les nouvelles d'Archimède #44 - Espace culture de l'université de ...
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cycle le Mouvement / LNA<strong>#44</strong><br />
que, pour la philosophie naturelle, toute chose perçue est<br />
dans la nature 4 : elle est le siège d’interactions entre <strong>les</strong> choses<br />
et le corps qui perçoit <strong>les</strong> choses. Il <strong>de</strong>vient alors impossible<br />
<strong>de</strong> dissocier l’aspect quantitatif <strong>de</strong> l’aspect qualitatif : la<br />
chaleur est à la fois agitation moléculaire et rayonnement<br />
qui agit sur nos sens. Pour comprendre la possibilité <strong>de</strong> cette<br />
interaction, il faut supposer que dans le corps, inséré dans<br />
la nature, <strong>les</strong> événements physiques ne peuvent être séparés<br />
<strong>de</strong>s événements psychiques. Les événements forment un<br />
socle continu et dynamique qui rend difficile leur localisation<br />
: ils sont liés par une relation d’extension qui s’applique<br />
aussi bien à l’espace qu’au temps. Il n’est plus possible <strong>de</strong><br />
dissocier l’espace du temps : on ne parvient pas à comprendre<br />
la relation d’un point à un point, d’un instant à un autre<br />
instant, ni celle du point à l’instant. Les événements occupent<br />
un volume et une durée et supposent une force d’extension<br />
ayant une gran<strong>de</strong>ur et une direction. Whitehead<br />
parle <strong>de</strong> durée propre à la nature et, plus tard, il introduira<br />
l’idée <strong>de</strong> procès cosmique : « La nature est un procès », dit-il<br />
dans Le concept <strong>de</strong> nature 5 .<br />
Bergson, informé <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> la science <strong>de</strong><br />
son temps, part d’une critique <strong>de</strong> la psychophysique (Essais<br />
sur <strong>les</strong> données immédiates <strong>de</strong> la conscience) qu’il considère<br />
comme un prolongement du mécanisme. La perception ne<br />
peut se comprendre comme un effet dépendant d’une cause<br />
extérieure au percevant. Si on peut localiser un stimulus<br />
agissant sur l’organisme, on ne peut localiser la sensation<br />
qui en serait l’effet. Bergson montre que l’activité mentale<br />
dépend d’une réalité différente <strong>de</strong> la réalité physique :<br />
dans la première, <strong>les</strong> événements impliquent <strong>de</strong> la durée<br />
alors que, dans la secon<strong>de</strong>, ils peuvent se comprendre par<br />
<strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> causalité qui font intervenir l’espace et le<br />
temps. Le temps physique n’est que l’extériorisation d’un<br />
temps métaphysique que Bergson voit d’abord dans la vie<br />
intérieure mais qu’il étendra ensuite à la nature et à la vie<br />
dans L’ évolution créatrice. Sa critique <strong>de</strong> la conception<br />
parménidienne du mouvement exprimée par Zénon<br />
d’Elée signifie que la réalité du mouvement ne peut être<br />
réduite à ses manifestations dans l’espace et le temps : la<br />
conception atomiste <strong>de</strong> l’espace et du temps, réduite à <strong>de</strong>s<br />
poussières <strong>de</strong> points associées à <strong>de</strong>s instants, ne <strong>de</strong>vient intelligible<br />
que si on admet une force <strong>de</strong> liaison qui agit dans<br />
et sur l’espace et le temps : « On dit le plus souvent qu’un<br />
mouvement a lieu dans l’espace et, quand on déclare le<br />
mouvement homogène et divisible, c’est à l’espace parcouru<br />
que l’on pense, comme si on pouvait le confondre avec le<br />
mouvement lui-même. Or, en y réfléchissant davantage, on<br />
verra que <strong>les</strong> positions successives du mobile occupent bien<br />
en effet <strong>de</strong> l’espace, mais que l’opération par laquelle il passe<br />
d’une position à l’autre, opération qui occupe <strong>de</strong> la durée et<br />
qui n’a <strong>de</strong> réalité que pour un spectateur conscient, échappe<br />
à l’espace. Nous n’avons point affaire ici à une chose, mais à<br />
un progrès : le mouvement, en tant que passage d’un point<br />
à un autre, est une synthèse mentale, un processus psychique<br />
et, par suite, inétendu » 6 .<br />
L’étu<strong>de</strong> physique du mouvement se prolonge alors dans une<br />
étu<strong>de</strong> métaphysique : la référence à l’espace-temps n’explique<br />
pas tout car il reste à comprendre la force qui lie et<br />
oriente <strong>les</strong> points <strong>de</strong> l’espace et <strong>les</strong> instants du temps. L’importance<br />
<strong>de</strong> Whitehead et Bergson vient <strong>de</strong> ce qu’ils tirent<br />
<strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> problèmes propres à la physique : si on<br />
veut être fidèle à la signification <strong>de</strong> la dynamique, il faut<br />
admettre que la force a une puissance métaphysique dans la<br />
mesure où elle permet <strong>de</strong> lier et d’orienter (caractère vectoriel)<br />
<strong>les</strong> processus naturels. Le procès whiteheadien et la durée<br />
bergsonienne se rejoignent dans une conception renouvelée<br />
<strong>de</strong> l’espace et du temps : il n’est pas un simple substrat<br />
pour <strong>les</strong> phénomènes, mais il agit et produit ce qui advient<br />
par sa puissance <strong>de</strong> mise en relation. À ce niveau, il <strong>de</strong>vient<br />
difficile <strong>de</strong> distinguer la physique <strong>de</strong> la métaphysique.<br />
1<br />
Ernst Mach, La mécanique, Exposé historique et critique <strong>de</strong> son développement,<br />
éditions Jacques Gabay, tr. fr. Emile Bertrand, p. 465. Dans le même ouvrage,<br />
l’auteur critique ce qu’il appelle la « mythologie mécanique » appliquée à la<br />
totalité <strong>de</strong> la nature par <strong>les</strong> encyclopédistes (p. 433).<br />
2<br />
« Nous avons donc simplement à découvrir <strong>les</strong> dépendances réel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
mouvements <strong>de</strong>s masses, <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> la température, <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> la<br />
fonction potentielle, <strong>de</strong>s variations chimiques, sans nous imaginer rien d’autre<br />
sous ces éléments, qui sont <strong>les</strong> caractéristiques physiques directement ou<br />
indirectement données dans l’observation », Mach, M, p. 466.<br />
3<br />
Whitehead, Le concept <strong>de</strong> nature (CN), Vrin, tr. fr. Jean Douchement, p. 52.<br />
4<br />
CN, p. 53.<br />
5<br />
CN, p. 73.<br />
6<br />
Bergson, Essai sur <strong>les</strong> données immédiates <strong>de</strong> la conscience, p. 74, édition du<br />
centenaire.