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No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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Mme Joumana Youssévitch<br />

Enseignante à l’Alba<br />

Écrire pour Georges. Écrire pour se souvenir. Déjà ?<br />

Si tôt ?<br />

Je n’ai tout simplement pas pu le faire, dans un<br />

premier temps. J’ai fait « celle qui a oublié qu’il<br />

fallait le faire », à la manière de certains étudiants.<br />

J’ai fait « celle qui n’a pas le temps », à la manière<br />

de certains patrons. J’ai même fait « celle que cela<br />

ne concerne plus », à la manière des ingrats.<br />

Et pourtant, dans le fond, je ne faisais que refuser,<br />

encore et encore, cette idée que Georges était<br />

parti, pour toujours. M’y suis-je résignée alors,<br />

aujourd’hui, puisque j’écris ? <strong>No</strong>n ! Impossible !<br />

Seulement voilà, c’est ce mot qui m’a fait réagir.<br />

Parce que lui, il le détestait ce mot, il le combattait,<br />

toujours et toujours, et il ne m’aurait pas pardonnée<br />

de m’en servir. Il m’aurait regardée, droit dans les<br />

yeux, avec un soupçon de reproche contredit par<br />

son sourire en coin de « celui qui sait qu’il va obtenir<br />

ce qu’il veut » et il aurait dit : « Joumanaaaaa » !<br />

Et bien sûr, dans ces cas, tout devenait facile. Rien<br />

d’impossible pour Georges, jamais. À part… ne pas<br />

tenter l’impossible !<br />

Mais de quoi parler? De cette année 1995 où,<br />

alors que je déprimais à mort d’être rentrée au<br />

Liban, il nous a, à Adolphe et moi, sans nous<br />

connaître plus que ça, accordé sa confiance,<br />

totale et indéfectible ? De toutes ces années où,<br />

même les lundis, jours maudits entre tous, quelle<br />

que soit son humeur, dès qu’il m’apercevait, son<br />

visage se transformait ? Il prenait alors ce ton<br />

autoritaire que démentaient ses yeux malicieux et<br />

son sourire affectueux et me sommait de passer<br />

dans son bureau. Là, il m’exposait ses rêves, ses<br />

projets, ses désirs. Parfois, souvent même, il jouait<br />

au Petit Prince. « Dessine-moi un mouton » ce qui<br />

voulait dire « écris-moi un discours » par exemple.<br />

Et là, il s’emballait. Tous les messages, les moins<br />

politiquement corrects y compris, devaient figurer<br />

dans le discours, mais bien sûr, sans avoir l’air de le<br />

dire. C’était tout Georges ça ! « Comment ? » osaisje<br />

répondre. « Toi tu sais » répondait-il. Plus rien à<br />

en tirer. Je rentrais chez moi, persuadée de m’être<br />

faite avoir, mais en fait, il suffisait que je reprenne ses<br />

mots, si bienveillants malgré leur sévérité, pour que<br />

les choses deviennent simples. L’intérêt et l’avenir<br />

des jeunes, c’était son moteur, sa raison de vivre. Le<br />

pays leur faisait du tort ? Les politiciens entravaient<br />

leur avenir ? Les va-t-en guerre les faisaient fuir ?<br />

Ou tout simplement personne ne leur donnait<br />

un espace pour s’exprimer ? Eh bien ces gens<br />

n’avaient qu’à bien se tenir. Grâce à Georges,<br />

devant 1000 personnes et non des moindres, du<br />

haut des marches de Bacchus, nous leur disions,<br />

haut et fort, notre réprobation et notre colère. Parler<br />

de ces années « Baalbeck », gravées à tout jamais<br />

dans mon cœur, où pendant une semaine entière<br />

nous vivions ensemble, partagions nos repas, le<br />

manque de sommeil, les mêmes angoisses, les<br />

mêmes terreurs parfois, mais aussi les mêmes joies,<br />

intenses, immenses, les mêmes bonheurs, la même<br />

satisfaction quand, finalement, nous avions le<br />

sentiment d’avoir réussi à faire ce que nous devions<br />

faire. Et tout de suite après, alors que moi, comme<br />

d’habitude, je me plongeais dans mes doutes et<br />

mes remises en question, lui bâtissait déjà l’avenir,<br />

reprenait ses rêves, ses projets, et redevenait le Petit<br />

Prince. En fait, parler de tout cela est dur, très dur,<br />

mais en fermant les yeux je peux vous voir, Georges,<br />

trônant dans votre abbaya dans la cour de l’hôtel,<br />

les bras grands ouverts, et je peux vous entendre<br />

rire, de ce rire si contagieux et vous entendre nous<br />

accueillir, un à un, en chantant à tue-tête des airs<br />

d’opéra. Et là, plus de peine, plus de tristesse, il ne<br />

reste que la joie, la fierté et l’honneur d’avoir pu<br />

faire un bout de chemin avec vous. Je vous aime<br />

Georges, et merci pour tout !

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