No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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T é m o i n a g e anciens de l’alba M. Gregory Buchakjian Enseignant à l’Alba Georges: trois love stories Baalbeck Georges et Baalbeck, ce fut une grande histoire d’amour qui éclata au grand jour en 2004. Cette année-là, marquée par la maladie et le départ de Jackie Dardaud, les étudiants de la 2e année de l’École des arts décoratifs allaient présenter le divertissement musical de fin d’année sur les marches du temple de Bacchus. Une folie, qui allait se répéter les années suivantes. Georges avait cette capacité hallucinante de s’engager, et d’engager avec lui l’Académie toute entière, dans des projets que toute personne normale aurait considérés comme irréalisables. Les jours de préparatifs au temple de Bacchus, Georges s’installait à son emplacement préféré, sous l’abricotier (la mechmeché) et répétait chaque année que les abricots d’ici avaient un goût différent : « Metle’l Assal ! ». Le soir du spectacle, accompagné de May Arida et d’un aréopage de personnalités et d’officiels, Georges était systématiquement en ébullition. En 2006, une heure ou deux avant « 50 ans de lumière », nous (les enseignants) attendions à l’hôtel Palmyra la voiture « présidentielle » de l’Alba qui devait nous emmener sur le site (nous étions trop snobs pour daigner de marcher avec la populace !). La voiture ne venait pas, et nous avons fini par y aller à pied. Une fois arrivés, nous avons vu, au pied des marches du temple, Georges, par terre, tombé dans les pommes, entouré de secouristes de la Croix-Rouge ! Quelques jours après « 50 ans de lumière », Israël attaquait le Liban. Georges était hanté à l’idée de savoir Baalbeck bombardée. Trois jours à peine après le cessez-le-feu (le 17 août 2006, pour être précis), je reçus un coup fil : « Greg, viens prendre un mezzé ! Joe (Letayf) et moi avons trouvé un nouveau restaurant, sur une colline qui surplombe les temples de Baalbeck ! » C’était lui. Ça ne pouvait être que lui. Georges était allé revoir la ville, les temples, Abdo, le gardien devenu ami, et tous les autres. Après le dîner, il est rentré se coucher au Palmyra dont il était (évidemment) le seul client. À trois heures du matin, il fut réveillé par le bruit assourdissant d’un bombardement. Il se leva, enfila ses chaussons avant de sortir à tâtons de sa chambre. Le courant électrique avait été coupé et le couloir baignait dans une obscurité totale. À part les fantômes, les tableaux de Rafic Charaf, et les ombres des vieux meubles patinés, il n’y avait pas âme qui vive. Les Israéliens venaient de mener une opération héliportée qui finalement fit plus de peur que de mal. Au matin, Georges avait déjà oublié les incidents nocturnes. Le road movie devait continuer : direction Yammouné, cuvette encaissée entre des montagnes, un de ces endroits du bout du monde, que Georges affectionnait… Constantinople Le dernier jour d’avril 2007, alors que la ville était secouée par des manifestations monstres et des émeutes entre les militants du parti au pouvoir et ceux de l’opposition, nous visitions l’église de Chora. Entouré des belles mosaïques byzantines, Georges se lança dans une lamentation sur la chute de Constantinople. C’était beau de l’entendre. On aurait presque cru que cet événement, vieux de cinq siècles, était survenu la semaine précédente. Je crois pouvoir affirmer que deux villes ont une place particulière dans le cœur de Georges : Istanbul et Le Caire. Dans chacune, il a ses repères, ses adresses, ses contacts, ses coups de cœur. À Istanbul, il tenait à nous emmener déjeuner chez Pandeli, son restaurant préféré, situé dans le bazar égyptien. Nous nous sommes installés dans la salle aux murs couverts de carreaux de céramique bleus. Il y avait Josiane, Abdelnour, les Nysten je crois et puis Carlo et Marc qui sont venus m’offrir un cadeau que je ne décrirais pas ici. À la carte, j’avais lu « Hunkur Begendi », un plat turco-arménien, composé 1 8 d’une purée d’aubergines au lait accompagnée de bourghol et arrosée d’une sauce rouge avec des morceaux de viande. Ce plat était une des spécialités de ma grand- tante Sirvart, et je tenais à le partager avec Georges. Il a tellement aimé qu’il m’a proposé de partager une seconde tournée. « Tu sais, m’a-t-il dit, les portions sont un peu… pauvres ? ». Au moment du dessert, j’ai relancé mes élans nostalgiques en faisant descendre du « Anuchabur » et du « Sareburma », pâtisseries sorties tout droit de mon enfance et du souvenir de Sirvart. Exaspéré, il m’a dit: « Allah yerhama ! Mais laisse moi manger en paix ! ». La Kebbé Arnabiyé (pour continuer avec les histoires de ventre !) Un jour, dans le bureau de Georges, je me suis retrouvé au cœur d’une discussion enflammée entre mon doyen et Joe Letayf. Ce dernier avait mangé la veille une Kebbé Arnabiyé préparée par Dalal, sa cuisinière. Joe estimait la Kebbé Arnabiyé de Dalal excellente, ce que Georges contestait, sans même l’avoir goûtée. « Ce n’est pas possible que Dalal (qui est maronite) puisse faire une bonne Kebbé Arnabiyé ! Pour être parfaite, la Kebbé Arnabiyé doit être orthodoxe ! ». C’était non discutable. Joe avait beau argumenter, Georges finit par lui lancer: « La meilleure Kebbé Arnabiyé est celle de Mme B. ! » (Je laisse cette adorable dame dans l’anonymat afin que tout Beyrouth ne sollicite pas auprès d’elle un repas). Or, Mme B. étant la maman d’un de mes meilleurs amis, je m’empressais d’appeler ce dernier pour lui raconter l’anecdote. Lui et sa maman étaient fort surpris de cette réputation, car eux et Georges se connaissaient à peine. Quelques jours plus tard, Mme B. nous invita à déjeuner. Au menu : Kebbé Arnabiyé. À table : Mme B., son fils, Georges, Joe et moi. Au moment de l’apéritif, Georges paraissait embarrassé d’avoir lancé ce défi. « Tu crois que je n’aurais pas dû ? », chuchota-t-il. Je suis sûr qu’au fond de lui-même il jubilait. Il allait s’offrir des agapes et, par-dessus le marché, avoir le dessus sur Joe. Le repas fut préparé et présenté dans les règles de l’art : porcelaine de Limoges, argenterie, service impeccablement exécuté par un barbarin noir tout de blanc vêtu. Et une Kebbé Arnabiyé parfaite, onctueuse, parfumée, avec ces relents d’oranges amères. Georges (qui a toujours raison) nous avait royalement fait partager une des plus belles histoires d’amour: la bonne chaire.
1 9 M. Khalil Smayra Responsable administratif de l’École de Cinéma et de Réalisation audiovisuelle Khalil Smayra, ami de jeunesse de Georges Haddad, se souvient d’un jeune étudiant facétieux… « Les premiers souvenirs qui me reviennent en compagnie de mon ami Georges remontent à notre année de terminale, au lycée Saint-Élie de Moussaytbé, en 1963. Nous faisions les diables, les « karakoz ». Pour un examen blanc, Georges s’était amusé à raconter à tout le monde qu’il allait tricher et il m’avait demandé de montrer l’anti-sèche que j’avais dans ma poche … que ma jambe tremblait…. Et toujours le rire qui met fin à l’aventure. Nous avons passé 4 années ensemble à l’UL, lui en psycho, moi en lettres. Je me souviens d’une Sainte- Barbe, en 1966, où il nous avait joué un tour : nous l’attendions chez lui, tous déguisés, mais il n’arrivait pas. C’est parce qu’il était sorti en douce de chez lui, déguisé aussi, et qu’il avait rejoint le groupe… Il était parmi nous, et nous ne l’avions pas vu… ! Jusqu’à l’année dernière, il me disait : « Tu te souviens de la Sainte-Barbe ? » Quand il est devenu doyen, j’étais préfet des études dans une école à Achrafieh. Il me demandait souvent de l’aider à corriger les écrits du concours d’entrée à l’Alba. Puis, en 1993, alors que j’étais installé au Canada, il m’a nommé à mon poste actuel et depuis… Grâce à sa politique, toutes les portes étaient ouvertes pour accueillir l’Alba. J’étais frappé de voir, quand je l’accompagnais en voyage professionnel, de l’accueil très particulier et très respectueux que lui réservaient les officiels. Tous les partenariats prestigieux de l’Alba ont été faits grâce à la personne même de Georges. Il a su être partout, et il nous a entraînés nous-mêmes à être partout… Quand on dit que le style, c’est l’homme, c’est vraiment adapté à Georges, qui était une personne rare à rencontrer dans la vie de tous les jours. Quelques jours avant son décès, alors qu’il était à l’hôpital, il m’a appelé pour que j’aille représenter l’Alba au congrès des ministres de l’Enseignement et de la Culture des pays arabes. Je lui ai répondu que j’étais fier de le faire. Le lendemain de la rencontre, je l’ai appelé pour lui dire que j’avais été ravi de répondre à l’appel sans savoir que ce serait la dernière mission….. Je n’ai jamais accepté d’aller le voir à l’hôpital, et il le savait. Je l’attendais à l’Alba. Maintenant, je m’attends encore à le voir passer devant ma porte. Grâce à notre grande complicité, il était toujours le premier auquel je téléphonais quand j’apprenais une nouvelle, quelle qu’elle soit. Encore aujourd’hui, je prends l’appareil mécaniquement pour composer son numéro. Il laisse un vide immense… ». Guvder Enseignant à l’Alba Guvder raconte Georges Haddad à sa manière, intense et poétique… « J’ai rencontré Georges Haddad en 1970. Un homme généreux, extraordinaire ! Il était sociologue, pas artiste, ce qui rend son mérite d’autant plus grand. Avec la force de grandissement, de développement qui l’habitait, il a multiplié l’Alba à la mort d’Alexis Boutros. Il avait en lui une générosité noble: il donnait beaucoup de bourses aux étudiants qui n’arrivaient pas à payer leur scolarité, avec une bienveillance juste et vigilante ». M Fouad Joujou Membre du MJO, Ami d’enfance Lettre à Girgy, de son ami d’enfance, Fouad Joujou… Ya Girgy. Il est vrai que tu nous a quittés depuis un moment mais, dans mon for intérieur, j’attends tous les jours tes appels téléphoniques et que tu me demandes : «Chou al akhbar?» Oui, tu nous a quittés en vitesse et en silence, dois-je douter de tes médecins et de leur compétence ? Dois-je leur crier notre colère contre eux qui, depuis deux ans, te faisaient subir tests et analyses sans toutefois remarquer cette tache qui avait trouvé refuge dans tes poumons??? Trop tard … Girgy, sois rassuré, l’Alba est entre de bonnes mains, et tes chers élèves ou même les anciens se rappellent bien de ton dévouement pour assurer leur avenir, leur débrouiller des bourses, s’assurer du niveau académique et de garder cette image d’une Alba toujours à l’avant-garde. On était les trois «inséparables» : le premier, Sami, nous a quittés depuis un moment et, comme toi, en vitesse et en silence. Alors, que souhaite le troisième?? À bientôt, mon cher ami... Mme Aline Nassif Assistante du doyen Semer l’émotion. Cultiver la sensibilité. Apprendre l’humilité, la dignité, la délicatesse. Professer l’amour, le don de soi. Vivre plus fort et espérer mieux. Telle est de vous, M. Haddad, en quelques mots, l’image qui nous restera. Et même si vous ne me demandez plus, chaque deux minutes, «à combien on en est?» sachez qu’on sera nombreux à vous rendre cet ultime hommage.
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