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Le Voleur - Lecteurs.com

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éloignées et transformées en rancunes, ne germeraient pointdes haines d’homme.Je sais que je suis volé. Je vois que je suis volé. L’argent quemes parents ont amassé, et qu’ils m’ont légué, je ne l’aurai pas.Je ne serai pas riche ; je serai peut-être un pauvre.J’ai peur d’être un pauvre – et j’aime l’argent, Oui, j’aimel’argent ; je n’aime que ça. C’est l’argent seul, je l’ai assez entendudire, qui peut épargner toutes les souffrances et donnertous les bonheurs ; c’est l’argent seul qui ouvre la porte de lavie, cette porte au seuil de laquelle les déshérités végètent ;c’est l’argent seul qui donne la liberté. J’aime l’argent. J’ai vula joie orgueilleuse de ceux qui en ont et l’envie torturante deceux qui n’en ont pas ; j’ai entendu ce qu’on dit aux riches et lelangage qu’on tient aux malheureux. On m’avait appris à êtrefier de la fortune que je devais avoir, et je sens qu’on ne me regardeplus de la même façon depuis que mes parents sontmorts. Il me semble qu’une condamnation pèse sur moi. Je suisvolé, et je ne puis pas me défendre, rien dire, rien faire… Cetteidée me supplicie, je hais mon oncle ; je le hais d’une haine terrible.Sa bienveillance m’exaspère ; son indulgence m’irrite ; jemeurs d’envie de lui crier qu’il est un voleur, quand il meparle ; de lui crier que sa bonté n’est que mensonge et sa <strong>com</strong>plaisancequ’hypocrisie ; de lui dire qu’il s’intéresse autant àmoi que le bandit à la victime qu’il détrousse… <strong>Le</strong>s robes de safille, ma cousine Charlotte, qui <strong>com</strong>mence à porter des jupeslongues, c’est moi qui les paye ; et l’argent qu’il me donne,toutes les semaines, c’est la monnaie de mes billets de banque,qu’il a changés. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir manger, chezlui, le dimanche ; les morceaux m’étranglent, j’étouffe de colèreet de rage.Plus tard, j’ai pensé souvent à ce que j’ai éprouvé, à cemoment-là. Je me suis rendu un <strong>com</strong>pte exact de mes sentimentset de mes souffrances ; et j’ai <strong>com</strong>pris que c’étaitquelque chose d’affreux et d’indicible, ces sentiments d’hommeindigné par l’injustice s’emparant d’une âme d’enfant et provoquantces angoisses infinies auxquelles l’expérience n’a pointdonné, par ses <strong>com</strong>paraisons cruelles, le contrepoids des douleurspassées et des revanches possibles. Je me suis expliquéque tout mon être moral, délivré subitement des influences extérieures,et replié sur lui-même pour l’attaque, ait pu se21

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