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No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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A V R I L<br />

2 0 1 0


Mgr Georges Khodr<br />

«Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur et<br />

si nous mourons nous mourons pour le Seigneur»<br />

(Romains, 14.8)<br />

J’ai lu I’épître aux Romains un nombre incalculable<br />

de fois, mais c’est la première fois que I’affirmation<br />

de Paul : «Si nous mourons, nous mourons pour le<br />

Seigneur», m’interpelle autant. Elle est d’ailleurs<br />

d’une absolue nouveauté pour nous tous.<br />

Georges Haddad a essayé, sa vie durant, depuis son<br />

plus jeune âge, d’appartenir à son Seigneur. Élève<br />

de Sa Béatitude le Patriarche Ignace, à Beyrouth,<br />

au collège de l’Annonciation, il s’est habitué à la<br />

lecture de la Parole de Dieu avec les jeunes de<br />

sa génération, et il a osé affirmer sa volonté de se<br />

donner à cette Parole, pour qu’elle demeure en lui.<br />

<strong>No</strong>us ne faisions pas de différence en lui entre son<br />

existence matérielle, faite de poussière que nous<br />

voyions, et I’être divin auquel il aspirait. En lui, la<br />

divinité s’est mêlée à la poussière, le poussant à se<br />

consacrer aux sciences de la beauté, aux Arts, à une<br />

institution de beaux-arts. Je ne sais s’il était conscient,<br />

dans son approche de la beauté sous toutes ses<br />

formes, qu’elle n’était qu’un tâtonnement vers la<br />

beauté de Dieu, un balbutiement de la sublime<br />

splendeur du Jour Dernier, qu’il n’imaginait pas, et<br />

nous de même, rejoindre si tôt. Mais, il essayait d’y<br />

tendre par la pratique d’une beauté qui dépasse<br />

toute autre, celle de son amour exemplaire des<br />

autres. J’ai été toujours émerveillé par son amour<br />

envers les professeurs et les élèves, qui à ses yeux,<br />

dépassaient en beauté toute beauté.<br />

Celui qui a connu I’Académie peut témoigner,<br />

avec pudeur et humilité, que ceux qui y travaillent,<br />

Dr. Elie Salem<br />

Président de l’Université de Balamand<br />

à ses divers niveaux, sont tendus vers un horizon<br />

rempli d’une splendeur que la pierre et les couleurs<br />

sont incapables d’exprimer.<br />

Ayant été proche de cette institution, je peux<br />

confirmer que notre cheminement n’était pas une<br />

aventure simplement horizontale, au ras des choses,<br />

mais un voyage vers le soleil, vers les hauteurs. Cela<br />

était surtout dû à Georges Haddad. II avait le don<br />

d’exiger beaucoup des professeurs et des élèves,<br />

d’ailleurs à la mesure de son infatigable effort de<br />

travail personnel.<br />

Quand on vit dans un tel milieu, comment ne pas se<br />

prendre au sérieux, rester critique envers soi-même<br />

et humble devant Jésus et les frères, Jésus et les<br />

frères unis dans une même ivresse du divin?<br />

Vous devez probablement savoir que nos Pères ont<br />

affirmé que les fidèles dans notre Eglise doivent vivre<br />

une ivresse lucide. Car si nous ne nous enivrons de<br />

la Coupe de Jésus, nous ne pouvons guère devenir<br />

vraiment lucides.<br />

<strong>No</strong>us avons aimé Georges parce qu’il incarnait tout<br />

cela. S’il m’était donné de le cerner davantage, je<br />

dirais qu’il m’émerveillait aussi, au sein même de son<br />

humilité, par sa rigueur quand il n’y avait pas lieu de<br />

plier. J’étais heureux quand il me faisait face, qu’il<br />

s’opposait à une de mes rares demandes, car je<br />

me refuse d’habitude à confronter les tenants de<br />

la vérité que sont censés être les académiciens.<br />

Je suis intervenu, une fois, en faveur d’un étudiant<br />

auquel manquait un demi-point sur vingt. L’ajouter<br />

ne me semblait pas une grande dérogation à la<br />

vérité académique. Georges me dit: «Jamais, cela<br />

ne peut se faire». L’humilité peut respecter la vérité.<br />

A nos chers élèves de l’Alba,<br />

Il m’est tout aussi difficile d’écrire ces lignes sur<br />

Georges Haddad, que ça l’est pour vous de me<br />

lire. Car écrire ces lignes, en parlant de Georges<br />

au passé, est un exercice extrêmement pénible.<br />

Comment le faire en effet sans se rappeler son<br />

sourire, son humour, son attention et son amour pour<br />

chacun d’entre vous ! Les élèves étaient sa Vie.<br />

Je n’ai jamais rencontré, durant ma longue<br />

carrière académique menée sur deux continents,<br />

une personne aussi passionnée pour l’institution<br />

qu’il présidait, et pour tout ce qui s’y rattachait.<br />

Le leadership répond en général à des critères<br />

spécifiques : dans le cas de Georges, ces critères<br />

étaient totalement inopérants. Ainsi, alors qu’un jour<br />

je lui racontais que j’avais rencontré un étudiant<br />

qui avait été diplômé de l’Alba dans les années<br />

50, il me répondit tout de suite que celui-ci n’avait<br />

même pas suivi de cours à l’Académie. « Comment<br />

te rappelles-tu? » lui avais-je demandé. Et lui<br />

de répondre : « Oh, je connais tous les élèves<br />

0 2<br />

Toutes deux sont le produit d’un même esprit de<br />

probité.<br />

Maintenant, je veux m’adresser à vous, les parents<br />

du défunt ici présents. Le dire de Paul que «celui qui<br />

meurt meure pour le Seigneur», me pousse à vous<br />

dire: Si Georges est mort pour rejoindre le Seigneur<br />

Jésus, là-bas, dans I’ivresse de la beauté céleste,<br />

comment vouloir le garder sur terre? Allons-nous I’<br />

emprisonner dans nos regards et nos cœurs? Ou<br />

alors, allons-nous, dans la prière, le laisser aller pour<br />

qu’il s’élève encore plus et que son front frôle le<br />

trône, divin? Vous avez voulu, avec la bénédiction<br />

de Mgr Elias, célébrer un office complet ou presque<br />

complet pour affirmer que nous voulons que notre<br />

Georges habite les cieux.<br />

II y sera mieux qu’ici, car celui qui a<br />

vécu dans la charité sur cette terre, sera<br />

rempli d’un plus grand amour encore,<br />

quand il sera parmi les anges.<br />

Laissez-le partir. II a quitté votre terre. II a quitté vos<br />

parents. Sa passion de la beauté du beau, son<br />

amour de la beauté qu’il voulait inculquer à ses<br />

élèves, se fixe maintenant sur cette beauté non<br />

faite de main d’homme, que seul le Seigneur peut<br />

donner à qui iI veut. Votre Seigneur a rempli Georges<br />

de cette beauté. Laissez-le voler là-haut avec les<br />

anges et réaliser que ce dont il parlait avec ses<br />

collègues et ses élèves, n’était qu’un balbutiement<br />

sur cette beauté dont on ne peut parler.<br />

Amen.<br />

qui ont été diplômés de l’Alba. De plus, non<br />

seulement je sais tout de nos élèves actuels, mais<br />

j’ai même mémorisé les numéros de leurs plaques<br />

minéralogiques! ».<br />

Ce genre de personnes, rarissime, n’existe plus. Ainsi,<br />

il n’y aura plus jamais un autre Georges Haddad !<br />

Il occupera dans notre histoire une place singulière.<br />

<strong>No</strong>us l’honorerons toujours comme le<br />

seul et l’unique qui était l’Alba, tout<br />

comme l’Alba, c’était lui.<br />

Le fait de toujours nous souvenir de lui, et de le<br />

placer sur un piédestal comme un modèle à suivre,<br />

le rendra immortel, comme ceux qui, dans la Grèce<br />

antique, appartenaient à l’Olympe. Que son esprit<br />

repose en paix, et que ses élèves se souviennent<br />

toujours de lui, comme lui se souvenait des moindres<br />

détails concernant chacun d’entre eux.


0 3<br />

M. André Bekhazi<br />

Doyen de l’Alba<br />

Un moine en son monastère<br />

On disait de Georges Haddad qu’il était « un moine<br />

en son monastère ».<br />

Ce monastère, c’est bien sûr l’Alba, à laquelle<br />

Georges a réellement consacré, voire sacrifié sa<br />

vie.<br />

Sacrifié ? Il y a dans ce terme une part de douleur,<br />

me direz-vous.<br />

Je l’utilise néanmoins à dessein, pour rappeler à<br />

chacun d’entre vous la somme immense de travail<br />

et d’abnégation qu’a représenté chaque journée<br />

passée au service de l’Alba, pendant 30 ans…<br />

L’Alba était la passion de Georges Haddad, sa<br />

famille en quelque sorte. Vous étiez son axe de<br />

vie : il savait tout de ceux qui en arpentaient les<br />

locaux, administratifs, enseignants, étudiants. Sa<br />

mémoire prodigieuse, sa grande psychologie, sa<br />

fermeté enrobée de bonhomie, l’ont conduit à<br />

perpétuer magistralement les principes initiés par<br />

le fondateur de l’Alba, Alexis Boutros. L’excellence<br />

de l’enseignement a été son obsession et son<br />

credo : alors que notre pays était secoué par les<br />

événements terribles que l’on sait, il s’est battu<br />

pour maintenir l’Alba ouverte, pour y assurer les<br />

cours, parfois hors les murs, dans des conditions<br />

improbables, convaincu que l’apprentissage et le<br />

savoir étaient les meilleures – les uniques ?- armes<br />

pour lutter efficacement et lucidement contre la<br />

folie des Hommes…<br />

Sous sa houlette, l’Alba s’est développée et a<br />

accueilli en son sein de nouvelles écoles, sections<br />

et institut : la section Arts Graphiques et Publicité<br />

au sein de l’École des Arts Décoratifs nait en 1979,<br />

puis s’étoffe au fil du temps pour comprendre<br />

de nouvelles filières diplômantes, telles que<br />

l’animation 2D3D, l’illustration/BD, le multimédia<br />

et la photographie. L’École de Cinéma et de<br />

Réalisation audiovisuelle voit le jour en 1987, l’Institut<br />

d’Urbanisme est créé en 1994, et la section Design<br />

au sein de l’Ecole des Arts Décoratifs est créée en<br />

1999.<br />

En 1988, l’Alba devient la principale faculté<br />

fondatrice de l’Université de Balamand. Une<br />

section de l’Alba ouvre ses portes sur le campus du<br />

<strong>No</strong>rd, on y enseigne l’architecture, l’architecture<br />

intérieure, le design, et la publicité : c’est une des<br />

grandes fiertés de Georges Haddad que d’avoir<br />

contribué à la naissance d’un ensemble imposant<br />

de l’enseignement supérieur.<br />

Georges Haddad a également beaucoup<br />

contribué à l’élargissement des relations de l’Alba<br />

avec des partenaires internationaux prestigieux.<br />

Sous sa direction, de nombreuses conventions entre<br />

l’Alba et des institutions de Beaux-arts à l’étranger<br />

sont signées, instaurant des partenariats diversifiés<br />

et riches, et contribuant ainsi à la renommée<br />

alba<br />

internationale de l’Académie et à son rayonnement<br />

local et international.<br />

Georges a toujours voulu préserver<br />

l’Alba en tant que pôle du savoir, de la<br />

culture, du rayonnement artistique et<br />

intellectuel : il nous incombe à tous la<br />

lourde tâche de ne pas trahir sa mémoire,<br />

de pérenniser ce qu’il a construit, et de<br />

le développer plus encore…<br />

J’ai été un ami très proche de Georges Haddad :<br />

depuis les toutes petites classes, nos destins ont<br />

toujours été liés, et nous ne nous sommes quasiment<br />

jamais quittés.<br />

C’est à moi désormais que revient l’honneur de<br />

diriger l’Alba : c’est à vous que je m’adresse,<br />

étudiants de l’Alba, pour vous dire ma volonté<br />

de continuer ce travail de titan, dans l’esprit<br />

d’ouverture, de clairvoyance, et d’innovation de<br />

mes deux illustres prédécesseurs.<br />

Ce que voulait Georges par-dessus tout, c’était<br />

que chacun d’entre vous ait un réel sentiment<br />

d’appartenance à l’Alba. Un grand nombre de<br />

nos enseignants sont d’ailleurs des anciens, et à ce<br />

titre, peuvent d’autant mieux perpétuer cet esprit<br />

particulier qui lui était si cher…<br />

Un esprit curieux, inventif, intelligent, mais surtout<br />

éthique : Georges œuvrait à la formation des<br />

générations de libanais de demain, ceux de<br />

la relève, de la reconstruction, ceux pour qui<br />

l’humanisme est une valeur suprême.<br />

Avec vous, je souhaite arpenter ce chemin long,<br />

sinueux, ardu et exaltant.<br />

<strong>No</strong>s pas nous mèneront sur les chemins infinis de<br />

la connaissance, au service de l’Alba et de notre<br />

pays.<br />

T é m o i n a g e


Histoire d’une vie…<br />

Georges Haddad est né le 5 octobre 1943, à la<br />

saison de la récolte des noix qui ornent les branches<br />

des immenses noyers, devant la maison familiale à<br />

Mansouriet Bhamdoun…<br />

Fils de César et Julie, il est le dernier-né d’une<br />

famille de 5 enfants, Jamilé, Umberto, Dédée, Élie<br />

et Joseph.<br />

Les 2 aînés sont nés au Brésil, où s’étaient établis<br />

leurs parents. Fortune faite, César revient au pays<br />

et y installe sa famille, entre la maison familiale de<br />

la montagne qu’ils occupent en été, et celle qu’ils<br />

habitent à Achrafieh, quartier Furn El Hayek, en<br />

hiver, pour faciliter la scolarisation des enfants.<br />

Georges est un enfant très heureux, choyé par une<br />

famille soudée et aimante. Il va à l’école à Zahret<br />

El Ihsan : déjà doté d’une mémoire étonnante, il<br />

n’oubliera jamais la douceur de son enfance, et<br />

garde gravé à jamais dans son esprit, les noms de<br />

ceux qui traversent sa vie d’enfant, et qui resteront<br />

les amis de toute une existence…<br />

Très jeune, il adhère au Mouvement de la Jeunesse<br />

Orthodoxe, dont ses frères et sœurs font déjà partie :<br />

il s’imprègne alors de cette ambiance religieuse,<br />

fondée sur le don de soi.<br />

L’adolescent taquin, facétieux, excellent imitateur,<br />

est par ailleurs doté d’une sensibilité exacerbée,<br />

d’un sens aigu du détail, d’un amour absolu du<br />

Beau sous toutes ses formes. Son passage par le<br />

MJO forgera le reste de son caractère : tourné vers<br />

les autres, il ne fera plus que servir autrui.<br />

Il perd son père César alors qu’il n’a que <strong>12</strong> ans. Son<br />

oncle Geryès Haddad, autre figure paternelle de<br />

son jeune univers, suit son frère César dans la tombe<br />

<strong>12</strong> jours après.<br />

En quelques jours, deux piliers de sa vie disparaissent,<br />

le laissant orphelin à jamais, en dépit de l’immense<br />

affection qui le lie à sa mère Julie.<br />

Julie : un vrai personnage ! Espiègle et facétieuse,<br />

comme Georges, elle est d’ailleurs la meilleure amie<br />

des amis de son fils, qui l’adorent et recherchent sa<br />

compagnie.<br />

Cette très fine psychologue, véritable Miss Marple<br />

de Furn El Hayek (elle a élucidé un crime survenu<br />

dans le quartier, désignant à la police, sans coup<br />

férir, le vrai coupable !), imitatrice hors pair, deux<br />

traits de caractère dont a d’ailleurs hérité Georges,<br />

entretient avec son petit dernier des rapports très<br />

profonds, ponctués d’engueulades homériques<br />

sur 2 sujets qui fâchent : la cigarette, que Georges<br />

consomme goulument et massivement, et les<br />

régimes, toujours entamés et jamais menés à terme,<br />

par un Georges gourmand et gourmet à la fois.<br />

Après la mort de son père César, la cellule familiale<br />

reste très soudée: ce puissant ancrage familial<br />

restera à jamais essentiel pour Georges, qui sera<br />

dès lors toujours le soutien de famille, au fait des<br />

problèmes familiaux éventuels, prêt à prêter main<br />

forte, à soutenir, à conseiller…<br />

Après Zahret El Ihsan, Georges est scolarisé à l’École<br />

de l’Annonciation : c’est là qu’il fait une rencontre<br />

déterminante en la personne du directeur d’alors<br />

de l’établissement, devenu depuis le Patriarche<br />

Ignace IV. Cet homme exceptionnel, très brillant,<br />

aura une influence énorme sur son jeune disciple,<br />

toujours excellent élève, assoiffé de connaissance<br />

et proche des valeurs de l’Eglise. Ils partageront,<br />

toute une vie durant, la même conception, à la fois<br />

intellectuellement élitiste et moralement généreuse,<br />

des choses de la vie…<br />

En 1963, Georges Haddad fait la deuxième<br />

rencontre marquante de son existence, en la<br />

personne d’Alexis Boutros. Celui-ci est le cousin de<br />

son beau-frère André Geha, marié à Dédée, la<br />

sœur de Georges.<br />

Chez les Geha, lors d’un grand diner donné chez<br />

eux à Mousseitbeh, Alexis, qui fait partie des<br />

convives, s’intéresse à ce jeune homme au regard si<br />

bleu. Georges fait alors ses études de psychologie à<br />

l’Université Libanaise : Alexis, séduit par sa maturité<br />

et sa forte personnalité, lui propose de faire un<br />

stage administratif à l’Alba, parallèlement à ses<br />

études. Georges saute sur l’occasion : la proposition<br />

l’enchante et l’intéresse.<br />

En 1973, Alexis Boutros lui obtient une bourse de<br />

l’Alba, pour lui permettre de continuer ses études<br />

doctorales de psychologie en France. Cette même<br />

année, à Paris, on lui vole une somme d’argent. De<br />

retour au Liban, il gagne 500 livres (une fortune à<br />

l’époque !) au Loto Libanais. « C’est Dieu qui me les<br />

a rendus ! », s’exclame-t-il, toujours convaincu de la<br />

justesse immanente des choses…<br />

Il rentre définitivement à Beyrouth en 1974 : il est<br />

désormais l’adjoint d’Alexis Boutros à l’Alba, et<br />

surtout, son homme de confiance.<br />

Alexis, père de substitution ? Tout à la fois mentor,<br />

ami très proche et confident, Alexis entretiendra<br />

avec Georges Haddad des liens très forts, empreints<br />

d’un immense respect mutuel et d’une très grande<br />

complicité. Tous les soirs, Alexis dépose Georges<br />

chez lui, après une rude journée de travail à<br />

l’Alba : en dépit des longues heures déjà passées<br />

ensemble au bureau, les deux hommes discutent<br />

encore dans la voiture, au bas de l’immeuble, de<br />

longs moments…<br />

Alexis considérait Georges comme son fils.<br />

En 1979, la mort brutale d’Alexis plonge toute la<br />

petite famille de l’Alba dans un profond désarroi.<br />

L’Alba appartient encore nommément à son<br />

fondateur. Un testament, censé prouver la volonté<br />

d’Alexis de faire de l’Alba une vraie institution,<br />

personne morale, n’est jamais retrouvé…<br />

Des heures sombres de cette période trouble,<br />

Georges tirera une force exceptionnelle : celle de<br />

croire en l’absolue pérennité de l’Alba, conviction<br />

qui ne l’a plus quitté.<br />

Une fois résolus les aspects juridiques de la<br />

succession d’Alexis Boutros, c’est la folie meurtrière<br />

des hommes qu’il faut affronter. Le pays est<br />

déchiré, les épisodes de violence se succèdent à<br />

un rythme effréné. Georges Haddad, infatigable,<br />

tirant sans doute de sa foi en l’Homme le courage<br />

d’affronter tous ces dangers, se démène pour<br />

assurer à ses étudiants des cours normaux, pour<br />

organiser les corrections de projets dans des soussols<br />

improbables, à la lueur pale des bougies…<br />

Même en pleine guerre, à l’ombre de menaces à<br />

peine voilées que l’on profère à l’encontre de sa<br />

propre personne, Georges fait délivrer des diplômes<br />

de qualité, et non de complaisance, à l’Alba. Lors<br />

d’un échange très vif avec l’un de ses solliciteurs<br />

armés, qui réclamait pour un protégé un diplôme<br />

guère mérité, sous prétexte de « raisons hautement<br />

politiques », faisant fi du danger, Georges rétorqua :<br />

« Eh bien, pour des raisons hautement nationales,<br />

il n’est pas question que je signe au bas d’un tel<br />

document ! ». Sa foi inébranlable en sa mission au<br />

service de la jeunesse de son pays, ce véritable<br />

sacerdoce qu’il avait choisi de vivre pleinement, le<br />

mettaient à l’abri de toute peur…<br />

Sous sa houlette, l’Alba s’est développée et a<br />

accueilli en son sein de nouvelles écoles, sections<br />

et institut : la section Arts Graphiques et Publicité<br />

au sein de l’École des Arts Décoratifs naît en 1979,<br />

puis s’étoffe au fil du temps pour comprendre<br />

de nouvelles filières diplômantes, telles que<br />

l’animation 2D3D, l’illustration/BD, le multimédia<br />

et la photographie. L’École de Cinéma et de<br />

Réalisation audiovisuelle voit le jour en 1987, l’Institut<br />

d’Urbanisme est créé en 1994, et la section Design<br />

au sein de l’École des Arts Décoratifs est créée en<br />

1999.<br />

En 1988, l’Alba devient la principale faculté<br />

fondatrice de l’Université de Balamand. Une<br />

section de l’Alba ouvre ses portes sur le campus du<br />

<strong>No</strong>rd, on y enseigne l’architecture, l’architecture<br />

intérieure, le design, et la publicité : c’est une des<br />

grandes fiertés de Georges Haddad que d’avoir<br />

contribué largement à la naissance d’un ensemble<br />

imposant de l’enseignement supérieur.<br />

0 4<br />

Comment ne pas citer également, entre autres<br />

aventures colorées et exaltantes à l’Alba, celle qui<br />

conduit les étudiants de 2ème année de l’École des<br />

Arts Décoratifs jusqu’aux marches des prestigieux<br />

temples de Bacchus, dans des représentations<br />

sonores et visuelles époustouflantes de grâce, de<br />

magie et d’inventivité.<br />

Georges Haddad a également beaucoup œuvré<br />

à l’élargissement des relations de l’Alba avec<br />

des partenaires internationaux prestigieux. Sous<br />

sa direction, de nombreuses conventions entre<br />

l’Alba et des institutions de beaux-arts à l’étranger<br />

sont signées, instaurant des partenariats diversifiés<br />

et riches, et contribuant ainsi à la renommée<br />

internationale de l’Académie et à son rayonnement<br />

local et international.<br />

S’il est certain que Julie, sa mère, a été la femme<br />

de sa vie, l’Alba aura été sa passion et sa mission.<br />

Pour définir Georges, un seul mot, celui de « don »,<br />

serait le plus vrai. Il donnait sans relâche, son<br />

attention, son affection, son intelligence, son<br />

humour, son argent aussi. Il donnait sans compter,<br />

car peu de choses importaient réellement à cet<br />

homme humble, détaché, fuyant les honneurs et<br />

les marques de reconnaissance que, bien souvent,<br />

ses pairs lui attribuaient.<br />

Seuls les honneurs récoltés par l’Alba et ses étudiants,<br />

devenus des professionnels brillants, lui importaient<br />

vraiment : pour lui, qui avait compris très tôt que le<br />

seul bonheur dans la vie, c’est de ne pas avoir peur<br />

de la mort, seuls comptaient vraiment sa foi dans<br />

son action au service de la jeunesse de son pays,<br />

au service de l’Alba, de sa famille et de l’Église…<br />

Sa retraite, il la voulait bien remplie, lui qui ne<br />

s’arrêtait jamais de formuler des projets, de rêver :<br />

il voulait réaliser un film, et peindre cette nature si<br />

belle…<br />

Georges Haddad, fils de la terre et du terroir, aimait<br />

la nature, détestait la chasse, et souhaitait finir ses<br />

jours dans son jardin de Mansouriet Bhamdoun,<br />

aux pieds de sa « Tiné » dont il savourait avec<br />

une gourmandise exquise les fruits si sucrés, une<br />

fois tombé le crépuscule si doux sur les chaudes<br />

journées d’août…<br />

Isabelle Eddé


0 5


T é m o i n a g e<br />

alba<br />

M. Pierre Neema<br />

Directeur de l’École d’Architecture<br />

Une lumière s’est éteinte.<br />

Une belle âme, un cœur immense, un grand<br />

humaniste nous a quittés. Georges Haddad n’est<br />

plus.<br />

II est parti dans la plénitude de son âge alors<br />

qu’après 30 ans de galère, il entrevoyait le bout<br />

du tunnel. Et il restait encore tellement à faire !<br />

C’est injuste et ce n’est pas équitable. Ce n’est pas<br />

équitable car, par le privilège de Page, nos deux<br />

rôles auraient dû être inversés.<br />

Ce n’est pas juste, parce qu’il est parti à l’âge où<br />

l’épanouissement d’une expérience longuement<br />

accumulée lui permettait de la transmettre et de la<br />

perpétuer.<br />

Discrètement, sans emphase, comme<br />

nous l’avons toujours connu, il nous<br />

a quittés sans nous laisser le temps<br />

d’un dernier adieu. II a laissé au bord<br />

du chemin, sa famille, ses amis et ses<br />

proches.<br />

II nous laisse le souvenir d’un homme de bien,<br />

d’un ami dont l’humanité n’avait d’égale que la<br />

générosité. Georges Haddad, tu nous manques<br />

déjà. Mais surtout, Bon Dieu, qu’est-ce que tu vas<br />

nous manquer !<br />

Mes souvenirs se bousculent en essayant de me<br />

rappeler toutes ces épreuves que nous avons<br />

traversées 45 ans durant. 45 ans d’une fraternité<br />

affectueuse en osmose totale. Pour moi, tu étais plus<br />

qu’un frère, car un frère de sang, nous l’acceptons<br />

comme un aléa de la vie. Mais un frère, choisi<br />

librement pour ses qualités et son humanité, c’est<br />

cent fois plus fort car c’est un frère dans l’Esprit - Et<br />

toi Georges, tu ne m’as jamais déçu. <strong>No</strong>us avons<br />

vibré ensemble pour le même rêve : Faire de l’<strong>ALBA</strong><br />

cette grande famille de l’Art qu’elle est devenue.<br />

<strong>No</strong>us avions pour le Liban les mêmes ambitions :<br />

bousculer cette société sclérosée qui s’endormait<br />

dans son matérialisme, recroquevillée dans ses<br />

convictions d’un autre temps.<br />

Oh oui ! Qu’est ce que nous l’avons rêvé ce Liban<br />

des années 60 qui renaissait de ses limbes, et pour<br />

lequel nous imaginions un avenir radieux ! Un avenir<br />

que nous allions bâtir de nos mains, avec tous les<br />

hommes de bonne volonté - Et Dieu sait s’ils étaient<br />

nombreux à l’ époque ! Que sont-ils devenus<br />

aujourd’hui ? Des chimères ?<br />

Je revois comme si c’était hier, les longues soirées<br />

éclairées aux bougies, tous les deux, bloqués<br />

dans les locaux de l’<strong>ALBA</strong> par la guerre fratricide,<br />

séquestrés par la bêtise humaine, la peur et les<br />

bombes, étouffant nos angoisses en rêvant de<br />

lendemains qui chantent! Et aussi fraternité pour<br />

tous nos jeunes qui s’entretuaient, manipulés par les<br />

forces mauvaises.<br />

À tous ceux-là, nous répétions inlassablement<br />

que les religions n’avaient pas été inventées pour<br />

donner la mort mais pour nous montrer la voie de la<br />

vérité qui est l’amour des autres, l’amour qui ne vit<br />

que par la Tolérance.<br />

Dans la légende dont nous t’avions entouré, tu<br />

étais notre Roi Arthur et nous, les Chevaliers de la<br />

Table Ronde unis dans le même combat pour l’Art,<br />

la Culture, l’Honnêteté intellectuelle et la Foi en la<br />

Patrie.<br />

Bien sûr ! <strong>No</strong>us n’étions pas toujours d’accord sur tout,<br />

au point que nos discussions étaient enflammées,<br />

mais nos constantes étaient les mêmes.<br />

<strong>No</strong>us avions la fougue et l’impatience. Tu avais,<br />

comme Alexis, la sagesse et la Foi.<br />

Toi, tu as su naviguer au milieu des orages et nous<br />

mener au port. Alexis Boutros était le visionnaire.<br />

Toi, tu as permis à cette vision de s’incarner, de se<br />

développer, de prospérer. Alexis avait délibérément<br />

consacré sa vie à<br />

l’Art. En digne disciple, tu as suivi le même chemin<br />

étroit, semé d’embûches et de dangers.<br />

Comme lui, tu as choisi de sacrifier ce qui fait le<br />

bonheur du commun des mortels, pour te consacrer<br />

à ce qu’il y a de supérieur : le service de l’Esprit.<br />

Comme dans la fable de l’Albatros, tu étais le<br />

Pélican prêt à s’éventrer pour nourrir ses enfants de<br />

ses propres entrailles.<br />

<strong>No</strong>us tous, les ouvriers de la première heure,<br />

comme ceux de la onzième heure, nous t’avons<br />

suivi, accompagné, admiré, détesté parfois, mais<br />

tu restes dans nos cœurs une lueur incomparable.<br />

Cette <strong>ALBA</strong> que le grand Alexis Boutros avait<br />

imaginée, créée, portée sur les fonds baptismaux,<br />

il l’a protégée des attaques sournoises et des<br />

complots et relevé les défis les plus fous.<br />

II était profondément croyant et religieux, mais<br />

intransigeant quant à la laïcité, à l’Universalité de<br />

son message et son dévouement aux citoyens qu’il<br />

devait former.<br />

0 6<br />

Merveilleux amalgame de ce que le Liban peut<br />

produire de meilleur.<br />

Oui, il avait fait de l’<strong>ALBA</strong>, dans son domaine,<br />

le Phare de la Connaissance, des Arts et de la<br />

Citoyenneté avant de te passer la main. Oui, il<br />

t’a laissé en héritage, toi le fervent disciple, le fils<br />

spirituel, cette belle fiancée encore fragile; et toi,<br />

dans le feu de la passion et du dévouement, tu<br />

l’as prise à bras le corps ! Et toi, dans l’engagement<br />

le plus total, tu lui as dédié ta vie et tu as toujours<br />

été fidèle à cette fiancée que tu as épanouie en<br />

une femme superbe de plus de 70 ans. Ensemble,<br />

cette femme nous l’avons rêvée, cajolée, aimée<br />

et même haïe bien des fois. Mais nous lui revenions<br />

toujours car nos destins lui étaient<br />

liés et étaient devenus indissociables.<br />

Et maintenant, c’est toi qui nous remets le<br />

flambeau. Mais tu peux être tranquille, la relève<br />

est déjà assurée. La Continuité se décline : ALEXIS -<br />

GEORGES - ANDRE.<br />

Et le miracle <strong>ALBA</strong> agit à nouveau.<br />

Le Cercle magique de la Table Ronde se referme<br />

à nouveau autour de l’Élu, le nouvel Arthur, pour<br />

continuer l’Aventure. Georges, nous te promettons<br />

de poursuivre inlassablement ta Mission. <strong>No</strong>us te<br />

promettons de transmettre ton enseignement à nos<br />

étudiants.<br />

<strong>No</strong>us allons essayer de leur inculquer la Tolérance<br />

qui est la première des Vertus, car elle est Amour<br />

: amour des siens. Amour des autres, Amour de la<br />

Différence.<br />

Que cet amour soit le symbole de ce Liban qui, tel<br />

un mirage, se dérobe à nos bras chaque fois que<br />

nous croyons l’avoir saisi.<br />

Ce Liban auquel nous voulons quand même croire.<br />

Tous ensemble, nous nous engageons à rebâtir ce<br />

Temple LIBAN si cher à ton cœur et à en chasser<br />

les marchands, tous les marchands, d’illusions, de<br />

haines et de mort.<br />

Tous ensemble, nous vous promettons, Alexis et<br />

Georges, de perpétuer votre vision et de compléter<br />

votre mission.<br />

<strong>No</strong>us nous engageons à remettre entre vos mains<br />

en le magnifiant, le Tabernacle que vous nous avez<br />

confié en espérant que, de là-haut, vous nous direz<br />

peut-être, un jour : Mes enfants, mes frères, vous<br />

avez bien travaillé.<br />

Adieu Georges, repose en paix, nous ne sommes<br />

pas prêts de t’oublier.


0 7<br />

M. Alain Brenas<br />

Directeur de l’École de Cinéma et de la<br />

Section Arts Graphiques et Publicité de<br />

l’École des Arts Décoratifs<br />

« Georges Haddad est venu frapper à ma porte,<br />

en 1978. Il était alors l’assistant-secrétaire d’Alexis<br />

Boutros et moi, directeur de création dans une<br />

agence de publicité. A sa demande, j’ai accepté<br />

de prendre en charge la section de publicité,<br />

pour que la première promotion puisse obtenir son<br />

diplôme, remis en 1979 par Alexis Boutros.<br />

Puis, devenu doyen, Georges Haddad m’a<br />

demandé d’enseigner aux deuxièmes années<br />

de publicité la communication visuelle… Je<br />

dirais d’emblée que c’était l’une de ses grandes<br />

qualités : accorder sa confiance, laisser faire, tout<br />

en ne perdant pas de vue le projet ; il ne freinait<br />

jamais un projet, ce qui est toujours très important<br />

dans une école d’art.<br />

Capable de déléguer, il n’a jamais été<br />

réactionnaire. Au contraire, devant un<br />

projet audacieux ou curieux, il n’était<br />

pas frileux.<br />

Cette immense qualité a également permis<br />

la création de l’École de cinéma, en plein<br />

M. Joseph Rabbat<br />

Directeur de l’École des Arts<br />

Décoratifs<br />

«À la mort d’Alexis Boutros, nous nous sommes<br />

retrouvés chez Nicolas Bekhazi, le frère de notre<br />

nouveau doyen, André Bekhazi. Georges Haddad<br />

était parmi nous, et autour de sa personne, un<br />

consensus a commencé à se faire. Très vite, nous<br />

avons coopté un conseil et, parallèlement, Georges<br />

Haddad a été reconnu directeur administratif de<br />

l’Alba par l’Etat. Chaque directeur d’école était en<br />

charge de l’académisme.<br />

Si Alexis Boutros a été le fondateur de l’Académie,<br />

Georges Haddad a été le moteur agissant de sa<br />

conservation et de sa prolongation. Sans Georges,<br />

bombardements. <strong>No</strong>us avons effectué des voyages<br />

à Chypre par bateau pour établir les contacts<br />

nécessaires à l’élaboration de la première base<br />

de l’équipement des studios ; et nos réunions pour<br />

constituer les premiers éléments du programme et<br />

du corps enseignant avaient lieu dans des chalets de<br />

plage, les bâtiments de l’Alba n’étant pas toujours<br />

accessibles. Tout cela avec un enthousiasme et un<br />

optimisme entraînants, qui ne laissaient pas douter<br />

de la réussite de l’École. Et, comme prévu, le succès<br />

a été au rendez vous…<br />

C’est également la personne même de Georges<br />

Haddad qui a donné à l’Alba sa dimension<br />

internationale, via le système des conventions.<br />

En visite à la Femis, j’ai rencontré la directrice des<br />

études de Louis-Lumière, que je connaissais par<br />

ailleurs. De retour à l’Alba, j’ai parlé avec le doyen<br />

des possibilités d’accord entre les deux institutions. Il<br />

m’a dit que c’était une très bonne idée et s’étonnait<br />

que je n’aie pas déjà fait le nécessaire sur place !<br />

Derrière ce constant encouragement de la vision de<br />

ses collaborateurs, il y avait un autre aspect capital<br />

de sa personnalité : sa capacité de fédération.<br />

Quelqu’un a dit de lui qu’il était le « champion du<br />

il faut le dire, nous n’aurions pas pu continuer.<br />

Il s’est sacrifié pour l’institution de<br />

manière tout à fait naturelle, en prenant<br />

sur ses épaules tout le poids de celleci,<br />

encaissant les coups durs et les<br />

problèmes.<br />

Il avait l’impulsion de résoudre les obstacles. Il<br />

savait s’y prendre : il exposait un problème mais<br />

venait toujours avec une proposition de solution…<br />

Par rapport à son âge, il donnait des avis fermes<br />

recrutement émotionnel », et je trouve ça très vrai…<br />

Pour lui, à l’Alba, personne n’était un numéro : il<br />

avait une mémoire phénoménale, tant relationnelle<br />

que familiale. Personnel, enseignants, étudiants, sa<br />

porte restait toujours ouverte à tous.<br />

C’est vrai que Georges Haddad était sensible, trop<br />

sensible même. Mais sa bonhomie et sa capacité<br />

à très bien s’entourer étaient exclusivement<br />

dirigées vers le rayonnement de l’Alba. Sa rapidité<br />

de décision, son flair, son avant-gardisme, qui<br />

ont placé l’Académie là où elle est aujourd’hui,<br />

sont intrinsèquement liées à la magie de Georges<br />

Haddad. Il en imposait, mais jamais à coups de<br />

grosses démonstrations. Il laissait une impression<br />

inoubliable aux gens qu’il rencontrait.<br />

Georges Haddad, très subtilement,<br />

nous a transmis à chacun un sentiment<br />

d’appartenance très fort à l’Alba. Mais<br />

rien n’était imposé, parce que lui était<br />

le premier à fonctionner comme ça… ».<br />

et déterminés, mais dans le seul but d’alléger les<br />

problèmes.<br />

Son autre grande force, selon moi, c’était cette<br />

attention qu’il accordait de manière égale à tout<br />

le monde, et qui faisait croire à la personne qu’elle<br />

était indispensable. C’est un homme qui avait<br />

beaucoup de considération pour les gens. Les<br />

demandes formulées ne tombaient jamais dans<br />

l’oreille d’un sourd… Il a été le chef, le dictateur<br />

doux, l’ami, le père, le frère pour tous ceux qui l’ont<br />

côtoyé ».


T é m o i n a g e<br />

alba<br />

M. Ziad Akl<br />

Vice-doyen de l’Alba et Directeur de<br />

l’Institut d’Urbanisme<br />

« C’était en 1970, après Jamhour, je venais m’inscrire<br />

en architecture. Georges était déjà là, avec son<br />

sourire et ses yeux bleus. Après mon diplôme<br />

d’architecture à l’Alba, j’ai été admis à l’École<br />

nationale des Ponts et Chaussées à Paris pour des<br />

études en urbanisme, et, mon diplôme en poche<br />

en 1979, j’ai commencé à enseigner l’histoire de<br />

l’architecture et l’urbanisme à l’Alba.<br />

Mme Nicole Malhamé Harfouche<br />

Directrice de l’École des Arts Plastiques<br />

À Georges le Doyen bien-aimé<br />

C’est avec un immense chagrin que je t’écris ce<br />

mot, aujourd’hui, à toi Georges, l’ami le plus cher<br />

au cœur de toute la famille de l’Alba, celui qui a<br />

su gagner l’affection infinie de tous les membres du<br />

corps professoral et du corps administratif, trente<br />

ans durant, grâce aux qualités exceptionnelles dont<br />

tu étais paré : humanisme, intelligence, probité,<br />

sensibilité, sincérité, générosité.<br />

Je t’écris ce mot à toi, le bien-aimé, dont nous<br />

attendions tous, de jour en jour, la guérison sans<br />

jamais oser envisager qu’un destin cruel pouvait te<br />

frapper et qu’un jour tu nous quitterais. Mais Dieu a<br />

décidé de t’appeler très tôt, trop tôt, auprès de lui.<br />

L’affreuse nouvelle de ta disparition nous a<br />

bouleversés, assommés. <strong>No</strong>us n’arrivions pas à<br />

croire que tu n’es plus là.<br />

Georges, en 1979, après le décès d’Alexis Boutros,<br />

fondateur de l’Académie libanaise, tu as été<br />

nommé Directeur administratif pédagogique et<br />

financier de l’Alba, par le ministère de l’Éducation<br />

et des Beaux- Arts. Tu as dû faire face à de très<br />

nombreuses difficultés, qui entravaient, à cette<br />

époque, l’action de l’<strong>ALBA</strong>, menaçant sa survie.<br />

Entre autres, et non des moindres :<br />

1-La guerre et les événements qui ont déchiré le<br />

pays, à partir de 1975, semant la destruction et le<br />

Assez rapidement, j’ai pris l’initiative de trois réformes<br />

au sein de l’École d’architecture : d’abord,<br />

au niveau de la structure même du diplôme<br />

d’architecture, ensuite au niveau du projet urbain,<br />

projet situé entre l’architecture et l’urbanisme.<br />

Cette troisième réforme est passée par trois<br />

étapes : la mise en place d’un projet d’intégration<br />

urbaine de 2ème classe, d’un projet d’urbanisme<br />

de première classe et enfin la création en 1994 de<br />

l’Institut d’urbanisme qui venait couronner cette<br />

vision essentiellement urbaine de l’architecture.<br />

Ces suggestions et propositions que je soumettais<br />

à l’Alba étaient toujours adoptées par Georges<br />

Haddad qui avait choisi de m’épauler. La<br />

tendance de l’architecture urbaine apparaissait un<br />

peu partout dans le monde et il avait su la lire à<br />

temps ….<br />

Il nous a prouvé d’ailleurs à maintes reprises son<br />

flair, mais aussi sa culture et sa vision… Avec<br />

ses interlocuteurs aussi, c’était un remarquable<br />

observateur. Il avait une lecture très précise des<br />

gens, tout en dégageant une belle chaleur, une<br />

présence : c’est une grande force !<br />

C’était surtout un homme d’une très grande<br />

spiritualité, avec une vraie dimension mystique.<br />

Malgré sa très grande foi, il n’a jamais voulu entrer<br />

désastre, et qui se sont répercutés négativement<br />

sur le secteur de l’enseignement, à tous les niveaux,<br />

du scolaire jusqu’à l’universitaire, à partir de cette<br />

époque et, même jusqu’aujourd’hui.<br />

2-Le procès, intenté par les héritiers d’Alexis Boutros,<br />

contre l’Alba, pour prendre la succession à la tête<br />

de l’institution, procès qui a duré plus de vingt ans.<br />

3-Les combats du camp palestinien de Tal Zaatar.<br />

L’Académie, située à Sin el Fil, rond-point Saloumé,<br />

s’est trouvée, alors, au cœur de la mêlée. <strong>No</strong>n<br />

seulement le bâtiment a été endommagé, la<br />

bibliothèque dévastée, mais aussi les meubles et<br />

équipements des bureaux, des ateliers et des salles<br />

de classes ont été volés.<br />

4- Les rumeurs, persistantes, de doute de la survie<br />

de l’Académie, après le décès d’Alexis Boutros,<br />

son fondateur, rumeurs que faisaient circuler des<br />

détracteurs, qui souhaitaient, pour diverses raisons,<br />

essentiellement la rivalité, voir l’Alba fermer ses<br />

portes.<br />

5-La perturbation des cours et leurs suspensions, par<br />

intermittence, tout le long des années de guerre.<br />

Déterminé, coûte que coûte, à relever le défi,<br />

Georges, tu étais animé d’une foi inébranlable en la<br />

mission de l’Alba, une foi que rien ne pouvait altérer.<br />

Tu as décidé, malgré une situation financière des<br />

0 8<br />

dans un circuit formel. Son dépouillement vis-à-vis<br />

des choses matérielles était très grand. Sur ce plan,<br />

c’est un homme qui « pèse » très peu.<br />

Il était d’une humanité extrême, savait<br />

être très ferme, mais dans la douceur.<br />

C’est un modèle de meneur à prendre en<br />

considération, dans un pays où l’autorité est<br />

synonyme de décibels et de violence primaire…<br />

L’autorité de Georges Haddad, elle, était douce,<br />

efficace et continue.<br />

Georges Haddad, qui avait une âme d’adolescent<br />

et un peu de rancœur parfois, avait surtout<br />

beaucoup d’amour pour autrui. Il a brillamment<br />

navigué à l’Alba durant les périodes de grandes<br />

épreuves : la relève d’Alexis Boutros, les guerres<br />

libanaises, le rattachement à Balamand. Pendant<br />

les bombardements, il atomisait l’école en repérant<br />

élèves et professeurs et en organisant la poursuite<br />

des cours dans des hôtels, dans des domiciles<br />

d’enseignants… Il n’aimait pas s’arrêter, et c’était<br />

pour tous une grande leçon d’espoir et de courage.<br />

Chez lui cohabitaient harmonieusement la pragma<br />

et la quantité de rêves, nécessaires pour faire vivre<br />

la chose…qualités essentielles que doit avoir un<br />

architecte.<br />

Georges Haddad, c’est comme un enfant qui s’en<br />

va, sans avoir laissé 66 ans d’objets hétéroclites et<br />

inutiles derrière lui. Il part avec l’essentiel… ».<br />

plus dramatiques, de mener le bon combat, à tout<br />

prix, pour la survie de l’Académie.<br />

Tu t’es identifié à l’Académie. Sous ton impulsion,<br />

les membres du corps enseignant et du corps<br />

administratif se sont mobilisés pour œuvrer à assurer<br />

la continuité et la pérennité de l’institution, et ce,<br />

malgré la précarité et les aléas de la situation qui<br />

prévalaient dans le pays.<br />

Ils ont eu foi en toi, parce que, tout au long des<br />

années où tu avais été l’assistant d’Alexis Boutros, tu<br />

avais fait preuve d’un réel talent d’administrateur, et<br />

de beaucoup d’éthique dans ton comportement.<br />

Mener l’Alba à cette « reconnaissance<br />

internationale » qu’elle a acquise, après le décès<br />

d’Alexis Boutros, malgré la guerre et les multiples<br />

difficultés de tout ordre qu’il a fallu affronter<br />

et surmonter, a exigé de toi et de tous tes<br />

collaborateurs une ligne de conduite déterminée,<br />

avec une obstination lucide, qu’aucun obstacle ne<br />

pouvait arrêter.<br />

Tu es un grand, parmi les grands, dans<br />

le monde de l’enseignement supérieur.<br />

Ceci a amené le ministère français de la Culture<br />

à te décerner, successivement, deux distinctions<br />

honorifiques: Officier, puis Commandeur de l’Ordre<br />

des Palmes académiques. Et la présidence libanaise<br />

de la République à te décerner l’Ordre du Cèdre.<br />

Georges Haddad le bien-aimé, l’importance de<br />

l’acquis humain et culturel dont tu as été imbibé,<br />

tout au long de son enfance, de ta jeunesse et de<br />

tes études universitaires, le potentiel de tes aptitudes<br />

intellectuelles, la profondeur de ton humanisme, tes<br />

qualités exceptionnelles en tant qu’administratif,<br />

et ta volonté de fer, t’ont permis d’accomplir ta<br />

mission avec succès.<br />

Par ta présence, tu illuminais toutes les rencontres,<br />

réunions de travail, repas, fêtes qu’on partageait<br />

tous ensemble.<br />

Georges, tu es toujours là, oui tu es là ! Ton ombre<br />

hante l’Alba. Ton image habite nos mémoires, tu vis<br />

à jamais dans nos esprits et dans nos cœurs.


0 9<br />

هدحت لا هحومط ، اهريوطتو جماربلا ثيدحتب فغشم<br />

ةسسؤملا هذه ىقبت نا هسجاه ،ةيصخش ةلصم<br />

اهلجأ نم تلضان يتلا نونفلا ةيار ةلماح قرعلااو لمجلاا<br />

.قفأ لك ىلع اهبلاط ةرشان دلبلا اذه يف<br />

ةيلبقتسم ةيؤر جروج عضو نأ دعب ةريخلاا ةنولآلا يفو<br />

ةذتاسلاا نم ةنجل عم ةيميداكلأل ةلبقم تاونس رشعل<br />

ةقداصلا ةنمؤملا هسفن تنأمطا ،نيلوؤسملاو<br />

لبقتسم ىلا صلاخلااو وبحملاو ءاطعلا ىلع ةروطفملا<br />

ةلامثلا لاإ هسأك يف قبي مل هنأكو رعشو ةيميداكلاا<br />

دق هينيع نلأ ،ملاسب هقلاطلإ هبر ّ ايعاد ىضمو ، اهبرشف<br />

دعب ايندلا هذه ئطاش غلب نأ هل ناكف .هدجم ترصبأ<br />

نمزلاف ،تارسحلا انسوفن يف كرتو تانزولا تفعاض نأ<br />

،ءاطعلا زع ّ يف لازي لا مركلاو،قربلا ةعرسب هيلع ضقنا ّ<br />

.ىربكلا ةماهلا كلت توهو يلاعلا توصلا اذه تكسف<br />

مويلا دعب اوري نل نيفظوملاو ةذتاسلااو بلاطلا نأ اًقحا<br />

وهو هتدارإ نسح نم يطعيو هيعس نم لذبي جروج<br />

رمغيو ، قيحلا ينجي راهزلاا نيب »ابللأا« باحر يف لقنتي<br />

؟جاتحم لك هتاءاطعب<br />

نمآ دقف ،اًصلخم نوكي نأ نمث اًركاب ةايحلل جروج عفد<br />

ةيجراخو ةيلخاد تاقلاع ثولاثلا اذهل ىنبف ناسنلااو للهاب<br />

ةنجلا نم تاحول »ابللأا« مسرو ،اهنيز رئامعو اًجارباو ،<br />

نانبل بابش ىطعأ ،ملاع ةمكحو نانف ةفاهرب اهدهعت ّ<br />

.حايرلا ةعرسب رم ّ اًرمعو اًزيزع اًردص باسح نود<br />

نم يلع ّ رشنف ،هبتكم يف هلاحترإ نم مايأ لبق هتيأر<br />

، نيتسعان نينيع رادأ ،سمهو ئداه تمصبو .هسنأ<br />

تصنتي ّ اهفراشم ىلع حبصأ هنأكو ايندلا هذه ىلا رظني<br />

،حيبستب اًروحسم اًتماص ادبف ،هيداني هبر ّ توص ىلا<br />

،هارأ لا ام ىريو ،هعمسيلا ام عمسي اًبذجنم ، اًذوخأم<br />

.ةكرحلا تنكسو توصلا تفخو<br />

هتومف ،هيكبن ،هبايغل ةرسح يف نحنو هدقتفن مويلاو<br />

.ىسني لاو يهتني لاو فقوتي لا<br />

كرحت ّ ،ءادصأ ددرت ةايحلا تامسن ةظحل لك يف هججؤت ّ<br />

اهكرت يتلا دبعملا عومش هيكبت امك هيكبنف ،بلقلا<br />

ليامتت يهو تاعمدلا اهتانجو ىلع جرحدتتو تسانف<br />

يذلا نيملاا هسراحو لكيهلا ديمع يكبت ، اًعزجو اًنزح<br />

اًيعس ةملظلاو ملظلا براحي نينسلاو رمعلا ىضمأ<br />

.لامجلاو ةفرعملاو رونلا ىلا<br />

فتاهلا ىلع ينيدانت،ينذا حرابي لا جروج اي كتوص نأ<br />

املك يرطاخ يف كاركذ ددرتيو ، تاسلجلا روضحل<br />

ةزعلاو ةماهشلاب عتمتي ،صلخم ناسنإ ىلا تقتشا<br />

نم غلب فظوم نع ينتثدح موي ركذأو .ةماركلاو<br />

دعاوس ىلع تماق ةيميداكلاا نأ يل تلقف ،اًيتع رمعلا<br />

»ابللاا« ناكرتيلا ذاتسلااو فظوملاف ، مهصلاخإو ءلاؤه<br />

ناكم ىلا لوصولا امهناكمإب املاط نادعاقتيلاو<br />

وأ ، ىقلت مث مدختست ءايشأ اوسيل لاؤهف ،امهلمع<br />

.ىمرتو رصعت ةهكاف<br />

،اهب تعتمت ّ يتلا ةينغلا ّ سفنلاو ةيبلاا ّ حورلا هذه<br />

تلعج اهلجأ نم تلمع يتلا ةيناسنلاا ةيماسلا فادهلااو<br />

رئاس نع اهزيمت ّ ةديرف ءامتنا ةلاح ةسسؤملا هذه نم<br />

ةذتاسأو نيفظوم لاف ،ةدماجلا ةمظنلاا تاذ تاسسؤملا<br />

ةلئاع »ابللاا»ف ،ريغت ّ يأ دنع مهسوفنو مهعاضوأ جترت<br />

لكشت ّ ةءانب ّ ةنينأمطب اهلهأ عتمتي ةكسامتم ةدحاو<br />

؟اهئانبأ نع ةلئاعلا لزانتت لهو ،عينملا اهنصح<br />

مهتلائاع دارفأو ددجلاو ىمادقلا يمست ّ تناو كركذتأ<br />

كسفن نئمطتو مهتاءاقلب كردص حرشنيو ، مهئامسأب<br />

نمو .مهنزحل نزحتو ، مهحرفل حرفتف ، مهعاضولا<br />

ترباثو ،ءانبلا لامعأب مايقلا تعطتسا ةلمرلاا سلف<br />

مغر ،ليفلا نس يف »ابللاا« ترقتسا ىتح راخدلاا ىلع<br />

.اهيلع تبه ّ يتلا ءاجوهلا فصاوعلا<br />

تمضنا نأ دعب دنملبلا ةعماج يف اهل اًعرف تأشنأو<br />

ةنادزم هكلف يف طشنت ريبكلا يملعلا حرصلا اذه ىلا<br />

نا امك .اهتيصخش ىلع ةظفاحم اهقنورو اهلامجب<br />

اهتريسم يف ءيش ليدعت أشت مل دنملبلا ةعماجلا<br />

نم صقنت لاو اهءافص ركعت ّ لا يك ةينوفوكنرفلا<br />

دقو اهجات يف ةريبك ةؤلؤل اهربتعت يهف ،اهئاهب<br />

بحاص ميكحلا اهيعار ةدايقب اًمود مهاستو تمهاس<br />

روتكدلا اهسيئرو عبارلا سويطانغا كريرطبلا ةطبغلا<br />

ةبحمب اهيلع ظفاحتو اهنأش نم عفرت نا ملاس يليا<br />

.ركبلا هتنبلإ بلأا<br />

سعنتو بعتتو قرشت سمشلاو ، أدهتو بهت ّ حيرلا<br />

»مانيلاو سعنيلا« رحبلا وه دادح جروج نكل ،بيغتف<br />

لامجلا ةعانصب لوغشملا وهو كلذ هنكمي فيكو<br />

ةعرسو ةباترلا فاخي ، ةمئاد لمع ةشرو يف عادبلااو<br />

.نامزلاو روطتلا<br />

M. Henri Eid<br />

Architecte. enseignant à l’Alba<br />

لكيهلا ديمع<br />

دصرتي ابللأا ضاير بوجي اًعفاي اباش ناكو اًبلاط تنك<br />

هصاصتخإ ءاوجأ نم ًلاقتنم ،اهتحلامب ابذجنم ، اهلامج<br />

نمز ىضم امو .لامجلاو نفلا ملاع ىلا ، سفنلا ملع<br />

.سرطب يسكيلا ةيميداكلاا سسؤم لحر لاإ<br />

ةعباتمو اهب مامتهلإل هتعد نأ لاإ اهنم ناك امف<br />

ةيدجب دادح جروج قلطناو .تءاش ام اهل ناكف.ةريسملا<br />

نع فزع بهار ةماه لظ يف حرصلا اذه خمشف ،ةيورو<br />

تدوعت يتلا دبعملا اذه ةهللإ دبعت و ايندلا تايرغم<br />

.اهب نيمئاهلاو اهيبحم بولقب راثئتسلاا<br />

ملعملا ّ لحم ّ لحيل دادح جروجب تتأ ةيهللاا ةيانعلا نأكو<br />

.سرطب يسكيلا سسؤملا<br />

عومش بلاطلا ىلع رهسي اًراهن ًلايل دادح جروج ىضمو<br />

.اًجهو دادزتل لب ،ئفطنت لاو يوذت لا يك لكيهلا اذه<br />

مومه لمحي ، ةوافحب هرئاز لبقتسي اًمود حوتفم هباب<br />

،يوبأ بلقو ةمكحو ربصب سانلاو ةذتاسلأاو ةبلطلا<br />

فوهلملا ةرصنو مولظملا ةدجنل عرهي رعاشملا قيقر<br />

هلعفت ام هلامش يردت لاف ، جاتحم يأ ىلا نسحيو<br />

.هنيمي<br />

ىنغ هرغي ّ لا ، ةيحضتلاو ءاطعلا قشع ناسنإ يف ناسنإ<br />

،بذعم وأ لاض ةعجارم نم لمي لاو قافخإ هينثي لاو<br />

دحأ هقاع اذإ ، اًعونق اًنمؤم قحلا ةمدخ يف اًطشان<br />

.ةماستبإب هزواجت<br />

ةفصاع يف ، اًرجحو اًرشب نانبل زتها ّ نا رادقلاا تءاشو<br />

. ةيميداكلأا هعم تبرضو هتبرض ةميلا<br />

اودادزإ نأ لاإ هسيئرو سلجملاو دادح جروج نم ناك امف<br />

لمرلا سايكا ءارو تاسلجلا اودقعف ، ةميزعو ةوق<br />

فئاذقلاو فصقلا لباو تحت اوشمو ،ةيبارتلا رتاوسلاو<br />

امدنعو .انامرب وأ ليفلا نس ّ ىلا لوصولل ضاقنلأا ىلعو<br />

يف اًعورف »ابللأا« اوحتف ،كلذ مهيلع ليحتسي ناك<br />

.يساردلا ماعلا اوعيضي لا يك مهدجاوت نكاما<br />

ةيساق اًفورظ زاتجت ةيميداكلااو ةبعص مايلأا تناكو<br />

نم اهب قحل امب ةيدام ءابعأ تحت حزرتو اهخيرات يف<br />

رجح عضول دنملبلا ةعماج ةوعد عم كلذ نمازتو .رارضأ<br />

ةيبلتل « ابللأا« سلجم اًيعاد دادح جروج بهف ّ ساسلأا<br />

.بلطلا<br />

قلقلا ،سرطب يسكيلأ هملعمك دادح جروج ناك<br />

،لاحر هل طحي لاو لاب هل أدهي لا ةيميداكلأا ىلع مئادلا<br />

،ةبيطلا اهتذتاسأو اهسيئر »ابللأا« ديصر نأ كردي<br />

نوبهي ّ نيذلا نوصلخملا ءاقدصلااو ىمادقلا اهمعدي<br />

اذه ةيمنت ىلا ىعسف.ةجاحلا تعد املك مهتدعاسمل<br />

زكترم ، ةفطاعب رومغم يميلعت زاهج ريوطتو ديصرلا<br />

تايحضتلاف ،تايداملا ىلع لا صلاخلااو ملعلا ىلع<br />

كلذ لك ردقي ّ جروج ناكو ، عيمجلا نم ةبولطم تناك<br />

.هبلق يف هظفحيو


T é m o i n a g e<br />

famille<br />

M. Élie Geha<br />

Neveu de Georges Haddad<br />

Cher Khalo Georges,<br />

Il m’a été demandé d’écrire un article en ta mémoire.<br />

Un de plus, me diras-tu, tellement d’hommages t’ayant<br />

été rendus, à la mesure de l’œuvre que tu as accomplie.<br />

J’ai donc plutôt choisi, et ce n’est pas pour te déplaire, je<br />

sais, de m’adresser à tes étudiants.<br />

Chers étudiants de l’Alba, comme vous l’avez si bien<br />

compris, pour Georges Haddad, ses responsabilités<br />

à l’Alba n’étaient ni un métier ni une carrière, mais<br />

relevaient du sacerdoce. C’était la mission qu’il s’était<br />

fixée tout au long de sa vie : œuvrer pour la jeunesse de<br />

son pays, lui donner les moyens d’exceller, de construire<br />

son avenir et celui du Liban.<br />

La réussite de chacun d’entre vous était<br />

sa propre réussite et sa joie, comme sont<br />

la joie et la fierté que ressent un père<br />

devant la réussite de ses enfants, et ce<br />

jusqu’aux derniers instants de sa vie.<br />

Lorsqu’il nous a quittés, vous vous êtes mobilisés jour et<br />

nuit afin de l’accompagner lors de ses funérailles.<br />

Vos fleurs en papier ont certainement illuminé son âme.<br />

Votre douleur sincère était profondément émouvante,<br />

et réconfortante, car elle démontre à quel point l’amour<br />

et le respect entre Georges Haddad et vous était<br />

réciproque.<br />

Ce fut la plus belle preuve de la réussite et de<br />

l’accomplissement de sa mission.<br />

De là-haut, il était certainement, encore une fois, fier de<br />

vous.<br />

Cher Khalo Georges, que dire de plus ?<br />

Que toute ta vie durant tu as donné sans rien attendre<br />

en retour ?<br />

Que tu nous manques ?<br />

À un de ces jours,<br />

Mme May Geha-Badawi<br />

Nièce de Georges Haddad<br />

Mon oncle, mon héros.<br />

Khalo Georges. Deux mots qui n’en faisaient qu’un seul:<br />

pour l’oncle, le frère, l’ami, le confident.<br />

Celui qui vous guide, vous inspire, vous apprend. Celui<br />

qui fut un héros dans mon quotidien.<br />

De son père Kaissar, perdu à l’âge de<br />

douze ans, Georges avait hérité les<br />

yeux bleus. Si bleus qu’on voyait le ciel<br />

dedans.<br />

... Aussi, sa bonté et sa bienveillance légendaires. Vous<br />

vous direz tous les deux : « Enfin ».<br />

Aurais-tu été un sage de la Grèce antique ? Un phénicien<br />

de port en port ? Un pèlerin suivant les pas du Christ en<br />

Galilée ? Lancelot ou le Roi Arthur ? L’ami de Michel-<br />

Ange, Léonard et les autres ? Un humaniste parmi les<br />

humanistes ?<br />

Tu avais choisi le Liban pour t’y incarner. Les héros partent<br />

toujours trop tôt.<br />

C’est le repos du guerrier. « Le bon et mesuré Georges<br />

Haddad », disait ton ami le peintre Pierre Ramel.<br />

L’absence. La douleur.<br />

Sois en paix Khalo.<br />

Décembre 2009<br />

1 0


1 1<br />

SEM. le Ministre et Madame<br />

Ghassan Tuéni<br />

Dr. Henri Awit<br />

Vice-recteur aux affaires académiques<br />

de l’Université Saint-Joseph<br />

et rapporteur de la Commission<br />

des équivalences<br />

L’Homme à l’esprit ouvert et au cœur généreux<br />

C’est en 1980, alors que la guerre battait encore<br />

son plein, que j’ai rencontré pour la première<br />

fois Georges Haddad. Je venais juste d’être<br />

nommé délégué de l’Université Saint-Joseph à la<br />

Commission des équivalences relevant de ce qui<br />

s’appelait à l’époque le Ministère de l’éducation<br />

nationale, où il m’avait précédé de quelques<br />

semaines. Ce fut l’occasion d’une collaboration<br />

fructueuse au service d’une mission d’ordre public ;<br />

ce fut aussi le point de départ d’une amitié à toute<br />

épreuve.<br />

Georges Haddad était au sein de cette Commission<br />

un collègue apprécié de tous ses pairs, et pour<br />

Sa délicatesse et sa modestie auraient tellement<br />

été offensées de ce qu’on écrit et dit! Il se serait<br />

esquivé sur la pointe des pieds et n’aurait rien voulu<br />

entendre! Il faisait ce qu’il faisait en y mettant tout<br />

son cœur, sans calcul, sans rien attendre en retour,<br />

comme si c’était aussi naturel que de respirer! Il était<br />

voué « de naissance » à l’Alba, il faisait corps avec<br />

sa faculté; est-ce là une vocation, une mission,<br />

un sacerdoce? Oui, peut-être tout à la fois. Dans<br />

ses yeux il y avait l’enfant pur qu’il était resté et le<br />

visionnaire rêveur qu’il est devenu. Sa constance<br />

ressemblait à de l’entêtement, son enthousiasme à<br />

de la légèreté, son ambition à de la folie! Quelle<br />

œuvre est faite sans démesure?<br />

En l’approchant, on croyait en lui et lui croyait en<br />

ses profs et en ses étudiants; jamais cavalier seul,<br />

toujours en équipe, toujours le partage!<br />

Ses étudiants, il les portait à bout de bras même<br />

quand ils avaient quitté. Leurs projets étaient les<br />

siens propres, leurs succès annoncés avec fierté.<br />

moi, en ma qualité de rapporteur, un partenaire<br />

privilégié. <strong>No</strong>us éprouvions un réel plaisir à travailler<br />

avec lui, tant il réussissait avec le naturel et la<br />

bonhomie qui le caractérisaient, à associer la<br />

rigueur professionnelle à la convivialité des rapports.<br />

Il nous faisait bénéficier de sa longue expérience<br />

et de sa compétence avérée dans les différentes<br />

disciplines enseignées à l’<strong>ALBA</strong>, dans l’examen<br />

des milliers de dossiers soumis à la Commission.<br />

Son assiduité, son sens aigu de l’équité et la<br />

pertinence de ses jugements forçaient le respect<br />

et recueillaient l’unanimité. Georges pratiquait par<br />

ailleurs le culte de la qualité et de l’excellence. Il<br />

critiquait sévèrement la prolifération sauvage et<br />

chaotique des établissements d’enseignement<br />

supérieur qu’il qualifiait de « boutiques » et de<br />

« moulins à diplômes ».<br />

Lui qui était très exigeant envers luimême<br />

et envers ses étudiants, se<br />

révoltait contre tout laxisme et toute<br />

forme de médiocrité dans la formation.<br />

Et lui qui considérait l’éducation non comme<br />

un métier, mais comme une vocation, déplorait<br />

sa commercialisation à outrance et sa course<br />

effrénée au gain. Il avait ainsi largement contribué<br />

à l’élaboration et à la mise en œuvre de critères<br />

et de normes pour la reconnaissance des diplômes,<br />

susceptibles d’en relever le niveau.<br />

Durant plusieurs années, Georges passait me prendre<br />

à mon bureau au moins une fois par semaine, pour<br />

nous rendre au palais de l’Unesco. Le trajet à l’aller<br />

et au retour nous offrait l’opportunité d’aborder en<br />

toute liberté les sujets les plus divers. Il évoquait non<br />

amis<br />

(Que de fois ne s’était-il pas inquiété de les lire dans<br />

le Nahar?!)<br />

Il nous donnait l’impression d’être constamment<br />

en éveil, « en alerte », même les dimanches et les<br />

jours de fêtes. Cher Georges, pardonne-nous de<br />

disséquer comme cela une personnalité multiple<br />

comme la tienne, pardonne-nous de nous extasier<br />

devant ce qui pour toi était normal et spontané,<br />

pardonne-nous surtout d’avoir parfois manqué<br />

à tes appels sans que tu nous en aies voulu, en<br />

comprenant toujours, en aimant sans cesse.<br />

Peut-on te promettre que l’Alba, où trois longues<br />

décennies durant tu as œuvré avec un dévouement<br />

sans fin, continuera pour nous à être une priorité,<br />

et que le regard que nous aurons pour elle sera<br />

toujours celui de l’Amour que tu lui as porté? On<br />

s’y engage au nom de l’amitié qui nous unit et que<br />

rien, même ton départ sans crier gare, ne pourra<br />

altérer, cher Georges aux yeux de lumière.<br />

sans émotion la figure emblématique du fondateur<br />

de l’<strong>ALBA</strong>, Alexis Boutros. Il m’entretenait bien<br />

évidemment des projets qu’il pilotait au sein de<br />

cette prestigieuse institution, et me faisait part, sur<br />

le ton de la confidence, des problèmes d’ordre<br />

juridique et académique auxquels il était confronté.<br />

Lui qui était d’ordinaire discret et pudique, ne<br />

cachait pas sa fierté en énumérant les nombreux<br />

prix internationaux décrochés par ses étudiants.<br />

Mais les thèmes qui étaient le plus souvent au<br />

cœur de nos échanges concernaient tout autant<br />

la crise de l’enseignement supérieur, les aléas de<br />

la politique, la vocation historique du Liban, ainsi<br />

que l’avenir incertain de la présence chrétienne en<br />

Orient. Au fil des années, une confiance mutuelle<br />

s’est établie entre nous et une amitié profonde<br />

s’est tissée, nourrie de notre adhésion commune à<br />

un certain nombre de valeurs et d’idéaux. J’ai pu<br />

ainsi découvrir en lui, au-delà de l’administrateur<br />

efficace et du brillant responsable académique,<br />

l’humaniste à la culture si vaste et au goût si raffiné,<br />

épris de peinture, de musique et de beaux-arts,<br />

et surtout l’homme à l’esprit ouvert et au cœur<br />

immensément généreux.<br />

Avec son départ précipité et foudroyant, c’est toute<br />

une page lumineuse de l’<strong>ALBA</strong> plus particulièrement,<br />

et plus généralement de l’enseignement supérieur<br />

et de la vie culturelle au Liban, page écrite avec<br />

beaucoup de talent et de passion, qui se tourne.<br />

Il appartient à ses collègues et amis de retranscrire<br />

son parcours et de confier ce riche patrimoine et ce<br />

legs si précieux aux générations futures. Et le plus bel<br />

hommage que nous puissions rendre à sa mémoire<br />

c’est de demeurer fidèles aux principes qui ont<br />

inspiré son action et aux valeurs qu’il a prônées ;<br />

c’est de poursuivre inlassablement son œuvre et sa<br />

mission.<br />

T é m o i n a g e


T é m o i n a g e<br />

amis<br />

Mme May Arida<br />

Présidente du Festival international<br />

de Baalbeck<br />

En 2004, Joe Letayf, enseignant à l’Alba, est<br />

venu me trouver en me disant que le Doyen de<br />

l’Académie voulait me rencontrer à propos du<br />

spectacle de ses étudiants de 2ème année, qu’il<br />

voulait présenter à Baalbeck. Je l’ai donc reçu,<br />

avec le sourire que je lui ai toujours connu par la<br />

suite, et il m’a convaincue de ce qu’il voulait faire !<br />

C’est un Doyen extraordinaire et irremplaçable. Il<br />

était tellement bon, il aimait tant ses élèves qui le<br />

lui rendaient bien. Grâce à lui, l’Alba est un lieu de<br />

rencontres et d’expositions merveilleuses.<br />

Quelque temps avant son départ, je suis allée lui<br />

rendre visite à son domicile de Baabda, où il venait<br />

d’emménager. Il m’a accueillie avec son beau<br />

sourire, en robe de chambre. Il m’a demandé :<br />

« Cette année, on refait l’Alba à Baalbeck ? ». Très<br />

émue, je lui ai renouvelé la réponse que je lui avais<br />

faite cinq ans auparavant…<br />

C’est sa figure d’ange, très souriante, très<br />

calme, que je garde jusqu’à présent…<br />

J’ai perdu un ami à qui je pense très souvent.<br />

J’admirais sa culture, son travail consciencieux,<br />

son sourire et son amour pour ses élèves. Il me<br />

manquera toujours.<br />

J’espère que les élèves de l’Alba penseront cette<br />

année rendre hommage à mon ami Georges ».<br />

Mme Myrna Boustani<br />

Présidente du Festival Al Bustan<br />

« Il y a une dizaine d’années, j’étais à la recherche<br />

de la date de naissance d’Alexis Boutros que je ne<br />

trouvais pas dans la biographie que lui a consacrée<br />

Denise Ammoun. J’ai alors appelé Georges<br />

Haddad qui m’a expliqué que Fouad Boutros disait<br />

qu’il était plus jeune que son cousin: pour ne pas<br />

créer de problème, la date a tout simplement été<br />

oubliée !<br />

Georges avait un sens de l’humour magnifique ;<br />

nous riions beaucoup ensemble.<br />

J’aimais sa bonhomie, sa connaissance<br />

parfaite de chacun de ses élèves. Il<br />

présentait ses étudiants talentueux avec<br />

enthousiasme. Il en était toujours très fier.<br />

C’était un homme patient, très généreux de sa<br />

personne. Il savait arrondir les angles, sans que son<br />

professionnalisme n’en subisse les frais. Il travaillait<br />

beaucoup et ne se vantait jamais. Profond et<br />

courtois, il était toujours souriant et positif.<br />

<strong>No</strong>us avons invité l’Alba à présenter ses spectacles<br />

des 2èmes années, durant le festival Al Bustan: en<br />

2000, « Don Giovanni » de Mozart, avec le théâtre<br />

d’ombres ; en 2003, « Le Voyage à Reims » de<br />

Rossini, avec les marottes. En 2007 enfin, « L’Heure<br />

espagnole » de Ravel, avec les marottes. Et il y<br />

avait aussi les spectacles à Baalbeck qui étaient<br />

inoubliables, surtout celui de 2009 avec un extrait<br />

de Tristan et Yseult de Wagner.<br />

C’est à Baalbeck, en juillet dernier, que j’ai vu<br />

Georges pour la dernière fois. Il faut garder sa<br />

marque, tout ce qu’il a fait ».<br />

Mme Mouna Haraoui<br />

Présidente de la Fondation Nationale<br />

du Patrimoine<br />

1 2<br />

Georges était une belle figure. Sous son égide,<br />

l’Alba a réalisé de grands pas vers le futur.<br />

Je l’ai connu il y a plus de vingt ans ; et nous avons<br />

coopéré ensemble dans plusieurs projets exécutés<br />

par la Fondation nationale du Patrimoine.<br />

Doté d’un esprit ouvert et d’un cœur<br />

généreux, Georges était compréhensif<br />

et tolérant, ferme certes, mais aussi<br />

tendre et foncièrement bon.<br />

Il a géré l’Alba en professionnel et en psychologue<br />

avisé. Il a inculqué à des générations de jeunes<br />

étudiants le sens du travail et le goût de l’innovation.<br />

Il a surtout réussi à promouvoir chez cette jeunesse<br />

l’esprit créatif, ce souffle ou ce « cri de dedans »,<br />

indispensables pour l’élaboration de lendemains<br />

meilleurs.


1 3


T é m o i n a g e<br />

amis<br />

M. Raymond Rizk<br />

Membre du MJO,<br />

Ami de jeunesse<br />

In Memoriam: Georges Haddad<br />

J’ai plusieurs fois commencé à écrire ce<br />

témoignage, mais je m’arrêtais, tant I‘idée même<br />

du décès de Georges Haddad m’était pénible. Je<br />

n’aurais jamais imaginé qu’il parte avant moi, lui<br />

bien plus jeune, tant il était plein de joie et d’allant.<br />

II m’est encore difficile de me convaincre qu’il soit<br />

parti si vite.<br />

Quand il avait appris, il y a peu de mois, qu’il était<br />

atteint d’un mal pratiquement incurable, il s’est tout<br />

de suite soumis à la volonté de Dieu. Sa seule prière<br />

était que Dieu lui donne de garder le courage et la<br />

foi. II demandait aussi que lui soient épargnées de<br />

grandes souffrances, non pas tant pour lui-même,<br />

mais pour la souffrance que cela causerait à ses<br />

proches. La dernière fois que je I’ai vu, deux jours<br />

avant sa dormition, il était conscient de la gravité<br />

de son état, mais s’en remettait en toute sérénité à<br />

la grâce de Dieu.<br />

Georges faisait partie de ces personnes que je<br />

pouvais retrouver, après une longue absence, et<br />

reprendre notre conversation comme si I’on venait<br />

à peine de se quitter. Je ne parlerai pas de sa<br />

totale disponibilité, de son écoute aimante, de son<br />

attachement à I’Alba dans laquelle il était entré,<br />

jeune encore, comme on entre en sacerdoce,<br />

de son attention compatissante à chacun de<br />

ses étudiants dont il assumait personnellement<br />

les problèmes. Tout cela est très connu et sera<br />

certainement souligné par d’autres. Georges<br />

laissera un grand vide qui sera difficilement<br />

remplacé pour tous ceux avec qui il avait frayé, sa<br />

vie durant.<br />

Lors de ses funérailles, en écoutant la<br />

récitation des Béatitudes, j’ai tout d’un<br />

coup réalisé qu’il les avait appliquées<br />

toutes.<br />

II était véritablement «pauvre en esprit», humble, ne<br />

se prenant jamais au sérieux. II fut «doux», refusant<br />

de se laisser aller à la colère, refusant la violence<br />

et la vengeance, même quand des coups de<br />

boutoir lui furent assénés, avec rudesse, par ceux<br />

dont il se considérait très proche. II fut durement<br />

touché, blessé en profondeur, mais il pardonna,<br />

car la haine n’a jamais eu de prise sur lui. Ce fut<br />

un «pacificateur», un «cœur pur». II joua souvent<br />

le rôle de conciliateur entre ses amis, ses parents,<br />

ses étudiants . II avait «faim et soif de justice». Sa<br />

défense de I’Alba fut longue et proverbiale. II était<br />

sûr de son bon droit et le défendait honnêtement,<br />

refusant de se prêter à des coups bas. II fut<br />

«persécuté» à cause de sa lutte acharnée «pour<br />

la justice» de cette cause. II était compatissant et<br />

‘miséricordieux’, toujours prêt à aider, se faisant<br />

le défenseur et le père de ses étudiants. Pour tout<br />

cela, il faisait partie du Royaume de Dieu et trouvait<br />

sa consolation en Dieu.<br />

1 4<br />

Comme nous I’ont rappelé les hymnes de la<br />

Résurrection, chantées lors des funérailles, Georges<br />

n’est pas mort. II est entré dans un surcroit de vie. II<br />

vit maintenant la Résurrection. II habite toujours le<br />

même Royaume, mais il lui est donné maintenant<br />

d’approcher encore plus la glorieuse face de Dieu.<br />

II est donc devenu un intercesseur pour tous ceux<br />

qu’il a aimés. C’est lui qui prie pour nous. Ses prières<br />

se joignent aux nôtres dans le grand mystère de la<br />

communion des saints. Toujours lors des funérailles,<br />

des fleurs en papier, tressées par I’affection de ses<br />

étudiants, furent distribués par eux à chacun des<br />

participants qui remplissaient tous les recoins de la<br />

vaste église, comme lors des offices de la Semaine<br />

Sainte et de Pâques, comme si l‘assistance<br />

pressentait que cette cérémonie était un avantgoût<br />

de la grande fête de la Résurrection. La vue<br />

de cette nombreuse assistance, des fleurs de toutes<br />

les couleurs en mains, a dû certainement plaire à<br />

Georges. Elle était un résumé de son œuvre: faire de<br />

la beauté à partir des éléments les plus communs.<br />

Depuis I’lncarnation, la matière est devenue<br />

capable de participer à I’ineffable. En faisant<br />

fructifier au centuple les dons de ses étudiants,<br />

en les aidant à s’épanouir, Georges participait à<br />

I’œuvre de Dieu. C’était son témoignage, sa façon<br />

de dire sa foi totale en Celui qui s’est abaissé pour<br />

nous ouvrir les voies de I‘éternité, qui sont pavées<br />

de beauté et d’amour.<br />

Ce n’est qu’un au revoir, Georges. Tu resteras<br />

toujours parmi nous, en nous. Chaque fois que nous<br />

serons attristés, nous penserons à ton sourire. Tu étais<br />

beaucoup plus qu’un ami. Tu t’es voulu le frère d’un<br />

grand nombre, à I’image de ton maître, Jésus. Et tu<br />

I’as et été.


1 5<br />

Mme Nada Akl<br />

Peintre<br />

J’avais <strong>12</strong> ans quand j’ai connu Georges Haddad. À 11<br />

ans, le cerveau devient « accompli », on ne dessine plus<br />

les yeux de face et le nez de profil dans un même visage<br />

comme dans l’Égypte ancienne, mais tout se structure<br />

comme par enchantement. Passionnée par la peinture, je<br />

copiais les grands maitres et avais le talent de réaliser des<br />

« rondes-bosses » tout à fait honorables. Mon frère Ziad en 4<br />

ème ou 5 ème année d’architecture à l’Alba, ainsi que ses<br />

copains, ont perçu en mon pauvre talent une mine d’or :<br />

je pouvais en cachette faire toutes leurs rondes-bosses et<br />

ainsi ils pouvaient entre-temps sortir, s’amuser, s’éclater. Et<br />

pour m’appâter, moi, cinéphile alors très exaltée, Ziad me<br />

dit que pour me récompenser ils allaient me présenter le<br />

sosie de Richard Burton : il s’appelait Georges Haddad.<br />

Curieuse, en même temps résignée à mon destin<br />

« d’enfant exploitée » ; je me laissais tenter.<br />

Après plusieurs soirs de travail assez enchanté dans le<br />

grand atelier de l’Alba, rempli de sculptures en pierre ou<br />

plâtre, le sol maculé de terre glaise, d’immenses draps<br />

blancs pour couvrir le tout, l’odeur mélangée de tous<br />

ces éléments ajoutée à celle de mon fusain me comblait<br />

de bonheur. Et puis un jour apparut celui qu’on me<br />

présentait comme le sosie de Richard Burton. C’est vrai<br />

que Georges lui ressemblait comme deux gouttes d’eau<br />

à cette époque. Mais au lieu du côté puissant, bestial,<br />

et noceur de Burton, je vis quelqu’un de délicat, doux,<br />

sensible, solitaire, bien que très affable, au regard souriant,<br />

bienveillant, mais très très concentré.<br />

À cette époque je ne comprenais pas<br />

pourquoi. Plus tard, j’ai bien vu son sens<br />

de l’organisation, de l’administration du<br />

social, toujours à l’écoute pour mener<br />

à bien et au mieux avec tellement<br />

d’amour l’objet de sa passion, le but de<br />

sa vie, l’Académie Libanaise des Beaux-<br />

Arts.<br />

Tout ceci était sous- tendu par l’aura d’un certain Alexis<br />

Boutros, fondateur de l’Alba, musicien de grand talent, fin,<br />

idéaliste, dont mes parents me parlaient toujours avec la<br />

plus grande admiration. Puis au hasard de nos rencontres<br />

en famille, aux concerts (dont ceux de mon frère Walid, de<br />

qui il était aussi très proche), aux expositions (dont quelquesunes<br />

des miennes), je découvris en lui la profondeur de<br />

l’âme orthodoxe qui était la sienne, la mienne. Qu’on soit<br />

croyant ou pas, toute l’expression de la foi orthodoxe, la<br />

lithurgie, le rite, l’iconostase, la surcharge d’icones et de<br />

lumières d’or, m’ont toujours attirée, passionnée, et nous<br />

partagions cette culture, cette identité avec Georges, ce<br />

qui scellait encore plus notre amitié. Amitié qui se renforça<br />

encore plus, quand à Paris en 1986, il me présenta sa nièce<br />

May qui devint plus qu’une sœur pour moi, et d’ailleurs je<br />

fus son témoin quand elle épousa Nadim…<br />

La guerre complique encore plus les rapports humains<br />

ainsi que les acrobaties pour continuer une vie « normale »,<br />

parfaire un projet idéaliste -l’Alba toujours- en slalomant<br />

avec la mort, le danger, la corruption, les revirements<br />

d’alliance, les coups bas… Cette guerre, je le voyais bien, l’épuisait,<br />

c’est alors que je remarquai la nouvelle « menace », la<br />

« cigarette » en permanence pendue à ses lèvres et tous<br />

ces soucis et exaspérations qui boursouflaient son corps,<br />

comme s’il n’arrivait pas à évacuer les toxines de la<br />

difficile vie qui était notre lot quotidien.. Mais il rayonnait<br />

toujours lors de projets, concerts, expositions et autres<br />

manifestations culturelles passionnantes qu’il organisait.<br />

Et puis apparut pour moi un Ange gardien que je n’avais<br />

par remarqué jusque là : « Téta Julie », la maman de<br />

Georges. Une sorte de Miss Marple, en petite figurine,<br />

juvénile, angélique, coquine et qui protégeait Georges<br />

qui, lui, était « le fils de sa maman » comme beaucoup<br />

de véritables artistes. Il a failli même plusieurs fois brûler<br />

l’intérieur de sa poche avec la cigarette allumée qu’il<br />

lâchait en hâte par peur que Téta Julie ne le surprenne<br />

et le réprimande. C’était trop charmant. Et parallèlement<br />

à ces moments de bonheur, je le voyais quand même<br />

accumuler la saturation, l’exaspération, mais sans jamais<br />

baisser les bras, sa vocation - l’Alba - et l’amour de la vie<br />

reprenant toujours le dessus.<br />

Pendant huit ans, je n’ai plus été au Liban, happée par<br />

mes expositions à l’étranger. Et en avril 2009, je vins à<br />

Beyrouth pour assister au mariage de mon frère Ziad. À<br />

mon arrivée, Georges m’appelle pour m’inviter au concert<br />

commémoratif du 72ème anniversaire de l’Alba, ainsi<br />

qu’à l’hommage à Alexis Boutros, avec la participation de<br />

deux grands musiciens : Gary Hoffman et David Selig au<br />

Bustan. J’arrive toute contente, et j’aperçois Georges : le<br />

choc. Je vois un immense Macbeth, toujours la cigarette<br />

à la bouche, (mais cette fois-ci, elle m’apparut comme<br />

une pipette de cigüe), un Macbeth gigantesque, démoli,<br />

implosé et…très puissant. Un Macbeth grandiose, non<br />

pas démoli par ses crimes et son ambition comme chez<br />

Shakespeare, plutôt par le détachement. Le discours qu’il<br />

lut était magnifique, le résumé de toute une vie dédiée<br />

à perpétuer le rêve d’Alexis Boutros, de l’agrandir, le<br />

magnifier au service des étudiants du Liban et de l’Art.<br />

Pendant le concert qui suivit, la manifestation sonore, très<br />

sonore, d’une dabké à l’occasion d’un mariage au 3ème<br />

étage du Bustan avait des sonorités de bombes sourdes<br />

pour qui n’avait pas l’ouïe habituée à ces nuances…<br />

Et le pauvre Gary Hoffman terrorisé, livide, croyant que la<br />

guerre avait repris, attendit héroïquement de terminer le<br />

2ème mouvement de la 2ème sonate de Mendelssohn<br />

pour demander à Georges assis au premier rang de la salle :<br />

« C’est quoi ce bruit ? Des bombes ? » Georges, désabusé<br />

et amusé : « <strong>No</strong>n, c’est un mariage ! » Hoffman : « Mais<br />

c’est inouï ! On ne peut pas leur demander d’attendre la<br />

fin du concert ? » Georges : « <strong>No</strong>n, dans notre pays rien ne<br />

peut arrêter les réjouissances d’un mariage, que voulezvous<br />

que je vous dise… ».<br />

Je revis Georges à l’église où mon frère se mariait, et lui<br />

demandai avec insistance et naïveté je suppose, de suivre<br />

urgemment un régime alimentaire et d’arrêter de fumer. Il<br />

me regarda affectueusement, se foutant complètement<br />

de ce que je disais, tout en me souriant. Le 22 Décembre<br />

à 13h20 je reçois un SMS de May : « Khalo Georges est au<br />

ciel ».<br />

Mme May Kahalé<br />

Journaliste<br />

La journaliste May Kahalé a longtemps côtoyé Georges<br />

Haddad…<br />

«J’ai connu Georges Haddad à la fin des années 70, alors<br />

qu’Alexis Boutros était le doyen de l’Alba et que j’étais<br />

journaliste au Nahar, pour lequel je couvrais l’actualité<br />

des écoles et des universités. Plus tard, quand je suis<br />

passée au service politique du journal, je continuais à<br />

assister aux délibérations de l’Alba.<br />

Georges Haddad a toujours eu à cœur de faire connaître<br />

l’Académie. En avril 2009, à l’occasion de l’anniversaire<br />

de l’institution, son discours était plein d’espoir pour<br />

l’avenir de l’école…<br />

L’amour de sa vie a toujours été l’Alba;<br />

sa hantise, la protection de l’Alba. Cet<br />

attachement était rare: sa personne et<br />

l’Académie étaient indissociables. Il ne<br />

respirait pas en dehors d’elle, il y était<br />

comme un poisson dans l’eau!<br />

En ayant à cœur de faire de Balamand l’université dont<br />

tout le monde rêvait, il lui a personnellement apporté<br />

quelque chose.<br />

En 2006, le prix Hraoui a été créé pour commémorer<br />

l’ancien président libanais. Georges Haddad a été la<br />

première personne à qui le comité, dont je fais partie,<br />

a pensé pour la création d’un trophée. Celui-ci a voulu<br />

donner leur chance à ses étudiants, et quand nous<br />

avons désigné le lauréat, il était fier de lui. Il voulait à tout<br />

prix que les élèves soient constamment motivés par la<br />

nouveauté».


T é m o i n a g e<br />

anciens de l’alba<br />

M. Bechara Serhal<br />

Architecte, diplômé de l’Alba<br />

Georges, Paul, Myriam et moi, 1987.<br />

<strong>No</strong>us étions, Georges et moi, dans son bureau.<br />

Soudain, la porte du bureau de Georges s’ouvre<br />

et surgit Paul Guiragossian, tenant d’une main un<br />

croquis dessiné au fusain.<br />

Il le montre à Georges et crie fièrement : « Regarde<br />

le génie que je suis ! Regarde ce qu’en un coup de<br />

fusain j’ai fait ! ». Paul montre à Georges un dessin<br />

de nu de Myriam qu’il avait fait durant son cours<br />

de croquis.<br />

Georges le lui arrache des mains et s’ensuit un<br />

débat entre Georges et Paul. Georges criant à Paul<br />

de le lui signer. « Je refuse ! Un si beau croquis ! Il<br />

reste à moi !».<br />

Georges se retourne vers moi, m’ordonne de fermer<br />

la porte à clé et de ne pas laisser Paul sortir.<br />

1 6<br />

Paul finit par signer le croquis : « Paul G. à Georges ».<br />

Georges me demande alors d’ouvrir la porte et de<br />

laisser Paul sortir.<br />

Ce que je fais, je laisse donc Paul sortir.<br />

Je referme la porte à clé, que je remets dans ma<br />

poche…<br />

Et je m’installe devant Georges Haddad l’air<br />

menaçant :<br />

« Moudir !! Ce croquis est à moi, je n’ouvrirai la<br />

porte que lorsque tu me le donneras ».<br />

Georges me dit alors : « J’accepte de te le donner,<br />

mais j’ai mes exigences, et tu dois les accepter<br />

avant de les connaître ».<br />

J’accepte le défi.<br />

Il me dit :<br />

« 1ère condition : tu obtiens ton diplôme.<br />

2ème condition : tu te maries<br />

3ème condition : ton 1er enfant est un garçon, et à<br />

son 10ème anniversaire, je lui offre le croquis »<br />

Comme d’habitude Georges avait tout donné,<br />

sans rien donner.<br />

27 avril 2003, jour du dixième anniversaire<br />

de mon fils aîné Jean-Philippe, soit 16<br />

ans plus tard. Georges Haddad arrive<br />

avec un paquet enveloppé. Il demande<br />

à voir mon fils aîné, à qui il remet le<br />

fameux croquis, sur lequel il a pris soin<br />

de commenter l’histoire au verso.<br />

Voilà ce que Georges était, cette image que peu<br />

de gens connaissaient de lui. Cette histoire reflète<br />

sa vraie et sincère nature.


1 7<br />

M. Gaby Issa El Khoury<br />

Architecte, diplômé de l’Alba<br />

L’été 1978 a été le plus long de ma vie ! Je venais<br />

de finir ma terminale et m’apprêtais à faire des<br />

études universitaires qui décideraient toute ma vie<br />

d’adulte. C’est dire la pression que j’éprouvais quant<br />

au choix de ces fameuses études. Évidemment,<br />

comme tout élève libanais des classes scientifiques,<br />

et surtout à mon époque, le choix était on ne peut<br />

plus varié: génie ou médecine. De plus, les écoles<br />

nous préparaient tellement bien à faire ce choix<br />

crucial qu’on ne savait rien de rien !<br />

Et c’est donc avec mon ami de toujours, Pierre,<br />

que j’ai fait le tour des universités francophones<br />

du Liban. C’était très rapide ! Mais je n’étais pas<br />

plus avancé, je ne savais toujours rien de rien.<br />

Aujourd’hui, je ne saurais qui des amis de mon<br />

père a suggéré l’Alba et l’architecture. Soudain, je<br />

n’étais plus ingénieur ou médecin mais Architecte.<br />

C’était nouveau pour moi, et ce n’était pas difficile<br />

de me projeter quelques années dans le futur et me<br />

voir réussir dans mon nouveau métier. Seulement, il<br />

fallait commencer par le début (j’aurais préféré la<br />

fin, ça m’aurait évité beaucoup de nuits blanches<br />

et de stress !)<br />

Je me suis donc rendu à l’Académie Libanaise des<br />

Beaux-Arts (Alba était l’anagramme et non le nom<br />

de ma future université, et comme ça dès le départ<br />

je me trompais et sur le nom et sur le statut de<br />

l’établissement, je découvrais plus tard que j’étais<br />

dans une école et non une université, mais c’est<br />

une autre histoire…). Un jeune homme souriant et<br />

très aimable nous a reçus, Pierre et moi (bien sûr<br />

que Pierre m’accompagnait, il était aussi fixé sur ses<br />

études que moi). Je ne me rappelle pas très bien ce<br />

qui a été dit, mais je me rappelle ses yeux: d’un bleu<br />

aussi pur qu’un ciel d’août, et une gentillesse infinie.<br />

En fait je me souviens d’une phrase<br />

qu’il m’a dite (et que j’ai comprise<br />

évidemment des années plus tard):<br />

l’Alba est une famille ! Et il l’a toujours<br />

considérée ainsi.<br />

Après le concours (eh oui, à mon époque, on faisait<br />

un examen de maths et de français et une épreuve<br />

de dessin), je m’y suis rendu seul (Pierre avait déjà<br />

opté pour le génie civil, option oh combien osée et<br />

originale) pour connaître mon résultat.<br />

Le même jeune homme m’a reçu en m’appelant<br />

par mon prénom et me décrivant la grande<br />

catastrophe qu’était mon épreuve de dessin, et<br />

pour corser le tout m’a demandé des nouvelles<br />

de Pierre. J’étais abasourdi de cette mémoire.<br />

Évidemment qu’il avait vu toutes les copies de tous<br />

les examens, mais se rappeler des détails des miens,<br />

de mon nom, ainsi que celui de mon ami était tout<br />

simplement extraordinaire (d’ailleurs il m’a toujours<br />

demandé des nouvelles de Pierre durant mes<br />

années d’études, et quand Pierre passait par l’Alba,<br />

il le recevait comme un élève de l’Alba. Il a toujours<br />

eu un grand cœur !). Tout au long de mon (très<br />

long) séjour à l’Alba, en tant qu’étudiant et puis<br />

en tant qu’enseignant et responsable, c’est son<br />

incroyable mémoire qui m’a toujours sidéré. <strong>No</strong>n<br />

que ça soit sa seule qualité, il en a des tonnes, mais<br />

il faut l’avoir connu pour bien apprécier ce don qu’il<br />

avait. Il suffisait qu’on dise un numéro de téléphone<br />

une fois devant lui pour que ça s’enregistre à jamais<br />

dans sa mémoire: PHÉNOMÉNAL !<br />

Bien que toujours souriant et aimant les belles<br />

histoires, il se fâchait rouge quand les étudiants<br />

faisaient les fous dans les couloirs ou le hall. Il faut<br />

que j’avoue humblement que nous étions trois<br />

larrons à nous marrer très (trop, devrais-je dire)<br />

souvent. «Chakach», d’une force exceptionnelle,<br />

Kamel, aimant rire plus que tout, et moi-même<br />

aimant autant rire que jouer, nous passions nos<br />

journées à rire et faire les pitres. «Chakach» me<br />

lançait dans le hall, Kamel pleurait de rire, et je<br />

bondissais d’un coin à l’autre en embêtant profs et<br />

autres étudiants (venus ici pour étudier, quelle idée<br />

saugrenue !). Mais un jour où nous étions tous trois<br />

en super forme, «Chakach» lançait loin, Kamel riait<br />

très haut et évidemment je riais aussi haut et sautais<br />

partout, Georges est sorti de son bureau pour nous<br />

engueuler une première fois. <strong>No</strong>us nous sommes<br />

calmés un peu, puis nous avons repris de plus belle,<br />

mais au premier étage. Naturellement il n’a pas<br />

tardé à venir nous ré-engueuler. <strong>No</strong>us avions pensé<br />

bêtement qu’au premier il ne nous entendrait pas.<br />

<strong>No</strong>us nous sommes rendus donc au deuxième<br />

sous-sol pour continuer notre jeu. Quand il est<br />

descendu et qu’il nous a vus, il a simplement souri<br />

et dit: “Encore vous ?”. Depuis, il se déplaçait très<br />

peu quand il y avait beaucoup de bruit, car il savait<br />

que c’était encore nous ! Et quand nous avons tous<br />

les trois enseigné à l’Alba, il nous surveillait de près,<br />

redoutant que nous fassions de nouveau les fous (il<br />

ignorait qu’avec l’âge nous avions perdu qui de<br />

sa force et qui de sa voix). Il n’a jamais oublié de<br />

quoi nous étions capables ! Évidemment, avec une<br />

mémoire comme la sienne, ce n’est pas étonnant.<br />

Septembre 2009, Khalil et Simon m’appellent<br />

pour m’annoncer la terrible nouvelle: ce jeune<br />

homme souriant et à la mémoire phénoménale<br />

qui considérait l’Alba comme sa famille était très<br />

malade. Bien qu’Alexis Boutros soit décédé durant<br />

mon séjour à l’Alba, pour moi, ça a toujours été ce<br />

jeune homme qui dirigeait, décidait et s’occupait<br />

de tout. Il a toujours été présent et n’a jamais<br />

quitté l’Alba. Je l’ai appelé le lendemain pour<br />

m’enquérir de sa santé, et il me parlait avec le<br />

sourire, sa bonne humeur était perceptible même<br />

à travers le téléphone, à des milliers de kilomètres.<br />

Très gauchement je me renseignais sur son état, et il<br />

m’a répondu avec un rire: «je te verrais cet été pour<br />

t’embrasser, ne t’en fais pas, c’est promis !».<br />

C’était la première fois que Georges Haddad ne<br />

tenait pas sa promesse !...<br />

M. Joe Saghbini<br />

Architecte, diplômé de l’Alba<br />

Georges Haddad, l’esthète et l’homme de coeur<br />

Peu de mots pour témoigner d’un grand respect à<br />

un homme aujourd’hui disparu, trop tôt disparu…<br />

Un homme qui représentait, de son vivant déjà, une<br />

race en voie de disparition. Celle de ceux qui ont<br />

tout donné pour une cause à laquelle ils ont cru,<br />

celle pour qui donner c’était sans compter, celle<br />

pour qui l’engagement total n’avait pas de prix,<br />

pas même celui d’y consacrer sa vie… Il consacra<br />

la sienne à l’<strong>ALBA</strong>.<br />

«Monsieur Haddad», comme je l’ai toujours<br />

respectueusement mais affectueusement appelé,<br />

restera aux yeux de tous, l’exemple même de<br />

l’abnégation, de la générosité et de l’entière<br />

disponibilité.<br />

La porte de son bureau ouverte à tous,<br />

son oreille prête à toutes les doléances,<br />

il avait ce don, que peu de gens ont, de<br />

se sentir à l’aise aussi bien avec les gens<br />

les plus modestes que les personnalités<br />

les plus éminentes, et cette faculté<br />

d’alterner les sujets de conversation<br />

les plus divers, toujours animé par une<br />

intarissable curiosité des gens et des<br />

choses de l’art qui l’entouraient.<br />

Il savait écouter mais savait surtout entendre. Il<br />

savait regarder mais savait surtout voir.<br />

Il part comme il a vécu, en silence, mais en laissant<br />

derrière lui un immense vide auprès de tous ceux<br />

qui avaient su trouver chez lui du réconfort dans<br />

leurs moments difficiles et un repère dans leurs<br />

moments d’errance.<br />

«Monsieur Haddad», un dernier mot pour vous dire<br />

Merci.<br />

Merci de m’avoir accordé votre confiance, mais<br />

surtout votre amitié.


T é m o i n a g e<br />

anciens de l’alba<br />

M. Gregory Buchakjian<br />

Enseignant à l’Alba<br />

Georges: trois love stories<br />

Baalbeck<br />

Georges et Baalbeck, ce fut une grande histoire<br />

d’amour qui éclata au grand jour en 2004. Cette<br />

année-là, marquée par la maladie et le départ<br />

de Jackie Dardaud, les étudiants de la 2e année<br />

de l’École des arts décoratifs allaient présenter<br />

le divertissement musical de fin d’année sur les<br />

marches du temple de Bacchus. Une folie, qui allait<br />

se répéter les années suivantes. Georges avait cette<br />

capacité hallucinante de s’engager, et d’engager<br />

avec lui l’Académie toute entière, dans des projets<br />

que toute personne normale aurait considérés<br />

comme irréalisables.<br />

Les jours de préparatifs au temple de Bacchus,<br />

Georges s’installait à son emplacement préféré,<br />

sous l’abricotier (la mechmeché) et répétait<br />

chaque année que les abricots d’ici avaient<br />

un goût différent : « Metle’l Assal ! ». Le soir du<br />

spectacle, accompagné de May Arida et d’un<br />

aréopage de personnalités et d’officiels, Georges<br />

était systématiquement en ébullition. En 2006, une<br />

heure ou deux avant « 50 ans de lumière », nous<br />

(les enseignants) attendions à l’hôtel Palmyra la<br />

voiture « présidentielle » de l’Alba qui devait nous<br />

emmener sur le site (nous étions trop snobs pour<br />

daigner de marcher avec la populace !). La voiture<br />

ne venait pas, et nous avons fini par y aller à pied.<br />

Une fois arrivés, nous avons vu, au pied des marches<br />

du temple, Georges, par terre, tombé dans les<br />

pommes, entouré de secouristes de la Croix-Rouge !<br />

Quelques jours après « 50 ans de lumière », Israël<br />

attaquait le Liban. Georges était hanté à l’idée<br />

de savoir Baalbeck bombardée. Trois jours à peine<br />

après le cessez-le-feu (le 17 août 2006, pour être<br />

précis), je reçus un coup fil :<br />

« Greg, viens prendre un mezzé ! Joe (Letayf) et moi<br />

avons trouvé un nouveau restaurant, sur une colline<br />

qui surplombe les temples de Baalbeck ! » C’était<br />

lui. Ça ne pouvait être que lui. Georges était allé<br />

revoir la ville, les temples, Abdo, le gardien devenu<br />

ami, et tous les autres. Après le dîner, il est rentré<br />

se coucher au Palmyra dont il était (évidemment)<br />

le seul client. À trois heures du matin, il fut réveillé<br />

par le bruit assourdissant d’un bombardement. Il se<br />

leva, enfila ses chaussons avant de sortir à tâtons de<br />

sa chambre. Le courant électrique avait été coupé<br />

et le couloir baignait dans une obscurité totale. À<br />

part les fantômes, les tableaux de Rafic Charaf, et<br />

les ombres des vieux meubles patinés, il n’y avait<br />

pas âme qui vive. Les Israéliens venaient de mener<br />

une opération héliportée qui finalement fit plus de<br />

peur que de mal. Au matin, Georges avait déjà<br />

oublié les incidents nocturnes. Le road movie devait<br />

continuer : direction Yammouné, cuvette encaissée<br />

entre des montagnes, un de ces endroits du bout<br />

du monde, que Georges affectionnait…<br />

Constantinople<br />

Le dernier jour d’avril 2007, alors que la ville était<br />

secouée par des manifestations monstres et des<br />

émeutes entre les militants du parti au pouvoir et<br />

ceux de l’opposition, nous visitions l’église de Chora.<br />

Entouré des belles mosaïques byzantines, Georges<br />

se lança dans une lamentation sur la chute de<br />

Constantinople.<br />

C’était beau de l’entendre. On aurait<br />

presque cru que cet événement, vieux<br />

de cinq siècles, était survenu la semaine<br />

précédente.<br />

Je crois pouvoir affirmer que deux villes ont une<br />

place particulière dans le cœur de Georges :<br />

Istanbul et Le Caire. Dans chacune, il a ses repères,<br />

ses adresses, ses contacts, ses coups de cœur. À<br />

Istanbul, il tenait à nous emmener déjeuner chez<br />

Pandeli, son restaurant préféré, situé dans le bazar<br />

égyptien. <strong>No</strong>us nous sommes installés dans la salle<br />

aux murs couverts de carreaux de céramique bleus.<br />

Il y avait Josiane, Abdelnour, les Nysten je crois et<br />

puis Carlo et Marc qui sont venus m’offrir un cadeau<br />

que je ne décrirais pas ici. À la carte, j’avais lu «<br />

Hunkur Begendi », un plat turco-arménien, composé<br />

1 8<br />

d’une purée d’aubergines au lait accompagnée<br />

de bourghol et arrosée d’une sauce rouge avec<br />

des morceaux de viande. Ce plat était une des<br />

spécialités de ma grand- tante Sirvart, et je tenais à<br />

le partager avec Georges. Il a tellement aimé qu’il<br />

m’a proposé de partager une seconde tournée. «<br />

Tu sais, m’a-t-il dit, les portions sont un peu… pauvres<br />

? ». Au moment du dessert, j’ai relancé mes élans<br />

nostalgiques en faisant descendre du « Anuchabur<br />

» et du « Sareburma », pâtisseries sorties tout droit de<br />

mon enfance et du souvenir de Sirvart. Exaspéré, il<br />

m’a dit: « Allah yerhama ! Mais laisse moi manger<br />

en paix ! ».<br />

La Kebbé Arnabiyé (pour continuer avec les<br />

histoires de ventre !)<br />

Un jour, dans le bureau de Georges, je me suis<br />

retrouvé au cœur d’une discussion enflammée<br />

entre mon doyen et Joe Letayf. Ce dernier avait<br />

mangé la veille une Kebbé Arnabiyé préparée par<br />

Dalal, sa cuisinière. Joe estimait la Kebbé Arnabiyé<br />

de Dalal excellente, ce que Georges contestait,<br />

sans même l’avoir goûtée.<br />

« Ce n’est pas possible que Dalal (qui est maronite)<br />

puisse faire une bonne Kebbé Arnabiyé ! Pour être<br />

parfaite, la Kebbé Arnabiyé doit être orthodoxe ! ».<br />

C’était non discutable. Joe avait beau argumenter,<br />

Georges finit par lui lancer: « La meilleure Kebbé<br />

Arnabiyé est celle de Mme B. ! » (Je laisse cette<br />

adorable dame dans l’anonymat afin que tout<br />

Beyrouth ne sollicite pas auprès d’elle un repas).<br />

Or, Mme B. étant la maman d’un de mes meilleurs<br />

amis, je m’empressais d’appeler ce dernier pour lui<br />

raconter l’anecdote. Lui et sa maman étaient fort<br />

surpris de cette réputation, car eux et Georges se<br />

connaissaient à peine.<br />

Quelques jours plus tard, Mme B. nous invita à<br />

déjeuner.<br />

Au menu : Kebbé Arnabiyé.<br />

À table : Mme B., son fils, Georges, Joe et moi.<br />

Au moment de l’apéritif, Georges paraissait<br />

embarrassé d’avoir lancé ce défi. « Tu crois que je<br />

n’aurais pas dû ? », chuchota-t-il. Je suis sûr qu’au<br />

fond de lui-même il jubilait. Il allait s’offrir des agapes<br />

et, par-dessus le marché, avoir le dessus sur Joe.<br />

Le repas fut préparé et présenté dans les règles de<br />

l’art : porcelaine de Limoges, argenterie, service<br />

impeccablement exécuté par un barbarin noir tout<br />

de blanc vêtu. Et une Kebbé Arnabiyé parfaite,<br />

onctueuse, parfumée, avec ces relents d’oranges<br />

amères.<br />

Georges (qui a toujours raison) nous avait<br />

royalement fait partager une des plus belles histoires<br />

d’amour: la bonne chaire.


1 9<br />

M. Khalil Smayra<br />

Responsable administratif de<br />

l’École de Cinéma et de Réalisation<br />

audiovisuelle<br />

Khalil Smayra, ami de jeunesse de Georges<br />

Haddad, se souvient d’un jeune étudiant<br />

facétieux…<br />

« Les premiers souvenirs qui me reviennent en<br />

compagnie de mon ami Georges remontent à<br />

notre année de terminale, au lycée Saint-Élie de<br />

Moussaytbé, en 1963. <strong>No</strong>us faisions les diables, les<br />

« karakoz ». Pour un examen blanc, Georges s’était<br />

amusé à raconter à tout le monde qu’il allait tricher<br />

et il m’avait demandé de montrer l’anti-sèche<br />

que j’avais dans ma poche … que ma jambe<br />

tremblait…. Et toujours le rire qui met fin à l’aventure.<br />

<strong>No</strong>us avons passé 4 années ensemble à l’UL, lui en<br />

psycho, moi en lettres. Je me souviens d’une Sainte-<br />

Barbe, en 1966, où il nous avait joué un tour : nous<br />

l’attendions chez lui, tous déguisés, mais il n’arrivait<br />

pas. C’est parce qu’il était sorti en douce de chez<br />

lui, déguisé aussi, et qu’il avait rejoint le groupe…<br />

Il était parmi nous, et nous ne l’avions pas vu… !<br />

Jusqu’à l’année dernière, il me disait : « Tu te<br />

souviens de la Sainte-Barbe ? »<br />

Quand il est devenu doyen, j’étais préfet des études<br />

dans une école à Achrafieh. Il me demandait<br />

souvent de l’aider à corriger les écrits du concours<br />

d’entrée à l’Alba. Puis, en 1993, alors que j’étais<br />

installé au Canada, il m’a nommé à mon poste<br />

actuel et depuis…<br />

Grâce à sa politique, toutes les portes étaient<br />

ouvertes pour accueillir l’Alba. J’étais frappé<br />

de voir, quand je l’accompagnais en voyage<br />

professionnel, de l’accueil très particulier et très<br />

respectueux que lui réservaient les officiels. Tous<br />

les partenariats prestigieux de l’Alba ont été faits<br />

grâce à la personne même de Georges. Il a su être<br />

partout, et il nous a entraînés nous-mêmes à être<br />

partout…<br />

Quand on dit que le style, c’est l’homme,<br />

c’est vraiment adapté à Georges, qui<br />

était une personne rare à rencontrer<br />

dans la vie de tous les jours.<br />

Quelques jours avant son décès, alors qu’il était à<br />

l’hôpital, il m’a appelé pour que j’aille représenter<br />

l’Alba au congrès des ministres de l’Enseignement<br />

et de la Culture des pays arabes. Je lui ai répondu<br />

que j’étais fier de le faire. Le lendemain de la<br />

rencontre, je l’ai appelé pour lui dire que j’avais été<br />

ravi de répondre à l’appel sans savoir que ce serait<br />

la dernière mission…..<br />

Je n’ai jamais accepté d’aller le voir à l’hôpital,<br />

et il le savait. Je l’attendais à l’Alba. Maintenant,<br />

je m’attends encore à le voir passer devant ma<br />

porte. Grâce à notre grande complicité, il était<br />

toujours le premier auquel je téléphonais quand<br />

j’apprenais une nouvelle, quelle qu’elle soit. Encore<br />

aujourd’hui, je prends l’appareil mécaniquement<br />

pour composer son numéro. Il laisse un vide<br />

immense… ».<br />

Guvder<br />

Enseignant à l’Alba<br />

Guvder raconte Georges Haddad à sa manière,<br />

intense et poétique…<br />

« J’ai rencontré Georges Haddad en 1970. Un<br />

homme généreux, extraordinaire ! Il était sociologue,<br />

pas artiste, ce qui rend son mérite d’autant plus<br />

grand. Avec la force de grandissement, de<br />

développement qui l’habitait, il a multiplié l’Alba à<br />

la mort d’Alexis Boutros.<br />

Il avait en lui une générosité noble: il donnait<br />

beaucoup de bourses aux étudiants qui n’arrivaient<br />

pas à payer leur scolarité, avec une bienveillance<br />

juste et vigilante ».<br />

M Fouad Joujou<br />

Membre du MJO,<br />

Ami d’enfance<br />

Lettre à Girgy, de son ami d’enfance, Fouad<br />

Joujou…<br />

Ya Girgy. Il est vrai que tu nous a quittés depuis<br />

un moment mais, dans mon for intérieur, j’attends<br />

tous les jours tes appels téléphoniques et que tu me<br />

demandes : «Chou al akhbar?»<br />

Oui, tu nous a quittés en vitesse et en<br />

silence, dois-je douter de tes médecins<br />

et de leur compétence ? Dois-je leur<br />

crier notre colère contre eux qui, depuis<br />

deux ans, te faisaient subir tests et<br />

analyses sans toutefois remarquer cette<br />

tache qui avait trouvé refuge dans tes<br />

poumons??? Trop tard …<br />

Girgy, sois rassuré, l’Alba est entre de bonnes<br />

mains, et tes chers élèves ou même les anciens se<br />

rappellent bien de ton dévouement pour assurer<br />

leur avenir, leur débrouiller des bourses, s’assurer<br />

du niveau académique et de garder cette image<br />

d’une Alba toujours à l’avant-garde.<br />

On était les trois «inséparables» : le premier, Sami,<br />

nous a quittés depuis un moment et, comme toi,<br />

en vitesse et en silence. Alors, que souhaite le<br />

troisième??<br />

À bientôt, mon cher ami...<br />

Mme Aline Nassif<br />

Assistante du doyen<br />

Semer l’émotion. Cultiver la sensibilité.<br />

Apprendre l’humilité, la dignité, la délicatesse.<br />

Professer l’amour, le don de soi.<br />

Vivre plus fort et espérer mieux.<br />

Telle est de vous, M. Haddad, en quelques mots, l’image<br />

qui nous restera.<br />

Et même si vous ne me demandez plus, chaque deux<br />

minutes, «à combien on en est?» sachez qu’on sera<br />

nombreux à vous rendre cet ultime hommage.


T é m o i n a g e<br />

alba<br />

Mme Aurore Abi Nader-Beaini<br />

Enseignante à l’Alba<br />

À la seconde où la mauvaise nouvelle s’abattait sur<br />

moi, l’image commençait à s’écrouler. L’image, la<br />

grande, celle de mon passé dans tous ses détails,<br />

de mon présent dans tout son drame, même celle<br />

des demains qui n’avaient pas encore vu le jour.<br />

Il est parti le pilier. La gorge est nouée au centre<br />

du cœur, le cœur bringuebale dans la cage<br />

thoracique, les côtes s’entrelacent, le reliquat de<br />

souffle s’étouffe sous le poids de la peine.<br />

J’avais compris que rien ne tuait l’amour.<br />

L’amour? Le vrai, pour une académie qu’il<br />

s’évertuait à arpéger au rythme de sa passion et<br />

de sa bonhomie. Il est parti, celui qui habitait dans<br />

tous les coins et les recoins de l’édifice monté au<br />

rythme de son idéal.<br />

Il est parti, celui qui s’investissait avec<br />

tellement de discrétion dans chacune<br />

des personnes de son univers, que celleci<br />

se sentait unique au monde.<br />

Il personnalisait même les objets inanimés qu’il<br />

avait revêtus d’une âme.<br />

Il a démissionné le pilier, il est maintenant aux côtés<br />

de Celui qui lui avait délégué sa mission, il n’est plus<br />

le pilier mais il veille sans doute sur tout ce qu’il a<br />

construit, sur tous ceux qu’il a aimés, il est ailleurs<br />

mais je l’entends aimer, je le vois maintenant du<br />

haut du bleu de ses yeux guetter chacune de<br />

nos pensées, construire nos intuitions, la volonté<br />

d’éterniser sa vocation résonne en moi, et je<br />

continue le voyage dans l’espoir de le revoir un<br />

jour, fier de tous ceux qu’il a chéris.<br />

Mme Anne Marie Zeenny<br />

Assistante à la communication à l’Alba<br />

Monsieur Haddad,<br />

Je vous écris cette lettre pour vous dire combien<br />

vous me manquez.<br />

Et pour vous dire aussi que depuis que vous n’êtes<br />

plus là, les rires, les cafés, les « Ooffs » tonitruants de<br />

Christine et d’Aline, qui soulageaient tout le monde<br />

du semblant de torpeur qui risquait de s’installer, les<br />

gâteaux, les bouffes et autres, qui nous donnaient<br />

de l’élan pour reprendre ou continuer dans la<br />

bonne humeur le travail que nous avions à faire,<br />

tout ca, Monsieur Haddad est parti avec vous.<br />

Mais il n’y a pas que ca… il y a cette présence, il y<br />

a ces jours où ca n’allait vraiment pas et que j’allais<br />

même jusqu’à renier l’existence de Dieu, vous me<br />

disiez alors : « Pourquoi, quand tu t’es levée ce<br />

matin, le soleil ne brillait pas ? »<br />

Et cela suffisait pour me remettre d’aplomb…<br />

J’ai éclairé les restes des cierges qu’ils ont allumés à<br />

l’annonce de votre voyage près de la Sainte Vierge<br />

qui est dans ma cuisine. Et quand l’électricité s’est<br />

coupée, ils m’ont aidée à ne pas trébucher. J’ai<br />

même failli allumer une cigarette lorsque je ne<br />

trouvais plus mes briquets, et puis je me souvenais<br />

que c’était votre âme qui y brillait et je m’astreignais<br />

à ne pas le faire…<br />

Vous voyez, plein de bêtises comme j’ai toujours eu<br />

l’habitude d’en faire, mais avec vous on en riait,<br />

tout en recevant un coup de fouet malgré le rire…<br />

Je n’ai plus grand-chose à vous dire,<br />

sauf que votre absence est difficile<br />

à supporter…Et, dites-moi, monsieur<br />

Haddad, le soleil va-t’il continuer à<br />

briller ?<br />

Si seulement vous pouviez me répondre encore une<br />

fois…<br />

Mme Christine Zachariou<br />

Secrétaire générale de l’Alba<br />

2 0<br />

Christine Zachariou a rencontré le doyen de<br />

l’Alba, en 1977, alors qu’elle s’inscrivait à l’École<br />

d’Architecture…<br />

«Mon grand-père m’avait accompagnée ce jourlà,<br />

parce qu’il connaissait Alexis Boutros. J’étais<br />

terriblement intimidée par ces deux hommes que<br />

j’admirais. M. Haddad essayait de me mettre à<br />

l’aise d’un regard qui semblait dire : Ne t’inquiète<br />

pas, tout ira bien, je suis là. Et il a toujours « été là »<br />

pour moi et pour beaucoup d’autres - pendant ces<br />

33 ans.<br />

Ce qui le différencie d’autres doyens ou directeurs,<br />

c’est son instinct pour saisir une occasion de<br />

développement d’un programme, d’initiation<br />

d’un atelier, etc. et son courage pour l’organiser.<br />

Maintenant, ce qu’il a fait peut paraître facile mais,<br />

en temps de guerre, il fallait pour cela une très<br />

grande audace, beaucoup d’optimisme et une foi<br />

certaine en notre pays!<br />

Il avait une forte intuition des gens, une très forte<br />

empathie qui menait parfois à trop d’indulgence,<br />

mais c’était son style et ça marchait. D’une très<br />

grande humilité, il savait ne pas abuser de son<br />

autorité. Et quand on adhérait à son gigantesque<br />

engagement dans l’Alba, on n’arrêtait pas nousmêmes<br />

de donner, parce que c’était le minimum<br />

qu’on pouvait faire!<br />

Il avait un don très particulier, qui<br />

était de toujours tourner une situation<br />

en sa faveur, surtout à l’époque des<br />

événements. Ses détracteurs, après<br />

avoir discuté avec lui, devenaient ses<br />

défenseurs. Ce pouvoir qu’il avait m’a<br />

toujours fascinée.<br />

Un nombre impressionnant de gens qu’il a aidés<br />

ont été marqués par le soutien moral ou l’empathie<br />

dont ils ont bénéficié. Son intarissable souci des<br />

autres s’est fait au détriment de son propre bienêtre.<br />

Son ouverture et son lien avec l’étudiant sont<br />

pourtant, à mes yeux, très importants et il faudra les<br />

préserver, les perpétuer.<br />

Et sa mémoire, Il se souvenait de chacun des<br />

diplômés de l’Alba, du projet de diplôme qu’il avait<br />

fait, s’il avait obtenu une mention ou pas, du nom<br />

des petit(e)s ami(e)s de l’époque. Un jour, il avait<br />

même demandé à la femme d’un professeur, venue<br />

suivre, 20 ans plus tôt, des cours à l’Alba, comment<br />

allait cette amie qui l’avait accompagnée au<br />

concours d’entrée!<br />

Comme nous ne pouvions pas laisser nos enfants<br />

seuls au Liban, j’ai offert à mon mari, pour nos vingt<br />

ans de mariage, une croisière en Égypte avec M.<br />

Haddad! Pas de meilleur guide que Georges dans<br />

ce pays qu’il a visité un nombre incalculable de fois<br />

et qu’il adorait, séduit tout autant par la richesse<br />

archéologique que par la cordialité, la bonhommie<br />

et la jovialité des Égyptiens!<br />

Il faisait de délicieuses seiches dans leur encre selon<br />

une recette propre à lui!».


2 1<br />

Mlles Suzanne Anhoury<br />

et Diala Lteif<br />

Architectes d’interieur, diplômées de l’Alba,<br />

Un été. Un temple. Un grand homme.<br />

Souvenirs diffus qui nous reviennent d’un autre<br />

temps, disparates et mêlés de fiction et de<br />

magie. Histoire qui confond mythe et réalité,<br />

histoire d’un grand homme que nous avons<br />

rencontré dans un vieux temple perdu entre la<br />

gloire et les ruines.<br />

En cet été 2006, notre rétrospective va sonner le<br />

glas, petite mort d’un pays, d’un rêve, petite mort<br />

de nous.<br />

Une scène, à l’aube d’un matin de juin, le soleil<br />

qui se prélasse lentement éclaire le temple<br />

d’une lumière bleuâtre et étire les ombres de la<br />

colonnade sur les grandes marches inégales. Un<br />

homme grand et imposant entre lentement en<br />

scène. Son ombre massive et vivante annonce<br />

de manière péremptoire l’ouverture du festival, sa<br />

présence crie haut et fort, plus fort que l’appel de<br />

Baalbeck.<br />

Le géant lève d’abord son bâton et d’un coup sec<br />

lance la musique. Guidée par ses gesticulations<br />

saccadées, une sorte de grande machine, aux<br />

rouages parfaitement huilés, se met en marche.<br />

Des sons enchanteurs et enivrants emplissent l’air.<br />

Caché derrière son violoncelle, Rostropovitch est<br />

là, un peu timide, il doit prendre discrètement la<br />

relève.<br />

En cet été 2006, je suis Oum Koulsoum, ma voix<br />

écrit comme une déflagration, je suis <strong>No</strong>ureev,<br />

derviche suspendu, mystique, je suis Rostropovitch,<br />

l’âme aspirée par mon violoncelle, le souffle muet<br />

de crainte.<br />

Lentement, le colosse se retourne et descend<br />

les marches, puis tout à coup prenant son élan<br />

sur un tremplin invisible, il s’élance dans les airs<br />

et se retrouve à l’avant de la scène, en maître<br />

des lieux. Il possède tout, il est le roi du temple.<br />

Des danseurs le suivent un peu dubitatifs, même<br />

<strong>No</strong>ureev l’oiseau éternel se sent un peu honteux ;<br />

intimidé par ce grand homme. Il guette le moindre<br />

signe, la plus petite pirouette pour reprendre de<br />

plus belle.<br />

En cet été 2006, je suis en transe... Les pieds ancrés<br />

dans la pierre millénaire, l’âme aussi haute que le<br />

son. La peau criblée de soleil, les yeux décapés<br />

de chagrin, je suis en deuil.<br />

Soudain le maître lance un cri, un appel de<br />

mobilisation. Et les grandes dames arrivent. Ella<br />

Fitzgerald, sa préférée, préside le cortège, elle<br />

lui sourit et lui fait une révérence, voyant son<br />

clin d’œil approbateur elle se met à chanter,<br />

elle improvise des sons, multiplie des syllabes.<br />

Elle chante pour lui, uniquement pour lui. Le son<br />

s’élève de plus belle, Fitzgerald est désormais<br />

accompagnée par Oum Koulsoum qui entame<br />

une seconde voix. Il sourit tendrement en posant<br />

sur la scène un regard approbateur.<br />

C’est d’une rencontre intemporelle que je saigne,<br />

union d’histoires, de culture, de grands hommes,<br />

de lui, de nous, à l’aube de sombrer.<br />

anciens de l’alba<br />

Puis, comme habité par un démon, il reprend<br />

le bâton du chef d’orchestre, et d’un coup sec<br />

impose le silence.<br />

Ils étaient tous venus ce jour, certains en simples<br />

connaissances, d’autres en réels amis, ils étaient<br />

venus ce jour-là en ultime hommage, un peu<br />

essoufflés du voyage, ils avaient pourtant revêtus<br />

leur auréole de fête, pour lui ils voulaient un<br />

spectacle sans fin, une prestation à tirer des larmes<br />

au début, ils étaient en noir, mais Ella tranchait trop<br />

avec ses robes fleuries et Fayrouz ne voulait pas<br />

quitter sa tunique blanche, au début ils étaient<br />

tous confus, chacun essayant d’imposer un thème<br />

dans une cacophonie métallique.<br />

Le soleil se lève, laissant place à la cantatrice<br />

adorée du grand maître. Habillée d’une longue<br />

tunique blanche, elle entre avec son calme<br />

impassible sur scène et se met à chanter. C’est<br />

Fayrouz, notre perle nationale. Lui, il l’aime d’un<br />

amour profond. Il a les larmes aux yeux quand<br />

elle chante, son cœur est empli de bonheur.<br />

Sur ce, le géant se retourne, fait sa dernière<br />

révérence et quitte la scène avec son air<br />

flegmatique. Le public applaudit en chœur,<br />

jusqu’à perdre souffle.<br />

Troisième GONG. Point d’air funèbre, une discrète<br />

révérence, un sifflotement doux en unisson, qui te<br />

suivra, immatériel, jusqu’au couchant des grands<br />

hommes.<br />

Lui, ce grand homme, grand-maître du temple de<br />

Bacchus, c’est bel et bien notre directeur, notre<br />

Georges Haddad.<br />

<strong>No</strong>us lui dédions notre spectacle, celui des 50 ans<br />

de lumière, qui désormais dans notre mémoire et<br />

dans la vôtre, est son spectacle à lui. Ce matin-là,<br />

à l’aube, Georges Haddad domina la scène et<br />

intégra la grande et prestigieuse liste des grands<br />

colosses qui visitèrent ce lieu, et sera à jamais un<br />

des artistes indélébiles de la famille de Baalbeck.<br />

T é m o i n a g e


T é m o i n a g e<br />

alba<br />

M. Élie Abi Nassif<br />

Enseignant à l’Alba<br />

Le Nil ...et Khan El Khalili<br />

Kibbeh<br />

Arnabieh<br />

Sabbidij<br />

Bil Hebr<br />

Sophie<br />

Yéramian<br />

Son goût pour l’art, du naïf<br />

au spirituel<br />

La coupole de l’église de Mhardeh<br />

L’icône de<br />

Saint Georges<br />

Le dernier dîner officiel, au<br />

Phoenicia, avec Véra<br />

Les vieilles portes,<br />

avec les poignées<br />

en porcelaine<br />

George Haddad,<br />

Vu par Élie Abi Nassif<br />

2 2<br />

Quelques photos pour résumer toute une vie...<br />

Le reconnaître grâce aux petites choses de la<br />

vie, ses lieux privilégiés, ses plats préferés, sa<br />

solitude et surtout, sa grande spiritualité...<br />

Le promeneur<br />

solitaire dans les<br />

ruelles de Hama<br />

«Dessine moi un<br />

mouton...» Tu<br />

es parti! Mais le<br />

mouton est<br />

toujours là!


2 3<br />

Mme Joumana Youssévitch<br />

Enseignante à l’Alba<br />

Écrire pour Georges. Écrire pour se souvenir. Déjà ?<br />

Si tôt ?<br />

Je n’ai tout simplement pas pu le faire, dans un<br />

premier temps. J’ai fait « celle qui a oublié qu’il<br />

fallait le faire », à la manière de certains étudiants.<br />

J’ai fait « celle qui n’a pas le temps », à la manière<br />

de certains patrons. J’ai même fait « celle que cela<br />

ne concerne plus », à la manière des ingrats.<br />

Et pourtant, dans le fond, je ne faisais que refuser,<br />

encore et encore, cette idée que Georges était<br />

parti, pour toujours. M’y suis-je résignée alors,<br />

aujourd’hui, puisque j’écris ? <strong>No</strong>n ! Impossible !<br />

Seulement voilà, c’est ce mot qui m’a fait réagir.<br />

Parce que lui, il le détestait ce mot, il le combattait,<br />

toujours et toujours, et il ne m’aurait pas pardonnée<br />

de m’en servir. Il m’aurait regardée, droit dans les<br />

yeux, avec un soupçon de reproche contredit par<br />

son sourire en coin de « celui qui sait qu’il va obtenir<br />

ce qu’il veut » et il aurait dit : « Joumanaaaaa » !<br />

Et bien sûr, dans ces cas, tout devenait facile. Rien<br />

d’impossible pour Georges, jamais. À part… ne pas<br />

tenter l’impossible !<br />

Mais de quoi parler? De cette année 1995 où,<br />

alors que je déprimais à mort d’être rentrée au<br />

Liban, il nous a, à Adolphe et moi, sans nous<br />

connaître plus que ça, accordé sa confiance,<br />

totale et indéfectible ? De toutes ces années où,<br />

même les lundis, jours maudits entre tous, quelle<br />

que soit son humeur, dès qu’il m’apercevait, son<br />

visage se transformait ? Il prenait alors ce ton<br />

autoritaire que démentaient ses yeux malicieux et<br />

son sourire affectueux et me sommait de passer<br />

dans son bureau. Là, il m’exposait ses rêves, ses<br />

projets, ses désirs. Parfois, souvent même, il jouait<br />

au Petit Prince. « Dessine-moi un mouton » ce qui<br />

voulait dire « écris-moi un discours » par exemple.<br />

Et là, il s’emballait. Tous les messages, les moins<br />

politiquement corrects y compris, devaient figurer<br />

dans le discours, mais bien sûr, sans avoir l’air de le<br />

dire. C’était tout Georges ça ! « Comment ? » osaisje<br />

répondre. « Toi tu sais » répondait-il. Plus rien à<br />

en tirer. Je rentrais chez moi, persuadée de m’être<br />

faite avoir, mais en fait, il suffisait que je reprenne ses<br />

mots, si bienveillants malgré leur sévérité, pour que<br />

les choses deviennent simples. L’intérêt et l’avenir<br />

des jeunes, c’était son moteur, sa raison de vivre. Le<br />

pays leur faisait du tort ? Les politiciens entravaient<br />

leur avenir ? Les va-t-en guerre les faisaient fuir ?<br />

Ou tout simplement personne ne leur donnait<br />

un espace pour s’exprimer ? Eh bien ces gens<br />

n’avaient qu’à bien se tenir. Grâce à Georges,<br />

devant 1000 personnes et non des moindres, du<br />

haut des marches de Bacchus, nous leur disions,<br />

haut et fort, notre réprobation et notre colère. Parler<br />

de ces années « Baalbeck », gravées à tout jamais<br />

dans mon cœur, où pendant une semaine entière<br />

nous vivions ensemble, partagions nos repas, le<br />

manque de sommeil, les mêmes angoisses, les<br />

mêmes terreurs parfois, mais aussi les mêmes joies,<br />

intenses, immenses, les mêmes bonheurs, la même<br />

satisfaction quand, finalement, nous avions le<br />

sentiment d’avoir réussi à faire ce que nous devions<br />

faire. Et tout de suite après, alors que moi, comme<br />

d’habitude, je me plongeais dans mes doutes et<br />

mes remises en question, lui bâtissait déjà l’avenir,<br />

reprenait ses rêves, ses projets, et redevenait le Petit<br />

Prince. En fait, parler de tout cela est dur, très dur,<br />

mais en fermant les yeux je peux vous voir, Georges,<br />

trônant dans votre abbaya dans la cour de l’hôtel,<br />

les bras grands ouverts, et je peux vous entendre<br />

rire, de ce rire si contagieux et vous entendre nous<br />

accueillir, un à un, en chantant à tue-tête des airs<br />

d’opéra. Et là, plus de peine, plus de tristesse, il ne<br />

reste que la joie, la fierté et l’honneur d’avoir pu<br />

faire un bout de chemin avec vous. Je vous aime<br />

Georges, et merci pour tout !


Mme Claude Nahas<br />

Responsable de l’orientation à l’Alba<br />

Claude Nahas évoque des souvenirs de celui qu’elle<br />

appelle «Georges tout court» depuis son enfance…<br />

« Georges, Sami (mon frère) et Fouad (leur ami)<br />

étaient tout le temps chez nous. <strong>No</strong>us habitions (nous<br />

habitons toujours) le même quartier. Tous membres<br />

du Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe, notre<br />

souci était le renouveau spirituel de l’Église. <strong>No</strong>us<br />

nous occupions de catéchèse, de travail social<br />

et de toutes sortes d’activités. Ceci crée des liens<br />

profonds et indéfectibles.<br />

Je travaille avec Georges à l’Alba depuis 41 ans.<br />

La grande aventure que nous avons vécue, c’est<br />

la relève, à partir de rien, après le décès de son<br />

fondateur Alexis Boutros.<br />

J’ai été témoin du dévouement<br />

extrême de Georges: il a tout donné à<br />

l’Alba. Son courage, sa persévérance et<br />

son amour du prochain ont incité toute<br />

l’équipe à agir de même.<br />

Cette équipe, les étudiants, leurs parents lui ont fait<br />

confiance pour que cette œuvre continue.<br />

Il avait la vision de continuer cette œuvre, de<br />

l’agrandir. Il n’a jamais reculé devant les défis et les<br />

risques, il allait toujours de l’avant, que ce soit pour<br />

fonder une nouvelle formation, pour entreprendre<br />

des contacts avec l’étranger ou pour magnifier les<br />

spectacles de Baalbeck, en hommage à Jackie,<br />

une autre battante qui nous a aussi quittés.<br />

Georges a mené la barque à bon port, de là-haut il<br />

veille à sa continuité et voit le résultat».<br />

M. Jean-Louis Mainguy<br />

Architecte d’intérieur<br />

«Personne ne sait encore si tout ne vit que pour<br />

mourir ou ne meurt que pour renaître».<br />

Marguerite Yourcenar<br />

Un regard clair comme une belle journée de<br />

printemps où tout attend sa renaissance, car<br />

« renaissance » était l’idée-force, sous-jacente à la<br />

mission que Georges s’était promis d’accomplir et<br />

d’achever pour l’Alba :<br />

D’abord, la renaissance d’un « académisme<br />

éclairé », comme le lui avait toujours conseillé Alexis<br />

Boutros ; la renaissance, ensuite, dans la perfection<br />

du passé de l’Alba, au moment du départ d’Alexis<br />

Boutros. Renaissance aussi de la sève régénératrice<br />

par une recherche constante du dépassement de<br />

soi à travers un corps professoral pris dans la chair<br />

même de l’Alba. Renaissance enfin, celle de l’être,<br />

pour approcher cette perfection que seul l’art peut<br />

emprunter pour créer à son tour une harmonie<br />

divine à travers chaque étudiant de l’Alba.<br />

Ce regard au-delà du temps réducteur,<br />

cette vision au-delà de tous les réels<br />

« obstructeurs », nous les lui devons, nous<br />

tous, dont l’« expérience Alba » nous a<br />

fait renaître à nous-mêmes.<br />

2 4

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