chronozones 10/2004 la <strong>musique</strong> <strong>dans</strong> l’empire <strong>romain</strong>39PETITE HISTOIRETout comme la littérature, la <strong>musique</strong><strong>romain</strong>e est fille de la <strong>musique</strong> grecque. LesRomains la connaissaient déjà au temps dela Royauté, mais elle était utilisée le plussouvent pour des cérémonies religieusesou <strong>dans</strong> le domaine militaire. Le «boom»musical à Rome s’est produit avec lesvictoires de la capitale <strong>dans</strong> les futuresprovinces orientales. Plus Rome gagnaitdu terrain en Grèce, plus le nombre depoètes, acteurs et musiciens affluant enItalie augmentait. Après l’annexion de laGrèce en tant que province d’Achaïe en 146av. J.-C. (date de la destruction de Corinthe),il n’y eut plus de frontières pour la <strong>musique</strong>grecque: le processus «d’hellénisation»de Rome était en marche. Après lavictoire d’Octave à Actium en 31 av. J.-C.et l’intégration de l’Egypte ptolémaïque(30 av. J.-C.) <strong>dans</strong> l’Empire <strong>romain</strong>, Romeprit la place d’Alexandrie comme centreculturel du monde méditerranéen.MUSIQUE MILITAIRE<strong>La</strong> vie quotidienne des soldats <strong>romain</strong>s,tout comme chaque fête militaire oubataille, était accompagnée du son desinstruments à vent. <strong>La</strong> <strong>musique</strong> avait deuxrôles principaux: elle servait premièrementà donner différents signaux lors du serviceet deuxièmement à accompagner descérémonies pour donner le rythme lors demarches ou stimuler les soldats et le peuple.On a longtemps pensé que la <strong>musique</strong>militaire n’était qu’utilitaire. D’aprèsM. Junkelmann 1 , les sources mentionnentsouvent le classicum, un hymne joyeux jouépar tous les musiciens d’une légion ou d’unearmée. Il a dû exister un type de «marchemusicale», comme on peut en entendreaujourd’hui, <strong>dans</strong> nos fanfares villageoises.Nous n’avons aucun moyen de savoir à quoiressemblait cette <strong>musique</strong>. Nous possédonsquelques vagues descriptions des auteursantiques, mais aucune mélodie ne nous estparvenue. Les différentes trompettes etcors produisaient un son bien distinct quifacilitait la reconnaissance des signaux auxsoldats. Le lituus, un long tuyau légèrementrecourbé, produisait un son haut et strident,le cornu, ancêtre du cor, hérité des Etrusquesavait un son grave et sombre et la tuba,instrument national, dont la trompette estla descendante probable, produisait un sondécrit comme terrifiant. Les instrumentsreconstruits lors d’expérimentations archéologiques,notamment la tuba et le cornu,ont une très belle sonorité. Seul le lituusn’est pas très agréable à entendre.<strong>La</strong> tuba (fig. 1 et 12) occupait la place la plusimportante parmi les instruments militaires<strong>romain</strong>s. Elle servait à donner le signaldu réveil, de rassemblement, d’alarme,d’attaque, de retrait. Elle commandaitle comportement de base des soldats.Une tuba en bronze a été retrouvée enPannonie, à Zsámbék. Il ne lui manque quel’embouchure, sa longueur est de 1,28 m.C’est une découverte exceptionnelle, car onn’en retrouve généralement que quelquesfragments en os ou en bois.Le cornu est l’instrument le mieux documentéà l’heure actuelle. Il est très présent<strong>dans</strong> l’iconographie: sur la colonne trajanne,sur des pierres tombales et sur biend’autres monuments, mosaïques (fig. 2et 12) ou peintures murales. Il dirigeaitles mouvements sur le champ de bataillecomme les formations de marche ou decombat. Les actions d’attaque étaientaccompagnées par le cornu et la tubaensemble. Il semble que le cor ait été moinsutilisé pour les divers mouvements <strong>dans</strong> lecamp lui-même.<strong>La</strong> bucina (fig. 3), qui se rapproche de latuba, aurait servi à signaler les changementsde tours de garde. Il apparaît qu’elle étaitl’instrument de la cavalerie avant tout.Ces instruments avaient un rôleprincipalement militaire. Dans la viecivile, on ne les retrouvait que lors demanifestations publiques.Fig. 3 Bucina. <strong>La</strong>ndels 1999.Fig. 4 Tibiae ou aulos double. <strong>La</strong>ndels 1999.1 Junkelmann 1986
40histoire <strong>romain</strong>emateriaFig. 5 Autel des lares, Vicus Aescleti, Rome. Fless1994.Fig. 6 Silène jouant de la lyre à gauche et Panjouant de la syrinx à droite, frise de la Villa desMystères de Pompéi. Mielsch 2001.Fig. 7 Tympanon. <strong>La</strong>ndels 1999.MUSIQUE RELIGIEUSEDans le domaine religieux, dès les périodesles plus anciennes de Rome, la <strong>musique</strong>a joué un rôle très important pour ledéroulement des différents cultes et fêtes.Aucune solennité religieuse n’avait lieusans <strong>musique</strong>. Cette dernière ne devait enaucun cas être interrompue, elle devaitéloigner les démons et appeler les divinitésbienveillantes. On pouvait entendrerésonner la tibia (fig. 4) (possédant unson probablement semblable à celui de lalauneddas sarde) ainsi que des chants lors descérémonies. <strong>La</strong> tibia était une flûte double(aulos double) vraisemblablement d’originegrecque. Les Romains la nommaienttibia égyptienne, lydienne ou phrygiennequand elle était recourbée à l’extrémité.Pour les offices quotidiens, le prêtre étaitaccompagné d’un tibicen si le musicienétait seul, sinon d’un tibicen et d’un fidicen(joueur de lyre). Pour le sacrifice, il n’y avaitqu’un joueur de flûte. Sur l’autel des lares deVicus Aescleti (fig. 5), une représentationfidèle aux textes antiques est visible. Dechaque côté de l’autel se trouvent un prêtreet une prêtresse. Le tibicen est au centre etsemble être le personnage principal. Uneseule erreur de sa part et le rituel ne pouvaitêtre accompli.Les musiciens participaient égalementaux cortèges funéraires: les cuivres,habituellement des instruments militaires,apparaissaient lors de l’enterrement decombattants et de riches civils. Les tibiciensjouaient lors des lamentations.<strong>La</strong> <strong>musique</strong> avait également une grandeimportance lors de la célébration desdifférents cultes à mystères orientaux,comme ceux de Cybèle, Bacchus et Isis. Surles représentations de culte de la GrandeMère, les processions sont accompagnéesde cymbales, de tambourins (tympanon)(fig. 7), de cors et de tibiae phrygiennes,instruments emblématiques du culte deCybèle. Le culte de Dionysos-Bacchus avaitun caractère extatique. Il promettait auxadeptes une nouvelle naissance, semblableà celle de Dionysos, fils de Zeus et Sémélé,tué par les Titans et ressuscité par son père.<strong>La</strong> frise de la Villa des Mystères à Pompéimontre Silène, père nourricier de Dionysos,jouant de la lyre et Pan, tenant une syrinx(flûte de Pan) (fig. 6). L’ensemble picturals‘achève par une scène de flagellation oùune femme nue <strong>dans</strong>e en accompagnantle supplice par des cymbales (fig 9). Lespersonnages y sont représentés grandeurnature et la proportion des instrumentssemble respectée.<strong>La</strong> lyre (fig. 8) a été inventée par les Grecs. Ilsen avaient deux sortes: la lyra à sept cordeset la kithara (fig. 10) à onze, réservée auxprofessionnels. Le musicien accompagnaitle chant en jouant de la main gauche; de lamain droite, à l’aide d’un plectre, il exécutaitun solo lors d’interludes ou en doublant lamélodie. Le culte d’Isis, déesse égyptienne,était lui accompagné du sistrum (fig. 11), uninstrument métallique très typique dont lebruit devait éloigner les démons.Des témoignages iconographiques montrentencore des scènes de sacrificesou simplement pieuses, accompagnéesd’instruments à vent ou à cordes.Généralement, les chanteurs et musiciensappartenaient au personnel des temples.