Histoire d’une vie… Georges Haddad est né le 5 octobre 1943, à la saison de la récolte des noix qui ornent les branches des immenses noyers, devant la maison familiale à Mansouriet Bhamdoun… Fils de César et Julie, il est le dernier-né d’une famille de 5 enfants, Jamilé, Umberto, Dédée, Élie et Joseph. Les 2 aînés sont nés au Brésil, où s’étaient établis leurs parents. Fortune faite, César revient au pays et y installe sa famille, entre la maison familiale de la montagne qu’ils occupent en été, et celle qu’ils habitent à Achrafieh, quartier Furn El Hayek, en hiver, pour faciliter la scolarisation des enfants. Georges est un enfant très heureux, choyé par une famille soudée et aimante. Il va à l’école à Zahret El Ihsan : déjà doté d’une mémoire étonnante, il n’oubliera jamais la douceur de son enfance, et garde gravé à jamais dans son esprit, les noms de ceux qui traversent sa vie d’enfant, et qui resteront les amis de toute une existence… Très jeune, il adhère au Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe, dont ses frères et sœurs font déjà partie : il s’imprègne alors de cette ambiance religieuse, fondée sur le don de soi. L’adolescent taquin, facétieux, excellent imitateur, est par ailleurs doté d’une sensibilité exacerbée, d’un sens aigu du détail, d’un amour absolu du Beau sous toutes ses formes. Son passage par le MJO forgera le reste de son caractère : tourné vers les autres, il ne fera plus que servir autrui. Il perd son père César alors qu’il n’a que <strong>12</strong> ans. Son oncle Geryès Haddad, autre figure paternelle de son jeune univers, suit son frère César dans la tombe <strong>12</strong> jours après. En quelques jours, deux piliers de sa vie disparaissent, le laissant orphelin à jamais, en dépit de l’immense affection qui le lie à sa mère Julie. Julie : un vrai personnage ! Espiègle et facétieuse, comme Georges, elle est d’ailleurs la meilleure amie des amis de son fils, qui l’adorent et recherchent sa compagnie. Cette très fine psychologue, véritable Miss Marple de Furn El Hayek (elle a élucidé un crime survenu dans le quartier, désignant à la police, sans coup férir, le vrai coupable !), imitatrice hors pair, deux traits de caractère dont a d’ailleurs hérité Georges, entretient avec son petit dernier des rapports très profonds, ponctués d’engueulades homériques sur 2 sujets qui fâchent : la cigarette, que Georges consomme goulument et massivement, et les régimes, toujours entamés et jamais menés à terme, par un Georges gourmand et gourmet à la fois. Après la mort de son père César, la cellule familiale reste très soudée: ce puissant ancrage familial restera à jamais essentiel pour Georges, qui sera dès lors toujours le soutien de famille, au fait des problèmes familiaux éventuels, prêt à prêter main forte, à soutenir, à conseiller… Après Zahret El Ihsan, Georges est scolarisé à l’École de l’Annonciation : c’est là qu’il fait une rencontre déterminante en la personne du directeur d’alors de l’établissement, devenu depuis le Patriarche Ignace IV. Cet homme exceptionnel, très brillant, aura une influence énorme sur son jeune disciple, toujours excellent élève, assoiffé de connaissance et proche des valeurs de l’Eglise. Ils partageront, toute une vie durant, la même conception, à la fois intellectuellement élitiste et moralement généreuse, des choses de la vie… En 1963, Georges Haddad fait la deuxième rencontre marquante de son existence, en la personne d’Alexis Boutros. Celui-ci est le cousin de son beau-frère André Geha, marié à Dédée, la sœur de Georges. Chez les Geha, lors d’un grand diner donné chez eux à Mousseitbeh, Alexis, qui fait partie des convives, s’intéresse à ce jeune homme au regard si bleu. Georges fait alors ses études de psychologie à l’Université Libanaise : Alexis, séduit par sa maturité et sa forte personnalité, lui propose de faire un stage administratif à l’Alba, parallèlement à ses études. Georges saute sur l’occasion : la proposition l’enchante et l’intéresse. En 1973, Alexis Boutros lui obtient une bourse de l’Alba, pour lui permettre de continuer ses études doctorales de psychologie en France. Cette même année, à Paris, on lui vole une somme d’argent. De retour au Liban, il gagne 500 livres (une fortune à l’époque !) au Loto Libanais. « C’est Dieu qui me les a rendus ! », s’exclame-t-il, toujours convaincu de la justesse immanente des choses… Il rentre définitivement à Beyrouth en 1974 : il est désormais l’adjoint d’Alexis Boutros à l’Alba, et surtout, son homme de confiance. Alexis, père de substitution ? Tout à la fois mentor, ami très proche et confident, Alexis entretiendra avec Georges Haddad des liens très forts, empreints d’un immense respect mutuel et d’une très grande complicité. Tous les soirs, Alexis dépose Georges chez lui, après une rude journée de travail à l’Alba : en dépit des longues heures déjà passées ensemble au bureau, les deux hommes discutent encore dans la voiture, au bas de l’immeuble, de longs moments… Alexis considérait Georges comme son fils. En 1979, la mort brutale d’Alexis plonge toute la petite famille de l’Alba dans un profond désarroi. L’Alba appartient encore nommément à son fondateur. Un testament, censé prouver la volonté d’Alexis de faire de l’Alba une vraie institution, personne morale, n’est jamais retrouvé… Des heures sombres de cette période trouble, Georges tirera une force exceptionnelle : celle de croire en l’absolue pérennité de l’Alba, conviction qui ne l’a plus quitté. Une fois résolus les aspects juridiques de la succession d’Alexis Boutros, c’est la folie meurtrière des hommes qu’il faut affronter. Le pays est déchiré, les épisodes de violence se succèdent à un rythme effréné. Georges Haddad, infatigable, tirant sans doute de sa foi en l’Homme le courage d’affronter tous ces dangers, se démène pour assurer à ses étudiants des cours normaux, pour organiser les corrections de projets dans des soussols improbables, à la lueur pale des bougies… Même en pleine guerre, à l’ombre de menaces à peine voilées que l’on profère à l’encontre de sa propre personne, Georges fait délivrer des diplômes de qualité, et non de complaisance, à l’Alba. Lors d’un échange très vif avec l’un de ses solliciteurs armés, qui réclamait pour un protégé un diplôme guère mérité, sous prétexte de « raisons hautement politiques », faisant fi du danger, Georges rétorqua : « Eh bien, pour des raisons hautement nationales, il n’est pas question que je signe au bas d’un tel document ! ». Sa foi inébranlable en sa mission au service de la jeunesse de son pays, ce véritable sacerdoce qu’il avait choisi de vivre pleinement, le mettaient à l’abri de toute peur… Sous sa houlette, l’Alba s’est développée et a accueilli en son sein de nouvelles écoles, sections et institut : la section Arts Graphiques et Publicité au sein de l’École des Arts Décoratifs naît en 1979, puis s’étoffe au fil du temps pour comprendre de nouvelles filières diplômantes, telles que l’animation 2D3D, l’illustration/BD, le multimédia et la photographie. L’École de Cinéma et de Réalisation audiovisuelle voit le jour en 1987, l’Institut d’Urbanisme est créé en 1994, et la section Design au sein de l’École des Arts Décoratifs est créée en 1999. En 1988, l’Alba devient la principale faculté fondatrice de l’Université de Balamand. Une section de l’Alba ouvre ses portes sur le campus du <strong>No</strong>rd, on y enseigne l’architecture, l’architecture intérieure, le design, et la publicité : c’est une des grandes fiertés de Georges Haddad que d’avoir contribué largement à la naissance d’un ensemble imposant de l’enseignement supérieur. 0 4 Comment ne pas citer également, entre autres aventures colorées et exaltantes à l’Alba, celle qui conduit les étudiants de 2ème année de l’École des Arts Décoratifs jusqu’aux marches des prestigieux temples de Bacchus, dans des représentations sonores et visuelles époustouflantes de grâce, de magie et d’inventivité. Georges Haddad a également beaucoup œuvré à l’élargissement des relations de l’Alba avec des partenaires internationaux prestigieux. Sous sa direction, de nombreuses conventions entre l’Alba et des institutions de beaux-arts à l’étranger sont signées, instaurant des partenariats diversifiés et riches, et contribuant ainsi à la renommée internationale de l’Académie et à son rayonnement local et international. S’il est certain que Julie, sa mère, a été la femme de sa vie, l’Alba aura été sa passion et sa mission. Pour définir Georges, un seul mot, celui de « don », serait le plus vrai. Il donnait sans relâche, son attention, son affection, son intelligence, son humour, son argent aussi. Il donnait sans compter, car peu de choses importaient réellement à cet homme humble, détaché, fuyant les honneurs et les marques de reconnaissance que, bien souvent, ses pairs lui attribuaient. Seuls les honneurs récoltés par l’Alba et ses étudiants, devenus des professionnels brillants, lui importaient vraiment : pour lui, qui avait compris très tôt que le seul bonheur dans la vie, c’est de ne pas avoir peur de la mort, seuls comptaient vraiment sa foi dans son action au service de la jeunesse de son pays, au service de l’Alba, de sa famille et de l’Église… Sa retraite, il la voulait bien remplie, lui qui ne s’arrêtait jamais de formuler des projets, de rêver : il voulait réaliser un film, et peindre cette nature si belle… Georges Haddad, fils de la terre et du terroir, aimait la nature, détestait la chasse, et souhaitait finir ses jours dans son jardin de Mansouriet Bhamdoun, aux pieds de sa « Tiné » dont il savourait avec une gourmandise exquise les fruits si sucrés, une fois tombé le crépuscule si doux sur les chaudes journées d’août… Isabelle Eddé
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