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No. 12 / Avril 2010 (PDF) - ALBA

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M. Gaby Issa El Khoury<br />

Architecte, diplômé de l’Alba<br />

L’été 1978 a été le plus long de ma vie ! Je venais<br />

de finir ma terminale et m’apprêtais à faire des<br />

études universitaires qui décideraient toute ma vie<br />

d’adulte. C’est dire la pression que j’éprouvais quant<br />

au choix de ces fameuses études. Évidemment,<br />

comme tout élève libanais des classes scientifiques,<br />

et surtout à mon époque, le choix était on ne peut<br />

plus varié: génie ou médecine. De plus, les écoles<br />

nous préparaient tellement bien à faire ce choix<br />

crucial qu’on ne savait rien de rien !<br />

Et c’est donc avec mon ami de toujours, Pierre,<br />

que j’ai fait le tour des universités francophones<br />

du Liban. C’était très rapide ! Mais je n’étais pas<br />

plus avancé, je ne savais toujours rien de rien.<br />

Aujourd’hui, je ne saurais qui des amis de mon<br />

père a suggéré l’Alba et l’architecture. Soudain, je<br />

n’étais plus ingénieur ou médecin mais Architecte.<br />

C’était nouveau pour moi, et ce n’était pas difficile<br />

de me projeter quelques années dans le futur et me<br />

voir réussir dans mon nouveau métier. Seulement, il<br />

fallait commencer par le début (j’aurais préféré la<br />

fin, ça m’aurait évité beaucoup de nuits blanches<br />

et de stress !)<br />

Je me suis donc rendu à l’Académie Libanaise des<br />

Beaux-Arts (Alba était l’anagramme et non le nom<br />

de ma future université, et comme ça dès le départ<br />

je me trompais et sur le nom et sur le statut de<br />

l’établissement, je découvrais plus tard que j’étais<br />

dans une école et non une université, mais c’est<br />

une autre histoire…). Un jeune homme souriant et<br />

très aimable nous a reçus, Pierre et moi (bien sûr<br />

que Pierre m’accompagnait, il était aussi fixé sur ses<br />

études que moi). Je ne me rappelle pas très bien ce<br />

qui a été dit, mais je me rappelle ses yeux: d’un bleu<br />

aussi pur qu’un ciel d’août, et une gentillesse infinie.<br />

En fait je me souviens d’une phrase<br />

qu’il m’a dite (et que j’ai comprise<br />

évidemment des années plus tard):<br />

l’Alba est une famille ! Et il l’a toujours<br />

considérée ainsi.<br />

Après le concours (eh oui, à mon époque, on faisait<br />

un examen de maths et de français et une épreuve<br />

de dessin), je m’y suis rendu seul (Pierre avait déjà<br />

opté pour le génie civil, option oh combien osée et<br />

originale) pour connaître mon résultat.<br />

Le même jeune homme m’a reçu en m’appelant<br />

par mon prénom et me décrivant la grande<br />

catastrophe qu’était mon épreuve de dessin, et<br />

pour corser le tout m’a demandé des nouvelles<br />

de Pierre. J’étais abasourdi de cette mémoire.<br />

Évidemment qu’il avait vu toutes les copies de tous<br />

les examens, mais se rappeler des détails des miens,<br />

de mon nom, ainsi que celui de mon ami était tout<br />

simplement extraordinaire (d’ailleurs il m’a toujours<br />

demandé des nouvelles de Pierre durant mes<br />

années d’études, et quand Pierre passait par l’Alba,<br />

il le recevait comme un élève de l’Alba. Il a toujours<br />

eu un grand cœur !). Tout au long de mon (très<br />

long) séjour à l’Alba, en tant qu’étudiant et puis<br />

en tant qu’enseignant et responsable, c’est son<br />

incroyable mémoire qui m’a toujours sidéré. <strong>No</strong>n<br />

que ça soit sa seule qualité, il en a des tonnes, mais<br />

il faut l’avoir connu pour bien apprécier ce don qu’il<br />

avait. Il suffisait qu’on dise un numéro de téléphone<br />

une fois devant lui pour que ça s’enregistre à jamais<br />

dans sa mémoire: PHÉNOMÉNAL !<br />

Bien que toujours souriant et aimant les belles<br />

histoires, il se fâchait rouge quand les étudiants<br />

faisaient les fous dans les couloirs ou le hall. Il faut<br />

que j’avoue humblement que nous étions trois<br />

larrons à nous marrer très (trop, devrais-je dire)<br />

souvent. «Chakach», d’une force exceptionnelle,<br />

Kamel, aimant rire plus que tout, et moi-même<br />

aimant autant rire que jouer, nous passions nos<br />

journées à rire et faire les pitres. «Chakach» me<br />

lançait dans le hall, Kamel pleurait de rire, et je<br />

bondissais d’un coin à l’autre en embêtant profs et<br />

autres étudiants (venus ici pour étudier, quelle idée<br />

saugrenue !). Mais un jour où nous étions tous trois<br />

en super forme, «Chakach» lançait loin, Kamel riait<br />

très haut et évidemment je riais aussi haut et sautais<br />

partout, Georges est sorti de son bureau pour nous<br />

engueuler une première fois. <strong>No</strong>us nous sommes<br />

calmés un peu, puis nous avons repris de plus belle,<br />

mais au premier étage. Naturellement il n’a pas<br />

tardé à venir nous ré-engueuler. <strong>No</strong>us avions pensé<br />

bêtement qu’au premier il ne nous entendrait pas.<br />

<strong>No</strong>us nous sommes rendus donc au deuxième<br />

sous-sol pour continuer notre jeu. Quand il est<br />

descendu et qu’il nous a vus, il a simplement souri<br />

et dit: “Encore vous ?”. Depuis, il se déplaçait très<br />

peu quand il y avait beaucoup de bruit, car il savait<br />

que c’était encore nous ! Et quand nous avons tous<br />

les trois enseigné à l’Alba, il nous surveillait de près,<br />

redoutant que nous fassions de nouveau les fous (il<br />

ignorait qu’avec l’âge nous avions perdu qui de<br />

sa force et qui de sa voix). Il n’a jamais oublié de<br />

quoi nous étions capables ! Évidemment, avec une<br />

mémoire comme la sienne, ce n’est pas étonnant.<br />

Septembre 2009, Khalil et Simon m’appellent<br />

pour m’annoncer la terrible nouvelle: ce jeune<br />

homme souriant et à la mémoire phénoménale<br />

qui considérait l’Alba comme sa famille était très<br />

malade. Bien qu’Alexis Boutros soit décédé durant<br />

mon séjour à l’Alba, pour moi, ça a toujours été ce<br />

jeune homme qui dirigeait, décidait et s’occupait<br />

de tout. Il a toujours été présent et n’a jamais<br />

quitté l’Alba. Je l’ai appelé le lendemain pour<br />

m’enquérir de sa santé, et il me parlait avec le<br />

sourire, sa bonne humeur était perceptible même<br />

à travers le téléphone, à des milliers de kilomètres.<br />

Très gauchement je me renseignais sur son état, et il<br />

m’a répondu avec un rire: «je te verrais cet été pour<br />

t’embrasser, ne t’en fais pas, c’est promis !».<br />

C’était la première fois que Georges Haddad ne<br />

tenait pas sa promesse !...<br />

M. Joe Saghbini<br />

Architecte, diplômé de l’Alba<br />

Georges Haddad, l’esthète et l’homme de coeur<br />

Peu de mots pour témoigner d’un grand respect à<br />

un homme aujourd’hui disparu, trop tôt disparu…<br />

Un homme qui représentait, de son vivant déjà, une<br />

race en voie de disparition. Celle de ceux qui ont<br />

tout donné pour une cause à laquelle ils ont cru,<br />

celle pour qui donner c’était sans compter, celle<br />

pour qui l’engagement total n’avait pas de prix,<br />

pas même celui d’y consacrer sa vie… Il consacra<br />

la sienne à l’<strong>ALBA</strong>.<br />

«Monsieur Haddad», comme je l’ai toujours<br />

respectueusement mais affectueusement appelé,<br />

restera aux yeux de tous, l’exemple même de<br />

l’abnégation, de la générosité et de l’entière<br />

disponibilité.<br />

La porte de son bureau ouverte à tous,<br />

son oreille prête à toutes les doléances,<br />

il avait ce don, que peu de gens ont, de<br />

se sentir à l’aise aussi bien avec les gens<br />

les plus modestes que les personnalités<br />

les plus éminentes, et cette faculté<br />

d’alterner les sujets de conversation<br />

les plus divers, toujours animé par une<br />

intarissable curiosité des gens et des<br />

choses de l’art qui l’entouraient.<br />

Il savait écouter mais savait surtout entendre. Il<br />

savait regarder mais savait surtout voir.<br />

Il part comme il a vécu, en silence, mais en laissant<br />

derrière lui un immense vide auprès de tous ceux<br />

qui avaient su trouver chez lui du réconfort dans<br />

leurs moments difficiles et un repère dans leurs<br />

moments d’errance.<br />

«Monsieur Haddad», un dernier mot pour vous dire<br />

Merci.<br />

Merci de m’avoir accordé votre confiance, mais<br />

surtout votre amitié.

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