T é m o i n a g e alba M. Élie Abi Nassif Enseignant à l’Alba Le Nil ...et Khan El Khalili Kibbeh Arnabieh Sabbidij Bil Hebr Sophie Yéramian Son goût pour l’art, du naïf au spirituel La coupole de l’église de Mhardeh L’icône de Saint Georges Le dernier dîner officiel, au Phoenicia, avec Véra Les vieilles portes, avec les poignées en porcelaine George Haddad, Vu par Élie Abi Nassif 2 2 Quelques photos pour résumer toute une vie... Le reconnaître grâce aux petites choses de la vie, ses lieux privilégiés, ses plats préferés, sa solitude et surtout, sa grande spiritualité... Le promeneur solitaire dans les ruelles de Hama «Dessine moi un mouton...» Tu es parti! Mais le mouton est toujours là!
2 3 Mme Joumana Youssévitch Enseignante à l’Alba Écrire pour Georges. Écrire pour se souvenir. Déjà ? Si tôt ? Je n’ai tout simplement pas pu le faire, dans un premier temps. J’ai fait « celle qui a oublié qu’il fallait le faire », à la manière de certains étudiants. J’ai fait « celle qui n’a pas le temps », à la manière de certains patrons. J’ai même fait « celle que cela ne concerne plus », à la manière des ingrats. Et pourtant, dans le fond, je ne faisais que refuser, encore et encore, cette idée que Georges était parti, pour toujours. M’y suis-je résignée alors, aujourd’hui, puisque j’écris ? <strong>No</strong>n ! Impossible ! Seulement voilà, c’est ce mot qui m’a fait réagir. Parce que lui, il le détestait ce mot, il le combattait, toujours et toujours, et il ne m’aurait pas pardonnée de m’en servir. Il m’aurait regardée, droit dans les yeux, avec un soupçon de reproche contredit par son sourire en coin de « celui qui sait qu’il va obtenir ce qu’il veut » et il aurait dit : « Joumanaaaaa » ! Et bien sûr, dans ces cas, tout devenait facile. Rien d’impossible pour Georges, jamais. À part… ne pas tenter l’impossible ! Mais de quoi parler? De cette année 1995 où, alors que je déprimais à mort d’être rentrée au Liban, il nous a, à Adolphe et moi, sans nous connaître plus que ça, accordé sa confiance, totale et indéfectible ? De toutes ces années où, même les lundis, jours maudits entre tous, quelle que soit son humeur, dès qu’il m’apercevait, son visage se transformait ? Il prenait alors ce ton autoritaire que démentaient ses yeux malicieux et son sourire affectueux et me sommait de passer dans son bureau. Là, il m’exposait ses rêves, ses projets, ses désirs. Parfois, souvent même, il jouait au Petit Prince. « Dessine-moi un mouton » ce qui voulait dire « écris-moi un discours » par exemple. Et là, il s’emballait. Tous les messages, les moins politiquement corrects y compris, devaient figurer dans le discours, mais bien sûr, sans avoir l’air de le dire. C’était tout Georges ça ! « Comment ? » osaisje répondre. « Toi tu sais » répondait-il. Plus rien à en tirer. Je rentrais chez moi, persuadée de m’être faite avoir, mais en fait, il suffisait que je reprenne ses mots, si bienveillants malgré leur sévérité, pour que les choses deviennent simples. L’intérêt et l’avenir des jeunes, c’était son moteur, sa raison de vivre. Le pays leur faisait du tort ? Les politiciens entravaient leur avenir ? Les va-t-en guerre les faisaient fuir ? Ou tout simplement personne ne leur donnait un espace pour s’exprimer ? Eh bien ces gens n’avaient qu’à bien se tenir. Grâce à Georges, devant 1000 personnes et non des moindres, du haut des marches de Bacchus, nous leur disions, haut et fort, notre réprobation et notre colère. Parler de ces années « Baalbeck », gravées à tout jamais dans mon cœur, où pendant une semaine entière nous vivions ensemble, partagions nos repas, le manque de sommeil, les mêmes angoisses, les mêmes terreurs parfois, mais aussi les mêmes joies, intenses, immenses, les mêmes bonheurs, la même satisfaction quand, finalement, nous avions le sentiment d’avoir réussi à faire ce que nous devions faire. Et tout de suite après, alors que moi, comme d’habitude, je me plongeais dans mes doutes et mes remises en question, lui bâtissait déjà l’avenir, reprenait ses rêves, ses projets, et redevenait le Petit Prince. En fait, parler de tout cela est dur, très dur, mais en fermant les yeux je peux vous voir, Georges, trônant dans votre abbaya dans la cour de l’hôtel, les bras grands ouverts, et je peux vous entendre rire, de ce rire si contagieux et vous entendre nous accueillir, un à un, en chantant à tue-tête des airs d’opéra. Et là, plus de peine, plus de tristesse, il ne reste que la joie, la fierté et l’honneur d’avoir pu faire un bout de chemin avec vous. Je vous aime Georges, et merci pour tout !