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L'inspecteur pour qui les insectes sont des indices Claude Wyss

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PORTRAIT<strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>L’inspecteur<strong>pour</strong> <strong>qui</strong> <strong>les</strong> <strong>insectes</strong><strong>sont</strong> <strong>des</strong> <strong>indices</strong>12A LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000


Inspecteur à la sûreté vaudoise et enseignant occasionnelà l’Université de Lausanne, <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>est le spécialiste d’un étrange domaine : l’interrogatoire<strong>des</strong> <strong>insectes</strong>, preuves vivantes retrouvées sur<strong>les</strong> lieux du crime. Une procédure unique en Suisse.«Entrez, je vous ai réservél’après-midi. Mais peut-êtrequ’après dix minutes, vous serez complètementdégoûtée…» La belle porteajourée s’ouvre sur un visage déroutant,fendu par un rire guttural. <strong>Claude</strong><strong>Wyss</strong> est un personnage. Une de cesfigures foncièrement origina<strong>les</strong> que l’oncroise souvent dans <strong>les</strong> romans policiers,rarement dans la vie. Une doublemoustache cascadante à faire pâlirSherlock Holmes, un reste de tatouagesur l’avant-bras et un regard de myosotiscinglant : l’homme est inspecteurà l’identité judiciaire vaudoise et <strong>sont</strong>ravail consiste, comme il aime à lerépéter, «à faire parler <strong>les</strong> traces» danstoutes <strong>les</strong> affaires péna<strong>les</strong> : vol, suicideou meurtre.L’antre de l’inspecteurIl disparaît dans une petite piècesombre, remplie à ras bord d’objetshétéroclites : tentes malaises, microscopes,collections de pipes, cadresempilés <strong>les</strong> uns sur <strong>les</strong> autres, où gisent,épinglées, <strong>les</strong> précieuses mouchesnécrophages. Sous la fenêtre, plusieursmyga<strong>les</strong>, «en observation par pur intérêtpersonnel», tapotent de temps àautre <strong>les</strong> vitres de leur habitat. Très fier,il présente sa bibliothèque où il a rassemblétoute la littérature existant surl’entomologie forensique, comprenezl’étude <strong>des</strong> <strong>insectes</strong> appliquée à <strong>des</strong> finsjudiciaires. Voilà l’antre du spécialiste,le seul en Suisse à recourir à cettescience inaugurée par Pierre Mégninau début du XX e siècle.«Le but de cette méthode estd’essayer de dater un cadavre, étantdonné que le médecin légiste, après 72heures, ne peut plus rien dire.» Quandla rigidité cadavérique a mis son scellésur <strong>les</strong> faits, reste donc à trouver d’autrespistes, détails parlants ou preuvesmuettes. C’est là que <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong> vientchercher la petite bête. Au sens figuréet surtout littéral du terme, puisque ses<strong>indices</strong> à lui <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>insectes</strong>.Le moment du crimeMais, diable, comment un minusculediptère peut-il révéler le moment ducrime? «Dans <strong>les</strong> heures <strong>qui</strong> suiventune mort, <strong>pour</strong> autant qu’il y ait accessibilitéau corps, <strong>des</strong> mouches viennentpondre leurs œufs, d’abord dans <strong>les</strong> orificesnaturels, ensuite partout.» Autrementdit, le jour de la ponte déterminele moment du décès, «avec une marged’erreur de 24 heures», s’autorise <strong>les</strong>pécialiste. Un jeu d’enfant à ce qu’ilsemble. Oui, sauf que il faut d’abordidentifier l’espèce <strong>pour</strong> déterminer ladurée de son cycle de ponte, lequel→p. 14L’UNIL MÈNE AUSSIL’ENQUÊTEL’inspecteur <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>, de l’Identitéjudiciaire, a développé depuis1993 une collaboration active avecl’IZEA (Institut de zoologie et d’écologieanimale), avec l’IUML (Institutuniversitaire de médecine légale) etavec l’IPSC (Institut de police scientifiqueet de criminologie) de l’Universitéde Lausanne, où il officiecomme expert et donne occasionnellement<strong>des</strong> cours d’entomologieforensique. <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong> et DanielCherix ont enfin cosigné l’article«Behavior of Calliphora vicina underextreme conditions», paru dans leJournal of Insect Behavior (vol.12,N°5, 1999).P.B.A LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000 13


sur de nouvel<strong>les</strong> espèces jusque-làinconnues au répertoire de la faunesuisse, comme Neoleria ruficauda(Heleomyzidae) et Nemopoda speiseri(Sepsidae). Ces mouches ont été identifiéespar Bernhard Merz, entomologisteà l’Université de Genève.Pas le droit à l’erreurUne fois l’insecte identifié, resteencore à calculer son cycle de ponte.Heureusement, il existe <strong>les</strong> tab<strong>les</strong> deMarchenko, un scientifique russe, <strong>qui</strong><strong>les</strong> a mathématisés suivant un calcul detempérature moyenne par jour. Unesystématique <strong>qui</strong> permet de remonterle temps et de «faire une datation extrêmementprécise, <strong>pour</strong> autant que l’onsoit sûr d’être dans le premier cycle»,confie <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>. Qui, prudent, nese risquerait pas à faire une datationau-delà de quelques semaines. «Unefausse estimation peut être très grave.J’ai d’autant moins le droit à l’erreurque quand j’arrive avec mon filet àpapillons sur le lieu d’une mort suspecte,je passe <strong>pour</strong> un original, toutle monde se marre…»Le Colombo <strong>des</strong> diptèresRôder autour <strong>des</strong> corps en putréfactionne semble pas altérer le moralde l’inspecteur. Il a <strong>des</strong> enthousiasmesinattendus, <strong>des</strong> emportements soudainsdevant certains spécimens, totalementinsignifiants aux yeux du béotien.«Regardez <strong>les</strong> bel<strong>les</strong> choses que j’aitrouvées dans le parc du Manoir deBan!», s’emballe le Colombo <strong>des</strong>diptères. Et d’exhiber ses Calliphoridae,ses Necrobia, ses Dermestes, tous étiquetésen rangs immobi<strong>les</strong> sous leurvitrine. Ce <strong>sont</strong> eux <strong>qui</strong> ont permis defaire avancer l’enquête lancée à la suitede la découverte d’un couple mystérieusementdécédé dans le parc Chaplin,l’été dernier.La mouche africaineSûr qu’il aime <strong>les</strong> <strong>insectes</strong>. Evoquezle seul nom de Chrysomya albiceps (Wiedemann,1819) et le voilà <strong>qui</strong> se lance→A LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000 15


<strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong> L’inspecteur <strong>pour</strong> <strong>qui</strong> <strong>les</strong> <strong>insectes</strong> <strong>sont</strong> <strong>des</strong> <strong>indices</strong>PORTRAITpuent, ne <strong>sont</strong> pas beaux, passent par<strong>des</strong> sta<strong>des</strong> immon<strong>des</strong>. Mais l’horreur,vous la mettez de côté. Il faut faire abstractionde l’être humain, de son vécu,sinon vous n’y arrivez pas. Je travail<strong>les</strong>ur un substrat, je dois résoudre uneaffaire. C’est mon job», assène <strong>Claude</strong><strong>Wyss</strong>, <strong>qui</strong> assure 200 constats parannée et 85 expertises entomologiquesà ce jour.→aussitôt dans une digression. Cettemouche africaine, très rare sous noslatitu<strong>des</strong>, est une saisonnière clan<strong>des</strong>tine,<strong>qui</strong> a permis à <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>d’orienter une histoire de meurtre dansle canton de Fribourg : «J’étais appelé<strong>pour</strong> un constat, au mois d’octobre. Etlà je trouve une pupe de Chrysomya albiceps.Quel indice! Quand on sait quecette mouche ne vient en Suisse qu’aumois d’août, la mort ne pouvait doncdater que de ce moment-là. Une autreespèce a permis de dater le cadavre aujour près. Vous vous rendez compte?»s’interrompt le spécialiste, avant <strong>des</strong>’exclamer en ponctuant : «Mais c’estgé-ni-al! On a <strong>des</strong> migrations d’<strong>insectes</strong>comme chez <strong>les</strong> oiseaux.»Ainsi, tout peut être indice. Pourautant qu’on s’applique à <strong>les</strong> lire. Lespetites habitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> mouches nécrophages,leurs déplacements, leurmanière de voler continuent de parlerbien après que la mort a fermé <strong>les</strong>lèvres. Leurs mœurs définiront un lieu– Calliphora vomitoria affectionne laforêt –, leur seule présence dira une saison– Protophormia terranovae (Robineau-Desvoidy,1830) n’apparaît pasici avant le mois de juin.Puzzle zoologiqueReste que la tâche est souventingrate, l’environnement sordide. Maisla curiosité scientifique est plus forteque le dégoût. «Bien sûr, <strong>les</strong> cadavresParce qu’il aime décortiquer, traquer<strong>les</strong> preuves vivantes. Parce que ce finlimier <strong>des</strong> invertébrés à six pattes seplaît à résoudre, assembler <strong>les</strong> piècesde ce grand puzzle zoologique <strong>qui</strong> endit tant sur la nature humaine. Observer<strong>pour</strong> comprendre. Que, comme lelaisse supposer son expérience ducochon en pyjama (voir encadré p.18),la mort suit un processus de décompositionchaotique, dépendant de latempérature, de l’environnement etprobablement d’autres facteursinternes, d’ordre biologique : <strong>les</strong> corpsde deux personnes décédées dans <strong>les</strong>mêmes circonstances, en appartement,ne seront pas au même stade de putréfactionaprès sept jours. Ce <strong>qui</strong> amènel’inspecteur à chercher <strong>les</strong> constantesplutôt que <strong>les</strong> évidences trompeuses. Età ne pas confondre un trou creusé par<strong>les</strong> larves avec la trace d’une munition22 long rifle.16A LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000


Aux frontières du réelAinsi, <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong> côtoie la mortau quotidien, souvent dans ses aspects<strong>les</strong> plus répugnants, mais sait mettreentre elle et lui une distance respectable.Nécessaire. Pas de sensiblerie,juste une objectivité clinique, parfoisau bord de la nausée. «Chaque cadavre«habité» m’apporte une expériencesupplémentaire», dit-il sans aucunesprit de morbidité. Car l’hommen’éprouve ni fascination ni goût particulier<strong>pour</strong> la grande faucheuse. «J’aiparticipé à <strong>des</strong> autopsies à tire-larigotquand j’étais infirmier en psychiatrie.L’intérêt n’était pas de voir <strong>des</strong>cadavres sur une table, mais de découvrircomment c’était fait à l’intérieur.»Encore ce plaisir de l’investigation.Que l’on retrouve à l’œuvre dans sonintérêt <strong>pour</strong> le cornet à bou<strong>qui</strong>n, un instrumentde musique désuet aux partitionsindéchiffrab<strong>les</strong>. Un appétit scientifiquesolidement mâtiné d’un espritpolicier. Celui-là même <strong>qui</strong> fait reculer<strong>les</strong> frontières du réel. Qui poussela vie dans ses derniers retranchements,dans le vertige <strong>des</strong> détails <strong>qui</strong> fontvaciller <strong>les</strong> certitu<strong>des</strong>. Même s’il n’aimepas trop philosopher – «il ne faut pastourner autour du pot» –, son travailprécis, audacieux, hors norme, interroge<strong>les</strong> limites mêmes de l’existence.Qu’est-ce que la mort, quel est lemoment exact de la fin, quand on saitque toutes <strong>les</strong> parties du corps ne s’éteignentpas en même temps? Et que,quelques heures à peine après le décès,<strong>des</strong> bataillons d’<strong>insectes</strong> recycleurs,prédateurs ou charognards, ont déjàfait basculer la dépouille dans le grandrecommencement de la vie.Au bout du compte, y a-t-il unmoyen d’empêcher <strong>les</strong> indics ailésd’informer l’inspecteur? En commettantpar exemple son crime en pleinhiver quand <strong>les</strong> <strong>insectes</strong> <strong>sont</strong> en état deléthargie? Pas si sûr. «Nous venons dedécouvrir deux records : <strong>des</strong> mouches<strong>qui</strong> ont pondu <strong>des</strong> œufs, l’une à 5° Cdans l’obscurité totale, l’autre à 2,5° Cdans un névé. Alors, vous savez, lecrime parfait…»Patricia BrambillaPhotos : Nicole ChuardA LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000 17


<strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong> L’inspecteur <strong>pour</strong> <strong>qui</strong> <strong>les</strong> <strong>insectes</strong> <strong>sont</strong> <strong>des</strong> <strong>indices</strong>PORTRAITDRLe cochon en pyjamaDifficile de «s’entraîner» quand on estspécialiste de l’entomologie forensique.C’est <strong>pour</strong>quoi l’inspecteur<strong>Wyss</strong> a mis au point l’expérience du cochon enpyjama, en collaboration avec Daniel Cherix del’Institut de zoologie de l’Université de Lausanne.Cette curieuse opération consiste à installerl’animal dans un champ, une heure aprèssa mort, <strong>pour</strong> observer de près <strong>les</strong> phases de ladécomposition. Pourquoi un cochon? «Parceque c’est l’animal dont la peau est la plus prochede celle de l’être humain», répond <strong>Claude</strong> <strong>Wyss</strong>.Et le pyjama? Parce que <strong>les</strong> corps humainsretrouvés morts dans la nature <strong>sont</strong> généralementhabillés.A 9 heures, l’animal est mis à mort et déposésur le site une heure plus tard. A midi apparaissent<strong>les</strong> mouches nécrophages (photo cicontre).Et à 13 heures, <strong>les</strong> premiers œufs <strong>sont</strong>déposés. Une expérience <strong>qui</strong>, <strong>pour</strong> l’heure, luipermet de remettre en question <strong>les</strong> théories deMégnin, selon <strong>qui</strong> <strong>les</strong> <strong>insectes</strong> défileraient surla dépouille dans un ordre chronologique précis.«Hydrotaea capensis (Wiedemann, 1818)est venue sur le site après quatre jours, alorsqu’en théorie, elle est censée n’apparaîtrequ’après quatre mois.»P.B.▲L’expérience du cochon en pyjama :quelques heures après sa mort, <strong>les</strong> premières mouchesviennent déjà pondre leurs œufs sur le cadavreDRDR18A LLEZ SAVOIR! / N°18 OCTOBRE 2000

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