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C U L T U R E 23<br />

«Que feras-tu maint<strong>en</strong>ant ?» de Haroun El Kilani<br />

Un chef-d'œuvre convulsif !<br />

Le Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès est <strong>en</strong>tré <strong>en</strong> compétition avant-hier dans le cadre du 7 e Festival national du<br />

théâtre professionnel, avec la pièce «Que feras-tu maint<strong>en</strong>ant ?» de Haroun El Kilani.<br />

Amine B./Algérie News<br />

Comm<strong>en</strong>çons par la fin : une standing-ovation<br />

ponctuée de hurlem<strong>en</strong>ts<br />

déchaînés durant dix minutes<br />

<strong>en</strong>tières. Le public est <strong>en</strong> extase<br />

au tomber de rideau, subjugué et comme<br />

pris par un vertige t<strong>en</strong>ace.<br />

Certains admett<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> sortant de la salle,<br />

qu'ils n'ont pas compris grand-chose au<br />

texte mais qu'ils ont succombé au génie et à<br />

la puissance de la mise <strong>en</strong> scène. «Il nous <strong>en</strong><br />

a mis plein la vue !», dit un jeune spectateur<br />

<strong>en</strong> évoquant avec ses amis les plus beaux<br />

tableaux de la pièce.<br />

Fragm<strong>en</strong>ts d'<strong>en</strong>fer<br />

Flash-back : «Que feras-tu maint<strong>en</strong>ant<br />

?», écrite et mise <strong>en</strong> scène par Haroun EL<br />

Kilani, a été prés<strong>en</strong>tée avant-hier à la salle<br />

Mustapha Kateb du TNA dans le cadre de la<br />

compétition officielle de ce 7 e FNTP. Au carrefour<br />

des obsessions, le texte se donne tous<br />

les droits, à comm<strong>en</strong>cer par celui de ne pas<br />

nous ménager, de nous harceler à coups de<br />

syncopes littéraires et d'alchimie exist<strong>en</strong>tielle.<br />

Parce que Djellab (campé par<br />

Abdellah Jellab) a refusé de secourir sa voisine<br />

dont l'<strong>en</strong>fant était malade, parce que ses<br />

amis ivres, <strong>en</strong> sortant de chez lui, ont heurté<br />

l'ambulance v<strong>en</strong>ue emm<strong>en</strong>er le gamin à<br />

l'hôpital, parce que tous meur<strong>en</strong>t dans l'accid<strong>en</strong>t<br />

et parce que, <strong>en</strong>fin, tous revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le<br />

hanter chaque nuit, les mots se livr<strong>en</strong>t<br />

bataille pour dire cette folie immin<strong>en</strong>te mais<br />

toujours inaccessible, cette torture quotidi<strong>en</strong>ne<br />

qui t<strong>en</strong>aille les personnages et qui ne<br />

tardera pas à atteindre le public.<br />

L'écriture d'El Kilani est aujourd'hui<br />

connue mais contrairem<strong>en</strong>t à ce qu'on a vu<br />

dans sa précéd<strong>en</strong>te pièce «Le Mur» (2011)<br />

où il y a eu une certaine harmonie formelle,<br />

«Que feras-tu maint<strong>en</strong>ant ?» ose plus de<br />

profondeurs, de dislocation et de déchirures.<br />

Jellab, le moitié-vivant et les fantômes coincés<br />

dans les limbes, dis<strong>en</strong>t et murmur<strong>en</strong>t<br />

cette chose innommable que l'on a rarem<strong>en</strong>t<br />

vue sur les planches algéri<strong>en</strong>nes : la mort !<br />

Mais pour parv<strong>en</strong>ir à scruter cette <strong>en</strong>tité à la<br />

fois difforme et belle, quels vocables, quelles<br />

formules, quelle langue utiliser ? Ri<strong>en</strong> de<br />

mieux qu'une pesanteur sémiotique, souv<strong>en</strong>t<br />

insout<strong>en</strong>able, pour dire l'arrachem<strong>en</strong>t<br />

et l'incurable douleur de chaque personnage.<br />

D'où les décousures, les innombrables<br />

répétitions, l'impression du déjà-vu et du<br />

déjà-<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues par l'auteur<br />

comme seul moy<strong>en</strong> de rester fidèle à l'image<br />

abstraite et vaporeuse que l'on se fait de la<br />

mort. Les sil<strong>en</strong>ces égalem<strong>en</strong>t ont contribué à<br />

cette épouvante orchestrée d'une main de<br />

maître, tout comme la musique, souv<strong>en</strong>t<br />

expérim<strong>en</strong>tale, qui vi<strong>en</strong>t acc<strong>en</strong>tuer cet <strong>en</strong>tredeux<br />

où le supplice règne.<br />

Au-delà des mots : la magie !<br />

La scène est nue et ce sont les comédi<strong>en</strong>s<br />

qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t progressivem<strong>en</strong>t violer cette<br />

virginité spectrale <strong>en</strong> l'emplissant de terre,<br />

d'eau, de farine et de projectiles <strong>en</strong> tous g<strong>en</strong>res.<br />

Les damnés sont viol<strong>en</strong>ts, à l'image de<br />

leur souffrance, tandis que Jellab vit au<br />

rythme de ses hantises, terrassé par les fantômes<br />

de cet <strong>en</strong>fant mort par sa faute, campé<br />

magistralem<strong>en</strong>t par Moussa Lakrout, du<br />

père de celui-ci (Mohamed B<strong>en</strong>bekriti), de<br />

sa mère (Nabila Hijazi) et de ses amis<br />

(Hocine B<strong>en</strong> Smicha et Yacine Jouzi).<br />

Chacun d'eux est le symbole d'une<br />

déchéance, celle de l'amour perdu, de la<br />

consci<strong>en</strong>ce agonisante, de la mère s'insinuant<br />

dans les traits de chaque femme r<strong>en</strong>contrée,<br />

de l'<strong>en</strong>fance assassinée et, <strong>en</strong>fin, du<br />

temps qui coule l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, car dev<strong>en</strong>u complice<br />

de la mort qui, à son tour, scelle une<br />

redoutable alliance avec la folie.<br />

Si le texte <strong>en</strong> arrive à perturber voire<br />

déboussoler l'att<strong>en</strong>tion du spectateur, la<br />

mise <strong>en</strong> scène ne lui laisse aucun répit.<br />

Haroun El Kilani fait preuve d'une technicité<br />

époustouflante qui n'a d'égale que la<br />

beauté des tableaux qu'elle génère. Comme<br />

dans son écriture nerveuse et souv<strong>en</strong>t déjantée,<br />

il semble obsédé par l'exploitation de<br />

toutes les prouesses mécaniques que peut<br />

offrir une scène de théâtre. Le vide inaugural<br />

est alors rempli non pas par des décors mais<br />

par des lumières, des effets sonores, des projections<br />

<strong>en</strong> data-show, des rideaux blancs,<br />

du feu et de l'eau. Il y a une telle exubérance<br />

que cela frôle la sur<strong>en</strong>chère mais on pardonne<br />

très vite quand on voit l'esthétisme<br />

r<strong>en</strong>versant qui arrache au public non seulem<strong>en</strong>t<br />

des applaudissem<strong>en</strong>ts appuyés mais<br />

des cris de jouissance ! Celle-ci atteint son<br />

comble lorsque les projecteurs du TNA desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

sur scène et manqu<strong>en</strong>t d'écraser le<br />

comédi<strong>en</strong> Abdellah Jellab affalé dans une<br />

baignoire. Par un tour de passe-passe technique,<br />

on verra après extinction des lumières<br />

les deux phares d'une voiture, celle qui a<br />

tué l'<strong>en</strong>fant Moussa et les amis de Jellab !<br />

«Que feras-tu maint<strong>en</strong>ant» est de ce<br />

point de vue plus qu'une pièce, c'est une<br />

succession de tableaux, de toiles vivantes où<br />

les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts les plus abstraits défil<strong>en</strong>t<br />

devant nos yeux, comme dans une peinture<br />

de Dali. Le graphisme est si éloqu<strong>en</strong>t qu'il<br />

secourt parfois l'impuissance de la langue à<br />

dire la tourm<strong>en</strong>te de ces personnages <strong>en</strong><br />

quête de rédemption. Mais celle-ci ne vi<strong>en</strong>t<br />

pas puisque cette bataille exist<strong>en</strong>tialiste,<br />

dont la férocité n'augure pas un dénouem<strong>en</strong>t<br />

classique, ne pr<strong>en</strong>dra jamais fin. Jellab<br />

restera cloîtré avec ses fantômes même si, à<br />

bout de forces, il allume un feu expiatoire<br />

qui lui mangera le visage au lieu de lui<br />

ouvrir les portes du salut.<br />

Tomber de rideau sur une pièce qu'il ne<br />

faut guère hésiter à qualifier de chef-d'œuvre.<br />

Sarah Haidar<br />

Fiche technique :<br />

Texte et mise <strong>en</strong> scène : Haroun El Kilani<br />

Musique : Larbi Cheriaf<br />

Lumières : Sid Ahmed Sidi Mrabet<br />

Machinistes : Karim Abbar et Amine<br />

Lakroun<br />

Effets visuels : Ahmed B<strong>en</strong> Tahar<br />

Régisseur : Karim Hmimid<br />

ALGERIE NEWS Mardi 18 septembre 2012

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