Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
T é m o i n a g e<br />
alba<br />
Mme Aurore Abi Nader-Beaini<br />
Enseignante à l’Alba<br />
À la seconde où la mauvaise nouvelle s’abattait sur<br />
moi, l’image commençait à s’écrouler. L’image, la<br />
grande, celle de mon passé dans tous ses détails,<br />
de mon présent dans tout son drame, même celle<br />
des demains qui n’avaient pas encore vu le jour.<br />
Il est parti le pilier. La gorge est nouée au centre<br />
du cœur, le cœur bringuebale dans la cage<br />
thoracique, les côtes s’entrelacent, le reliquat de<br />
souffle s’étouffe sous le poids de la peine.<br />
J’avais compris que rien ne tuait l’amour.<br />
L’amour? Le vrai, pour une académie qu’il<br />
s’évertuait à arpéger au rythme de sa passion et<br />
de sa bonhomie. Il est parti, celui qui habitait dans<br />
tous les coins et les recoins de l’édifice monté au<br />
rythme de son idéal.<br />
Il est parti, celui qui s’investissait avec<br />
tellement de discrétion dans chacune<br />
des personnes de son univers, que celleci<br />
se sentait unique au monde.<br />
Il personnalisait même les objets inanimés qu’il<br />
avait revêtus d’une âme.<br />
Il a démissionné le pilier, il est maintenant aux côtés<br />
de Celui qui lui avait délégué sa mission, il n’est plus<br />
le pilier mais il veille sans doute sur tout ce qu’il a<br />
construit, sur tous ceux qu’il a aimés, il est ailleurs<br />
mais je l’entends aimer, je le vois maintenant du<br />
haut du bleu de ses yeux guetter chacune de<br />
nos pensées, construire nos intuitions, la volonté<br />
d’éterniser sa vocation résonne en moi, et je<br />
continue le voyage dans l’espoir de le revoir un<br />
jour, fier de tous ceux qu’il a chéris.<br />
Mme Anne Marie Zeenny<br />
Assistante à la communication à l’Alba<br />
Monsieur Haddad,<br />
Je vous écris cette lettre pour vous dire combien<br />
vous me manquez.<br />
Et pour vous dire aussi que depuis que vous n’êtes<br />
plus là, les rires, les cafés, les « Ooffs » tonitruants de<br />
Christine et d’Aline, qui soulageaient tout le monde<br />
du semblant de torpeur qui risquait de s’installer, les<br />
gâteaux, les bouffes et autres, qui nous donnaient<br />
de l’élan pour reprendre ou continuer dans la<br />
bonne humeur le travail que nous avions à faire,<br />
tout ca, Monsieur Haddad est parti avec vous.<br />
Mais il n’y a pas que ca… il y a cette présence, il y<br />
a ces jours où ca n’allait vraiment pas et que j’allais<br />
même jusqu’à renier l’existence de Dieu, vous me<br />
disiez alors : « Pourquoi, quand tu t’es levée ce<br />
matin, le soleil ne brillait pas ? »<br />
Et cela suffisait pour me remettre d’aplomb…<br />
J’ai éclairé les restes des cierges qu’ils ont allumés à<br />
l’annonce de votre voyage près de la Sainte Vierge<br />
qui est dans ma cuisine. Et quand l’électricité s’est<br />
coupée, ils m’ont aidée à ne pas trébucher. J’ai<br />
même failli allumer une cigarette lorsque je ne<br />
trouvais plus mes briquets, et puis je me souvenais<br />
que c’était votre âme qui y brillait et je m’astreignais<br />
à ne pas le faire…<br />
Vous voyez, plein de bêtises comme j’ai toujours eu<br />
l’habitude d’en faire, mais avec vous on en riait,<br />
tout en recevant un coup de fouet malgré le rire…<br />
Je n’ai plus grand-chose à vous dire,<br />
sauf que votre absence est difficile<br />
à supporter…Et, dites-moi, monsieur<br />
Haddad, le soleil va-t’il continuer à<br />
briller ?<br />
Si seulement vous pouviez me répondre encore une<br />
fois…<br />
Mme Christine Zachariou<br />
Secrétaire générale de l’Alba<br />
2 0<br />
Christine Zachariou a rencontré le doyen de<br />
l’Alba, en 1977, alors qu’elle s’inscrivait à l’École<br />
d’Architecture…<br />
«Mon grand-père m’avait accompagnée ce jourlà,<br />
parce qu’il connaissait Alexis Boutros. J’étais<br />
terriblement intimidée par ces deux hommes que<br />
j’admirais. M. Haddad essayait de me mettre à<br />
l’aise d’un regard qui semblait dire : Ne t’inquiète<br />
pas, tout ira bien, je suis là. Et il a toujours « été là »<br />
pour moi et pour beaucoup d’autres - pendant ces<br />
33 ans.<br />
Ce qui le différencie d’autres doyens ou directeurs,<br />
c’est son instinct pour saisir une occasion de<br />
développement d’un programme, d’initiation<br />
d’un atelier, etc. et son courage pour l’organiser.<br />
Maintenant, ce qu’il a fait peut paraître facile mais,<br />
en temps de guerre, il fallait pour cela une très<br />
grande audace, beaucoup d’optimisme et une foi<br />
certaine en notre pays!<br />
Il avait une forte intuition des gens, une très forte<br />
empathie qui menait parfois à trop d’indulgence,<br />
mais c’était son style et ça marchait. D’une très<br />
grande humilité, il savait ne pas abuser de son<br />
autorité. Et quand on adhérait à son gigantesque<br />
engagement dans l’Alba, on n’arrêtait pas nousmêmes<br />
de donner, parce que c’était le minimum<br />
qu’on pouvait faire!<br />
Il avait un don très particulier, qui<br />
était de toujours tourner une situation<br />
en sa faveur, surtout à l’époque des<br />
événements. Ses détracteurs, après<br />
avoir discuté avec lui, devenaient ses<br />
défenseurs. Ce pouvoir qu’il avait m’a<br />
toujours fascinée.<br />
Un nombre impressionnant de gens qu’il a aidés<br />
ont été marqués par le soutien moral ou l’empathie<br />
dont ils ont bénéficié. Son intarissable souci des<br />
autres s’est fait au détriment de son propre bienêtre.<br />
Son ouverture et son lien avec l’étudiant sont<br />
pourtant, à mes yeux, très importants et il faudra les<br />
préserver, les perpétuer.<br />
Et sa mémoire, Il se souvenait de chacun des<br />
diplômés de l’Alba, du projet de diplôme qu’il avait<br />
fait, s’il avait obtenu une mention ou pas, du nom<br />
des petit(e)s ami(e)s de l’époque. Un jour, il avait<br />
même demandé à la femme d’un professeur, venue<br />
suivre, 20 ans plus tôt, des cours à l’Alba, comment<br />
allait cette amie qui l’avait accompagnée au<br />
concours d’entrée!<br />
Comme nous ne pouvions pas laisser nos enfants<br />
seuls au Liban, j’ai offert à mon mari, pour nos vingt<br />
ans de mariage, une croisière en Égypte avec M.<br />
Haddad! Pas de meilleur guide que Georges dans<br />
ce pays qu’il a visité un nombre incalculable de fois<br />
et qu’il adorait, séduit tout autant par la richesse<br />
archéologique que par la cordialité, la bonhommie<br />
et la jovialité des Égyptiens!<br />
Il faisait de délicieuses seiches dans leur encre selon<br />
une recette propre à lui!».