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Mlles Suzanne Anhoury<br />
et Diala Lteif<br />
Architectes d’interieur, diplômées de l’Alba,<br />
Un été. Un temple. Un grand homme.<br />
Souvenirs diffus qui nous reviennent d’un autre<br />
temps, disparates et mêlés de fiction et de<br />
magie. Histoire qui confond mythe et réalité,<br />
histoire d’un grand homme que nous avons<br />
rencontré dans un vieux temple perdu entre la<br />
gloire et les ruines.<br />
En cet été 2006, notre rétrospective va sonner le<br />
glas, petite mort d’un pays, d’un rêve, petite mort<br />
de nous.<br />
Une scène, à l’aube d’un matin de juin, le soleil<br />
qui se prélasse lentement éclaire le temple<br />
d’une lumière bleuâtre et étire les ombres de la<br />
colonnade sur les grandes marches inégales. Un<br />
homme grand et imposant entre lentement en<br />
scène. Son ombre massive et vivante annonce<br />
de manière péremptoire l’ouverture du festival, sa<br />
présence crie haut et fort, plus fort que l’appel de<br />
Baalbeck.<br />
Le géant lève d’abord son bâton et d’un coup sec<br />
lance la musique. Guidée par ses gesticulations<br />
saccadées, une sorte de grande machine, aux<br />
rouages parfaitement huilés, se met en marche.<br />
Des sons enchanteurs et enivrants emplissent l’air.<br />
Caché derrière son violoncelle, Rostropovitch est<br />
là, un peu timide, il doit prendre discrètement la<br />
relève.<br />
En cet été 2006, je suis Oum Koulsoum, ma voix<br />
écrit comme une déflagration, je suis <strong>No</strong>ureev,<br />
derviche suspendu, mystique, je suis Rostropovitch,<br />
l’âme aspirée par mon violoncelle, le souffle muet<br />
de crainte.<br />
Lentement, le colosse se retourne et descend<br />
les marches, puis tout à coup prenant son élan<br />
sur un tremplin invisible, il s’élance dans les airs<br />
et se retrouve à l’avant de la scène, en maître<br />
des lieux. Il possède tout, il est le roi du temple.<br />
Des danseurs le suivent un peu dubitatifs, même<br />
<strong>No</strong>ureev l’oiseau éternel se sent un peu honteux ;<br />
intimidé par ce grand homme. Il guette le moindre<br />
signe, la plus petite pirouette pour reprendre de<br />
plus belle.<br />
En cet été 2006, je suis en transe... Les pieds ancrés<br />
dans la pierre millénaire, l’âme aussi haute que le<br />
son. La peau criblée de soleil, les yeux décapés<br />
de chagrin, je suis en deuil.<br />
Soudain le maître lance un cri, un appel de<br />
mobilisation. Et les grandes dames arrivent. Ella<br />
Fitzgerald, sa préférée, préside le cortège, elle<br />
lui sourit et lui fait une révérence, voyant son<br />
clin d’œil approbateur elle se met à chanter,<br />
elle improvise des sons, multiplie des syllabes.<br />
Elle chante pour lui, uniquement pour lui. Le son<br />
s’élève de plus belle, Fitzgerald est désormais<br />
accompagnée par Oum Koulsoum qui entame<br />
une seconde voix. Il sourit tendrement en posant<br />
sur la scène un regard approbateur.<br />
C’est d’une rencontre intemporelle que je saigne,<br />
union d’histoires, de culture, de grands hommes,<br />
de lui, de nous, à l’aube de sombrer.<br />
anciens de l’alba<br />
Puis, comme habité par un démon, il reprend<br />
le bâton du chef d’orchestre, et d’un coup sec<br />
impose le silence.<br />
Ils étaient tous venus ce jour, certains en simples<br />
connaissances, d’autres en réels amis, ils étaient<br />
venus ce jour-là en ultime hommage, un peu<br />
essoufflés du voyage, ils avaient pourtant revêtus<br />
leur auréole de fête, pour lui ils voulaient un<br />
spectacle sans fin, une prestation à tirer des larmes<br />
au début, ils étaient en noir, mais Ella tranchait trop<br />
avec ses robes fleuries et Fayrouz ne voulait pas<br />
quitter sa tunique blanche, au début ils étaient<br />
tous confus, chacun essayant d’imposer un thème<br />
dans une cacophonie métallique.<br />
Le soleil se lève, laissant place à la cantatrice<br />
adorée du grand maître. Habillée d’une longue<br />
tunique blanche, elle entre avec son calme<br />
impassible sur scène et se met à chanter. C’est<br />
Fayrouz, notre perle nationale. Lui, il l’aime d’un<br />
amour profond. Il a les larmes aux yeux quand<br />
elle chante, son cœur est empli de bonheur.<br />
Sur ce, le géant se retourne, fait sa dernière<br />
révérence et quitte la scène avec son air<br />
flegmatique. Le public applaudit en chœur,<br />
jusqu’à perdre souffle.<br />
Troisième GONG. Point d’air funèbre, une discrète<br />
révérence, un sifflotement doux en unisson, qui te<br />
suivra, immatériel, jusqu’au couchant des grands<br />
hommes.<br />
Lui, ce grand homme, grand-maître du temple de<br />
Bacchus, c’est bel et bien notre directeur, notre<br />
Georges Haddad.<br />
<strong>No</strong>us lui dédions notre spectacle, celui des 50 ans<br />
de lumière, qui désormais dans notre mémoire et<br />
dans la vôtre, est son spectacle à lui. Ce matin-là,<br />
à l’aube, Georges Haddad domina la scène et<br />
intégra la grande et prestigieuse liste des grands<br />
colosses qui visitèrent ce lieu, et sera à jamais un<br />
des artistes indélébiles de la famille de Baalbeck.<br />
T é m o i n a g e