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T é m o i n a g e<br />
alba<br />
M. Pierre Neema<br />
Directeur de l’École d’Architecture<br />
Une lumière s’est éteinte.<br />
Une belle âme, un cœur immense, un grand<br />
humaniste nous a quittés. Georges Haddad n’est<br />
plus.<br />
II est parti dans la plénitude de son âge alors<br />
qu’après 30 ans de galère, il entrevoyait le bout<br />
du tunnel. Et il restait encore tellement à faire !<br />
C’est injuste et ce n’est pas équitable. Ce n’est pas<br />
équitable car, par le privilège de Page, nos deux<br />
rôles auraient dû être inversés.<br />
Ce n’est pas juste, parce qu’il est parti à l’âge où<br />
l’épanouissement d’une expérience longuement<br />
accumulée lui permettait de la transmettre et de la<br />
perpétuer.<br />
Discrètement, sans emphase, comme<br />
nous l’avons toujours connu, il nous<br />
a quittés sans nous laisser le temps<br />
d’un dernier adieu. II a laissé au bord<br />
du chemin, sa famille, ses amis et ses<br />
proches.<br />
II nous laisse le souvenir d’un homme de bien,<br />
d’un ami dont l’humanité n’avait d’égale que la<br />
générosité. Georges Haddad, tu nous manques<br />
déjà. Mais surtout, Bon Dieu, qu’est-ce que tu vas<br />
nous manquer !<br />
Mes souvenirs se bousculent en essayant de me<br />
rappeler toutes ces épreuves que nous avons<br />
traversées 45 ans durant. 45 ans d’une fraternité<br />
affectueuse en osmose totale. Pour moi, tu étais plus<br />
qu’un frère, car un frère de sang, nous l’acceptons<br />
comme un aléa de la vie. Mais un frère, choisi<br />
librement pour ses qualités et son humanité, c’est<br />
cent fois plus fort car c’est un frère dans l’Esprit - Et<br />
toi Georges, tu ne m’as jamais déçu. <strong>No</strong>us avons<br />
vibré ensemble pour le même rêve : Faire de l’<strong>ALBA</strong><br />
cette grande famille de l’Art qu’elle est devenue.<br />
<strong>No</strong>us avions pour le Liban les mêmes ambitions :<br />
bousculer cette société sclérosée qui s’endormait<br />
dans son matérialisme, recroquevillée dans ses<br />
convictions d’un autre temps.<br />
Oh oui ! Qu’est ce que nous l’avons rêvé ce Liban<br />
des années 60 qui renaissait de ses limbes, et pour<br />
lequel nous imaginions un avenir radieux ! Un avenir<br />
que nous allions bâtir de nos mains, avec tous les<br />
hommes de bonne volonté - Et Dieu sait s’ils étaient<br />
nombreux à l’ époque ! Que sont-ils devenus<br />
aujourd’hui ? Des chimères ?<br />
Je revois comme si c’était hier, les longues soirées<br />
éclairées aux bougies, tous les deux, bloqués<br />
dans les locaux de l’<strong>ALBA</strong> par la guerre fratricide,<br />
séquestrés par la bêtise humaine, la peur et les<br />
bombes, étouffant nos angoisses en rêvant de<br />
lendemains qui chantent! Et aussi fraternité pour<br />
tous nos jeunes qui s’entretuaient, manipulés par les<br />
forces mauvaises.<br />
À tous ceux-là, nous répétions inlassablement<br />
que les religions n’avaient pas été inventées pour<br />
donner la mort mais pour nous montrer la voie de la<br />
vérité qui est l’amour des autres, l’amour qui ne vit<br />
que par la Tolérance.<br />
Dans la légende dont nous t’avions entouré, tu<br />
étais notre Roi Arthur et nous, les Chevaliers de la<br />
Table Ronde unis dans le même combat pour l’Art,<br />
la Culture, l’Honnêteté intellectuelle et la Foi en la<br />
Patrie.<br />
Bien sûr ! <strong>No</strong>us n’étions pas toujours d’accord sur tout,<br />
au point que nos discussions étaient enflammées,<br />
mais nos constantes étaient les mêmes.<br />
<strong>No</strong>us avions la fougue et l’impatience. Tu avais,<br />
comme Alexis, la sagesse et la Foi.<br />
Toi, tu as su naviguer au milieu des orages et nous<br />
mener au port. Alexis Boutros était le visionnaire.<br />
Toi, tu as permis à cette vision de s’incarner, de se<br />
développer, de prospérer. Alexis avait délibérément<br />
consacré sa vie à<br />
l’Art. En digne disciple, tu as suivi le même chemin<br />
étroit, semé d’embûches et de dangers.<br />
Comme lui, tu as choisi de sacrifier ce qui fait le<br />
bonheur du commun des mortels, pour te consacrer<br />
à ce qu’il y a de supérieur : le service de l’Esprit.<br />
Comme dans la fable de l’Albatros, tu étais le<br />
Pélican prêt à s’éventrer pour nourrir ses enfants de<br />
ses propres entrailles.<br />
<strong>No</strong>us tous, les ouvriers de la première heure,<br />
comme ceux de la onzième heure, nous t’avons<br />
suivi, accompagné, admiré, détesté parfois, mais<br />
tu restes dans nos cœurs une lueur incomparable.<br />
Cette <strong>ALBA</strong> que le grand Alexis Boutros avait<br />
imaginée, créée, portée sur les fonds baptismaux,<br />
il l’a protégée des attaques sournoises et des<br />
complots et relevé les défis les plus fous.<br />
II était profondément croyant et religieux, mais<br />
intransigeant quant à la laïcité, à l’Universalité de<br />
son message et son dévouement aux citoyens qu’il<br />
devait former.<br />
0 6<br />
Merveilleux amalgame de ce que le Liban peut<br />
produire de meilleur.<br />
Oui, il avait fait de l’<strong>ALBA</strong>, dans son domaine,<br />
le Phare de la Connaissance, des Arts et de la<br />
Citoyenneté avant de te passer la main. Oui, il<br />
t’a laissé en héritage, toi le fervent disciple, le fils<br />
spirituel, cette belle fiancée encore fragile; et toi,<br />
dans le feu de la passion et du dévouement, tu<br />
l’as prise à bras le corps ! Et toi, dans l’engagement<br />
le plus total, tu lui as dédié ta vie et tu as toujours<br />
été fidèle à cette fiancée que tu as épanouie en<br />
une femme superbe de plus de 70 ans. Ensemble,<br />
cette femme nous l’avons rêvée, cajolée, aimée<br />
et même haïe bien des fois. Mais nous lui revenions<br />
toujours car nos destins lui étaient<br />
liés et étaient devenus indissociables.<br />
Et maintenant, c’est toi qui nous remets le<br />
flambeau. Mais tu peux être tranquille, la relève<br />
est déjà assurée. La Continuité se décline : ALEXIS -<br />
GEORGES - ANDRE.<br />
Et le miracle <strong>ALBA</strong> agit à nouveau.<br />
Le Cercle magique de la Table Ronde se referme<br />
à nouveau autour de l’Élu, le nouvel Arthur, pour<br />
continuer l’Aventure. Georges, nous te promettons<br />
de poursuivre inlassablement ta Mission. <strong>No</strong>us te<br />
promettons de transmettre ton enseignement à nos<br />
étudiants.<br />
<strong>No</strong>us allons essayer de leur inculquer la Tolérance<br />
qui est la première des Vertus, car elle est Amour<br />
: amour des siens. Amour des autres, Amour de la<br />
Différence.<br />
Que cet amour soit le symbole de ce Liban qui, tel<br />
un mirage, se dérobe à nos bras chaque fois que<br />
nous croyons l’avoir saisi.<br />
Ce Liban auquel nous voulons quand même croire.<br />
Tous ensemble, nous nous engageons à rebâtir ce<br />
Temple LIBAN si cher à ton cœur et à en chasser<br />
les marchands, tous les marchands, d’illusions, de<br />
haines et de mort.<br />
Tous ensemble, nous vous promettons, Alexis et<br />
Georges, de perpétuer votre vision et de compléter<br />
votre mission.<br />
<strong>No</strong>us nous engageons à remettre entre vos mains<br />
en le magnifiant, le Tabernacle que vous nous avez<br />
confié en espérant que, de là-haut, vous nous direz<br />
peut-être, un jour : Mes enfants, mes frères, vous<br />
avez bien travaillé.<br />
Adieu Georges, repose en paix, nous ne sommes<br />
pas prêts de t’oublier.