à neutraliser<br />

l’environnement et canaliser la vision. <strong>Le</strong> spectateur passe par ce simple moyen <strong>de</strong> la<br />

vision à la contemplation.<br />

18


Peut-être l’ensemble <strong>de</strong>s formes vient directement <strong>de</strong> la découpe d’un <strong>miroir</strong><br />

encore plus grand, et le cadre souligne cette découpe. Quoi qu’il en soit, les morceaux<br />

<strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s se retrouvent avec <strong>de</strong>s formes et proportions diverses: carrés, circulaires,<br />

rectangulaires; posés <strong>de</strong> façon variée: couchés, en verticale, en diagonale ; avec <strong>de</strong>s<br />

dimensions différentes. En plus, <strong>de</strong>s formes d’origine sont encore découpées,<br />

certaines en <strong>de</strong>ux et d’autres <strong>dans</strong> un angle, témoignant <strong>de</strong> l’unité dont elles sont<br />

issues.<br />

Tout cela pour ne démontrer qu’une chose: la surface <strong>de</strong> chaque morceau,<br />

indépendamment <strong>de</strong> sa forme, s’obstine à refléter impitoyablement la réalité, au point<br />

que <strong>dans</strong> « L’architecture du <strong>miroir</strong> » les quatre morceaux soigneusement posé sur le<br />

mur à <strong>de</strong>s angles égaux, se lisent comme un grand <strong>miroir</strong> déchiré en trois endroits.<br />

« <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> que l’on trouve <strong>dans</strong> chaque foyer peut refléter l’humanité, car le<br />

<strong>miroir</strong> que chacun utilise est déjà le grand <strong>miroir</strong> divisé multiplié. Chacun a une œuvre<br />

d’art chez soi : le <strong>miroir</strong>. » (25)<br />

<strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> reflète le mon<strong>de</strong> qui l’entoure, mais ne se reflète jamais lui-même, il<br />

ne se reconnaît jamais. En mettant face à face <strong>de</strong>ux <strong>miroir</strong>s, ils se regar<strong>de</strong>nt et<br />

<strong>de</strong>viennent l’univers même, c’est-à-dire qu’ils regar<strong>de</strong>nt l’infini. <strong>Pistoletto</strong> expérimente<br />

cet effet <strong>de</strong> refléter un <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> un autre. Ce procédé est à l’origine <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong><br />

La cage <strong>miroir</strong> (fig19). C’est précisément au moment où il expérimente « le matériau<br />

<strong>miroir</strong> » qu’il atteint son plus haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> mysticisme. <strong>Pistoletto</strong> construit et utilise<br />

son œuvre comme illustration et représentation <strong>de</strong> l’univers. Pour lui, le <strong>miroir</strong> est un<br />

symbole <strong>de</strong> totalité, une mona<strong>de</strong> leibnizienne, grâce à sa capacité <strong>de</strong> reproduire tout<br />

<strong>de</strong> façon i<strong>de</strong>ntique. <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong>, conteneur <strong>de</strong> toute chose, ne se contient pas soi-même.<br />

Selon <strong>Pistoletto</strong>, Il est proche du concept du 0 en mathématique. <strong>Le</strong> 0 est un concept<br />

divisible en + infini et - infini, <strong>de</strong>ux contraires qui donnent lieu à la création : « Pour<br />

créer il faut être <strong>de</strong>ux. » (26)<br />

De la même façon, le <strong>miroir</strong> divisé a la capacité <strong>de</strong> multiplier le reflet à l’infini. À<br />

travers la cage <strong>miroir</strong>, <strong>Pistoletto</strong> indique que selon lui la création n’est pas une<br />

multiplication, mais une soustraction, l’univers ne s’est pas multiplié, mais comme le 0,<br />

comme le <strong>miroir</strong>, le conteneur primordial <strong>de</strong> l’univers s’est divisé pour générer la<br />

matière, l’espace et le temps. <strong>Pistoletto</strong> prend comme exemple la division cellulaire, et<br />

comment par sa division elle produit graduellement un corps. Entre les concepts <strong>de</strong><br />

division et multiplication, la multiplication du <strong>miroir</strong> est pour <strong>Pistoletto</strong> également un<br />

paradigme <strong>de</strong>s valeurs sociales auxquelles il croit. Pour lui une société doit se baser<br />

sur le partage, sur la partition entre les hommes, ce qui donnera naissance, comme<br />

<strong>dans</strong> le cas <strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s, à une multiplication d’une autre nature, spirituelle. Il croit à<br />

une société du partage, et non celle <strong>de</strong> la multiplication, <strong>de</strong> l’accumulation, telle que<br />

montrée par le Pop Art.<br />

Cette manière <strong>de</strong> penser l’art n’est pas nouvelle. Il s’agit d’une réactualisation<br />

d’un principe bien connu <strong>de</strong> la Renaissance, celui <strong>de</strong> construire l’art à l’image du<br />

19


mon<strong>de</strong>: l’art se ressource par la vie. <strong>Le</strong> nombre d’or, la perspective, « L’uomo<br />

quadrato », sont <strong>de</strong>s principes mesurables inspirés par la nature.<br />

<strong>Le</strong>s cages <strong>miroir</strong>s (fig19) sont une suite d’objets posés sur le sol. Ils sont<br />

composés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>miroir</strong>s tenus à la vertical par une structure métallique qui rappelle<br />

une cage. Selon l’angle d’ouverture <strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s, on peut avoir un nombre <strong>de</strong> reflets <strong>de</strong><br />

3, 6,12 jusqu’à l’infini. <strong>Le</strong>s objets sont montrés en série, le <strong>de</strong>rnier étant celui qui<br />

représente l’infini. Si <strong>dans</strong> les autres objets on peut voir l’espace reflété <strong>dans</strong> les<br />

<strong>miroir</strong>s, <strong>dans</strong> le <strong>de</strong>rnier objet, à la manière du mètre cube d’infini, on ne peut rentrer<br />

que par l’imagination. La notion <strong>de</strong> l’infini est abstraite, irréelle, une notion qu’on<br />

n’arrive pas à vivre physiquement. Peut-être arrive-t-on à nos limites <strong>de</strong> la<br />

compréhension. On est face à <strong>de</strong>s concepts, à <strong>de</strong>s imaginations qui illustrent<br />

vaguement une situation impossible d’être vécue. La <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s cages <strong>miroir</strong>s ainsi<br />

que le mètre cube d’infini, enferment un précieux savoir que nous ne voyons pas<br />

directement. On peut traduire cette idée par la frustration <strong>de</strong> la condition humaine.<br />

Épilogue<br />

Une année après la réalisation du mètre cube d’infini <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>, Lucio Fabro<br />

réunit lui aussi la « matière <strong>miroir</strong> » et le thème du cube <strong>dans</strong> son œuvre, le cubo<br />

specchiatto (fig20) (1967-75). Il est intéressant <strong>de</strong> rapprocher ses <strong>de</strong>ux œuvres et <strong>de</strong><br />

discerner la position <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux artistes face au <strong>miroir</strong> et à l’espace créé par<br />

le cube.<br />

<strong>Le</strong> Cubo specchiatto est construit par <strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s internes et externes, construit<br />

selon la hauteur et la largeur <strong>de</strong> l’artiste, créant ainsi un espace personnel en son<br />

sein.<br />

Lors du vernissage, un acteur, placé à l’intérieur du cube récite un texte. Son<br />

corps est démultiplié à l’infini par le face à face <strong>de</strong>s <strong>miroir</strong>s et le renvoie à sa propre<br />

solitu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> public entend la voix d’une personne à travers le plan du <strong>miroir</strong>, mais ne<br />

voit pas où elle naît. Il y a seulement le son <strong>de</strong> la voix qui fasse le lien entre l’intérieur<br />

et l’extérieur du cube. <strong>Le</strong> spectateur s‘interroge sur le contenu mais aussi sur la nature<br />

<strong>de</strong> l’espace. Devant la surface du <strong>miroir</strong>, le spectateur se projette à l’interieur et suit la<br />

voix à travers le <strong>miroir</strong>, tout comme Alice. Fabro parvient à donner l’illusion d’un<br />

espace spéculaire pénétrable par la seule voix d’un homme. Il crée un échantillon du<br />

mon<strong>de</strong> impénétrable du <strong>miroir</strong>.<br />

À l’extérieur, les spectateurs, invités à s’asseoir tout autour du cube, se<br />

reflètent sur chaque face. <strong>Le</strong>s <strong>miroir</strong>s réfléchissent l’environnement extérieur tout en<br />

masquant ce qui se trouve à l’intérieur d’eux-mêmes. <strong>Le</strong> visible et l’invisible, l’un et le<br />

multiple, se côtoient. L’œuvre <strong>de</strong> Fabro ne donne pas à voir un seul point <strong>de</strong> vue, il<br />

invite le regar<strong>de</strong>ur à se déplacer. Comme chez <strong>Pistoletto</strong>, l’interaction entre l’œuvre et<br />

le spectateur est essentielle. L’objet artistique s’enrichit par la perception, l’expérience<br />

20


qu’il suscite. Ainsi, l’œuvre incite chacun <strong>de</strong> nous à créer son propre mon<strong>de</strong>, sa<br />

propre histoire. « S’emparer du mon<strong>de</strong>, dit-il, c’est une formule abstraite peut-être.<br />

Mais cela veut dire ouvrir une brèche par où pourront passer tous ceux qui sont<br />

disposés à le faire. » (27)<br />

Lucio Fabro nomme sa réalisation «théâtre visible et sonore». En intégrant le<br />

son, il brise le silence et la solitu<strong>de</strong> du mètre cube d’infini. D’une part, il réalise, en<br />

insérant un homme <strong>dans</strong> le cube, le fantasme <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> d’être contenu <strong>dans</strong> l’infini,<br />

<strong>dans</strong> l’univers du <strong>miroir</strong> au côté d’Alice. D’autre part, Fabro met dos-à-dos <strong>de</strong>ux<br />

<strong>miroir</strong>s, il crée un objet autonome qui a une épaisseur. <strong>Pistoletto</strong> utilise le <strong>miroir</strong><br />

comme support. En effet, le <strong>miroir</strong> <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> a <strong>de</strong>ux faces l’une miroitante et l’autre<br />

opaque, celle qui normalement est contre le mur. Dans le mètre cube d’infini l’espace<br />

<strong>de</strong> représentation se situe à l’intérieur du cube, le spectateur se projette <strong>dans</strong> le cube.<br />

Pour le Cubo specchiatto, l’espace <strong>de</strong> représentation se situe en même temps <strong>dans</strong> le<br />

cube, mais il intègre également l’espace <strong>de</strong> vie. La surface extérieure du cube est une<br />

interface, une porte. On peut donc en déduire que le Cubo specchiatto intègre à la foi<br />

l’œuvre <strong>de</strong>s Tableaux-<strong>miroir</strong> et le mètre cube d’infini <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>.<br />

<strong>Pistoletto</strong>, en prolongeant <strong>de</strong> quelques centimètres la surface du <strong>miroir</strong> du<br />

mètre cube d’infini, semble pressentir cette double orientation du <strong>miroir</strong> vers l’intérieur<br />

et l’extérieur, l’espace <strong>de</strong> vie.<br />

En guise <strong>de</strong> conclusion : <strong>Le</strong> Rétrocube d’infini<br />

<strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> commence par peindre sa propre image, son<br />

autoportrait. C’est par l’homme qu’il commence. Il est d’ailleurs plus compliqué <strong>de</strong> dire<br />

jusqu’où exactement il ira <strong>dans</strong> sa recherche, car en ce moment même, son œuvre<br />

est toujours en <strong>de</strong>venir.<br />

<strong>Pistoletto</strong> commence par se refléter <strong>dans</strong> son tableau. Cette idée comporte une<br />

gran<strong>de</strong> importance <strong>dans</strong> son art, car ce geste fait fusionner <strong>dans</strong> la même image, le<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la représentation et le mon<strong>de</strong> réel, l’art et la vie. Avec les objets en moins,<br />

l’art, la représentation sort <strong>de</strong> la surface du mur et <strong>de</strong>vient spatiale, corporelle.<br />

Diminuant encore une fois le décalage entre art et vie. Avec le travail <strong>de</strong> la division et<br />

la multiplication du <strong>miroir</strong> ainsi qu’avec le mètre cube d’infini, <strong>Pistoletto</strong> abor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

questions plus abstraites. L’artiste développe <strong>de</strong>s théories qui touchent à l’univers, à<br />

l’infini. À première vue, ces œuvres se détachent <strong>de</strong> la dimension humaine, mais en<br />

réalité, elles en font partie intégrante.<br />

<strong>Le</strong> travail <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong> est continu et répond à une problématique qui s’inspire<br />

<strong>de</strong> la condition humaine. Il s’intéresse à l’homme et son rapport au mon<strong>de</strong>, et oscille<br />

entre le particulier et l’universel.<br />

21


Il est intéressant <strong>de</strong> voir que <strong>Pistoletto</strong> trouve avec le mètre cube d’infini la<br />

limite <strong>de</strong> sa recherche. Une limite physique qui est l’infini. Interpellé par le travail du<br />

cubo specchiatto <strong>de</strong> Lucio Fabbro qui reprend et réinterprète cette œuvre, <strong>Pistoletto</strong><br />

fait un corollaire du mètre cube d’infini, le rétrocube d’infini (fig21).<br />

En 1994, à Munich, <strong>dans</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> rentrer physiquement <strong>dans</strong> l’œuvre,<br />

un groupe d’intervenants, dont <strong>Pistoletto</strong> prennent leurs massues et détruisent<br />

sauvagement l’œuvre. Elle éclate alors en milles morceaux, éparpillés <strong>dans</strong> la salle<br />

d’exposition. <strong>Le</strong>s conséquences sont multiples.<br />

Premièrement, la fragilité <strong>de</strong> l’œuvre est mise ainsi en valeur et une autre<br />

forme d’infini est produite. Un infini matériel, l’infini <strong>de</strong> la division <strong>de</strong> la matière.<br />

Deuxièmement, le concept <strong>de</strong> l’infini est plus fort que la matière, car il persiste<br />

même après la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> l’œuvre.<br />

Finalement, on peut dire que la <strong>de</strong>struction du cube est un geste presque<br />

shamanique. Un geste qui essaye <strong>de</strong> libérer une possible énergie, une possible<br />

substance cosmique renfermée par les six faces miroitantes du cube. Ces faces se<br />

projettent l’une l’autre jusqu’à l’infini, jusqu’aux limites <strong>de</strong> l’univers et l’artiste s’imagine<br />

qu’elles ont peut-être acquis une connaissance précieuse, que l’être humain cherche<br />

en vain <strong>de</strong>puis longtemps. Mais il se peut aussi que cet acte <strong>de</strong> violence face à cet<br />

objet soit l’expression <strong>de</strong> la frustration <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> ne pas pouvoir aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

sa condition humaine. De ne pas avoir accès aux connaissances <strong>de</strong> l’univers.<br />

22


Citations<br />

(1) Umberto Eco, Opera Aperta ,cité <strong>dans</strong> Maïten Bouisset, Arte povera, Paris : Ed. du Regard,<br />

1994, p. 30<br />

(2) ibid., p. 30<br />

(3) Alan Jones, Alighiero e Boetti, cité <strong>dans</strong> Maïten, op. cit., p. 18<br />

(4) Giovanni Lista, Arte povera : dossier, Paris : Association Ligeia, 1998-1999, p. 126<br />

(5) ibid., p. 128<br />

(6) <strong>Pistoletto</strong>, <strong>Le</strong> utime parole famose, 1967, reproduit sur le site: http://pistoletto.it/it/testi.htm<br />

(7) <strong>Pistoletto</strong>, cite par Gilbert Perlein, <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> , catalogue d’exposition à<br />

Nice,MAMAC-Musée d'art mo<strong>de</strong>rne et d'art contemporain, 30.06.2007-4.11.2007, Nice,<br />

MAMAC-Musée d'art mo<strong>de</strong>rne et d'art contemporain, 2007, p. 14<br />

(8) Soko Phay-Vakalis, <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> l’art <strong>de</strong> Manet à Richter, édition l’Harmattan, 2001, p.27<br />

(9) <strong>Pistoletto</strong>, « Il segno d’Arte », catalogue d’exposition, Centre d’art contemporain <strong>de</strong> Thiers et <strong>de</strong><br />

Vassivière, Musée <strong>de</strong> Rouchechouart, Clermont-Ferrand, 1993, p.7.<br />

(10) Soko Phay-Vakalis, <strong>Le</strong> <strong>miroir</strong> <strong>dans</strong> l’art <strong>de</strong> Manet à Richter, édition l’Harmattan, 2001, p.22<br />

(11) Extrait <strong>de</strong> <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong>, <strong>dans</strong> Soko Phay-Vakalis, op. cit., p.136<br />

(12) Extrait <strong>de</strong> <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong>, Mots, Musée départemental <strong>de</strong> Rochechouart, <strong>Le</strong> Creux <strong>de</strong><br />

l’Enfer, Centre d’art contemporain <strong>de</strong> Thiers, Centre d’art contemporain <strong>de</strong> Vassivière en<br />

Limousin, 1993, p.104<br />

(13) Soko Phay-Vakalis, op. cit., p.106<br />

(14) Soko Phay-Vakalis, op. cit., p.20-21<br />

(15) Extrait M. <strong>Pistoletto</strong>, Miroir, in Spiegelbil<strong>de</strong>r, Kunstverein,Hanovre, 1982 cité <strong>dans</strong> Soko Phay-<br />

Vakalis, op. cit., p.140<br />

(16) Extrait <strong>de</strong> <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong>, cite <strong>dans</strong> Soko Phay-Vakalis, op. cit., p.138<br />

(17) ibid, p.56<br />

(18) Ulrich Loock, E<strong>de</strong>lbert Köb, Oggetti in meno, 1965-66, Kunsthalle Bern, p.88<br />

(19) ibid., p.84<br />

(20) <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> , Continenti di tempo = Continents <strong>de</strong> temps, Paris : Réunion <strong>de</strong>s<br />

musées nationaux ; Lyon : Musée d'art contemporain, 2001, p.78<br />

(21) Tiré <strong>de</strong> M. <strong>Pistoletto</strong>, les Objets en Moins, Turin, 1965-1966, reproduit sur le site:<br />

http://www.ciren.org/ciren/formation/lozere/biblio.html<br />

(22) <strong>Pistoletto</strong>, L’art assume la religion, 1978, reproduit sur le site: http://pistoletto.it/it/testi.html<br />

23


(23) <strong>Pistoletto</strong>, Ultime parole famose, 1966, reproduit sur le site: http://pistoletto.it/it/testi.html<br />

(24) <strong>Le</strong>ibniz, Monadologie, 1714, cité <strong>dans</strong> Christias Panagiotis, “Pour un art du presque-rien : l’arte<br />

povera au point <strong>de</strong> vue d’une sociologie du quotidian”, Revista Famecos, no 25, décembre<br />

2004, p.15<br />

(25) Extrait <strong>de</strong> <strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong>, Mots, Musée départemental <strong>de</strong> Rochechouart, <strong>Le</strong> Creux <strong>de</strong><br />

l’Enfer, Centre d’art contemporain <strong>de</strong> Thiers, Centre d’art contemporain <strong>de</strong> Vassivière en<br />

Limousin, 1993, p.72-73<br />

(26) <strong>Pistoletto</strong>, <strong>Le</strong> utime parole famose, 1967, http://pistoletto.it/it/testi.htm<br />

(27) Lucio Fabro, Discorsi, entretien avec Carla Lonzi, novembre 1965, in fabro, entretien/travaux<br />

1963-1986, op. cit.,p.163<br />

24


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25


Articles<br />

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<strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong> ,"Citta<strong>de</strong>llarte e i suoi Uffizi", , http://pistoletto.it/it/testi.htm,<br />

7/04/2008, 1967<br />

<strong>Michelangelo</strong> <strong>Pistoletto</strong>, les Objets en Moins, Turin, 1965-1966.<br />

www.ciren.org/ciren/formation/lozere/biblio.html<br />

26


Illustrations<br />

Immagine-Anno Bianco (Anno Uno, 1981), 1989<br />

Photographie sur bois, 3 pannaux, 370 x 540 cm<br />

Biella, Fondazione <strong>Pistoletto</strong><br />

La fl agelation du Christ, 1450<br />

Piero <strong>de</strong>lla Francesca<br />

tempera sur bois<br />

59 × 81 cm<br />

fi g(2)<br />

fi g(1)


Autoportrait en or, 1960<br />

Huile, acrylique et or sur toile, 200 x 150 cm<br />

Fondazione <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Pellion<br />

<strong>Le</strong> présent, l’autoportrait noir-vernis, 1961<br />

acrylique et verni plastique sur toile, 200 x<br />

150 cm<br />

Fondazione <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Pellion<br />

fi g(4)<br />

fi g(3)


<strong>Le</strong> saut <strong>dans</strong> le vi<strong>de</strong>, 1960<br />

Yves Klein<br />

Fresh widow, 1920<br />

Marcel Duchamps<br />

Bois peint, Cuir 53 cm x 79 cm x 10 cm<br />

fi g(6)<br />

fi g(5)


La fi gure humaine, 1962<br />

Papier vélin peint sur acier inoxydable poli, 200 x 150 cm<br />

Fondazione <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Pellion<br />

Pace, 1962-2007<br />

sérigraphie sur accier inox, 250 x 125 cm<br />

Collezione François Pinault, Venezia<br />

fi g(8)<br />

fi g(7)


Danger <strong>de</strong> mort, 1962-1974<br />

sérigraphie sur acier inoxydable poli,<br />

125 x 230 cm<br />

Fondazione <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Pellion<br />

Deux personnes accoudées, 1962-1973<br />

velina dipinta sur accier inox, 220 x 120 cm<br />

Museum Boijmans van Beuningen, Rotterdam<br />

Foto: P. Bressano<br />

fi g(10)<br />

fi g(9)


Objets en moins, 1965-1966<br />

Studio <strong>de</strong> <strong>Pistoletto</strong>, Turin 1966<br />

Foto: P. Bressano<br />

fi g( 1)<br />

Dessinatrice, 1962-1975<br />

sérigraphie sur accier inox, 2 panneaux,<br />

250 x 125 cm<br />

Foto: P. Pellion<br />

Structure pour parler <strong>de</strong>bout, 1965-1966<br />

Fer verni, 120 x 200 x 200 cm<br />

Fondation <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Bressano<br />

fi g(12) fi g(13)


Puit <strong>miroir</strong>, 1966<br />

<strong>miroir</strong>, 140 cm<br />

Fondation <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Bressano<br />

fi g(15)<br />

fi g(14)<br />

Puit carton et mirroir, 1966<br />

Carton ondulé et <strong>miroir</strong>, 100 x 150cm<br />

Fondation <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Bressano


Mètre cube d’infi ni, 1966<br />

<strong>miroir</strong> et cor<strong>de</strong>s, 120 x 120 x 120 cm<br />

Fondation <strong>Pistoletto</strong>, Biella<br />

Foto: P. Pellion<br />

fi g(16)


<strong>Le</strong> <strong>de</strong>ssin du <strong>miroir</strong>, 1973_79<br />

<strong>miroir</strong> et bois, 250 x 500 cm<br />

fi g(18)<br />

l’architecture du <strong>miroir</strong>, 1990<br />

<strong>miroir</strong> et bois doré - quatre éléments<br />

360 x 200 cm chacun<br />

fi g(17)


fi g(19)<br />

cage <strong>miroir</strong>, 1973-92<br />

mirroir et fer, 130 x 40 x 40 cm<br />

fi g(20)<br />

le cubo specchiatto, 1967-1975<br />

Lucio Fabro


fi g(21)<br />

le retrocube d’infi ni, 1966-94<br />

déstruction - construction<br />

München, Martsall

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