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SEM. le Ministre et Madame<br />
Ghassan Tuéni<br />
Dr. Henri Awit<br />
Vice-recteur aux affaires académiques<br />
de l’Université Saint-Joseph<br />
et rapporteur de la Commission<br />
des équivalences<br />
L’Homme à l’esprit ouvert et au cœur généreux<br />
C’est en 1980, alors que la guerre battait encore<br />
son plein, que j’ai rencontré pour la première<br />
fois Georges Haddad. Je venais juste d’être<br />
nommé délégué de l’Université Saint-Joseph à la<br />
Commission des équivalences relevant de ce qui<br />
s’appelait à l’époque le Ministère de l’éducation<br />
nationale, où il m’avait précédé de quelques<br />
semaines. Ce fut l’occasion d’une collaboration<br />
fructueuse au service d’une mission d’ordre public ;<br />
ce fut aussi le point de départ d’une amitié à toute<br />
épreuve.<br />
Georges Haddad était au sein de cette Commission<br />
un collègue apprécié de tous ses pairs, et pour<br />
Sa délicatesse et sa modestie auraient tellement<br />
été offensées de ce qu’on écrit et dit! Il se serait<br />
esquivé sur la pointe des pieds et n’aurait rien voulu<br />
entendre! Il faisait ce qu’il faisait en y mettant tout<br />
son cœur, sans calcul, sans rien attendre en retour,<br />
comme si c’était aussi naturel que de respirer! Il était<br />
voué « de naissance » à l’Alba, il faisait corps avec<br />
sa faculté; est-ce là une vocation, une mission,<br />
un sacerdoce? Oui, peut-être tout à la fois. Dans<br />
ses yeux il y avait l’enfant pur qu’il était resté et le<br />
visionnaire rêveur qu’il est devenu. Sa constance<br />
ressemblait à de l’entêtement, son enthousiasme à<br />
de la légèreté, son ambition à de la folie! Quelle<br />
œuvre est faite sans démesure?<br />
En l’approchant, on croyait en lui et lui croyait en<br />
ses profs et en ses étudiants; jamais cavalier seul,<br />
toujours en équipe, toujours le partage!<br />
Ses étudiants, il les portait à bout de bras même<br />
quand ils avaient quitté. Leurs projets étaient les<br />
siens propres, leurs succès annoncés avec fierté.<br />
moi, en ma qualité de rapporteur, un partenaire<br />
privilégié. <strong>No</strong>us éprouvions un réel plaisir à travailler<br />
avec lui, tant il réussissait avec le naturel et la<br />
bonhomie qui le caractérisaient, à associer la<br />
rigueur professionnelle à la convivialité des rapports.<br />
Il nous faisait bénéficier de sa longue expérience<br />
et de sa compétence avérée dans les différentes<br />
disciplines enseignées à l’<strong>ALBA</strong>, dans l’examen<br />
des milliers de dossiers soumis à la Commission.<br />
Son assiduité, son sens aigu de l’équité et la<br />
pertinence de ses jugements forçaient le respect<br />
et recueillaient l’unanimité. Georges pratiquait par<br />
ailleurs le culte de la qualité et de l’excellence. Il<br />
critiquait sévèrement la prolifération sauvage et<br />
chaotique des établissements d’enseignement<br />
supérieur qu’il qualifiait de « boutiques » et de<br />
« moulins à diplômes ».<br />
Lui qui était très exigeant envers luimême<br />
et envers ses étudiants, se<br />
révoltait contre tout laxisme et toute<br />
forme de médiocrité dans la formation.<br />
Et lui qui considérait l’éducation non comme<br />
un métier, mais comme une vocation, déplorait<br />
sa commercialisation à outrance et sa course<br />
effrénée au gain. Il avait ainsi largement contribué<br />
à l’élaboration et à la mise en œuvre de critères<br />
et de normes pour la reconnaissance des diplômes,<br />
susceptibles d’en relever le niveau.<br />
Durant plusieurs années, Georges passait me prendre<br />
à mon bureau au moins une fois par semaine, pour<br />
nous rendre au palais de l’Unesco. Le trajet à l’aller<br />
et au retour nous offrait l’opportunité d’aborder en<br />
toute liberté les sujets les plus divers. Il évoquait non<br />
amis<br />
(Que de fois ne s’était-il pas inquiété de les lire dans<br />
le Nahar?!)<br />
Il nous donnait l’impression d’être constamment<br />
en éveil, « en alerte », même les dimanches et les<br />
jours de fêtes. Cher Georges, pardonne-nous de<br />
disséquer comme cela une personnalité multiple<br />
comme la tienne, pardonne-nous de nous extasier<br />
devant ce qui pour toi était normal et spontané,<br />
pardonne-nous surtout d’avoir parfois manqué<br />
à tes appels sans que tu nous en aies voulu, en<br />
comprenant toujours, en aimant sans cesse.<br />
Peut-on te promettre que l’Alba, où trois longues<br />
décennies durant tu as œuvré avec un dévouement<br />
sans fin, continuera pour nous à être une priorité,<br />
et que le regard que nous aurons pour elle sera<br />
toujours celui de l’Amour que tu lui as porté? On<br />
s’y engage au nom de l’amitié qui nous unit et que<br />
rien, même ton départ sans crier gare, ne pourra<br />
altérer, cher Georges aux yeux de lumière.<br />
sans émotion la figure emblématique du fondateur<br />
de l’<strong>ALBA</strong>, Alexis Boutros. Il m’entretenait bien<br />
évidemment des projets qu’il pilotait au sein de<br />
cette prestigieuse institution, et me faisait part, sur<br />
le ton de la confidence, des problèmes d’ordre<br />
juridique et académique auxquels il était confronté.<br />
Lui qui était d’ordinaire discret et pudique, ne<br />
cachait pas sa fierté en énumérant les nombreux<br />
prix internationaux décrochés par ses étudiants.<br />
Mais les thèmes qui étaient le plus souvent au<br />
cœur de nos échanges concernaient tout autant<br />
la crise de l’enseignement supérieur, les aléas de<br />
la politique, la vocation historique du Liban, ainsi<br />
que l’avenir incertain de la présence chrétienne en<br />
Orient. Au fil des années, une confiance mutuelle<br />
s’est établie entre nous et une amitié profonde<br />
s’est tissée, nourrie de notre adhésion commune à<br />
un certain nombre de valeurs et d’idéaux. J’ai pu<br />
ainsi découvrir en lui, au-delà de l’administrateur<br />
efficace et du brillant responsable académique,<br />
l’humaniste à la culture si vaste et au goût si raffiné,<br />
épris de peinture, de musique et de beaux-arts,<br />
et surtout l’homme à l’esprit ouvert et au cœur<br />
immensément généreux.<br />
Avec son départ précipité et foudroyant, c’est toute<br />
une page lumineuse de l’<strong>ALBA</strong> plus particulièrement,<br />
et plus généralement de l’enseignement supérieur<br />
et de la vie culturelle au Liban, page écrite avec<br />
beaucoup de talent et de passion, qui se tourne.<br />
Il appartient à ses collègues et amis de retranscrire<br />
son parcours et de confier ce riche patrimoine et ce<br />
legs si précieux aux générations futures. Et le plus bel<br />
hommage que nous puissions rendre à sa mémoire<br />
c’est de demeurer fidèles aux principes qui ont<br />
inspiré son action et aux valeurs qu’il a prônées ;<br />
c’est de poursuivre inlassablement son œuvre et sa<br />
mission.<br />
T é m o i n a g e