les nouvelles d'Archimède #44 - Espace culture de l'université de ...
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LNA<strong>#44</strong> / mémoires <strong>de</strong> science : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar<br />
Pratiques paysannes, théories savantes et transmission<br />
<strong>de</strong>s maladies <strong>de</strong>s blés (1730-1760)<br />
Par Gil<strong>les</strong> DENIS<br />
Maître <strong>de</strong> conférences en histoire et épistémologie <strong>de</strong>s sciences du vivant, Université <strong>de</strong> Lille 1<br />
UMR Savoirs, Textes, Langage / Lille 1 – Lille 3<br />
En prenant en compte <strong>les</strong> pratiques et savoirs paysans, certains savants, à partir <strong>de</strong>s années 1750, proposent <strong>de</strong> nouveaux<br />
modè<strong>les</strong> explicatifs pour <strong>les</strong> maladies qui noircissent, entièrement ou partiellement, <strong>les</strong> grains <strong>de</strong> froment dans<br />
<strong>les</strong> champs, remplaçant ainsi ceux apparus dans l’Antiquité.<br />
Jusqu’au milieu du XVIII ème siècle, <strong>les</strong> explications savantes<br />
<strong>de</strong>s dommages observés sur <strong>les</strong> plantes sont très proches<br />
<strong>de</strong> celle donnée par Théophraste pour l’érusibé ou <strong>de</strong> celle<br />
donnée par Pline l’Ancien pour la rubigo. Pour le premier,<br />
l’érusibé (rougissement, rouille, etc.) est une sorte <strong>de</strong> putréfaction<br />
du liqui<strong>de</strong> qui se rassemble à la surface <strong>de</strong>s plantes.<br />
Jean Bauhin, Historia plantarum Universalis,<br />
Ebroduni, 1651, tomus II, liber XVII, cap. X : Ustilago, p. 418 (notre « charbon nu »)<br />
Ce dommage n’apparaît pas après une forte pluie – le liqui<strong>de</strong><br />
rassemblé sur la feuille serait <strong>les</strong>sivé – mais après une petite<br />
pluie ou <strong>de</strong> fortes rosées suivies d’un soleil ar<strong>de</strong>nt. Pour Pline,<br />
la rubigo (rouille) apparaît, lors d’une certaine disposition<br />
<strong>de</strong>s astres, par l’effet du froid d’une nuit <strong>de</strong> pleine lune sur<br />
la rosée qui tombe <strong>de</strong> la voie lactée. La suite explicative<br />
– petite pluie, bruine, rosée ou brouillard suivi d’un soleil<br />
ar<strong>de</strong>nt – proposée par Théophraste, restera comme la cause<br />
principalement retenue pour <strong>les</strong> maladies <strong>de</strong>s plantes par <strong>les</strong><br />
savants jusqu’au milieu du XVIII ème siècle. Avant le milieu<br />
du XVIII ème siècle, <strong>les</strong> savants, peu nombreux, qui écrivent<br />
sur la transformation partielle ou totale du grain <strong>de</strong> blé<br />
en poussière noire, le font d’une manière secondaire dans<br />
<strong>de</strong>s écrits portant sur un autre sujet. Ainsi, Char<strong>les</strong> Bonnet,<br />
dans une dissertation sur « la végétation <strong>de</strong>s plantes<br />
dans d’autres matières que la terre » (1750), présente quelques<br />
observations qui, selon lui, montrent que le dommage<br />
est dû à l’action <strong>de</strong>s rosées gelées sous l’effet <strong>de</strong>s premiers<br />
rayons du soleil.<br />
Très tôt, <strong>les</strong> pratiques paysannes, souvent décrites par plusieurs<br />
auteurs <strong>de</strong> toute l’Europe, suggèrent que l’origine <strong>de</strong><br />
la « brûlure » ou « nielle » qui noircit <strong>les</strong> grains <strong>de</strong> céréa<strong>les</strong><br />
est dans quelque chose lié à la semence. Dans ses mémoires,<br />
Clau<strong>de</strong> Haton raconte ainsi, au XVI ème siècle, que <strong>les</strong> paysans<br />
évitent d’avoir <strong>de</strong> la « bruyne », maladie qui remplit<br />
<strong>les</strong> grains <strong>de</strong> farine noire puante, en utilisant une semence<br />
saine provenant d’une autre région.<br />
Le nombre <strong>de</strong> textes (livres, artic<strong>les</strong> <strong>de</strong> périodiques), portant<br />
sur <strong>les</strong> aspects scientifiques et techniques <strong>de</strong> l’agri<strong>culture</strong>,<br />
augmentent rapi<strong>de</strong>ment à partir <strong>de</strong>s années 1730. Leurs<br />
auteurs, dans <strong>les</strong> premières décennies, sont généralement<br />
<strong>de</strong>s lettrés ruraux tels que <strong>de</strong>s responsab<strong>les</strong> administratifs,<br />
<strong>de</strong>s propriétaires, <strong>de</strong>s fermiers, <strong>de</strong>s cultivateurs, <strong>de</strong>s curés,<br />
etc. On retrouve ces types <strong>de</strong> personnalités dans <strong>les</strong> premières<br />
sociétés d’agri<strong>culture</strong>, dès le début du siècle en Gran<strong>de</strong>-<br />
Bretagne, à partir <strong>de</strong>s années 1750 pour le continent. Leurs<br />
textes se situent entre <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong>s pratiques<br />
paysannes et <strong>de</strong>s explications théoriques plus ou moins élaborées.<br />
On y trouve <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s pour bien choisir et <strong>les</strong>siver<br />
<strong>les</strong> semences <strong>de</strong> manière à protéger du noircissement <strong>les</strong> futurs<br />
épis du printemps. Par exemple, Ancelot suggère, en 1730,<br />
dans le Journal <strong>de</strong> Verdun, <strong>de</strong> prévenir la « nielle » en suivant<br />
ce qui se fait avec succès chez lui en Picardie, en choisissant<br />
un blé non moucheté (c’est-à-dire un grain sain non tâché<br />
lors <strong>de</strong> la récolte par la poussière noire et puante d’un grain<br />
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