Albatros Newsletter
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24<br />
L‘albatros<br />
octobre 2009<br />
Humeur...<br />
AéRoPoRT DE<br />
BEYRoUTH, LUNDI<br />
20 JUILLET 2009,<br />
23 HEURES.<br />
Dans la moiteur de la nuit d’été beyrouthine, nous<br />
sommes là tous les deux, serrés l’un contre l’autre,<br />
attendant le retour du fils prodigue…<br />
G. est parti pour la première fois tout seul en camp en<br />
Angleterre : ce séjour, longuement planifié, commenté<br />
et disséqué, tire donc à sa fin. Dans quelques instants, il<br />
sera là avec nous, dans nos bras, les yeux brillants à la<br />
joie de nous retrouver- du moins je l’espère !- et la<br />
bouche pleine de mots qui se bousculent pour nous<br />
raconter son périple de jeune homme autonome, lâché<br />
dans le vaste monde…<br />
L’avion de Londres est à l’heure, il a déjà atterri.<br />
Néanmoins, au vu de la foule qui se masse, compacte<br />
et rieuse, devant les barrières de sécurité, dans l’attente<br />
d’apercevoir enfin celui ou celle qui rentre au pays pour<br />
les vacances, je me doute que l’attente sera longue,<br />
avant de voir surgir la frimousse de mon fils…<br />
Nous nous armons donc de patience : C. fait les cent<br />
pas, pendant que j’essaye de trouver la meilleure<br />
trouée à travers la foule mouvante, le meilleur angle de<br />
vue pour apercevoir au plus tôt mon fils, libéré des<br />
formalités de douane, tirant sa valise en conquérant,<br />
foulant à nouveau le sol de son pays, avec des images<br />
plein la tête de ces deux semaines qui viennent de<br />
s’écouler loin des siens…<br />
Un peu en retrait donc, derrière la marée humaine, je<br />
me prends à observer ceux qui forment cet ensemble<br />
touchant d’amour et d’affection, tous unis dans une<br />
même ferveur, dans l’attente d’un même événement :<br />
l’arrivée d’un des leurs.<br />
Les premiers sortis des griffes des douanes et de la<br />
Sûreté Générale commencent à apparaître dans le<br />
long corridor, à la queue leu leu, trainant les valises<br />
surement pleines de présents pour la famille et les amis<br />
restés au pays : leurs yeux, assaillis par la lumière crue<br />
des néons de l’aérogare, clignent plusieurs fois. La main<br />
en visière sur le front, ils tentent de reconnaître les<br />
visages familiers de la parentèle venue à leur rencontre,<br />
parmi les centaines de faces hilares qui, elles aussi,<br />
scrutent sans ménagement chacun d’entre eux,<br />
tentant à chaque apparition de dissimuler leur<br />
déception quand ce n’est pas celui ou celle qu’on<br />
attend… Rongeant alors à nouveau son frein, le<br />
mouvement ondulatoire qui saisit la foule à chaque<br />
apparition se calme , telle une vague qui s’échoue sur<br />
la grève, et les questions fusent : « d’où venez-vous ?<br />
Vous étiez sur quel avion ? Les valises sont-elles arrivées ?<br />
Y a-t-il beaucoup de monde « à l’intérieur ? »…<br />
Quelque peu déboussolé par le feu roulant des<br />
questions, et toujours à la recherche des siens, le<br />
voyageur s’efforce de répondre à ces attentes, tout en<br />
continuant de chercher le visage ami…Enfin, un long<br />
hululement s’échappe des poitrines d’un petit groupe<br />
sur la droite : « c’est lui ! Eja, eja !! » . Lui, justement,<br />
frappé au cœur par les sons familiers qui lui reviennent<br />
en boomerang, s’élance vers les siens. Eux, ignorant<br />
superbement les obstacles dressés pour tenter de<br />
faciliter la sortie des voyageurs, pauvres barrières de fer<br />
malmenées par le trop plein d’amour, les enjambent<br />
sans autre forme de cérémonie, pour administrer au<br />
plus vite les baisers sonores sur les joues de<br />
l’arrivant…Les cris de joie fusent, les enfants s’agrippent<br />
aux jambes de son pantalon, les femmes poussent des<br />
râles étranglés d’émotion, les hommes essuient une<br />
larme vite dissimulée, et frappent virilement dans le dos<br />
du voyageur… Derrière les barrières, ceux de la famille<br />
qui n’ont pas réussi à les enjamber se précipitent vers<br />
l’accès autorisé, enfilent à contresens le corridor<br />
pourtant réservé aux uniques voyageurs, et se jettent<br />
dans ses bras…écrasant au passage contre son torse le<br />
bouquet de fleurs kitsh, acheté à la hâte sur le chemin<br />
de l’aéroport, et le paquet déjà ouvert de douceurs<br />
arabes, destiné à faire entrer de plein pied le voyageur<br />
dans les délices du pays…<br />
Plus loin, une forêt de pancartes multiformes et<br />
multicolores forme un vrai mur en mouvance, et<br />
bouche littéralement la vue aux quidams dans<br />
l’attente…La nuée de chauffeurs, mandatés par leurs<br />
sociétés de taxis, attend sagement les voyageurs.<br />
Chaque apparition au bout du long couloir est<br />
accompagnée d’un long trémoussement de pancartes,<br />
chacun tentant de brandir la sienne plus haut que celle<br />
des autres, dans l’espoir de se voir enfin libéré de cette<br />
longue station debout… Le passager, apeuré à l’idée de<br />
recevoir sur le crâne l’un de ces noms, lancé à la criée<br />
par les chauffeurs, leur voix sous-tendant leurs gestes,<br />
s’écarte alors prudemment de ce mur de vociférations<br />
presque incantatoires…<br />
A l’autre bout de l’aérogare, un autre vacarme, digne<br />
d’un concert rock à Baalbek, retentit et s’amplifie,<br />
accompagné des youyous des femmes voilées : ce<br />
groupe-ci a également entraperçu son « revenant », et<br />
lui a préparé un accueil très sonore. Tambourin,<br />
derbaké, maracas et applaudissements nourris<br />
ponctuent les quelques pas qui le séparent de tout son<br />
village : ils se sont tous déplacés, de l’aïeul au nourrisson,<br />
et forment autour de lui un cercle d’amour, d’affection,<br />
et…de bruit !<br />
Plus près de moi, une blonde péroxydée a visiblement<br />
passé sa matinée à se faire belle pour le retour de son<br />
homme : coiffure, maquillage, manucure, pédicure, rien<br />
n’a été laissé au hasard, et une très longue station<br />
devant la penderie l’a amenée à choisir les vêtements<br />
sexy du jour… Elle brille de mille feux, et a le rose au joues :<br />
bientôt IL sera là !<br />
Quant à lui, qui traine sa lourde valise derrière moi, d’où<br />
sort-il ? Cela fait plusieurs fois que je le vois arpenter<br />
l’immense salle d’attente de l’aérogare… Perdu, défait,<br />
il semble attendre je ne sais qui, ou quoi…Est-il en<br />
partance, vient-il d’atterrir ? Il est là depuis un long<br />
moment, et la fatigue, avec un fond d’angoisse,<br />
transparaissent sur ses traits…<br />
Sur ma gauche, une petite famille semble perdre<br />
patience : ils sont visiblement arrivés bien à l’avance, et<br />
l’avion a de surcroît du retard…L’un des hommes tire<br />
nerveusement de sa poche un paquet, passablement<br />
froissé. Il en retire à grand mal une cigarette toute<br />
tordue, et d’un geste sec, fait craquer une allumette<br />
qu’il approche de la tige fichée dans sa bouche. Il<br />
aspire goulûment sa bouffée, et se voit aussitôt<br />
apostrophé avec autorité par l’un des responsables du<br />
service d’hygiène de l’aéroport : « Monsieur, il est<br />
interdit de fumer dans l’aérogare ! Sortez, s’il vous plaît,<br />
fumer votre cigarette dehors… ». Interloqué, l’homme<br />
le toise, puis hésite à l’empoigner… Après tout, c’est<br />
jour de fête, on attend le fils prodigue, et cet homme<br />
ne fait que son métier. Dépité, il aspire encore une<br />
bouffée, histoire de ne pas obtempérer sans un<br />
minimum de résistance, puis jette sa cigarette à terre,<br />
sous le regard courroucé de l’employé de<br />
l’aéroport...On a quand même évité l’esclandre, et<br />
l’honneur de chacun est sauf.<br />
Ah, l’Orient ! Toute une palette de codes si subtils, non<br />
écrits, non dits, que chacun doit maitriser pour s’en<br />
sortir et vivre sous ces latitudes sans trop de<br />
dommages!<br />
A présent, c’est la sortie des équipages : le<br />
commandant de bord, l’air triomphant de celui qui a<br />
accompli son devoir, coiffé de sa casquette rutilante,<br />
l’épaule ornée des fils de soie dorés qui rappellent à<br />
ceux qui l’auraient oublié son grade, toise sans la voir la<br />
foule de ceux qui attendent les voyageurs qu’il a<br />
convoyés jusqu’ici sans encombre. Il précède le<br />
troupeau des hôtesses et stewards, engoncés dans<br />
leurs uniformes aux couleurs de la compagnie qu’ils<br />
servent, et que l’on sent très pressés de revenir à leur<br />
état de civils anonymes… « Vivement mon jeans ! »,<br />
peut-on presque lire sur tous ces visages un peu tirés,<br />
fatigués par leur longue station debout à bord…<br />
Soudain, des hurlements de joie : mon homme de tout<br />
à l’heure, perdu dans l’immensité de l’aérogare, a enfin<br />
retrouvé les siens !! Effusions, larmes, mais surtout<br />
questionnemes : « mais où étiez-vous ? Cela fait une<br />
heure que je vous attends ! »… La famille s’était<br />
visiblement lourdement trompée d’horaire, ou avait<br />
mal calculé le temps de route, dans la circulation<br />
ambiante…Les retrouvailles, bien sûr chaleureuses, sont<br />
néanmoins teintées d’une petite dose de reproches !<br />
La foule se clairsè me peu à peu…Le calme revient<br />
devant les immuables barrières de sécurité. Tout à<br />
coup, je suis bousculée par l’arrière : prête à mordre, je<br />
me retourne pour fustiger le malotru qui m’est rentré<br />
dedans. Deux petits bras tout ronds m’enserrent alors,<br />
et c’est moi qui pousse le cri de joie : enfin, le voilà !<br />
C’est mon fils que je serre jusqu’à l’étouffement…<br />
Isabelle Eddé