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No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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2 1<br />

Mlles Suzanne Anhoury<br />

et Diala Lteif<br />

Architectes d’interieur, diplômées de l’Alba,<br />

Un été. Un temple. Un grand homme.<br />

Souvenirs diffus qui nous reviennent d’un autre<br />

temps, disparates et mêlés de fiction et de<br />

magie. Histoire qui confond mythe et réalité,<br />

histoire d’un grand homme que nous avons<br />

rencontré dans un vieux temple perdu entre la<br />

gloire et les ruines.<br />

En cet été 2006, notre rétrospective va sonner le<br />

glas, petite mort d’un pays, d’un rêve, petite mort<br />

de nous.<br />

Une scène, à l’aube d’un matin de juin, le soleil<br />

qui se prélasse lentement éclaire le temple<br />

d’une lumière bleuâtre et étire les ombres de la<br />

colonnade sur les grandes marches inégales. Un<br />

homme grand et imposant entre lentement en<br />

scène. Son ombre massive et vivante annonce<br />

de manière péremptoire l’ouverture du festival, sa<br />

présence crie haut et fort, plus fort que l’appel de<br />

Baalbeck.<br />

Le géant lève d’abord son bâton et d’un coup sec<br />

lance la musique. Guidée par ses gesticulations<br />

saccadées, une sorte de grande machine, aux<br />

rouages parfaitement huilés, se met en marche.<br />

Des sons enchanteurs et enivrants emplissent l’air.<br />

Caché derrière son violoncelle, Rostropovitch est<br />

là, un peu timide, il doit prendre discrètement la<br />

relève.<br />

En cet été 2006, je suis Oum Koulsoum, ma voix<br />

écrit comme une déflagration, je suis <strong>No</strong>ureev,<br />

derviche suspendu, mystique, je suis Rostropovitch,<br />

l’âme aspirée par mon violoncelle, le souffle muet<br />

de crainte.<br />

Lentement, le colosse se retourne et descend<br />

les marches, puis tout à coup prenant son élan<br />

sur un tremplin invisible, il s’élance dans les airs<br />

et se retrouve à l’avant de la scène, en maître<br />

des lieux. Il possède tout, il est le roi du temple.<br />

Des danseurs le suivent un peu dubitatifs, même<br />

<strong>No</strong>ureev l’oiseau éternel se sent un peu honteux ;<br />

intimidé par ce grand homme. Il guette le moindre<br />

signe, la plus petite pirouette pour reprendre de<br />

plus belle.<br />

En cet été 2006, je suis en transe... Les pieds ancrés<br />

dans la pierre millénaire, l’âme aussi haute que le<br />

son. La peau criblée de soleil, les yeux décapés<br />

de chagrin, je suis en deuil.<br />

Soudain le maître lance un cri, un appel de<br />

mobilisation. Et les grandes dames arrivent. Ella<br />

Fitzgerald, sa préférée, préside le cortège, elle<br />

lui sourit et lui fait une révérence, voyant son<br />

clin d’œil approbateur elle se met à chanter,<br />

elle improvise des sons, multiplie des syllabes.<br />

Elle chante pour lui, uniquement pour lui. Le son<br />

s’élève de plus belle, Fitzgerald est désormais<br />

accompagnée par Oum Koulsoum qui entame<br />

une seconde voix. Il sourit tendrement en posant<br />

sur la scène un regard approbateur.<br />

C’est d’une rencontre intemporelle que je saigne,<br />

union d’histoires, de culture, de grands hommes,<br />

de lui, de nous, à l’aube de sombrer.<br />

anciens de l’alba<br />

Puis, comme habité par un démon, il reprend<br />

le bâton du chef d’orchestre, et d’un coup sec<br />

impose le silence.<br />

Ils étaient tous venus ce jour, certains en simples<br />

connaissances, d’autres en réels amis, ils étaient<br />

venus ce jour-là en ultime hommage, un peu<br />

essoufflés du voyage, ils avaient pourtant revêtus<br />

leur auréole de fête, pour lui ils voulaient un<br />

spectacle sans fin, une prestation à tirer des larmes<br />

au début, ils étaient en noir, mais Ella tranchait trop<br />

avec ses robes fleuries et Fayrouz ne voulait pas<br />

quitter sa tunique blanche, au début ils étaient<br />

tous confus, chacun essayant d’imposer un thème<br />

dans une cacophonie métallique.<br />

Le soleil se lève, laissant place à la cantatrice<br />

adorée du grand maître. Habillée d’une longue<br />

tunique blanche, elle entre avec son calme<br />

impassible sur scène et se met à chanter. C’est<br />

Fayrouz, notre perle nationale. Lui, il l’aime d’un<br />

amour profond. Il a les larmes aux yeux quand<br />

elle chante, son cœur est empli de bonheur.<br />

Sur ce, le géant se retourne, fait sa dernière<br />

révérence et quitte la scène avec son air<br />

flegmatique. Le public applaudit en chœur,<br />

jusqu’à perdre souffle.<br />

Troisième GONG. Point d’air funèbre, une discrète<br />

révérence, un sifflotement doux en unisson, qui te<br />

suivra, immatériel, jusqu’au couchant des grands<br />

hommes.<br />

Lui, ce grand homme, grand-maître du temple de<br />

Bacchus, c’est bel et bien notre directeur, notre<br />

Georges Haddad.<br />

<strong>No</strong>us lui dédions notre spectacle, celui des 50 ans<br />

de lumière, qui désormais dans notre mémoire et<br />

dans la vôtre, est son spectacle à lui. Ce matin-là,<br />

à l’aube, Georges Haddad domina la scène et<br />

intégra la grande et prestigieuse liste des grands<br />

colosses qui visitèrent ce lieu, et sera à jamais un<br />

des artistes indélébiles de la famille de Baalbeck.<br />

T é m o i n a g e

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