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opINIoN
Caritas Genève | Le Journal | N°478 | Septembre 2012 | p15
Ce que dirait Rousseau aux citoyens qui votent
sur la Constitution 2012
Guillaume Chenevière, auteur de Rousseau, une histoire genevoise, nous apporte un éclairage
historique sur le nouveau projet de Constitution genevoise.
Au moment de voter sur
une nouvelle constitution,
l’histoire constitutionnelle
de Genève, souvent
décrite comme le « laboratoire
des révolutions européennes »,
mérite un regard. Elle tourne
autour d’une question très actuelle
: à qui appartient le pouvoir
véritable, au peuple ou à
l’élite ?
Nos premières lois – les
Franchises d’Adhémar Fabbri
(1387) et les Edits politiques de
Calvin (1543) - établissent la
souveraineté du peuple, mais
en pratique le pouvoir est
exercé par quelques familles
riches. Cette oligarchie désigne
tous les candidats à la magistrature,
dont l’élection par le
peuple a de ce fait peu d’inci-
dence sur la politique du
gouvernement.
Tout au long du XVIIIe siècle,
les citoyens de Genève luttent
pour récupérer le pouvoir. Ce
sera le cas avec les constitutions
révolutionnaires de 1793-96, qui
fondent une démocratie participative
sans exemple ailleurs.
L’annexion de Genève par la
France (1798) met fin à l’expérience
et la constitution de la
Restauration (1814) rend le pouvoir
à l’élite, avant que les constitutions
radicales (1841-47) ne
rétablissent, du moins en théorie,
la souveraineté populaire.
La constitution de 1847 est
placée, comme celles de 1793-
96, sous le signe de Rousseau.
Article 1 : « La souveraineté
réside dans le peuple; tous les
pouvoirs politiques ne sont
qu’une délégation de sa suprême
autorité ».
Ce n’est que justice, puisque
Rousseau, LE théoricien de la
souveraineté populaire, est
imprégné de la tradition genevoise.
A Saint-Gervais, avec
son père horloger, il a vécu
enfant dans un milieu d’artisans
contestataires dont le bréviaire
est les Lettres Anonymes
de 1718. On y lit cette forte définition
: « La liberté est le droit
qui rend souverains ceux qui
en jouissent ».
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Pour Rousseau, la constitution
exprime la volonté générale
des citoyens, c’est-à-dire les
objectifs communs à tous qui
garantissent les intérêts particuliers
de chacun.
Dans les Lettres écrites de la
Montagne (1764), il se prononce
sur le « droit négatif »,
le droit de dire non aux dérives
de la politique. L’oligarchie,
forte de sa compétence aux
affaires, pense pouvoir récuser
sans autre les critiques des
citoyens. Or, dit Rousseau, il
appartient au peuple de recti-
“ Il n’y a de vraie liberté
que si les citoyens, bien
informés, se montrent
capables de voir leur
véritable intérêt et si une
élite compétente développe
des projets au service
de la volonté générale
et non pas d’intérêts
particuliers. „
fier les erreurs de l’élite, car le
peuple ne peut vouloir se nuire
à lui-même; s’il se trompe, il
corrigera son erreur, alors que
« l’abus de la puissance ne
tournant point au préjudice du
puissant mais du faible est par
sa nature sans mesure, sans
frein, sans limite. »
Les solutions concrètes préconisées
par Rousseau se sont
parfois révélées inapplicables,
mais il a mieux que personne
éclairé le problème de fond. Il
n’y a de vraie liberté que si les
citoyens, bien informés, se
montrent capables de voir leur
véritable intérêt et si une élite
compétente développe des projets
au service de la volonté
générale et non pas d’intérêts
particuliers. Cela n’est possible
que s’il règne dans l’État une
égalité telle que les plus riches
comme les plus pauvres ont un
intérêt commun au bon fonctionnement
de la société.
Rien de plus important que le
vote sur une nouvelle constitution.
Reflète-t-elle la volonté de
tous sur ce que l’État doit apporter
à chacun ? Sommes-nous
prêts à défendre les politiques
qui en découlent et à nous élever
contre celles qui s’en écarteraient
? A nous de répondre, car,
dit Rousseau, « dès que
quelqu’un dit des affaires de
l’État « que m’importe ? », l’État
doit être considéré comme
perdu ». •
Guillaume Chenevière
ANTONIO PASSASEO
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