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No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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1 5<br />

Mme Nada Akl<br />

Peintre<br />

J’avais <strong>12</strong> ans quand j’ai connu Georges Haddad. À 11<br />

ans, le cerveau devient « accompli », on ne dessine plus<br />

les yeux de face et le nez de profil dans un même visage<br />

comme dans l’Égypte ancienne, mais tout se structure<br />

comme par enchantement. Passionnée par la peinture, je<br />

copiais les grands maitres et avais le talent de réaliser des<br />

« rondes-bosses » tout à fait honorables. Mon frère Ziad en 4<br />

ème ou 5 ème année d’architecture à l’Alba, ainsi que ses<br />

copains, ont perçu en mon pauvre talent une mine d’or :<br />

je pouvais en cachette faire toutes leurs rondes-bosses et<br />

ainsi ils pouvaient entre-temps sortir, s’amuser, s’éclater. Et<br />

pour m’appâter, moi, cinéphile alors très exaltée, Ziad me<br />

dit que pour me récompenser ils allaient me présenter le<br />

sosie de Richard Burton : il s’appelait Georges Haddad.<br />

Curieuse, en même temps résignée à mon destin<br />

« d’enfant exploitée » ; je me laissais tenter.<br />

Après plusieurs soirs de travail assez enchanté dans le<br />

grand atelier de l’Alba, rempli de sculptures en pierre ou<br />

plâtre, le sol maculé de terre glaise, d’immenses draps<br />

blancs pour couvrir le tout, l’odeur mélangée de tous<br />

ces éléments ajoutée à celle de mon fusain me comblait<br />

de bonheur. Et puis un jour apparut celui qu’on me<br />

présentait comme le sosie de Richard Burton. C’est vrai<br />

que Georges lui ressemblait comme deux gouttes d’eau<br />

à cette époque. Mais au lieu du côté puissant, bestial,<br />

et noceur de Burton, je vis quelqu’un de délicat, doux,<br />

sensible, solitaire, bien que très affable, au regard souriant,<br />

bienveillant, mais très très concentré.<br />

À cette époque je ne comprenais pas<br />

pourquoi. Plus tard, j’ai bien vu son sens<br />

de l’organisation, de l’administration du<br />

social, toujours à l’écoute pour mener<br />

à bien et au mieux avec tellement<br />

d’amour l’objet de sa passion, le but de<br />

sa vie, l’Académie Libanaise des Beaux-<br />

Arts.<br />

Tout ceci était sous- tendu par l’aura d’un certain Alexis<br />

Boutros, fondateur de l’Alba, musicien de grand talent, fin,<br />

idéaliste, dont mes parents me parlaient toujours avec la<br />

plus grande admiration. Puis au hasard de nos rencontres<br />

en famille, aux concerts (dont ceux de mon frère Walid, de<br />

qui il était aussi très proche), aux expositions (dont quelquesunes<br />

des miennes), je découvris en lui la profondeur de<br />

l’âme orthodoxe qui était la sienne, la mienne. Qu’on soit<br />

croyant ou pas, toute l’expression de la foi orthodoxe, la<br />

lithurgie, le rite, l’iconostase, la surcharge d’icones et de<br />

lumières d’or, m’ont toujours attirée, passionnée, et nous<br />

partagions cette culture, cette identité avec Georges, ce<br />

qui scellait encore plus notre amitié. Amitié qui se renforça<br />

encore plus, quand à Paris en 1986, il me présenta sa nièce<br />

May qui devint plus qu’une sœur pour moi, et d’ailleurs je<br />

fus son témoin quand elle épousa Nadim…<br />

La guerre complique encore plus les rapports humains<br />

ainsi que les acrobaties pour continuer une vie « normale »,<br />

parfaire un projet idéaliste -l’Alba toujours- en slalomant<br />

avec la mort, le danger, la corruption, les revirements<br />

d’alliance, les coups bas… Cette guerre, je le voyais bien, l’épuisait,<br />

c’est alors que je remarquai la nouvelle « menace », la<br />

« cigarette » en permanence pendue à ses lèvres et tous<br />

ces soucis et exaspérations qui boursouflaient son corps,<br />

comme s’il n’arrivait pas à évacuer les toxines de la<br />

difficile vie qui était notre lot quotidien.. Mais il rayonnait<br />

toujours lors de projets, concerts, expositions et autres<br />

manifestations culturelles passionnantes qu’il organisait.<br />

Et puis apparut pour moi un Ange gardien que je n’avais<br />

par remarqué jusque là : « Téta Julie », la maman de<br />

Georges. Une sorte de Miss Marple, en petite figurine,<br />

juvénile, angélique, coquine et qui protégeait Georges<br />

qui, lui, était « le fils de sa maman » comme beaucoup<br />

de véritables artistes. Il a failli même plusieurs fois brûler<br />

l’intérieur de sa poche avec la cigarette allumée qu’il<br />

lâchait en hâte par peur que Téta Julie ne le surprenne<br />

et le réprimande. C’était trop charmant. Et parallèlement<br />

à ces moments de bonheur, je le voyais quand même<br />

accumuler la saturation, l’exaspération, mais sans jamais<br />

baisser les bras, sa vocation - l’Alba - et l’amour de la vie<br />

reprenant toujours le dessus.<br />

Pendant huit ans, je n’ai plus été au Liban, happée par<br />

mes expositions à l’étranger. Et en avril 2009, je vins à<br />

Beyrouth pour assister au mariage de mon frère Ziad. À<br />

mon arrivée, Georges m’appelle pour m’inviter au concert<br />

commémoratif du 72ème anniversaire de l’Alba, ainsi<br />

qu’à l’hommage à Alexis Boutros, avec la participation de<br />

deux grands musiciens : Gary Hoffman et David Selig au<br />

Bustan. J’arrive toute contente, et j’aperçois Georges : le<br />

choc. Je vois un immense Macbeth, toujours la cigarette<br />

à la bouche, (mais cette fois-ci, elle m’apparut comme<br />

une pipette de cigüe), un Macbeth gigantesque, démoli,<br />

implosé et…très puissant. Un Macbeth grandiose, non<br />

pas démoli par ses crimes et son ambition comme chez<br />

Shakespeare, plutôt par le détachement. Le discours qu’il<br />

lut était magnifique, le résumé de toute une vie dédiée<br />

à perpétuer le rêve d’Alexis Boutros, de l’agrandir, le<br />

magnifier au service des étudiants du Liban et de l’Art.<br />

Pendant le concert qui suivit, la manifestation sonore, très<br />

sonore, d’une dabké à l’occasion d’un mariage au 3ème<br />

étage du Bustan avait des sonorités de bombes sourdes<br />

pour qui n’avait pas l’ouïe habituée à ces nuances…<br />

Et le pauvre Gary Hoffman terrorisé, livide, croyant que la<br />

guerre avait repris, attendit héroïquement de terminer le<br />

2ème mouvement de la 2ème sonate de Mendelssohn<br />

pour demander à Georges assis au premier rang de la salle :<br />

« C’est quoi ce bruit ? Des bombes ? » Georges, désabusé<br />

et amusé : « <strong>No</strong>n, c’est un mariage ! » Hoffman : « Mais<br />

c’est inouï ! On ne peut pas leur demander d’attendre la<br />

fin du concert ? » Georges : « <strong>No</strong>n, dans notre pays rien ne<br />

peut arrêter les réjouissances d’un mariage, que voulezvous<br />

que je vous dise… ».<br />

Je revis Georges à l’église où mon frère se mariait, et lui<br />

demandai avec insistance et naïveté je suppose, de suivre<br />

urgemment un régime alimentaire et d’arrêter de fumer. Il<br />

me regarda affectueusement, se foutant complètement<br />

de ce que je disais, tout en me souriant. Le 22 Décembre<br />

à 13h20 je reçois un SMS de May : « Khalo Georges est au<br />

ciel ».<br />

Mme May Kahalé<br />

Journaliste<br />

La journaliste May Kahalé a longtemps côtoyé Georges<br />

Haddad…<br />

«J’ai connu Georges Haddad à la fin des années 70, alors<br />

qu’Alexis Boutros était le doyen de l’Alba et que j’étais<br />

journaliste au Nahar, pour lequel je couvrais l’actualité<br />

des écoles et des universités. Plus tard, quand je suis<br />

passée au service politique du journal, je continuais à<br />

assister aux délibérations de l’Alba.<br />

Georges Haddad a toujours eu à cœur de faire connaître<br />

l’Académie. En avril 2009, à l’occasion de l’anniversaire<br />

de l’institution, son discours était plein d’espoir pour<br />

l’avenir de l’école…<br />

L’amour de sa vie a toujours été l’Alba;<br />

sa hantise, la protection de l’Alba. Cet<br />

attachement était rare: sa personne et<br />

l’Académie étaient indissociables. Il ne<br />

respirait pas en dehors d’elle, il y était<br />

comme un poisson dans l’eau!<br />

En ayant à cœur de faire de Balamand l’université dont<br />

tout le monde rêvait, il lui a personnellement apporté<br />

quelque chose.<br />

En 2006, le prix Hraoui a été créé pour commémorer<br />

l’ancien président libanais. Georges Haddad a été la<br />

première personne à qui le comité, dont je fais partie,<br />

a pensé pour la création d’un trophée. Celui-ci a voulu<br />

donner leur chance à ses étudiants, et quand nous<br />

avons désigné le lauréat, il était fier de lui. Il voulait à tout<br />

prix que les élèves soient constamment motivés par la<br />

nouveauté».

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