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LE JOURNAL – BARREAU DU QUÉBEC <strong>Avril</strong> <strong>2011</strong> PAGE 3 Grève des juristes de l’État Un message clair… mais à quel prix ? Suite de la page 1 « Dans la note que j’ai envoyée à nos 23 000 membres, le message clair, c’est que la justice au <strong>Québec</strong> n’est pas à l’avant-plan des priorités gouvernementales », explique le bâtonnier. Le <strong>Barreau</strong>, ayant comme mandat la protection <strong>du</strong> public, se devait donc d’intervenir. Il était important de dénoncer publiquement la gestion de ce dossier par le gouvernement, selon M e Ouimet, compte tenu des répercussions qui se dessinaient à l’horizon pour la santé de notre système de justice. « Nous envisageons tous les moyens pour faire comprendre à la population que la justice est importante pour tous les Québécois, et pas seulement pour les avocats, explique-t-il. Ce n’est pas une question d’avocats qui veulent plus, il s’agit de dire aux gens que la justice et la règle de droit sont primordiales au <strong>Québec</strong>. » Un lien de confiance brisé Gilles Ouimet s’inquiète maintenant des répercussions <strong>du</strong> conflit – et particulièrement de la façon dont ce dernier s’est soldé – car l’ensemble heurte un élément pourtant essentiel dans toute relation avocat-client : le lien de confiance. « Si ce lien de confiance est atteint, il ne peut pas y avoir de relation avocat-client, rappelle-t-il. Et ça, ça interpelle le <strong>Barreau</strong>. » Or, après une convention collective déjà imposée sous le bâillon il y a deux ans, le gouvernement, en imposant à nouveau aux procureurs et juristes leurs conditions de travail, notamment une augmentation salariale de 6 % sur cinq ans (qui, estime-t-on, entraînera une érosion salariale de 4 % si l’inflation se maintient au taux cible de 2 %), aura laissé aux parties syndicales le sentiment d’avoir été flouées. D’autant plus que ces dernières se sont trouvées avec des conditions de travail moindres que ce qui avait été évoqué dans les négociations. Illustrant d’autant plus le climat de rupture, 46 procureurschefs et adjoints ont demandé au directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Louis Dionne, d’être affectés à des tâches de simples procureurs, en guise de protestation solidaire pour les grévistes. Les accusations de mauvaise foi lancées de part et d’autre ont marqué ce conflit, un premier en son genre dans l’histoire canadienne. L’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP) s’est dite victime de représailles politiques apparentées à « la guillotine » pour avoir appuyé la tenue d’une enquête publique sur les malversations liées à l’in<strong>du</strong>strie de la construction. Elle a aussi demandé la démission de Louis Dionne, lui reprochant son silence pendant le conflit. Ce dernier s’est défen<strong>du</strong> de l’accusation, affirmant qu’il ne lui appartenait pas de décider de l’attribution des deniers publics et qu’il avait fait valoir ses positions derrière des portes closes. Le président de l’APPCP, M e Christian Leblanc, avait au surplus accusé la présidente <strong>du</strong> Conseil <strong>du</strong> trésor, Michèle Courchesne, d’avoir renié sa parole lors des négociations, en laissant miroiter la possibilité d’un rattrapage salarial qui s’est révélé illusoire. « Les procureurs de la Couronne, on a un certain pif pour la bullshit. Et je pense qu’on en a eu notre lot cette semaine », avait-il alors lâché dans une déclaration désormais célèbre, bien à l’image <strong>du</strong> ton acerbe entre les parties. Bien que le bâtonnier « n’encourage pas » les sorties publiques dans le cadre de négociations pour rapporter au grand jour ce qui se dit pendant ces dernières, il juge « inapproprié » de commenter publiquement les propos tenus lors des négociations. Il a toutefois souhaité réagir à un argument ayant été fourni sur la place publique, alors qu’on a fait la comparaison entre le tarif versé par le gouvernement aux avocats de la défense représentant des accusés impliqués dans des mégaprocès et le financement de la poursuite. « Dans la mesure où ce que l’on souhaitait faire, en évoquant cela, était de mobiliser la population contre les avocats de la défense, je ne suis pas d’accord avec ce genre d’argumentaire. Là où l’argument peut être valable, c’est lorsqu’on dit que le tarif versé aux avocats de la défense dans ce contexte constitue la reconnaissance de ce qui est nécessaire pour avoir un système de justice qui respecte les principes constitutionnels. Partant de là, ce même raisonnement permettrait de fixer des conditions équivalentes à la poursuite. » Comment réparer les dégâts ? Mais au-delà des propos, il faut bien constater la difficulté qui se dessine pour réparer les pots cassés et rebâtir ce lien de confiance pourtant si nécessaire. En rappelant qu’on ne puisse pas « de façon absolue, sans nuances et sans tenir compte <strong>du</strong> contexte » parler des conséquences déontologiques de ce conflit pour les avocats impliqués, M e Ouimet considère qu’il faudra néanmoins trouver des façons de rétablir un climat sain. « Lorsqu’un avocat constate que le lien de confiance avec son client est brisé, ce dernier a néanmoins, selon moi, l’obligation de rétablir le lien de confiance. Et ce n’est que lorsqu’on arrive à la conclusion que le lien de confiance est irrémédiablement atteint qu’on doit envisager des mesures en fonction <strong>du</strong> contexte. » Comment y arriver ? M e Ouimet prend acte des déclarations <strong>du</strong> gouvernement selon lesquelles il souhaite toujours négocier malgré l’adoption de la loi spéciale, affirmant qu’il reste à voir maintenant quels seront les effets concrets de cette démarche. Le bâtonnier évoque la lettre <strong>du</strong> président de la Fédération des médecins spécialistes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, le D r Gaétan Barrette, émise au plus fort de la crise le 22 février dernier pour rappeler qu’en 2006, il y avait eu poursuite des négociations après l’adoption d’un décret concernant les médecins spécialistes et que les négociations subséquentes s’étaient néanmoins avérées concluantes. Y aurait-il là une lueur d’espoir ? Dans les années 1970, le budget pour la justice représentait 3 % <strong>du</strong> budget de l’État québécois. En 2010, nous sommes à moins de 1 %. En plus de 30 ans de divers gouvernements et de choix publics, on a irrémédiablement diminué l’importance relative de la justice au <strong>Québec</strong>. Ce n’est pas une question de politique, c’est un enjeu de société. M e Gilles Ouimet, bâtonnier <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> Un problème devenu structurel ? Mais au-delà de la grève et tout le sens qu’on peut en dégager, le conflit qui a secoué la profession en février dernier n’est qu’une étape additionnelle dans un long processus de dévalorisation de la justice qu’on constate depuis quelque trois décennies, constate M e Ouimet. « Dans les années 1970, le budget pour la justice représentait 3 % <strong>du</strong> budget de l’État québécois. En 2010, nous sommes à moins de 1 %. En plus de 30 ans de divers gouvernements et de choix publics, on a irrémédiablement diminué l’importance relative de la justice au <strong>Québec</strong>. Ce n’est pas une question de politique, c’est un enjeu de société. » Suite page 5