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Histoire physique, économique et politique du Paraguay et des ...

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HISTOIREDU PARAGUAYETDES ÉTABLISSEMENTS DES JÉSUITES


DU MÊME AUTEUR :ÉTUDES ÉCONOMIQUES SUR L'AMÉRIQUE IMÉRIDIOIVAUE.1'^ Etude : <strong>du</strong> Tabac au <strong>Paraguay</strong>, Culture, Coosommatioo <strong>et</strong> Commerce.Rapport adressé à MM. les Ministres de l'Instruction publique<strong>et</strong> <strong>des</strong> Finances. Avec une l<strong>et</strong>tre sur l'Intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> Tabac enFrance, par M. Ferdinand Denis, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève; <strong>des</strong> notes <strong>et</strong> deux gravures; gr. iu-S", Paris, 1851.IVOTICE SUR E.A VIE ET I.ES TRAVAUX DE IH.AIMÉ BO.Ii-PUAMD, correspondant de l'Inslilut <strong>et</strong> <strong>du</strong> Muséum d'histoire naturelle^lue à l'assemblée générale de la Société de géographie <strong>du</strong> 22 avril1853, in-8». (Extrait <strong>du</strong> Bull<strong>et</strong>in de la Société.)Fragments d'un VOYAGE AU PARAGUAY, exéculé parordre <strong>du</strong>Gouvernement, considérations sur l'origine de la Population.Ues Indiens Payaguàs. Las à l'Assemblée générale de la Société degéographie <strong>du</strong> 23 décembre 1853, in-8". (Extrait <strong>du</strong> Btill<strong>et</strong>in de la Sociele.)liE DOCTEUR FRA!«CIA, DICTATEUR DU PARAGUAY : Sa vie <strong>et</strong> songouvernement. Br. in-4°à 2 co4., Paris, 185G. ( Extrait de la Biographieuniverselle {Michaud), 2* édition.)P\IUS. — IHI'niJIbRIi: UE m""' V« UOICUARO-IIUZAKD, rue vu L ICPJROX, J.


IHISTOIREPHYSIQUE ,ÉCONOMIQUE ET POLITIQUEDU PARAGUAY'ETDES ÉTABLISSEMENTS DES JÉSIJITESPAUL. ALFRED DEMERSAYCHARGÉ D'UiNE MISSION SCIENTIFIQUE DANS l'AMÉRIQUE MÉRIDIONALEDE LA COMMISSION CENTRALE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOtiRAPHIBDE l'institut historique DU BRÉSILDOCTEUR EN MÉDECINE , ETC.OUVRAGE ACCOMPAGNÉ DON ATLAS,DE PIÈCES JUSTIFICATIVES ET D'UNE BIBLIOGRAPHIE.Les fables, loin de grandit k-s hommes,la nature el Dieu, rap<strong>et</strong>issent tout.Lamartine,Mihvn.TOME PREMIER pNViPARISLIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cr. L' F. IM K K U li - s A U U A Z 1 > , 1 '1860Droil de ira<strong>du</strong>ciioii réservé


LlBnA.î^V k jF/r L i.^^U>1


LAMÉMOIREDE MON PÈRE ET DE MA MEREALFRED DEMERSAY


lîSTRODUCTIOISFEUILLES DÉTACHÉES D'DN JODRNAL DE VOYAGE.« Les Jésuites ont eu <strong>des</strong> établissements par toutel'Amérique; mais, au <strong>Paraguay</strong>, ilsfondèrent un véritableroyaume. C'est sans contredit un <strong>des</strong> plus curieuxépiso<strong>des</strong> de l'bistoire moderne (1). »Chargé d'une missionscientifique dans l'Amériqueméridionale, j'ai exploré « ce royaume, » j'ai fouillé sesarchives ; <strong>et</strong> revenu en France à travers les incidentsnombreux <strong>et</strong> les dangers qui marquent les étapes(!) J'emprunte c<strong>et</strong>te citation <strong>et</strong> la suivante à la Revue <strong>des</strong> Deux-Mondeait" avril 1851, t. X, p. 139). Le coutrc-amiral Page, aujourd'hui cominaii-«laot <strong>des</strong> forces navales françaises dans rindo-Chinc, auteur <strong>du</strong> remarquablearticle qui me les fournit, est un <strong>des</strong> (écrivains 1rs plus versés dansrhistoire <strong>des</strong> Républiques Argenlir.rs.


XINTRODUCTION.d'un long voyage, je me propose de le décrire, <strong>et</strong> defaire l'histoire d'un gouvernement « merveilleusementadapté aux mœurs <strong>des</strong> Indiens. » Que je sois resté àla hauteur de c<strong>et</strong>te tâche difficile, je suis assurémentfort éloigné de le prétendre ; mais le lecteur voudrabien m'accorder— je Tespère — que, pour atteindre àmon but, je n'ai épargné ni les veilles,ni les patientes<strong>et</strong> laborieuses recherches. Commencé au milieu <strong>des</strong>émotions provoquées par les splendeurs <strong>des</strong> régionstropicales, ce livre a donc été continué dans le silencede la r<strong>et</strong>raite, dans la méditation <strong>des</strong> plus sérieusespensées.En publiant la première livraison de mes Étu<strong>des</strong> économiquessur rAmérique méridionale, j'écrivais :« L'histoire n'a pas dit son dernier mot sur le gouvernementthéocratique<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>; <strong>et</strong> en ces tempsde fièvre littéraire, où tant d'articles de revues ont étéinspirés par de vieux auteurs, la question si controversée<strong>des</strong> Missions est restée à l'écart, obscure encore surplus d'un point, avec <strong>des</strong> éloges excessifs <strong>et</strong> <strong>des</strong> critiquespassionnées, mais sansrien perdre de son importance<strong>et</strong> de son intérêt.« Loin de là : c<strong>et</strong> intérêt <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te importance grandissentchaque jour; car, en dernière analyse, l'organisationintérieure <strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ctions fondées par les Jésuites,représente une <strong>des</strong> formes de l'organisation <strong>du</strong> travail


INTRODUCTION.ïlen commun , c'est-à-dire un <strong>des</strong> termes <strong>du</strong> problèmeredoutable qui a surgi tout à coup <strong>du</strong> sein de nos luttes<strong>politique</strong>s, <strong>et</strong> pour les effacer (1). »Je relis ces pages qui datent de plusieurs années déjà,<strong>et</strong> je trouve qu'elles expriment encore toute ma pensée.Ce qui était vrai en 1851, n'a pas cessé d'être vraien 1 859. D'une part, les rares publications qui ont parusur le <strong>Paraguay</strong>, toutes de circonstance, se sont attachéesau présent sans se préoccuper <strong>du</strong> passé (2); d'autrepart, si le calme s'est fait à la surface de la société, sila civilisation a repris sa marche sur le solide terrain<strong>des</strong> principes d'éternelle justiceun moment en péril,on ne saurait affirmer l'extinction entière de faussesdoctrines, de décevantes illusions, tour à tour dominantes,ou repoussées l'une par l'autre. A tous ces(1) Étu<strong>des</strong> économiques sur VAmérique méridionale. Première étude :Du Tabac au <strong>Paraguay</strong>, Culture, Consommaliou <strong>et</strong> Commerce, avec unel<strong>et</strong>tre sur l'Intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> Tabac en France, par M. Ferdinand Denis,conservateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Paris, 1851, gr. in-S",deux <strong>des</strong>sins.(2) Je ferai une exception en faveur de l'ouvrage que M. Thomas J. Pagevient de publier sous ce titre : La Plala, Ihe argentine Confédérationand <strong>Paraguay</strong>..., withmap and numerous engravings, 1 vol. gr. in-8»,London, 1859. M. Page, officier de lamarine <strong>des</strong> États-Unis, président dela Commission scientifique dont j'ai cité plusieurs fois les travaux surd'autres indications, consacre quelques chapitres aux établissementsfondés par les Jésuites en Amérique. Je regr<strong>et</strong>te que le récit de ses expéditionsdans rintérieur <strong>des</strong> terres, me parvienne après l'impression de mesdernières feuilles, le lecteur y eût gagné une <strong>des</strong>cription plus complète<strong>du</strong> Grand-Chaco dont le commander Page a exploré les rivières: mais j'aiconsulté avec fruit la grande carte qu'il a publiée plusieurs années avant lanarration de ses voyages , <strong>et</strong> je n'ai point omis de le dire.


XIILNTRODUCTIOxN.titres, riiisloire delà domination <strong>des</strong> Jésuites au <strong>Paraguay</strong>n'a donc rien per<strong>du</strong> de son intérêt.J'ai hâte d'en faire l'aveu , je ne me suis jamaisdissimulé les délicatesses de mon suj<strong>et</strong>. Parler <strong>des</strong>Jésuites, même de ceux de l'Amérique, est une entreprisefort épineuse, grosse tout au moins d'une foule <strong>des</strong>uppositions. Et cependant, il faut bien qu'on le sache :quelque opinion que l'on se forme de l'influence, <strong>des</strong>intentions <strong>politique</strong>s, ou <strong>des</strong> secr<strong>et</strong>s <strong>des</strong>seins de la célèbreCompagnie en Europe, on ne sauraitméconnaître,sans injustice,les grands services qu'elle a ren<strong>du</strong>s dansle Nouveau Monde à la cause de l'humanité. Envoyéspour soustraire lesIndiens à l'avidité <strong>des</strong> conquérants,auxmesuresvexatoires <strong>des</strong>gouverneurs, aubruit<strong>des</strong>protestationsénergiques de l'évêque de Chiapa, les Jésuitesont accompli c<strong>et</strong>te lourde tâche à travers <strong>des</strong> obstaclessans nombre, <strong>et</strong> <strong>des</strong> périls qui ont fait dans leurs rangsplus d'un martyr. Leur austérité a défié toutes les accusations,toutesles calomnies; <strong>et</strong> leur administration alaissé parmi les Indigènes <strong>des</strong> souvenirs sous la pression<strong>des</strong>quels leurs successeurs ont succombé (1). On a critiquévivement, je le sais de reste, le régime <strong>des</strong> Missions,<strong>et</strong> je ne veux pas prétendre qu'il conviendrait à(1) Vojez ce que dit Tadco Ilaënkc <strong>des</strong> religieux qui les oui remplacés,daQS un mémoire inséré à la suite de l'ouvrage de J. Areualcs : yoliciashislôricas y <strong>des</strong>criptivas sobn el gran pais del Chaco y rio Bcrmejo,Duenos-Ayrcs, 1833, p. 411.


INTRODUCTION.XIIIune société comme la nôtre ;mais un peuple jeune, <strong>des</strong>hommes sans prévoyance, sans souci <strong>du</strong> lendemain, devaientêtre gouvernés par les moyens, avec les pompesqui conviennent à la jeunesse <strong>des</strong> peuples.La <strong>des</strong>tructionde l'Ordre a donc laissé en Amérique un vide immenseque les voyageurs sont unanimes à dénoncer. Surtous les points Toeuvre sociale a disparu depuis longtemps;sur presque tous l'œuvre matérielleachève dedisparaître. On le verra plus tard :en peu d'années la solitu<strong>des</strong>'est faite au sein de ces magnifiques établissements;les Indiens ont reprislechemin <strong>des</strong> déserts, <strong>et</strong> sesont dispersés dans les forêts que leurs ancêtres avaientabandonnées à la voix persuasive <strong>des</strong> hommes dont la réputationde mansuétude <strong>et</strong> de charité était parvenue jusqu'àeux. Il faut excepter de ce tableau l'État <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,que son isolementdepuis l'Indépendance a préservéde la manie <strong>des</strong> révolutions presque endémiquedans les anciennes colonies de l'Espagne, <strong>et</strong> qui grâce àc<strong>et</strong>te tranquillité traditionnelle—chèrement ach<strong>et</strong>ée—a conservé intacts les monuments de la grandeur <strong>et</strong> <strong>des</strong>richesses de l'Ordre fameux dont le nom restera désormaisinséparable <strong>du</strong> sien. Il m'a donc été permis d'étudiersur place le régime institué de toutes pièces parles fondateurs <strong>des</strong> Missions, car il a subsisté jusqu'au7 octobre 1848. Ce jour-là un décr<strong>et</strong> présidentiel aparu, qui i\échve citoyens de la République les Indiens de


XIVtous les villages,INTRODUCTION.les fait rentrer dans le droit commun,supprime leur juridiction particulière, établit de nouvellesautorités, <strong>et</strong>c. (1). J'ignore, à l'heure qu'il est,les conséquences de c<strong>et</strong>te mesure prise par le présidentLopez , sous l'influence d'une révolution européenneque l'un de ses ministres s'est chargé de qualifier <strong>du</strong>haut de la tribune; <strong>et</strong> l'expérience dira bientôt si les Indiensaffranchis <strong>des</strong> travaux de communauté (commimidad),se sont ren<strong>du</strong>s dignes de laliberté qu'on leur aoctroyée avec <strong>des</strong> phrases d'un libéralisme sonore, dontj'aiquelque raison de me défier.Certes, nous tenons compte au président Lopez de sesintentions bruyamment exprimées, mais ilne doit passe le dissimuler, ce ne sera pas pour lui chose simple<strong>et</strong> facile de bouleverser de fond en comble, de m<strong>et</strong>treà néant l'œuvre séculaire d'excellents observateurs.U) Sans vouloir traiter dans c<strong>et</strong>te note un point important de géographie<strong>politique</strong> sur lequel nous aurons à revenir, e( tout en laissant de côté lesquestions encore pendaJiles de délimitation territoriale, nous devonsdire ici que les trente villages {pxiehlos) qui composaient ce que Ton aappelé (( Tempire guaranique, » sont de nos jours répartis de la manièresuivante : ceux qui sont situés sur la rive gauche de l'Uruguay, dans laprovince de Rio-Graude <strong>du</strong> Sud, appartiennent au Brésil : ils sont au nombrede sept. On considère les quinze bourga<strong>des</strong> élevées dans l'Entre-Rios, c'està-direentre l'Uruguay <strong>et</strong> le Parauà, comme faisant partie de la ConfédérationArgentine. Ces dernières ont entièrement disparu, tandis que telles<strong>du</strong> Brésil offrent encore çà <strong>et</strong> là <strong>des</strong> ruines de monuments eitrèniementremarquables. EnGu, huit Missions sont enfermées dans le <strong>Paraguay</strong> proprementdit. Celles-là, les guerres civiles les ont respectées; leurs édificessont toujours debout; el, ainsi que je viens de le dire, leur régime administratifa fonctionné presque sans modification depuis Tongine jusqu'au7 octobre 184S.


LMRODUCTION.ïtd'hornmes profondément habiles, que les écrivains, lessavants <strong>et</strong> les voyageurs de tous les pays s'accordent àlouer dans une unanimité trop entière pour être l'eff<strong>et</strong><strong>du</strong> hasard, ou l'expression d'une opinion préconçue.Ici,les noms que je pourrais citer se pressent en foulesous ma plume : Voltaire, Raynal, Montesquieu» Juany Ulloa, Angelis, Ferdinand Denis, Humboldt, TadeoHaënke, A. de Saint-Hilaire, A. d'Orbigny, Robertson,Koster, Varnhagen; combien d'autres encore !Je poursuis le dépouillement <strong>des</strong> témoignages que j'airecueillis,<strong>et</strong> j'en trouve un qui ne paraîtra pas suspectde partialité dans c<strong>et</strong>te phrase d'une l<strong>et</strong>tre adressée parCarvalho de Mendoza ,gouverneur général <strong>du</strong> Maranhâo,à son frère le marquis de Pombal, le grand marquis,l'ardent promoteur <strong>du</strong> décr<strong>et</strong> de proscription de 1767 :« Il m'est impossible de soum<strong>et</strong>tre ces Pères ; leur<strong>politique</strong> <strong>et</strong> leur habil<strong>et</strong>é défient tous mes efforts,<strong>et</strong> laforce de mes armes. Ils ont donné aux sauvages <strong>des</strong>coutumes <strong>et</strong> <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> qui les attachent à eux indissolublement.»J'arrive maintenant à l'exposition <strong>du</strong> plan de ce livre.Et d'abord, ilétait impossible de séparer l'histoire <strong>des</strong>Missions de celle tout aussi peu connue <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>proprement dit. Il y a plus: la terre sur laquelle se sontaccomplis les événements dont j'entreprends 4a narrationétait si hermétiquement close depuis un demi-siècle,


XVIINTRODUCTION.les données que possède la science économique sur sesressources m'ont paru siincertaines, que je me détermineà faire précéder mon récit <strong>des</strong> observations que lecaractère même de la mission dont j'étais chargé mefaisait un devoir de recueillir. Je ne crois pas m<strong>et</strong>romper en avançant qu'il est difficile, de nos jours, aumilieu <strong>des</strong> aspirations de ce siècle positif <strong>et</strong> désireux d<strong>et</strong>out connaître, d'écrire l'histoire d'un pays enlaissantde côté la <strong>des</strong>cription <strong>du</strong> sol sur lequel se sont déroulésles faits que l'historien veut exposer; la connaissance <strong>des</strong>es richesses naturelles, de ses pro<strong>du</strong>ctions organiques<strong>et</strong> inorganiques considérées au point de vue économique,c'est-à-dire pratique <strong>et</strong> commercial ;la climatologie<strong>et</strong> les phénomènes delà <strong>physique</strong> <strong>du</strong> globe, d'une importancede premier ordre dans la question de l'immigration;l'étude de la faune; les caractères enfin dela race à laquelle appartient le peuple dont il s'agitde raconter la vie <strong>politique</strong>, les mœurs <strong>et</strong> les institutions.Il y a,en un mot, qu'on me passe c<strong>et</strong>te expression,ily a nécessité de décrire la scène, avant de parler<strong>des</strong> acteurs. En eff<strong>et</strong>, on ne saurait trop le répéter,l'homme estplacé dans une étroite liaison par rapportà la nature. Le monde <strong>physique</strong> au sein <strong>du</strong>quel il vit,agit <strong>et</strong> réagit incessamment sur lui, <strong>et</strong> à son insu. Un<strong>des</strong> membres les plus laborieux de l'Institut de France,avec lequel je me félicite de me rencontrer en parfaite


,INTRODUCTION.communauté d'idées <strong>et</strong> de sentiments, Ta dit :XVII«Jusqu'icion ne voulait voir dans l'humanité, que la reine de cemonde, <strong>et</strong> l'on oubliait que le monarque dépend encoreplus de ses suj<strong>et</strong>s, que ses suj<strong>et</strong>s ne dépendent de lui...L'homme lui-même n'est qu'un agent, agent principalsans doute, grande roue de la machine, mais qui subitles réactions <strong>et</strong> transm<strong>et</strong> les mouvements <strong>des</strong> autresparties <strong>du</strong> mécanisme général. Ces autres parties,c'estdans la nature <strong>physique</strong>, dans lesrègnes organique <strong>et</strong>inorganique, qu'il faut les aller chercher. Les influences<strong>du</strong>es aux actions extérieures qui entourent l'homme <strong>et</strong> ledominent d'autant plus qu'il est moins civilisé, donnentnaissance aux conditions sous l'empire <strong>des</strong>quelleschaque race, chaque indivi<strong>du</strong>, grandit <strong>et</strong> se développe(1). »Désormais, la géographie se liera étroitementà l'histoire,car la géographie telle que l'ont faiteMalte-Brun, Karl Ritter, Balbi, a cessé d'être c<strong>et</strong>tenomenclature étroite, aride, que l'on enseignait exclusivementà l'enfance, il y a peu d'années. Nulle scienceplus vaste , car elle embrasse toutes les branches<strong>des</strong> sciences naturelles, ou <strong>du</strong> moins elle les résum<strong>et</strong>outes. La géographie est encore le plus puissantauxiliaire de l'économie <strong>politique</strong>, puisqu'elle indiquelasource <strong>des</strong> richesses dont c<strong>et</strong>te dernière étudie le dé-(1) Alfred Maury, La Terre <strong>et</strong> l'Homme, Paris, 18i7, ia-î8. Préface,p. 6.


xviiiINTRODUCTION.veloppement, la mise en œuvre <strong>et</strong> la transformation.Ces. considérations, d'autres que j'aborderai tout àl'heure, m'ont con<strong>du</strong>it à diviser V<strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> <strong>des</strong> Ëtahlissements <strong>des</strong> Jésuites en quatre parties :I. Partie géographique ( Géographie <strong>physique</strong> <strong>et</strong><strong>politique</strong> ).II. Partie économique (Agriculture, In<strong>du</strong>strie, Commerce).III.<strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.IV. <strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Archéologie <strong>des</strong> Missions.Le <strong>Paraguay</strong>, isolé <strong>du</strong> reste <strong>du</strong> monde en sortant<strong>des</strong> mains de l'Espagne, par la <strong>politique</strong> égoïste d'untyran fantasque, a servi de texte à <strong>des</strong> récits exagérés <strong>et</strong>qui touchent de près au merveilleux. Les richessesnaturelles, l'abondance <strong>des</strong> matières premières que peutfournir à l'in<strong>du</strong>strie <strong>et</strong> aux manufactures de l'Europe, unpays ferméraison de lapendant un demi-siècle, ont augmenté endistance, <strong>et</strong> d'une curiosité surexcitée parl'impossibilité de se satisfaire; <strong>et</strong> je répéterai ce quej'écrivais en tète d'un rapport adressé à MM. les ministresde l'Instruction publique <strong>et</strong> <strong>des</strong> Finances :« ... Je ne me fais pas illusion d'ailleurs sur Timportanceà tous égards de c<strong>et</strong>te partie <strong>du</strong> Nouveau Monde,<strong>et</strong> l'intérêt qui s'attache à son nom est avant tout, ilfaut le dire, un intérêt de curiosité. Un emprisonnementcontinu <strong>du</strong>rant trente années, d'extrêmes difficultés de


INTRODUCTION.XIXcommunications depuis la cessation de c<strong>et</strong> odieux système,l'éloignement qui prête aux choses une importance<strong>et</strong> <strong>des</strong> formes souvent trompeuses, ont laissécroire à <strong>des</strong> <strong>des</strong>tinées auxquelles le <strong>Paraguay</strong> ne sauraitatteindre. Je garde donc Tespoir de rectifier <strong>des</strong> idéesfausses, de dissiper quelques illusions,en faisant connaîtreses ressources avec sincérité, sans dénigrement<strong>et</strong> sans flatterie. »Je suisheureux de le reconnaître, la partie <strong>des</strong>criptivede c<strong>et</strong> ouvrage devra tout son intérêt aux communications<strong>du</strong> naturaliste célèbre que les sciences ont per<strong>du</strong>récemment. Je veux parler de M. Aimé Bonpland, dontle nom reviendra plus d'une fois dans le courant deces pages. J'ai r<strong>et</strong>rouvé en Amérique le compagnon devoyage de l'illustre Humboldt, qui a peu survécului-même à son meilleur ami. J'étais à peine installédans son habitation d'une simplicité antique, queM. Bonpland m<strong>et</strong>tait à ma disposition, sans réserve, levolumineux journal où il consignait chaque jour ,depuis trente années, le résultat de ses observations.J'y ai puisé, mais avec discrétion, <strong>et</strong> je conserve pardevers moi l'assurance d'avoir rarement laissé échapperl'occasion de restituer ce qui appartient à l'excellenthomme dont la mo<strong>des</strong>tie égalait le savoir (i).M) Je dirai plus loin quelques mois <strong>des</strong> manuscrits <strong>et</strong> <strong>des</strong> collectionslaissés à sa mort par M. Boaplaod.


XXLMRODUCTION.Ceci posé, ce programme plus ou moins complètementrempli,que restera-t-il <strong>du</strong> voyageur? Rien, oupeu de chose. Il dira ici toute sa pensée : plus il avançaitdans l'étude de son suj<strong>et</strong>, plus se déroulait dansses souvenirs la nature splendide qu'il avait à peindre,plus les événements qu'il interrogeait grandissaienten importance , moins lui a semblé opportune lapublication revisée, toujours facile, d'un journal devoyage. Il a craint la défiance souvent injuste, quelquefoislégitime , d'un public incré<strong>du</strong>le ou blasé àl'endroit <strong>des</strong> aventures par lesquelles passe le voyageuren franchissant le seuil <strong>du</strong> foyer domestique.Comme si la fiction trop souvent ne restait pas au<strong>des</strong>sousde la vérité! Cependant, on trouvera plusloin un court résumé de mon séjour en Amérique,<strong>et</strong> je dirai quelques mots <strong>des</strong> circonstances auxquellesj'aidû de pouvoir pénétrer dans un pays jusqu'alorsfermé aux regards <strong>des</strong>étrangers.Des pièces justificatives, la plupart inédiles ou peuconnues, <strong>des</strong> documents recueillis dans les archives <strong>des</strong>Missions ou dans les bibli^othèquesde l'Europe, viendrontà l'appui de mon opinion sur les choses, <strong>et</strong> demes jugements sur les personnes; <strong>et</strong> l'on trouvera à lafin de l'ouvrage l'indication <strong>des</strong> sources que j'aiconsultées,lorsque j'ai eu à parler <strong>du</strong> passé. J'ai cherché àrendre c<strong>et</strong>te bibliographie moins aride à l'aide de


INTRODUCTION.XXInotices biographiques sur les historiens les plus importants<strong>et</strong> les moins connus. La plupart appartiennent,on le prévoit d'avance, à l'institut de Loyola. J'emprunteraices notices à la Biographie universelle pourlaquelle je les ai rédigées (1).Un atlas <strong>et</strong> <strong>des</strong> cartes doivent accompagner aussiV<strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les unes sont <strong>des</strong>tinées à faireconnaître la positionastronomique, l'hydrographie, lagéographie <strong>politique</strong> de c<strong>et</strong>te région méditerranée;les planches de l'atlas repro<strong>du</strong>iront les ruines inconnues<strong>des</strong> monuments élevés par lapuissante Société,<strong>et</strong> quidisparaissent peu à peu depuis tantôt un sièclesous la végétation envahissante <strong>des</strong> Tropiques ;la physionomie,les coutumes <strong>des</strong> Indigènes indépendants ousoumis que nous avons observés; enfin,les traits <strong>des</strong>personnages célèbres à divers titres dont le nom doitreparaître plus d'une fois dans mon récit. C'est auxinstances pressantes, réitérées, de mon vénérable amiM. Bonpland, que je dois d'avoir repris le crayon quej'avais quitté en même temps que le collège; je nel'ai pas oublié. Mes premières tentatives dans c<strong>et</strong>te voiem'ont coûté <strong>des</strong> efforts que je le remercie chaque jourd'avoir provoqués.Le titre inscrit en tête de ces pages l'annonce, je dois(1) Biographie universelle {Michaud], 2' cdit. Voy. les art. Funes,GuBViBÀ, GuzMAN(Uuy Diaz de), UiEN&E, Indarte, Lozano.Muratori, <strong>et</strong>c.


XXIIINTRODUCTION.faire l'histoire abrégée de la domination espagnoleau<strong>Paraguay</strong>, depuis sa découverte jusqu'à laprésidencequi a recueilli l'héritage <strong>du</strong> trop fameux docteurFrancia, dont le <strong>des</strong>potisme a fait regr<strong>et</strong>ter amèrementle régime qui l'avait précédé. On trouvera mesappréciations sévères; à ceux qui connaissent la vérité,elles sembleront équitables. Les anciennes colonies del'Espagne sont toujours, <strong>et</strong> depuis bien <strong>des</strong> années,dans le pénible enfantement de pouvoirs réguliers.De l'état calme <strong>et</strong> relativement prospère dans lequelelles vivaient sous l'ombrageuse tutelle de la Métropole,elles sont tombées pour la plupart dans l'anarchiesemi-séculaire où nous lesvovons se débattre <strong>et</strong>épuiser leurs dernières forces, sous les regards attentifsde la race 'anglo-saxonne qui convoite leurs dépouilles.Du nord au midi, <strong>du</strong> Mexique au Rio de laPiata, quel navrant spectacle elles offrent au Monde îQuel enseignement salutaire au Brésil !Nulles lois civiles;toutes les lois remplacées par la volonté d'unseul homme; nulles garanties pour l'existence commepour la fortune <strong>des</strong> citoyens; rien de fixe, rien derégulier dans les rouages comme dans la marche deces Constitutions éphémères, qui , avec <strong>des</strong> dehorsdémocratiques ,servent de masques aux plus effroyablesappétits. Telle était la situation <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> sousle capricieux <strong>des</strong>potisme de Francia; telle étaitcelle de


INTRODUCTION.XXIIlBuenos-Ayres sous la dictature plus intelligente maisnon moins personnelle <strong>du</strong> général Rosas : <strong>et</strong>, malgréles généreux efforts <strong>du</strong> président Urquiza pour m<strong>et</strong>trefin à d'interminables guerres intestines; malgré l'inaugurationd'une <strong>politique</strong> de tolérance <strong>et</strong> de liberté, combienles peuples Argentins doiventcomprendre qu'ilsn'étaient pas mûrs pour la forme de gouvernement issue<strong>des</strong> luttes héroïques de l'Indépendance! L'histoire dechaque jour, les faits plus éloquents que les paroles, lesaveux mêmes <strong>des</strong> écrivains qu'ils enfantent incessamment,vengent l'autoritéroyale <strong>des</strong> reproches injustessous lesquels ello a succombé (1).Est-ce à direque l'organisation coloniale imposée par lecabin<strong>et</strong> deMadrid fût exempte d'abus <strong>et</strong> même de vices? Loin denous une pareille pensée si contraire à l'évidence :nouscroyons seulement que la calomnie en c<strong>et</strong>te circonstanceest venue en aide à la vérité, pour faire tablerase, pour saper <strong>des</strong> institutions qu'il eût été plus opportun<strong>et</strong> plus sage d'améliorer que de détruire.Qu'on veuille bien s'en souvenir : je suis dans leNouveau Monde, <strong>et</strong> j'entends y rester. Je ne fais pas leprocès à <strong>des</strong> institutions dont ildoit être permis, aprèstout, de ne pas proclamer l'excellence,quand on a vu(1) D. J. SiRMiENTO, Civilisation <strong>et</strong> Barbarie, Paris, 1853; — Macà-RiNos Cervantes, Estudios hisloricos, politicos y sociales sobre el Riode laPlala, Paris, 1854. Voy. p. 340, à la note, uoe citation empruntéeau premier de ces auteurs.


XXIVINTRODUCTION.leur mise en œuvre, <strong>et</strong> ses tristes résultats. La presseeuropéenne s'est levée tout entière contre Tempressementsauvage qui porte les <strong>des</strong>potes américains à sedébarrasser d'un ennemi incommode, dangereux, ousimplement suspect; <strong>et</strong> Ton comprendra qu'un voyageurflétrisse ce mépris de la vie <strong>des</strong> hommes,qui tend à s'ériger par delà l'Océan en système gouvernemental.Mais ce voyageur ne vise pas plus haut :il laisse à d'autres le vœ victis , c<strong>et</strong>te commodemaxime dont la pratique, toujours sans danger, estbien rarement sans profit.Chemin faisant ,j'aurai l'occasion d'apprécierla con<strong>du</strong>ite <strong>politique</strong> de quelques hommes qui dirigentsouverainement encoreles affaires de leur pays.Tout en parlant avec liberté de leurs actes, j'espère nejamais m'éloigner <strong>du</strong> respect que je dois à leur caractère.C<strong>et</strong>te déclaration s'adresse particulièrement au présidentLopez, que j'ai eu l'honneur d'approcher, <strong>et</strong> dont lafamille n'a cessé de se montrer à mon égard pleined'affectueuses prévenances <strong>et</strong> d'attentions délicates.En terminant c<strong>et</strong>te Intro<strong>du</strong>ction, je dirai quelquesmots <strong>des</strong> moKfs qui ont r<strong>et</strong>ardé la publication de monlivre.Je l'avoue, le suj<strong>et</strong> que je me proposais de traiter,a grandi peu à peu dans <strong>des</strong> proportions, a nécessité<strong>des</strong> recherches que je n'avais pas prévuesen l'abordant. Puis, si les ouvrages édités sur les


INTRODUCTION.XXVMissions depuis le bannissement de leurs fondateurssont assez rares, les Jésuites en ont publié eux-mêmes unbon nombre avant c<strong>et</strong>te époque : <strong>et</strong>, quoique décidé àn'y prendre que ce qui me paraîtrait digne d'être lu, jeme suis résigné à tout lire, suivant le précepte de l'historienDuclos. C<strong>et</strong>te méthode m'a permis plus d'unefoisde m'abriter derrière <strong>des</strong> autorites moins contestablesque la mienne, <strong>et</strong> de m'effacer pour leur laisserla parole. J'ajouterai enfin — en laissant de côté leslenteurs de l'exécution matérielle qui ont bien leurimportance pour quiconque imprime en restant presqueconstamment éloigné de Paris— j'ajouterai que <strong>des</strong>fonctions publiques acceptées au moment où lasociétéavait besoin de tous ses défenseurs (juin 1849), <strong>et</strong>volontairement résignées quelques années plus tard,ont aussi contribué à c<strong>et</strong> ajournement. Je passe soussilence les motifs personnels <strong>et</strong> dès lors sans intérêt, dece renoncement momentané à la carrière administrative: simile ad un amante maltrattato dalla sua bella,lascio la politica ov ella sta, e parlo d'altro (1).Paris, 25 août 1859.Dans le courant de l'année 1844, je reçus <strong>du</strong> Dépar-(1) s. Pellico, Le mie Prigioni.


XXTI FEUILLES DÉTACHÉEStement de l'Instruction publique alors dirigé parun <strong>des</strong> maîtres illustres de la vieille Université (1),la mission de visiter certaines parties peu connuesde TAmérique. Mes instructions me prescrivaient depénétrer au <strong>Paraguay</strong> à travers les provinces méridionales<strong>du</strong> Brésil; d'étudier sous ses différents aspectsun pays jusqu'alors fermé aux investigations <strong>des</strong> voyageurs;de recueillir <strong>des</strong> renseignements sur sa situationéconomique <strong>et</strong> commerciale ; <strong>et</strong> d'explorer enfin audouble point de vue de l'archéologie <strong>et</strong> de l'histoire, lesRé<strong>du</strong>ctions guaranies fondées sur c<strong>et</strong>te terre mystérieuseque l'on a assez justement appelée <strong>du</strong> nom deChine américaine.Le ministre adjoignit à ma mission M. J. Treilhard(2j, <strong>et</strong> nous prîmes passage tous les deux à bord<strong>du</strong> vapeur de guerre «Fulton » commandé par M. Mazères,lieutenant de vaisseau (3). Le i décembre, le Fulton,après une longue série de r<strong>et</strong>ards, quittait enfinlarade de Brest, <strong>et</strong> tout aussitôt nous étions en proie,mon compagnon de voyage <strong>et</strong> moi, sans repos ni trêve,aux douloureuses étreintes de ce mal horrible <strong>et</strong> quipis est, ridicule, que l'on appelle le mal de mer î Touta été dit sur c<strong>et</strong>te souffrance humaine, à laquelle il ne(1) M. Villemain. A une époque où la mobilité <strong>des</strong> évéoeruents effacesi vite le souvenir <strong>des</strong> personnes, j'éprouve quelque satisfaction à rappelercelle circonstance déjà loin de nous.(2) P<strong>et</strong>it-fils <strong>du</strong> Directeur, cl fils <strong>du</strong> Préf<strong>et</strong> de police de ce nom.(3) Un Iroisièino passager se rendait eu même temps que nous en Amérique;c'était M. Durand de Marcuil chargé d'Affaires de France à Bucnos-Ayrcs. Recommandable par d'émincntcs qualités personnelles, ce jeunediplomate allait se trouver aux prises quelques mois plus tard avecd iu<strong>et</strong>tricablcscomplications.


d'un journal de voyage. XXVIIserait pas juste d'appliquer le précepte médical : sublatâcausa, tollitur effectus, car — ce que l'on ignoregénéralement — bon nombre <strong>des</strong>symptômes <strong>du</strong> malde mer, de ce malaise implacable, abrutissant, quir<strong>et</strong>ire à l'homme toute énergie, toute pudeur à lafemme, persistent encore plusieurs jours après le débarquement.Aussi,sans rappeler davantage ces cruelssouvenirs, nous débarquerons à Sainte-Croix-de-Ténériffeoù notre bateau j<strong>et</strong>a Tancre après treize jours d'unenavigation entravée par ce cortège de contre-temps quiassaillent quiconque s'aventure sur « l'onde amère , »pour parler le langage <strong>des</strong> poètes. Bien amère eneflf<strong>et</strong>îTous les marins relâchent à Ténériffe, <strong>et</strong> tous ontraconté l'impression pro<strong>du</strong>ite par la vue <strong>du</strong> pic gigantesquequi émerge <strong>du</strong> sein <strong>des</strong> flots à trente ou quarantelieues de distance. Pour nous, j'en fais l'aveu sansrougir, nous débarquâmes assez insensibles à l'aspectgrandiose <strong>et</strong> sévère que donnent à l'île les roches dénudéesde lave <strong>et</strong> de granit,mais fort en peine de trouverun hôtel pour nous refaire d'un jeûne rigoureux qui<strong>du</strong>rait depuis deux semaines.Bientôt installés dans lameiWcuvQ posada de la ville,les quelques jours dont notre commandant avait besoinpour embarquer son charbon,furent employés àparcourir le pays, <strong>et</strong> à prendre de nouvelles forces envue de la lutte que nous allions soutenir pendant unmois tout entier dans notre traversée océanique. Enfin,le 23 janvier nous découvrons le Nouveau Monde,nous doublons le cap Frio, <strong>et</strong> quelques heures après,


XXYIIIFEUIÎXES DÉTACnÉESle Fulton donne dans Tentrée de la baie magnifiquede Ganabara (1). Le soleil à peine <strong>des</strong>cen<strong>du</strong> au-<strong>des</strong>sousde l'horizon, la nuit s'est faite : assis à Tavant <strong>du</strong>navire, je cherche à découvrir à travers les ténèbres Taspectde la terre féconde que je dois explorer. Le lendemain,le soleiléclaira de ses rayons torri<strong>des</strong> les magnificencesd'une nier intérieure assez vaste pour contenirles flottes <strong>du</strong> monde entier, <strong>et</strong> fermée à l'horizon par unechaîne de montagnes dont les pitons affectent la formed'un buff<strong>et</strong> d'orgues garni de ses tubes inégaux <strong>et</strong> réguliers(2); à gauche, la figure <strong>du</strong> géant couché qui rappelleles nobles traits de Louis XYI ;le morne en pain <strong>des</strong>ucre derrière lequel dort abritée l'eau <strong>des</strong> lacs voisins<strong>du</strong> Jardin botanique; le Corcovado , l'une <strong>des</strong> plushautes montagnes <strong>du</strong> Brésil (3) puis, l'opulente cité;de Rio qui borde la plage dominée par la chapelle deISossa Senhora da Gloria, <strong>et</strong> les édifices imposants de sesmonastères. A droite la ville de Nitherohy, capitale dela province, étale ses maisons blanches aux vol<strong>et</strong>s verts, àlatoiture écarlate; devant nous, <strong>des</strong> îles sans nombre, d<strong>et</strong>outes les dimensions, couvertes d'une végétation luxuriante,cachent aux regards les échancrures profon<strong>des</strong> <strong>et</strong>les contours harmonieux de labaie; à nos côtés enfin,<strong>des</strong> pirogues creusées dans le tronc gigantesque d'unarbre centenaire, poussées parla brise qui enfle leurvoile latine, ou par lemouvement cadencé de la pagaie(1) Nom de la baie de Rio de Janeiro dans la langue <strong>des</strong> Indiens Tupisquivivaient sur ses bords lors de la découverLo.(2) Aussi est-elle appelée Serra dos Orgdos.(3) I>e Corcovado Jitlcr. bossu), a une élévation de 2,320 pieds.


d'un journal de voyage. XXIXque font mouvoir les bras vigoureux d'un nègre barioléde couleurs trancbantes,accostent pour offrira l'équipageles fruits inconnus, étranges, <strong>des</strong> contrées équinoxiales.Quel spectacle ! Quelles grandeurs inépuisables!La France était représentée à la Cour <strong>du</strong> Brésil parlecomte Eugène Ney, un caractère loyal, un esprit sérieuxqui s'était fait connaître comme écrivain avantd'embrasser la carrière où la mort l'arrêta court presqueau début. Les médecins avaient envoyé notre cbargéd'Affaires chercher un allégement à ses souffrances sousun ciel plus clément, au milieu <strong>des</strong> solitu<strong>des</strong> magiquesde la Serra <strong>des</strong> Orgues, <strong>et</strong> ce futlà que nous allâmeslui rem<strong>et</strong>tre lesl<strong>et</strong>tres ministérielles dont nous étionsporteurs. Lorsque M. Ney se décida enfin à écouter lesconseils de ses amis, lorsqu'il abandonna son poste pourrevenir auprès <strong>des</strong> siens, ilétait trop tard. L'air <strong>du</strong> paysnatal,celte suprême <strong>et</strong> dernière ressource, fut impuissantà le sauver, <strong>et</strong> ilsuccomba peu de mois après sonr<strong>et</strong>our en France.Notre hôte <strong>des</strong>cendit, quelques jours après nous, versles plages brûlantes de la ville où le rappelaient ses fonctions.Des événements d'origine <strong>et</strong> de nature différentes,venaient, en eff<strong>et</strong>, de signaler les premiers mois d'uneannée qui comptera au nombre <strong>des</strong> plus heureusespour le beau pays qui portait au xvi® siècle lenom deFrance antarctique {'\).(1) Sous le titre de France antarctique, André Thev<strong>et</strong>, cosmographe€l garde <strong>des</strong> Singularitez <strong>du</strong> Roy, a publié vers 1558, une <strong>des</strong>cription <strong>des</strong>merveilles <strong>du</strong> Brésil. A Thev<strong>et</strong>, dibous-le eu passant^ à Thev<strong>et</strong>, voyageur


XXX FEUILLES DÉTACHÉESUn héritier était né depuis plusieurs semaines à lamaison de Bragance, <strong>et</strong> quelques jours après la naissancede ce prince, les révoltés de la province de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud faisaient leur soumission entre les mains<strong>du</strong> général Caxias, commandant en chef de l'armée.Ainsi, d'un côté la base <strong>du</strong> trône s'élargissait ; de l'autre,l'empire américain longtemps menacé, un moment entamépar le fédéralisme, r<strong>et</strong>rouvait sa force <strong>et</strong> son intégritédans la soumission de suj<strong>et</strong>s rebelles, généreusementamnistiés par le souverain.Le baptême de l'enfant impérial avait été remis au25 mars, jour anniversaire de la prestation <strong>du</strong> sermentà la Constitution. L'impératrice avait besoin de ce sursis:elle n'est pas devenue mère sans douleurs; les conditionsde l'humanité sont immuables. Mais la Facultéde Paris compte d'habiles représentants au Brésil, <strong>et</strong>grâce au savoir, à la vieille expérience <strong>du</strong> docteurPeixoto, grâce aux soins assi<strong>du</strong>s de M. Sigaud, notre savantcompatriote, son médecin ordinaire, S. M. se ré^lablit promptement de la violente secousse qu'elle avaitéprouvée.Ici, j'ouvre mon Journal de voyage, <strong>et</strong> je lis :«Le palais de l'empereur, ancienne résidence <strong>des</strong> viceinfatigable,puisqu'il navigua <strong>et</strong> pércgrina, pour nous servir dcsesexprcssions,<strong>du</strong>rant trente-six ans, revient l'honneur insigne d'avoir, le premier,rapporté <strong>des</strong> plaines de l'Amérique une herbe eslrangca laquelle il donnal'épithète (ïangoulmoisine , en souvenir d'Angoulème sa >ille natale.C<strong>et</strong>te plante, c'était le P<strong>et</strong>un <strong>des</strong> Indiens, c'était le Tabac : herbe étrange,eu eff<strong>et</strong>, celle qui , réalisant les rêves <strong>des</strong> alchimistes <strong>et</strong> créant <strong>des</strong> pyrami<strong>des</strong>d'or avec un peu de poussière <strong>et</strong> de fumée, fait outrer annuellementcent cinquante millions dans les coffres de l'Élat !


d'un journal de voyage. XXXIrois, s'élève au centre d'une place fermée par la rade.C'est un édifice assez vaste, mais massif, sans style <strong>et</strong> sansgoût. Il fallut pour le transformer en demeure royaleà l'arrivée de D. Joâo VI, lui adjoindre une portion <strong>des</strong>bâtiments appartenant aux Carmes <strong>et</strong> au Sénat municipal.Aussi la distribution <strong>des</strong> appartements laiss<strong>et</strong>-ellebeaucoup à désirer. En revanche, la baie de Niiherobydéroule sous ses fenêtres ses admirables paysageséclairés par le soleil <strong>des</strong> Tropiques.« La chapelle impériale où les cérémonies de l'Églisese sont accomplies, est d'unearchitecture plus grandiose.Élevée à côté de l'église métropolitaine, elle occupe un<strong>des</strong> angles de la place, <strong>et</strong> Ton avait construit depuisle palais jusqu'à l'entrée principale, à quelques pieds <strong>du</strong>sol, une galerie découverte, une sorte de chaussée surlaquelle s'ouvrait un large escalier.« A l'heure dite, suivant un programme dont les Brésiliens,gens d'étiqu<strong>et</strong>te, observent fidèlement les rigoureusesprescriptions, le cortège se m<strong>et</strong> en marche. Ence moment, la place offre au regard un curieux spectacle: les troupes adossées aux maisons dont les fenêtreslivrent un étroit passage à <strong>des</strong> milliers de têtes,cernent une multitude qui réunit dans ses costumes lescouleurs les plus éclatantes. Sur les visages on r<strong>et</strong>rouv<strong>et</strong>outes les nuances <strong>du</strong> blanc, toutes les variétés<strong>du</strong> jaune, toutes les décroissances <strong>du</strong> noir. Çà <strong>et</strong> là, unélégant promène dans la foule sa toil<strong>et</strong>te de drap <strong>et</strong>de salin. Étrange courage sous un ciel de feu î J<strong>et</strong>roquerais si volontiers mon frac étroit <strong>et</strong> mon chapeauemplumé, contre ma jaqu<strong>et</strong>te de voyage <strong>et</strong> mon feutre


,XXXII FEUILLES DÉTACHÉESà larges bords! Une impatiente curiosité agite ces physionomiesd'expressions si diverses , dont l'excessivemobilité se fixe bientôt dans un sentiment commund'étonnement <strong>et</strong> d'admiration.«La musique<strong>des</strong> écuries impériales s'avance d'abord,à travers les ballebardiers qui font la haie dans toutel'éten<strong>du</strong>e de la galerie. Ces musiciens sont esclaves.Dom Pedro P*", compositeur distingué, développasans efforts leur intelligence musicale. Rarementdit- on, son bâton de chef d'orchestre déviait de ses attributionspour leur faire mieux sentir l'intervallequisépare le dièse <strong>du</strong> bémol. Leur riche livrée, habit develours cramoisi galonné d'or, culotte <strong>et</strong> bas de soieblancs, s'harmonise avec la teinte africaine de leurpeau. Ils jouent l'hymne national, œuvre de leur maître,de façon à faire honneur à sa réputation d'éminentartiste. Puis vient une légion d'employés <strong>du</strong> palais,depersonnages de tout rang, dont le dénombrement demanderaitplusieurs pages. Tous, grands <strong>et</strong> p<strong>et</strong>its [moresc menores), jeunes <strong>et</strong> vieux, sénateurs, conseillersd'État, chambellans, députés, membres <strong>des</strong> municipalités,<strong>et</strong>c., étalent un luxe étouffant de broderies.Quelques minutes s'écoulent encore pendant lesquelleson voit passer sur <strong>des</strong> plateaux d'argent lesobj<strong>et</strong>s nécessairesau baptême, l'eau, le sel... Enfin, le princeparaît sur les bras <strong>du</strong> grand chambellan {mordomomor)Suivi de près par l'empereur, <strong>et</strong> le défilé s'achève aubruit <strong>des</strong> hourrahs, <strong>des</strong> cloches <strong>et</strong> <strong>du</strong> canon.«La chapelle, entièrement ten<strong>du</strong>e de draperies rougesà crépines d'or, est éblouissante de lumières. Les daines


d'un journal de voyage. XXXIII<strong>et</strong> le corpsles largesdiplomatique en habit de gala, en occupenttribunes. La cérémonie commence aussitôt,<strong>et</strong> Tordre qui y préside est vraiment remarquable.Toutes les parties en ont été réglées d'avance, <strong>et</strong> sesuccèdent comme d'elles-mêmes <strong>et</strong> sans contusion. Leroi Louis Philippe, parrain, était représenté par le ministrede la justice, <strong>et</strong> la marraine, l'impératrice Amélie<strong>du</strong>chesse de Bragance, par le ministre de l'empire.A l'époque où Jean YI se réfugia dans sa colonie (lorsde l'entrée<strong>des</strong> armées françaises dans la Péninsule),Marcos Portugal fut appelé d'Italie pour diriger l'orchestrede la Capella real ; Neukomm, élève favorid'Haydn, y tenait Torgue. Aujourd'hui la troupe italienneprête le concours de ses chanteurs] à la maîtrise,<strong>et</strong> l'exécution <strong>des</strong> chants sacrés est irréprochable.« Après un TeDeum en actions de grâces, le cortègeest revenu au palais dans le même ordre, à la lueurd'une brillante illumination.Arrivé au haut de l'escalier,l'empereur a présenté son fils à la foule, <strong>et</strong> lesvivat ont éclaté de nouveau.« Ces hommages, ces acclamations chaleureuses,l'empereur s'efforce à les mériter. C'est un grand <strong>et</strong>beau jeune homme de dix-neut ans, dont la figureblonde porte un remarquable cach<strong>et</strong> de gravitéaffable<strong>et</strong> douce. Si comme souverain iln'a pas encore permisde juger sestendances <strong>politique</strong>s, comme homme, onrend justice à la variété <strong>et</strong> à l'éten<strong>du</strong>e de ses connaissances.Timide, mais d'une timidité qui disparaîtchaque jour sous l'exercice <strong>du</strong> pouvoir, il parle peu.Pendant la cérémonie , son recueillement était pro-


XXXIV FEUILLES DÉTACHÉESfond, son émotion visible; c'est que pour lui déjà lavie a été rude. Orphelin presque à sa naissance, il estseul aujourd'hui sur c<strong>et</strong>te terre <strong>du</strong> Brésil d'où il a vupartir un à un tous les siens. Comme lui,l'impératrice,sœur <strong>du</strong> roi de Naples, est à deux mille lieues de sesaffections de famille, les seules vraies, les seules soli<strong>des</strong>ce monde, <strong>et</strong> près <strong>du</strong> trône auquel la Providenceles a appelés si jeunes, pour un ami, combien d'indifférents!».Cependant, les spectacles de gala, les bals <strong>et</strong> lesfêtes donnés à bord <strong>des</strong> navires de guerre ancrés dansla rade, à l'occasion de la naissance <strong>du</strong> prince que lamort devait ravir Tannée suivante à l'espoir <strong>des</strong> Brésiliens,ne me faisaient pas perdre de vue la mission que j<strong>et</strong>enais de la conliance<strong>du</strong> Gouvernement; <strong>et</strong> <strong>des</strong> séancespresque journalières à la bibliothèque, de fréquentes visitesaux établissements scientifiques de la ville, me perm<strong>et</strong>taientde compléter les renseignements que je recevais<strong>des</strong> hommes les plus versés dans la connaissance<strong>du</strong> pays.Une première excursion dans la province de Rionous initia aux fatigues de la vie de voyage, <strong>et</strong> nouspermit de diriger nos observations vers les riches pro<strong>du</strong>ctionsde la zone torride. Confiées aux bras esclaves<strong>des</strong> Noirs , elles consistent presque exclusivement enplantations <strong>du</strong> précieux arbuste qui fournit le café :leur extension tient <strong>du</strong> prodige (1). La culture de la^1) L'exporlatiûu <strong>du</strong> cafc qui était de G8,5l3,Jt)2fr.pour l'aDuce 18iy-50,atleignail di'jà le cliilTro do lij,i71,000 fr. eu 18j4-û5. (Launee lînancièrecommence au Brésil au l*^' juill<strong>et</strong>,)


d'un journal de voyage. XXXVcanne à sucre ne quitte pas la plage brûlante <strong>et</strong> sableusede la baie. Parvenus sur les bords de la Parahybaqui sépare la province de Rio de celle de Espiritu-Santo,nous reprîmes la route de la capitale del'empire, par où il fallait passer pour gagner la provincede Saint-Paul où nous appelait l'étudede questions<strong>du</strong> plus baut intérêt.A Rio, j'éprouvai le vif regr<strong>et</strong> de me séparer deM. Treilhard, dont l'esprit <strong>et</strong> l'bumeur joyeuse avaientabrégé bien <strong>des</strong> fois les longues beures de notre isolement.Nommé attaché à la légation de France au Brésil,mon compagnon de voyage acquérait une position sédentaire(1 ). 11 me fallut partir seul, <strong>et</strong> je fis tristementles préparatifs de c<strong>et</strong>te expédition. 11 me restait fortheureusement un serviteur fidèle que j'avais emmené deFrance, <strong>et</strong> ses soins assi<strong>du</strong>s, ses talents multiples, sondévouement à toute épreuve, devaient m'être d'ungrand secours au milieu <strong>des</strong> solitu<strong>des</strong>américaines, oùla première règle est de compter sur ses seules ressources.Un bateau à vapeur me déposa à Santos, port principalde la province de Sâo-Paulo, après deux jours d'unenavigation enchanteresse à travers <strong>des</strong> îles ravissantesqui laissent bien loin derrière elles l'Archipel si vanté<strong>des</strong> poètes de la Grèce. Franchissant ensuite la Serrado Mar, qui longe la côte océanique en suivant ses capricieuxcontours, j'atteignis la vieille cité <strong>des</strong>Paulistes. J'y(1) Après avoir rempli avec distiuctiou plusieurs postes diplomatiqueseu Chine, eu Hollande <strong>et</strong> dans la I*Iata, M. Treilhard fait partie depuis uuau, co qualité de secrétaire, de la légatiou de Frauce aux États- Uuis.


XXXVI FEUILLES DÉTACHÉEStrouvai, comme partout, la même réception cordiale dela part <strong>des</strong> habitants ; de la part <strong>des</strong> autorités, le mêmeempressement à me venir en aide dans l'accomplissementde ma mission.De r<strong>et</strong>our à Rio le 24 septembre, j'y faisais à la bâtede nouveaux préparatifs de voyage, je renouvelais maprovision de passe-ports , de l<strong>et</strong>tres de crédit, de renseignementsde toute nature , <strong>et</strong> dès le 1 1 octobreje m'embarquais pour les provinces de Sainte -Catherine<strong>et</strong> de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud, résolu à tenter lavoie de terre pour me rendre au <strong>Paraguay</strong>, celle <strong>des</strong>rivières demeurant fermée par suite <strong>des</strong> événements<strong>politique</strong>s <strong>et</strong> militaires dont le Paranà allait devenirle théâtre glorieux pour notre marine alliée à celle <strong>des</strong>Anglais.Mais ici quelques explications sont indispensables;ilme faut reprendre les choses de plus haut.Pendant que M. de Mareuil faisait auprès <strong>du</strong> généralRosas de vaines tentatives pour l'amener à une modificationde sa <strong>politique</strong> traditionnelle vis-à-vis deMontevideo, le gouvernement français se décida, surles instances <strong>du</strong> Rrésil <strong>et</strong> de concert avec le cabin<strong>et</strong> britannique, à l'adoption d'une <strong>politique</strong> plus énergique, capable de vaincre <strong>des</strong> lenteurs comprom<strong>et</strong>tantestout à la fois pour notre dignité <strong>et</strong> la sécurité de nosnationaux. Le baron Deffaudis nommé commissaireextraordinaire arrivait dans la Plata à la fin <strong>du</strong> moisde mai à bord de la frégate « Erigone, » après une relâchede quelques jours dans la capitale <strong>du</strong> Rrésil. Lesefforts de M. Deffaudis, unis à ceux de M. Gore Ouse-


d'un journal de voyage. XXXVIIley, le ministre anglais, restèrent sans résultats, <strong>et</strong> lesdeux diplomates prirent enfin, après de vaines négociations<strong>et</strong> d'interminables pourparlers, le parti de recourirà la force, pour amener le gouverneur Rosas àcomposition (18 septembre).Le blocus de la ville, la saisie de l'escadre Argentine,furent le prélude d'une démonstration plus importante<strong>et</strong> plus décisive. Je veux parler de l'expéditionmilitaire <strong>et</strong> commerciale <strong>du</strong> Paranà , ouvert àcoups de canon par le beau fait d'armes d'Obligadoauquel le Fulton <strong>et</strong> son commandant prirentune partlarge <strong>et</strong> glorieuse (1). On le voit, toutes ces complicationsne me laissaient qu'une seule route , celle d<strong>et</strong>erre, beaucoup plus longue, très-fatigante , <strong>et</strong> assezpérilleuse : je résolus de la suivre.Dans le moment même où l'horizon s'assombrissaitsur les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata, D. Pedro II se décidaità visiter les provinces méridionales de l'empire,en compagnie de l'impératrice. Ce voyage, provoquépar la pacification de Rio-Grande, inspiré par une <strong>politique</strong>habile, devait perm<strong>et</strong>tre au monarque d'effaceren partie les traces de la guerre civile qui avait désolé,<strong>du</strong>rant neuf années, ce riche fleuron de sa couronne.Par une belle matinée de printemps (6 octobre), LL.MM. sortirent de la rade de Rio, à bord d'une frégateescortée de plusieurs bâtiments de la marine brésilienne,pour atterrir après une courte traversée àvl) 20 novembre 1845.


XXXVIIÏ FEUILLES DÉTACHÉESDesterro, chef-lieu de la merveilleuse province de Sainle-Catherine.J'y débarquai bientôt moi-même, car, à la demandede notre chargé d'Affaires (1), j'avais reçu<strong>du</strong> ministre de la marine mon passage sur un vapeurde guerre qui devait rallier l'escadre impériale. L'empereurtardait un peu, au gré de mon impatience, à continuerson voyage : enfin, le 9 novembre nous étionsen vue de Rio-Grande, où les plus enthousiastes démonstrationsattendaient le jeune souverain.Arrivé quelques jours plus tard à Porto-Alègre, <strong>et</strong>tout occupé de m'assurer les moyens de me rendre àl'Assomption, j'y étais instruit d'une nouvelle bienfaite pour m'ôter l'espoir d'y parvenir jamais. On racontaitque M. de Castelnau avait <strong>des</strong>cen<strong>du</strong> le rio<strong>Paraguay</strong> depuis ses sources jusqu'au fort d'Olympo (2),frontière nord de la république de Francia. De ce point,aux termes d'une consigne rigoureusement observée,le hardi voyageur avait demandé, mais inutilement, auprésident Lopez, pour lui <strong>et</strong> la Commission scientifiquequ'il dirigeait, l'autorisation de pénétrer dans l'intérieur<strong>du</strong> pays. Ce refus était d'assez mauvais augure (3).(1) C'était alors le chevalier de Saint-Georges, aujourd'hui ministreplénipoteuliaire à la même résidence, chez qui j'ai constamment rencontréun cordial accueil <strong>et</strong> la plus franche hospitalité. Quelques années pluslard, M. de Saint-Georges, envoyé au <strong>Paraguay</strong>, y négocia un traité decommerce : je reviendrai sur celte mission.(2) Voy. la position astronomique <strong>et</strong> l'histoire de la fondation de c<strong>et</strong>établissement militaire, p. 434.(3) M. de Castelnau en a fait connaître les motifs assez singuliers (£xpcdiiiondans les parties centrales de CAmcrique <strong>du</strong> Sud. Partie historique,Vavis. 1850, t. II, p. 43i).


d'un journal de voyage. XXXIXD'autre part, la traversée de la province de Rio-Granden'était rien moins que sûre, car dans tous les pays <strong>du</strong>inonde, la guerre civile laisse après elle <strong>des</strong> coupeursde bourses qui s'inquiètent aussi peu de la nationalitéque de l'opinion <strong>politique</strong> <strong>des</strong> voyageurs. En dépit dec<strong>et</strong> ensemble de circonstances peu rassurantes, je necédai pas au découragement. J'avais fait, fort à propos,dans les salons <strong>du</strong> président de la province, la connaissanced'un officier envoyé auprès de lui en qualité decommissaire spécial par le commandant en chef de l'arméedeCorrientes, <strong>et</strong> sur le point, sa mission accomplie,de r<strong>et</strong>ourner auprès de son général. L'officier Argentinconsentit de bonne grâce à m'accepter pour compagnonde voyage, afin de me faire profiter de son escorte (i).Avant de quitter Porto-Alègre , je pris congé del'empereur, <strong>et</strong> je reçus <strong>du</strong> ministre qui l'accompagnait<strong>des</strong> dépêches <strong>et</strong> <strong>des</strong> l<strong>et</strong>tres de recommandationpour le représentant <strong>du</strong> Brésil au <strong>Paraguay</strong>. On verratout à l'heure que ce fut à c<strong>et</strong>te circonstance que je<strong>du</strong>s d'y pouvoir pénétrer. Le prince daigna dansc<strong>et</strong>te audience ajouter aux marques nombreuses <strong>des</strong>on intérêt un conseil que j'eus le tort de ne pas suivre.Les informations que j'avais recueillies m'avaientfait prendre larésolution de me diriger d'abord vers laville de TUruguayana, située sur les rives <strong>du</strong> fleuvedont elle porte le nom, <strong>et</strong> où je me croyais assuré derencontrer M. Bonpland : c'était faire un assez long(1) Il avait uomLino Lagos, <strong>et</strong> on lui donnait généralement le titre decolonel ; ce qui, eu Amérique, ne tire pas à conséquence.


XL FEUILLES d/:TACHÉESdétour ; mais ce que j'avais appris <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, de laréserve <strong>et</strong> de l'extrême circonspection dont ilfallait s'yentourer dans les relations les plus ordinaires de la vie,me faisait vivement désirer de recevoir les conseilséclairés <strong>du</strong> savant compatriote qui avait eu leloisir dele bien connaître, <strong>du</strong>rant les longues heures de son emprisonnement.L'empereur, mieux informé, me conseillaitd'aller directement à San-Borja où devait s<strong>et</strong>rouver M. Bonpland, <strong>et</strong> par où, dans tous les cas, ilme fallaitpasser pour atteindre ma <strong>des</strong>tination. A Alegr<strong>et</strong>e,je reconnus l'inexactitude <strong>des</strong> renseignements quim'avaient guidé.Embarqués , le colonel <strong>et</strong> moi, sur un p<strong>et</strong>it bateau àvapeur, après avoir remonté lentement le cours <strong>du</strong>Jacuy, nous arrivions lei 3 janvier à Rio-Pardo, p<strong>et</strong>itevilleque <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> [cachoeira) ne perm<strong>et</strong>tent pas dedépasser. Notre escorte commandée par un officiernous y attendait; <strong>et</strong>, après avoir consacré quelques joursà l'achat <strong>des</strong> montures qui nous étaient nécessaires, àl'organisation de notre double équipage, le dimanche1 8 janvier nous nous m<strong>et</strong>tions en route , non sansavoir remercié de sa réception cordiale un brave Espagnol,ami de l'officier Argentin, qui nous avait hébergéspendant notre séjour.Au sortir de Rio-Pardo notre p<strong>et</strong>ite caravane présentaitle meilleur aspect. En tête marchait la troupe<strong>des</strong> chevaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> mules (1) qui devait fournir les(1) Nous eD avions en tout 25. Chaque cheval me coûtait 10 piastres oupalagons i,54 fr.^; <strong>et</strong> les mules une once ou quadruple (84 fr.) la pièce.Avant la guerre ces prix eussent été de moitié moins élevés. Occasionnel-


d'un journal de voyage. xlirelais, flanquée à droite <strong>et</strong> à gauche de trois soldats, sousla surveillance <strong>du</strong> lieutenant commandant Tescorte. Derrièreluivenaient deux mules chargées <strong>des</strong> bagages lesplus indispensables, de mes cartes, de mes instruments<strong>et</strong> de quelques livres. Un soldat correntino, <strong>et</strong> undomestique (peon) que j'avaisengagé, les con<strong>du</strong>isaienten laisse. Nous suivions à une portée de fusil, <strong>et</strong> j'admiraisla grâce parfaite avec laquelle le colonel montait unjoli cheval élégamment harnaché. Enfin, mon fidèleMaurice, armé comme nous, fermait la marche à quelquespas.J'épargnerai au lecteur les incidents de ce voyagede 1 25 lieues à travers une province fort appauvrie parla guerre civile.Nous couchions en plein air sur notreselle disposée dans ce but, <strong>et</strong> la liste <strong>des</strong> jours où jeme suis endormi sans souper, est assez longue pourque j'aie oublié les jours plus rares où nous pouvionsobtenir de l'hospitalité <strong>des</strong> habitants un rôti (asado)de viande séchée au soleil.En entrant à Alegr<strong>et</strong>e, le 29, nos montures seressentaient autant que nous, plus que nous, <strong>des</strong>longueurs de la route. Beaucoup manquaient à l'appel.Plusieurs avaient succombé à la fatigue; unede mes mules avait fui dès le départ, en emportantmes valises à grand'peine r<strong>et</strong>rouvées , <strong>et</strong> dans quelétat! Mon peon avait imité ma mule, en me volantun cheval <strong>et</strong> une once d'or que moins heureux c<strong>et</strong>telement je dirai que la monnaie de papier en circulation au Brésil n'apas cours dans laprincipales.province de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud, excepté dans les villes


XLIl FEUILLES DKTACHKESibis, je n'ai jamais revus. A Alegr<strong>et</strong>e ,j'acquis lacertitudeque M. Bonpland se trouvait dans l'ancienneMission de San-Borja, <strong>et</strong> ce fut là que je me dirigeai sansr<strong>et</strong>ard,après m'être séparé de M. Lino Lagos, aimablecompagnon dont je n'ai jamais eu de nouvelles.Je conserve précieusement le souvenir de mon entrevueavec le savant mo<strong>des</strong>te, avec le vieillard affectueuxdont je devais rester l'hôte pendant plusieurs mois,grâce aux événements <strong>politique</strong>s qui surgissaient incessammentdans les provinces voisines :je cède malgrémoi au plaisir de laraconter.Je n'avais pas jugé à propos d'accepter ces l<strong>et</strong>tres derecommandation banale qui vous sont offertes à chaqueinstant en Amérique,<strong>et</strong> l'accoutrement dans lequel jeme présentai, n'était pas, il faut l'avouer, de nature àm'en tenir lieu. Il était deux heures de l'après-midi,lorsque je mis pied à terredevant la demeure mo<strong>des</strong>teque mon guide avait eu beaucoup de peine à découvrirà l'extrémité <strong>du</strong> village de Sari-Eorja. Assaillidepuis le matin par un violent orage, une pluie tropicale,diluvienne, avait déformé mes habits. Mes longues<strong>et</strong> larges bottes détrempées par l'eau r<strong>et</strong>ombaienten spirales sur mes talons , où les r<strong>et</strong>enaientd'énormes éperons en fer ach<strong>et</strong>és dans la province deSaint-Paul. Un poncho en cotonnade anglaise rayée decouleurs tranchantes, assez semblable à ceux que portentles nègres, mais souillé d'une boue argileuse <strong>et</strong>rougcâtre, me couvrait les épaules; <strong>et</strong> le sabre obligé<strong>des</strong> Rio-Grandcnscs me battait aux jambes. Le désordrede c<strong>et</strong>te tenue m'inspirait bien quelque inquiétude,


d'un journal de voyage. xlhîcaria présence d'un domestique français aussi pauvrementvêtu que le maître n'était pas faite pour rassurerl'hôte que je m'étais choisi; <strong>et</strong> sans l'escorte queles autorités brésiliennes avaient mise à ma disposition,je courais grand risque de passer à <strong>des</strong> yeux moinsin<strong>du</strong>lgents, pour un voyageur con<strong>du</strong>it dans ces contréeslointaines par un mobile au moins étranger à la science.Quelques mots me suffirent pour donner une autreexpression aux regards scrutateurs <strong>et</strong> surpris deM. Bonpland, pour le m<strong>et</strong>tre au courant de mes proj<strong>et</strong>s,<strong>et</strong> lui faire connaître le but de ma visite. Le soir,j'étais installé dans sa maison, <strong>et</strong> nous étions devenusen quelques heures de vieux amis de vingt ans.Par suite <strong>des</strong> événements dont j'aiparlé plus haut,je ne pouvais penser à continuer mon voyage versl'Assomption. Le général Urquiza, alors au service deRosas avant de devenir son plus redoutable adversaire, avait envahi la province de Corrientes ; <strong>et</strong> legénéral Paz , notre allié , en butte à <strong>des</strong> manœuvresdéloyales, séparant sa cause de celle <strong>du</strong> gouverneurMadariaga , résignait le commandement de son armée,<strong>et</strong> se r<strong>et</strong>irait suivi de quelques officiers Argentinsau <strong>Paraguay</strong> qui lui offrit un asile. Ainsi qu'ilarrive partout, <strong>et</strong> mille fois plus encore dans un payscomplètement dénué de communications régulières,les rumeurs les plus alarmantes <strong>et</strong> les plus contradictoirescirculaient. La conséquence la plus positive —fort désespérante pour moi — de toutes ces nouvellesvraies ou fausses, c'est qu'il était impossible, au milieude ce gâchis <strong>politique</strong>, de c<strong>et</strong>te conflagration gé-


XLIV FEUILLES DÉTACHÉESnérale, de franchir la pelile dislance qui me séparaitencore <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> de courir le risque de tomberentre les mains <strong>des</strong> ennemis que la France venait devaincre à Obligado.Il fallait se résigner <strong>et</strong> attendre les événements. Jedonnai le change à mon impatience, en recueillantassidûment les souvenirs <strong>du</strong> naturaliste célèbre qui,après avoir été le collaborateur de Tillustre Humboldtdans un voyage scientifique resté jusqu'ici sans égal,<strong>du</strong>t à son seul mérite,promptement apprécié par l'impératriceJoséphine, les importantes fonctions d'intendant<strong>des</strong> domaines de la Malmaison <strong>et</strong> de ÎNavarre.Ces fonctions, il les conserva jusqu'à la chute de Tempire.Alors, tourmenté <strong>du</strong> désir de revoir l'Amérique,ils'embarque de nouveau, arrive à Buenos-Ayres, <strong>et</strong> entrepren<strong>du</strong>ne longue expédition qui devait le con<strong>du</strong>ire àtravers les Pampas, le Grand-Chaco <strong>et</strong> la Bolivie, aupied <strong>des</strong> An<strong>des</strong> qu'il voulait explorer une seconde fois.Mais parvenu dans les anciennes Missions <strong>des</strong> Jésuitessituées sur la rive gauche <strong>du</strong> Paranà, M. Bonplandfut attaqué à Timproviste , saisi <strong>et</strong> garrotté par lessoldats <strong>du</strong> docteur Francia, qui le r<strong>et</strong>int prisonnierpendant dix années , en dépit d'une royale intervention,<strong>et</strong> <strong>des</strong> démarches de M. de Chateaubriandalors ministre <strong>des</strong> aftaires étrangères. En vérité ,il faudrait interroger l'histoire peu connue de quelquevieux voyageur <strong>du</strong> xvi® siècle, pour trouver uneexistence plus aventureuse que celle-ci ; car, au tempsoù nous vivons, on rencontre parmi les savants peude ces <strong>des</strong>tinées bizarres <strong>et</strong> capricieuses où l'imprévu


d'un journal de voyage. xlvdomine , <strong>et</strong> auxquelles semble présider une fatalitéincompréhensible sans doute, mais dont il est difficilede méconnaître entièrement la puissance <strong>et</strong> leseff<strong>et</strong>s. Doué d'une mémoire peu commune, l'ancienintendant deJoséphine avait une conversation facile,enjouée, semée de traits anecdotiques , <strong>et</strong> fort attachante.Sa vigueur égalait sa mémoire, <strong>et</strong> malgréson grand âge, il était infatigable à cheval (1 ). Commeson illustre ami M. de Humboldt , il avait puisédans les An<strong>des</strong> c<strong>et</strong>te vitalité centenaire que n'usentni l'activité <strong>du</strong> corps , ni les travaux de l'esprit. Ilsemble que les voyageurs quiont exploré les hautesmontagnes voisines <strong>du</strong> ciel, soient comme les navigateurs<strong>des</strong> régions boréales. Lorsqu'on visite Greenwich,on s'incline avec surprise devant <strong>des</strong> siècles ambulantsqui ont passé leur jeunesse au milieu <strong>des</strong> glaceséternelles <strong>des</strong> pôles. La même longévité paraît réservéeaux voyageurs qui ont atteint les somm<strong>et</strong>s neigeux derillimani <strong>et</strong> <strong>du</strong> Chimborazo. Mais je m'éloigne deSan-Borja ; il faut y revenir.Je consacrais chaque jour les heures de la sieste à larédaction de mes notes, à l'étude <strong>des</strong> questions que(1) Né le 22 août 1773, M. Bonpland avait alors plus de 72 ans. Le nomde sa famille était Goujaud^ mais elle reçut à une époque déjà ancienne,on ignore pour quel motif, le surnom de Bonpland. A lalongue, le nomde Goujaud disparut <strong>et</strong> fit place au surnom. Les exemples de semblablessubstitutions sont loin d'être rares dans l'histoire privée <strong>des</strong> familles.On trouvera à la fin <strong>du</strong> second volume [Bibliographie), une yotice surla vie <strong>et</strong> les ouvrages de j1. Bonpland. Lue à l'Assemblée générale delaSociété de géographie le 22 avril 1853, <strong>et</strong> insérée au Bull<strong>et</strong>in (1V« série,t. V, p. 240-254\ c<strong>et</strong>te notice a été publiée par le }]oniteur universel<strong>du</strong> 26, <strong>et</strong> repro<strong>du</strong>ite par extraits dans VAmi de la maisoti [l. 1", p. 29S),<strong>et</strong> dans le Moniteur <strong>des</strong> hôpitaux <strong>des</strong> 22 <strong>et</strong> 24 mars 1859.


XLVI FEUILLES DÉTACHÉESmon hôte m'indiquait comme devant être l'obj<strong>et</strong> de mesrecherches. Sur ses instances pressantes, j'avais consentià me rem<strong>et</strong>tre au <strong>des</strong>sin, que <strong>des</strong> occupations pluspositives, mais non plus intéressantes, m'avaient faitabandonner. Je comprenais de quel prix devaient être unjour pour moi ces souvenirs incorrects, <strong>et</strong> sans me laisserdécourager par les imperfections <strong>du</strong> début,j'allaisparles plus chau<strong>des</strong> heures de la journée m'asseoir aumilieu <strong>des</strong> ruines de l'église : là, abrité par un pan demuraille lézardée, je m'appliquais patiemment à repro<strong>du</strong>ir<strong>et</strong>ous les détails archéologiques de ce monumentgrandiose (1), que l'on renversa quelques moisplus tard pour édifier à sa place une nouvelle construction.Bientôt jem'enhardis; <strong>des</strong> richesses sculpturalesmais inanimées de l'église jésuitique je passaiau paysage, <strong>et</strong> enfin aux hommes. Je fis le portraitde plusieurs Indiens, en commençant par les serviteursde M. Bonpland. Topfer dit quelque partdans ses Voyages en Zigzags, en parlant <strong>du</strong> talentcomme peintres <strong>des</strong> nobles Valaisans, « qu'ils sont ré<strong>du</strong>itsà se faire scrupuleux par gaucherie, <strong>et</strong> copistespar inexpérience : » je m'efforçais de mériter l'applicationde ce jugement d'un charmant esprit.Le matin,j'accompagnais M. Bonpland auprès <strong>des</strong>es mala<strong>des</strong>; le soir , nous nous promenions dans lesenvirons de la ville, en laissant toute liberté d'allureà nos chevaux. Parfois nous passions plusieurs joursde suite, campes au milieu <strong>des</strong> foréls vierges, afin de(i; Voy. V.il las.


d'un journal de voyage. xlviifaire tout à Taise de l'histoire naturelle. C<strong>et</strong>te vied'aventures plaisait fortau célèbre voyageur dont elleravivait les lointains souvenirs. Souvent aussi nousallions jusqu'au Paso de l'Uruguay, p<strong>et</strong>it hameauqu'habitait alors l'ancien gouverneur de CorrientesI). Pedro Ferré, exilé par la <strong>politique</strong> d'une provincequ'il avait longtemps <strong>et</strong> sagement administrée. M. Ferréavait pour commensaux trois Jésuites espagnols revenusdepuis peu de mois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong>je recueillaisde leur bouche de précieux renseignements.Cependant les complications <strong>politique</strong>s menaçaientde s'éterniser , <strong>et</strong> la route d'Itapua restait close.Pour m<strong>et</strong>tre le temps à profit, je résolus d'explorerles Missions orientales, réunies au Brésil depuis le commencement<strong>du</strong> siècle, en accomplissant tout d'abordc<strong>et</strong>te partie intéressante de mon itinéraire dont j'avaisrenvoyé l'exécution à mon r<strong>et</strong>our. Mes dispositionsfurent bientôt faites, <strong>et</strong> je partis pénétré <strong>des</strong> instructionsde M. Bonpiand, pour visiter une à un<strong>et</strong>outes les Ré<strong>du</strong>ctions de la rive gauche de l'Uruguay.Quelques-unes possédaient encore <strong>des</strong> ruinesremarquables de leur splendeur passée; l'emplacement<strong>des</strong> autres se révélait seulement par un amas confus depierres amoncelées, envahies <strong>et</strong> presque cachées parune végétation parasite. Pour habitants , çà <strong>et</strong> làquelques pauvres Indiens disséminés alentour dans <strong>des</strong>cabanes,ou réfugiés dans les bâtiments <strong>des</strong> collèges.Ceux-ci prenaient soin <strong>des</strong> églises,quand elles étaientencore debout. De tous côtés la misère, la solitude,l'abandon.On pouvait suivre à leurs traces profon<strong>des</strong>


XLVIII FEUILLES DÉTACHÉESles ravages de la guerre étrangère, causés par la doubleinvasion <strong>des</strong> hor<strong>des</strong> indiciplinées d'Artigas sousla con<strong>du</strong>ite de l'Indien Andres Tacuari (1816), par celle<strong>du</strong> général Rivera en 1 828 ;<strong>et</strong> les désastres plus récents,mais non moins déplorables de la guerre civile, apaiséedepuis quelques mois.Ce fut avec un vif sentiment de satisfaction que jerevins de ce long voyage de privations <strong>et</strong> de fatigues,m'asseoir de nouveau à la table frugale de l'ami deM. Humboldt. Je trouvai chez lui mes malles quej'avais dû, à mon grand regr<strong>et</strong>, confier à un convoi decharr<strong>et</strong>tes; <strong>et</strong> d'excellentes nouvelles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Je dois dire ici qu'en m'éloignant de San-Borja, j'avaislaissé entre les mains de M. Bonpland, dans la prévision<strong>du</strong> passage d'un courrier, deux l<strong>et</strong>tres, adressées,l'une au président Lopez, la seconde à M. PimentaBueno , ministre <strong>du</strong> Brésil à l'Assomption. Après uncourt résumé de mes aventures <strong>et</strong> de mes mécomptes,je priais M. Pimenta Bueno d'appuyer vivement mademande auprès <strong>du</strong> premier magistrat de la républiqueparaguayenne, <strong>et</strong> d'obtenir de lui la permission refuséequelques mois auparavant à M. deCastelnau.Les instances de l'habile diplomate avaient eu raison<strong>des</strong> hésitations présidentielles, <strong>et</strong> M. Pimenta Buenoen m'annonçant ladélivrance d'un passe-port qui allaitm'attendreà la frontière, ajoutait l'offrecourtoise de laplus franche hospitalité.Mes préparatifs promptement terminés sous lecoupde ces heureuses nouvelles, je pris enhn congé de l'excellenthomuie qui m'avait si cordialement accueilli;


d'un journal de voyage. XLIX<strong>et</strong> suivi de quelques soldats, je traversai lestement unpays sans ressources, peuplé de maraudeurs recrutésdans les rangs d'une armée ennemie.Le jour où j'entrai dans la Mission d'Itapua, aujourd'huiville de l'Incarnation, les r<strong>et</strong>ards, les fatigues <strong>et</strong> lesdangers, j'oubliai tout. Les ordres <strong>du</strong> président Lopezm'y avaient précédé, <strong>et</strong> ce ne fut pas sans un vif sentimentde satisfaction, que je reçus <strong>du</strong> commandant dela place le passe-port qui m'accordait les secours enhommes <strong>et</strong> en chevaux nécessaires pour me rendredans la capitale de la nouvelle <strong>et</strong> mystérieuse république.Ainsi s'abaissaient devant moi <strong>des</strong> barrièresque j'avais redouté silongtemps de trouver infranchissables.Mon voyage depuis Itapua jusqu'à l'Assomption nefut qu'une promenade un peu longue (i) , à traversun pays pourvu au plus haut degré <strong>des</strong> attraitstoujours sé<strong>du</strong>isants de l'inconnu. J'y trouvais unesécurité tout européenne, <strong>et</strong> mon passe-port énonçantque je voyageais « con auxilios (avec secours), »je n'avais à me préoccuper de rien. Le gîte, la table,les hommes <strong>et</strong> les chevaux, je rencontrais tout à point.Ces mots magiques avaient élevé mon voyage auxproportions d'un service obligatoire envers l'État :or,on verra ce qu'est VEtat (el Estado) dans ce singulierpays.C<strong>et</strong>te manière agréable de voyager n'est pas, il s'enfiiut, tout à iiût sans inconvénients pour les habitants(1) Euvirou cent lieues de France.


L FEUILLES DÉTACHÉESplacés dans les directions principales; surtout pourceux qui joignent à c<strong>et</strong>te situation l'avantage d'avoirune demeure mieux installée, <strong>et</strong> plus d'aisance queleurs voisins; car c'est sur eux, on le devine, quepèsent de préférence les charges de c<strong>et</strong>te corvée. Aussile gouvernement actuel, tout en conservant une institution<strong>du</strong> régime colonial précieuse pour les voyageursappelés à en profiter, réclame-t-il avec modération ceconcours entièrement gratuit de ses suj<strong>et</strong>s.En arrivant à l'Assomption ,je mis pied à terredevant la légation brésilienne , <strong>et</strong> ce fut en vain queje voulus me défendre d'y établir au moins pendantquelques jours mon domicile : il n'existait pas alorsdans tout le <strong>Paraguay</strong> une maison ayant un rapportmême éloigné avec la plus mo<strong>des</strong>te hôtellerie.M. Pimenta Bueno est Pauliste. 11 est né dans c<strong>et</strong>tebelle province qui a fourni au Brésil, à toutes les époquesde son histoire, un nombreux contingent d'hommesdistingués dans les l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> la <strong>politique</strong>. Ses étu<strong>des</strong> dedroit terminées, il entra dans la magistrature, <strong>et</strong> enfranchit rapidement les premiers degrés. Très-jeuneencore, il avait été pourvu d'un siège dans une coursuprême; mais séparé momentanément de ses fonctionsjudiciaires,M. Pimenta Bueno occupait depuis deuxans le poste de ministre près le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.M. Pimenta Bueno aimait la France. 11 connaissaitnotre littérature, <strong>et</strong> lisait la plupart <strong>des</strong> livres que nos bâtimentsemportent à Rio où ils sont aussitôt tra<strong>du</strong>ils.Comme tous les Brésiliens , il montrait une prédilec-


d'un journal de voyage. lilion marquée pour les ouvragesd'économie <strong>politique</strong>.Ses opinions en matière commerciale <strong>et</strong> de gouvernementse ressentaient de l'influence de ses lecturesfavorites, <strong>et</strong> je puis dire que le p<strong>et</strong>it nombre de mesureslibérales décrétées (sinon mises à exécution) parle président, lui ont été inspirées par l'habile ministrede l'empereur D. Pedro. Après ces détails, on comprendrade reste le cordial accueil que j'en reçus.Quelques heures après mon arrivée, mon hôte meprésenta au président D. Carlos Antonio Lopez, <strong>et</strong> S. E.m'adressa avec une dignité froide, médiocrement naturelle<strong>et</strong> polie, plusieurs questions sur l'obj<strong>et</strong> de monvoyage dans la république qu'il gouverne, on le sait,sans contrôle, <strong>et</strong> avec <strong>des</strong> formes passablement absolues.En faisant l'histoire de son administration, jereviendrai sur les tendances de c<strong>et</strong> homme d'État queje regr<strong>et</strong>te de voir conserver vis-à-vis <strong>des</strong> étrangers <strong>des</strong>procédés de nature à justifier l'épithète de « unscrupulousdiplomatist » que lui décerne un voyageurmoderne (i). L'impartialité nous impose le devoir dele dire, les mesures arbitraires,odieuses, que le Dictateuravait élevées à la hauteur d'un système <strong>politique</strong>,ily a quelque vingt ans, ne sont plus de mise pour ungouvernement appelé à compter avec lespuissances del'Europe; <strong>et</strong> nous qui faisons <strong>des</strong> vœux pour la prospérité<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, nous voudrions voir sonchef omnipotentplus convaincu de c<strong>et</strong>te incontestable vérité.Je rencontrai fort heureusement dans la femme <strong>et</strong>il) Thomas J. Page, La Plala, the argentine Confédération and <strong>Paraguay</strong>,p. 117.


LU FEUILLES DÉTACHÉESles filles (lu président Lopez, <strong>des</strong> manières simples <strong>et</strong>sans prétentions, qui ne rappelaient en rien l'exercice<strong>des</strong> hautes prérogatives concentrées dans les mains <strong>du</strong>chef de la famille. Je fus par elles initié aux mœursd'une société toute nouvelle pour moi, <strong>et</strong> aux habitu<strong>des</strong>d'un monde primitif dont la civilisation n'avaitpas encore poli les défauts, ou, si l'on veut, pervertiles qualités qu'il a reçues de la nature.Le personnel de la légation impériale (1) ne comprenaitpas tous les étrangers en ce moment de passageà l'Assomption. M. Leverger, officier de marine, d'originefrançaise, y était arrivé quelques jours avant moiavec deux canonnières amenées de Cuvabà, chef-lieu dela province de Mato-Grosso (2). Né à Saint- Malo,M. Leverger était entré de bonne heure au service <strong>du</strong>Brésil, car il commandait une bombarde en 1827, lorsde la guerre avec la Confédération Argentine. Envoyéquelques années plus tard à Cuyobà, comme commandantde la marine, notre compatriote s'y était marié.Après avoir exploré à plusieurs reprises le Rio-<strong>Paraguay</strong>jusqu'au fort d'Oiympo, M. Leverger s'y présentade nouveau au mois d'avril 1842, en qualité deconsul général <strong>et</strong> de chargé d'Affaires par intérim. Maisl'entrée <strong>du</strong> pays lui fut refusée, <strong>et</strong> il ne put obtenir deil) Los fonctions de secrétaire étaient remplies par M. Ga<strong>et</strong>ano Manoelde Faria e Albuquerque, beau -frère da ministre, lequel avait eu outre uusecrétaire particulier (escrivdo).(2) J'ai douué quelques détails sur ces deux embarcations (Chap. XII,Hydrographie. Navigation fluviale, p. 135). L'une se nommait Vinlt; t1res de Fevereiro, l'autre Dczoito de Julho, dates mémorables dans l'histoire<strong>du</strong> BrésiL Chacune d elles, armée d'un canon de 6 <strong>et</strong> d'un pierricr kTavant, avait à bord 21 hommes d'équipage.


d'un journal de voyage. luise rendre à rAssomption pour remplir le mandat qu'ilavait reçu <strong>du</strong> ministre <strong>des</strong> Affaires étrangères.L'année suivante, une nouvelle tentative de sa parteut plus de succès : le 28 novembre 1843, l'officier demarine parvint en canot jusqu'à la capitale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, à l'aide d'une l<strong>et</strong>tre adressée par le présidentde la province de Mato-Grosso au gouvernement de larépublique. Il y avait cependant <strong>des</strong> ordres positifsde ne laisser passer les porteurs de communicationsordinaires que jusqu'à la Villa de San Salvador; lesdépêcbes diplomatiques faisant seules exception àc<strong>et</strong>te consigne sévère, qui fort heureusement pourM. Leverger fut mal interprétée par le commandantd'Olympo. Le président Lopez, alors premier consul, lereçut bien, <strong>et</strong> lecongédia le 5 décembre, au bout d'unesemaine, repos à peine suffisant pour dissiper les fatiguesd'un voyage en pirogue, dont la <strong>du</strong>rée totale,aller <strong>et</strong> r<strong>et</strong>our, devait être de quatre-vingt-cinqjours.Ces reconnaissances successives <strong>du</strong> fleuve ont permisà M. Leverger de compléter les itinéraires de Pasos<strong>et</strong> de Quiroga; <strong>et</strong> l'hydrographie encore si imparfaitementconnue <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, lui devra d'intéressantesobservations. D'après une l<strong>et</strong>tre que m'a écrite mon regr<strong>et</strong>tableami le docteur Sigaud, médecin de l'empereur<strong>du</strong> Brésil, quelques mois avant sa mort, les travauxde l'officier français , enfouis dans les cartonsde VArchivo mililar , seraient encore inédits. C<strong>et</strong>tecirconstance m'a déterminé à publier les notes qu'ila bien voulu me communiquer dans <strong>des</strong> entr<strong>et</strong>iens pré-


LIV FEUILLES DÉTACHÉEScieux pour moi , <strong>et</strong> au milieu d'intarissables conversations(1).C'était quelque chose d'être arrivé au <strong>Paraguay</strong> aprèsune pareille somme de contre-temps <strong>et</strong> d'ennuis;celane suffisait pas. 11 fallait encore pouvoir y rester, <strong>et</strong>obtenir la permission d'en explorer l'intérieur. Déjàune semaine s'était écoulée au milieu d'alternativesd'espérances <strong>et</strong> de craintes, lorsqu'une circonstance providentiellevint aplanir tous les obstacles, <strong>et</strong> abaissercomme par enchantement les barrièresdans lesquellesje me sentais enfermé.Le plus jeune <strong>des</strong> fils <strong>du</strong> président Lopez fut atteintd'une maladie grave, <strong>et</strong> l'on s'aperçut aussitôt que les remè<strong>des</strong><strong>des</strong> médecins <strong>du</strong> pays (curanderos) ne suffiraientpasàleguérir. Dans ces circonstances pressantes, M. Pimentame pria de voir le p<strong>et</strong>it malade, <strong>et</strong> j'yconsentisvolontiers. Nous nous disions tous les deux que, sa guérisonobtenue, ma mission ne rencontrerait plus d'obstacles,<strong>et</strong> que la Chine américaine n'aurait plus de mystèrespour moi. Mais il y avait aussi à c<strong>et</strong>te médaille un revers;<strong>et</strong> je ne me dissimulais pas que l'insuccèsdevaitme valoir un ordre de départ. Très- désireux , on lecroira sans peine, de m<strong>et</strong>tre ma responsabilité à couvert,j'expliquai au président Lopez la gravité de laposition de son fils,opération délicate,<strong>et</strong> je lui démontrai l'urgence d'unemais en définitive peu douleureuse,sans laquelle ilétait impossible de s'opposer à une ter-Ci) J'ai appris depuis mon r<strong>et</strong>our en France la nomiDation de M. AugusteLevcrger aux fonctions de président de la province de Malo-Grosso ;récompense bien légitimement <strong>du</strong>e à ses méritcâ.


d'un journal de voyage. i,vminaison fatale. Le père comprit, <strong>et</strong> me donna sansliésiter une autorisation aussi large que je la pouvaisdésirer : la mère fut moins confiante, <strong>et</strong> il mefallut perdre en explications vingt fois répétées, eninstances toujours vaines, <strong>des</strong> liAires précieuses dontchacune aggravait la position <strong>du</strong> malade, <strong>et</strong> rendait<strong>du</strong> même coup la tâche <strong>du</strong> malheureux docteur de plusen plus difficile. Enfin, le lendemain — le lendemainseulement— le président vint de sa personne renouvelerl'assentiment qu'il m'avait donné, <strong>et</strong> sans perdre d<strong>et</strong>emps je pratiquai sous ses yeux une opération quiréussit au delà de toutes mes prévisions. J'aurai toujoursprésent au souvenir le moment de satisfactionindicible que j'éprouvai en voyant le p<strong>et</strong>it malade horsde danger; <strong>et</strong> sa mère, je me plais à le reconnaître,s'est souvenu plus que moi <strong>du</strong> service que j'avais étéassez heureux pour lui rendre.Maintenant j'abrège,car le reste se devine. Je n'acceptaicomme témoignage de la reconnaissance de lapuissante famille qu'une chose , un passe-port conauxilios qui me donnait liberté pleine <strong>et</strong> entière de parcouriren tout sens le territoire <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> : je me mispromptement en mesure d'en profiter.Après plusieurs voyages dans les environs de la Capitale,<strong>et</strong> <strong>des</strong> excursions dans le Grand-Chaco, je prisenfin la route de Villa-Rica, seconde ville de la république,d'où je passai dans les Missions. Je ne tardaipas à m'apercevoir, aux prévenances nombreuses <strong>des</strong>habitants, à l'entière soumission <strong>des</strong> magistrats àmes moindres désirs, que ma réputation d'ami de


LVI FEUILLES DÉTACni^XS« S. E. le Suprême Gouvernement » m'avait précédépartout sur mon passage.Je m'attachai à recueillir <strong>des</strong> renseignements surtoutes les questions que je jugeais de nature à intéfiresser l'in<strong>du</strong>strie delFrance, <strong>et</strong> de son commerce avecjlune contrée dont les richesses naturelles sont encoreinconnues, grâce à son isolement systématique (1).Les pro<strong>du</strong>its agricoles, la culture <strong>du</strong> tabac, la récolte<strong>et</strong> la préparation <strong>du</strong> Maté, l'exploitation <strong>des</strong> bois d'ébénisterie<strong>et</strong> de constructions civiles <strong>et</strong> navales, firentsuccessivement l'obj<strong>et</strong> de mes recherches. Grâce encoreà ce désir de m'être agréable ou utile dont je parlaistout à l'heure,mes collections d'histoire naturelles'accroissaient dans de rapi<strong>des</strong> <strong>et</strong> satisfaisantes proportions.En franchissant le rio Tebiquary, j'entrai dans l<strong>et</strong>erritoire <strong>des</strong> Missions; <strong>et</strong> parvenu une seconde foissur les bords <strong>du</strong> majestueux Paranà, de ce fleuve« sansrivages , » je visitai successivement toutes les bourga<strong>des</strong>indiennes, dont l'état, sans être prospère, montraitassez ce qu'elles avaient dû être entre les mainsde leurs fondateurs. J'admirai l'église grandiose <strong>et</strong>richementornée de Santa-Rosa, <strong>et</strong> je contemplaitristementles assises granitiques de celle de Jésus, que lesMissionnaires n'eurent pas l<strong>et</strong>emps d'achever. Au villagedel Carmen (2), j'étaisréveillé chaque matin par(1) Voy. De VAvenir <strong>des</strong> relations commerciales entre la France <strong>et</strong>le <strong>Paraguay</strong>, daus le Journal <strong>des</strong> Économistes, uovembre 1853 <strong>et</strong>décembre 1855.(2) Lorsque la Missiou d'Ilapua fut érigée par le gouvernemeul cousu-


d'un journal de voyage. lviiune troupe de musiciens dont les accords se mêlaientà la voix de jeunes enfants qui chantaient l'hymne national<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les Indiens ont le génie de lamusique, <strong>et</strong> tout entier à la douceur de leurs mélodies,je m'efforçais d'oublier le sens <strong>des</strong> paroles qui glorifiaienten termes bien inintelligibles pour eux, l'indépendance<strong>et</strong> la liberté d'un pays courbé sous le jougd'un gouvernement absolu.Nulle part je ne trouvai de vestiges de l'in<strong>du</strong>strie métallurgique;<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te constatation avait son importance.Personne, en eff<strong>et</strong>, ne l'ignore : on a de tout tempssoupçonné les Jésuites d'avoir entassé d'immensesrichesses dans leurs collèges,grâce à l'exploitation secrète<strong>des</strong> filons d'or <strong>et</strong> d'argent qu'ils avaient, disait-on*découverts. De nos jours, on paraît revenu à une appréciationplus équitable <strong>et</strong> plus rationnelle <strong>des</strong> sourcesde la prospérité <strong>des</strong> Missions entre les mains dela Compagnie. On a cessé de chercher la cause de c<strong>et</strong>teprospérité là où elle n'était pas, c'est-à-dire dansl'in<strong>du</strong>strieminière, qui, en dernière analyse, n'a pro<strong>du</strong>itsur aucun point <strong>du</strong> globe de résultats féconds <strong>et</strong><strong>du</strong>rables (1); pour la voir là où elle était, c'est-à-diredans une culture merveilleusement appropriée à la nature<strong>du</strong> sol, au climat de ces riches contrées; <strong>et</strong> danslaire en Villa de la Encarnacion, les Indiens furent transportés au villagedel Carmen que l'on fonda tout exprès à peu de distance <strong>du</strong> rio Taquary.(1) C<strong>et</strong>te assertion ne saurait être infirmée par ce que nous voyons denos jours ; <strong>et</strong> si la Californie <strong>et</strong> les placers australiens ont pris en peud'années un prodigieux accroissement, c'est à cause <strong>des</strong> flots compactesd'une population affamée , accourue de tous les coins <strong>du</strong> globe à ce crimagique : de l'or !d


LTIIIFEUILLES DÉTACHÉESles pro<strong>du</strong>its <strong>du</strong> travail d'ouvriers habiles <strong>et</strong> docilesaux conseils d'une intelligente direction. Nulle parten revanche, je n'eus le spectacle déplorable de cesfouilles entreprises par les rares habitants <strong>des</strong> Missionsbrésiliennes, qui bouleversent le sol <strong>des</strong> édificeséchappés aux ravages <strong>du</strong> temps , à l'action<strong>des</strong>tructive <strong>des</strong> phénomènes atmosphériques , dansl'espoir de découvrir les trésors que la tradition accuseles Jésuites d'y avoir enfouis. La tour de Saint-Michels'écroulera quelque jour, sapée par la pioche de ceschercheurs avi<strong>des</strong> qu'aucune considération n'arrête (1).Pendant mon exploration <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, la questionde la Plata n'avait pas avancé d'un pas, <strong>et</strong> laguerre civile continuait plus ardente sur les bords <strong>du</strong>grand fleuve dont la mort de Solis semble avoir marquéfatalement la découverte. L'énergie <strong>des</strong> agents de l'Interventionrestait impuissante en face de l'obstination<strong>du</strong> général Rosas, qui savait le cabin<strong>et</strong> français peudisposé à entrer en lutte sérieuse avec lui. Aussi, lorsqueaprès un séjour de plusieurs mois à l'Assomption, <strong>et</strong> unnouveau voyage à Yilla-Rica, je voulus enfin songerau r<strong>et</strong>our , il me fallut renoncer à la voie rapide <strong>du</strong>Paranà dont la navigation demeurait fermée par lesordres <strong>du</strong> gouverneur de Buenos-Ayres, pour suivrela route longue <strong>et</strong> pénible que j'avais déjà parcourue.Mais l'amertume de ce contre-temps ajouté à tant d'autres,fut c<strong>et</strong>te fois singulièrement adoucie par lasociété d'un com}>agnon de voyage, M. Pimenla Bueno,[\) Voy r U/a\s.


d'un journal de voyage. lixqui revenait au Brésil où ratteiidait la récompensede ses loyaux services (1); <strong>et</strong> par la certitude de r<strong>et</strong>rouverà San-Borja M. Bonpiand, <strong>et</strong> d'y reprendrependant quelques jours <strong>des</strong>conversations instructives.Vint l'heure triste <strong>des</strong> adieux; <strong>et</strong> le 4 avril 1847, jepris enfin congé <strong>du</strong> bon vieillard auquel j'avais vouéle plus sincère attachement. Notre séparation devaitêtre éternelle; je n'ai plus revu M. Bonpiand, qui,après avoir résisté à mes pressantes sollicitations, m'écrivaitencore quelques mois avant sa mort, une l<strong>et</strong>treaffectueuse dans laquelle je lis ce passage :« Le vif désir de r<strong>et</strong>ourner en France est bien profondémentgravé dans mon cœur, <strong>et</strong>les divers travauxdont je viens de vous entr<strong>et</strong>enir étant en bonne voie,rien ne m'arrêtera plus ici, <strong>et</strong> j'irai revoir la Malmaison.Mais ce voyage sera de courte <strong>du</strong>rée; j'offrirai augouvernement mes collections botaniques <strong>et</strong> minéralogiquespour les déposer au Muséum, <strong>et</strong> je reviendraiau milieu de mes plantations de l'Uruguay. »M. Bonpiand avait alors 84 ans! Son espoir (je devraisdire ses illusions), ne s'est pas réalisé. Il est mortsansavoir revu la France, <strong>et</strong> oublié de la France qu'ilremplissait, ily a un demi-siècle, de l'éclat de ses travaux(2).(1) Nommé président de la province de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud, il a faitpartie depuis c<strong>et</strong>te époque, de deu's cabin<strong>et</strong>s, en qualité de ministre de lajustice.v2) Après une existence <strong>des</strong> plus aventureuses <strong>et</strong> qui rappelle celle <strong>des</strong>vieux voyageurs, le vieil ami de M. Humboldl, sorti <strong>des</strong> mains <strong>du</strong> Dictateuraprès dix années de captivité, s'est éteint doucement dans sa ferme


,^LX FEUILLES DÉTACHÉESJ'arrivai à Rio-Grande après un long voyage <strong>et</strong>de ru<strong>des</strong> fatigues , <strong>et</strong> je m'y embarquai le 30 maisur une goél<strong>et</strong>te sarde ,pour Montevideo où je medirigeais dans Tespérance de pouvoir profiter <strong>du</strong>r<strong>et</strong>our d'un bâtiment de la station. Nos démêlés avecle gouvernement Argentin paraissaient , disait-onde Santa-Ana, près de l'Uruguay, le 12 mai 1858. Vit-ou jamais <strong>des</strong>tinéeplus bizarre <strong>et</strong> plus capricieuseDès que la nouvelle de sa mort parvint à M. Lefebvre de Bécourt, notreministre près la Confération Argentine, il prit immédiatement <strong>des</strong> mesurespour conserver aux sciences les manuscrits <strong>et</strong> les collections de M. Bonpland.Mais déjà Therbier <strong>et</strong> les échantillons minéralogiques avaient étédonnés au musée organisé sous sa direction, à Corrientes. Il avait confiéses manuscrits aux soins d'une fao^ille de la même ville. M. de Brosi>ard,notre consul à l'Assomption, s'y rendit; un inventaire fut dressé,envoyé au ministère <strong>des</strong> Affaires étrangères, <strong>et</strong> communiqué au Muséumpar l'intermédiaire <strong>du</strong> département de l'Instruction publique. Le gouverneurde la province de Corrientes, proposait d'échanger les collectionsd'histoire naturelle contre <strong>des</strong> livres <strong>des</strong>tinés à la bibliothèque de la ville,<strong>et</strong> <strong>des</strong> instruments de <strong>physique</strong> : c<strong>et</strong>te offre a été acceptée, <strong>et</strong> <strong>des</strong> négociationsse poursuivent sur ces bases. Cependant, deux caisses renfermantune partie <strong>des</strong> travaux <strong>du</strong> célèbre botaniste recueillis par M. de Brossard,sont parvenues aux Affaires étrangères par les soins de l'administration dela Marine ; mais opposition est faite à leur délivrance au nom <strong>des</strong> héritiersde M. Bonpland, qui manifestent l'intention de faire valoir leurs droits àc<strong>et</strong>te partie de son patrimoine.L'affaire en est là : en attendant qu'elle reçoive une solution, je vais direce que Ton trouvera dans ce recueil, car j'ai eu le loisir de le bien connaître.On y trouvera <strong>des</strong> notes nombreuses <strong>et</strong> très-diverses sur les contréesde l'Amérique qu'il a parcourues ; <strong>des</strong> recherches sur la constitutiongéologique <strong>des</strong> provinces de Corrientes <strong>et</strong> de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud; <strong>des</strong><strong>des</strong>criptions botaniques en grand nombre ; <strong>des</strong> observations sur la préparation<strong>du</strong> Maté <strong>et</strong> la culture <strong>du</strong> Tabac, que j'ai citées dans la premièrelivraison de mes Étu<strong>des</strong> économiques surl'Amérique méridionale; <strong>des</strong>recherches sur les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions dont je parlerai plusloin; un Mcmcire sur le Maiz del agua, adressée M. de Mirbel, enmars 1838 (voy. p. 162), <strong>et</strong>c.; mais il ne s'y rencontrera aucun ouvrage delongue haleine, soit achevé, soit en cours d'exécution.M. Donpland ne quittait San-l>orja que pour faire <strong>des</strong> voyages dans lesprovinces Argcnfiiies. C'est dans ce coin ignore <strong>du</strong> globe qu'il a reçu, il y


d'un journal de voyage. lxis'acheminer vers une solution pacifique. Après l'insuccès(le la mission de M. Hood , chargé simultanément<strong>des</strong> pouvoirs <strong>des</strong> deux gran<strong>des</strong> puissances,M. Deffau dis avait été rappelé, <strong>et</strong> remplacé parle comteWalewski que je r<strong>et</strong>rouvai bientôt à Buenos-Ayres, oùsa présence, en suspendant les hostilités, me permit deme rendre. On connaît l'issue de c<strong>et</strong>te nouvelle tentativede conciliation, qui échoua comme les précédentesdevant les exorbitantes prétentions <strong>du</strong> «grand américain(i).» Alors, M. Walewski r<strong>et</strong>ourna à Montevideo,<strong>et</strong> séparant désormais son action de celle de son collèguelord Howden, ministre de S. M. B., il maintint leblocus de Buenos-Ayres, <strong>et</strong> se décida à revenir enFrance sur le navire qui l'avait amené dans la Plata. IIétait impossible de rencontrer une occasion meilleure,plus agréable sous tous les rapports, de faire une aussilongue traversée;mais je n'avais pas encore épuisé lasérie interminable de mes mésaventures, <strong>et</strong> je ne devaisrevoir la patrie qu'après avoir connu les cruelles angoissesd'un naufrage auquel j'échappai par miracle.Dès que M. de Chabannes-Curton, commandant <strong>du</strong>a peu d'années, une preuve non équivoque de la haute estime <strong>du</strong> gouvernementpour les services qu'il n'a cessé de rendre aux sciences naturelles,Le correspondant de l'Institut <strong>et</strong> <strong>du</strong> Muséum, auquel l'empereur, dès lecommencement <strong>du</strong> siècle, assurait une existence honorable en lui accordantune pension, n'avait pas la croix delà Légion d'honneur. Informé dec<strong>et</strong>te circonstance au mois de janvier 1849, M. de Falloux, ministre derinstructionpublique, proposa au chef de l'État la réparation de c<strong>et</strong> injusteoubli. Ou devine l'émotion que fit naître chez M. Boupland ce souvenirglorieux <strong>du</strong> pajs.(1) Surnom décerne au gênerai Roaas par les partisans de son exclusivisme<strong>politique</strong>.


LXII FEUILLES DÉTACHÉES«Cassini (1),» eut consenti de lameilleure grâce <strong>du</strong>monde à me recevoir à son bord, je me décidai à prendreles devants, <strong>et</strong> à aller l'attendre à Rio-de-Janeiro,où m'appelaient <strong>des</strong> affaires d'intérêt, <strong>des</strong> renseignementsà compléter, <strong>et</strong> le désir de revoir encore les amisque j'y avais laissés.Le 22 juill<strong>et</strong> était le jour <strong>du</strong> départ <strong>du</strong> pack<strong>et</strong> anglaispour la capitale <strong>du</strong> Brésil. Depuis la veille, uneviolente tempête de S. 0. (pampero) soulevait <strong>des</strong> vaguesénormes, <strong>et</strong>aucun <strong>des</strong> nombreux navires ancrésdans la rade n'osait m<strong>et</strong>tre d'embarcation à la mer.L'heure pressait, <strong>et</strong> le désir de partir me poussa à comm<strong>et</strong>treune imprudence qui me devint promptement fatale.Je frétaiune barque de pêcheur montée par troishommes que l'appât <strong>du</strong> gain décida à risquer leur viedans c<strong>et</strong>te périlleuse entreprise, <strong>et</strong> je m'y embarquaiavec mon domestique. Nous courions <strong>des</strong> bordéesdebout à la lame, avec une p<strong>et</strong>ite voile basse que levent déchirait, <strong>et</strong> les vagues écumeuses roulantsur labarque, menaçaient à chaque instant de l'engloutir.On était en hiver; l'eau <strong>et</strong> le froid nous glaçaient.Au lieu d'avancer vers le navire en partance, nous dérivions,<strong>et</strong> je voyais approcher le moment où nous devionsêtre j<strong>et</strong>és à la côte. C<strong>et</strong>te prévision <strong>du</strong>ra peu ; un chocterrible dissipa mon incertitude, en me faisant voirl'horreur de notre situation. Notre frêle esquif, soulevépar la lame, était r<strong>et</strong>ombé sur l'extrémité <strong>du</strong>(1) Aujourd'hui contre-amiral (M chef de la blation navale <strong>du</strong> Bril <strong>et</strong> dela riata.


D UN JOURNAL DE VOYAGE. LXIIIgrand mât d'un brick naufragé; une large voie d'eaus'était ouverte, <strong>et</strong>malgré tous nos efforts pour Tétancher,nous coulions. J'abrège ces angoisses dont jeconserve l'impérissable <strong>et</strong> douloureux souvenir. Onavait vu <strong>du</strong> haut <strong>des</strong> navires voisins, notre lutte,notreanxiété, on vit aussi le suprême danger qui nous menaçait,<strong>et</strong> une embarcation plus forte que la nôtre,montée par <strong>des</strong> matelots sar<strong>des</strong>, vint nous arracher àla mort.laMais ce secours avait trop tardé; <strong>et</strong> j'avais eudouleur de voir disparaître Tune après l'autre deuxcaisses contenant de précieux obj<strong>et</strong>s d'histoire naturelle,quelques cartes, <strong>et</strong> <strong>des</strong> manuscrits : perte que je mesuis efforcé vainement de réparer !Après c<strong>et</strong>te épreuve désastreuse, je ne songeai plusà me séparer <strong>du</strong> Castini. La politesse exquise <strong>du</strong>commandant, les attentions délicates de sa femme,une intimité chaque jour plus grande avec l'Envoyéfrançais <strong>et</strong> ses secrétaires (1), que de puissants motifspour me faire oublier les atteintes <strong>du</strong> mal de mer,s'il existait un remède contre c<strong>et</strong>te souffrance ! Onr<strong>et</strong>rouveraplus tard le comte Walewski à l'œuvredifficile de la pacification <strong>des</strong> Républiques Argentines.Il y a montré la ferm<strong>et</strong>é, la droiture <strong>et</strong> les talentsdiplomatiques que sa présidence <strong>du</strong> Congrès deParisa achevé de m<strong>et</strong>tre en relief.Quant à la comtesse Walewska qui avait suivi résolû-(1) Le personnel de la mission se composait de MM. Alfred de Brossard<strong>et</strong> Jules de Saux : le premier est aujourd'hui consul au <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> lesecond s. -directeur au département <strong>des</strong> Affaires étrangères. Le comte Benlivoglioaccompagnait M. Walewski son beau-frère en qualité d'attaché.


LXIV FEUILLES DÉTACHÉES d'UN JOURNAL DE VOYAGE.ment son mari, ma tâche est toute faite. La Bruyèrea dépeint en quelques lignes la femme tellequ'on lacomprenait dans le grand siècle, <strong>et</strong> de ma r<strong>et</strong>raite j'entendsdire que ce portrait lui convient toujours, au milieu<strong>des</strong> grandeurs dont Téclat ne l'a pas éblouie.Lorsque nous débarquâmes à Toulon , déjà s'annonçaitau loin le grondement sourd, précurseur del'émeute <strong>et</strong> d'une révolution qui devait faire le tour del'Europe.Trois années s'étaient écoulées depuis mon départ, <strong>et</strong>c<strong>et</strong>te longue absence avait été fataleà ma famille. Enembrassant le meilleur <strong>des</strong> pères, je cherchai vainementà ses côtés les êtres chéris que j'y avais laissés; leur placeétait vide... Le ciel qui m'avait sauvé comme uneépave <strong>des</strong> flots furieux de la Plata, s'était montré poureux moins clément. Hélas!« Ils voyagent aussi. »


,LE PARAGUAYETLES MISSIONS DES JÉSUITES.PREMIERE PARTIE.GÉOGRAPHIE FHTSIQ1TE ET FOI.ITIQUE.CHAPITRE PREMIER.POSITION ASTRONOMIQUE, CIRCONSCRIPTION ET LIMITES OD PARAGUAY.LIMITES ANCIENNES.Un demi-siècle après lesecond voyage au Rio de laPlata de l'infortuné Diaz de Solis, qui avait ouvert àl'Espagne l'accès de territoires immenses, <strong>et</strong> ajouté unnouveau fleuron à sa glorieuse couronne américainela province <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> s'étendait, en latitude, <strong>des</strong>sources <strong>du</strong> fleuve qui lui adonné son nom au détroitde Magellan ; <strong>et</strong> de l'est à l'ouest, depuis les frontièresde la capitainie portugaise de San-Yicente <strong>et</strong> les rivagesde l'océan Atlantique, jusqu'aux premiers contre-1


2 POSITION ASTRONOMIQUE,forts (le la chaîne <strong>des</strong> An<strong>des</strong> (1). Ainsi, toute c<strong>et</strong>terégion, dont la superficiepour ainsi dire incommensurable,comprend de nos jours la Confédération Argentine,la République orientale de l'Uruguay, la plusgrande partie <strong>des</strong> provinces brésiliennes de Rio-Grande<strong>du</strong> Sud, de Saint-Paul <strong>et</strong> de Mato-Grosso, <strong>et</strong> les plainesde la Bolivie , était alors l'apanage d'un seul gouvernementqui siégeait dans la ville de l'Assomption.D'aussi vastes proportions expliquent <strong>et</strong> justifient lesurnom de Géant <strong>des</strong> provinces <strong>des</strong> In<strong>des</strong> ,que lui décerneun écrivain de la compagnie de Jésus (2).Le temps qui change les <strong>des</strong>tinées <strong>des</strong> empires ,devaitamener le fractionnement de ce royaume infini.Du côté <strong>du</strong> nord <strong>et</strong> de l'est, les Portugais de Cuyabà<strong>et</strong> de Saint-Paul s'emparent de laprovince de Guayra,d'où ils chassent les Missionnaires, <strong>et</strong> se rapprochentà grands pas <strong>du</strong> Pérou , dont les richesses minéralesexcitent leur convoitise; <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud, ils étendentleurs conquêtes vers le lac de los Patos , <strong>et</strong> fondentbientôt la colonie <strong>du</strong> Saint-Sacrement, sur les bords<strong>du</strong> Rio de la Plata.D'autres causes qu'on pourrait appeler internes <strong>et</strong>faciles à pressentir; la rivalité <strong>des</strong> chefs, jaloux de se(1) R.\YN4L étend encore ces limites, en donnant pour frontières au <strong>Paraguay</strong>: au nord, la rivière <strong>des</strong> Amazones; au sud, la terre Magellaniquo;au levant, le Brésil; au couchant, le Chili <strong>et</strong> le Pérou. <strong>Histoire</strong> philosophiqueel pol nique <strong>des</strong> établissevien (s <strong>des</strong> Européens dans les deuxIn<strong>des</strong>. La Haye, lT7i, t. III, p. 317.(2) Hîstoria del <strong>Paraguay</strong> , Fxio de la Plata, y Tucuman, por el P.Gdevara, p. 2, dans : Coleccion de obras y docujnentos relativos a la historiaanligna y modcrna de las provincias dcl liio delà Plata, publiéepar P. DE .^NGELis. Buenos-Ayres, 1836, 1. 11.


CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. 3rendre indépendants les uns <strong>des</strong> autres; le désir naturelau Souverain d'imprimer une impulsion uniforme, plusdirecte, <strong>et</strong> dès lors plus active, à toutes les parties dece grand corps, aidèrent puissamment à sa dislocation.Ainsi ,vers 1560, Nuflo de Chaves fonde le gouvernementde Santa-Cruz de la Sierra, qu'il parvient à soustraireà l'autorité centrale :en 1620, le Cabin<strong>et</strong> de Madriddivise en deux la province <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> établità Buenos- Ayres un gouverneur qui reçoit,en 1 776, l<strong>et</strong>itre <strong>et</strong> les hautes prérogatives de Vice-Roi (1). Dèslors,les autorités de l'Assomption passent sous les ordresde la Cité qu'elles avaient fondée , <strong>et</strong> dont ellesavaient conservé la tutelle pendant un siècle (2).Les célèbres établissements fondés par les Jésuites surce point de l'Amérique, eurent aussi leur part de ces vicissitu<strong>des</strong>.Détachées <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> par Philippe V (3), répartiesplus tard entre les deux provinces en vertu d'une ordonnancede 1 783, les Missions furent érigées en un gouvernementparticulier <strong>et</strong> indépendant, qui disparut bientôtlui-même dans la chute de la domination espagnole.Enfin, à la suite de longs démêlés <strong>et</strong> de négociationsinterminables, <strong>des</strong> traités intervinrent entre deux puissancesque le hasard avait placées côte à côte dans leNouveau Monde comme dans l'Ancien,<strong>et</strong> qu'une antipathieséculaire <strong>et</strong> déraisonnable ne tarda pas à rendrerivales au delà de l'Atlantique comme en Europe.On(1) Cé<strong>du</strong>le royale <strong>du</strong> 8 août.(2) C'est au <strong>Paraguay</strong> ainsi ré<strong>du</strong>it, que Raynal(Omv. citi\ t. III, p. 335)donne le nom de <strong>Paraguay</strong> particulier.(3^ Cé<strong>du</strong>les <strong>des</strong> 11 février 1G25, <strong>et</strong> novembre Ifi^fi.


4 POSITION ASTRONOMIQUE,lira plus loin l'historique de ces traités ;qu'il nous suffisede dire icique les deux derniers (1), déchirés avantleur mise à exécution , sous prétexte d'obstacles <strong>et</strong> dedifficultés qu'on avait intérêt à déclarer insurmontables,ont été impuissants à éteindre les rivalités <strong>des</strong> deux Métropoles,rivalités dont le joug pèse encore sur leurscolonies émancipées. Chose triste à penser; les rapportsentre la République <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> l'Empire <strong>du</strong>Brésil sont devenus tels dans ces dernières années,qu'une rupture sérieuse est à craindre. A l'heure oùnous écrivons ces lignes, c<strong>et</strong>te querelle territorialedans laquelle semblait s'être concentrée la haine naturellede deux peuples , se réveille aussi ardente quejamais chez leurs <strong>des</strong>cendants : seul héritage qu'ils nerépudient pas! Un intérêt de médiocre importancesurvit souvent, à travers les générations, à toutes lesformes de gouvernement que le hasard <strong>des</strong> révolulionsrenverse ou édifie (2) !...Il est peu de contrées même dans l'Amérique méridionale,dont les limites soient aussi incertaines quecelles de la République <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Voisine à la fois<strong>du</strong> Brésil,c'est-à-dire d'une ancienne colonie <strong>du</strong> Portugal,elle a hérité <strong>des</strong> contestations encore pendantesentre les deux Cours à l'époque de son indépendance ;<strong>et</strong> depuis qu'elle s'est séparée <strong>des</strong> provinces de la vice-(1) Ceux de 1750 <strong>et</strong> de 1777.(2) C<strong>et</strong>te appréciation n'a trait qu'à la délimitation territoriale ;je laisseen dehors la question de navigation <strong>et</strong> de commerce , malgré la plus évidenteconnexité : celle-ci n'a jamais une importance médiocre.


,CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. 5^royauté de Buenos-Ayres , aucun traité n'est venu , enreconnaissant sa nationalité, sanctionner les limites incertainesdans lesquelles elle se renferme ou dont ellesort , toutes les fois que l'intérêt de sa sécurité ou lesraisons de sa <strong>politique</strong> lelui commandent.C'est dire que son territoire se compose de deux parties: l'une principale, essentielle, bornée à l'ouestpar le rio <strong>Paraguay</strong> , au sud <strong>et</strong> à l'est par le Paranàqui reçoit les eaux <strong>du</strong> précédent sous les 27° 24' delatitude, est séparée <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> nord <strong>des</strong> possessionsbrésiliennes ,par les rios Corrientes ou Apa <strong>et</strong> Yaguarey(1 ). Ces deux rivières, nées dans la sierra de San-José ou de Maracayù, se dirigent, la première à l'ouestpour se j<strong>et</strong>er dans le rio <strong>Paraguay</strong> par 22^ 4', <strong>et</strong> la secondeà l'est, pour se joindre au Paranà sous les 22°26' de latitude.C<strong>et</strong>te manière de voir, nous ne le dissimulerons pas,conforme à l'esprit, sinon à la l<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> traités de 1 750<strong>et</strong> de i 777, <strong>et</strong> qui s'appuie sur les Instructions adresséesultérieurement aux commissaires délimitateurs, par lesCabin<strong>et</strong>s de Madrid <strong>et</strong> de Lisbonne, n'a été reconnue<strong>du</strong>rant longues années, que par un accord tacite <strong>des</strong>parties intéressées ,en l'absence d'une convention plusrécente <strong>et</strong> moins obscure ; non toutefois, sans de vivesprotestations de la part <strong>du</strong> Brésil ,qui revendiquecomme ligne de séparation , en plein parlementpar la bouche de ses orateurs les plus versés enc<strong>et</strong>te matière, les rios Ipané <strong>et</strong> Igatimi (2).Le cours(1) Ou Igurey ; rio Ivenheima <strong>des</strong> Portugais.(2) Discurso do senhor Pimenta Bueno^ na sessâo do Senado de 26 dt


G POSITION ASTRONOMIQUE,de c<strong>et</strong>te dernière rivière, parallèle à l'Yaguarey, seconfond avec celui <strong>du</strong> Paranà, par 23° 56' de lat., nonloin de la grande cataracte (salto grande) de ce fleuveparent de la mer.Il y a plus : le président Lopez rej<strong>et</strong>te à son tour l<strong>et</strong>raitéde 1777, en accusant le gouvernement brésiliende l'avoir déchiré en i 851 , lors de ses négociations avecl'État oriental de l'Uruguay, <strong>et</strong> réclame pour frontièrele rio Blanco, situé au nord de l'Apa. L'article de sonJunho 1855. DisoDS-Ie occasionnellement, le Brésil compte à l'étrangerd'imprudeuts amis qui le poussent dans une voie funeste, en l'excitant àreculer encore les bornes de ses immenses domaines jusqu'au rio <strong>Paraguay</strong>à l'ouest, <strong>et</strong> jusqu'à la Piata <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud, qu'ils considèrent comme<strong>des</strong> limites tracées par la nature, dans le but d'assurer son homogénéité(DuTOT, France el Brésil, Paris, 1857, p. 63; Xavier Eyma, les deux Amériques, p. 3). A rencontre de c<strong>et</strong>te manière de voir, nous avons enten<strong>du</strong><strong>des</strong> hommes d'État regr<strong>et</strong>ter c<strong>et</strong>te éten<strong>du</strong>e gigantesque, hors de toute proportionavec la densité de la population (le Brésil possède 5 millions d'habitants, disséminés sur une superficie qui égale douze fois celle de laFrance)!Nous comprenons assez le patriotisme — c<strong>et</strong> égoïsme <strong>des</strong> peuples— pour ne pas donner à une nation le conseilde se mutiler; toutefois,qui voudrait soutenir que les efforts sincères de l'Empire américaindans la voie <strong>du</strong> progrès, ne seraient pas plus efficaces s'il les concentraitsur une surface moindre, à l'aide d'une administration pourvue <strong>des</strong> moyensde centraliser les services , <strong>et</strong> d'imprimer aux affaires la direction quin'arrive que très-affaiblie, de nos jours, aux fonctionnaires placés à d'incroyablesdistances de la capitale?(Il faut plus de trois mois pour expédierune dépèche de Rio de Janeiro à Cuyabà, chef-lieu de laprovince deMato-Grosso ). Solliciter l'agrandissement <strong>du</strong> Brésil , c'est vouloir raviverles aspirations mourantes <strong>du</strong> fédéralisme ; c'est oublier les causes <strong>des</strong>troubles qui signalèrent l'orageuse minorité de D. Pedro 11 ; c'est aussiprovoquer l'ardent antagonisme de deux branches de la grande famille latine, antagonisme qui s'effacera un jour, nous l'espérons , mais dont ilnous paraîtrait raisonnable de tenir plus de compte. La <strong>politique</strong> loyale<strong>et</strong> réservée <strong>du</strong> jeune Souverain <strong>et</strong> de ses conseillers, est à nos yeux bien autrementprofitable aux véritables intérêts <strong>du</strong> pays ,<strong>et</strong> nous voyons avecplaisir ces visées d'usurpations inutiles <strong>et</strong> embarrassantes, énergiquementrepoussées dans drs publications semi-officielles ( Charles Reybald, LeBrésily 185G, Post-srripluniy p. 230 ).


CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. 7journal où nous trouvons exposée c<strong>et</strong>te prétention ,om<strong>et</strong> de faire connaitre de quels titres il entend l'appuyer(i).Ainsi ré<strong>du</strong>ite à l'immense delta circonscrit par lesrios <strong>Paraguay</strong>, Paranà, Yaguarey <strong>et</strong> Corrientes ,la républiquefondée par le Docteur Francia , a de superficie10,4i3 lieues carrées de 5,000 varas, soit 9,740lieues carrées de 25 au degré.L'espace compris entreles rios Apa <strong>et</strong> Blanco est égal à 860 lieues carrées espagnoles(2).Les dépendances pour ainsi dire accessoires <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,comprennent les territoires qu'il a revendiqués(1) Semanario de avisos y conocimientos utiles, n" 109 <strong>du</strong> 23 juin 1855.Eu parlant de la ligue de TApa, daus le discours que nous venous de citer,M. Pimenta Bueno ajoute : « Assim jamais poderia o <strong>Paraguay</strong>, possuira linha do Apa. » 11 s'eu faut donc beaucoup que l'on soit près de s'entendre.(2) Ou 805 lieues de 25 au degré. Il faut ajouter que , à une certaUiGépoque, le <strong>Paraguay</strong> ne s'étendait pas jusqu'au Paranà <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud.Lors de l'érection de l'évèché de Buenos-Ayres ,le district de Pedro Gonzalescompris dans Tangle fermé par lecouflueiit <strong>des</strong> deux fleuves lai futattribué, <strong>et</strong> confié aux soins <strong>du</strong> curé de la Ensenada de la ville de Corrientes.L'existence d'un large fleuve à franchir, décuplait les inconvénientsd'une mesure dont ou ne se rend pas bien compte. Malgré la décision<strong>des</strong> commissaires <strong>des</strong> deux êvêques, signée le 8 juin 1727 à Candelaria (euvertu d'une cé<strong>du</strong>le royale <strong>du</strong> 11 février 1724 ,qui prescrit de fixer les limites<strong>des</strong> juridictioDS ecclésiastiques, afin d'apaiser tous les diflfércnds\ endroit la question resta pendante ; mais le <strong>Paraguay</strong> fournissait utie gardeà Curupayti <strong>et</strong> un <strong>des</strong>servant à la paroisse de Pedro Gonzales.L'art. 4 <strong>du</strong> traité <strong>du</strong> 12 octobre 1811 maintient lo statu quo dans lestermes suivants : « Debiendo eu lo demas quedar tambien por ahora loslimites de esta provincia del <strong>Paraguay</strong> , en la forma en que actualmente sehallan. » Le règlement de limites avec Corrientes, <strong>du</strong> 31 juill<strong>et</strong> 1841, avaittranché la question eu reconnaissant comme dépeudance <strong>du</strong> Parap-uay l<strong>et</strong>erritoire soumis à la juridiction de la Villa del Pilar (art. i" ) : maisc<strong>et</strong>te convention ayant été abrogée, le principe LU possidelis à Uni parprévaloir.


8 POSITION ASTRONOMIQUE,de tout temps, dans les Missions de TEntre-Rios <strong>et</strong> dansle Grand-Chaco.Le <strong>Paraguay</strong> a <strong>des</strong> droits incontestables sur leChaco; ce sont ceux dont il a hérité de la Métropole,<strong>et</strong> qu'il s'agit aujourd'hui de partager avec la Bolivied'une part, <strong>et</strong> la Confédération Argentine de l'autre.Or, quelle sera la part de chacun? Suivant quelles donnéesprocédera-t-on au partage?Les prétentions de la République Bolivienne ne noussont pas connues; celles de l'ancienne vice-royauté dela Plata sont exposées dans un ouvrage habilement compilépar un ingénieur Argentin, qui commence parfaire à son pays la part <strong>du</strong> lion , en m<strong>et</strong>tant tout d'abordhors de cause l'État dont nous discutons lesdroits (i).L'auteur divise le Chaco en trois sections,à l'aide <strong>des</strong> rivières qui le coupent diagonalement ; ilattribue, sans hésiter, la zone septentrionale à la Bolivie,<strong>et</strong> la zone méridionale à la Confédération Argentine.Quant à la section comprise entre les rivières Pilcomayo<strong>et</strong> Bermejo, <strong>et</strong> intermédiaire aux deux précédentes,il la considère comme pouvant seule fournirmatière à <strong>des</strong> négociations ultérieures entre ces deuxpuissances.Ce n'est pas ainsi, il s'en faut, que l'entend le présidentLopez. Dans une carte dressée en 1854, avec<strong>des</strong> documents fournis par le général Francisco SolanoLopez , son fils <strong>et</strong> son ministre plénipotentiaireà Paris ,par M. Cortambert secrétaire général de la(1) Koticias hisloricas y <strong>des</strong>criplivas sobre el gran pais del Chaco yrio Bermejo, por José Arenales, 1 vol. in-8. Bueoos-Ayies, 1833.


,CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. 9Société de géographie, on trouve l'immense territoirequ'il réclame dans le Chaco, n<strong>et</strong>tement circonscrit parune ligne droite, qui, de la pointe méridionale de l'îleAtajo située au confluent <strong>des</strong> rios <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> Paranàs'avance à l'ouest, jusqu'aux 63° 45' de longitude. Arrivélà, le tracé change brusquement de direction, <strong>et</strong>remonte sans déviation , <strong>du</strong> sud au nord ,jusqu'au parallèlede 20° 10' environ, pour s'infléchir de nouveauà angle droit <strong>et</strong> venir rejoindre le rio <strong>Paraguay</strong>, dontil côtoie le bord oriental jusqu'à l'embouchure <strong>du</strong>rio Blanco. Le vaste espace circonscrit par c<strong>et</strong>te sériede lignes droites <strong>et</strong> le cours <strong>du</strong> fleuve à l'est, représenteun parallélogramme qui n'a pas moins de16,537 lieues carrées de superficie, <strong>et</strong> comprend lapresque totalité <strong>des</strong> trois zones dont nous parlions toutà l'heure. On voit par ce simple aperçu , à quelle importances'élèvera la question de la délimitation <strong>des</strong> diversÉtats sud -américains, <strong>et</strong> quelles prétentions contrairesdoivent les diviser, le jour où ils entreprendrontsérieusement de la résoudre.Tout en reconnaissant au <strong>Paraguay</strong> d'incontestablesdroits à la souverain<strong>et</strong>é partielle <strong>du</strong> Grand-Chaco ,nous ignorons comment il entend soutenir ses ambitieusesvisées. Par <strong>des</strong> traités? Mais le roi d'Espagne,sans voisins de ce côté, ne s'est jamais préoccupéque fort accidentellement <strong>du</strong> soin de limiterla juridiction de ses lieutenants sur <strong>des</strong> déserts infranchissables.Proposera-t-il de prendre pour base <strong>des</strong> négociationsle principe de V Uti possid<strong>et</strong>is ? Mais c<strong>et</strong> argument serait


,10 POSITION ASTRONOMIQUE,tout au plus valable pour l'étroite bande qui longe larive occidentale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, sur laquelle il a, d<strong>et</strong>out temps, fait acte d'occupation, <strong>et</strong> ne lui vaudraitqu'un territoire de très-médiocre éten<strong>du</strong>e, au lieu de16,537 lieues carrées qu'il réclame.A plusieurs reprises, en eff<strong>et</strong>, les autorités espagnolesétablirent <strong>des</strong> postes <strong>et</strong> <strong>des</strong> blockliaus dans le Chacopour contenir les hor<strong>des</strong> sauvages qui l'habitent, <strong>et</strong>défendre le <strong>Paraguay</strong> de leurs incursions.Le DocteurFrancia <strong>et</strong> ses successeurs ont complété c<strong>et</strong>te ligne dedéfense. Déjà, en 1792, le fort Bourbon (1) avait étéfondé dans un but <strong>politique</strong>, <strong>et</strong> comme réponse auxétablissements portugais de Nova Coïmbra <strong>et</strong>d'Albuquerque.Si à ces actes de possession on ajoute lesvoyages de découvertes dirigés vers le Pérou par lespremiers Conquérants ( Conquistadores ) ;ceux que lesMissionnaires de laCompagnie de Jésus entreprirentpar la voie <strong>des</strong> rivières pour relier leurs établissements<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> à ceux de Moxos <strong>et</strong> de Chiquitos;quelquesRé<strong>du</strong>ctions presque aussitôt détruites par les Indiens,que fondées par les Espagnols; <strong>et</strong> de récentsessais de colonisation qui ne paraissent pas avoirréussi (2), on aura le sommaire de toutes les tentativesde domination dirigées vers une contrée où les indigènesont su défendre avec un indomptable courageleur indépendance, <strong>et</strong> maintenir leur nationalité (3).(1) Ou Olimpo : lat. 21''r26"; long. GO» G'.(2) Nous vouIoDS parler de la Kouvclle-Bordeaui, colouie frauçaise établieaux alentours <strong>du</strong> Quarlel dcl Cerrilo.{3) Nous trouvons c<strong>et</strong>te phrase dans un mémoire oianiiscril couservé. a


CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. 11Les droits <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> à la souverain<strong>et</strong>é de quelques-unes<strong>des</strong> Missions de l'Entre-Rios, droits que leprésident Lopez a soutenus dans ces dernières annéesavec énergie (1), ne nous paraissent pas contestables.Après le bannissement <strong>des</strong> Jésuites, l'ordonnance de1783 ren<strong>du</strong>e sur les propositions de D. Francisco dePaulo y Bucareli, gouverneur <strong>et</strong> capitaine général deBuenos-Ayres, avait pourvu à l'administration tant civileque spirituelle <strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ctions Guaranies, qui furentdivisées en cinq départements.Ceux de Santiago<strong>et</strong> de Candelaria, comprenant treize PuebloSydans les dépendances <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. C<strong>et</strong> étatrestèrentde choses<strong>du</strong>ra jusqu'au 17 mai 1803.alops toutes les Missions enUne cé<strong>du</strong>le royale réunitun gouvernement particulier,sous l'administration <strong>du</strong> lieutenant- colonel D.Bernardo de Yelasco. Quelques années plus tard (1 806),Velasco devenu gouverneur <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,conserva cedouble titre <strong>et</strong> ces doubles fonctions jusqu'à l'époquede l'Indépendance.11 faut le dire, dans l'état d'obscurité <strong>et</strong> d'incertitudequi entoure de nos jours la délimitation de la plupart<strong>des</strong> États sud-américains, le <strong>Paraguay</strong> serait admissiblel'Assomption <strong>et</strong> intitulé Descripcion de la provincia del <strong>Paraguay</strong> porel capitan de fragata D. Juan F. Aguirre, comandanle de la cuarlapartidade demarcacion de limites con Portugal : «Du côté de l'occi-« dent, c<strong>et</strong>te province n'a point de frontières déterminées; <strong>et</strong>, comme elle« ne possède aucun établissement dans le Grand-Chaco, on peut prendre« pour limite actuelle , <strong>du</strong> côté de l'occident, le rio <strong>Paraguay</strong>. » L'auteurécrivait en 1788 ; son témoignage ne saurait donc être entaché de partialité.(1) Mani/ieslo <strong>du</strong> 13 février 18i8. Journal El <strong>Paraguay</strong>o Indepcndienlc , u° 73.


12 POSITION ASTRONOMIQUE,à discuter , ipso facto , ses droits à la souverain<strong>et</strong>é <strong>du</strong>territoire entier <strong>des</strong> Missions, qu'il possédait à l'époquede son émancipation. Mais il se borne à revendiquerle département de Candelaria, situé, en partie, au delà<strong>du</strong> Paranà ; les trois Pueblos de ce département élevéssur la rive droite <strong>du</strong> fleuve, lui appartenant sans contestationpossible.Voilà tout au moins, ce que nous trouvons exposédans le manifeste de son Président <strong>du</strong> 1 3 février 1 848 ;mais la carte précitée de M. Cortambert laisse voirbien clairement de plus gran<strong>des</strong> prétentions.En eff<strong>et</strong>, si reprenant la ligne-frontière à l'extrémitéméridionale de l'île Atajo, qui nous a servi de pointde départ pour l'étude <strong>des</strong> limites <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> dans leChaco, nous marchons vers l'est, nous la voyons côtoyerla rive gauche <strong>du</strong> Paranà jusqu'à la Tronquera de Lor<strong>et</strong>o,<strong>des</strong>cendre ensuite presque verticalement <strong>du</strong> nordau sud , le long de la lagune Yberà ,jusqu'à la rencontre<strong>du</strong> rio Aguapey. En c<strong>et</strong> endroit, le pointillé dela carte change; les limites deviennent incertos todaria, comme nous l'apprend la légende ; <strong>et</strong> la ligne dedémarcation se bifurque.L'un <strong>des</strong> tracés <strong>des</strong>cend l'Aguapeyjusqu'à sa jonction avec l'Uruguay dont il remontele cours suivant les stipulations <strong>du</strong> traité de1777, pour rejoindre le Paranà à l'embouchure <strong>du</strong> rioIguazù ou Curitiba.Le second tracé remonte à son tour le cours del'Aguapey, <strong>et</strong> se réunit au précédent à l'origine <strong>du</strong> rioSan-Antonio-Guazù, en se tenant à égale distance <strong>du</strong>Paranà <strong>et</strong> de l'Uruguay. L'espace compris entre ces


CIRCONSCRIPTION ET LIMITES. i3deux derniers fleuves est évalué à 2,300 lieues carréesde 26 i/2au degré.Même en défalquant de c<strong>et</strong>te somme les480 lieuescarrées qui expriment l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> territoire situé àl'est de la ligne qui joint les rios Pepiri-Mini <strong>et</strong> San-Antonio-Mini , on voit que le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>revendiquerait encore tout le territoire <strong>des</strong> Missions,moins les Pueblos appartenant aujourd'hui auBrésil, <strong>et</strong> ceux d'Yapeyù <strong>et</strong> de la Cruz. Or ces prétentionsseraient en opposition formelle avec le manifeste<strong>du</strong> 13 février 1848.Un voyageur- naturalisteque nous aurons occasionde citer plus d'une fois ,donne pour limites au départementde Candelaria , en latitude les 27 <strong>et</strong> 28^ , <strong>et</strong> enlongitude, 57^ 30' <strong>et</strong> 58° 30' (1).Il faut ajouter que lors <strong>du</strong> partage <strong>des</strong> Missionsentre les évéchés de Buenos-Ayres <strong>et</strong> de l'Assomption,en suite de la déclaration <strong>des</strong> commissaires nomméspar les deux prélats , signée le 8 juin 1727 , il fut enten<strong>du</strong>que la juridiction ecclésiastique <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>comprendrait, comme celle <strong>du</strong> pouvoir civil, les versants(los vertentes) <strong>du</strong> Paranà , <strong>et</strong> la juridiction deBuenos-Ayres ceux de l'Uruguay.Des conventions diplomatiques viennent encore àl'appui <strong>des</strong> droits <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> le traité concluentre le premier pouvoir issu de la Révolution <strong>et</strong> lesenvoyés argentins, les reconnaît formellement. C<strong>et</strong>te(1) Le Docteur Rengger, Reise nach <strong>Paraguay</strong> in den Jahren 1818 br's182G, Aarau, 1835, in-8, p. 1.


H POSITION ASTRONOMIQUE,déclaration positive <strong>et</strong> solennelle, ne saurait être infirméepar ledécr<strong>et</strong> <strong>du</strong> Directeur suprême <strong>des</strong> Provinces-Unies <strong>du</strong> Rio de la Plata ,qui fixe les limites <strong>des</strong> provincesde Corrientes <strong>et</strong> d'Entre-Rios (1).Depuis c<strong>et</strong>te époque, le Docteur Francia,loin de leslaisser tomber en déshérence, a toujours maintenuses droits sur un territoire qui couvrait l'unique routeouverte à son commerce avec le Rrésil; il y élevamême quelques travaux de défense , <strong>et</strong> dans ces dernièresannées , le président Lopez , sous le coup <strong>des</strong>menaces d'invasion <strong>du</strong> général Rosas, le fit occupermilitairement , en exposant dans un long manifesteles motifs de sa con<strong>du</strong>ite (2). Francia avait pris lesmêmes précautions stratégiques en 1834, lors de sesdémêlés avec la province de Corrientes. Disons cependant,que c<strong>et</strong>te occupation est tout à fait temporaire <strong>et</strong>peu sérieuse, <strong>et</strong> qu'à l'approche <strong>du</strong> danger, le gouvernementparaguayen se hâte de faire repasser le Paranàà ses troupes, <strong>et</strong> aux populations émigrées <strong>des</strong> provincesvoisines.Enfin, parmi les îlesnombreuses que possède la Républiquedans le lit <strong>des</strong> fleuves qui l'enserrent, il en estdeux dont nous dirons ici quelques mots , à cause de(1) Art. 4 <strong>du</strong> traité <strong>du</strong> 12 octobre 1811. — Décr<strong>et</strong> <strong>du</strong> 10 septembre 1814<strong>du</strong> Directeur suprême. Aiitouio de Posadas , approuvé par l'Assemblée constituaote<strong>des</strong>deux provinces, <strong>et</strong> iuséré daus le Registrooficialdel gobiernode Corrientes, aùo 1832, p. 26. — Traité <strong>du</strong> 31 juill<strong>et</strong> 1841 entre les ConsulsLopez <strong>et</strong> Alonzo <strong>et</strong> le Gouverneur de la province de Corrientes D.Pedro Ferré : yacioïial Correnlino <strong>du</strong> 23 août de la même année. Voy.Noies elPièces justificatives.(2) Manifiesloûu 10 juin 1849.


,leur importance militaire,CIRCONSCRIPTION ET LIMITF.S. 15<strong>et</strong> parce qu'elles ont donnélieu à (les difficultés que nous ne croyons pas encorerésoluesLa première est l'île Atajo , située à l'embouchure<strong>du</strong> rio <strong>Paraguay</strong>; la seconde, l'île Apipé dans leParanà (long, moyenne 59^), vis-à-vis le Piieblo deSan-Cosme.En fait, c<strong>et</strong>te double question de propriété est tranchée.Le président Lopez entr<strong>et</strong>ient sur l'île Atajo unposte chargé de la reconnaissance <strong>des</strong> bâtiments quidoivent y atterrir,leur <strong>des</strong>tination (1).<strong>et</strong> recevoir <strong>des</strong> gar<strong>des</strong> à bord jusqu'àL'île Apipé , vivement revendiquée à plusieurs reprisespar la Confédération Argentine (2), n'a jamaisété le siège d'un établissement militaire permanent.Elle est toujours inoccupée; mais le Docteur Francian'y tolérait pas,de la part <strong>des</strong> habitants de Corrientes,l'extraction <strong>des</strong> magnifiques bois de construction qu'ellepro<strong>du</strong>it,<strong>et</strong> dans une circonstance récente, le présidentLopez a expulsé ceux qui s'y étaient établis, en leurdonnant trois jours pour tout délai, avec menace d'employerla force (3). A cela, il faudrait ajouter que l'héritier<strong>du</strong> Dictateur avait signé, comme consul de laRépublique, le règlement de limites <strong>du</strong> 31 juill<strong>et</strong> 1841(1) Décr<strong>et</strong> <strong>du</strong> 2 janvier 1816. El <strong>Paraguay</strong>o Independieyite, u° 37.(2) Note <strong>du</strong> général Rosas au général Urquiza <strong>du</strong> 12 mars 18i6. — Message<strong>du</strong> général Rosas à la chambre <strong>des</strong> Représentants de Buenos-Ayres <strong>du</strong>27 décembre 1848.(3) Ordre adressé au commandant militaire <strong>du</strong> déparlement de Sanla-Rosa le 1" mai 18i8 , <strong>et</strong> daté de San - José , sur la rive gauche <strong>du</strong> Paranii.El <strong>Paraguay</strong>o Indcpindienie ^ li" 79.


16 POSITION ASTRONOMIQUE ET LIMITES.qui concédait (art. 4) l'île Apipé à la province de Corrientes, si c<strong>et</strong>te convention eût survécu aux circonstancessous Tempire <strong>des</strong>quelles elle avait été négociée(i).En récapitulant les chiffres épars dans c<strong>et</strong>te longuediscussion ,on voit que l'État <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> possède lasuperficie suivante :Territoire compris entre les rios <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> Pa~ranà 10,413Territoire revendiqué dans le Grand-Chaco 16,537Territoire revendiqué entre le Paranà <strong>et</strong>l'Uruguay . . 1,820Total. . 28,770lieues carrées de 5,000 varas castillanes (2) , ou26,935 lieues carrées de 25 au degré : la France n'ena que 26,759.(1) Nous trouvons c<strong>et</strong>te phrase dans le moniteur <strong>du</strong> 5 octobre 1853 r« On sait que c<strong>et</strong>te île... fait, d'après le traité conclu il y a huit mois ,partie de la province de Corrientes. » Nous ignorons la date précise <strong>et</strong> lateneur de c<strong>et</strong> acte. Peut-être s'agit-il ici <strong>du</strong> traité conclu entre Lopez <strong>et</strong>Urquiza après la chute de Rosas (1852).C<strong>et</strong>te négociation, qui avait pourbase la reconnaissance de la Nationalité paraguayenne, échoua par suite<strong>du</strong> refus de Bueuos-Ayres de ratifier les pouvoirs <strong>du</strong> Général , <strong>et</strong> de l'érectionde c<strong>et</strong>teprovince en un État indépendant de la Confédération Argentine.(2) C<strong>et</strong>te somme est eitraite de la carte de M. Cortambert. — M. deHlmboldt donne au <strong>Paraguay</strong> proprement dit 7,424 lieues carrées de20 au degré ( Voyage aux régions équinoxiales <strong>du</strong> iSouveau-Cunlinenl,t. IX, p. 229).


CHAPITRE II.CONTESTATIONS TERRITORIALES ENTRE L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL (1). —BULLE DU PAPE ALEXANDRE VI.—TRAITÉ DE TORDESILLAS ET DE SARAGOSSE.( 1493 — 1529 )Les gran<strong>des</strong> entreprises maritimes de la fin <strong>du</strong> x\^siècle eurent pour point de départ les découvertes <strong>des</strong>Portugais, qui poussés par les incitations de l'infantD. Henrique, fils <strong>du</strong> roi D. Joâo 1", sur les traces <strong>des</strong>(1) L'histoire <strong>des</strong> démêlés séculaires auxquels a donné lieu la délimitation<strong>des</strong> possessions hispano -portugaises <strong>du</strong> Nouveau Continent,est encoreà faire ; nous ne voulons en donner ici qu'un simple aperçu, en renvoyantpour l'étude approfondie de c<strong>et</strong>te intéressante question de géographie<strong>politique</strong>, aux ouvrages suivants :Quadro elementar das relaçôes polilicas e diplomaticas de Portugalcom as diversas potencias do Mundo, par le vicomte de Santarem, Paris,1842-1854, t. II ;Collecçào de noticias para a historia e geografia das naçôes ultramarinas.Lisboa, 1841, t. VII;Coleccion de los viages y <strong>des</strong>cubrimientos que hicieron por mar lasEspanoles^ par Navarr<strong>et</strong>e, Madrid, 1825 à 1837, t. II, III <strong>et</strong> IV;Diserlacion historica y geografica sobre el meridiano de demarcacionentre los dominios de Espaiia y Portugal, <strong>et</strong>c., por D. Jorge Juan y D.2


,18 CONTESTATIONS TERRITORIALES.Arabes chassés de la Péninsule, doublèrent le cap Bojadorou de Non (1 ),<strong>et</strong> reconnurent les côtes occidentalesde l'Afrique jusqu'au-<strong>des</strong>sous de la Guinée. Alorsle pape Nicolas V octroya par une bulle (2), au roiAlphonse V, le privilège de la découverte <strong>des</strong> mers, îlesAntonio Ulloa, Madrid, 1749, p<strong>et</strong>it in-8, <strong>et</strong> Paris, 1776, inl2. La Bibliotecadel Comercio del Plala, t. I, Montevideo, 1845, contient sous c<strong>et</strong>itre apocryphe :Conteslacion de Portugal a la disertacion de D. JorjeJuan y D. Antonio de Vlloa, un mémoire sans nom d'auteur, écrit dès1681, <strong>et</strong> relatif à la fondation de la Colonia do Sacramento;Historia de las demarcaciones de limites en la America , compueslapor D. V. Aguilar y Jlrado, y D. F. Requena, dans : Biblioleca del Comercio,1846, t. m.Nous citerons encore plusieurs manuscrits de la B. I. classés sous len» 1486 sup. Fr. Celui qui a pour titre : Memoria sobre la linea divisoriade los dominios de S. HI. C. y del Rey de Portugal en America méridional,por D. Miguel Lastarria, est accompagné d'une carte sur laquellesont figurés les différents méridiens de démarcation d'après la bulle <strong>du</strong>Pape Alexandre VI <strong>et</strong> le traité de Tor<strong>des</strong>illas.Nous terminerons ces indications bibliographiques, par le savant travailde M. J. A. DE Varnhagen, intitulé : Historia gérai do Brazil, <strong>et</strong>c.,Madrid, 1. 1", 1854, <strong>et</strong> t. II, 1857, p<strong>et</strong>it iu-4«. En rendant compte à la Sociétéde géographie <strong>du</strong> premier volume de c<strong>et</strong> ouvrage , M. d'Avezac a étécon<strong>du</strong>it à étudier plusieurs points restés fort obscurs de cesnégociationsinterminables, <strong>et</strong> les a éclairés d'une vive lumière. Toutefois, nous devonsajouter que VExamen critique de l'honorable vice-président de la Société,a provoqué <strong>des</strong> réponses de la part de MM. A. De Varnhagen <strong>et</strong> Da Silva ,dont on connaît les beaux travaux historiques sur leur commune patrie. Le<strong>et</strong> XV, 1857-1858. On peut consulter encore un travaillecteur trouvera tous les éléments de c<strong>et</strong>te discussion, pleine d'érudition<strong>et</strong> de courtoisie, dans le Bull<strong>et</strong>in de la Société de géographie y t. XIVde M. de Varnhagen: As Primeiras ncgociaçôes diploinaticas rcspeclivas ào Brazildans le 1" vol. <strong>des</strong> Memorias do Jnstiluto historico e geografico Brasileiro, p. 119 à 154 ;plusieurs Mémoires <strong>du</strong> vicomte de Sao Leopoldo,même recueil , p. 1 à 54 <strong>et</strong> 205 à 244 ; <strong>et</strong> ses Annâcs da Provincia deS. Pedro, Paris, 1839, in-8.(1) Avant c<strong>et</strong>te époque, on regardait le cap de Non ou Caput Non, situédans le Biled-ul-djérid, comme le Non plus ultra <strong>des</strong> navigateurs, commede nouvelles colonnes d'Hercule; d'où les marins français avaient tiréproverbe : Le cap de Non, qui le passe, ne revoit jamais sa maison.(2) 8 janvier 1454.ce


,1493—1529. 19<strong>et</strong> terres voisines , <strong>du</strong> côté de TOrient <strong>et</strong> <strong>du</strong> Midi jusqu'auxIn<strong>des</strong>.Ces privilèges furent confirmés par les papes CalixteIII <strong>et</strong> Sixte IV (i).Toutefois, ce dernier exceptade la concession les îles Canaries ,qui devaient appartenirà la couronne d'Espagne, en vertu d'un traité antérieurementconclu entre les deux princes catholiques,<strong>et</strong> dont il confirma les principales dispositions.Tels étaient l'état <strong>des</strong> choses <strong>et</strong> la situation respectivede l'Espagne <strong>et</strong> <strong>du</strong> Portugal, lorsque Colomb, c<strong>et</strong>tegrande âme si naïvement dévouée aux œuvres de Dieu,vint offrir ses services aux souverains de Castille <strong>et</strong> d'Aragon,en s'engageant à découvrir de nouvelles terres,sans porter atteinte aux droits <strong>du</strong> Portugal. On sait lereste. On sait que l'immortel Génois, sorti le 3 août 1 492<strong>du</strong> port de Palos, avec trois caravelles qu'il avait obtenuespar six années de sollicitations <strong>et</strong> de prièresaprès avoir navigué pendant soixante-dix jours à l'ouest<strong>des</strong> îles Fortunées malgré les résistances d'un équipag<strong>et</strong>our à tour abattu ou mutiné,découvrit enfin le i 2 octobrel'îlede San-Salvador, puis celle d'Hispaniola, <strong>et</strong>revint à Barcelonne au mois d'avril de l'année suivanterendre compte d'une découverte qu'il ne devait qu'àson audace, à son génie, <strong>et</strong> à de « miraculeuses inspirations.»A peine le pape Alexandre VI eut-il connaissance <strong>des</strong>résultats merveilleux de ce voyage ,que ,pressé deconvertir au christianisme les habitants de ces contrées^1) Bulles <strong>des</strong> 15 mars 1456 <strong>et</strong> 21 juiD 1481.


,20 CONTESTATIONS TERRITORIALES.nouvelles, <strong>et</strong> peut-être aussi d'intéresser dès la premièreannée de son pontificat, à l'exécution de ses ambitieux<strong>des</strong>seins, le souverain <strong>du</strong> pays où lui-même étaitné (1), il n'hésita pas à rendre une bulle par laquelleil octroyait, en vertu de son omnipotence, aux rois catholiquesFerdinand <strong>et</strong> Isabelle <strong>et</strong> à leurssuccesseurs,tous les continents <strong>et</strong> îles déjà découverts ou à découvrir,pourvu qu'ils fussent situés à l'occident <strong>et</strong> au midid'une ligne imaginaire tirée <strong>du</strong> pôle arctique au pôleantarctique , <strong>et</strong> passant à 1 00 lieues à l'ouest <strong>des</strong> îlesAçores <strong>et</strong> <strong>du</strong> cap Vert (2). Il n'était dérogé en rien auxconcessions faitespar ses prédécesseurs à la Couronnede Portugal, à laquelle restait attribuée la propriété <strong>des</strong>territoires à découvrir à l'orient de c<strong>et</strong>te ligne,connuedepuis lors sous le nom de Méridien de démarcation.Une seule restriction était mise à c<strong>et</strong>te double investiturede droit divin :ces terres ne devaient être occupéespar aucun prince chrétien avant le jour de Noëlcommençant l'année 1493.C<strong>et</strong>te bulle célèbre, qui divisait le monde en deuxparties égales,<strong>et</strong> l'attribuait à deux puissances au détriment<strong>des</strong> autres (3) ,confirmée par celle <strong>du</strong> 24 no-(1) Roderic Lenzuolo ( ou Borgia <strong>du</strong> nom de sa mère ), qui parvint à laplus haute dignité de TEglise eu 1402 sous le uom d'Aleiaudre VI, étaitoriginaire de Valence (royaume d'Aragon.(2) Voyez aux îSoles <strong>et</strong> Pièces juslificalives les passages les plus importantsde c<strong>et</strong>te bulle, insérée en entier par Navarr<strong>et</strong>e, dans la Coleccionde los viages y <strong>des</strong>cubrimienlos, t. III, p. 28 à 35 ;par extraits, dans V <strong>Histoire</strong>générale <strong>des</strong> traités de paix ^ <strong>et</strong> autres transaclions principalesentre toutes les puissances de l'Europe depuis la paix de WeslphalieParis, Aiuyot, 8 vol., t. IV, p. 403 ; par extraits, mais en français, dans lesTrois mon<strong>des</strong> de La PopcUiuière, livre 11, art. 2.(3) Sans \ouluir répéter ici la réflexion sensée sous sa forme plaisante,


1493—1529. 21vembre suivant, parut au roi D. Joâo II de nature àporter atteinte à ses droits,<strong>et</strong> à entraver les conquêtesqu'il poursuivait sur les côtes de l'Afrique occidentale.Des ambassadeurs portèrent à Rome ses plaintes qui nefurent pas écoutées. Alors, ilrésolut de faire valoir directementses prétentions auprès <strong>du</strong> roi d'Espagne, quiconsentit sans peine à laisser à <strong>des</strong> commissaires munisde pleins pouvoirs, le soin de régler ce différend.Tor<strong>des</strong>illas, où se trouvait alors la cour, fut désignécomme lieu de réunion.On se mit promptement d'accord,<strong>et</strong> dès le 7 juin 1494, un traité contenant lesengagements les moins équivoques ,intervint entre lesdeux monarques ,qui ,pour rendre son exécution pluscertaine, s'obligèrent à en demander la confirmationpar le Saint-Père , chaque haute partie contractanteprom<strong>et</strong>tant de se soum<strong>et</strong>tre aux censures lesplus sévères,en cas de contravention à ses clauses (1).Par le traité de Tor<strong>des</strong>illas, il fut stipulé :Que le méridien de démarcation serait porté à<strong>et</strong> bien connue, de François P"" à la nouvelle d'un partage qui excluait laFrance de ce riche patrimoine, nous ferons observer à ceux qui pourraients'étonner d'un acte <strong>du</strong> Saint-Siége aliénant le droit d'autrui dont la réserveest toujours sous-enten<strong>du</strong>e ,que , à c<strong>et</strong>te époque , les princes de l'Europeencore catholiques - romains , constituaient une sorte de Confédérationayant le pape pour chef, chargé de régler en arbitre souverain , leurs différends.Ce qui paraît inadmissible au xix* siècle était chose toute naturelleau XV*; il ne faut pas l'oublier. D'ailleurs, la cour de Rome conféraitles pouvoirs ecclésiastiques «<strong>des</strong>tinatis missionariis ad Indos protectosa christianissimo rege Galliae » aux Missionnaires que la France envoyaitdans ces mêmes pays, sur lesquels le Portugal <strong>et</strong> l'Espagne prétendaientavoir reçu un droit exclusif de la puissance papale. ( D'Avezac,Bull<strong>et</strong>in 1857, t. XIV, p. 191, à la noie. )(1) Une bulle confirmative de Jules II (24 janvier 1506) pourvoit à l'eiécutionde la convention.


,22 CONTESTATIONS TERRITORIALES.370 lieues à l'ouest <strong>des</strong> îles <strong>du</strong> cap Vert. C'était, on levoit, reculer d'une distance presque triple la barrièreposée par Alexandre VI; mais l'Espagne ne croyaitalors abandonner qu'un espace couvert par l'Océan, carà c<strong>et</strong>te époque, Alvarez Cabrai, en cherchant à doublerle cap de Bonne-Espérance sur les traces <strong>et</strong> d'après lesInstructions de Vasco de Gama, n'avait pas encore rencontréle Brésil déjà entrevu par Vincent Pinçon.Que les découvertes faites en deçà de c<strong>et</strong>te ligne,par<strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s espagnols , appartiendraient au Portugal ; <strong>et</strong>réciproquement ,que celles effectuées par <strong>des</strong> navigateursportugais au delà de la ligne séparative ,feraientr<strong>et</strong>our à la couronne de Castille.Enfin, il fut convenu que les deux puissances expédieraientdans le terme de dix mois comptés à partir<strong>du</strong> jour de la signature <strong>du</strong> traité,deux ou quatre vaisseaux(^caravelas) montés par <strong>des</strong> astronomes, <strong>des</strong> pilotes<strong>et</strong> <strong>des</strong> géographes, lesquels, partant <strong>des</strong> Canaries,devaient se rendre aux îles <strong>du</strong> cap Vert, <strong>et</strong> se diriger delà vers Toccident, pour marquer la limite de 370 lieuescomptées à partir de c<strong>et</strong> archipel, <strong>et</strong> fixer le méridien dedémarcation (i).C<strong>et</strong>te dernière clause, qui était tout le traité, ne futpas remplie. Outre que son exécution présentait <strong>des</strong>difficultés insurmontables, puisqu'il s'agissait de poser<strong>des</strong> bornes sur <strong>des</strong> points <strong>du</strong> globe encore inconnusles deux princes absorbés, l'un par le désir de pour-(1) Navarr<strong>et</strong>e, Coleccion de los Viages, t. II, p. 130 h 143. Voy. aussiNoies <strong>et</strong> Pièces justificatives.


,1493—1529. 23suivre ses entreprises vers lé cap de Bonne-Espérancel'autre par les merveilleux résultats de la découverte<strong>du</strong> Nouveau-Monde; convaincus d'ailleurs, que partantd'un même point pour se diriger, le premier versl'est,<strong>et</strong> le second vers l'ouest, ils ne parviendraient jamaisà se rencontrer, les deux princes semblent nepas avoir attaché une grande importance à l'observationde c<strong>et</strong>te partie <strong>du</strong> traité.Sans doute, leslimites <strong>des</strong> possessions hispano-lusitaniennesétaient inconnues, <strong>et</strong> le point où devait s'arrêterla juridiction de chaque puissance incertain; mais,en vertu <strong>des</strong> stipulations déjà faites,<strong>et</strong> <strong>des</strong> réserves poséespour l'avenir, l'usurpation d'un territoire par l'une<strong>des</strong> parties ne devait-elle pas cesser dès que l'autresignalerait la position exacte de la ligne séparative ,<strong>et</strong>par conséquent l'injustice <strong>des</strong> prétentions de la partieadverse? Ainsi le dommage ne pouvait <strong>du</strong>rer que l<strong>et</strong>emps nécessaire pour réclamer contre un établissemententrepris contrairement aux conventions,<strong>et</strong> obtenir lafixation de la ligne de partage.Un événement mémorable <strong>et</strong> imprévu ne tarda pas àsusciter de nouveaux démêlés ,en m<strong>et</strong>tant en relief lesprétentions rivales <strong>des</strong> puissances péninsulaires à lasouverain<strong>et</strong>é d'un même territoire. Il s'agissait de ladécouverte de l'archipel <strong>des</strong> Moluques ,où étaient arrivéssous le commandement de Gonzalo Gomez deEspinosa , les navires de l'expédition entreprise parMagellan, après la mort de ce grand capitaine. C<strong>et</strong>tenouvelle parvint en Europe le 6 septembre 1522,parle vaisseau la Victoire, auquel revient l'honneur insigne


24 CONTESTATIONS TERRITORIALES.(l'avoir fait, le premier, le tour <strong>du</strong> monde, <strong>et</strong> le Portugals'empressa de revendiquer la possession de ces îles<strong>des</strong>Épices (de la Especeria), comme situées en dedans<strong>des</strong> limites de ses domaines, <strong>et</strong> comme ayant été déjàdécouvertes par ses suj<strong>et</strong>s.Une nouvelle convention devenait nécessaire. Aprèsbien <strong>des</strong> pourparlers, on décida que <strong>des</strong> commissaireschoisis par les deux cours, seraient chargés de prononcersur la propriété <strong>des</strong> Moluques, d'après le méridienétabli dans le traité de Tor<strong>des</strong>illas. A ces diplomateson adjoignit <strong>des</strong> hommes de l<strong>et</strong>tres, <strong>et</strong> les marinsles plus fameux de l'époque. Parmi ces derniers, on voitfigurer Hernando Colon le second fils <strong>du</strong> célèbre amiral,Sébastian Gaboto, Juan Vespucio <strong>et</strong> quelques-unsde ceux qui étaient revenus sur la Victoria, le témoignage<strong>des</strong> compagnons de Magellan devant peser d'ungrand poids dans la solution de c<strong>et</strong>te question difficile.Le congrès se réunit en el Puente de Caya, rivière quisert de limite aux deux royaumes, sur le chemin deBadajoz à Yelves. Après de longues discussions, il sesépara sans rien décider. Il s'agissait de faire l'application<strong>du</strong> traité de Tor<strong>des</strong>illas, <strong>et</strong> depuis sa signature,de nouvelles conquêtes avaient été faites sur la côteorientale <strong>du</strong> Sud-Amérique. Alvarez Cabrai avait reconnule Brésil; <strong>et</strong> l'infortuné Solis avait payé de sa viela découverte <strong>du</strong> Rio de la Plata, dans lequel il étaitentré en cherchant un passage pour se rendre dansl'océan Pacifique. Dès lors, il n'était plus indifférentpour les deux Couronnes que la ligne-frontière fût reculéevers l'ouest, ou avancée vers l'orient.


,1493—1529. 25Et puis, quelle mesure devait-on employer dans safixation? Le traité avait-il stipulé que les 370 lieues seraient<strong>des</strong> lieues légales de Castille de 26 1/2 ,ou <strong>des</strong>lieues maritimes de 20 au degré , ou bien enfin <strong>des</strong>lieues de 17 1/2 ou 70 milles au degré alors en usagechez les marins espagnols <strong>et</strong> portugais (1)?C<strong>et</strong>te sérieuse difficulté vaincue, laquelle <strong>des</strong> îles <strong>du</strong>cap Vert convenait-il de choisir pour point inchoactif?Fallait-il compter ladistance à partir de la plus orientaleou de la plus occidentale? Prendre l'île<strong>du</strong> Sel oul'île Saint-Antoine, ou bien encore l'île Saint-Nicolas,située au milieu de l'archipel? Et, si l'on se souvientque le traité dont on tentait vainement l'application ,loin d'affaiblir l'autorité <strong>des</strong> bulles pontificales, en avaitau contraire reconnu comme formellement obligatoiresles principales dispositions, on arrive à une série d'objectionstout à fait insolubles.La bulled'Alexandre VI avait confon<strong>du</strong> en un seul<strong>et</strong> même groupe lesîles Açores <strong>et</strong> celles <strong>du</strong> cap Vertquoiqu'il yait entre elles une latitude différentielle de22° <strong>et</strong> une longitude de plus d'un degré; dès lors, ildevenait impossible de m<strong>et</strong>tre d'accord la bulle <strong>et</strong> l<strong>et</strong>raité. Suivre le méridien <strong>des</strong> Açores , c'était laisserde côté celui <strong>du</strong> cap Vert, <strong>et</strong> réciproquement, il n'était(1) M. DE Varnhagen, Historia gérai do Brazil^ <strong>et</strong> Bull<strong>et</strong>in de la Sociétéde géographie^ avril 1858, t. XV, se proDonce pour la lieue de 16 f audegré. Je renvoie à son Examen de quelques points de l'histoire géographique<strong>du</strong> Brésil, <strong>et</strong> aui Considérations géographiques sur l'histoire<strong>du</strong> Brésil de M. d'Avezac, Bull<strong>et</strong>in, t. XIV, 1857, pour les données cosmographiques<strong>et</strong> métrologiques de ces difficiles problèmes , <strong>et</strong> les théoriesproposées pour leur solution.


26 CONTESTATIONS TERRITORIALES. 1493— 1529.pas plus aisé ,grâce à c<strong>et</strong> écart en longitude, de prendrepour point de départ les Açores , comme l'ordonnaitl'acte émané de la puissance papale, <strong>et</strong> de suivre le parallèle<strong>des</strong> îles <strong>du</strong> cap Vert, comme l'indiquait le traité.Pendant que ces négociations traînaient en longueur,grâce aux moyens dilatoires imaginés <strong>et</strong> mis en avantpar les hommes de Loi {leiradoSy disent Jorge Juan<strong>et</strong> Ulloa ), la guerre continuait entre les Portugais <strong>et</strong>les Castillans établis dans l'archipel <strong>des</strong> Moluques, lesuns sur les îles Tidor <strong>et</strong> Gilolo, les autres à Terrenate.Ce fut sur ces entrefaites, que profitant d'un momentoù l'empereur se trouvait à bout de ressources par suitede ses nombreuses entreprises, le roi de Portugal quin'avait pas per<strong>du</strong> de vue l'obj<strong>et</strong> de ses convoitises, <strong>et</strong>qui tenait à ressaisir le riche monopole <strong>du</strong> commerce<strong>des</strong> épices, lui ach<strong>et</strong>a moyennant 3,500 <strong>du</strong>cats d'or,propriété <strong>des</strong> Moluques. Le contrat de vente contenantun pacte de r<strong>et</strong>rovendendo fut signé à Saragosse le22 avrill 529(1).Ainsi s'éteignirent les discussions qui s'étaient élevéessur ce point ; mais il demeura expressément enten<strong>du</strong>qu'il n'était dérogé en rien aux autres dispositionsfondamentales <strong>du</strong> traité deTor<strong>des</strong>illas, qui recevaitde c<strong>et</strong> acte une consécration nouvelle.la(1) JORJE Jdan <strong>et</strong> Ulloa, Disertacion hislorica, <strong>et</strong>c., attribuent h tortpour date à ce traité l'aDoée 1526. Samarem ,Quadro elemenlar das relaçôespolilicas, t. II, p. 46 à 68 ; Garden , <strong>Histoire</strong> générale <strong>des</strong> trailéide paix , t. IV, p. 419; Martens, Supplémenl au recueil <strong>des</strong> traités depaix, Gœttiugue, 1802 à 1808, 4 vol. \q-S\ 1. 1, p. 378 à 422.


CHAPITRE III.COHTESTATIONS TERRITORIALES (suite). — FONDATION DE LA COLONIE DUSAINT-SACREMENT. — TRAITÉ DE LISRONNE ET D'DTRECBT. —CONVENTION DE PARIS. — TRAITÉ DE(1529—1750)MADRID.On le voit,TAmérique laissée à l'écart, n'était pointintervenue dans les démêlés qui avaient divisé les deuxcours. L'Espagne regardait toujours comme appartenantau Portugal, le Brésil, qu'elle supposait situé à l'orient<strong>du</strong> méridien de démarcation. Les deux nations avaient,il est vrai, fondé <strong>des</strong> colonies sur le même continent,mais une telle distance séparait le Pérou de la Terrade Santa-Cruz, qu'elles ne se préoccupèrent pas toutd'abord <strong>des</strong> limites dans lesquelles chacune d'elles pûts'étendre, sans comm<strong>et</strong>tre une usurpation de territoire.Peu à peu les conquêtes s'agrandirent, <strong>des</strong> villesfrnouvelles furent fondées, les centres de population serapprochèrent; <strong>et</strong> il vint un moment où les suj<strong>et</strong>s <strong>des</strong>deux monarchies rivales se trouvèrent en présence.


28 CONTESTATIONS TERRITORIALES.Alors, chaque souverain voulut connaître l'éten<strong>du</strong>e <strong>des</strong>a juridiction transatlantique, <strong>et</strong> les bornes de coloniesqui avaient pris en peu d'années <strong>des</strong> développementsgigantesques, grâce à l'aventureuse énergie de leursfondateurs.Ces contestations nouvelles surgirent à l'occasion del'érection d'une ville dont le vice-roi <strong>du</strong> Brésil , ManoelLobo, j<strong>et</strong>a les premiers fondements sur la riveseptentrionale de La Plata, <strong>et</strong> qui reçut le nom de Coloniado Sacramento (1). Les habitants de Buenos-Ayres ,qui de tout temps avaient regardé leur métropolecomme maîtresse souveraine <strong>des</strong> deux rives <strong>du</strong>fleuve jusqu'à son embouchure, inqui<strong>et</strong>s <strong>du</strong> voisinageimmédiat d'une nation rivale, <strong>et</strong> désireux de rentreren possession d'un territoire dont ils avaient toujoursjoui , adressèrent à leur gouverneur d'énergiques représentations,<strong>et</strong> le mirent en demeure de chasser lesPortugais d'une position qui appartenait à leur roi.Celui-ci se rendit sans peine à ces instances, <strong>et</strong> aprèsavoir adressé à D. Manoel Lobo de vaines réclamations,il attaqua le nouvel établissement <strong>et</strong> s'en empara.Les milices Argentines qui s'étaient mises à ladisposition <strong>du</strong> gouverneur, <strong>et</strong> les Indiens <strong>des</strong> Missions,contribuèrent puissamment au succès de c<strong>et</strong>te entreprise(2), dont la nouvelle parvenue en Europe, hâtala conclusion <strong>du</strong> traité provisionnel que le <strong>du</strong>c de Jovenazo, ambassadeur extraordinaire d'Espagne au-(1) 1679.^2) 7 août 1680. Une cé<strong>du</strong>le royale <strong>du</strong> 16 septembre 1630 avait autorisérarmemcQt <strong>des</strong> ludieos pour repousser les iuvasioos <strong>des</strong> Pauliâtcâ.


1529—1750. 29près <strong>du</strong> prince Régent, négociait alors avec la cour dePortugal.Ce traité signé à Lisbonne le 7 mai 1 681 <strong>et</strong> ratifiépar le Roi Carlos II le 25 <strong>du</strong> même mois, contient dixseptarticles. Il ordonne, en substance, la restitutionde la nouvelle colonie <strong>du</strong> Saint-Sacrement, de sesarmes <strong>et</strong> munitions ; la réintégration <strong>des</strong> prisonniersdans leurs foyers, avec défense à ces derniers d'élever<strong>des</strong> remparts <strong>et</strong> <strong>des</strong> constructions en pierres pour couvrirleur artillerie, <strong>et</strong> d'entr<strong>et</strong>enir <strong>des</strong> relations avecles Indiens <strong>des</strong> Missions espagnoles, <strong>et</strong>c. En mêm<strong>et</strong>emps, les habitants de Buenos-Ayres rentraient dans lajouissance <strong>des</strong> plaines de la rive gauche <strong>du</strong> fleuve.Cesstipulations étaient faites sans préjudice <strong>et</strong> sous réserve<strong>des</strong> droits <strong>des</strong> deux princes à la propriété légitime deces territoires (art. i2), laquelle devait être déterminéed'après le méridien de Tor<strong>des</strong>illas, par <strong>des</strong> commissaireschargés de procéder avec la méthode suivielors <strong>des</strong> négociations infructueuses de 1524.Les conférencesne devaient passe prolonger au delà de troismois, <strong>et</strong> après ce terme, en cas de désaccord, les deuxpuissances s'engageaient à en appeler au Pape dansl'année, <strong>et</strong> à se soum<strong>et</strong>tre à sa décision suprême.Les négociations s'ouvrirent de nouveau sur laRivera de Caya , dans l'Estrama<strong>du</strong>re , le 1 novembre1681, <strong>et</strong> se terminèrent le 22 janvier de l'année suivante,comme celles que la découverte de l'Archipel<strong>des</strong>Moluques avait motivées. Les mêmes causes avaientpro<strong>du</strong>it les mêmes eff<strong>et</strong>s. Les astronomes <strong>et</strong> les géographes<strong>des</strong> deux nations, n'ayant pu se m<strong>et</strong>tre d'ac-


,SiCONTESTATIONS TERRITORIALES.cord sur la solution <strong>des</strong> problèmes scientifiques qu^ilsavaient à résoudre, il devint impossible aux commissairesde s'entendre <strong>et</strong> d'arriver à une conclusion.La Disertacion de Jorge Juan <strong>et</strong> Ulloa, <strong>et</strong> le mémoirede Miguel Lastarria (1) énumèrent en termespleins d'intérêt, les obstacles qui tirent échouer lesnégociations. Je dirai quelques mots de ces obstaclesen regr<strong>et</strong>tant d'être obligé de tourner court sur cepoint.On commença, comme la première fois, par de longuesdiscussions sur le choix de l'île qui devait servirà l'établissement <strong>du</strong> méridien de démarcation, <strong>et</strong> lesEspagnols proposèrent vainement ,pour concilier lesintérêts <strong>des</strong> deux Couronnes , de substituer l'île deSaint-Nicolas située au milieu de l'Archipel <strong>du</strong> CapVert, à l'île Saint -Antoine la plus occidentale d<strong>et</strong>outes. Et, comme les raisons que chaque partie faisaitvaloir à l'appui de ses prétentions, n'étaient nimoins fondées ni moins puissantes que celles de lapartie adverse à l'appui <strong>des</strong> siennes,on convint d'établirdeux lignes de délimitation : la première ayantpour point de départ le centre de l'île Saint-Nicolas;la seconde la pointe occidentale de l'île Saint -Antoine(2). Ceci posé, les cosmographes <strong>et</strong> les astronomesse mirent à l'œuvre <strong>et</strong> commencèrent leurs calculs;mais une difficulté nouvelle ne tarda pas à surgir<strong>et</strong> à les diviser.(1) Biblioteca del Comercio delPlala, 1. 1", p. 138, 202 clsuiv.— J/«.de la B. I. n" 1486, Sup. Fran. u* 2.(2) Lat. N. 17» 5'; LoDg. 0. 27» 45'.


1529—1750. 31Les Espagnols voulaient se servir <strong>des</strong> cartes dresséespar les marins hollandais, tout à fait désintéressés dansledébat qu'il s'agissait de résoudre. Ces cartes étaientalors réputées les plus exactes,c<strong>et</strong>te nation ayant longtempsnavigué sur les côtes <strong>du</strong> Brésil, où elle avait, àune autre époque, possédé <strong>des</strong> établissements importants.Les commissaires portugais proposèrent lescartes dressées par leurs pilotes, <strong>et</strong> firent leurs calculssur celles <strong>des</strong> Teixeira, approuvées par Manoel PimentelVillasboas, qui lui-même siégeait au congrès. Or,ces cartes n'inspiraient aucune confiance aux Espagnols,qui leur reprochaient d'avoir été gra<strong>du</strong>ées pourles besoins de la cause, ou tout au moins d'avoir entraînéle prince D. Pedro à ordonner l'occupation d'unecontrée qu'il regardait, d'après elles,comme comprisedans ses possessions transatlantiques.Nous croyons qu'il n'est pas impossible d'expliquer lesdivergences d'opinion , <strong>et</strong> les résultats contradictoiresauxquels on arriva de part <strong>et</strong> d'autre, sans supposition demauvaise foi, <strong>et</strong> sans adm<strong>et</strong>tre une altération préméditée<strong>des</strong> pièces <strong>du</strong> procès. Les cartes proposées par les deuxparties n'avaient pas pour base <strong>des</strong> calculs astronomiquesrigoureux ; elles avaient été dressées d'après lesitinéraires <strong>des</strong> navigateurs les plus fameux de l'époque.Or, personne n'ignore les différences que présentententre elles l'estime <strong>et</strong> l'observation directe; combiensont incertaines les données d'un itinéraire maritime;<strong>et</strong> puissante l'action <strong>des</strong> courants qui diminuent ouaugmentent notablement les distances, suivant qu'onnavigue dans leur direction ou en opposition avec elle.


32 CONTESTATIONS TERRITORIALES.A la fin<strong>du</strong> xvii^ siècle, l'insuffisance ou Timperfeclion<strong>des</strong> instruments nautiques, les hésitations <strong>et</strong> les tâtonnements<strong>des</strong> marins au milieu de mers encore peuconnues, rendaient toutes ces causes d'erreur assurémentbien plus actives que de nos jours. Aussi, tandisque les astronomes castillans établissaient par leurs calculs,la ligne séparative à 5° 43' à l'est <strong>du</strong> cap de Santa-Maria (1), en comptant les distances de l'île Saint-Nicolas, <strong>et</strong> à 3° 47' en partant de lacôte occidentale del'îleSaint-Antoine, ce qui leur attribuait un territoirebeaucoup plus éten<strong>du</strong> que celui qui était alors en litige jles commissaires <strong>et</strong> les marins portugais la plaçaient,dans le premier cas, à 19 lieues à l'orient, <strong>et</strong> dans lesecond, à 13 lieues à l'occident de la Colonie (2). Lesexplications de résultats aussi divergents ne manquèrentpas, on peut le croire, <strong>et</strong> <strong>des</strong> deux parts on n'oubliapas d'invequer le bon droit, la justice,le désintéressement,<strong>et</strong> de faire valoir la modération de ses prétentions,en même temps que l'excellence <strong>des</strong> preuves surlesquelles on les appuyait. Ainsi que d'ordinaire il ar-(1) Ce cap <strong>et</strong> celui de San-Antonio limitent l'embouchure <strong>du</strong> Rio de laPlaU.(2j VExamen critique d'une nouvelle histoire <strong>du</strong> Brésil ^par M. d'Ave-ZAC (Bull<strong>et</strong>in de la Société de géographie, 4* série, t. XIV, 1857), est aaompagnéd'une carte sur laquelle sont 6gurés les méridiens de démarcationproposés par les géographes <strong>des</strong> deux nations, par M. de Varuhageu <strong>et</strong> parlui. Le plus oriental, calculé pour l'Espagne par Sébastien Cabot, <strong>et</strong> iuscritsur sa mappemonde de 1544, coïncide, sur la côte, avec le tropique <strong>du</strong> Capricorne.La ligue la plus occidentale, déterminée par J. Teiieira , comprenddans les possessions portugaises, le cap Sauta-Maria, la Colonie, lecours <strong>du</strong> Taranà <strong>et</strong> tout le<strong>Paraguay</strong>. La différence entre les deux calculsest de plus de 13 degrés : résultat assez inexplicable de l'art de grouperles chiffres eu matière de longitu<strong>des</strong>!


1529—1750. 33rive, les intérêts opposés ne voulurent entendre à aucuneconcession; chacun demeura ferme dans l'opinion qu'ilavait émise, <strong>et</strong> la négociation en resta là. Les deux souverainseux-mêmes ne paraissent pas avoir exécuté laclause qui les obligeait à soum<strong>et</strong>tre, en dernier ressort,le différend à l'arbitrage de la cour de Rome (1).La Colonia do Sacramento avait été restituée au Portugal(2), mais le traité d'alliance de 1701 si promptementdéchiré par la guerre, qui contenait l'abandonde tous les droits de l'Espagne sur c<strong>et</strong>te place <strong>et</strong> sur l<strong>et</strong>erritoire environnant, jusqu'à une portée de canon <strong>des</strong>es murs, maintenait formellement (art. o) les dispositionsfondamentales <strong>du</strong> traité de Tor<strong>des</strong>illas. A la paixd'Utrecht (3), <strong>et</strong> lors de la convention de Paris (4), onrevint sur la teneur de c<strong>et</strong> article en termes qui ne laissaientpas prévoir l'annulation prochaine d'un pactedont on poursuivait si opiniâtrement l'exécution depuisdeux siècles.Les engagements formels, les assurances données <strong>et</strong>reçues dans lecours de négociations auxquelles avaientpris part les gran<strong>des</strong> puissances de l'Europe ,restaientsans force par delà l'Océan , <strong>et</strong> les hostilités continuaientsur les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata. Des Instruc-(1) Miguel Lastarria {Memoria sobre la linea divisoria, p. 202 de Toditioude Montevideo) dit expressément : Yaunque départe de nueslroSoberano se ocurriô a Roma par la décision, nunca comparecià la dePortugal.(2) Février 1683.(3) 6 février 1715.(4^ 10 mars 1737.3


34 CONTESTATIONS TERRITORIALES.lions précises <strong>et</strong> minutieuses ( 1 ) ordonnaient d'ailleurs,à D. Bruno Mauricio Zavala, gouverneur <strong>et</strong> capitainegénéral de Buenos Ayres, de ne pas perm<strong>et</strong>tre au commandantde la Colonia de sortir de l'enceinte mal définiequi lui avait été assignée; <strong>et</strong> <strong>des</strong> l<strong>et</strong>tres royalesdonnées à Aranjuez le16 avril 1725, approuvaient l'érectionde la ville de Saint-Philippe de Montevideo su i'le terrain en litige. Vers le même temps, Salcedo successeurde Zavala, pour s'opposer plus efficacement àl'intro<strong>du</strong>ction <strong>des</strong> marchandises de contrebande dansles domaines de son maître, investissait laplace portugaise.Les deux Cours, animées <strong>du</strong> désir de faire cesser unétat de choses si préjudiciable à leurs intérêts, résolurent,d'un commun accord, de procéder à la délimitationde leurs possessions transatlantiques. On négociade nouveau, <strong>et</strong> le 13 janvier 1750, D. José de CarvajaJy Lancastre, <strong>et</strong> Tomas da Silva Tellez signèrent à Madrid,un traité de limites composé de 26 articles (2).L'abrogation virtuelle de toutes les conventions antérieures,depuis <strong>et</strong> y compris la célèbre bulle <strong>du</strong> papeAlexandre \ I, jusqu'aux traités dXtrecht <strong>et</strong> de Paris ;(1) Instruction royale dalée de Biien-Rctiro, le 12 octobre 1716; Cé<strong>du</strong>lcroyale <strong>du</strong> 27 janvier 1720.(2) Un tevte espagnol de ce traite se trouve dans la Coleccion de obrasy documentos,eli:.y de Angelis, Bucuos-Ayros, 183(i, t. IV. AJ.dk Santaremla analysé dans son ouvrage intitulé : Quadro eleiiientar das relaçôespolilicas e diplomalicas de Portugal, t. II, p. 233 <strong>et</strong> suiv VHisloire générale<strong>des</strong> Traités de paid', <strong>et</strong>c., t. IV, p. 4.i2 , renferme une tra<strong>du</strong>ctionfrançaise de ce document, faite par M. Koch sur le texte portugais, <strong>et</strong> réviséepar le comte do Gardon d'après io texte espagnol. — Martens, Nm^;-plcmcnt au recueil, t I'', p. 328.


1529—1750. 35la reconnaissance de la souverain<strong>et</strong>é de l'Espagne surles îles Philippines; la consécration <strong>et</strong> la légitimation<strong>des</strong> conquêtes <strong>et</strong> <strong>des</strong> empiétements <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s portugaisdans l'Amazonie, au sud <strong>et</strong> à l'ouest de la province deMato-Grosso : tel est le sommaire <strong>des</strong> trois premiersarticles.L'article 4 contient le tracé de la ligne de séparationdepuis les côtes de l'Océan, à partir de l'embouchure<strong>du</strong> ruisseau qui sort <strong>des</strong> Castillos gran<strong>des</strong>, jusqu'à cellede ribicuy, sur la rive orientale ou gauche de l'Uruguay.J'arrive enfin aux articles 5 <strong>et</strong> 6 <strong>du</strong> traité, qui onttrait à la fixation <strong>des</strong> frontières <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Ils sontainsi conçus :Art. 6.« A partir de l'embouchure <strong>du</strong> Rio Ibicuy, la lignefrontièreremontera le cours de l'Uruguay, jusqu'à larencontre <strong>du</strong> rio Pepiri ou Pequiri, qui se joint à luipar sa rive occidentale. Elle continuera en remontant lecours <strong>du</strong> Pepiri jusqu'à sa principale source, <strong>et</strong> de là,elle suivra par les hauteurs jusqu'à la source principalede la rivière la plus voisine, qui se j<strong>et</strong>te dans leRio-Grande de Curitibà. appelé aussi Iguazù. Ensuitela ligne suivra le cours de l'Iguazù, jusqu'à son confluent avec le Paranà par la rive orientale de ce fleuve,<strong>et</strong> depuis ce confluent ,elle remontera le cours <strong>du</strong> Paranàjusqu'au point où il reçoit le rio Igurey par sarive occidentale. »


36 contestations territoriales. 1529—1750.Art. 6.« La frontière remontera le cours de l'Igurey depuisson embouchure jusqu'à la rencontre de sa source principale,<strong>et</strong> de là, elle ira rejoindre en ligne droite, parles hauteurs (por lo mas alto del terreno), la source principalede la rivière la plus voisine, qui se j<strong>et</strong>te dans le<strong>Paraguay</strong> par son bord oriental, <strong>et</strong> qui doit être celui quel'on désigne sous le nom de Consentes (1). Elle <strong>des</strong>cendrale cours de c<strong>et</strong>te rivière, jusqu'à sa jonctionavec le <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> remontera de là par le lit principaloccupé par les eaux de ce fleuve en temps de sécheresse,jusqu'à la rencontre <strong>des</strong> marais (pantanos) qu'ilforme, <strong>et</strong> que l'on appelle Laguna de los Xarayes, <strong>et</strong>traversant c<strong>et</strong>te lagune, jusqu'à l'embouchure <strong>du</strong> RioJaurù (2). »(1) Que talvez sera el que llaman Corrientes.(2) L'ouvrage intitulé Collecçào de Nolicias para a hisloria e geografiadas naçôes ultramarinas, t. VII, p. 38 <strong>et</strong> suiv., contient <strong>des</strong> Instructionspour l'exécution de ce traité, rédigées en 37 articles <strong>et</strong> signées à Madridle 17 janvier 1751, par les deux Plénipotentiaires José de Carvajal <strong>et</strong>Toraas da Silva Tellez.


CHAPITRE IV.CONTESTATIONS TERRITORIALES (sulte). — SOULÈVEMENT DES INDIENSGUARANIS. — CONVENTION DE 1761.—TRAITÉ DE PARIS. — NOUVELLE GUERRE ENTRE LE PORTUGALET L'ESPAGNE. — TRAITÉ PRÉLIMINAIRE DE LIMITES DE 1777. —CONVENTION DU PARDO.( 1750—1777 )Le traité de 1750, il est aisé de le comprendre, reposaitsur <strong>des</strong> bases tout à fait incertaines, <strong>et</strong> son exécutionsupposait <strong>des</strong> données géographiques que leshautes parties contractantes étaient loin de posséderdans leurs chancelleries, car jusqu'à c<strong>et</strong>te époque,aucune tentative n'avait été faite dans le but de reconnaîtrela frontière intérieure <strong>des</strong> possessions hispanoportugaises.Et d'abord, au méridien de Tor<strong>des</strong>illas, c'est-à-direà une ligne droite,facile à établir par suite <strong>des</strong> grandsprogrès que l'art de la navigation <strong>et</strong> l'astronomieavaient faits depuis lecommencement <strong>du</strong> xviii'^ siècle,


38 CONTESTATIONS TERRITORIALES.on venait de substituer une ligne brisée, tortueuse, quidevait côtoyer <strong>des</strong> rivières dont le nom seul était connu,mais dont la situation douteuse, le cours incertain, <strong>et</strong>les sources problématiques, nécessitaient une reconnaissancepréliminaire <strong>du</strong> terrain, longue <strong>et</strong> difficile. Ils'agissait de parcourir un tracé d'un immense développement,en dépit <strong>des</strong> mille obstacles qu'offre à chaquepas une nature vierge; de traverser <strong>des</strong> forêts impénétrables;de franchir de larges <strong>et</strong> profonds cours d'eau;de repousser les incessantes attaques <strong>des</strong> hor<strong>des</strong> sauvagesau milieu de contrées inconnues, sans ressources, <strong>et</strong> peuplées d'animaux incommo<strong>des</strong> ou dangereux(1).Les Commissaires de 1750 <strong>du</strong>rent créer de toutespièces les cartes dont ilsse servirent dans l'accomplissementde la lourde tâche qu'on leur avait confiée;car les documents recueillis par les Missionnaires leurfurent d'un secours insignifiant. Ces courageux apôtres,absorbés par les soins que réclamaient leurs néophytes,par le louable désir d'étendre leurs conquêtesspirituelles , étaient restés étrangers aux progrès récents<strong>des</strong> sciences naturelles , auxquels devaient contribuerplus tard, les PP. Quiroga ,B. Suarez <strong>et</strong> tantd'autres.Ce fut à eux cependant que les marins <strong>et</strong> lesastronomes envoyés d'Europe, s'adressèrent comme(1) Recor^ocimiento del Rio Pepiri-Guazù por D. José Maria Cabrer,dans : Coleccion de obras y documentos de Angelis, t. IV. Cabrer fait uuepeinture effroyable <strong>des</strong> fatigues qu'il en<strong>du</strong>ra pendant c<strong>et</strong>te reconnaissance,<strong>et</strong> sous le poids <strong>des</strong>quelles le commissaire portugais, sou collègue , faillitsuccomber.


17o0— 1777. 39aux seuls pilotes capables de les guider à travers <strong>des</strong> régionsencore vierges, mais connues d'eux pour les avoirparcourues à l'aide <strong>des</strong> rivières qui lestoutes les directions.On se mit résolument àsillonnent dansl'œuvre, <strong>et</strong> l'on doit au zèle<strong>et</strong> aux lumières <strong>des</strong> commissaires hispano-portugais,<strong>des</strong> travaux d'un haut intérêt, <strong>et</strong> <strong>des</strong> matériaux qui préparèrent<strong>et</strong> rendirent plus facile la tâche si glorieusementremplie par les hommes qui leur succédèrent à lafin <strong>du</strong> siècle.A ces insurmontables difficultés d'exécution, vints'ajouter un événement grave, dont les conséquencesimprévues devaient amener la remiseen vigueur <strong>des</strong>anciens traités, <strong>et</strong> l'abrogation de celui qui les avaitannulés.Nous l'avons dit, en recevant la Colonia, le roid'Espagne avait cédé, suivant les engagements prisdans les négociations d'Utrecht (1), les sept MissionsGuaranies situées sur la rive gauche de l'Uruguay.^'L'article 16 stipulait les conditions de c<strong>et</strong>te cession» qui donnait aux Missionnaires le droit de se r<strong>et</strong>irer del'autre côté <strong>du</strong> fleuve,en emmenant toute la population<strong>des</strong> PuebloSy <strong>et</strong> ce qu'elle possédait. Mais les Indiens refusèrentde se soum<strong>et</strong>tre à c<strong>et</strong>te clause importante <strong>du</strong>traité. Ils prirent les armes, <strong>et</strong> il fallut les forces combinées<strong>des</strong> deux puissances pour les ré<strong>du</strong>ire (1754).Les Missionnaires, qui dans un mémoire habilementrédigé par le P. Lozano, avaient fait à S. M. G. d'é-(1) Alt. 7 <strong>du</strong> Traité.


40 CONTESTATIONS TERRITOUIALES.nergiques représentations contre c<strong>et</strong>te disposition,furentaccusés d'avoir fomenté la révolte. On alla jusqu'àprétendre que leur intervention dans la lutte avait étédécisive, <strong>et</strong> que renouvelant les exploits <strong>des</strong> PP. Romero<strong>et</strong> Mora contre les Paulistes, les Jésuites avaientcon<strong>du</strong>it au feu leurs néophytes. Nous reviendrons surce point intéressant de l'histoire <strong>des</strong> Missions, <strong>et</strong> surc<strong>et</strong>te imputation qui vaut bien la peine d'être discutée.Disons seulement, que le traité de 1750 tacitementannulé depuis plusieurs années, <strong>et</strong> qui ne parait pasavoir reçu un commencement d'exécution sérieuse, futabrogé ouvertement par la convention de 1761 (1).Mais il reste à titre de document historique important,<strong>et</strong> comme le programme <strong>des</strong> grands travaux géodésiquesdont les frontières <strong>du</strong> Brésil <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> allaientbientôt devenir le théâtre. La convention de 1761remit les choses sur le pied où elles étaient avant lasignature <strong>du</strong> traité de 1750, rendant ainsi leur force<strong>et</strong> toute leur vigueur aux dispositions fondamentales<strong>du</strong> traité de Tor<strong>des</strong>illas.Le 3 juin 1762 ,parut le manifeste de Charles "h-,contre le Portugal, <strong>et</strong> la guerre éclata de nouveaucontre les deux puissances. Les Espagnols s'emparè-(rent immédiatement de la Colonia (2), pour se délivrerde voisins dont la présence importune nuisait àleurs intérêts, en m<strong>et</strong>tant obstacle à la navigation <strong>du</strong>Rio de la Plata : toutefois, ils ne la conservèrent pasy(i) Convention <strong>du</strong> 12 février 17G1, entre Joseph I" <strong>et</strong> Charles UI ; ellerenferme trois articles.(2) 30 octobre 1702.


1750—1777. 41longtemps, car aux termes de l'art. 2 <strong>du</strong> traitéde Paris(1),confirmatif de la convention de i761, elle fitbientôt r<strong>et</strong>our à ses fondateurs.En dépit de ce nouveau traité auquel avaient prispart les gran<strong>des</strong> puissances de l'Europe, la bonne intelligencese rétablissait avec peine entre les deux souverainsde la Péninsule, violemment séparés par lePacte de Famille (2), lorsque Joseph P^, l'un d'eux,mourut. L'esprit de conquête, siprononcé à c<strong>et</strong>te époquechez ses suj<strong>et</strong>s,les avait poussés à étendre leurs découvertes<strong>et</strong> àfonder de nouveaux établissements dansla province de Mato-Grosso, en se rapprochant de plusen plus de la vice-royauté <strong>du</strong> Pérou. Les représentationsénergiques <strong>du</strong> supérieur <strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ctions Guaranies,celles <strong>du</strong> capitaine général de Buenos-Ayres n'arrêtaientpas dans leur marche envahissante ces hommesintrépi<strong>des</strong>, qui ,au mépris de dangers sans nombre <strong>et</strong>d'incroyables fatigues, venaient de Saint-Paul trafiqueravec les habitants <strong>des</strong> bords <strong>du</strong> Guaporé ou Itenès.Contre ces empiétements ,le Gouverneur <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>D. Agustino de Pinedo, n'avait pas hésité à employerla force, <strong>et</strong> il avait détruit en i 777 le village de Igatimi,élevé sur la rive droite <strong>du</strong> Paranà (lat. 23° 40).L'Espagne comprit alors que les moyens de persuasion(levaient faire place à d'autres.Tandis qu'une escadresortie de ses ports, s'emparait de l'île Sainte-Cathe-( 1 ) 10 février 1763. Parties contractantes Joseph I'^' , Louis XV,Charles III, <strong>et</strong> Georges lil roi d'Angl<strong>et</strong>erre.(2) 15 août 17()1.


,42 CONTESTATIONS TERRITORIALES.rine (1), en se dirigeant vers la Plata, la reine DonaMaria I faisait <strong>des</strong> ouvertures pacifiques au cabin<strong>et</strong>de Madrid , <strong>et</strong> sollicitait une délimitation <strong>des</strong> possessionshispano - portugaises , basée sur l'exécution<strong>des</strong> traités d'Utrecht <strong>et</strong> de Paris , mais en se servant<strong>des</strong> cartes dressées en commun, par les commissairesnommés en vertu <strong>du</strong> pacte de 1750. L'Espagne nese rendit pas, sans les combattre, à ces propositions.Elle objectait que le traité de Tor<strong>des</strong>illas dont la teneuravait toujours fait loi pour les deux partiesétait encore le seul qu'elles devaient suivre; que sonexécution ne dépendant que d'une série d'opérationsastronomiques, il était bonteux à <strong>des</strong> nations civiliséesde douter qu'il fût possible de déterminer laposition précise <strong>du</strong> méridien de démarcation stipulédans c<strong>et</strong>te convention fondamentale, <strong>et</strong> cela dans unsiècle illustré par les plus remarquables progrès danstoutes les branches <strong>des</strong> connaissances humaines. Quedès lors, il appartenait aux marins <strong>et</strong> aux géographesde fixer les limites <strong>des</strong> possessions transocéaniques <strong>des</strong>deux couronnes, en m<strong>et</strong>tant à profit les observations<strong>des</strong> astronomes les plus distingués de l'époque ;avecl'obligation pour elles de se restituer mutuellement lesterritoires indûment occupés.Enfin, les arguments <strong>du</strong>cabin<strong>et</strong> de Lisbonne , représenté par Don FranciscoInocencio de Souza Coutinho, l'emportèrent, <strong>et</strong> lanégociationdans laquelle intervint personnellement lecomte de Florida Blanca, scellée le 1" octobre 1777 à(1) 20fcvrirr 1777.


1750—1777. 43Saint-Jldefonse, fut ratifiée à l'Escurial le 1 1 <strong>du</strong> mêmemois (1).Plus avantageux à l'Espagne que celuide 1750, c<strong>et</strong>raité lui cédait la Colonie <strong>du</strong> Saint Sacrement, <strong>et</strong> l<strong>et</strong>erritoire environnant ; la reconnaissait souveraine <strong>des</strong>deux rives de la Plata, <strong>et</strong> maîtresse exclusive <strong>des</strong> eaux<strong>et</strong> de la navigation <strong>du</strong> fleuve; lui rendait la propriété<strong>des</strong> Missions de la rive orientale de l'Uruguay, <strong>et</strong> <strong>des</strong>plaines de l'Ibicuy, sans lui imposer d'autre sacrificeque la restitution de l'ile Sainte-Catherine dont elle venaitde s'emparer.Les stipulations relatives aux frontières <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>confirment purement <strong>et</strong> simplement celles de 1750.Elles font l'obj<strong>et</strong> <strong>des</strong> articles 8 <strong>et</strong> 9 de la nouvelle convention.C<strong>et</strong>te ligne-frontière présentait donc tous les inconvénientsde la précédente, dont elle ne différaitpas sensiblement, <strong>et</strong> les commissaires chargés de sadétermination, se trouvèrent bientôt aux prises avecles obstacles qui avaient arrêté leurs devanciers. Onavait choisi pour limites <strong>des</strong> rivières que le défaut presqueabsolu de données topographiques, ou l'inexactitudede celles que l'on possédait , empêchaient de r<strong>et</strong>rouversur le terrain; ou parce qu'elles n'existaient(1) La Coleccion de los Tratados de Espafïa, Madrid, 1796, t. III,renferme le texte espagnol <strong>et</strong> les annexes de ce traité. On en trouve uneautre édition dans la Coleccion de obras y documentos de Angelis, t. IV,Buenos-Ayres, 1836. C'est sur celle-ci qu'a élé faite la tra<strong>du</strong>ction insérée,par extraits , dans nos ^otes <strong>et</strong> Pièces jusiificalives. Nous l'avons revued'après l'analyse donnée en portugais par iM. le vicomte de Santarem,dans le Quadro elemenlar das relaçoes politicas, <strong>et</strong>c. , t. 11 , p. 292.


44 CONTESTATIONS TERRITORIALES. 1750—1777.pas à la place qui leur avait été assignée, ou parcequ'elles ne portaient pas , dans le pays , les noms souslesquels on les avait désignées.Mais en aucun point de la ligne, c<strong>et</strong>te dis<strong>et</strong>te de documentsgéographiques ne fut aussi vivement ressentieque sur les frontières <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.L'un <strong>des</strong> commissaires ,que ses beaux travaux en<strong>Histoire</strong> naturelle ont illustré. Don Félix de Azara, a exposédans sa correspondance officielle,avec c<strong>et</strong>te sagacitéqui distingue tous ses écrits, les difficultés insurmontablesde la mission qui lui avait été confiée, <strong>et</strong>les obstacles nombreux <strong>et</strong> divers à travers lesquels s'esttraînée pendant vingt ans une opération qui ne devaitaboutir à aucun résultat (1). Ce fut vainement que laConvention <strong>du</strong> Pardo (2), en confirmant le traité de1777, prit soin d'expliquer celles de ses dispositionsqui pouvaient paraître ou obscures ou douteuses, àl'aide <strong>du</strong> texte même de celui de 1750.(1) Correspondencia oficial e inedita sobre la demarcarion de limilcsentre el <strong>Paraguay</strong> y el Brasil, dans la Coleccion de obras y documenlospubliée par Angelis, t. IV.(2) 11 mars 1778 ; Tralados de Espaàa, t. UI, p. 251. Martens, Recueil<strong>des</strong> Traités de paùr^ t. 1", p. 709 ( en français). C<strong>et</strong>te convention passéeentre la reine D. Maria I <strong>et</strong> le roi D. Carlos lll, contient 19 articles.


CHAPITRE V.CONTESTATIONS TERRITORIALES (suite <strong>et</strong> fin). — OBSTACLES A L'EXÉCUTIONDU NOUVEAU TRAITÉ. — INSTRUCTIONS ROYALES DE 1778 ET DE )793.— ÉTAT DE LA QUESTION AU COMMENCEMENT DU SIÈCLE.( 1777 — 1801)Les plus insurmontables difficultés provenaient de lateiieur <strong>des</strong> articles 8 <strong>et</strong> 9 qui attribuaient pour frontière-nordau <strong>Paraguay</strong>, les rios Igurey <strong>et</strong> Corrientes.Or, ces cours d'eau les commissaires hispano-portugaisne parvenaient pas à les trouver sur le terrain.Le même obstacle avait arrêté leurs prédécesseursaprès le traité de 1750, mais ils l'avaient éludé, en proposantde substituer le rio Gatimi ou Igatimi au premier,<strong>et</strong> le rio Ipané-Guazù au second (1 ). Reprise <strong>et</strong> proposéede nouveau par legouverneur de Buenos-Ayres, D.JuanJosé Vertiz , c<strong>et</strong>te substitution favorable aux intérêts(l) Car ta de D. Manuel A. de Flores al Marques de Valdelirios , <strong>et</strong>c ,p. 17 el 27 ; dans la Coleccion de obras y documenlos de Angelis, t. IV.


46 CONTESTATIONS TERRITORIALES.portugais fut admise par les cabin<strong>et</strong>s de Madrid <strong>et</strong> deLisbonne, <strong>et</strong> <strong>des</strong> Instructionssens par la cour d'Espagne en 1778 (1).furent expédiées dans ceMais on ne tarda pas à s'apercevoir <strong>des</strong> préjudicesnotables d'un arrangement qui entraînait l'abandon deYquamandiyu, Belen, Conception, <strong>et</strong> laperte <strong>des</strong> immensesVerbales (2) situés au nord de l'Ipané-Guazii.En conséquence un ordre royal <strong>du</strong> 7 avril 1 782, vintfixer le sens de ces Instructions, mais d'une façon toutà fait contradictoire, puisqu'il portait que, nonobstantce qu'elles prescrivaient relativement au tracé de la lignede démarcation, la ville de Conception <strong>et</strong> les autresétablissements devaient rester au pouvoir de l'Espagne :c'était r<strong>et</strong>enir d'une main ce que l'on concédait del'autre.Une contradiction aussi flagrante ne pouvait manquerde fournir aux agents de lapuissance rivale, <strong>des</strong>motifs plausibles de traîner les choses en longueur, ceà quoi ilsn'étaient que trop enclins. Aussi, après avoirrefusé de consentir à la subrogation <strong>des</strong> rios Igurey <strong>et</strong>Corrientes par l'Igatimi <strong>et</strong> l'Ipané , sous prétexte querien ne l'autorisait à déroger aussi ouvertement à une<strong>des</strong> clauses formelles <strong>du</strong> traité , le vice-roi de Rio-de-Janeiro adm<strong>et</strong>tait-il l'exécution de llnstruction royale<strong>du</strong> 6 juin 1778, mais pour le cas seulement où les deuxrivières n'existeraient pas.(1) Instruction royale <strong>du</strong> 6 juin 1778.('.') Forêts où croît le l/o/f , ou Herbe <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>; <strong>du</strong> nom géuériqueespagnol Verha.


1777--1801. klOr, aux yeux <strong>des</strong> ingénieurs portugais, Tlgurey n'étaitautre que le rio Garey ou Acaray, qui se j<strong>et</strong>te dansle Paranà par sa rive occidentale, au-<strong>des</strong>sous de lagrande cataracte, <strong>et</strong> sous le parallèle de 25"* 30'. C<strong>et</strong>teligne, plus préjudiciable encore que la précédente auxintérêts de l'Espagne , lui enlevait de nombreux centresde population, <strong>et</strong> la plupart <strong>des</strong> Yerbales situésentre le Paranà <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>.Azara, par <strong>des</strong> observations qui portent le cach<strong>et</strong> <strong>des</strong>on bon sens habituel , Azara détruisit ces prétentions(i). Pour lui, l'existence <strong>des</strong> deux rivières quiavait donné lieu à de si âpres discussions depuis lasignature <strong>du</strong> traité , n'était pas douteuse. Il fit voird'abord que, malgré l'analogie incontestable qui existaitentre ces deux noms, il était impossible de prendrele rio Garey ou Acaray pour le rio Igurey dontparlait le traité; atten<strong>du</strong> que les négociateurs, en ledésignant comme frontière, avaient la conviction quece cours d'eau, quel qu'il fut,devait se trouver au-<strong>des</strong>susde la grande cataracte (salto grande) <strong>du</strong> Paranà;<strong>et</strong> que les Instructions royales de 1778 reconnaissaientexplicitement c<strong>et</strong>te situation (2).On voit d'ailleurs, ajoutait-il, par les instructionsdonnées aux Commissaires délimitateurs de 1750 (3)(1) Informe del Virey N. de Arredondo à su sucesor, p. 2i ; dans Co^leccion de obras y documentas, t. IV.(2) Voy. Inslruction royale <strong>du</strong> juin 1778, aux Soles el Pièces juslificatives.(3) Outre les Instructions <strong>des</strong> deux Plénipotentiaires José de Carvajal <strong>et</strong>Tonias da Sllva ToMoz , dont il a été parlé <strong>du</strong>is une précédente noie, laCollcfçâo de Holicias , <strong>et</strong>c. H^boa, J8il, t. VII, en contient dautrea dou-


48 CONTESTATIONS TERRITORIALES.(|ue la rivière dont on supposait les sources voisines derigurey devait se j<strong>et</strong>er dans le <strong>Paraguay</strong> en dedans <strong>du</strong>tropique ,circonstance qui n'existe pas pour le Garey,dont les branches d'origine sont plus rapprochées decelles <strong>du</strong> Xejuy qui se joint au rio <strong>Paraguay</strong> par 24° 12'de latitude, c'est-à-dire en dehors de la zone équatoriale,en laissant au nord les villes de Yquamandiyu,Conception, Belen, <strong>et</strong> les Verbales les plus riches de laprovince.Azara démontra ensuite que le rio Iguarey ou Yaguarey,était celui que les plénipotentiaires avaient vouludésigner sous le nom d'Ygurey, <strong>et</strong> les raisons assurémenttrès-plausibles sur lesquelles ilappuie sa manièrede voir, sont les suivantes :C<strong>et</strong>te rivière bien connue <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s <strong>des</strong> deux nations,se j<strong>et</strong>te dans leParanà par sa rive droite sous les 22° 30'de latitude,c'est-à-dire au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> Salto <strong>et</strong> par troisembouchures. Le volume considérable de ses eaux,enfait une ligne-frontière toute naturelle.La différence entre les noms Igurey <strong>et</strong> Iguarey est sifaible, qu'on peut la considérer comme le résultat d'unefaute de copiste dans le texte <strong>des</strong> traités, ou d'une erreurde lacarte dont on s'est servi pour leur rédaction.Et d'ailleurs,le mot Igurey n'a aucun sens en guarani,tandis que les mots Yaguarey <strong>et</strong> Iguarey y sont d'unusage très-fréquent.Enfin, l'examen <strong>des</strong> itinéraires <strong>et</strong><strong>des</strong> cartes dressésnées dans l'île Martiu-Garcia, le 30 raai 1753, par les commissaires priuci*paux Gomez Freire de Andra<strong>du</strong> <strong>et</strong> le Marquis de Valdelirios.


,1777—1801. 49en vue de l'exécution <strong>du</strong> traité de 1750, démontre queles sources de cerio Iguarey, sont les plus rapprochéesde celles d'un autre cours d'eau large <strong>et</strong> profond ,quise joint au <strong>Paraguay</strong> par sa rive gauche sous les 22° 4'de latitude,près de quelques pics {cerros) auxquels lesCommissaires donnèrent le nom à'Itapucu (1 ).Or, c<strong>et</strong>tecirconstance <strong>et</strong> d'autres encore rapprochées <strong>des</strong> termesde la convention , les avaient déterminés à le regardercomme étant le rio Corrientes proposé par les plénipotentiaires.C'est sous ce nom que, d'un commun accord,ils le désignèrent sur leurs cartes, quand ils remontèrentleRio-<strong>Paraguay</strong> jusqu'à l'embouchure <strong>du</strong> Jaurù,avant de reconnaître lerio Igatimi. C<strong>et</strong>te ligne présentaitenfin ce dernier avantage de laisser un large espaceinhabité, <strong>et</strong> peu habitable à cause <strong>des</strong> inondations,entre les centres de population dépendant <strong>des</strong> deuxcouronnes, les plus rapprochés (2).Les Observations d'Azara avec une carte à l'appui,adressées à Madrid par le vice-roi de Buenos-Ayresfurent approuvées, <strong>et</strong> un ordre royal <strong>du</strong> 6 février 1793,en annulant les Instructions de 1778, décida que lafrontière ne devait plus passer par les rios Igatimi <strong>et</strong>Ipané-Guazù, mais qu'elle suivrait les rios Iguarey ouYaguarey, <strong>et</strong> Corrientes.C<strong>et</strong>te résolution qui conciliait leurs intérêts, n'obtintpas cependant l'assentiment <strong>des</strong> deux parties.Auxyeux <strong>des</strong> Ingénieurs portugais, les Observations d'Azara,,(1) Ita-pucu, Pierre-lougue.(2) Informe del Virey Arredondo, p. 21 <strong>et</strong> 22; Correspondencia oficialde Azara^ p. 15 el suiv.4


50 CONTESTATIONS TERRITORIALES.quoique revêtues de lasanction royale, étaient de simplesconjectures en dehors de la l<strong>et</strong>tre <strong>du</strong> traité, <strong>et</strong>qui par cela même, leur laissaient le droit d'en faired'autres.Sur plusieurs points de la ligne , <strong>des</strong> contestationsanalogues s'élevaient au suj<strong>et</strong> de Varroyo Chuy, <strong>des</strong>rivières Piralini <strong>et</strong> Yaguaron, <strong>et</strong> le cours de l'opérationse trouvait suspen<strong>du</strong>. En même temps, il s'agissait dereconnaître les rios Pepiri-Guazù <strong>et</strong> San -Antonio(art. 8), <strong>et</strong> le commissaire espagnol. Cabrer, bravaitseul les dangers <strong>et</strong> les fatigues excessives d'unpareil travail,son collègue ayant été mis promptementhors d'état de lesuivre.En un mot, sur toute l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> tracé l'opérationprise, abandonnée <strong>et</strong> reprise, traînait en longueur<strong>et</strong> menaçait de ne jamais aboutir à un résultat de natureà satisfaire les deux puissances, faute d'instructionsprécises. Or, il était impossible d'en donner, caron marchait à l'aventure sur un terrain inconnu. Lesvice-roisde Buenos-Ayres <strong>et</strong> de Rio-de-Janeiro sollicitaientà Madrid <strong>et</strong> àLisbonne la solution de difficultéschaque jour nouvelles :<strong>et</strong> les hasards d'une navigationlongue <strong>et</strong> difficile;la lenteur avec laquelle se traitaientalors les affaires; l'obligation pour les deux Cours <strong>des</strong>e concerter, <strong>et</strong> de prendre de communes résolutionssur les points en litige;tout contribuait à amener cesr<strong>et</strong>ards décourageants dont Azara se plaint si amèrementdans ses l<strong>et</strong>tres.II faut ajouter, pour tout dire, que de secr<strong>et</strong>s intérêtsqui avaient bien leur importance , conspiraient


,1777—1801. 51aussi contre rachèvement de c<strong>et</strong>te œuvre considérable,si laborieusement poursuivie depuis plusieurs siècles.Les Espagnols ont vivement reproché à leurs adversaires,dans une foule d'écrits, d'avoir par une apathiecalculée <strong>et</strong> leur mauvais vouloir, enrayé les opérations,<strong>et</strong> d'avoir ainsi obtenu, de guerre lasse, l'abrogationtacite d'un traité qui les obligeait à la restitution<strong>des</strong> territoires immenses qu'ils avaient usurpésavant <strong>et</strong> depuis sa conclusion. Mais il est permis decroire, après la lecture <strong>des</strong> pièces nombreuses de celong procès, que l'Espagne, alors même qu'elle consentait,à contre-cœur il est vrai , à la cession de contréesdont elle se regardait comme souveraine, préparaiten même temps , les moyens de les reconquérirà la première occasion favorable. Ainsi, le capitainegénéral de la province brésilienne de Mato-Grosso,avait fait acte d'occupation sur la rive occidentale <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, en fondant Albuquerque (1) <strong>et</strong> Nova Coïmbra(2) dans le voisinage <strong>des</strong> Missions de Moxos <strong>et</strong> deChiquitos , le fort do Principe de Beyra , sur le bordoriental <strong>du</strong> Guaporé ou Iténès, pour commander lecours de c<strong>et</strong>te rivière, <strong>et</strong> avancé de 20 lieues vers lesud le chemin de Cuyabà à Mato-Grosso; en mêm<strong>et</strong>emps, il avait élevé l'établissement de Casalbasco surle rio Barbados (3).(1) Aujourd'hui Corumbà , en 1778. Lat. 19" 0' 8"; <strong>et</strong> d'après Azara18° 52'. Long. 59» 56' 45".(2) En 1775. Lat. 19" 57 ; <strong>et</strong> d'après Azara, \^^ 53'. Long. 00° 1'.(3) M. A. d'Orbigny {Fragment d'un voyage au centre de V Amériqueméridionale , i yoI. iu-8. Paris, 1845), <strong>et</strong> Azara dans ses cartes, placent


,52 CONTESTATIONS TERRITORIALES.Le vice-roi de Buenos- Ayres informé de ces empiétements,ne cessait d'adresser <strong>des</strong> plaintes, <strong>et</strong> d'énergiquesmais inutilesréclamations aux autorités portugaisesde Rio-Grande <strong>du</strong> Sud <strong>et</strong> de Rio-de-Janeirotout en sollicitant à Madrid l'autorisation d'employer<strong>des</strong> moyens de répression plus efficaces. Alors, un ordreroyal <strong>du</strong> 1 1 juin 1791 ,prescrivit la fondation de quelquespostes militaires au sud <strong>du</strong> Piratini, <strong>et</strong> sur lesdeux rives <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, entre la ville de Conception <strong>et</strong>les nouveaux établissements portugais.A partir de c<strong>et</strong>te époque, l'exécution <strong>du</strong> traité paraîtabandonnée : la question séculaire <strong>des</strong> Limites changede caractère; les deux puissances semblent uniquementpréoccupées , l'une <strong>du</strong> soin d'agrandir ses immensesdomaines, l'autre <strong>des</strong> moyens de défendre les sienscontre les usurpations de sa rivale.Dans ce but , le vice-roi Arredondo fonde trois fortssur la frontière N. E. de la Banda oriental, <strong>et</strong> faitcroiser une chaloupe de guerre dans la Laguna mirim ;le gouverneur <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> établit le fort Bourbon dansle Grand-Chaco.Un peu plus tard,les Ingénieurs espagnols quittentles provinces septentrionales de la vice -royauté deBuenos-Ayres pour reconnaître celles <strong>du</strong> sud , <strong>et</strong> réunissentde précieux documents géographiques sur lesPampas, infinis comme l'Océan <strong>et</strong> jusqu'alors inconnus.tous les deux Casalbasco en dehors <strong>des</strong> limites <strong>du</strong> Portugal ;mais, d'aprèsle premier il serait situ(^ sur la rive gauche, <strong>et</strong> d'après le secoud sur larive droite <strong>du</strong> vio Darbados,


1777—1801. 53Bientôt une révolution mémorable éclate en Europe ;<strong>des</strong> guerres générales se succèdent, <strong>et</strong> les deux Coursoublient leurs différends américains ,pour ne songerqu'à la défense <strong>et</strong> au salut de la Péninsule menacéepar les armées françaises. Enfin, dès le commencement<strong>du</strong> siècle, la guerre encore <strong>et</strong> les événements <strong>politique</strong>smodifient le tracé de la frontière hispano-portugaise,sinon dans la partie qui concerne le <strong>Paraguay</strong>, <strong>du</strong> moinsdans celle qui a trait aux Missions, puisque, de nosjours , l'Empire <strong>du</strong> Brésil s'étend jusqu'à l'Uruguay,<strong>et</strong> possède les sept Pueblos qui lui avaient été cédésen 1750. En faisant l'histoire de ces établissements célèbres, nous reviendrons sur c<strong>et</strong>te infraction au traitépréliminaire de 1777, <strong>et</strong> à la clause de garantie réciproquestipulée dans le traité d'Amitié <strong>et</strong> de Commerce<strong>du</strong> 11 mars 1778 (1).(1) La déclaration de guerre <strong>du</strong> Portugal à l'Espagne, alors l'alliée [dela France, à l'instigation de l'Angl<strong>et</strong>erre , est <strong>du</strong> 24 mai 1801 : les Portugaisenvahirent, celte année-là même, le territoire <strong>des</strong> Missions delà rivegauche de l'Uruguay, <strong>et</strong> l'ont conservé depuis c<strong>et</strong>te époque.L'examen de la <strong>politique</strong> extérieure <strong>du</strong> président Lopez , nous fourniraplus tard l'occasion de reparler <strong>des</strong> négociations qu'il a entamées, à plusieursreprises , avec le Brésil, dans le but d'arriver à la fixation de lafrontière nord <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Ces négociations n'ont pas été terminées parles conférences tenues à Rio-de-Janeiro, en mars <strong>et</strong> avril 1856, entre l'Envoyéde la république, <strong>et</strong> le Ministre <strong>des</strong> affaires étrangères de l'empire. Ilr/sulte seulement de la teneur <strong>des</strong> protocoles, que le gouvernement brésilienaurait concédé la ligne formée par les rios Apa <strong>et</strong>lgatimi, le <strong>Paraguay</strong>revendiquant toujours celle <strong>des</strong> rios Blanco <strong>et</strong> Igurey ou Ivenheima. Il fautlouer le cabin<strong>et</strong> de Rio de la modération dont il a fait preuve dans ces nouvelles<strong>et</strong> toujours infructueuses tentatives de conciliation , en renonçantaux prétentions émises, en pleine assemblée parlementaire, par l'honorableM. Pimenta Bueno vvoy. chap. 1", pag. 5, <strong>et</strong> pag. 7, à la note ). Le jouroù le président Lopez se montrera animé <strong>des</strong> mêmes sentiments, l'interminablequestion <strong>des</strong> Limites aura fait un pas décisif vers sa solution.


CHAPITRE VI.OROGRAPHIE. — CONFIGURATION ET COMPOSITION DD SOL.Les hardies explorations <strong>des</strong> voyageurs modernes, ontramené à <strong>des</strong> proportions plus exactes, l'altitude exagéréepar les géographes, <strong>des</strong> chaînes de montagnes <strong>et</strong><strong>des</strong> plateaux au milieu <strong>des</strong>quels naissent entrelacés lespremiers sous-affluents de la rivière <strong>des</strong> Amazones, <strong>et</strong>ceux de la Plata. Des 14° aux 19° de latitude, la cordilière<strong>des</strong> An<strong>des</strong> envoie vers l'est <strong>des</strong> prolongementsqui par une longue séried'étages superposés, vont seréunir au système orographique <strong>du</strong> Brésil.Toutefois, l'ensemble de ces ramitlcations qui serpentententre les bassins <strong>des</strong> deux plus grands coursd'eau <strong>du</strong> Sud-Amérique, n'est pas continu. Iloffre d'abor<strong>du</strong>ne large échancrure, au fond de laquelle coulentle Rio-Grande de Santa -Cruz <strong>et</strong> les autres affluents


OROGRAPHIE. CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 55(lu Mamoré ,qui , nés sur le versant oriental <strong>des</strong>An<strong>des</strong> Boliviennes, se dirigent au nord vers la valléede l'Amazone. De ce côté, la pente <strong>du</strong> massifaboutit à <strong>des</strong> plaines élevées (Campos dos Parecis) aumilieu <strong>des</strong>quelles apparaissent les branches d'origine<strong>des</strong> rios Tapajos <strong>et</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les premières prennentune direction N. pour se rendre comme les précédentsdans la grande vallée transversale qui livre passage auxeaux majestueuses de l'Amazone, ce roi <strong>des</strong> fleuves ;vallée dont on r<strong>et</strong>rouve jusqu'à un certain point l'analoguedans le Saint-Laurent <strong>et</strong> les grands lacs <strong>du</strong> N. E.<strong>des</strong> États-Unis :nous verrons tout à l'heure la direction<strong>des</strong> secon<strong>des</strong>.Du côté <strong>du</strong> S.0. la pente <strong>du</strong> massif est plus rapide.Elle paraît se terminer assez brusquement sous le19^ parallèle, dans les plaines de la province de Chiquitos.Vers l'E.S. E. s'étendent les chaînons souventinterrompus qui vont se souder au système brésilien.En devenant plus australes, ces chaînes secondairess'abaissent,<strong>et</strong> leur diamètre transversal se rétrécit. Lesplaines <strong>du</strong> milieu <strong>des</strong>quelles elles surgissent , <strong>et</strong> dontelles interrompent l'horizontalité,s'abaissent peu à peuelles-mêmes , <strong>et</strong> finissent par se confondre avec lessavanes noyées <strong>du</strong> Grand-Chaco, avec les plaines <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, de Santa-Fé , de Corrientes ,pour s'unirenfin aux Pampas <strong>du</strong> Rio de la Piata.Cependant la ligne N. <strong>et</strong> S. que tracent successivementles affluents <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, le Rio-<strong>Paraguay</strong> luimême,<strong>et</strong> le Paranà, semble limiter <strong>du</strong> côté de TE. unelarge bande au delà de laquelle le sol commence à


,56 OROGRAPHIE.s'élever par une série de pentes alternatives ,qui donnentnaissance ade nombreux cours d'eau, jusqu'auxmontagnes basses <strong>du</strong> Brésil. Du côté <strong>du</strong> N. N. E., cesreliefs <strong>du</strong> sol de plus en plus prononcés, vont sesouderpar les prolongements de la Serra dos vertentes àla Serra do Espinhaço^ que le colonel Escbwege regardecomme la cbarpente osseuse <strong>du</strong> Brésil ,<strong>et</strong> dont l'agencementgéologique n'estpas parfaitement connu. Versl'E. S. E. lesplateaux <strong>et</strong> les crêtes s'élèvent gra<strong>du</strong>ellementjusqu'à larencontre de la Serra Gérai ou do Mar,à laquelle ils aboutissent.La vallée <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong> assez étroite àl'origine<strong>et</strong> dans le cours supérieur <strong>du</strong> fleuve, contourne l'extrémitéorientale <strong>des</strong> montagnes de Chiquitos, prendensuite une direction N. 0. vers la province deMoxos,<strong>et</strong> communique par là avec la vallée de l'Amazone.Elle s'élargit à partir <strong>du</strong> 19® degré,mais inégalement.Sur la rive droite les Sierras (1) de San-José, de San-Lorenzo <strong>et</strong> de San-Juan,rameaux <strong>du</strong> système chiquitien,résultat <strong>du</strong> dernier <strong>des</strong> trois soulèvements auxquelsles géologues attribuent l'émersion <strong>du</strong> Brésil,s<strong>et</strong>erminent assez loin <strong>du</strong> fleuve <strong>et</strong> ne paraissent pas s'avancerau delà <strong>des</strong> 60° de longitude, contrairement àl'opinion d'Azara (2). Sur sa rive gaucbe les montagness'en rapprochent davantage; aussi ses inondations pé-(1) sierra, chaîne de montagnes escarpées.{2) Voy. A. d'Orbicny, Fragment d'un voyage au centre de l'Amériqueméridionale, in-8, Paris, 1815 ; <strong>et</strong> les cartes de l'atlas qui accompagne lesVoyages dans l'Amérique méridionale <strong>du</strong> célèbre naturaliste espagnolParis, 1809.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 57riodiques s'élendent-elles beaucoup moins de ce côté.Ces hauteurs d'abord isolées (Jomas), puis contiuues(lomadas) , s'allongent vers l'E., s'élèvent de plus enplus, <strong>et</strong> atteignent bientôt une chaîne centrale dirigéeN. <strong>et</strong> S., <strong>et</strong> ayant en moyenne un degré de largeur.C<strong>et</strong>te chaîne porte au <strong>Paraguay</strong> le nom de Cordilhrade I(ts montes, <strong>et</strong> dans les cartes celui de Sierra Amambay,de San-José, ou de Maracayù (1 ). Du côté <strong>du</strong>nord, elle se continue avec les Sierras Gallano, Blanca,<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te série plus ou moins interrompue de montagnesque la plupart <strong>des</strong> géographes considèrent comme l<strong>et</strong>rait d'union entre la Cordilière <strong>des</strong> An<strong>des</strong> qui longerOcéan Pacifique, <strong>et</strong> la chaîne qui côtoie, sous le nomde Serra Gérai ou do Mar, les rivages de l'i^tlantique.A partir <strong>des</strong> 21 % le faîte de la Cordillera de los montesou de Maracayii se trouve placé sous les 58° de longitude.Les cours d'eau qui <strong>des</strong>cendent de son versantoccidental vont se réunir au Rio-<strong>Paraguay</strong> après uncourt traj<strong>et</strong>; ceux <strong>du</strong> versant oriental se rendent au Paranà,au delà <strong>du</strong>quel le terrain recommence à s'éleverjusqu'aux chaînes <strong>du</strong> Brésil , souvent entrecoupées devallées larges <strong>et</strong> profon<strong>des</strong> au milieu <strong>des</strong>quelles coulent,à travers <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> cataractes, les riosCuritiba <strong>et</strong>Tiété aftluents <strong>du</strong> Paranà ; <strong>et</strong> l'Uruguay quipar les 34° 20' de latitude, concourt à la formation<strong>du</strong> vaste estuaire connu sous le nom de Rio de laPlata.(1) Les Jésuites dans quelques manuscrits écrivent Mbaracayù; cequi me paratt plus conforme à la prononciation de ce mot d'origine guaranie.


58 OROGRAPHIE.Sous les 24* la Cordillera envoie vers l'est un prolongementqui forme au milieu <strong>du</strong> lit <strong>du</strong> Paranà unedigue à travers laquelle le fleuve s'est frayé avecpeine un passage. C<strong>et</strong> entassement de roches, image<strong>du</strong> chaos, sur lequel les eaux se brisent avec un épouvantablefracas, a reçu le nom de grande cataracte(saho grande) (1).Au nord de Yilla-Rica, entre les 25 <strong>et</strong> 26" de latitude<strong>et</strong> sous les 58" 30' de longitude, une autre branchese détache de la Sierra de Maracavù , <strong>et</strong> suivant unedirection 0. N. 0. aboutit au Rio-<strong>Paraguay</strong>. Nous yreviendrons.C<strong>et</strong>te chaîne se termine elle-même dans la partie sudorientale<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> vers les fl''de latitude par unesuite de collines continues d'abord, puis interrompues,qui vont toujours en s'abaissant à mesure qu'ellesdeviennent plusaustrales.Il résulte de c<strong>et</strong>te disposition ,qu'une ligne tirée<strong>du</strong> N. 0. au S. E., de l'Assomption à la ville de l'Incarnationsur le Paranà, diviserait le <strong>Paraguay</strong> en deuxparties inégales; l'une N.E. au sol accidenté, montueux<strong>et</strong> couvert d'épaisses forêts (montes] (2); Tautre S. 0.beaucoup moins éten<strong>du</strong>e que lapremière, triangulaire,plane ou mollement on<strong>du</strong>lée, comprise entre les rios(Ij Lat. 24» 4' 8". Long. 56° 55'. Voy. Hydrographie <strong>et</strong> navigation fluviale.(2) Ou désigne plus parliculièrcment par « montes » los forêts où croitl'arbre qui fournit le .Mate ^ ou Thé <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les plus rcuonimcessous ce rapport, sont celles de la Cordillera de Maracayù , d'où les Jésuitestirèrent les graines h l'aide <strong>des</strong>quelles ils iiitrodiiisirrnt la culturede ce précieui vcgotal dans leurs Rt<strong>du</strong>ctious.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 59<strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> Paranà, <strong>et</strong> souvent inondée dans leurs cruespériodiques. Par ce dernier caractère, par sa constitutiongéologique <strong>et</strong> les caractères de sa flore , c<strong>et</strong>te sectionméridionale présente l'aspect <strong>des</strong> llanos <strong>du</strong> Grand-Chaco, qui semble ainsi reparaître à l'orient <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>. On peut donc trouver, jusqu'à un certainpoint, dans la configuration orographique de la Républiqueparaguayenne, une transition entre le sol inégal<strong>et</strong> montueux <strong>du</strong> Brésil, <strong>et</strong> les plaines unies <strong>du</strong> Chacoque continuent les Pampas <strong>du</strong> sud.Nous verrons plustard le sol <strong>des</strong> Missions — à l'exception de la p<strong>et</strong>itepartie comprise dans le triangle que nous venons de décrire— se composer de campos quebrados,c'est-à-direde plaines on<strong>du</strong>lées , coupées de collines continues,ou alternant avec <strong>des</strong> mornes isolés, <strong>et</strong> arrosées par denombreux ruisseaux qui en font le pays le plus fertile<strong>et</strong> le plus propre à l'élève <strong>du</strong> bétail.L'borizontalité <strong>des</strong> plaines <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> méridional,est interrompue par <strong>des</strong> élévations arrondies comme<strong>des</strong> segments de gran<strong>des</strong> spbères (lomas, tierras alias),à pentes douces, <strong>et</strong> couvertes de graminées. On les rencontreen grand nombre au bord <strong>des</strong> rivières <strong>et</strong> <strong>des</strong>fleuves, <strong>et</strong> près de leur jonction. N'étant jamais inondées,on les dirait créées pour servir de refuge aux animauxdans les plus fortes crues. A mesure que <strong>du</strong>S. 0. on avance vers le N. E. on remarque que l'altitudede ces lomas augmente, que leur aspect <strong>et</strong> leurscaractères géologiques se modifient. Les plus hautessont boisées;elles s'élèvent à 30 ou 40 mètres au-<strong>des</strong>sus<strong>des</strong> plaines environnantes. Plus près encore de la


60 OROGRAPHIE.chaîne de Maracayù, les monticules tantôt isolés encore,le pins souvent soudés les uns aux autres, affectent<strong>des</strong> formes irrégulières. Ils représentent ou <strong>des</strong>cônes tronqués ,ou <strong>des</strong> masses allongées <strong>et</strong> à dos d'âneavec une pente abrupte, presque à pic, <strong>et</strong> montrant laroche à nu <strong>du</strong> côté qui regarde le N. <strong>et</strong> le N. E. ; lapente est plus faible sur le versant S. S. 0. Ils revêtentainsi peu à p^u les caractères de la chaîne à laquelleilsvont se réunir.Ces segments de sphères, plus nombreux encoredans le nord <strong>du</strong> pays, près de Yilla-Real <strong>et</strong> sur lesbords de l'Aquidabanigy, en devenant plus serrés,laissent entre eux <strong>des</strong> vallées de plus en plus étroites ,qui livrent passage à <strong>des</strong> ruisseaux qui <strong>des</strong>cendent dansla plaine où ils forment <strong>des</strong> marais {esteras) avant deverser leurs eaux dans les artères principales.La Cordillera de los montes a une hauteur absoluequi ne paraît pas considérable ; elle atteint sonmaximum d'élévation aux frontières <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,sous les 21 <strong>et</strong> 22"* de latitude. Elle n'offre, dansson traj<strong>et</strong>, aucune de ces saillies qui atteignent, dansles An<strong>des</strong>, <strong>des</strong> proportions si grandioses. Elle présenteune suite de cônes tronqués <strong>et</strong> de pics sur lesquels ontrouve la roche dénudée <strong>et</strong> en décomposition. Cescrêtes assez rapprochées, couvertes d'une épaisse végétation,en ne perm<strong>et</strong>tant pas a la vue de s'étendre ,impriment au paysage un cach<strong>et</strong> de sévérité triste, <strong>et</strong>lui donnent un aspect sauvage <strong>et</strong> monotone (1). Elles(1) Rengger, Reisenach <strong>Paraguay</strong>, p. 15.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 61ferment <strong>des</strong> vallons étroits,sans direction bien déterminéeà leur origine, mais quien s'élargissant se dirigentsoitàl'O., soit à l'E. Ce sont autant de p<strong>et</strong>its bassinsdont les eaux prennent leur cours vers de largesvallées à pente douce, <strong>et</strong> dont le fond est coupé par <strong>des</strong>rivières profon<strong>des</strong>, mais peu rapi<strong>des</strong>, qui couvrent àd'assez gran<strong>des</strong> distances le pays d'alentour de maraisimpraticables (esteros, banados).Du côté de l'occident, les vallées principales quiaboutissent au Rio-<strong>Paraguay</strong> sont celles<strong>du</strong> Xejuy, del'Ypané-Guazù, de l'Aquidabanigy <strong>et</strong> de l'Apa ou Corrientes.Les valléesYaguary se dirigent de l'O. à l'E.de l'Igatimi, de l'Amambay <strong>et</strong> <strong>du</strong>vers le Paranà. Leurpente est plus roide , <strong>et</strong> les bords plus élevés <strong>des</strong>rivières ne sont plus submergés par les eaux.Après avoir envoyé le prolongement qui forme lesalto grande <strong>du</strong> Paranà , la Sierra suit une directionS. S. 0. jusqu'à Villa-Rica. Dans ce traj<strong>et</strong>, elle présenteune crête en dos d'âne assez étroite, rarementinterrompue par quelque pic plus élevé, <strong>et</strong> dont l'altitudediminue progressivement. Le versant orientalva rejoindre, par une pente douce coupée de lomas,la vallée <strong>du</strong> Paranà dont leseaux coulent sur fond deroche; le versant occidental offre à l'œil <strong>des</strong> inclinaisonsplus rapi<strong>des</strong>, auxquelles succèdent les plaines éten<strong>du</strong>esqui séparent c<strong>et</strong>te chaîne <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> les enteroaau milieu <strong>des</strong>quels se perdent les ruisseaux qui s'échappentde ses flancs. A partir de Villa-Rica la Sierra s'élargit<strong>et</strong> s'abaisse. Elle se continue depuis les 26** 30'de latitude, sous la forme de ces collines tantôt boisées.


62 OROGRAPHIE.tantôt nues , dont nous avons parlé ,qui , en se rapprochanttoujours (lela rive occidentale <strong>du</strong> Paranà suivantune direction S. S. E., finissent par disparaître dans levoisinage <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> situés sous les 58° 54' de longitude,<strong>et</strong> qui ont reçu le nom de p<strong>et</strong>ite cataracte (saltochico).Les dernières ramifications de la Sierra,en exhaussantainsi la rive droite <strong>du</strong> Paranà, ont pour eff<strong>et</strong>de lam<strong>et</strong>tre à l'abri <strong>des</strong> eaux ; <strong>et</strong> sur toute leur éten<strong>du</strong>e ,le débordement s'effectue suivant <strong>des</strong> lois qui m'ontparu différentes de celles qui président aux inondations<strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>. Dans ce dernier fleuve,<strong>et</strong> submerge les rives,l'eau monteparce que leur élévation peu considérablea beaucoup d'uniformité. Quelques pointsseulement apparaissent comme <strong>des</strong> îlots,à de gran<strong>des</strong>distances au-<strong>des</strong>sus de la nappe liquide : l'inondationest directe.Le lit <strong>du</strong> Paranà plus profond <strong>et</strong> souvent creusé dansle roc vif, perm<strong>et</strong> à son niveau de s'élever davantagesans que le fleuve déborde : bientôt il ne peut plusrecevoir le tribut de ses affluents,dont les eaux s'accumulentpeu à peu <strong>et</strong> finissent par submerger les plainesqu'ils traversent. Plus tard , le Paranà continuant àgrossir, sort de son lit, mais il en sort par le lit même<strong>des</strong> ruisseaux qu'il recevait. Il trouve là ,pour ainsidire, autant de brèches à travers lesquelles il s'échappe,en ne couvrant larive que sur de p<strong>et</strong>ites surfaces.Quelques mots sur le prolongement qui se détachede la chaîne principale, au nord <strong>et</strong> à quelques lieues deVilla-Rica. Au point de séparation, le faîte de c<strong>et</strong>te


CONFIGURATIOiS ET COMPOSITION DU SOL. 63chaîne est surmonté de cônes <strong>et</strong> de pyrami<strong>des</strong> dontl'altitude maxima peut être évaluée à 300 mètres. Lahauteur <strong>du</strong> plateau diminue à mesure qu'il s'avancesuivant une direction 0. puis N. 0. jusqu'au Rio-<strong>Paraguay</strong>,où il paraît se terminer en partie par une aiguillede roc vif qui coupe le lit <strong>du</strong> fleuve, <strong>et</strong> <strong>des</strong> récifscachés par ses eaux; en partie par <strong>des</strong> élévations isoléesau milieu <strong>des</strong> plaines <strong>du</strong> Grand-Chaco.Parvenueà l'extrémité orientale <strong>du</strong> lac Ypacarahy,dont les eauxne sont séparées que par une bande étroite de terre <strong>du</strong>pied de la falaise, la Cordillera s'abaisse assez rapidement,<strong>et</strong> sa crête reste parfaitement horizontale. Elleferme <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> nord une vallée étroite à son origine,qui s'élargit à mesure qu'elle devient plus occidentale.Le versant qui regarde le S. est très-roide, àpic sur certains points,<strong>et</strong> s'élève comme une muraille<strong>du</strong> fond de la plaine.Le versant N. à pente beaucoupplus douce, s<strong>et</strong>ermine par une suite de collines <strong>et</strong> degorges au centre <strong>des</strong>quelles on trouve les villages deCaacupe, Altos, Atira, Piribebuy, <strong>et</strong>c. Ces vallons quilivrent passage à de nombreux tributaires <strong>du</strong> rio<strong>Paraguay</strong>,d'une importance secondaire, s'élargissent <strong>et</strong>se confondent vers le N. N. E. avec une vaste plainedont le fond est occupé par Vestero d'Aguaracaty. Al'E., les chaînons de la Cordillera vont se souder parAjos, Yhu <strong>et</strong> San-Joaquin à la Sierra de Maracayù, couverteen ce point d'épaisses forêts qui portent le nomde Montes de Tarumà.La vallée située au pied de la Cordillera, suit ellemêmeune direction 0. puis N. 0.; elle est fermée très-


64 OROGRAPHIE.incomplètement <strong>du</strong> coté <strong>du</strong> S. par une série de collinestantôt isolées, tantôt continues, mais presque toujoursallongées suivant une direction identique. Ces collinescommencent près de rembouchure <strong>du</strong> Salado par lequelle lac Ypacarahy se décharge dans le Rio-<strong>Paraguay</strong> ;elles s'élèvent progressivement en avançant vers l'E.<strong>et</strong> le S. E., <strong>et</strong> vont se confondre, d'une part avec leshauteurs <strong>des</strong> environs de l'Assomption, <strong>et</strong> de l'autreavec les dernières divisions sud-orientales de la chaînede Maracayù. Qu'elles soient boisées, ou seulementcouvertes de graminées, on remarque que leur versantN. est plus rapide que le versant opposé.En se rapprochant de la Cordillera , ces collines luienvoient quelques ramifications peu élevées, qui divisentla vallée principale en autant de vallées secondaires,dont la plus importante est celle de Pirayu, quicommence au village de Paraguary (i ), suit la directionde la Cordillera, <strong>et</strong> se termine, en changeant de nom ,au Rio-<strong>Paraguay</strong>. Fort étroite à son origine, elle présentebientôt une largeur moyenne de 2 à 3 kilomètres.Le ruisseau {arroxjo) de Pirayu , source principale <strong>du</strong>lac Ypacarahy, en occupe le milieu. Il coule sur fond <strong>des</strong>able <strong>et</strong> de vase dans un lit assez encaissé, d'où il débordefréquemment. Du versant oriental <strong>des</strong> hauteursqui ferment l'extrémité de la vallée de Pirayu , naissentles premiers sous-affluents <strong>du</strong> Tebiquary-Mini.Les reliefs dont j'ai déjà plusieurs fois parlé sousle nom de lomas se rattachent le plus ordinairement(1) Lat. 25» 36' 51". Long. 59" 30' 50".


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 65à une suite d'autres collines , dépendances elles -mêmes <strong>des</strong> montagnes principales; mais il n'est pasrare de rencontrer sur tous les points <strong>du</strong> pays, <strong>des</strong> segmentsde gran<strong>des</strong> sphères entièrement isolés au milieu<strong>des</strong> plaines, d'où ilssemblent surgir comme <strong>des</strong> îlots,lors <strong>des</strong> inondations qui les enveloppent de toutes parts.Ces protubérances <strong>du</strong> sol , assez rapprochées les unes<strong>des</strong> autres, sontséparées par un espace parfaitementhorizontal ; elles affectent souvent la forme en pain <strong>des</strong>ucre {Pan de azucar), <strong>et</strong> c'est alors sous ce nom génériquequ'on les désigne. Plusieurssont groupées prèsde l'embouchure <strong>du</strong> Salado (lat. 25° 7') ;deux s'élèventau-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> steppes <strong>du</strong> Grand-Chaco ; la plus méridionaleporte le nom de Castillo. Sur la rive gauche <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, au cône principal ou Pefion ,succèdent <strong>des</strong>lomas souvent interrompues qui vont rejoindre , nousl'avons dit,les hauteurs <strong>des</strong> environs de l'Assomptionau milieu <strong>des</strong>quelles apparaît le Cerrito de Lambaré.Un autre Pan de azucar, signalé dans toutes les reconnaissances<strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, se voit par 21° 17' delatitude (1).Enfin, nous ne devons pas om<strong>et</strong>tre le Cerro de Santo-Tome, une <strong>des</strong> saillies de la Cordillera que la traditionsignale à l'attention curieuse <strong>du</strong> voyageur. C<strong>et</strong>te montagnequi domine de samasse imposante le village d<strong>et</strong>Paraguary, renferme plusieurs excavations, dont laplus considérable est connue sous le nom de &ïvtte(1) 21» 25' 6". Track survey of the river <strong>Paraguay</strong> surveyed by CommanderTh. J. Page U. S. S. Water Witch, 1855. Scale ,J^^».5


66 OROGRAPHIE. CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL.(cueva) de Saint-Thomas. L'apôtre y célébrait, dit-on,les mystères sacrés, lorsqu'il traversa l'Océan pourporter aux peuples autochthones <strong>du</strong> Nouveau-Monde laparole <strong>du</strong> Christ. L'ouverture de c<strong>et</strong>te caverne, à laquelleon arrive par un étroit sentier,irrégulièrementarrondie , est surmontée de quartiers de roche dont ladisposition offre une ressemblance fort imparfaite avecla tribune d'une chapelle (1).Les eaux qui <strong>des</strong>cendent de ces élévations, ne trouvantà leur pied qu'un sol sans déclivité, <strong>et</strong> pour voiesd'écoulement, que <strong>des</strong> ruisseaux dont le lit peu profond<strong>et</strong> à pente insensible ne suffît pas à les recevoir, se répandentà travers les plaines, <strong>et</strong> donnent naissancepar leur stagnation , à ces esteras immenses , désespoir<strong>du</strong> voyageur dont ils entravent à chaque instant la marche,mais qui préservent les troupeaux <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s de lasécheresse, sidésastreux sous un ciel embrasé.(1) Le somm<strong>et</strong> dénudé <strong>du</strong> cerro de Paraguary, déterminé de la tourde l'église, reste au IN . 50" E.


CHAPITRE VII.OBOGBAPBIE. — COHFIGURATIOS ET COBFOSITIOH OU SOL (SUite).Le sol <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> appartient ,à part les alluvions,au système tertiaire de l'Amérique <strong>du</strong> sud. Composé degrès ferrifères <strong>et</strong> d'argiles , avec de vastes dépressionscouvertes d'alluvions modernes, il se relie au terraintertiaire guaranien de M. d'Orbigny, qui comprenddans son immense extension le nord de la province deCorrientes, les Missions de l'Entre-Rios <strong>et</strong> celles <strong>du</strong>Brésil. Il représente l'étage supérieur de c<strong>et</strong>te coucheà laquelle M. de Humboldt a donné les noms de Molasse<strong>et</strong> de Nagelfluh. Le docteur Rengger (i ), qui nousP fournira quelques aperçus géologiques, regarde c<strong>et</strong>teformation comme ré<strong>du</strong>ite ici à ses termes les plussimples, car elle ne consiste qu'en poudingue <strong>et</strong> en(1) Reise nach <strong>Paraguay</strong>, p. 35.


68 OROGRAPHIE.grès, dont les uns plus grossiers occupent la surface<strong>du</strong> sol, <strong>et</strong> forment unis à <strong>du</strong> conglomérat la masse<strong>des</strong> lomas ; <strong>et</strong> dont les autres , à grains très-fins ,presque imperceptibles, constituent un grès marneuxqu'il appelle marne sablonneuse, <strong>et</strong> qui se montre dansles couches inférieures <strong>du</strong> sol sur les bords <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>.La ville de l'Assomption est assise sur le versantN. 0. d'une colline formée presque entièrement de cegrès, recouvert d'une couche de sable mêlée d'argiledont l'épaisseur atteint quelquefois un pied, <strong>et</strong> à traverslaquelle s'échappent de nombreux fil<strong>et</strong>s d'eau qui rendentles rues humi<strong>des</strong>, boueuses, <strong>et</strong> forment sur lesplaces de véritables marais. Les pluies si violentes sousc<strong>et</strong>te latitude, ont mis à nu dans plusieurs endroits,la roche colorée en brun rougeâtre par l'oxyde de ferqu'on y rencontre aussi en grains pisiformes (1). Peude temps avant mon arrivée à l'Assomption , dit ledocteur Rengger, on y avait déterré plusieurs blocs degrès de 10 à 100 pieds cubes,composés de grains dequartz agglutinés sans ciment, <strong>et</strong> paraissant appartenirà la roche d'Aregua, d'où sans doute les eaux les avaientapportés.En <strong>des</strong>cendant le Rio-<strong>Paraguay</strong> jusqu'àsa jonctionavec le Paranà ,on remarque que l'élévation toujoursuniforme <strong>du</strong> bord oriental, est rarement assez considé-(1) Roche de l'Assomption déterminée par M. Bonpland : «Grès à grosgrains quartzeux de couleur rougeâtre pâle , offrant à la louj>e de p<strong>et</strong>itesparcelles roulées de quarlz laiteux, dont les graius paraissent plus oumoins polis. »


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 69rable pour le m<strong>et</strong>tre à l'abri <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> crues. A l'extrémité<strong>du</strong> port de l'Assomption, le banc de grès paraità découvert, <strong>et</strong> forme, sur une éten<strong>du</strong>e de 1kilomètre,la rive <strong>du</strong> fleuve. Parvenue à la pointe de Itapyta(Pierre rouge), c<strong>et</strong>te masse stratifiée <strong>et</strong> taillée à pic,a 25 pieds de puissance au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> niveau moyen <strong>des</strong>eaux :elle recouvre le grès marneux, <strong>et</strong> s'étend jusqu'àlapointe de Cnrupaina, où le rivage commence à s'abaisserinsensiblement. Il s'élève de nouveau au Cerritode Lambaré , s'abaisse ensuite <strong>et</strong> reste parfaitementborizontal jusqu'à Curupayti.Les rives <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> sont formées de couches horizontalesou parallèles aux on<strong>du</strong>lations <strong>du</strong> sol, superposéesdans l'ordre suivant :La couche inférieure est de sable formé de grainsarrondis ou anguleux de quartzlimpide ou jaunâtre,mêlés d'argile : c<strong>et</strong>te couche est tantôt nue, tantôtrecouverte d'une argile limoneuse [lodo) d'un griscendré ou noirâtre , douce au toucher, tenue en suspensionpar les eaux qui l'y déposent en se r<strong>et</strong>irant,surtout après une inondation. Elle est traversée par<strong>des</strong> bancs d'argile de couleur variable, <strong>et</strong> présente surd'autres points un grès à cassure terreuse, formé degrains de quartz très-fins <strong>et</strong> d'argile en proportion prépondérante,disséminé par blocs, ou formant <strong>des</strong> couchescontinues (Rengger). Ce grès, dont la surfacedécomposée par l'influence <strong>des</strong> agents atmosphériquesofîre beaucoup d'inégalités, est gris ou coloré par <strong>du</strong>fer oxydé rouge. La couche sableuse elle-même estquelquefois teinte en jaune ou en rouge brunâtre, par


70 OROGRAPHIE.(lu fer hydraté, de la limoiiite mamelonnée à struelurecompacte ou oolitliique.Au-<strong>des</strong>sus d'elle vient une couche d'argile presquepure, d'une épaisseur de 1 à 2 mètres, <strong>et</strong> de même natureque le limon qui recouvre le lit de sahie sur lequelcoulent les eaux <strong>du</strong> fleuve.A ce banc argileux, tantôt compacte, homogène, tantôttraversé par <strong>des</strong> filons de sable, est superposée unecouche de même nature, d'un gris cendré bleuâtre ,contenant <strong>du</strong> fer en proportion notable <strong>et</strong> de nombreuxdétritus de végétaux non décomposés. Une très-minceenveloppe de terre végétale la recouvre.En remontant le fleuve depuis l'Assomption, on r<strong>et</strong>rouv<strong>et</strong>out d'abord dans la rive gauche la roche surlaquelle la ville est assise; remplacée, à quelques lieuesplus au nord, par un grès beaucoup plus <strong>du</strong>r, à grainsde quartz hyalin très-serrés, très-fins, <strong>et</strong> agglutinéspar une proportion moindre de ciment. Ce grès quiforme la masse <strong>des</strong> lomafi <strong>du</strong> bord oriental, reparaitdans le Grand-Chaco où il constitue les élévationsconnues sous lenom de Castillos.Au port de VEmhoscada situé à l'extrémité occidentalede la Cordillera, on a ouvert une carrière, où depuisla domination espagnole, on exploite c<strong>et</strong>te rochedont les strates faiblement inclinées au N. comme lapente septentrionale de lachaîne elle-même, sont remplacéesplus profondément par <strong>des</strong> blocs de forme cubique.La plupart <strong>des</strong> édifices de la capitale ont été bâtisavec c<strong>et</strong>te roche, (jui résiste très-bien à l'action <strong>des</strong>tructive<strong>des</strong> phénomènes atmosphériques. On r<strong>et</strong>rouve la


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 71même solidité dans le grès rougeâtre, à grains fins,qui abonde dans les environs <strong>des</strong> Missions de Jésus <strong>et</strong>de Trinidad ,près <strong>du</strong> Paranà. Les Jésuites l'ont employéà la construction de l'église qu'ils n'ont pas eu l<strong>et</strong>emps de couvrir avant leur bannissement. La maçonnerie<strong>du</strong> temple, encore debout <strong>et</strong> parfaitement conservée,est très-remarquable (1).Plus au nord, la rive paraît composée de couches <strong>des</strong>able <strong>et</strong> d'argile analogues à celles dont on a lu la <strong>des</strong>cription,mais au delà d'Ypita jusque dans le voisinage<strong>du</strong> rio Xejuy, le grès reparaît par places, soit en débris, soit en strates horizontales traversées par <strong>des</strong>fentes verticales (2).La même roche semontre à nu sur d'autres pointsde la Cordillère. En revenant de Villa-Rica par lecheminqui, après avoir suivi le versant N. de c<strong>et</strong>te chaîne,la coupe obliquement à l'extrémité orientale <strong>du</strong> lacYpacarahy, <strong>et</strong> <strong>des</strong>cend dans la vallée de Pirayu, j'air<strong>et</strong>rouvé, comme le savant voyageur suisse, le grèsformé de grains tantôt très-fins,tantôt plus grossiers,disposé en strates horizontalci ou faiblement inclinéesau N. : en certains endroits il passait au poudingue.C<strong>et</strong>te roche ,qui contient aussi <strong>du</strong> 1er pisiforme <strong>et</strong><strong>des</strong> morceaux de fer magnétique, se montre fréquemmentà nu jusqu'à Villa-Rica. En face de c<strong>et</strong>te ville,elle apparaît sur le tiers supérieur d'un cône escarpé,assez bas, à somm<strong>et</strong> largement arrondi,auquel l'ab-(t)"Voy. VAllas.[2) In Rengger, p. 28.


72 OROGRAPHIE.sencc de végétation a fait donner le nom de MontePclado.De Villa-Rica à Curuguaty, le grès de nature variableencore, se montre rarement, si ce n'est dans leschemins <strong>et</strong> sur le bord <strong>des</strong> ruisseaux. Nous avons déjàdit que le faîte de c<strong>et</strong>te chaîne, recouvert d'une végétationpuissante, présentait dans son élévation beaucoupd'uniformité.En s'avançant <strong>des</strong> rives <strong>du</strong> fleuve vers l'intérieur <strong>du</strong>pays,on rencontre encore le grès dans les loinas dontil constitue la masse, tantôt formé de grains fins, tantôtpassant par places au poudingue.Le lit<strong>des</strong> ruisseaux, formé de sable quelquefois mélangéde gal<strong>et</strong>s quartzeux, ou de l'argile bleue-noirâtre,onctueuse au toucher, qui entre dans la compositionde celui <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, est creusé plus à l'est dans le rocvif, à une profondeur variable, mais qui augmente dansle voisinage de la Sierra de Maracayù. Les cours d'eau,qui <strong>du</strong> versant oriental de c<strong>et</strong>te chaîne se dirigent versle Paranà, présentent à un haut degré c<strong>et</strong>te constitutionrocheuse.Partout le grès (à part les exceptions que j'aisignalées),une fois mis à nu, est facilement attaquable,<strong>et</strong> ne résiste que médiocrement aux agents atmosphériques.Les crêtes <strong>et</strong> les aspérités <strong>des</strong> culminancesmontagneuses s'eftacent; les somm<strong>et</strong>s <strong>des</strong> cônes s'affaissent<strong>et</strong> s'arrondissent; <strong>et</strong> la roche se décomposepar <strong>des</strong> éboulements successifs, en blocs nombreuxqui s'accumulent au pied <strong>des</strong> lomas; ou se désagrègeen couches de sable soit pur, soit mélangé d'argile,


,CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 73bientôt envahies par l'active végétation <strong>des</strong> régionstropicales.Mais nulle part elle ne renferme de calcaire.Aussi,traitée par les aci<strong>des</strong>, ne pro<strong>du</strong>it-elle pas d'effervescence,<strong>et</strong> l'eau <strong>des</strong> nombreux ruisseaux qui s'échappentde ses interstices, ne laisse-t-elle aucun rési<strong>du</strong> après sonébullition.Ce n'est qu'exceptionnellement qu'on rencontre <strong>des</strong>sels de chaux au <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> dans les Missions. Ainsisur la rive gauche <strong>et</strong> dans le lit <strong>du</strong> fleuve, par 26° i7'de latitude, on a trouvé <strong>des</strong>blocs d'une roche calcairequi, étant calcinée, sert à blanchir les maisons. Ce parageporte le nom de los Yesos, Un autre dépôt a étédécouvert, à l'époque de la Révolution américaine, surle bord oriental, à 25 ou 30 lieues de Villa-Real. C<strong>et</strong>teroche exige un feu très-vif pour être ré<strong>du</strong>ite (1); lachaux qu'on en extrait n'est pas très-blanche, <strong>et</strong> nedonne qu'un mortier de qualité médiocre. Avant c<strong>et</strong>tedécouverte, on tirait c<strong>et</strong>te matière de la Bajada, p<strong>et</strong>iteville de l'Entre-Rios, sur le Paranà (2).Le docteur Rengger signale encore la présence de la(1)« Vue à la loupe, elle ofiFre <strong>des</strong> points brillants dont je ne puis déterminerla nature. >»(2)Mss. de M. Bonpland.11 faut, je crois, regarder comme de nature calcaire la pierre friable,légère, se fendant facilement, d'un blanc sale, <strong>et</strong> un peu âpre à la bouche,que les Guaranis nomment Tobaly , <strong>et</strong> les habitants de la province deSaint-Paul Tobalinga. C<strong>et</strong>te roche constitue sur la rive gauche de l'Uruguay,entre le Passo <strong>et</strong> la iMission de Santo-Tome, <strong>des</strong> couches de 25 à30 centimètres d'épaisseur. M. Bonpland pense qu'elle existe au <strong>Paraguay</strong>,dans les ravins où lecours <strong>des</strong> eaux la m<strong>et</strong> à nu. Elle y servirait à blanchirles maisons. Je ne l'ai vue en place que dans le voisinage <strong>du</strong> Passo del'Uruguay, sur Texirême frontière <strong>du</strong> Brésil.


74 OROGRAPHIE.chaux carbonatée dans le ciment d'un grès qui se trouvepar 22*^ 10' au N. de Tevego (i). « Ce grès est assezfin pour servir de pierre n rasoirs. Sa couleur est tantôtd'un gris de cendre bleuâtre ou verdâtre , tantôt d'unjaune blanchâtre. Ilest tendre <strong>et</strong> présente une cassur<strong>et</strong>erreuse, qui cependant scintille par <strong>des</strong> points presqueimperceptibles, à la lumière directe <strong>du</strong> soleil. Laroche est divisée par <strong>des</strong> fentes en prismes à quatre oucinq pans, <strong>et</strong> de 1à 2 pieds de longueur (2). » Enfin, onextrait de la chaux sur les bords <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, à peude distance de ses sources, au-<strong>des</strong>sous <strong>du</strong> parage nomméAs très barras.Entre les Missions de Jésus <strong>et</strong> de Trinidad ,on rencontreun grès blanchâtre, assez résistant, qui fournitde bonnes pierres à aiguiser. Un grès analogue, propreau même usage, gît sur la rive gauche <strong>du</strong> Paranà, dansle port de l'ancienne bourgade {pueblo) de San-Ignacio-Mini (3).De ce qui précède , il résulte que la charpente osseuse(si je puis employer c<strong>et</strong>te expression) de la régionsituée à l'orient de la ligne N. <strong>et</strong> S. décrite parles rios <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> Paranà, est constituée par uneroche massive de grès,modifiée par places, plutôt dansle mode d'agrégation de ses parties constituantes quedans leur nature, <strong>et</strong> n'offrant <strong>des</strong> traces de calcaire que(1) Lieu de déportatiou fondé par Francia à 120 lieues >". de l'Assomption.(2) Vbisuprà, p. 31.(3) Il existe nue autre Mission dn nom de San-Ignacio-Gua/ù dans Ymlérieur <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 75très-exceptionnellenicnt.Située à une profondeur variablesous la terre végétale qui la recouvre, dans lacontrée que nous étudions, dans les provinces d'Entre-Rios <strong>et</strong> de Corrientes, c<strong>et</strong>te roche semble occuper uneposition tout à fait superficielle vers les frontières <strong>du</strong>Brésil, <strong>et</strong> sur les hauteurs de Montevideo <strong>et</strong> de Maldonado.Mais, déjà plus profondément situées dans la régionsud-occidentale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, ses couches inclinéesà l'ouest s'enfoncent davantage dans les llanos<strong>du</strong> Grand-Chaco <strong>et</strong> dans lesPampas. C'est au delà dec<strong>et</strong>te ligne que les campos quebrados font place auxplainesimmenses dont l'horizontalité persiste ininterrompuependant <strong>des</strong> centaines de lieues, jusqu'à la rencontre<strong>des</strong> premiers échelons de la cordilière <strong>des</strong>An<strong>des</strong>.Parfois, la roche traverse la croûte de terre qui l'enveloppe,<strong>et</strong> <strong>des</strong> blocs de grès surgissent isolés, ou entasséssur un p<strong>et</strong>it espace, au milieu <strong>des</strong> plaines. Leplus curieux exemple de ces surgisements existe dansla province de Corrientes, où la masse principale quile constitue, porte lenom d'Ita-pticu (Pierre-longue).J'emprunte aux Notes inédites de mon illustre amiM. Bonpland, l'intéressante <strong>des</strong>cription de ce phénomènegéologique (1).« La pierre-longue est située au N. E., <strong>et</strong> les rochesqui en dépendent, au S. 0. de celle-ci. Ainsi, toutesvont <strong>du</strong> N. E. au S. 0.« Le banc de roche qui accompagne la pierre-longue,il) L'observation porte la date <strong>du</strong> 23 novembre 1831.


76 OROGRAPHIE.est entièrement de grès d'un blanc grisâtre, à grainsfins <strong>et</strong> plus ou moins tendre. J'ai pris <strong>des</strong> échantillonsau bas de Vlta-pucu; ils sont plus tendres que ceuxpris au somm<strong>et</strong>. Les roches environnantes sont, commela pierre principale, couvertes de lichen :indiquer leur antiquité.ce fait semble« On assure dans le pays que Vlta-pucu croît, <strong>et</strong>quelques indivi<strong>du</strong>s prétendent s'en être assurés en lamesurant. Au contraire elle se détruit par l'actioncombinée de l'eau , <strong>du</strong> soleil <strong>et</strong> <strong>des</strong> vents ; les géologuesdisent avec raison que les pierres ne croissent pas.D'autres expliquent c<strong>et</strong>tecroissance en disant que leseaux entraînent tous les jours , la terre <strong>du</strong> pied de laroche ;c'est une erreur.« Les couches de Vlta-pucu offrent deux inclinaisonsdifférentes : la première plus rare, est horizontale; la seconde ,qui s'observe aussi dans toutes lesroches environnantes qui appartiennent à la même formation,est inclinée au S. 0.« La pierre-longue <strong>et</strong> ses dépendances se trouventau bas <strong>du</strong> versant d'une colline formée de rochequartzeuse rougeâtre ,plus élevée de quelques varasque Vlta-pucu, <strong>et</strong> située au N. 0. Au N. E. <strong>et</strong> plusloin se trouve une autre colline basse, formée de terre,<strong>et</strong> oflrant seulement à sa surface de gros cailloux roulés.Ces deux élévations vont <strong>du</strong> N. E. au S. 0. :elles ont probablement la même formation que Vltapucu,« Depuis Vc^tancia de Fernandez, on traverse un solde nature généralement terreuse, coupe de collines <strong>et</strong>


,CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 77de marais, <strong>et</strong> parsemé de p<strong>et</strong>its cailloux de grès, <strong>et</strong> defragments de c<strong>et</strong>te roche en boules que j'ai désignéeSOUS le nom de roche magnétique en forme de boules.On rencontre aussi la roche anguleuse ou basaltique,<strong>des</strong> Missions comme la précédente , <strong>et</strong> <strong>du</strong> grès quartzeux.ix Depuis le rio Ita-pucu, jusqu'à la pierre <strong>du</strong> mêmenom, on remarque de grands espaces recouvertsd'unsable blanc formant <strong>des</strong> monticules qui semblent <strong>du</strong>s àl'action <strong>des</strong> vents. La rivière coule sur la roche poreuseou Tacuru <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Suj<strong>et</strong>te à de gran<strong>des</strong> crueselle ofFre de distance en distance <strong>des</strong> réservoirs plus oumoins grands, mais très-profonds, de sorte qu'on ne l'ajamais vue à sec. C<strong>et</strong>te roche présente ici le même phénomèneque dans l'Uruguay, où elle forme aussi devastes bassins, d'une profondeur extrême. »J'ai sous les yeux le croquis qui accompagne c<strong>et</strong>te<strong>des</strong>cription. Je remarque que Vlta-pucu, mesurée àhauteur d'homme, offre une circonférence de 12 varas1/4, <strong>et</strong> une hauteur de 8 varas 1/4 : la distancequi sépare les deux pierres vues <strong>du</strong> N. 0., est de troisvaras (1). Les arêtes sont plus émoussées, <strong>et</strong> les anglesplus arrondis dans la pierre principale, que dansla masse lithoïdequi l'accompagne. Les caractères géologiquesde Vlta-pucu, rappellent ceux <strong>des</strong> rochers sporadiquesque MM. de Humboldt <strong>et</strong> Bonpland ont rencontréssur les bords de l'Atabapo <strong>et</strong> <strong>du</strong> Cassiquiare, où(1) La vara étant égale à O^SG, ces chiffres donnent les dimensionsmétriques suivantes : lO" 53 7"»; 09 ;2 58.


78 OROGRAPHIE. CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL.leur présence rend difficile la fixation <strong>des</strong> limites d'unsystème, dont les montagnes, au lieu d'être rangéeslongitudinalement, semblent groupées au hasard (1).(1) HuHBOLDT <strong>et</strong> BoNPLAND, Voyage aux régions équinoxiales <strong>du</strong>Nouveau-Continent, t. X, p. 141.Des echautillons de Vlta-pucu recueillis par M. Bonpland, figurent dansles galeries miuéralogiques <strong>du</strong> Muséum d'<strong>Histoire</strong> oaturelle.


CHAPITRE VIII.OROGRAPHIE. —CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL ( SUite <strong>et</strong> fin).Esquissons maintenant à grands traits la physionomie<strong>des</strong> terrains qui enveloppent <strong>et</strong> masquent la formationpuissante de grès dont l'assise géologique de c<strong>et</strong>te régionest composée.Tantôt, <strong>et</strong> le plus ordinairement, le sol arable estconstitué par une terre rouge ferrugineuse, traverséepar <strong>des</strong> filons d'argiles de couleurs variables ,parfoistrès-vives. C'est la Terre rouge <strong>des</strong> Missions, dont noussignalerons dès à présent l'admirable fertilité. Ce limonferrifère, sans gypse, d'une épaisseur souvent considérable, appartient au dépôt supérieur <strong>des</strong> terrainstertiaires : il est postérieur à la formation marine deces contrées. D'après M. Lund , on le r<strong>et</strong>rouve en plu-


IT'80 OROGRAPHIE.sieurs points <strong>du</strong> Brésil ,dans les provinces de Rio-de-Janeiro <strong>et</strong>de Minas; <strong>et</strong> sur c<strong>et</strong>te immense éten<strong>du</strong>e, ilrevêt indistinctement les plaines, les vallées, <strong>et</strong> mêmeles pentes douces <strong>des</strong> montagnes jusqu'à 2,000 mètresde hauteur (1).La Terre rouge est souvent mélangée de sablequartzeux, que l'on rencontre aussi seul tout à faitpur, <strong>et</strong>en couches puissantes sur de gran<strong>des</strong> surfaces,comme dans les environs de l'Assomption : ce sableprovient de la décomposition de laroche sous-jacente.Le fond <strong>des</strong> vallées, où les eaux en s'accumulant forment<strong>des</strong> esteras <strong>et</strong> <strong>des</strong> bafiados , est recouvert d'unecroûte d'argile noirâtre, épaisse parfois d'un mètre <strong>et</strong>plus; de même que les argiles gypseuses supérieures<strong>du</strong> terrain guaranien , elle donne au sol une imperméabilitéqui engendre de nombreuses lagunes. Elledoit sa couleur noire à la présence de détritus végétaux,<strong>et</strong> surtout à celle de l'oxyde de fer. Aussi, les médecins<strong>du</strong> pays (curanderos) l'administrent-ils commeastringent , en infusion , dans le cas de diarrhées chroniques.Étudiés au point de vue de lapro<strong>du</strong>ction agricole,ces différents terrains sont loin de présenter les mêmesavantages; <strong>et</strong> l'appréciation comparative de leurs qualitéstrouvera place dans un chapitre spécial (2).(1) Le docteur Llnd, Coup dœil sur les mammifères fossiles <strong>du</strong>Brésil. Daus les annales <strong>des</strong> sciences naturelles, t. XI, p. 214 <strong>et</strong> 230,auQée 1839.(2) Voy. Partie économique, Agriculture. Nous douoerous dans ce chapitrel'aualyse de la Terre rouge <strong>des</strong> Missions.


,CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 81Les filons argileux qui sillonnent la Terre roiifje, fournissent(les matières premières à l'in<strong>du</strong>strie. Ainsil'ocre rouge est employée dans la peinture à la détrempe.Pour cela . après l'avoir calcinée , on la pile ,<strong>et</strong> on la délaye dans une eau de colle, ou contenant unmucilage que l'on peut encore remplacer par le suc<strong>du</strong> Cactus peruvianus. L'argile colorée par l'oxyde defer hydraté (ocre jaune), <strong>et</strong> l'argile blanche, serventau même usage. Les Jésuites savaient en tirer partipour la décoration <strong>des</strong> églises <strong>et</strong> <strong>des</strong> collèges <strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ctions: les orfèvres façonnent leurs creus<strong>et</strong>s avecTocre jaune, <strong>et</strong> les Indiens emploient l'argile noirâtrequ'ils tirent <strong>des</strong> vallées dans la fabrication de leur poterie.Le <strong>Paraguay</strong> est-il un pays de mines? J'ai répon<strong>du</strong>par avance, en partie, à c<strong>et</strong>te question (1). Mais s'iln'offre dans l'histoire de son passé, au témoignagemême d'Azara (2) ,que <strong>des</strong> traces à peine saisissablesde l'in<strong>du</strong>strie métallurgique, il s'en faut bien qu'il soitdépourvu <strong>des</strong> richesses que c<strong>et</strong>te in<strong>du</strong>strie m<strong>et</strong> enoeuvre. Les recherches entreprises par ordre <strong>du</strong> présidentLopez, il y a une dizaine d'années, ont, sous cerapport,con<strong>du</strong>it à <strong>des</strong> résultats assez satisfaisants.En traitant de sa constitution géologique ,j'ai si-(1) Voy. Intro<strong>du</strong>ction.(2) « U suffit d'avoir dit que le pays est plat , <strong>et</strong> qu'il n'a qu'un p<strong>et</strong>itnombre de montagnes peu élevées, pour faire connaître qu'on n'y trouvepas de minéraux. » {Voyages dans l'Amérique méridionale, t. 1 , p. 58.)Plus loin (p. 61) il ajoute : « Il n'y a aucune mine de fer dans toute l'Amériqueméridionale. » Ce qui suit démontrera l'inexactitude de c<strong>et</strong>te assertionc


82 OROGRAniIE.gnalé presque à chaque pas dans le sol , l'existencesous <strong>des</strong> étals bien distincts, <strong>du</strong> plus utile de tous lesmétaux. Ainsi, les variétés lithoï<strong>des</strong> <strong>du</strong> peroxyde de ferdonnent une teinte rouge plus ou moins intense auxdifférentes roches de grès <strong>et</strong> de poudingue, <strong>et</strong> à la Terre<strong>des</strong> Missions; sur quelques points, il colore <strong>des</strong> élévationstout entières. Tel est particulièrement le cas<strong>du</strong> Cerro pyta (1), un <strong>des</strong> pics de la chaîne de Maracayù.L'argile ocreuse jaune doit sa couleur à l'hydroxydede fer ou hématite compacte brune : le feroligiste se présente avec l'éclat métallique,<strong>et</strong> une couleurgrise ou noirâtre.Enfin, laTerre rouge contient un sable magnétique,à grains arrondis, rarement anguleux, <strong>et</strong> attirables àl'aimant ,qui apparaissent à sa surface en traînéesnoires, métalliques, dans les chemins où les eaux pluvialestrouvent un écoulement rapide.Très-abondantau <strong>Paraguay</strong> dans le lit <strong>des</strong> ruisseaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> rivières, oùil forme de p<strong>et</strong>its dépôts d'un noir bleuâtre, il est mêléà <strong>des</strong> grains de quartz dont on le sépare facilement. Legrès de la Cordilière renferme aussi <strong>des</strong> morceaux defer oxy<strong>du</strong>lé :j'en ai recueilli <strong>des</strong> fragments à la surface<strong>du</strong> sol, plus à l'E., à une lieue <strong>du</strong> village d'Yuty.Les investigations auxquelles s'est livré, en 1847,un officier polonais, au service <strong>du</strong> gouvernement paraguayen,ont amené ladécouverte de riches minières defer, <strong>et</strong> quelques échantillons analysés par M. Beudant\\) Mohlagne rouge ; association hyhîide assoz conimuiK' dans la langue<strong>du</strong> pays, de deux mots, l'un espagnol, l'autre guarani.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 83fils , Ingénieur <strong>des</strong> niines, ont donné les résultats suivants:N** 3. Fer oligiste contenant <strong>des</strong> traces de manganèse.N° 4. Fer oligiste pur.N°^ 5 <strong>et</strong> 7.Fer oligiste contenant <strong>des</strong> traces de manganèse.N° 6. Fer pyriteux en partie décomposé.N° 8. Fer oligiste avec un peu de fer oxydé hydraté(1 ).Jeregr<strong>et</strong>te de ne pouvoir fournir aucune indicationsur le gisement de ces minerais ,les fouilles ayant étéfaites avec le mystère qui préside, depuis leDictateur,aux actes les plus simples d'un Pouvoir ombrageux.Toutefois, le résultat de ces explorations n'a pas étéper<strong>du</strong>, <strong>et</strong> depuis quelques années on a ouvert au cerrode San-Miguel une mine de fer qui paraît prospérer, <strong>et</strong>dont les pro<strong>du</strong>its affranchiront peut-être bientôt, <strong>du</strong>lourd tribut qu'elle paye à l'étranger, une in<strong>du</strong>strie quifournit aux autres les instruments dont elles ont besoin.Nous manquons de renseignements sur la situationprésente de c<strong>et</strong>te utile exploitation ,qui figureparmi les Desiderata remis par la Société de géographieau général Solano Lopez,à la veille de son r<strong>et</strong>ouren Amérique (2).(1) École <strong>des</strong> Mmes :Extrait <strong>des</strong> registres <strong>du</strong> bureau d'essai pour lessubstances minérales, n" 16:)9.(2) Instructions remises à M. le Brigadier général D. Francisco SolanoLopez, ministre de la népublique <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> à Paris, rédigéespar M. Alfred Denicrsay. {Bull<strong>et</strong>in de la Société de géographie, i' série,1854, l. VIII, p. 201.)


84 OROGRAPHIE.Enfin ,on a trouvé plusieurs fragments de fer météoriqueà la surface <strong>du</strong> sol ;mais la masse de fer natifla plus considérable a été rencontrée à la fin <strong>du</strong> siècledernier dans le Chaco : il en sera question plus loin (1 ).En 1779, on découvrit à 50 lieues au S. de l'Assomption<strong>du</strong> minerai de mercure :<strong>des</strong> échantillons expédiésàBuenos-Ayres, motivèrent un ordre <strong>du</strong> Conseil<strong>des</strong> In<strong>des</strong> qui prescrivait un nouvel envoi ;mais <strong>des</strong>analyses plus exactes ne furent suivies d'aucun résultatsatisfaisant.On entreprit encore, au temps de la domination espagnole,l'exploitation d'une mine de cuivre dans levoisinage <strong>des</strong> pueblos de Santa-Ana <strong>et</strong> de San-Carlos,entre le Paranà <strong>et</strong> l'Uruguay : elle fut promptementabandonnée, faute d'ouvriers spéciaux, <strong>et</strong> parce queson rendement n'était pas en rapport avec les fraisd'extraction.La présence de l'or ne s'est jusqu'ici révélée,d'unemanière bien évidente, en aucun point <strong>du</strong> pays. On apréten<strong>du</strong> que les Jésuites en avaient tiré de fabuleusesquantités <strong>des</strong> flancs de la p<strong>et</strong>ite montagne sur laquelles'élève la Capilla de San-Miguel ;mais Azara n'en ditmot, <strong>et</strong> son silence qui a bien sa signification, vientappuyer le témoignage <strong>des</strong> écrivains de la Compagnie(2). C<strong>et</strong>te montagne offre un grès traversé par <strong>des</strong>filons de quartz blanc,très-pur. Au S. de San-Miguel,<strong>et</strong> près de la capilla ,<strong>des</strong> masses de ce quartz forment(1) Chap. Climatologie.fi) iMlratori, h Crislianesimo fclicc^ édition frauv-, p. 275.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 85<strong>des</strong> saillies de 1 à 2 mètres, connues sous le nom deIla-monoti (Pierre blanche). Pour M. Bonpland, « Hest présumable que l'on doit trouver de l'or dans la montagnede San-Miguel, laquelle contient bien certainement<strong>du</strong> mercure. C<strong>et</strong>te mine se présente sous la formed'une terre brune qui noircit le papier <strong>et</strong> les mainsquand on la touche. L'échantillon envoyé à Potosioùl'analyse en fut faite, avait c<strong>et</strong>te apparence (I). »Placé au centre <strong>du</strong> massif continental sud-américain, à une distance presque égale <strong>du</strong> Brésil aux gisementsde pierres précieuses, d'or <strong>et</strong> de platine; <strong>du</strong>Chili <strong>et</strong> <strong>du</strong> Pérou aux mines de cuivre <strong>et</strong> d'argent;<strong>Paraguay</strong> étalera peut-être un jour aux regards charmésd'heureux explorateurs, de riches filons de pierres finesle<strong>et</strong> de métaux. On les trouvera dans la région N. N. E.,s'il est vrai que la richesse minéralogique augmenteavec la fréquence <strong>des</strong> montagnes. Le voisinage <strong>du</strong> districtDiamantino, <strong>des</strong> quartz stratifiés <strong>et</strong> <strong>des</strong> sables aurifèresde Cuyabà, <strong>et</strong> lerapport qui parait exister entrelaprésence <strong>du</strong> grès <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> diamant, prêtent à c<strong>et</strong>tesupposition quelque probabilité. Nous sommes loin,très-loin cependant, de prédire une abondance d'or comparableà celle qui pénétrerait le sol de la province deMato-Grosso, au dire <strong>du</strong> lieutenant Maury de la marineanglo-américaine, dont l'éblouissante <strong>des</strong>cription rappell<strong>et</strong>rop le Candide de Voltaire, <strong>et</strong> les récits fabuleux(1) }Hs. A ce propos, le savant voyageur cite uu ouvrage intitulé : Vie<strong>du</strong> Docteur MorcnOy créole de Buenos-Ayres. 11 ne m'a pas ctc poi^^iblcde le dccouviir.


86 OROGRAPHIE.(les Mille <strong>et</strong> une Nuits (1). Peul-étre même le diamantexiste- t-il dans les couches inférieures de la rochequartzeuse, comme dans les grès mêlés d'argile de laprovince de Saint-Paul (2); ce qui, après tout, nousparaît moins désirable que la présence <strong>du</strong> terrain houiller,que les voyageurs n'ont pas encore signalée. Or,*avec les aspirations <strong>du</strong> siècle, la découverte d'un gîtecarbonifère effacerait celle <strong>des</strong> plus riches filons métalliques,car le <strong>Paraguay</strong> n'est pas dépourvu de cheminscarrossables, <strong>et</strong> son réseau de rivières intérieuresperm<strong>et</strong>trait une exploitation qui ne saurait prospérerde longtemps dans la province brésilienne de Sainte-Catherine, où plusieurs gisements <strong>du</strong> précieux combustibleont été rencontrés (3).(t) V Amazone <strong>et</strong> les côtes atlantiques de l'Amérique wéridionalc.« Cuyabii, dit le lieuteiiaut lleiudoii, est au centre de la région aurifère dece pays superbe. On y trouve de l'or en veine , entre les pierres , dans lesfonds <strong>des</strong> ruisseaux <strong>et</strong> en p<strong>et</strong>its grains à fleur de terre : à la suite de chaquepluie, les esclaves <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>its enfants courent le ramasser dans les boues<strong>des</strong> rues de la ville. Dans la région Diamautine, il est certain qu'on trouve<strong>des</strong> diamants mêlés à la terre, comme ou trouve l'or dans les excavationsde la Californie. Selon Castelnau, un homme en voulant ficher un pieu enterre, trouva un diamant de neuf carats. Quelquefois on trouve <strong>des</strong> diamantsdans le gésier de p<strong>et</strong>its oiseaux. » (G. Reybald, Le Brésil, 1856, in-8,p. 105.}La citation est exacte ;mais, en racontant ces histoires merveilleuses, levoyageur français se garde bien d'en garantir l'authenticité. Voy. F. de Castelnau,Expédition dans lesexécutée par ordre <strong>du</strong> gouvernement, deParis, 1850, t. II, p. 321.parties centrales de l'Amérique <strong>du</strong> Sud,1S43 à 18i7. Partie historique^(2) A. Pissis , .Mémoire sur la position géologique <strong>des</strong> terrains de lapartie australe <strong>du</strong> Brésil.Dans les Comptes ren<strong>du</strong>s hebdomadaires <strong>des</strong>séances de l'Académie <strong>des</strong> sciences^ t. XIV, juill<strong>et</strong> 1843, <strong>et</strong> les Mémoires<strong>des</strong> savants étrangers, t. X, 1848, p. 353, avec 7 planches.(3) Voir sur ces dépôt> houillers, <strong>et</strong> sur les obstacles que présente leurextraction, Charles Van Lede, De la Colonisation au lircsil , Bruxelles.


,CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 87Le <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> les Missions ne présentent dans leurconstitution géologique , aucune trace de pro<strong>du</strong>ctionsvolcaniques, <strong>et</strong> les tremblements de terre y sont à peuprèsinconnus. Nulle source soit thermale, soit minérale;<strong>et</strong> si les eaux <strong>du</strong> lac Ypacarahy sont parfoisprescrites avec efficacité,dans le traitement <strong>des</strong> affectionschroniques, c'est que leur action analogue àcelle <strong>des</strong> bains de mer, quoique beaucoup moins énergique,est <strong>du</strong>e à la présence d'une très-faible proportionde sel tenu en dissolution, <strong>et</strong> qui provient<strong>du</strong> terrain argileux qu'elles submergent. C<strong>et</strong>te argilesalifère se rencontre sur plusieurs points <strong>du</strong> pays,,<strong>et</strong> constitue un phénomène géognostique dont ilconvient de dire quelques mots, car il joue un rôleimportant dans l'économie domestique <strong>et</strong> rurale <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>. Déjà, j'ai eu l'occasion de signaler dans uneautre publication (1)l'extrême avidité avec laquelle lesbestiaux recherchent <strong>et</strong> mangent c<strong>et</strong>te terre saline, <strong>et</strong>1843, gr. in-8, p. 118; <strong>et</strong> Léonce Aube, yolicc sur la province de Sainlc-Calherine, dans les Annales marilimcs <strong>et</strong> coloniales, avril 1847, p. 20.Oa a constate depuis peu l'existence d'une mine de houille dans la provincede Rio-Graude <strong>du</strong> Sud , près de la ville <strong>du</strong> Triomphe. Les premiersessais fails pour la m<strong>et</strong>tre en exploitation ont eu <strong>des</strong> résultats assez favorables.Ou a trouvé , toutefois,que le charbon ne donnait pas assez deflamme, défaut qui est aussi celui <strong>du</strong> charbon <strong>des</strong> États-Unis, <strong>et</strong> auquelles Américains ont remédié eu établissant sous lesgrils <strong>des</strong> ventilateurstjui fournissent une quantité d'oxygène suflisante pour alimenter convenablementla flamme. Si l'exploitation en grand réussit définitivementRio-Grande, devenant l'entrepôt <strong>du</strong> combubtible extrait, pourra en fournirà la navigation à vapeur de la Plala à de^ prix qui feront une vive concurrenceaux charbons étrangers.{Annales <strong>du</strong> commerce extérieur, février1854.)vl)De l'Avenir <strong>des</strong> relations commerciales entre la France <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>,dans le Journal <strong>des</strong> Économistes, novembre 1855, p. 254.


88 OROGRAPHIE.son influence sur leur santé; j'y reviendrai (1). Maisses efflorescences recueillies <strong>et</strong> traitées par évaporation,fournissent la majeure partie <strong>du</strong> sel <strong>des</strong>tiné à laconsommation <strong>des</strong> habitants. On ramasse donc lacouche mince qui scintille à la surface <strong>du</strong> sol , onla fait dissoudre, <strong>et</strong> la lessive filtrée est évaporée dans<strong>des</strong> marmites de terre placées côte à côte sur <strong>des</strong> fourneauxgrossièrement construits, sous lesquels on entr<strong>et</strong>ientle feu, en ajoutant de la lessive au fur <strong>et</strong> à mesurede l'évaporation, jusqu'à ce que les vases soientremplis par le dépôt salin, qui contient <strong>du</strong> carbonatede soude en proportion variable, <strong>et</strong>, suivant les localités,soit <strong>du</strong> sulfate de soude, ce qui le rend plus oumoins amer <strong>et</strong> déliquescent, soit <strong>du</strong> sulfate de magnésie(2), Les rosées abondantes <strong>et</strong> les pluies légèrescombinées avec l'action <strong>du</strong> soleil, favorisent la cristallisation<strong>du</strong> sel , tandis que les inondations ou lespluies fortes <strong>et</strong> continues, opèrent <strong>des</strong> lavages quilui sont contraires, <strong>et</strong> obligent les habitants à fairevenir c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> de première nécessité de Buenos-Ayres,ou <strong>du</strong> Brésil par la voie longue <strong>et</strong> coûteuse d'Itapua.L'extraction de la presque totalité <strong>du</strong> sel nécessaire àla consommation, sefait au village de Lambaré; dansles environs de la Capitale, sur les points de la rivegauche <strong>du</strong> fleuve lesplus fréquemment inondés; plus(1) Voy. le chapitre Zoologie : Animaux domestiques.(2) Daus la vallée de lénochtillau, au Mexique, où le chlorure de sodiumse prépare à l'aide <strong>des</strong> mêmes procédés, on a substitué depuis lonj,'-temps <strong>des</strong> chaudières eu cuivre battu, larges <strong>et</strong> très- peu profon<strong>des</strong>, au\vases de poterie. A. de Uumboldt , Essai <strong>politique</strong> sur le royaume de laISouvelle-Espagnc, Paris, 1811, t. II, p. 189.


CONFIGURATION ET COMPOSITION DU SOL. 89au nord à Tapuà; <strong>et</strong> près <strong>du</strong> rio Salado, à quelqueslieues <strong>du</strong> lac Ipacaraby. Celui qui vient de la ville deConception, d'une préparation plus facile, est aussi plusblanc <strong>et</strong> de meilleure qualité; mais les habitants ne récoltentque la quantité nécessaire à leurs besoins.Ces salines, communes sur toute la surface <strong>du</strong> pays<strong>et</strong> <strong>des</strong> contrées environnantes , dans le fond <strong>des</strong> vallées<strong>et</strong> sur le bord <strong>des</strong> ruisseaux , deviennent plus rares àmesure que le sol s'élève, <strong>et</strong> disparaissent dans la régionmontagneuse. Les habitants de Corrientes ontabandonné leur exploitation ; ils tirent le sel de la Palagonie,<strong>et</strong> ils attribuent à c<strong>et</strong>te substitution l'extinction<strong>du</strong> goitre (1).Sans avoir contre elle une complèteimprobabilité, c<strong>et</strong>te opinion paraîtra discutable à ceuxqui ont connaissance <strong>des</strong> communications adressées,dans ces dernières années, à l'Académie <strong>des</strong> sciences, <strong>et</strong><strong>des</strong> longues discussions qu'ellesont provoquées dansson sein. Au Brésil , dans les sertoës de Minas-Geraës,de MatO'Grosso <strong>et</strong> de Piauhy, ces dépôts portent commeau <strong>Paraguay</strong>, le nom de barreros (2).(1) A. d'Orbigny, Voyage dans VAmérique méridionale, t. I", p.sri.(2) De barro, glaise.Rappelons, en peu de mots , la composition <strong>du</strong> terrain tertiaire sruaranienr<strong>et</strong>rouvé par A. d'Orbigny dans la province de Chiquitos, sous le17* parallèle, <strong>et</strong> qui, au <strong>Paraguay</strong> comme partout où il existe, s'est déposéen couches horizontales qui paraissent avoir nivelé les accidents <strong>du</strong> sol.Ce terrain se compose de trois couches : l'une de grès ferrugineui. très<strong>du</strong>rs, souvent remplis de rognons d'oxyde rouge ou d'hydrate de fer géodiquc; sans fossiles : la seconde de calcaire à fer hydraté; sans fossiles.La troisième est formée d'argile gypseuse grise, sans fer. A. D'0RBIG^Y ,Voyage, Géologie, t. 111, 3" partie, chap. Xll <strong>et</strong> Xlll.


CHAPITIIE IX.HYDROGRAPHIE. — LE RIO-PâRAGUAY.Les précédentes considérations orographiques démontrentque le <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> les Missions appartiennentau bassin <strong>du</strong> Rio de la Plata , séparé de celui del'Amazone par le portage peu élevé connu sous le nomde campos dos Paresis, que dominent les serras doTaman<strong>du</strong>à <strong>et</strong> do Tombador. Ce faîte de partage <strong>des</strong>eaux, répotid dans l'hémisphère septentrional à la ligneiqui divise le bassin de l'Orénoque de celui <strong>du</strong> rio Negro<strong>et</strong> <strong>du</strong> fleuve <strong>des</strong> Amazones. La région hydrographiquede la Plata occupe l'immense vallée longitudinale<strong>du</strong> demi-continent sud-américain, bornée à l'ouestpar la cordilière <strong>des</strong> An<strong>des</strong>; à l'est par la serra do Mor,4qui s'étendent parallèlement aux côtes océaniques. Elleembrasse une éten<strong>du</strong>e évaluée par les géographes à


HYDROGRAPHIE. LE RIO -PARAGUAY. 913,039,780 kilomètres carrés (1). Trois cours d'eau magnifiques,dont la direction générale est N. <strong>et</strong> S., grossisde nombreux affluents, concourent à la formation <strong>du</strong>vaste estuaire dont l'embouchure limitée par les capsSaint-Antoine <strong>et</strong> Sainte-Marie sous les35° de latitude,n'a pas moins de 40 lieues de large, <strong>et</strong> qui présente undéveloppement de navigation de 3,555 kilomètres. Cesgrands fleuves sont, en allant de l'O. à l'E. , le <strong>Paraguay</strong>,le Paranà <strong>et</strong> l'Uruguay.On a longuement discuté sur l'origine <strong>et</strong> l'étymologie<strong>du</strong> mot « <strong>Paraguay</strong> » qui <strong>du</strong> fleuve est passé à laprovince dont il forme la limite occidentale. La plusancienne version <strong>et</strong> laplus naturelle, est celle <strong>des</strong> premiersconquérants {adelantados) ,qui trouvant la nation<strong>des</strong> Payaguàs maîtresse souveraine de ses eaux <strong>et</strong>de ses îles ,depuis Santa-Fé jusqu'au lac <strong>des</strong> Xarayes,lui donnèrent le nom de Payacjiia-y , rivière <strong>des</strong> Paijaguàs(2); <strong>et</strong> par suite d'une légère altération euphonique,celui de <strong>Paraguay</strong>. Les langues offrentde fréquentsexemples de corruptions moins naturelles <strong>et</strong>moins admissibles, à coup sur,que celle-là.Cependant c<strong>et</strong>te étymologie n'a pas été unanimementadoptée,<strong>et</strong> chaque historien a proposé la sienne.(1) Adrien Balbi, Éléments de géographie générale.(,2) En guarani, y veut dire eau, <strong>et</strong> par extensiou rivière, fleuve. Lenom de ces Indiens paraît dériver <strong>des</strong> deux mots pat <strong>et</strong> aguaâ ,qui sigiiifient« attaché à la rame; » ce qui, nous le verrous plus tard, est loutà fait conforme à leurs habitu<strong>des</strong>. La finale 1' est assez commune, cl saprononciation à la fois gutturale <strong>et</strong> nasale , est une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> difflculté?de la langue guaranie. Les jésuites, dans leurs vocabulaires, l'ont expriméepar ce signe Ç). Elle offre quelque analogie avec la prononciation <strong>du</strong>J ijola) <strong>des</strong> Espagnols, combinée avec celle de VU adouci <strong>des</strong> Allemands.


92 HYDROGRAPHIE.Les uns, voyant les Indiens <strong>du</strong> rivage orner leur têtede couronnes de fleurs, ont ren<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, par mude couronms bigarrée.s (en guarani para littéralementtach<strong>et</strong>é, veut dire aussi couleurs variées ; gua signifiecercle, couronne; <strong>et</strong>, nous le savons, y se tra<strong>du</strong>it part'aw,rivière). Pour d'autres, le fleuve américain « mérite <strong>des</strong>couronnes, »ou bien encore, le lac <strong>des</strong> Xarayes dont ilsort (ce qui est tout à fait inexact), « lui forme une couronne(I). » On en conviendra, avec de pareilles interprétations,la science étymologique ne recèlerait plus deproblèmes insolubles. Enfin, pour quelques écrivains, lemot <strong>Paraguay</strong> ou eau <strong>des</strong> Paraquas , a été tiré <strong>du</strong> nomd'une espèce d'oiseaux fort communs sur ses rives (2).Voici maintenant la version proposée par le docteurRengger. Para en langage guarani veut dire encoremer, <strong>et</strong> qua-y , trou d'eau, source; d'où <strong>Paraguay</strong>, ou<strong>Paraguay</strong>, si l'on consulte l'ortbographe de quelquesvieuxmanuscrits <strong>du</strong> xvi® siècle conservés dans les archivesde l'Assomption : ces mots « trou d'eau, source »pouvant s'entendre soit de l'Océan , soit <strong>des</strong> mers intérieuresou <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> lagunes que le rio forme dansson cours (3). Ajoutons enfin pour clore c<strong>et</strong>te digres-(1) D'où le nom de fleuve couronne que lui donne le P. Charlevoii. Ouvoit avec étonnement c<strong>et</strong> écrivain estimable repro<strong>du</strong>ire dans son <strong>Histoire</strong><strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ^ Paris, 1756, 3 vol. in-4'>; t. I", p. 6) c<strong>et</strong>te erreur géographiquedéjà réfutée par un auteur <strong>du</strong> xvr siècle, qui uc se pique pourtantpas d'une rigoureuse exactitude. La Argenlina o la Conquisla del Riode la Plala; par D. Martin del Barco Centenera, dans la Coleccion deobras y <strong>du</strong>cumeulos^ t. H, Dueuos-Ayres, 1630. La première tdiliou a paruà Lisbonne eu 1G02.v2) Pénélope, Orlalida Parraqua.v3) lleise, p. 4.


LE RIO -PARAGUAY. 03sion,<strong>et</strong> n'om<strong>et</strong>tre aucune circonstance de nature à éluciderces obscures origines, que vers 1 537, peu d'annéesaprès la découverte, les Guaranis de la province obéissaientaux ordres d'un cacique nommé Paragua (1).Quoi qu'il en soit de la valeur un peu hypothétiquede ces étymologies, le <strong>Paraguay</strong>, qui paraît avoir reçule premier le nom mensonger de Rio de la Plata (rivièred'Argent), prend sa source dans laprovince brésiliennede Mato-Grosso, par 14° 35' de latitude, <strong>et</strong>58° 30' de longitude occidentale, en un lieu qui s'appelleimproprement As s<strong>et</strong>e lagoas. Le fleuve ne sorten eff<strong>et</strong> que de deux p<strong>et</strong>its lacs à bords fangeux, circulaires,entourés de palmiers Buritis, <strong>et</strong> situés sur unplateau de schistes argileux , à une altitude observéepar M. de Castelnau de 305 mètres (2). Large à sanaissance de 25 à 30 mètres, bientôtgrossi <strong>des</strong> eauxd'un troisième lac, ilse précipite par une gorge étroite,coule au S. S. 0., <strong>et</strong> reçoit le rio Pari. Le morroDiamantino, les serras Axul, do Tombador, <strong>et</strong> do Taman<strong>du</strong>â,qui dominent le plateau, sont les éléments d'unmême système, auquel se soude la chaîne nord-orientale<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> qui constitue le trait d'uniondont nous avons déjà parlé, entre la formation brésilienne<strong>et</strong> le surgisement <strong>des</strong> An<strong>des</strong> (3). Azara <strong>et</strong> les(1) Série de los senores Gobernadores del <strong>Paraguay</strong> ^ rtc, par clP. lUuTiSTA. Angelis, t. II, p. 187.(2) Eœpédilion dans les parties centrales de l'Amérique <strong>du</strong> Sud. Partiehistorique, t. II, p. 310.(3) Des géologues, à la tète <strong>des</strong>quels il faut placer M. de Humboldl,considèreut les formations comme indépendantes l'une de Taufre , ci serefusent à adm<strong>et</strong>tre que le portage de Mato-Grosso soit sufli:janl pour


94 HYDROGRAPHIE.auteurs espagnols donnent indistinctement à c<strong>et</strong> ensemblede culminances montagneuses, le nom de Sierradel <strong>Paraguay</strong>, ou de las Paresis, <strong>du</strong> nom <strong>des</strong> Indiensqui habitent dans ses replis,entre Diamantino <strong>et</strong> VillaBella de Mato-Grosso (1).Le rio Tapajos ou Topayos, connu à Diamantino sousle nom d'Arinos, tributaire de l'Amazone ,prend sasource sur le même plateau que le <strong>Paraguay</strong>. En cepoint , les branches d'origine <strong>des</strong> deux plus grandsfleuves <strong>du</strong> Sud-Amérique , sortent <strong>des</strong> entrailles de laterre, entrelacées; tressées, suivant l'heureuse expressionde M. de Castelnau. Ainsi, les sources de l'Arinossont à 40 ou 50 mètres dans le sens horizontal, <strong>et</strong> à'10 mètres dans le sens vertical , de celles <strong>du</strong> rio Rebo,tributaire <strong>du</strong> Cuvabà. Les sources <strong>du</strong> ïombador, sousaffluentde c<strong>et</strong>te dernière rivière, sont très-voisines decelles <strong>du</strong> Ribeirào do Estivado, véritable tronc de l'Arinos(2). Enfin, la vallée <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> celle <strong>du</strong>Cuyabà , sont séparées par la Serra Azul de l'abaisrnlinrces deux systèmes de montagnes. Pour eux rabaissement <strong>du</strong> terraindans Ja province de Chiquitos est la ligne de partage <strong>des</strong> eaux, A. deHuMuoLDT, Tableaux de la nature, tra<strong>du</strong>ction d'Eyriès, Paris, 1828, in-8,t. I*^', p. 81; — Van Lede, De la Coloîiisalion au Drcsil, Bruxelles, 18i3,gr. iu-8, p. 05.(1) La Villa de Nossa Senhora da Conceiçào do allô <strong>Paraguay</strong> Diamanlino, s'élève au centre de la région auro-diamantifère, à une lieue <strong>et</strong>demie <strong>du</strong> fleuve (lat. 14" 20'), C'est à tort que Flores considère la nation <strong>des</strong>l'.ircsis comme éteinte, ou ré<strong>du</strong>ite à quelques esclaves yCarla al Manquesde Valdelirios, p. 9, dans : Colecçion de dncum<strong>et</strong>Uns, t. IV). M. de Castelnau(ouv. cité) a recueilli sur ces Indiens d'intéressants détails.(2) F. DE Castelnau, Partie historique , t. Il; ci Cart^ <strong>des</strong> sources <strong>du</strong>PàO'<strong>Paraguay</strong>, de l'Arinos, el <strong>du</strong> liio-Cuyabà, V*- partie, Géographie, Pa-


LE RIO-PARAGUAY. 95sèment où coulent les sous-afïïuents de l'Araguay. Maislaissons de côté pour l'instant, ce merveilleux entrecroisementqui prom<strong>et</strong> aux générations futures une navigationintérieure d'une incomparable éten<strong>du</strong>e, <strong>et</strong> revenonsà la grande artère qui sera dans l'avenir l'anneauprincipal de c<strong>et</strong>te chaîne ininterrompue.Jusqu'aux 16° de latitude, le <strong>Paraguay</strong> coule suivantune direction N. <strong>et</strong> S. à peu près régulière; arrivé là,il s'infléchit brusquement tantôt à l'E., tantôt à l'O.,en décrivant de nombreux méandres. Déjà, il avaitpris possession <strong>du</strong> cours tranquille <strong>et</strong> calme qu'il conservejusqu'à son embouchure. En eff<strong>et</strong>, les rapi<strong>des</strong>assez nombreux d'abord , disparaissent au-<strong>des</strong>sous doAs très barras, nom donné au triple confluent de seseaux avec celles <strong>des</strong> rios Santa-Ana <strong>et</strong> do Tamandnâ.Il traverse ensuite par plusieurs bras le lac fameux <strong>des</strong>Xarayes, regardé pendant longtemps comme sa source,<strong>et</strong> sur lequel nous reviendrons; puis, il continue àparcourir <strong>des</strong> terrains bas <strong>et</strong> inondés aux moindrescrues jusqu'aux 22^ A partir de ce point, la rive gauches'élève <strong>et</strong> s'abaisse alternativement jusqu'à la réunion<strong>du</strong> fleuve (1 )avec le Paranà qui lui impose injustement^son nom (2), sous les 27° 16' de lat. <strong>et</strong> les 60° 50' de f f ^'n(1) Eq dépit de la distinction consacrée par l'usage <strong>et</strong> les classifications,mais qui devient presque choquante lorsqu'il s'agit de l'appliquer au Nouveau-Mondeoù la nature revêt de si majestueuses proportions, nous continueronsà appeler le Rio-<strong>Paraguay</strong> un fleuve, <strong>et</strong> nos lecteurs ne tarderontpas à partager notre avis.(2) A beaucoup d'égards, on doit considérer le Rio-Paragaay comme labranche principale <strong>du</strong> Paranà ,<strong>et</strong> plusieurs écrivains ont vainement tentéde réparer c<strong>et</strong>te injustice géograpliiquc, en donnant à ce dernier lleuvc le


96iHYDROGRAPHIE.long. 0. On peut évaluer à 500 lieues l'étenilue <strong>des</strong>on cours ,pendant lequel la largeur <strong>du</strong> lit varie ,même en temps ordinaire , dans <strong>des</strong> proportions asseznotables.C<strong>et</strong>te largeur n'estpas toujours facile à déterminer.La présence d'îles nombreuses, de bancs de sable, l'extrêmefacilité avec laquelle le fleuve divague ou sort <strong>des</strong>on lit,entourent de quelques obstacles une appréciationde c<strong>et</strong>te nature. A l'Assomption , où son coursoffre une assez grande régularité, <strong>du</strong> côté de la rivegauche surtout, on peut évaluer la largeur moyenne <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> de 800 à i ,000 mètres : en basses eaux, ellepeut <strong>des</strong>cendre à GOO mètres. Azara, à la suite d'unesécheresse tout à fait exceptionnelle, l'a trouvée dei ,232 pieds seulement. En général, la largeur <strong>du</strong> fleuvevarie entre 350 <strong>et</strong> 600 mètres. Mais elle est en certainsendroits beaucoup plus considérable; ainsi, au rinconde Naranjay, au-<strong>des</strong>sous de Pasope <strong>et</strong> de la Yill<strong>et</strong>a, elleatteint 12 ou 1500 mètres. A l'aide de mesures trigonométriques, le commandant Leverger l'a trouvée de326 mètres, à la hauteur <strong>du</strong> Cerrito (ile Atajo). Enrevanche, <strong>et</strong> lorsque les eaux s'élèvent beaucoup au-<strong>des</strong>sus<strong>du</strong> niveau ordinaire, comme lors de la crue de i 825,c<strong>et</strong>te largeur peut atteindre 2 lieues <strong>et</strong> même davantage,Isur les points où les berges <strong>du</strong> fleuve sont peu élevées.Azara a déterminé par <strong>des</strong> expériences précises levolume <strong>des</strong> eaux, <strong>et</strong> il a trouvé à l'Assomption leurdébit égal à98,303 toises cubes, soit 786,424 mètresnom de <strong>Paraguay</strong> jusqu'au moment où par sa jonction avec l'Uruguay,il lurme le Rio de la Plala.


LE RIO-PARAGUAY. 97cubes par heure. Or, à ce moment, le rio était flcscen<strong>du</strong>à un étiage que personne ne se souvenait d'avoir vu :aussi, le célèbre ingénieur n'hésite-t-il pas à lui accorderun volume double au moins de celui-ci (1).Ce que j'ai dit <strong>du</strong> peu d'élévation <strong>des</strong> rives <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,laisse prévoir comme conséquences un courspeu rapide , une profondeur toujours considérable , <strong>et</strong><strong>des</strong> débordements qui s'étendent à de gran<strong>des</strong> distancesdans l'intérieur <strong>des</strong> terres.Le cours <strong>du</strong> fleuve est lent <strong>et</strong> majestueux. La vitessede ses eaux, quoique variable suivant la largeur, laprofondeur <strong>du</strong> lit , <strong>et</strong> certaines conditions que j'exposerai,est toujours assez faible, <strong>et</strong> bien inférieureà celle <strong>des</strong> eaux <strong>du</strong> Paranà. On peut l'évaluer,en moyenne, à 1 mille 1/2, en prenant pour extrêmes1/2 mille <strong>et</strong> 3 milles 1/2 (2). Azara estime, d'après lesobservations <strong>et</strong> les nivellements barométriques <strong>des</strong> commissaireschargés de l'exécution <strong>du</strong> traité de 1750, quele rio n'a pas un pied de pente par mille marin entre lesparallèles de 16° 24' <strong>et</strong> 22' 57.Sa profondeur considérée d'unemanière générale,<strong>et</strong> abstraction faite de quelques passes que nous indiquerons, est considérable. La sonde accuse depuis4 jusqu'à 12, 15, 20 mètres, <strong>et</strong> même davantage prèsde l'embouchure.C<strong>et</strong>te profondeur n'est pas la même dans toute la largeur<strong>du</strong> lit. Souvent il n'existe qu'un canal au milieu,(1) Voyages dans l'Amérique méridionale, 1. 1, p. G7.[2) De (iO au degré.


9SHYDROGRAPHIE.OU sur Tun <strong>des</strong> côtés, lequel mesure depuis 20 jusqu'à150 mètres. Parfois, le reste est guéable. C<strong>et</strong>te passeest constamment creusée dans un terrain d'alluvion;rarement on y rencontre <strong>des</strong> blocs de grès, <strong>et</strong> plus rarementencore <strong>des</strong> caillouxroulés. Dans quelques endroits, le fond est de roche.Le Rio-<strong>Paraguay</strong> éprouve <strong>des</strong> crues périodiquesrégulières. Elles commencent à se faire sentir à l'Assomptionen février, <strong>et</strong> augmentent peu à peu jusqu'enjuin <strong>et</strong> juill<strong>et</strong>. Puis, les eaux baissent <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>irentavec la même régularité. Ces crues sont <strong>du</strong>es aux pluiesabondantes ,qui tombent dans la province de Mato-Grosso pendant la saison chaude , <strong>et</strong> qui ne survien-<strong>et</strong>Inent au <strong>Paraguay</strong> que plus tard, en avril,mai <strong>et</strong> juin.Il faut donc pour les pro<strong>du</strong>ire <strong>des</strong> pluies générales <strong>et</strong>successives. Les premières emplissent ses branches d'origine,l'immense lac <strong>des</strong> Xarayes <strong>et</strong> les terres basses quil'environnent : les secon<strong>des</strong>, les lagunes <strong>du</strong> Grand-Chaco, <strong>et</strong> les nombreux tributaires qui viennent aboutirà la rive orientale <strong>du</strong> fleuve.A la suite de ces pluies, il est rare qu'il ne sorte pasde son lit <strong>du</strong> 16^ au 22^ degré de lat. Peu à peu ilyrentre, <strong>et</strong> le plus ordinairement sans laisser de tracesde ce débordement passager qui facilite lanavigation.Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi. Siles pluies persistent, la crue augmente, <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>inonde les terres à de prodigieuses distances, depuis16'' 30' jusqu'à son embouchure. En 1825, il avait àl'Assomption, 8 kilomètres de large, <strong>et</strong> le docteur Rengger,témoin de ce fait, ajoute qu'il navigua dans une


,LE RIO-PARAGUAY. 99pirogue au milieu <strong>des</strong> têles de palmiers dont les troncsne mesuraient pas moins de 25 pieds. Vers lelac <strong>des</strong>Xarayes l'inondation prend <strong>des</strong> proportions gigantesques;<strong>et</strong> sur tous les points, les dégâts qu'elle entrainesont in<strong>des</strong>criptibles.Les habitants, quoique placés à de gran<strong>des</strong> distancesdans l'intérieur <strong>des</strong> terres, quittent précipitammentleurs demeures; <strong>des</strong> villes entières sont abandonnées;d'autres disparaissent englouties : tel fut, en 1825, lesort de Remolinos.Les bestiaux surpris par l'inondation périssents'ilsne parviennent pas à se réfugier sur ces segments <strong>des</strong>phères, dont nous avons signalé l'existence dans unprécédent chapitre.En même temps, le lit <strong>du</strong> fleuve se déplace; <strong>des</strong>cou<strong>des</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> bancs de sable s'effacent <strong>et</strong> disparaissent;d'autres se creusent ou surgissent; <strong>des</strong> îles se formentou se réunissent à la terre ferme. Tous ces changementsdans lechenal constituent <strong>des</strong> embarras pour la navigation.Des plantes aquatiques arrachées dans les lagunes<strong>et</strong> entraînées par le courant, signalent le commencementde la crue.La surface <strong>du</strong> fleuve en est presquecouverte. Les reptiles <strong>et</strong> les jaguars, cernés par leseaux , cherchent un refuge sur ces îles flottantes , s'yattachent ,<strong>et</strong> apparaissent ainsi inopinément près <strong>des</strong>habitations, <strong>et</strong> même au centre <strong>des</strong> villes. On trouvedans les auteurs espagnols,plusieurs exemples de cesbrusques <strong>et</strong> dangereuses apparitions.D'après la disposition de ses rives, on est con<strong>du</strong>it àm*'


100 HYDROGRAPHIE.supposer que son niveau ne doit pas s^élever très-rapidement.Le docteur Rengger est d'un avis contraire,<strong>et</strong> il cite à l'appui de son opinion ce fait qu'il auraitvu, <strong>du</strong>rant <strong>des</strong> pluies continues, les eaux monter de1 pied iy2 dans les vingt-quatre heures; ce qui sur plusieurspoints, déterminait une inondation de 1 kilomètred'éten<strong>du</strong>e (1). x\ssurément, pour ceux de noslecteurs qui connaissent la croissance rapide <strong>des</strong> fleuvesde l'Europe — celle de la Loire par exemple — cechiffre de i pied 1/2 ne paraîtra pas très-concluant.Azara se tait sur ce point , <strong>et</strong> les renseignements quej'ai recueillis ne me perm<strong>et</strong>tent pas de partager la manièrede voir <strong>du</strong> voyageur suisse.Les eaux décroissent avec régularité , <strong>et</strong> pluspromptement qu'elles ont monté. Elles laissent ense r<strong>et</strong>irant <strong>des</strong> flaques d'eau éten<strong>du</strong>es <strong>et</strong> peu profon<strong>des</strong>; elles déposent dans les prairies <strong>et</strong> sur leschamps cultivés une argile fine, limoneuse, noirâtre,douce au toucher, qui ne nuit en rien à la culture; denombreux détritus de végétaux ; elles abandonnent <strong>des</strong>poissons <strong>et</strong> <strong>des</strong> coquillages entraînés de points trèséloignés,car ces espèces diffèrent de celles qu'on rencontrehabituellement. Ces matières organiques ne tardentpas à entrer en décomposition; mais lasalubrité<strong>du</strong> pays n'est pas sensiblement altérée par ces eftluves<strong>et</strong> ces émanations putri<strong>des</strong>.L'eau <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> est, en tout temps, assez bonneà boire, quoique moins facile à digérer que celle <strong>du</strong> Pa-(1) Vbi suprà, p. 42.


LE RIO-PARAGUAY. 101ranà. Au commencement <strong>des</strong> crues , le trop-plein <strong>des</strong>lagunes saumâtres <strong>du</strong> Grand-Cliaco lui donne un goûtdésagréable. Sa limpidité n'est jamais parfaite, car ell<strong>et</strong>ient en suspension <strong>et</strong> laisse déposer un limon abondant,brun noirâtre, qu'un filtrage en séparerait promptement.Les pluies même passagères, mais un peu fortesla troublent au point de la rendre impotable. C<strong>et</strong> inconvénient,joint à sa température élevée, empêcbe leshabitants de l'Assomption d'en faire usage. Des femmes{aguaccras) apportent dans d'immenses jarres de terre,une eau plus fraîche, limpide, puisée à. une fontainequi s'échappe de la falaise <strong>du</strong> rio, à un demi-kilomètrede la ville.La profondeur peu considérable <strong>du</strong> fleuve auprès <strong>des</strong>bords, la stagnation <strong>des</strong> nombreuses lagunes qui s'ydéversent, l'immense éten<strong>du</strong>e de soncours qui se déroulelentement sous un ciel torride, perm<strong>et</strong>tent à seseaux d'acquérir, en été, une température qui pro<strong>du</strong>itune impression désagréable à ceux qui les boivent,<strong>et</strong>parfois même à ceux qui s'y baignent. C<strong>et</strong>te élévationde température plus sensible sur les bas-fonds, dansles angles rentrants, découverts, où le courant ne sefaitpas sentir, <strong>et</strong> où la chaleur solaire agit directement,peut atteindre à 20, 25, <strong>et</strong> jusqu'à 28 <strong>et</strong> même à30 degrés , si toutes les circonstances dont je viens deparler se trouvent réunies. Des observations répétées àde longs intervalles, m'ont donné, en hiver, 8, 10 <strong>et</strong>12 degrés. Quelquefois, il y avait coïncidence entre latempérature de l'eau <strong>et</strong> celle de l'air,mais c<strong>et</strong> équilibrene tardait pas à se rompre, car le froid ne <strong>du</strong>rait pas,


102 HYDROGRAPHIE. LE RIO-PARAGUAY.<strong>et</strong> la masse liquide conservait presque sans variationsatempérature pendant plusieurs jours.J'ai constaté aussi <strong>des</strong> différences de plusieurs degrésentre les données thermométriques obtenues sur lesbords, <strong>et</strong> celles observées au milieu <strong>du</strong> courant. Cesdifférences s'élevaient à 1% i°o, 2 <strong>et</strong>même 3 degrés,suivant que Tinstrument plongeait dans les couches supérieures,ou qu'il était <strong>des</strong>cen<strong>du</strong> à plusieurs pieds au<strong>des</strong>sousde la surface de l'eau.i^•i»i-,v


CHAPITRE X.HYDROGBAPHIE ( SUite )—LE RiO-PARAGDAY SES AmUEBITS.Avant d'aborder la <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> affluents <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, nous dirons quelques mots <strong>du</strong> lac <strong>des</strong> Xarayes,sur lequel les historiens de la découverte ontaccrédité de fabuleuses traditions. Leur imagination,enflammée par l'ardente soif de l'or, avait élevé aucentre de ces marais inaccessibles, le puissant empirede Paytitiou <strong>des</strong> Xarayes, qui prom<strong>et</strong>tait <strong>des</strong> trésorsinépuisables aux conquérants assez heureux pour l'atteindre.Mais c<strong>et</strong> Eldorado, semblable à la cité merveilleusede Manoa <strong>du</strong> rio Parime, vainement poursuiviedepuis Colomb, s'évanouissait comme elle à leurapproche. Ces décevantes illusions se sont enfm dissipées;<strong>et</strong> l'histoire en conserve le souvenir pour témoignerde la cupidité <strong>des</strong> hommes, à laquelle est <strong>du</strong>e, il


104 HYDROGRAPHIE.faut cependant le reconnaître, l'audacieuse exploration<strong>des</strong> régions centrales <strong>du</strong> Sud-Amérique.Le lac<strong>des</strong> Xarayes ou Yarayés, commence un peuau-<strong>des</strong>sous de l'embouchure <strong>du</strong> rio Jaurù, par 16^ 30'de lat., <strong>et</strong> s'étend jusqu'aux 19°. Azara lui attribue <strong>des</strong>dimensions plus considérables encore, <strong>et</strong> le prolongejusqu'aux 22°, en lui donnant 1 1 lieues de long de 20au degré, sur 40 de large (1 ). Des deux côtés <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> surtout par sa rive droite, vers les plaines deChiquitos <strong>et</strong> <strong>du</strong> Grand-Chaco, les eaux s'étendent à deprodigieuses distances, ce qui donne au lac une figureirrégulière qui échappe à toute <strong>des</strong>cription. Entouréde terres basses bientôt inondées elles-mêmes, il représenteplutôt une vaste dépression <strong>du</strong> sol, un ensemblede marais immenses, sanslimites fixes <strong>et</strong> distinctes,car celles que lui assigne Azara sont dépassées,nous l'avons dit , dans certains cas où les eaux débordentsur les deux rives <strong>du</strong> fleuve jusqu'à son embouchure.Alors, le lac <strong>des</strong> Xarayes prend les proportionsd'une mer intérieure; <strong>et</strong> s'ilfallait ajouter foi aux relations <strong>des</strong> voyageurs, 5,000 lieues carrées disparaîtraientsubmergées, entre lO*"30' <strong>et</strong> 22"" de latitude. En tempsordinaire, il n'est pas navigable à cause de son peu deprofondeur, <strong>et</strong> pendant une grande partie de l'année, sasurface complètement <strong>des</strong>séchée, estrecouverte d'uneforêt de roseaux <strong>et</strong> de plantes aquatiques.(1) Voyages, l. I, p. 45. Dans rédition espagnole de la Biblioteca dclComercio del Plala, Montevideo, 1836, p. '69, ou a imprimé par erreur170 lieues.


LE RIO-PARAGUAY : SES AFFLUENTS. 105Ce lac a été regardé pendant longtemps comme lasource <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Après ce qui précède, il seraitsuperflu de réfuter c<strong>et</strong>te assertion. Loin de là : le fleuvegonflé par les pluies estivales <strong>du</strong> Mato-Grosso, se déversedans c<strong>et</strong> immense bassin où ses eaux se réunissentà celles qui <strong>des</strong>cendent <strong>des</strong> montagnes de la Bolivie.Plus tard, lamasse liquide cherche un écoulementvers le sud, <strong>et</strong> c'est alors que la crue se fait sentir à l'Assomption,<strong>et</strong> dans les plaines méridionales <strong>du</strong> pays.Le Rio-<strong>Paraguay</strong> reçoit par son bord occidental l<strong>et</strong>ribut de nombreuses lagunes, <strong>et</strong> <strong>des</strong> rivièresque l'éten<strong>du</strong>ede leur cours rend importantes au point de vue<strong>des</strong> relations internationales. Elles appartiennent auGrand-Chaco, <strong>et</strong> j'en parlerai plus loin (1).Quelques amas d'eau permanents s'écoulent aussipar sa rive gauche ; mais , ainsi qu'il était aisé de leprévoir, ils sont moins multipliés à l'orient qu'à l'occident<strong>du</strong> fleuve. L'élévation plus grande <strong>du</strong> sol , enles rendant plus rares, leur donne aussi une figure plusrégulière, plus de profondeur, <strong>et</strong> ils se confondentmoins avec les plaines environnantes. C<strong>et</strong>te dispositionappréciable surtout <strong>des</strong> 21° aux 25*" 30', disparaiten ce dernier point , où les deux bords s'aflaissent,pour conserver une horizontalité uniforme, rarementinterrompue, jusqu'à la rencontre <strong>du</strong> Paranà.Par ^r 25' <strong>et</strong> 27" 13' on trouve les embouchuresmultiples de deux lagunes sans importance ;mais pres-(1) y. Appendice, Le Grand-Chaco,


106 HYDROGRAPHIE.que toujours les amas d'eau permanents se déversentdans leur réceptacle commun ,par Tintermédiaire deruisseaux d'une éten<strong>du</strong>e médiocre.De ces lacs, le plus septentrional est la Laguna deIpacarahy. Nourrie en totalité par le ruisseau de Pirayù,qui prend sa source au pied <strong>du</strong> Cerro de Paraguary,elle envoie ses eaux au Rio-<strong>Paraguay</strong> par le Salado: longtemps on l'a regardée, mais à tort, commen'ayantaucune communication avec c<strong>et</strong>te grande artère.La lagune est située au pied de la Cordillera,dont la sépare une bande de terre étroite, creusée enovale régulier <strong>et</strong> très-ouvert. Du côté <strong>du</strong> sud, la riveprésente quelques échancrures à angles arrondis. Ladirection de son grand diamètre est de S. E. à N. 0.Elle a dans ce sens une éten<strong>du</strong>e de \ 2 kilomètres, <strong>et</strong> salargeur est d'une lieue <strong>et</strong> demie ; sa profondeur peuconsidérable dépasse rarement un mètre. Le bassin estd'alluvion, le fond de sable <strong>et</strong> de vase, surtout près <strong>des</strong>bords où l'épaisseur de lacoucbe limoneuse atteint undemi-mètre, <strong>et</strong> plus en certains endroits. C<strong>et</strong>te coucbeaugmente sans cesse par <strong>des</strong> amas de détritus végétaux.L'eau <strong>du</strong> lac rappelle un peu par sa couleur celle <strong>du</strong>Rio-<strong>Paraguay</strong> en temps de crue, mais elle a un goûtdésagréable, légèrement saumâtre, qu'ilfaut attribuerà la nature <strong>du</strong> sol qu'elle recouvre, car l'eau <strong>du</strong> Pirayù,qui forme presque exclusivement lalagune, estbonne à boire, tandis que celle <strong>du</strong> Salado, son déversoir,est saumâtre. Son niveau varie pou ; il ne croîtpas, ilne décroît pas sensiblement. Pendant les mois


LE RIO-PARAGUAY :SES AFFLUENTS. 107d'octobre <strong>et</strong> de novembre 1833, à la suite de pluiescontinues, les eaux montèrent, <strong>et</strong> vinrent battre lesarbres <strong>des</strong> Islas qui l'entourent (1).Le lac Ipacarahy, comme celui <strong>des</strong> Xarayes, commela lagune immense <strong>et</strong> impénétrable de Ybera dans laprovince de Corrientes, a aussi sa légende. On racontequ'à la place qu'il occupe, s'élevait autrefoisun village d'Indiens nommé Arecaia. Une inondationsurvint, <strong>et</strong> engloutit leshabitants. Ceux qui parvinrentà échapper au désastre, fondèrent le pueblod'Atira sur le versant N. de la Cordilière. Au momentoù le lac se formait, l'évèque vint le bénir, espérant parson intercession, l'empêcher de s'étendre : de là Tétymologiede son nom (2).On r<strong>et</strong>rouve parfois, dit-on, dans ses eaux, <strong>des</strong> tuiles,<strong>des</strong> ustensiles de ménage en poterie de terre, qui attesteraientl'existence reculée <strong>et</strong> singulière d'un villageélevé sur ce point. Mais — <strong>et</strong> je me hâte d'en faire l'aveu— je n'ai rien trouvé dans les vieux écrivains à l'appuide c<strong>et</strong>te tradition populaire, <strong>et</strong> Azara que je meplais à citer comme le modèle <strong>des</strong> voyageurs exacts,en racontant la formation de la peuplade d'Atirà, nefaitpas à c<strong>et</strong>te légende qu'il a dû connaître, l'honneurd'une de ces réfutations laconiques dont ilne se montrejamais avare.A tout prendre, le fait d'une inondation extraordinairevenant <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, n'est pas inadmissible.(1) Le mot espagnol Isla (ile) signifie aussi amas d'arbres au milieud'uue plaiue, sans doute par analogie.(2) En guarani Ipa eau , <strong>et</strong> caray baptisée.


108 HYDROGRAPHIE.La disposition <strong>du</strong> terrain ne s'oppose pas à c<strong>et</strong>te supposition.Mais pour qu'il yait formation d'un amas d'eaupermanent, n<strong>et</strong>tement circonscrit, à niveau presqueinvariable, présentant en un mot, toutes les conditionsd'un véritable lac, il faut <strong>des</strong> causes cosmiques,dont l'action puissante eût pro<strong>du</strong>it en même tempsd'autres phénomènes géologiques, quine seraient paspassés inaperçus pour les historiens d'une époque aussirapprochée de lanôtre.Au dire <strong>des</strong> habitants de ses rives, la lagune présenteraitun autre phénomène plus inexplicable encore.Ils assurent qu'à l'approche <strong>du</strong> vent <strong>du</strong> N., <strong>et</strong> commepour annoncer que la brise doit souffler de c<strong>et</strong>te direction,elle fait entendre un grand bruit. Ainsi, l<strong>et</strong>emps est calme, l'eau n'est pas soulevée par les vagues,<strong>et</strong> ce grondement sourd se propagerait à plusieurslieues au delà de la vallée de Itagua, avec une intensitéd'autant plus grande, que le vent <strong>du</strong> nord doitêtre plus violent, <strong>et</strong> d'une plus longue <strong>du</strong>rée. Deuxexplorations faites à plusieurs mois d'intervalle, nem'ont pas permis de constater ce singulier phénomène,comparable jusqu'à un certain point , mais dans <strong>des</strong>conditions bien différentes, à celui <strong>des</strong> Seiches <strong>du</strong> lacOnega.Je n'ai vu sur le lac,ni barques, ni pirogues; <strong>et</strong> l'onaffirme que la navigation n'y est pas sans danger. LesIndiens Payaguàs, à peu près seuls, s'aventurent surses eaux. Ils s'y rendent par lerio Salado pour chasserles troupes de Capivaras, auxquelles elles servent der<strong>et</strong>raite. On remarque encore qu'ils en côtoient les


LE RIO-PARAGUAY :SES AFFLUENTS. 109bords, <strong>et</strong> qu'ils évitent de le traverser; manœuvre assezfacilement explicable par le motif qui les y amène (1),<strong>et</strong> par l'existence probable de quelques hauts-fonds verslecentre.Les poissons ne sont pas nombreux; on n'y trouveque <strong>des</strong> raies armées , avec une quantité prodigieused'alligators,dont les plus grands ne m'ont pas paru dépasser3 mètres. Les indigènes redoutent lesattaquesde ces hideux amphibies, <strong>et</strong> ne se baignent dans lelacqu'avec de gran<strong>des</strong> précautions, malgré les vertus curativesqu'ils prêtent à ses eaux. Je me souviens que poursuivantsur ses bords de nombreuses ban<strong>des</strong> de canards<strong>et</strong> d'oiseaux aquatiques, tout le gibier que j'abattaisdans le lac était aussitôt dévoré par les caïmans, aucunde mes serviteurs {ipeones) n'osant y entrer, mêmeà cheval.Le Salado ne donne lieu à aucune remarque. Il suitune direction 0. N. 0., <strong>et</strong> se réunit au Rio-<strong>Paraguay</strong>au N. <strong>et</strong> près <strong>du</strong> Peùon ,par 25" 7' de lat. , après uncours de 10 kilomètres. Il est navigable pour <strong>des</strong> pirogues,pendant laplus grande partie de l'année.Le lac Ypoa est situé sous les 26° de lat.,<strong>et</strong> les plainesqui le séparent <strong>du</strong> précédent sont coupées alternativementde lomas <strong>et</strong> d'esferos, à travers lesquels onarrive àVEstero Bellaco qui l'entoure de toutes parts,<strong>et</strong> se prolonge pendant plusieurs lieues dans la direction<strong>du</strong> sud.(1) C'est, en eff<strong>et</strong>, près <strong>du</strong> rivage que se tient le Capivara {Cabiai deBuff. Cavia Capyvara de LiaD.)i animal de l'ordre <strong>des</strong> rougeurs.


110 HYDROGRAPHIE.Le lac Yj3oa, confon<strong>du</strong> avec les plaines marécageusesenvironnantes, a la figure d'un carré long irrégulier,<strong>et</strong> <strong>des</strong> dimensions doubles de celles de la laguna Ipacarahy.Ses eaux prennent leur cours vers le Tebiquary-Guazu, dans lequel elles se j<strong>et</strong>tent dix lieues environau-<strong>des</strong>sus de sa jonction avec le Rio-<strong>Paraguay</strong>, parl'intermédiaire de Varroyo Negro.Plus au sud, entre le Tebiquary <strong>et</strong> le Paranà, s'étendy Estera de Neembucuqui couvre une immense surface,<strong>et</strong>se prolonge depuis la ville del Pilar <strong>et</strong> le Rio-<strong>Paraguay</strong>,jusqu'aux Missions de S. Ignacio-Guazu , de S.Yago <strong>et</strong> de S. Cosme, où la planimétrie <strong>du</strong> sol commenceà disparaître.Par sa rive gauche, le <strong>Paraguay</strong> reçoit de nombreusesrivières qui n'appartiennent pas toutes au territoireparaguayen. Ce sont <strong>du</strong> nord au midi :Le San-Lorenzo , ou rio de los Porrudos, Il couleparallèlement au rio Cuyabà, qu'il surpasse par le volumede ses eaux, <strong>et</strong> son importance plus grande àtous égards. 11 reçoit c<strong>et</strong>te dernière rivière 35 lieuesenviron avant sa jonction avec le fleuve, auquel il seréunit par deux bras séparés par une île. Le bras méridional,sous le nom de Canal de Cheané, aurait servide chemin aux Paulistes, jusqu'à la capitale de la provincede Mato-Grosso, fondée en 1729 (lat. IS"* 47),à peu de distance <strong>du</strong> rio Cuyabà qui lui a donné sonnom (1). Mais l'existence de c<strong>et</strong>te île est contestable.(1) Le P. Ot'iROGA, Descripcion del Rio-<strong>Paraguay</strong>, p. 4; — Flores,Caria al Marques de Valdclirios , p. 12 : dans la Coleccion de Augelis.Lat. de l'embouchure <strong>du</strong> Cheané IS» 8' ; <strong>du</strong> bras priucipal 17» 55'.


LE RIO-PARAGUAY : SES AFFLUENTS. 111L'embouchure méridionale <strong>du</strong> San Lorenzo n'a, eneff<strong>et</strong>, aucune importance, <strong>et</strong> les canots ne peuvent ypasser qu'en temps de crue. Le reste de l'année, on n<strong>et</strong>rouve que <strong>des</strong> marais (banados), ren<strong>du</strong>s infranchissablespar une forêt de plantes aquatiques, pro<strong>du</strong>it de lavégétation tropicale. Toutefois, la nature <strong>des</strong> atterrissementsqui se forment peu à peu sur ce point, perm<strong>et</strong>de supposer que la double communication signalée danstoutes les cartes, existait réellement, <strong>et</strong> qu'elle tend àdisparaître sous les détritus qui s'y accumulent incessamment.Vers les 1 9°, le <strong>Paraguay</strong> reçoit le Tacuari (1 ), <strong>et</strong> par19° 20' le rio Mbot<strong>et</strong>ey (2). Ces deux rivières néesdans la Sierra de San-José, coulent, la première de TE.à l'O.; <strong>et</strong> la seconde, plus rapide, <strong>du</strong> S. E. au N. 0.;nous les verrons plus tard jouer un rôle importantdans les incursions <strong>des</strong> Paulistes, <strong>et</strong> les transactionscommerciales de la province de Mato-Grosso. Mbot<strong>et</strong>eyest une altération de Obt<strong>et</strong>eyù, nom d'origine indienne :c'est le Mondego <strong>des</strong> Brésiliens.Les rios Guachié <strong>et</strong> Blanco méritent à peine unemention. Ilen est de même <strong>du</strong> Tepoti, ruisseau dontl'existence a paru douteuse à quelques voyageurs quile regardent comme l'ouverture d'une lagune (3) ;lefleuve présente en c<strong>et</strong> endroit une large courbure quiexplique c<strong>et</strong>te incertitude.(1) Le Tacuari a trois embouchures : celle <strong>du</strong> N. est située par IQ^S';la suivante par 19» 7', <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> S. par lO" 11' i^FIores).(2) 19«30' (Flores).(3) 21» 45' (Quiroga); 2i


112 HYDROGRAPHIE.La position <strong>du</strong> rio Apa ou Corrientes, limite septentrionalede la république paraguayenne ,que nousLe nom d'Apa est indien, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te synonymie sifréquente,a augmenté laavons vu revenir souvent dans les interminables contestationshispano-portugaises, a soulevé bien <strong>des</strong> discussions.confusion que <strong>des</strong> intérêts <strong>politique</strong>savaient fait naître, <strong>et</strong> qu'ils ont entr<strong>et</strong>enue;confusion que Ton rencontre d'ailleurs,à chaque pas,dans l'étude de la géographie américaine. Chaque voyageura donc décrit c<strong>et</strong>te rivière sous le nom qui lui aplu. Les uns passent sous silence le rio Corrientes, <strong>et</strong>parlent <strong>du</strong> rio Apa, auquel ils donnent la position suivante: 22^ 3' (Pasos); 22° 5' (Flores); 22° 6' (Leverger)(1).Azara mentionne le rio Corrientes par 22° 4', <strong>et</strong> leP. Quiroga le place par 22° 2', sans mot dire de l'autredésignation.Le docteur Rengger dans la carte qui accompagneson Reùe nach <strong>Paraguay</strong> y inscrit un rio Corrientessous les 22° <strong>et</strong> quelques minutes, <strong>et</strong> un rio Apa sousles 23°.Pour nous, ces deux noms désignent un seul <strong>et</strong>même cours d'eau, qui né au milieu <strong>des</strong> derniers contre-fortsde laSierra de San-José, se dirige à TO. <strong>et</strong> seréunit au <strong>Paraguay</strong> sous les 22° 5' 30" à l'aide dedeux bouches séparées par une île basse <strong>et</strong> peu éten-(1) Pasos, Diario de la navigacion y reconocimiento del rio <strong>Paraguay</strong>,<strong>des</strong>dc la Asumpcion haala Albuquerque y Coimbra , daus laCokccion de Aogelis, t. IV.


LE RIO-PARAGUAY : SES AFFLUENTS. 113<strong>du</strong>e. Au-<strong>des</strong>sus d'elle il a 40 brasses de largeur ; maisle chenal est assez étroit <strong>et</strong> le courant très-faible. Seseaux sont plus claires que celles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ; lesbords ont une élévation de 4 mètres.L'Aquidabanigy (1) formé par la réunion de plusieursruisseaux qui <strong>des</strong>cendent de la Sierra de San-José, suit une direction N. E. <strong>et</strong> 0. S. 0. On peut leconsidérer comme la limite septentrionale de la partiehabitée <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les Espagnols avaient fondéavant l'Indépendance, <strong>des</strong> établissements au delà dec<strong>et</strong>te ligne, mais les Indiens M'bayas les attaquèrent <strong>et</strong>s'emparèrent <strong>des</strong> troupeaux. Leurs déprédations ne s'arrêtèrentpas là ,<strong>et</strong> plus tard le Dictateur fut obligé d'établir<strong>des</strong> blockhaus pour les contenir. Le cours de c<strong>et</strong>terivière est peu éten<strong>du</strong> , mais assez rapide ;elle grossitaux moindres pluies; <strong>et</strong> la profondeur, la vitesse <strong>des</strong>es eaux, l'escarpement de ses bords, les fragments deroche <strong>et</strong> les gal<strong>et</strong>s qu'elle charrie en grande quantité,en rendent le passage à gué difficile en toute saison, <strong>et</strong>parfois impossible.De nombreux arroyos, le Cangata, le Pastoreo Yiejo,le Boy, <strong>et</strong>c., nés sur le versant occidental de la Cordillerade los montes, entre les ramifications que dominele Cerro pijta (montagne rouge) , se réunissent <strong>et</strong> formentle rio Ipané (2), dont les eaux transparentes,profon<strong>des</strong> <strong>et</strong> rapi<strong>des</strong>, se dirigent bientôt à l'O.pour sejoindre à celles <strong>du</strong> fleuve, à 3 lieues au-<strong>des</strong>sous de(1) C'est le rio Guarambaré <strong>du</strong> P. Quiroga. Lat. 23» 8'.(2) Ipané-Guazù <strong>du</strong> P. Quiroga, lat. 23" 28';<strong>et</strong> de Flores, lat. 23" 38'8


114 HYDROGRAPHIE.Belen. En c<strong>et</strong>endroit, l'Ipané a une largeur moyennede 40 mètres. Ses bords creusés dans le roc,en généralescarpés, sont couverts d'une végétation puissante.Il coule comme ses affluents sur fond de sable <strong>et</strong> demenu gravier,<strong>et</strong> comme eux n'est navigable que pour<strong>des</strong> pirogues à cause de ses récifs.Le Xejuy (1) dont l'embouchure est située sous les24" 1 4', est une branche considérable <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Ilprend à sa sortie de la Cordillera de Mbaracayù, unedirection générale E. <strong>et</strong> 0. en décrivant de nombreuxcircuits; <strong>et</strong> reçoit dans ce traj<strong>et</strong>, par sa rive droite, leXejuy-Mini, l'Ytanana, le Sepultura, nés dans la mêmechaîne ; <strong>et</strong> par sa rive gauche, le Curuguaty, qui coule<strong>du</strong> S. E. au N. 0. La largeur <strong>du</strong> Xejuy à son embouchureest de 300 mètres, <strong>et</strong> à Yquamandiyu de moinsde la moitié. Sa profondeur varie de 2 à 3 mètres;mais en temps de sécheresse ellediminue beaucoup,<strong>et</strong> se ré<strong>du</strong>it parfois à un pied.Navigable pour <strong>des</strong> piroguespendant laplus grande partie de l'année, c<strong>et</strong>terivière livre passage, à l'époque de ses crues, à degran<strong>des</strong> embarcations qui <strong>des</strong>cendent de la ville deCuruguaty avec <strong>des</strong> chargements de Maté qu'elles con<strong>du</strong>isentsur le marché de l'Assomption. Ses eaux claires,assez rapi<strong>des</strong>,<strong>et</strong> très-poissonneuses, roulent sur un litde sable qui devient limoneux à l'embouchure où unebarre s'est formée. On rencontre le roc vif sur sesbords; c'est un grès à gros grains.(1) Ou Jcjuy; il faudrait dire Yeyui, <strong>du</strong> nom d'un arbre fort comimmsur ses rives.


LE RIO-PARAGUAY :SESAFFLUENTS. 115Le cours de l'Aguaray, tributaire <strong>du</strong> Xejuy, est coupépar une cascade remarquable située dans la Sierrade San-José. C<strong>et</strong>te rivière qu'Azara compare à la Seine,acquiert une largeur de 25 à 30 mètres à peu de distancede sa source. Parvenue sous les 23° 38' de lat. <strong>et</strong>les 58° 38' de long., elle se précipite perpendiculairementde toute la hauteur de la Sierra^ laquelle est icide 384 pieds, <strong>et</strong> reprend ensuite un cours paisible.C'est une <strong>des</strong> plus hautes casca<strong>des</strong> connues; mais, ditle docteur Rengger, se trouvant enfoncée dans unegorge <strong>et</strong> tout entourée par la forêt vierge , elle n'offrerien d'attrayant; c'est plutôt un spectacle triste <strong>et</strong> sauvage,au milieu d'une nature sombre <strong>et</strong> déserte (1).Entre le Xejuy <strong>et</strong> le Tebiquary, la rive gauche <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> ne reçoit que <strong>des</strong> affluents sans importance ;tels sont : le Tobaty, le Piribebuy (lat. W 58'), leSurubiy, le Cahabé ,qui servent de canaux d'écoulementà de nombreux esteras.J'ai décrit plus haut le rio Salado.Mais le Tebiquary-Guazù (2) est incontestablementle cours d'eau le plus intéressant qui débouche de cecôté, par son volume, <strong>et</strong> par sa direction qui coupediagonalement, de Villa-Rica à Neembucu, l'espèce dedelta que représente le territoire paraguayen. Il offredonc ainsi en toute saison, soit directement, soit parses affluents , un chemin facile , assuré , aux pro<strong>du</strong>itsde la région centrale.(1) Ubi swprà,p. 54.(2) Les Espagnols écrivent Tebicuari.


I116 HYDROGRAPHIE.Le Tebiquary prend sa source sous les 20° de lat.dans les plateaux élevés de la partie orientale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,habités par les Guaranis sauvages, <strong>et</strong> renomméspar leurs forêts de Maté. Les branches d'originese réunissent bientôt au tronc principal,qui suit unedirection S. 0. jusqu'au paso de Yuty, sous les SS"" 40'de long. Arrivé là, il se dirige à l'O., mais en décrivantde nombreux méandres jusqu'àson embouchure, circonstanceà noter dans une rivière qui coule àtraversun sol parfaitement horizontal.Le faso de Yuty est situé à 5 lieues de la Missionfranciscaine de ce nom. En c<strong>et</strong> endroit le rio est guéable<strong>du</strong>rant l'été ; dans la saison <strong>des</strong> pluies, il déborde fréquemment.A quelques lieues au-<strong>des</strong>sous <strong>du</strong> paso ,leTebiquary reçoit par sa rive droite, lePiraporaru quicoule <strong>du</strong> N. N. E. au S. S. 0. :sans importance.Le Tebiquary-Mini tributaire <strong>du</strong> Tebiquary-Guazù,se joint à lui par 59° 5' de long. Son cours est N. <strong>et</strong> S.Il prend sa source près de Villa-Rica dans les montagnesde Caà-Guazù, reçoit les ruisseaux Yacan-Mini<strong>et</strong> Yacan-Guazù , se dirige au S. 0. ,puis au S. , <strong>et</strong>devient bientôt navigable pour de gran<strong>des</strong> pirogues.Au paso de Itape ou de Achard sur la route de l'Assomptionà Yilla-Rica, auquel on arriveà travers <strong>des</strong>plaines marécageuses assez éten<strong>du</strong>es , le Tebiquary-Mini a une largeur de 30 à 40 mètres. Sa profondeurest très-variable,<strong>et</strong> son cours peu rapide. Pendant lasaison <strong>des</strong> pluies, il déborde <strong>et</strong> s'étend à de gran<strong>des</strong>distances : en temps de sécheresse il redevient guéable.Je l'ai traversé à plusieurs reprises, à cheval, pendant


LE RIO-PARAGUAY :SES AFFLUENTS. 117les mois de septembre <strong>et</strong> de janvier, tandis que, aumois d'août 1785, Azara <strong>du</strong>t s'embarquer dans une pirogue, <strong>et</strong> faire passer ses montures à la nage (1).Le Tebiquary-Guazù reçoit ensuite le Mbuyapey,longe en faisant de nombreux circuits Y esteraBellacOjse grossit de Varroyo Negfo qui lui apporte les eaux dela lagune Ypoa, <strong>et</strong> se j<strong>et</strong>te dans le <strong>Paraguay</strong>, à 1 4 lieuesau-<strong>des</strong>sus de la Villa del Pilar, par deux embouchures :Tune, septentrionale, de 4 à 500 mètres avec un chenalde 100 mètres; la seconde, large de 800 mètres, se confondavec l'ouverture d'une lagune (2).Les eaux toujours assez profon<strong>des</strong> mais peu rapi<strong>des</strong><strong>des</strong> deux Tebiquary, coulent sur fond de sable <strong>et</strong> delimon : aussi sont-elles de qualité médiocre, <strong>et</strong> inférieuresmême à celles <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>. La rive gauchea presque partout moins d'élévation que la droite :toutes deux sont couvertes d'arbres dont l'exploitationconstituait, au temps de la domination espagnole, unebranche importante de commerce. Alors <strong>des</strong> bâtimentslégers <strong>et</strong> <strong>des</strong> radeaux (jangadas), chargés de bois deconstruction, <strong>des</strong>cendaient dans les ports de Buenos-Ayres <strong>et</strong> <strong>des</strong> villes Argentines. En séquestrant sonpays, Francia coupa court à ce précieux trafic, <strong>et</strong> lamonopolisation <strong>du</strong> commerce <strong>des</strong> bois décrétée par legouvernement actuel (2 janvier 1846), n'est pas denature à le faire renaître.(1) Diario de la navcgacicn y reconocinviento dcl rio Telicuari.Obra posluma de F. de Azaiu : dans la Coleccion de Au;^c!is, t. II.^2) L. 20" 36'; -26" 37' (Levergcr); 20° 35' 52" (Commander T. J. Page).


,CHAPITRE XIUYDRO&RAPHIE (Sulte). — LE FARANÂ ET SES AFFLUENTS,La serra dos Vertentes reliée par <strong>des</strong> contre-fortsd'une part aux campos dos Parecis, <strong>et</strong> de l'autre, à laserra do Espiiihaço , continue vers l'orient sous les 18°de lat. <strong>et</strong> les 50° de longitude, le divortium aquarumentre lebassin de l'Amazone <strong>et</strong> celui de la Plata. Ellesépare dans le voisinage de Villa Boa de Goyaz, lesbranches d'origine <strong>des</strong> rios Araguay <strong>et</strong> Tocantins ,<strong>des</strong>sous-affluents principaux <strong>du</strong> Paranà, ce fleuve géantque les Guaranis dans leur langage monosyllabiquecomparent à la mer (1). Plus à l'E. , ses sources sontséparées de celles <strong>du</strong> San - Francisco <strong>et</strong> de la Parait)Pavana de para mer, <strong>et</strong> ana adverbe de comparaison. Ou trouvedans les historiens celle élymologie tra<strong>du</strong>ite par les périphrases suivantes :parent de la mer, puissant comme la mer.


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 119hyba par <strong>des</strong> ramifications de la Serra Gérai. Toutes cesbranches nées à <strong>des</strong> distances considérables les unes<strong>des</strong> autres, se dirigent de TE. <strong>et</strong> <strong>du</strong> N. E. à l'O. <strong>et</strong> auS. 0. <strong>et</strong> se confondent en un tronc principal qui couleau S. 0. ,puis au S. jusqu'au 27° parallèle <strong>et</strong> les58° 10' de longitude. Arrivé là, le fleuve s'infléchitbrusquement à l'O. jusqu'aux 60° 50', où il s'enfle<strong>des</strong> eaux <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> (1),<strong>et</strong> se dirige de nouveau àangle droit vers le S. pour conserver c<strong>et</strong>te directionpendant plusieurs centaines de lieues, jusqu'au momentoù par sa jonction avec l'Uruguay sous les 34° 20',ilforme le Rio de la Plata ou Paranà-Guazù <strong>des</strong> aborigènes.Ainsi, leParanà s'étend del'E. à l'O. <strong>des</strong> 50*^ aux 61"environ, tandis que le cours <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong> s'écartepeu <strong>du</strong> 60® degré. Dans ce long traj<strong>et</strong>, il sépare le territoireparaguayen <strong>des</strong> possessions brésiliennes , traversela province <strong>des</strong> Missions , <strong>et</strong> établit une limitebien tranchée entre le sol on<strong>du</strong>lé de Corrientes <strong>et</strong> d'Entre-Rios,<strong>et</strong> les savanes herbeuses <strong>du</strong> Grand-Chaco.Si le Paranà surpasse le Rio-<strong>Paraguay</strong> par le volumebeaucoup" plus considérable de ses eaux, il est loin del'égaler par la régularité de son cours , la profondeur<strong>et</strong> la largeur uniformes <strong>et</strong> constantes de son lit.Deux cataractesséparées par un large espace seméd'écueils, de roches <strong>et</strong> de hauts fonds, interrompent,en eff<strong>et</strong>, la navigation de c<strong>et</strong>te grande artère sur uneéten<strong>du</strong>e de 3 degrés <strong>et</strong> demi. La première {Salto grande(t)Lat. moy. 27" 20'.'


120 HYDROGRAPHIE.OU de Guayra <strong>des</strong> Espagnols; as Scie quedas, les Septchutes<strong>des</strong> Brésiliens), est située par 24** 4' 58" de lat.,<strong>et</strong> 56° 55' de long. Azara qui, s'il ne parle pas en témoinoculaire, paraît <strong>du</strong> moins s'être inspiré <strong>des</strong> relationsles plus exactes, décrit ainsi ce spectacle grandiosequi efface les plus célèbres en ce genre, sansexcepter peut-être le saut fameux <strong>du</strong> Niagara :« C'est une cascade effroyable <strong>et</strong> digne d'être décritepar les poètes. Il s'agit de la rivière <strong>du</strong> Paranà, de c<strong>et</strong>terivière qui plus bas prend le nom de la Plata; de c<strong>et</strong>terivière qui, dans c<strong>et</strong> endroit même, a plus d'eau qu'unemultitude <strong>des</strong> plus grands fleuves de l'Europe réunis,<strong>et</strong> qui au moment même où elle se précipite, a dans sonétat moyen beaucoup de fond <strong>et</strong> 2,100 toises de largeur(on Ta mesurée), ce qui fait presque une lieue marine.C<strong>et</strong>te énorme largeur se ré<strong>du</strong>it subitement à uncanal unique qui n'a que 30 toises, dans lequel entr<strong>et</strong>oute la masse d'eau en se précipitant avec une fureurépouvantable. On dirait que celte rivière, fière <strong>du</strong> volume<strong>et</strong> de la vitesse de ses eaux les plus considérables<strong>du</strong> monde, veut ébranler la terre jusque dans soncentre, <strong>et</strong> pro<strong>du</strong>ire la mutation de son axe. Elles n<strong>et</strong>ombent pas verticalement ni d'aplomb, mais sur unplan incliné de 50 degrés à l'horizon ; de manière àformer une hauteur perpendiculaire de 52 pieds deParis. La rosée ou les vapeurs qui s'élèvent au momentoù l'eau choque les parois intérieures <strong>du</strong> roc, <strong>et</strong> quelquespointes de rochers qui se trouvent dans le canal<strong>du</strong> précipice, s'aperçoivent à la distance de plusieurslieues en forme de colonnes, <strong>et</strong> de près, elles forment


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 121aux rayons <strong>du</strong> soleil différents arcs-cn-ciel <strong>des</strong> couleursles plus vives, <strong>et</strong> dans lesquels on aperçoit quelquemouvement de trépidation. Déplus, ces vapeurs formentune pluie éternelle dans les environs. Le bruit se faitentendre de 6 lieues; on croit voir trembler les rocbers<strong>du</strong> voisinage, qui sont si hérissés de pointes qu'ils déchirentles souliers.« Pour reconnaître ce saut ou cataracte, il faut faire30 lieues dans le désert , depuis le bourg de Curuguatyjusqu'à la rivière Gatemy ;arrivé là, on cherche un oudeux gros arbres, dont chacun sert à faire un canotpour embarquer lesvoyageurs avec <strong>des</strong> vivres <strong>et</strong> toutce qui est nécessaire. On laisse à terre, pour garder leschevaux, quelques hommes bienarmés, parce qu'il ya de ces côtés-là <strong>des</strong> Indiens sauvages qui ne font pasde quartier. Ceux qui doivent visiter la cataracte <strong>et</strong>qui se sont embarqués, font 30 lieues sur leGatemy,en s<strong>et</strong>enant bien sur leurs gar<strong>des</strong>, à cause <strong>des</strong> Indiensqui habitent les bords de c<strong>et</strong>te rivière, qui sont couvertsde bois très-épais. Les voyageurs sont quelquefois obligésde traîner leurs canots sur les nombreux récifsqu'ils rencontrent, <strong>et</strong> quelquefois même de les portersur leurs épaules. Ils parviennent enfinau Paranà, <strong>et</strong>il leur reste encore jusqu'à la cataracte 3 lieues, quel'on peut faire par eau ou à pied sur lesbords, en côtoyantun bois où on ne rencontre aucun oiseau ni grandni p<strong>et</strong>it, mais quelquefois seulement quelque yaguarété, bète féroce plus terrible que les tigres <strong>et</strong> leslions.On peut de <strong>des</strong>sus la rive mesurer la cataracteà son aise, <strong>et</strong> même en reconnaître lapartie inférieure


122 HYDROGRAPHIE.en entrant dans le bois ; mais il pleut tellement dansles environs, qu'on est obligé de se m<strong>et</strong>tre tout nupour en approcher.« Je n'ai parlé que de la partie la plus forte de c<strong>et</strong>techute d'eau, formée par une colline que Ton appellecordillère de Maracayù, <strong>et</strong> qui traverse la rivière.Maison peut, <strong>et</strong> on doit même en regarder comme lacontinuationles 33 lieues en ligne droite qu'il y a depuis lacataracte jusqu'à l'embouchure de la rivière Yguazùou Curitiba, aux 25° 41' de latitude observée; parceque dans toute c<strong>et</strong>te éten<strong>du</strong>e, la rivière a une pent<strong>et</strong>rès-considérable, <strong>et</strong> coule dans un canal de rochersqui sont en général taillés d'aplomb, <strong>et</strong> qui est si étroit,que 2 lieues au-<strong>des</strong>sous de la cataracte, la rivière n'aque 47 toises de large. Ses eaux se choquent avec fureurles unes contre les autres, <strong>et</strong> forment une multitudede gouffres <strong>et</strong> d'abîmes terribles qui engloutiraienten peu de temps tous les bâtiments qui voudraient ypasser (1). »Le docteur Rengger indique un autre chemin. Selonlui, «il vaut mieux choisir pour point de départ laRé<strong>du</strong>ction de Saint-Louis, près d'Yquamandeyu, en sefaisant accompagner d'une demi-douzaine d'IndiensGuanàs , afin d'en imposer aux Indiens de Carima, <strong>et</strong>passer de là à Curuguaty, d'où, avec quelques hommessûrs <strong>et</strong> une cinquantaine de chevaux <strong>et</strong> de mul<strong>et</strong>s, onse dirige au nord-est jusqu'à la cordillère <strong>du</strong> Maracayù,(l) Voyages, t. 1, p. 71 <strong>et</strong> suiv. — Flores, Caria , dans la Coleecion deobras y dovumcntos de ADgciis, t. IV.


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 123qu on longe ensuite jusque près <strong>du</strong> Salto. On n'a besoinalors de quitter ses chevaux <strong>et</strong> ses bagages qu àdeux lieues de la cataracte , chemin qu'il faut faire àpied ,parce que les bois <strong>et</strong> les roches ne perm<strong>et</strong>tentpas de le faire à cheval. L'un <strong>et</strong> l'autre de ces deuxchemins se font depuis Curuguaty àtravers un désert,où il n'y a que l'œil exercé <strong>du</strong> créole paraguayen oude l'Indien,<strong>et</strong> leur habitude de parcourir <strong>des</strong> contréesinhabitées, qui puissent trouver <strong>des</strong> passages pourtourner les bois <strong>et</strong> les marais (1). »On donne improprement le nom de P<strong>et</strong>ite cataracte(Salto chico) ou Saut de Apipé, à <strong>des</strong> récifs situés sousles 58** 54' de longitude , <strong>et</strong> formés par les dernièresramifications de la chaîne principale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Cesrapi<strong>des</strong> ne font obstacle à la navigation que lorsque leseaux sont très-basses. En temps de crue, les pirogues,les bateaux plats (chalanas) ,<strong>et</strong> même les p<strong>et</strong>ites goél<strong>et</strong>tesbien pilotées, les franchissent sans entraves.La citation que j'ai empruntée à Azara, a mis enrelief l'irrégularité de lalargeur <strong>du</strong> fleuve, au-<strong>des</strong>sousde la chute de Guayra. En remontant de cepoint jusqu'àses sources ,on r<strong>et</strong>rouve d'autres cataractes séparéespar <strong>des</strong> parties navigables. Mais la science possèdepeu de données certaines sur le cours supérieur <strong>du</strong>Paranà, resté en dehors <strong>des</strong> explorations <strong>des</strong> Commissaireshispano-portugais, <strong>et</strong> <strong>des</strong> itinérairestracés auxvoyageurs modernes (2).(1) Reise, p. 48.(2) Après le r<strong>et</strong>our en France de i expedilion de M. de Casteluau dont


124 HYDROGRAPHIE.Le Salto chico une fois franchi , la largeur <strong>du</strong> litvariable encore, atteint à <strong>des</strong> proportions considérables.Tantôt , l'œil embrasse avec peine l'horizon noyéd'une nappe qui se perd sous de lointains massifs dever<strong>du</strong>re; tantôt, les eaux se pressent dans les passesétroites <strong>des</strong> îles nombreuses qui entravent leur cours.C<strong>et</strong>te largeur qui n'est que de 1 00 mètres à deux lieuesau-<strong>des</strong>sous de la Grande cataracte, est déjà de 800 àCandelaria, <strong>et</strong> s'élève à Corrientes à 4,000. Dans lespasses à'Obligado <strong>et</strong> de Cerrito, le fleuve se rétrécitbeaucoup.Le volume <strong>des</strong> eaux est énorme, <strong>et</strong> les expressionsmanquent pour donner une idée de leur masse imposante.Azara estime que le Paranà, à sa jonctionavec le <strong>Paraguay</strong>, à deux cent cinquante lieues de sonembouchure, égale dix fois ce dernier fleuve, <strong>et</strong> lescent plus gran<strong>des</strong> rivières de l'Europe.Mais il s'en faut bien que sa profondeur ait la mêmerégularité constante, <strong>et</strong> qu'elle inspire aux marins uneégale] sécurité. On possède peu de renseignements surc<strong>et</strong>te profondeur au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> Saut de Guayra. Onsait seulement que le fleuve est navigable par places,puisque les Paulistes <strong>des</strong>cendaient par le Tiété jusqu'àl'embouchure <strong>du</strong> Yaguary , <strong>et</strong> remontaient c<strong>et</strong>te derilavait fait partie, M. E. Dcvillc reçut <strong>du</strong> gouvernement, la mission d'entrcprcndicun nouveau voyage dans riulôricur <strong>du</strong> continent américain. SesInstructions lui prescrivaient de <strong>des</strong>ci'udrc le Tiétc jusqu'au Paranà. Ouconnaît la lin regr<strong>et</strong>table <strong>et</strong> prématurée de ce jeune naturaliste , enlevépar la lièvre jaune à Rio de Janeiro, en 1853, avec un <strong>des</strong> membres de lacommission scieuliliquc qu'il dirigeait.


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 125nièrc rivière, en poursuivant leur course à traversmille obstacles, jusqu'aux districts diamantifères <strong>du</strong>Mato-Grosso.Le cours <strong>du</strong> Paranà violemment interrompu de 24*à Tembouchure <strong>du</strong> rioYguazù, redevient navigable,nous l'avons dit,pour de p<strong>et</strong>ites embarcations jusqu'auSaltochico, A partir de ce point, la sonde accuse <strong>des</strong>profondeurs variables encore , mais telles que la villede Corrientes (lat. 27** 27' 21"), a reçu à plusieursreprises dans son port, <strong>du</strong>rant nos longs démêlésavec le général Rosas , <strong>des</strong> navires de guerre d'unfort tirant d'eau. On trouve pendant toute l'année jusqu'àParanà, capitale de la Confédération Argentine,4, 5 <strong>et</strong> 6 mètres de fond. Au-<strong>des</strong>sus, lorsque larivière est basse, c<strong>et</strong>te profondeur <strong>des</strong>cend à 2 mètres.A Candelaria, <strong>et</strong> au paso d'Itapuà où la largeur <strong>du</strong>fleuve est de 400 brasses , on rencontre jusqu'à 4 <strong>et</strong>5 mètres. Mais de ce dernier point au Salto chico, l<strong>et</strong>halweg (1 )présente beaucoup d'irrégularité. En merendant au mois de novembre, de la ville de Encarnacionau pueblo del Carmen, je trouvais souvent dansles passes moins de 50 centimètres d'eau.La vitesse <strong>du</strong> courant dans la partie navigable esten moyenne de 3 à 4 milles.Le Paranà éprouve aussi <strong>des</strong> crues périodiquesmoins fixes <strong>et</strong> moins régulières que celles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Elles commencent à se faire sentir en novembre.(1) Mot allemand qui sert à désigacr la liguç formce par la partie laplus profonde <strong>du</strong> lit d'ua fleuve.


«126 HYDROGRAPHIE.augmentent pendant les mois de décembre <strong>et</strong> de janvier;atteignent leur maximum en février,quelquefoisen mars; alors les eaux décroissent <strong>et</strong> <strong>des</strong>cendent àTétiage en juill<strong>et</strong>,août <strong>et</strong> septembre, qui sont les moisd'hiver pour l'Amérique <strong>du</strong> Sud.Ce que j'ai dit plus haut (1 ) de la composition <strong>des</strong>rives <strong>du</strong> Paranà <strong>et</strong> <strong>du</strong> mécanisme de ses débordements,me dispense de revenir sur ce point. Dans la majeurepartie de son cours, la rive gauche est plus élevéeque l'autre, <strong>et</strong> la falaise (barrama), supérieure au niveau<strong>du</strong> fleuve , reste presque toujours à l'abri <strong>des</strong>inondations qui s'étendent sans obstacle par la rive occidentalevers les plaines <strong>du</strong> Chaco.L'eau, plus claire <strong>et</strong> plus limpide, est en mêm<strong>et</strong>emps plus fraîche que celle <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>; ce qu'ilfaut attribuer à la fois à son volume plus considérable,à sa vitesse, <strong>et</strong> à la constitution rocheuse <strong>du</strong> lit <strong>du</strong>Paranà.De nombreux <strong>et</strong> importants affluents lui apportentleur tribut dans l'immense traj<strong>et</strong> qu'il parcourt <strong>du</strong>17® au 35® parallèle. Toutes ces routes, qui aboutissentà une ligne de navigation pleine de grandeur <strong>et</strong> de majesté,ouvriront un jour au commerce les régionsencore inconnues qu'elles traversent, depuis la zoneéquatoriale jusqu'aux régions tempérées. Nous nouscontenterons d'indiquer les principales,tout en reconnaissantl'insuflisance <strong>des</strong> données hydrographiquesque nous possédons sur elles.(1) Page 62.


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 127Par son bord oriental <strong>et</strong> <strong>du</strong> N. au S., le Paranà reçoitle Tiété, le Paranà-Panema , les rios Aguapey, Ybay<strong>et</strong> Yguazù. De ces cours d'eau , deux méritent plusqu'une simple mention.Le rio Tiété ou Anemby, est une <strong>des</strong> branches lesplus importantes au point de vue historique <strong>et</strong> commercial.Par c<strong>et</strong>te voie, les Paulistes s'acheminaientvers les Missions de la province de Guayra pour enleverles Indiens qu'ils envoyaient aux mines; ou parvenusdans le Paranà , remontaient le cours <strong>du</strong> rioPardo, <strong>et</strong> franchissant avec leurs canots le portageétroit <strong>du</strong> Mbot<strong>et</strong>ey, <strong>des</strong>cendaient le cours de c<strong>et</strong>terivière jusqu'au Rio-<strong>Paraguay</strong>, pour se rendre dans laprovince de Mato-Grosso.Le Tiété prend sa source dans la province brésiliennede Saint-Paul, au milieu <strong>des</strong> contre-forts de la serrado Mar. Un prolongement de c<strong>et</strong>te chaîne sépare lavallée de c<strong>et</strong>te rivière ,de celle qui reçoit les sous-affluentsde la Parahyba. Il roule sur <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> jusqu'àYtu, où son cours est interrompu par une cataracte situéeà une lieue de la ville. Ce n'est pas sa hauteurqui rend c<strong>et</strong>te chute remarquable, mais il est difficiled'imaginer un entassement de roches granitiques plusformidable. Lorsque je la visitai (2 septembre), la sécheresseavait beaucoup diminué le volume de ses eaux.Au-<strong>des</strong>sous d'Ytu ,les brisants reparaissent par places,<strong>et</strong> ne cessent entièrement qu'à Porto-Feliz, d'où lesembarcations <strong>des</strong>cendent le cours toujours rapide <strong>et</strong>sinueux de c<strong>et</strong>te rivière, jusqu'à son embouchure sousles W 35' de latitude.


128 HYDROGRAPHIE.Le rio Grande de Curitiba ou Yguazù (1 ) se jointau Paranà sous les 25** 35' 35". Il vient comme leprécédent de la province de Saint- Paul; né sur leversant occidental de la serra do 3Iar, ilreçoit de nombreuxaffluents dans les campos curitihanos. C'estune rivièrebelle <strong>et</strong> majestueuse dont la navigation estcoupée par une cataracte située à deux lieues de sonembouchure. Sa hauteur verticale n'a pas moins de171 pieds, <strong>et</strong> les eaux se brisent avec un fracas épouvantablesur trois étages de rochers.Les affluents de la rive droite ou occidentale <strong>du</strong> Paranàont un parcours d'autant moins éten<strong>du</strong> qu'ils sontplus méridionaux. Le voisinage de la Sierra de Maracayùqui forme <strong>du</strong> N. au S. la ligne de partage <strong>des</strong>eaux, explique ce faible développement, la vitesse <strong>du</strong>cours, <strong>et</strong> la constitution rocheuse de ces rivières. Apartir <strong>du</strong> 23^ parallèle vers le N. , le fleuve s'éloignede la chaîne, <strong>et</strong> leur traj<strong>et</strong> plus considérable prend unedirection de N. 0. à S. E.Nous avons déjà cité le rio Pardo en parlant <strong>des</strong> incursions<strong>des</strong> Paulistes dans les régions centrales <strong>du</strong>Sud-Amérique. Ajoutons pour clore c<strong>et</strong>te énumérationrapide, le rio Yaguarey, Ygurey ou Ivinheima qui ajoué un rôle si important lors de la mise à exécution<strong>des</strong> traités de Limites; <strong>et</strong>les rivières Amambay <strong>et</strong> Igatimiexplorées à plusieurs reprises par les Portugais,au grand mécontentement <strong>des</strong> Espagnols.(1) V-Gua5Ù, rivière grande.


LE PARANA ET SES AFFLUENTS. 129Au-<strong>des</strong>sous de la cataracte <strong>des</strong> Sept-chutes , visitéepar le P. Antonio Ruiz de Montoya vers 1615 (1 ),rios Acaray , Monday , <strong>et</strong> d'autres en grand nombre,n'ont qu'une importance très-secondaire ou tout à faitnulle. Malgré ses récifs,lesl'Acaray est navigable pour <strong>des</strong>pirogues. Enfin, les esteros <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> méridional sedéversent dans le Paranà à l'aide de canaux qui ne portentpas de noms particuliers.Au S. de Corrientes, le fleuve reçoit par ses deuxrives de nombreux aftluents; trois lui apportent leseaux de la lagune Yberà. Mais leplus important est leSalado qui coupe diagonalement les plaines <strong>du</strong> Chaco :nous lui consacrerons quelques lignes (2).(1) Il y trouva le P. Cataldino venu à sa rencontre de la province deGuayra, où ils r<strong>et</strong>ournèrent ensemble pour fonder de nouvelles Ré<strong>du</strong>ctions{Relacion geografica e historica de la provincia de Misiones ,parD. Diego de Alvear, p. 41, dans : Coleccion de obras y documentos de Angelis,t. lY). C'est donc à tort que le savant éditeur de ce recueil, dans laNoticia biografica consacrée au général Alvear, attribue (p. 3)aux colonelsMaria de Cabrer <strong>et</strong> Feliz de Fonseca , la gloire d'être les premiers <strong>et</strong>jusqu'ici les seuls explorateurs <strong>du</strong> Sallo grande. 11 y a plus : la ColleC"çao de noticias para a historia e geografia das naç<strong>des</strong> uUramarinas,Lisboa, 1841, t. Vil, p. 510 à 519, contient une intéressante <strong>des</strong>criptionde la cataracte <strong>des</strong> Sept-chutes, à laquelle parvinrent , à travers mille obstacles, le 21 octobre 1754 , les Commissaires chargés de l'exécution <strong>du</strong>premier traité de Limites. L'explorationde Cabrer <strong>et</strong> F. de Fonseca, trèspostérieureà celle-ci, porte la date <strong>du</strong> 7 aoiît 1788.(2) Voy. Appendice. La <strong>des</strong>cription de l'Uruguay trouvera naturellementplace dans l'histoire géographique <strong>des</strong> Missions.


CHAPITRE XII.HTDROGR&PHIE ( SUite ). — SAVIGATIOH FLUVIALE.Nous nous sommes arrêté avec intérêtsur les voiesnavigables <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, parce que nous les croyons<strong>des</strong>tinées à conserver dans c<strong>et</strong>te région encore vierge,l'importance que <strong>des</strong> moyens plus rapi<strong>des</strong> de communicationleur ont fait perdre en deçà de l'Equateur.L'économie de ces « chemins qui marchent , » l'existencede plaines fréquemment submergées, de maraisimpraticables, la faiblesse numérique d'une populationclair -semée, r<strong>et</strong>arderont pendant longtemps encorel'établissement <strong>des</strong> lignes de fer. Ainsi, une large applicationde la vapeur à la navigation fluviale ;<strong>des</strong> travauxd'endiguement sur certains points; Textractionde quelques roches à fleur d'eau; l'enlèvement <strong>des</strong>


,NAVIGATION FLUVIALE. 131troncs d'arbres charriés par les rivières,combinés avecla création de chemins carrossables aboutissant à cesgran<strong>des</strong> artères; telles sont, à mon sens, les entreprisesauxquelles le gouvernement de ce pays doit s'arrêter.On a commencé sur d'autres points <strong>du</strong> Sud-Amérique,à l'exemple <strong>des</strong> États-Unis <strong>et</strong> de l'Europe, la construction<strong>des</strong> voies ferrées :mais, sans contester la facilitéd'exécution que les travaux de ce genre rencontrerontdans l'horizontalité <strong>des</strong> plaines de la ConfédérationArgentine ;sans m<strong>et</strong>tre en doute l'importance de lapro<strong>du</strong>ction brésilienne <strong>et</strong> le chiffre <strong>des</strong> souscriptions sérieusementengagées dans ces entreprises, nous doutonsencore que ces créationsprématurées remplissent lesconditions d'un progrès véritable. Dépasser le butce n'est pas l'atteindre ; <strong>et</strong> l'avenir — un avenir prochain— dira si le gouvernement impérial , dans sonlouable désir de voir disparaître les distances, n'a pasaccepté une trop lourde charge, en garantissant unintérêt de 5 pour 1 00 aux capitaux attirés par l'exécution<strong>des</strong> trois lignes qu'il a concédées (1 ). Il est permisde croire, sans encourir le reproche de pessimisme,que ce réseau pouvait être remplacé sur certains pointspar la construction de routes empierrées,<strong>et</strong> sur d'autrespar l'endiguement d'un fleuve ou la canalisationd'une rivière.Un écrivain, comme nous admirateur enthousiaste<strong>des</strong> richesses naturelles <strong>du</strong> Brésil , envisage avec lesmêmes restrictionsl'avenir de ces gran<strong>des</strong> entreprises(1) Les proviDces ajoutent encore 2 pour 1 00 à la garantie de l'Etat.


132 HYDROGRAPHIE.d'utilité publique. « 11 ne faut pas, dit M. Dutot. il nefaut pas que le Brésil se laisse trop sé<strong>du</strong>ire par l'espoirde passer sans transition de la viabilité la plusdéfectueuse à la plus perfectionnée; c<strong>et</strong>te dernière, parles immenses dépenses qu'elle nécessite , ne peut êtred'une application générale.« C<strong>et</strong> entraînement vers la construction <strong>des</strong> voiesferrées est d'autant plus à craindre que les Brésiliens,en considérant ce qui se passe aux Etats-Unis, peuventêtre abusés par une analogie qui n'est qu'apparente.Les Nord-Américains établissent <strong>des</strong> raihvays jusquesur les nouveaux territoires, mais ce sont les aventureuxcapitalistes de New-York <strong>et</strong> de Boston qui sechargent de pourvoir aux dépenses, <strong>et</strong> ils le font d'autantplus volontiers que les clients, qui doivent faire lafortune de leurs entreprises, arrivent chaque année parcentaines de mille. Le Brésil n'en est pas encore là,soitqu'on envisage les capitaux accumulés, soit qu'on sup-,pute le chiffre de son immigration.« L'Union n'a qu'à entr<strong>et</strong>enir un courant établi ; leBrésil doit d'abord établir ce courant. Or, rien neprouve que les chemins de fer soient pour lui le meilleurmoven d'arriver à ce but. Même en adm<strong>et</strong>tant uneanalogie qui n'existe pas, on devrait se rappeler quemille bateaux remontaient le Mississipi <strong>et</strong>ses afïluents,avant qu'une seule locomotive eût fonctionné dans lesÉtats que d'innombrables réseaux de chemins de fercouvrent aujourd'hui dans tous les sens (i J.»(1) H. Dutot, France <strong>et</strong> Brésil, Paris, 1857, p. 172.


NAVIGATION FLUVIALE. 133Nous n'avons pas la prétention de nous ériger entuteur <strong>du</strong> gouvernement paraguayen, <strong>et</strong> son économiepresque toujours excessive <strong>et</strong> mal enten<strong>du</strong>e,nousest d'ailleurs un sûr garant de sa prudence en faitde travaux de toute nature. Aussi, croyons-nous sanspeine que sourd aux avis de conseillers utopistes ouimpatients, ilse bornera à appliquer la vapeur aux canauxdont la nature a si libéralement doté son territoire(1).Même en limitant le champ <strong>des</strong> entreprises auxseules communications fluviales, l'imagination peutencore se donner carrière. On a signalé dès les premierstemps de la découverte, le voisinage <strong>et</strong> l'entrecroisement<strong>des</strong> sources <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> avec celles <strong>du</strong>fleuve <strong>des</strong> Amazones. Quelques esprits enthousiastesont aussitôt proposé de réunir ces branches d'originepar un canal; de faire ainsi <strong>du</strong> Brésil une iled'une incommensurableéten<strong>du</strong>e, en ouvrant la navigation entrelesvilles Argentines <strong>et</strong> Belem chef-lieu de la province<strong>du</strong> Para : ce proj<strong>et</strong> fut mis à l'étude sous le ministère<strong>du</strong> comte de Barca.Sur un autre point, l'Iténès ou Guaporé s'approcheassez de la branche la plus méridionale <strong>du</strong> rioJaurù,affluent <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, pour ne laisser entre le bassin del'Amazone <strong>et</strong> celui de la Plata qu'un isthme étroit,facile à faire disparaître à l'aide d'un canal de 5 kilo-Ci) Depuis plusieurs années , le Président Lopez paraît ôtre entré dansf«tte voie. Des remorqueurs construits à l'Assomption, <strong>et</strong> pourvus de machinesanglaises, prêtent assistance aux navires <strong>du</strong> commerce.


134 HYDROGRAPHIE.mètres creusé dans <strong>des</strong> marais. On ouvrirait ainsi unenavigation merveilleuse à travers les contrées centrales<strong>du</strong> continent Sud-américain <strong>du</strong> 35® degré de lat. [àl'Equateur , <strong>et</strong> par le Cassiquiare jusqu'au delta derOrénoque , sous le 8® degré de lat. N.A une époque où l'on ne prêtait qu'une attentionmédiocre aux questionspurement commerciales, l'importancede c<strong>et</strong>te communication n'était pas passéeinaperçue aux yeux de ceux qui devaient être appelésles premiers à en profiter. On trouve sur une cartedresséepar les ingénieurs portugais chargés de l'exécution<strong>du</strong> traité de 1 777, la mention suivante inscriteaux sources <strong>des</strong> rios Jaurù <strong>et</strong> Guaporé : « Isthmo de2,400 braças entre o Rio da Prata e as Amazonas poronde Governador Luis Pinto de Souza, no anno dei 772 mandou passar huma emharcacao de carga de seisremospor banda, commonicando o mar de Equinoxial corndo paralelo de 36 gràos de latitude Austral ,por humcanal mais de 1 500 legoas^ formado pela natureza (i ). »On pourrait encore établir une communication directeentre le Paranà <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>, en creusant uncanal qui unirait le rio Pardo, soit au Mbot<strong>et</strong>ey, soitau Tacuari, par le rio Camapoan.C'est le propre de la nature colossale <strong>du</strong> Nouveau-Monde d'inspirer <strong>des</strong> proj<strong>et</strong>s dont la grandeur <strong>et</strong> lesrésultats possibles éblouissent, j'allais dire effrayent(1) C<strong>et</strong>te carte manuscrite a pour titre Carta limitrofe do paiz deMato-Grosso <strong>et</strong> Cuyabày 1782 à 1790; elle est eu la possession de M. F.Denis, qui me Ta communiquée avec son obligeance habituelle.


NAVIGATION FLUVIALE. 135l'imagination. Tous ces rêves sont réalisables, toutesces utopies deviendront dans quelques siècles d'admirablesvérités,lorsque l'Europe aura donné à l'Amériquece qui lui manque, <strong>des</strong> colons, en versant surc<strong>et</strong>te terre promise le trop-plein de ses populationsin<strong>du</strong>strielles.Revenons à la navigation fluviale.Borné par deux rivières larges <strong>et</strong> profon<strong>des</strong>, quil'étreignent de trois côtés, à l'est,au midi <strong>et</strong> à l'ouest,le <strong>Paraguay</strong> confine par le quatrième à l'empire brésilien,dont le séparent d'immenses forêts encore inconnues,<strong>et</strong> peuplées d'Indiens insoumis éternels. Cesobstacles à toute communication, qu'une surveillancepeu coûteuse suffit à rendre insurmontables, sont encorefortifiés par les crues périodiques de ces grandscours d'eau, qui, à <strong>des</strong> époques fixes, changent en lacsles savanes sans fin <strong>du</strong> Cliaco, <strong>et</strong> les plaines méridionales<strong>du</strong> delta qu'ils circonscrivent. Mais , si cesfleuves perm<strong>et</strong>tent à la nouvelle République de s'isolerau milieu d'un continent, ils peuvent aussi devenir pourses pro<strong>du</strong>its <strong>des</strong> voies d'écoulement <strong>et</strong> de transport,<strong>et</strong>diminuer d'une manière notable les inconvénients de saposition méditerranéenne , en faisant disparaître enpartie l'énorme distance qui la sépare de l'Océan.Au nord <strong>et</strong> à l'ouest, les communications sont possiblesen toute saison, sinon faciles, avec la Bolivie <strong>et</strong>la province de Mato-Grosso. Déjà j'ai parlé <strong>des</strong> deuxcanonnières amenées de Cuyabà àl'Assomption par lecapitaine Leverger. La force de ces embarcations pontées,à quille plate, était de 15 tonneaux, <strong>et</strong> leur tirant


136 HYDROGRAPHIE.d'eau de 3 à 4 pieds. Dans l'état actuel <strong>des</strong> chosesc<strong>et</strong>te considération est presque sans valeur, car le <strong>Paraguay</strong>ne saurait tirer qu'à <strong>des</strong> prix exorbitants, <strong>du</strong>Brésil, les obj<strong>et</strong>s manufacturés qui lui manquent, <strong>et</strong>de longues années s'écouleront sans doute avant queles denrées <strong>des</strong> provinces boliviennes y passent entransit, ou y soient échangées contre les marchandisesd'Europe, qui prennent aujourd'hui la voie de terre,après avoir été débarquées àRio, à Santos, ou sur lescôtes <strong>du</strong> Pérou <strong>et</strong> <strong>du</strong> Chili.Les détails dans lesquels nous sommes entré en décrivantle cours <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, ont mis en relief la facilitéque présente la navigation de ce beau fleuve à degran<strong>des</strong> distances de son embouchure. Dès 1 557, à uneépoque où Fart nautique était dans l'enfance, <strong>et</strong> peud'années après sa découverte , Ruffeo de Chaves re-,montait jusqu'à l'embouchure <strong>du</strong>rio Jaurù (lat. 16" 25)avec 220 hommes, dans les navires qui les avaienttransportés de l'Espagne au delà de l'Atlantique (1).Nous l'avons dit , au-<strong>des</strong>sous de As très barras, lefleuve n'a plus de rapi<strong>des</strong> (cachoeiras) , <strong>et</strong> déjà à Yilla-Maria (lat. 16° 10'), il est navigable pour de grandscanots.Nous ne reviendrons pas sur la vitesse de ses eaux :sur tous les points, le courant paisible cède aux effortscadencés <strong>du</strong> rameur indien. La profondeur toujours(1) Azara a écrit avec raison : El rio <strong>Paraguay</strong> es cl mejor dcl muodopara la navcgacion. Correspondcncia oficial sobre la demarcacion delimites, p. 19, daus Coleccion de Augelis, t. IV.


NAVIGATION FLUVIALE. 137considérable , est en moyenne, de l'embouchure <strong>du</strong>San-Lorenzo à l'Assomption supérieure à2 mètres. Ilfaut toutefois noter que, tandis que le lit présente jusqu'aufort d'Olimpo (21° 1' 26") peu d'irrégularité<strong>et</strong> une profondeur à peu près constante, il est trèsirrégulierde ce dernier point à l'Assomption. C'estaussi à partir de c<strong>et</strong>te sentinelle avancée <strong>des</strong> possessionsparaguayennes ,que le fleuve recèle quelquespasses un peu difficiles à franchir, <strong>et</strong> <strong>des</strong> écueils contrelesquels la vigilance <strong>des</strong> marins doit se tenir en éveil.Par 19° 48',Xavier est signalé par <strong>des</strong> élévations ( cerros ) situéessur les deux rives <strong>du</strong> fleuve.A 12 lieues de Los très hei^manos (21° 1' 26'' 5),apparaîtau milieu d'une suite de collines,le détroit (estrecho) de San-Francisco-le Pan de azucar(21^ 17'), pic élevé au pied <strong>du</strong>quel le fleuve présenteun rétrécissement notable (1 ).On rencontre sous les 21° 35' le cerro Batatillo, quise termine par deux pointes de pierre au milieu <strong>du</strong>fleuve large en c<strong>et</strong> endroit de 200 mètres; vers 22° 6'lasierra de Galvan, <strong>et</strong> par 22° 10' le détroit (angostura)de ritapucu-Guazù.Mais le récif principal est situé au-<strong>des</strong>sus de la villede San-Salvador (2): cependant, il est franchissable entout temps pour les p<strong>et</strong>ites embarcations.Le P. Quiroga signale l'existence de roches au milieude l'eau sous les 23° 21', <strong>et</strong> les 24° 50' (3).(1) 21» 23' 19" (Pasos); 21» 22' 30" (Zavala y Delgadillos).(2) 22» 45 1 " (Zavala, Roteiro inédit : Archives de l'Assomption).(3) Dcscripcion dcl rio <strong>Paraguay</strong> <strong>des</strong>dc la boca del XaiirUy hasta la


138 HYDROGRAPHIE.Enfin quelques vigies,dernières ramifications de laCordillera, existent près de l'embouchure <strong>du</strong> rio Salado.A partir de l'Assomption, les écueils deviennentrares <strong>et</strong> peu redoutables. Cependant certaines passesexigent une grande attention entre c<strong>et</strong>te ville <strong>et</strong> laVuelta de Itapirù ; telles sont celles de Tacumbù, deSan-Antonio, de Lambaré, de la Vill<strong>et</strong>a, del Bueyniuerto, de la Angostura : au commencement <strong>du</strong> moisd'avril 1855 , le minimum de fond sur ces passes étaitde3^50(1).La profondeur esttrès-variable aussi dans les tournants,ce qui tientà la nature <strong>du</strong> terrain qui composealternativement les rives <strong>du</strong> fleuve. Ainsi, tandis queles bancs existent aux angles saillants, <strong>et</strong> la profondeuraux angles rentrants, si la rive est d'alluvion, le contrairese remarque souvent sinon presque toujours,lorsque les angles saillants sont formés par la roche.C<strong>et</strong>te remarque est <strong>du</strong> capitaine Leverger, <strong>et</strong> j'ai pu envérifier l'exactitude. Dans ce dernier cas, en mêm<strong>et</strong>emps que la berge est coupée à pic,elle présente uneplus grande élévation, <strong>et</strong> détermine dans le lit un rétrécissementqui augmente la vitesse <strong>du</strong> courant.Toutes cesconditions se trouvent réunies dans le voiconjîuenciadel Paranà ,por el P. José QuiROCi de la compania deJésus. Voy. Coleccion de AogeHs, t. U, BucQOS-Ayres, 1836.(1) Revue coloniale , octobre 1855 , p. 5U5. Rapport <strong>du</strong> lieutenant devaisseau Picard commandant Vaviso à vapeur le Flambeau. La Vueltade Uapirù, dans Tcspace de 1"'G, suit les R. N. IN. E., E. N. E, , E. S, E.<strong>et</strong> E. (Lat. approxiraat. 25' 35', Leverger.)


NAVIGATION FLUVIALE. 1 39sinage <strong>du</strong> port de l'Assomption, àl'endroit qui portele nom de Ponta de Itapyta. C<strong>et</strong>te saillie forméepar un banc vertical de grès rougeâtre, s'élève de8 mètres au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> eaux; elle commence à Itape,<strong>et</strong> finit à la pointe de Curupaina. De Tacumbù au cer-Tito de Lambaré le rivage reste horizontal. Plus ausud ,quelques cerros apparaissent à l'orient <strong>du</strong> fleuvedont ils' sont presque toujours séparés par<strong>des</strong> plainesmarécageuses. La hauteur <strong>des</strong> rives est en moyenne de3 mètres ; rarement de 5, <strong>et</strong> n'excède jamais 7.Il résulte <strong>des</strong> détails dans lesquels nous sommes entrésur la profondeur <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, sur la positionvariable <strong>des</strong> hauts- fonds <strong>et</strong> le déplacement <strong>du</strong>chenal, que <strong>des</strong> navires calant plus de ipieds d'eaune pourraient remonter, en tout temps, jusqu'à l'Assomption,sans de gran<strong>des</strong> difficultés.Au mois de janvier 1846, lorsque les forces combinéesde la France <strong>et</strong> de l'Angl<strong>et</strong>erre ,eurent ouvert leParanà par le beau faitd'armes d'Obligado, le Fulton,bâtiment à vapeur de notre marine, entra le premierdans les eaux inconnues <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>.Le Fultonjaugeait environ 800 tonneaux, <strong>et</strong> calait de 12 à13 pieds : mais c'était un steamer, qui échappait à ladifficultéde courir <strong>des</strong> bordées. Encore fut-il forcé <strong>des</strong>'arrêter à Lambaré , malgré le commencement de lacrue, <strong>et</strong> en dépit de l'habil<strong>et</strong>é entreprenante de soncommandant (1); de remorquer son charbon, <strong>et</strong> de(1) Le Fulton , commandé par le lieutenant Mazères , avait à bordMiM. Tréhouart <strong>et</strong> Charles Hotham , capitaines de vaisseau , <strong>et</strong> chefs delescadre aoglo-française.


140 HYDROGRAPHIE.faire pendant tout le voyage un usage fréquent de lasonde.IDepuis c<strong>et</strong>te époque, <strong>et</strong> jusqu'à ce jour,les avisos leFlambart (janvier 1853); le Flambeau (capitaine Th. -Picard, avril iSoo); <strong>et</strong> le Bisson (capitaine Mouchez, I"mars 1857), sont les seuls navires à vapeur françaisqui se soient présentés à l'Assomption (1).(1) J'ai fait de vaines recherches, aux Archives de la Marine ,poar meprocurer <strong>des</strong> détails officiels sur ces expéditions. Après le rapport citéplus haut <strong>du</strong> commaudant Picard [Revue colonial€,2^ série, octobre 1855),je u"ai à mentionner qu'un article publié par le journal ruiustration<strong>du</strong> 5 novembre 1853.I


CHAPITRE XIII.HYDROGRAPHIE. — NAVIGATION FLUVIALE ( fin).Le Haut -<strong>Paraguay</strong> avait été exploré à trois reprises,en 1842, 43 <strong>et</strong> 46, par le commandant Leverger,officier de la marine brésilienne : il compléta dansson troisième voyage ses travaux hydrographiques,par la reconnaissance <strong>du</strong> fleuve depuis l'Assomptionjusqu'à son embouchure. .Après le pavillon <strong>du</strong> Brésil , après ceux de la France<strong>et</strong> de l'Angl<strong>et</strong>erre, parurent les couleurs de l'Union.gouvernement <strong>des</strong> États-Unis envoya, en 1853, leLeWater~Witch,steamer de 1 oO chevaux, sous les ordres <strong>du</strong>commander Th. Page, qui avec l'autorisation <strong>du</strong> présidentLopez, remonta le <strong>Paraguay</strong>, jusqu'à Corumbà(lat.19^0' 8"). Grâce à son faible tirant d'eau (2°',30),


142 HYDROGRAPHIE.le Water-Witch ne rencontra dans sa marche aucun obstacle,<strong>et</strong> trouva sur les bords magnifiquement boisés dela rivière, le chauffage de sa machine :la seconde partiede l'itinéraire de l'expédition, celle qui avait pour butl'exploration <strong>des</strong> rivières <strong>du</strong> Grand-Chaco, édioua devant<strong>des</strong> obstacles dont je parlerai.Ajoutons enfin que l'Amirauté anglaise envoya dansces eaux lointaines, à l'occasion <strong>du</strong> différend entre leBrésil <strong>et</strong> la République, la corv<strong>et</strong>te à vapeur de S. M. B.« Vixen » qui navigua de conserve avec le Flambeau,comme deux années auparavant le Locust avait accompagnéle Flamhart.Voici quelques distances principales relevées dansle Mémoire inédit <strong>du</strong> commandant Leverger :De la ville de Cuyabà au fort d'Olimpo, la distanceest de 640 à 650 milles; <strong>et</strong> d'Olimpo à l'Assomptionde 350 à 360 milles. Ainsi,de Cuyabà à c<strong>et</strong>te dernièreville,la distance totale est d'environ 1,000 milles, queM. Leverger a parcourus en trente-trois jours, sans jamaisvoyager de nuit.De la capitale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> à lagarde <strong>du</strong> Cerrito située dans l'île Atajo, à l'embouchure<strong>du</strong> fleuve , il a trouvé 202 milles 8 ,qui ont exigé à la<strong>des</strong>cente, avec vent favorable, calme <strong>et</strong> vent contraire,quarante-huit heures quarante-sept minutes; <strong>et</strong> à laremonte, avec vent contraire <strong>et</strong> souvent frais, centcinquante-quatre heures quarante-cinq minutes.Les distances sont exprimées dans le tableau suivanten milles marins de60 au degré, <strong>et</strong> en fractions décimales<strong>du</strong> mille :


.NAVIGATION FLUVIALE. 143RIVE GAUCHE.Distances.RIVE DROITE.LATITUDB.AsuncionLarabaré7,0Rio Pilcomayo.Vill<strong>et</strong>a9,5Angostura4,8Palmas5,9Santa-RosaPaso-LagunaNhundiahy6,97,41,6Pasope5,0Riacho Paray4,7Mortero » • • •5,8Rinconada de Naranjay7,7Rio Saladillo..Villa de Oliva.3,04,21,6Orange (G).260 1' 25"?Santija6,7Âgatape5,011,0Formose (G).26» 12' ?RemolinosVilla-Franca...5,74,926» 19'.Herra<strong>du</strong>ra. . . .Rio Tebiquary.Gadéâ15,38421,826» 36\Villa del Pilar.5,25,2Rio Bermejo.26» 51' 50"TajyHumoitàCurupay ti2,813,25,9Très Bocas12,7Cerrito (en la isla de Atajo)4,2202,8(G)Guardia.Voici maintenant les étapes les plus remarquables(le la route parcourue par l'expédition américaine :


144 HYDROGRAPHIE.De l'Asuncion à Rosario 84 milles.De Rosario à Villa de Concepciou 100 —De Concepcion à San-Salvador 60 De SaD-Salvador aa rio Apa 77 Du rio Apa au fort d'Olimpo 96 —Du fort d'Olimpo à Bahia-Negra 96 De la Bahia-Negra à Coimbra 33 De Coimbra à Albuquerque 47 D'Albuquerque à Corumbà 60 —ITotal 659 milles (1).En regard de ces chiffres, il n'est pas sans intérêt deplacer quelques données beaucoup moins précises d'explorateursplus anciens. Flores, commissaire généralde l'Espagne pour l'exécution <strong>du</strong> traité de 1 750, estime,d'après ses observations <strong>et</strong> les informations qu'il aprises, qu'il faut en moyenne :De Cuyabà à l'Assomption27 jours.De la ville de Mato-Grosso à l'embouchure <strong>du</strong> rio \Jaurù 9 [35 — (2)Du Jaurù à l'Assomption 26 /Ajoutons enfin à ces itinéraires que le défaut de renseignementsnous oblige à laisser incompl<strong>et</strong>s ,quel'aviso à vapeur le Flambeau, parti de Corrientes le7 avril, j<strong>et</strong>ait l'ancre le i 1 devant la ville de l'Assomption.Malgré sa profondeur en général considérable, l<strong>et</strong>onnage <strong>des</strong> bâtiments àvoiles <strong>des</strong>tinés à la navigation(1) Voy. Track survey of the river <strong>Paraguay</strong> surveycd by commanderTh. J. Page. D. S. S. VVatcr-Witch. Scale tut^^ôz- Variation de l'aiguille,10» 9' E.(2) Car ta al Marques de ValdcUrios, p. 27-32.


NAVICATIOiN FLUVIALE. H5<strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, ne doit pas dépasser, en toute saison,200 tonneaux : ceux de 20 à 50 sont préférables.Outre les embarcations pontées, les bateaux plats(chalanas) <strong>et</strong> les pirogues, on se sert encore de radeaux(jangadas)y espèces de grands coffres carrésfaits de poutres reliées entre elles, <strong>et</strong> couverts de cuirsou d'un toit en paille. On les remplit <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>ctions<strong>du</strong> pays, <strong>et</strong> l'on amarre sur les côtés de gran<strong>des</strong> piècesde bois <strong>des</strong>tinées à l'exportation. Ces radeaux munisde deux gouvernails ne sont propres qu'à <strong>des</strong>cendrefleuve, <strong>et</strong> ne sauraient résister aux gros temps.On ne peut remonter le courant qu'à l'aide d'unebrise de S., de S. E. ou de S. 0. Si le vent refuse, ous'il est contraire, on débarque l'équipage pour balerl'embarcation {andar a espia),peu de ressource; si<strong>des</strong> rames.leopération pénible <strong>et</strong> deelle est peu chargée, on fait usageNous verrons dans un prochain chapitre , quepour être éloignée <strong>du</strong> littoral, c<strong>et</strong>te région n'est pasexempte de tempêtes. Celles qui soufflent <strong>du</strong> S. 0.(pamperos) ,sont les plus violentes, mais on peut toujoursen prévenir les désastreux eff<strong>et</strong>s, parce qu'ellesne sont pas soudaines (1). Les marins doivent donc, àla vue de certains pronostics atmosphériques presqueinfaillibles,s'abriter dans une anse, en amarrant à larive leurs embarcations presque toujours chargées avecexcès , sous peine de les voir brisées sur un banc <strong>des</strong>able ou englouties par les vagues.(t)Climatologie.10


14GHYDROGRAPHIE.Les arbres arrachés <strong>et</strong> charriés par le courant, constituent<strong>des</strong> écueils dangereux contre lesquels l'attention<strong>des</strong> pilotes (vaqueanos) ne saurait trop se tenir engarde. Lourds, d'une densité supérieure à celle de Teau,souvent invisibles , ils déchirent le flanc <strong>des</strong> grandsnavires poussés sur eux par une vive impulsion, <strong>et</strong> submergentles p<strong>et</strong>its.Les îles nombreuses dont est parsemé le lit <strong>du</strong> fleuve,entravent aussi la navigation par de sérieux obstacles.Généralement basses, allongées, submersibles, la végétationpuissante qui les recouvre,s'élève comme unrideau à travers lequel les eaux semblent fuir <strong>et</strong> se perdre(1). En passant sous ces dômes de ver<strong>du</strong>re, lesagrès <strong>du</strong> vaisseau coupent les lianes, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te forêt deplantes parasites, dont les tiges flexibles <strong>et</strong> les fleurséclatantes <strong>des</strong>cendent en spirales jusqu'à la nappe liquide.C'est un dédale inextricable au milieu <strong>du</strong>quell'œilexercé <strong>et</strong> l'instinct d'un pilote peuvent seuls guiderles marins, sans crainte de sortir <strong>du</strong> chenal, <strong>et</strong> dedonner sur un écueil. Dans quelques endroits, deuxîles partagent le lit en trois passes (très bocas), entrelesquelles le choix devient difficile (2). Au Buey(1) Lu plus éten<strong>du</strong>e <strong>et</strong> la plus célèbre est celle del Paraiso^ ou de losOrejoncSy située à rextrémité méridionale <strong>du</strong> lac <strong>des</strong>Xarayes. Le premierde ces noms lui fut imposé par les conquérants qui crurent y trouver unnouvel Eden ; le second dérive de la forme <strong>des</strong> oreilles percées <strong>et</strong> pendantesde ses habitants. C'est à tort que ce caractère les a fait regardercomme les derniers <strong>des</strong>cendants <strong>des</strong> Incas. La coutume de dilater dansd'incroyables proportions le lobule de l'oreille par l'intro<strong>du</strong>ction d'un corpsétranger, est très-répan<strong>du</strong>e dans le Nouveau Monde.^2) Lat. 21' 46' (Leverger).


NAVIGATION FLUVIALE. iklmuerio (lat. 25° 32'), on devra suivre le bras le plusoccidental, celui qui côtoie le Grand-Chaco.Enfin, il faut encore se tenir en garde contre lesjaguars qui peuplent les rives <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les marinsqui accostent, soit de jour, soit de nuit, choisiront depréférence sur la rive gauche un lieu découvert, dans levoisinage <strong>des</strong> postes que le gouvernement entr<strong>et</strong>ientpour prévenir les incursions <strong>des</strong> Indiens. Nous parleronsailleurs de ces blockhaus dont la garnison a pourconsigne de porter secours aux bâtiments en détresse.Les tigres noirs sontplus redoutables que les autres.Ils attaquent l'équipage imprudemment endormi àterre,car la vue <strong>du</strong> feu ne les effraye pas comme on Tapréten<strong>du</strong>; nageurs infatigables, ils poursuivent lespirogues qu'ils s'efforcent de faire chavirer. On en a vus'élancer sur la planche qui établissait une communicationavec le rivage, <strong>et</strong> enlever <strong>des</strong> hommes dans leursembarcations.Les serpents aquatiques (Curiyus <strong>des</strong> Guaranis), sont<strong>des</strong> visiteurs plutôt effrayants que dangereux. Attiréspar l'odeur <strong>des</strong> volailles dont on les dit très-friands, ilsse hissent à bord à l'aide <strong>du</strong> gouvernail <strong>et</strong> <strong>des</strong> aspérités<strong>du</strong> navire. Deux fois, pendant la nuit, M. de Beaurepaire-Rohan,officier d'origine française au service <strong>du</strong>Brésil, se trouva aux prises avec un de ces énormesreptiles, <strong>et</strong> ilconfesse avec franchise qu'il dormit maljusqu'au jour, ce que le lecteur croira de reste (1).(l) Viagem de Cuyabà ao Rio de Janeiro, pela <strong>Paraguay</strong>, Corrientes,<strong>et</strong>c., em 1846. S. Paulo, 1847, br. de 19 p.


148 HYDROGRAPHIE.J'ai décrit longuement la navigation <strong>du</strong> Bas-<strong>Paraguay</strong>.Vers le sud, en eff<strong>et</strong>, les rivières ont une grandeimportance commerciale, <strong>et</strong> le Paranà est, on peutdire, l'unique route qui mène à c<strong>et</strong>teenclave presqueentièrement entourée par le désert. Sans doute, àcôtéde ce chemin <strong>des</strong> premiers conquérants, il existe pourle <strong>Paraguay</strong> <strong>des</strong> voies terrestres de communication.Au temps de Francia, les négociants brésiliens se rendaientà Itapua, à travers laprovince de Rio-Grande;<strong>et</strong>, dans ces dernières années, le président Lopez redoutant,non sans raison, la perte de c<strong>et</strong>te issuea tenté d'en ouvrir une nouvelle vers le Brésil , àla hauteur de Villa -Rica <strong>et</strong> de l'embouchure <strong>du</strong> rioIguazù. Ses efforts ont échoué; <strong>et</strong> ledégrèvement <strong>des</strong>droits d'exportation <strong>et</strong> d'importation, par la voie d<strong>et</strong>errCy décrété le 2 janvier 1846, n'a pu compenser lalongueur <strong>et</strong> les frais d'un pareil traj<strong>et</strong>.Longtemps encore le Paranà doit être le seul débouchépraticable pour le commerce <strong>du</strong> nouvel État. Oncomprend dès lors la persistance opiniâtre avec laquelleson gouvernement en a contesté la souverain<strong>et</strong>é augénéral Rosas, <strong>et</strong> les refus opposéspar ce dernier auxInstances <strong>des</strong> agents de l'Intervention anglo-française,<strong>et</strong> à celles <strong>du</strong> président Lopez dont il comptait ramenerle pays dans le sein de la Confédération Argentine,parla perspective de la misère, conséquence de la ruine<strong>du</strong> commerce <strong>et</strong> d'un nouvel emprisonnement.Les onze embouchures <strong>du</strong> fleuve, si vantées par leshistoriens de la découverte, ne sont pas accessibles àtous les navires. Un bâtiment de fort tonnage doit


NAVIGATION FLUVIALE. 149en quittant la Plata, prendre la Boca del Paranà-Guazùyque commande le fort élevé sur l'île de Martin Garcia.Si déjà la crue commence à se faire sentir, sile vent souffle avec force <strong>du</strong> S. E. ou <strong>du</strong> S., le navireguidé par un bon pilote, peut vaincre avec lenteurun courant dont la vitesse atteint 4 milles dans lespasses étroites de Cerrito <strong>et</strong> d'Obligado. Mais cesbrises favorables se font attendre pendant <strong>des</strong> semainesentières; elles soufflent souvent en tempête, ou sontimpuissantes à rem<strong>et</strong>tre à flot l'embarcation échouéesur les bancs mouvants qui encombrent le chenal.Bientôt la vapeur abrégera les longueurs de c<strong>et</strong>te navigation,<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tra d'en éviter les écueils. La force <strong>et</strong>la rapidité <strong>du</strong> courant que les vents dominants augmententencore, les bas-fonds, les méandres nombreux<strong>et</strong> les brusques sinuosités <strong>du</strong> fleuve, cesserontd'être <strong>des</strong> obstacles pour ce modificateur sipuissant <strong>des</strong>relations internationales.Pendant toute l'année, dit M. le commandant Picarddans son Rapport, la navigation jusqu'à Paranà est possiblepour les bâtiments ayant un tirant d'eau de 3"^, 30;mais au-<strong>des</strong>sus de c<strong>et</strong>te ville , on rencontre <strong>des</strong> passesoù quand la rivière est basse, il y a seulement 2 mètresd'eau, <strong>et</strong> quelquefois même un peu moins. Quand larivière est haute, un navire calant 4, 30 peut allerjusqu'à Corrientes, <strong>et</strong> seulement jusqu'à la Paz, s'ilcale 4, 80. Le Vixen de S. M. B., corv<strong>et</strong>te à vapeur de300 chevaux, avait un tirant d'eau de 4"", 40 en partantde Paranà pour Corrientes le 7 mars 1855 (1).(1) Revue coloniale, octobre 1855, p. 503.


150 HYDROGRAPHIE.Le chenal éprouve de fréquentes modifications danssa profondeur <strong>et</strong>dans sa direction, par suite de la mobilité<strong>des</strong> îles <strong>et</strong> <strong>des</strong> bancs. Ilest à peu près impossiblede se passer de l'assistance d'un pilote; la ressource<strong>des</strong> cartes devient inutile, <strong>et</strong> les travaux hydrographiquesexécutés en 1846 par lecapitaine Sullivan, dela marine anglaise, sont à refaire depuis longtemps.Les grands navires, nous le savons, doivent s'arrêterau Salto chico, au-<strong>des</strong>sus de Corrientes; mais s'ils ontune autre <strong>des</strong>tination , s'ils doivent remonter jusqu'àl'Assomption, ils cherchent l'entrée <strong>du</strong> bras oriental <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> pour passer en vue <strong>et</strong> très-près de l'île Atajo,où le poste <strong>du</strong> Cerrito impose aux bâtiments de commercel'accomplissement de formalités minutieusesdont nous reparlerons (i).Le nom de Très bocas, a été donné très-improprementà la double embouchure <strong>du</strong> fleuve , lequel nese réunit au Paranà que par deux bras séparés par l'îleAtajo. On rencontreune p<strong>et</strong>ite île à douze minutes demarche <strong>du</strong> Cerrito, qui, de ce point, reste au N. 1 5^ 0.,à la distance de 7/10 de mille. De là, au R. N.70° 30' E., la vue découvre le Paranà, dont la largeurest d'un mille 1/2. La rive gauche se voit dans la directionde S. 0. à N. 0. (2). L'île Atajo, nous le di-(1) Voy. Partie ÉCONOMIQUE, Agriculture , In<strong>du</strong>Urie, Commerce. Cesrèglements de police fiscale out clé récemmeut. modifiés par le décr<strong>et</strong> <strong>du</strong>Président Lopez <strong>du</strong> 10 août 1858, en exécution de la convention concluele 12 février de la même année avec le Brésil , <strong>et</strong> additionnelle au traitéd'Amitié de Commerce <strong>et</strong> de Navigation <strong>du</strong> avril 1856.(2) A. Leverger , Mémoire inédit.


NAVIGATION FLUVIALE. lolrons plus tard, a peu d'importance au point de vuestratégique.Au-<strong>des</strong>sus de la p<strong>et</strong>ite cataracte (saut de Apipé), leParanà n'est navigable jusqu'à Candelaria qu'en tempsde crue. A l'embouchure <strong>du</strong> rio Iguazii commencentles rapi<strong>des</strong> <strong>et</strong> les tourbillons qui ne cessent qu'auSalto grande.On parviendra sans doute, dans l'avenir,à vaincre c<strong>et</strong> obstacle en creusant un canal écluse.Laissons de côté la réalisation lointaine de ce proj<strong>et</strong>,<strong>et</strong> disons seulement que les Jésuites avaient ouvert surla rive orientale <strong>du</strong> fleuve un chemin d'une vingtainede lieues, qui reliait leurs Missions <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> à cellesde laprovince de Guayra.Au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> Sept-chutes, le Paranà offre aux Brésiliensun cours paisible qu'ils remontent pendant unecentaine de lieues jusqu'aux rapi<strong>des</strong> de Urubu-Punga,à travers lesquels existe une passe accessible aux p<strong>et</strong>itesembarcations, qui pénètrent sans de trop gran<strong>des</strong> difficultésjusqu'au centre <strong>des</strong> provinces de Goyaz <strong>et</strong> deMinas-Geraës.Ainsi va le Paranà, ce Mississipi <strong>du</strong> Sud, roulant seseaux rapi<strong>des</strong> pendant six cents lieues sous <strong>des</strong> latitu<strong>des</strong>très-diverses. Dans c<strong>et</strong> immense parcours, ses bords fertilesétalent successivement aux regards <strong>du</strong> voyageurles pro<strong>du</strong>ctions de la zone équatoriale, <strong>et</strong> les fruits quemûrit le soleil plus clément <strong>des</strong> régions tempérées.Fécondées par les bras actifs de la vieille Europe ,ces vastes solitu<strong>des</strong> encore ignorées pèseront d'ungrand poids dans la balance commerciale <strong>du</strong> globe :<strong>et</strong>les voies magnifiques de communication ouvertes par


152 HYDROGRAPHIE. — NAVIGATION FLUVIALE.une nature prodigue à travers c<strong>et</strong>te terre promise, sillonnéespar la vapeur, lui assurent un avenir dont l'espritle plus enthousiaste entrevoit avec hésitation lamagnificence (1).(1) L'analyse de l'eau <strong>des</strong> rivières <strong>et</strong> de quelques laguaes ajouterait ungrand intérêt à c<strong>et</strong>te série de chapitres consacrés à l'Hydrographie <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Je regr<strong>et</strong>teraitoujours que les circonstances au milieu <strong>des</strong>quelless'est efiFectué mon r<strong>et</strong>our, m'aient obligé à l'abandon <strong>des</strong> échantillonsque j'avais recueillis. Ceux <strong>du</strong> lac Ipacarahy , après avoir résisté pendantplusieurs centaines de lieues aux ru<strong>des</strong> allures <strong>du</strong> cheval ,en pleine mer, par le roulis <strong>du</strong> vaisseau.ont été brisés,


CHAPITREXIV.RÈGNE VÉGÉTAL.— ASPECT DE LA VÉGÉTATION; CARACTÈRES DE LA FLORE.« Je ne sais plus quel vieux Missionnaire pénétrantdans les forêts qui bordent FAmazone, s'écria, ravi parTenthousiasme : Quel beau sermon que ces forêts! D'unmot, il essayait de faire comprendre ainsi leur sublimebeauté ; d'un seul mot, en eff<strong>et</strong> ,pour qui a <strong>des</strong> souvenirs, il peignait ces immenses arca<strong>des</strong> formées parles Vignaticos joignant à quatre-vingts pieds leurs branchesrobustes, comme les ogives de nos cathédraless'entrelacent dans leur régularité grandiose. D'un seulmot, il peignait ces lianes verdâtres, entourant dansleurs spirales immenses quelque vieux tronc de Sapoucaya(1) , ainsi qu un serpent qui se tiendrait immo-(1) Lecythis ollaria.


15 4- HÈGNE VÉGÉTAL.bile comme le serpent <strong>des</strong> Hébreux attacbé à sa colonned'airain. D'un mot, ilpeignait encore ces aloès, coupes<strong>du</strong> temple, qui ouvrent à l'extrémité <strong>des</strong> Jaqu<strong>et</strong>ibasleurs calices immenses de ver<strong>du</strong>re, prêts à recevoir larosée <strong>du</strong> ciel; puis, ces candélabres de cactus qu'unrayon <strong>du</strong> soleil vient quelquefois dorer, <strong>et</strong> qui se parentd'une grande fleur rouge comme d'un feu solitaire;puis, ces guirlan<strong>des</strong> d'épidendrum se balançantau souffle <strong>des</strong> vents <strong>et</strong> fuvant l'obscurité <strong>des</strong> forêtspour j<strong>et</strong>er leurs fleurs au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> temple; puis cesbignonias, guirlan<strong>des</strong> éphémères qui forment mille festons.Il disait aussi le cri majestueux <strong>du</strong> Guariba,dont le silence est interrompu vers le soir, <strong>et</strong> qui seprolonge comme la psalmodie d'un chœur, tandis quele Ferrador, j<strong>et</strong>ant par intervalle son cri sonore , imitela voix vibrante qui marque les heures dans nos cathédrales.»C<strong>et</strong>te <strong>des</strong>cription, que j'emprunte à l'auteur <strong>des</strong>Scènes de la Nature sous les tropiques ,(1) ne donneencore qu'une imparfaite idée <strong>des</strong> magnificences végétales,qui sont pour les pays encore vierges <strong>du</strong> NouveauContinent, ce que sont les merveilles de l'art en Europe.Hâtons-nous de le dire, sous le rapport <strong>des</strong> caractèresde sa flore <strong>et</strong> de l'éten<strong>du</strong>e de ses forêts^ le <strong>Paraguay</strong>sert de transition entre les gran<strong>des</strong> plaines <strong>du</strong>sud, <strong>et</strong> rimmense région forestière <strong>du</strong> bassin de l'Amazone.Ainsi, vers le nord, <strong>des</strong> forêts rarement inter-(1) FcrdinaQd Dcuis. Voy. lédilion qu'il a publiée <strong>du</strong> Voyage dans lesorcls (le la Guyane française, par T. V, Malol<strong>et</strong>, p. iO*i.


ASPECT DE LA VÉGÉTATION. 155rompues confinent à celles <strong>du</strong> Mato-Grosso ; mais àpartir <strong>du</strong> vingt-quatrième parallèle, elles alternent avec<strong>des</strong> savanes noyées ou couvertes de hautes herbes <strong>et</strong> depalmiers. Plus au sud, les plaines n'offrent de boisvierges que dans le voisinage <strong>des</strong> fleuves ; <strong>et</strong> le cours<strong>du</strong> Paranà, de l'Uruguay <strong>et</strong> <strong>des</strong> sous-affluents de laPlata, est indiqué par <strong>des</strong> ban<strong>des</strong> étroites couvertesd'une végétation luxuriante , <strong>et</strong> tracées en zigzags aumilieu d'un désert de ver<strong>du</strong>re.Lorsqu'on <strong>des</strong>cend le Rio-<strong>Paraguay</strong>, on reste encorefrappé d'un changement dans l'aspect de la végétation,qui dépend moins peut-être de la succession <strong>des</strong> espècesbotaniques, que de l'influence <strong>des</strong> conditions au milieu<strong>des</strong>quelles elles vivent <strong>et</strong> se développent.Les conditions climatériques qui président à l'accomplissementde l'acte de la végétation, diffèrent, eneff<strong>et</strong>, assez notablement au <strong>Paraguay</strong> , de celles quel'on rencontre à la même distance de l'Equateur surles côtes océaniques. Nous verrons plus loin, que sila division <strong>des</strong> saisons n'y a pas encore le caractèr<strong>et</strong>ranché qu'elle revêt dans les pays tempérés, elles'éloigne déjàd'une manière sensible de la marche <strong>et</strong>de la succession régulières que l'on observe dans lescontrées équinoxiales. C'est par la rar<strong>et</strong>é, l'inconstance<strong>et</strong> la variabilité <strong>des</strong> phénomènes hydrométéoriques; par<strong>des</strong> alternances de sécheresse <strong>et</strong> d'humidité extrêmes,que le climat <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> se distingue à la fois <strong>du</strong>climat de la zone intertropicale , <strong>et</strong> de celui <strong>des</strong> latitu<strong>des</strong>tempérées.Les eff<strong>et</strong>s <strong>du</strong> printemps (septembre, octobre <strong>et</strong> no-


156 RÈGNE VÉGÉTAL.vembre) sur les phénomènes de la végétation, sontpeu sensibles, car la plupart <strong>des</strong> arbres ont traversél'hiver sans perdre leur feuillage :alors cependant lesfleurs s'épanouissent, <strong>et</strong> l'herbe <strong>des</strong> prairies s'élève plusverte <strong>et</strong> plus touffue.Durant l'été,les plantes exposées aux ardeurs d'unsoleil torride ne reçoivent pas toujours l'eau qui leur seraitnécessaire. Sous l'action prolongée <strong>du</strong> vent <strong>du</strong> N.,plus fréquent dans c<strong>et</strong>te saison, les pâturages se <strong>des</strong>sèchent,l'herbe devient jaune, se <strong>du</strong>rcit, <strong>et</strong> n'offre plusaux troupeaux qu'une nourriture insuffisante. Vers lemilieu <strong>du</strong> jour, les feuilles <strong>des</strong> arbres courbées surleurs pétioles, restent pendantes <strong>et</strong> comme flétries jusqu'àce que la rosée de la nuit les fasse revivre. C<strong>et</strong>eff<strong>et</strong> se remarque même sur la feuille épaisse <strong>et</strong> presquecoriace <strong>des</strong> orangers. Sans ces rosées abondantes lavégétation périrait. Mais, survient-il une averse aprèsune sécheresse de plusieurs semaines? Tout à coup lascène change; laplaine se couvre presque instantanémentd'un tapis de ver<strong>du</strong>re; à mesure que l'eau s'infiltredans le sol, les feuilles <strong>des</strong> graminées se déroulent: il semble , comme le remarque le DocteurRengger, que l'on pourrait surprendre la nature dansl'acte de l'accroissement.Dans les régions chau<strong>des</strong> comme sous les latitu<strong>des</strong>tempérées <strong>du</strong> globe, l'eau est l'élément essentiel de lavie végétale, la cause de son expansion vigoureuse, incessante<strong>et</strong> non interrompue. Le sol y est d'une extrêmefertilité, parce que l'hygromètre se maintientpresque immobile très-près <strong>du</strong> point de saturation.


,ASPECT DE LA VÉGÉTATION. 1 5YC<strong>et</strong> excès d'humidité, très-appréciable sur les côtes <strong>du</strong>Brésil, y détermine une force de végétation qui étonne<strong>et</strong> ravit le voyageur appelé à contempler pour la premièrefois les merveilles de la nature équatoriale.Enaucun pays <strong>du</strong> monde, peut-être, c<strong>et</strong>te végétation n'aplus de force ,<strong>et</strong> les forêts ne présentent plus de majestéqu'àRio de Janeiro, parce que nulle part l'humiditén'est aussi grande (1 ).Les pluies toujours plusfréquentes sur les côtes que dans l'intérieur <strong>des</strong> continents; le voisinage <strong>des</strong> montagnes qui entourent lacapitale<strong>du</strong> Brésil <strong>et</strong> la brise chargée de vapeur d'eauqui souffle <strong>du</strong> large; telles sont les causes qui pro<strong>du</strong>isentc<strong>et</strong> excès de saturation humide. J'aurai toujoursprésent au souvenir le spectacle de ces magnificencesque j'ai r<strong>et</strong>rouvées dans toute leur pompe au nord dela province de Rio ,sur les bords de la Parahyba.Les pluies générales de l'automne surviennent souventavec un vent de N. ou de N. E. C<strong>et</strong>te circonstance,en augmentant la chaleur <strong>et</strong> en répandant(1) La moyenne annuelle de l'humidité de l'air n'est , à Paris, que lamoitié de celle de l'humidité de l'air h Rio. Ce résultat ,qui semble tout àfait en contradiction avec la pur<strong>et</strong>é <strong>du</strong> ciel <strong>des</strong> tropiques , <strong>et</strong> l'état brumeuxde l'atmosphère parisienne, s'explique par la différence considérablequi existe entre les températures moyennes <strong>des</strong> deux villes (23"pour l'une, <strong>et</strong> 10»,8 pour l'autre). On sait, eneff<strong>et</strong>, que plus la températarede l'air est élevée ,plus grande est la quantité de vapeur d'eau qu'ilpeut contenir. (Voy. un remarquable Mémoire de M. Pissis dans les Comptesren<strong>du</strong>s de VAcadémie <strong>des</strong> sciences ,juill<strong>et</strong> 1843; les relevés de BentoSanchez Dorta, Patriota Brasileiro, 1813-14 ; <strong>et</strong> les observations météorologiquespubliées par MM. Spix <strong>et</strong> Martius, l'amiral Roussin <strong>et</strong> le capitaineFreycin<strong>et</strong>.) Notons , en passant, que la quantité d'eau qui tombeannuellement sur les côtes <strong>du</strong> Brésil tend à diminuer ; <strong>et</strong> que les orages<strong>et</strong> les pluies<strong>des</strong> forêts.ont per<strong>du</strong> leur régularité par suite <strong>du</strong> défrichement déréglé


158 RÈGNE VÉGÉTAL.une plus grande humidité dans l'air , imprime auxphénomènes de la vie végétative une vigueur nouvellequi ne s'arrête que par l'abaissement de température,pro<strong>du</strong>it en hiver par le vent de S. Après plusieursjours de brumes épaisses <strong>et</strong> de pluies fines , ce ventgagne le S. 0. , <strong>et</strong> le ciel s'éclaircit. Alors , si l'atmosphèredevient calme, on observe pendant la nuitune gelée blanche. Ces gelées inconnues dans le Haut-<strong>Paraguay</strong>, ne sont nuisibles qu'à la canne à sucre dontelles détruisent les rej<strong>et</strong>ons (^cogoUos) , si le soleil lesfrappe avant qu'on ait pris la précaution de faire tomberles glaçons qui les entourent, à l'aide d'une longuecorde traînée sur les cannes : c'est le dégel subit <strong>et</strong> sanstransition qui nuit aux végétaux.Les froids de l'hiver n'ont d'ailleurs rien de bien rigoureux,car leur action n'empêche pas la vigne defleurir pour la première fois, <strong>et</strong> les orangers pour laseconde. Dans celte saison , fleurissent aussi <strong>et</strong> prospèrentles légumes <strong>et</strong> les plantes importés d'Europe,les choux-fleurs, les rosiers, les sala<strong>des</strong> <strong>et</strong> les œill<strong>et</strong>s(Rengger).Nous parlerons plus loin de l'abaissement assez notablede température pro<strong>du</strong>it par le vent d'E. ou Virason,qui souffle régulièrement après le coucher <strong>du</strong> soleil.C<strong>et</strong>te fraîcheur <strong>des</strong> nuits qui succède à une chaleuraccablante, doit modifier la distribution géographique<strong>des</strong> végétaux, favoriser la fructification de certains arbresexotiques, <strong>et</strong> nuire à celle de quelques plantes indigènes.Ne pourrait-on pas attribuer à c<strong>et</strong>te circonstanceclimatérique,l'absence <strong>des</strong> bananiers dans les


,ASPECT DE LA VÉGÉTATION. 159Missions de l'Uruguay? J'ai vu le bananier dans unjardin, à San-Borja, mais il n'y fructifie pas; tandisqu'il vient très-bien dans la colonie de San-Leopoldosituée dans lamême province, à une latitude plus méridionalede près d'un degré.Les scènes grandioses de la nature américaine ontété trop éloquemment décrites par les voyageurs, lessavants <strong>et</strong> les poètes, pour que je me hasarde aprèsChateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, MM. AlexandredeHumboldt, Martius, Aug. de Saint-Hilaire, <strong>et</strong>c.,à raconter la splendeur un peu monotone <strong>des</strong> forêtsvierges , leur silence imposant <strong>et</strong> triste vers le milieu<strong>du</strong> jour, interrompu au lever <strong>et</strong> au coucher <strong>du</strong> soleilpar les mille bruits que fait entendre la populationclair-semée de leurs solitu<strong>des</strong>.Les variations un peu brusques de température dontje viens de parler; l'inconstance <strong>et</strong> l'irrégularité <strong>des</strong>phénomènes hydrométéoriques jointes à l'action prolongéed'un soleil de feu ,donnent aux grands bois <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> méridional , l'aspect de ces forêts moinsvastes <strong>et</strong> moins touffues qui portent au Brésil le nomde Catingas. La végétation est moins riche <strong>et</strong> moinspressée; elle comprend quelques espèces qui se dépouillentde leurs feuilles. Mais si la circulation de lasève parait s'arrêter chez elles, c'est moins par suite del'influence <strong>du</strong> froid que <strong>du</strong> manque d'humidité. Ainsi,les pétioles se détachent <strong>des</strong> rameaux <strong>et</strong> les feuillesflétries tombent, parce que la sécheresse pro<strong>du</strong>it ici unepartie <strong>des</strong> phénomènes qui sont <strong>du</strong>s, ailleurs, au soufllede l'hiver.


,IGORÈGNE VÉGÉTAL.Mais, à la même latitude, on r<strong>et</strong>rouve sur la rive<strong>des</strong> fleuves <strong>et</strong> <strong>des</strong> rivières ,esteras,au bord <strong>des</strong> lagunes <strong>et</strong> <strong>des</strong>les grands aspects d'une nature encore vierge<strong>et</strong> tout le luxe de la végétation tropicale. La haute cime<strong>des</strong> Lapachos, <strong>des</strong> Cèdres, <strong>des</strong> Urundeys, <strong>des</strong> Algarobos,<strong>des</strong> P<strong>et</strong>erebys, <strong>et</strong>c., domine un fouillis inextricabled'essences naines, aux feuilles diversement découpées,qui cache à l'œil le sol perpétuellement humidede la forêt. Du somm<strong>et</strong> de ces géants <strong>des</strong>cendentjusqu'à terre ou s'élancentde l'un à l'autre, <strong>des</strong> lianesdont le réseau s'enroule en spirales autour <strong>des</strong> branches<strong>et</strong> <strong>du</strong> tronc, les étreint, <strong>et</strong> semble les r<strong>et</strong>enir commefont lescordages noués aux mâts d'un vaisseau. Tantôt,ces plantes parasites qui tuent l'arbre qui les faitvivre, pendent avec la rectitude d'un fil à plomb;tantôt, elles se déroulent en gracieuses arabesquesjusqu'à la surface de l'eau. On dirait alors <strong>des</strong> lignesqu'un pêcheur aurait amorcées avec les fleurs les pluséclatantes (1).Mais, sil'air toujours chaud <strong>et</strong> humide circule avecpeine à travers ces voûtes sombres; si les tiges sarmenteuses<strong>des</strong> lianes restent immobiles sous le souftle de labrise <strong>du</strong> soir,l'ouragan s'y fraye un passage que l'onsuit aux traces qu'il laisse derrière lui.Sous le déchaînementtempétueux <strong>du</strong> pampero ,d'horribles craquementsse font entendre; le tronc vermoulu <strong>des</strong> palmierscentenaires s'écroule , <strong>et</strong> le sol reste jonché de(1) Alfred Maury, Rapport sur Vouvragc <strong>du</strong> docteur Martius intitulé: Tabula vegctationis in Brasilia, <strong>et</strong>c., dans le Bull<strong>et</strong>in de la Sociétéde géographie^ 4« série, 1850, t. XU, p. 122.


ASPECT DE LA Vl^fîÉTATION. 101colonnes naturelles que Ton prendrait pour lesruinesoubliées d'un temple grec envahi par une végétationparasite. Malheur alors, malheur au voyageur surprispar l'orage au miheu de ces profondeurs boisées î IIcourt le risque de périr écrasé dans la scène de dévastationqui s'approche.Les familles naturelles ne sont pas toutes égalementreprésentées dans laFlore <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions.Les genres Mimosa, Quassia, Citrus, Laurus, Ilex,Bifjnoniam'ont paru, lepremier surtout, les plus répan<strong>du</strong>s.D'autres genres de la nombreuse famille <strong>des</strong> Légumineuses;les Composées, les Euphorbiacées ,les Broméliacées,les Myrtées, les Apocynées, <strong>et</strong>c., comprennent<strong>des</strong> espèces variées : j'indiquerai les principales.Dans la classe <strong>des</strong> végétaux monocotylédonés , l'innombrablefamille <strong>des</strong> Graminées renferme à la fois lesespèces naines qui tapissent le sol, <strong>et</strong> constituent lesprairies où paissent en troupes nombreuses les animauxherbivores; <strong>et</strong> <strong>des</strong> essences à la fois légères <strong>et</strong>résistantes ,que leurs dimensions perm<strong>et</strong>tent d'employerdans latoiture <strong>des</strong> habitations.Si l'Agriculture ne devait pas figurer dans lecadrede ce livre; si nous n'avions pas l'intention de consacrerquelques pages aux plantes économiques ousociales, on comprendrait difficilement une énumération<strong>des</strong> richesses botaniques <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, dans laquellela première place n'appartiendrait pas au précieuxvégétal qui fournit le Maté ou Thé de FAmérique<strong>du</strong> Sud (1). Cultivée en d'autres temps par les(1) Ilex Paraguariensis (Auguste de Saint-Hilaire), Ilicinées. Ce n'est11


162 RÈGNE VÉGÉTAL.Jésuites, c<strong>et</strong>te Ilicinée donnait, entre leurs mainshabiles, <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>its considérables : ces plantations,Tbomme les a détruites, ou elles ont péri faute de soins ;mais si l'arbre n'existe plus qu'à l'état sauvage, il estrépan<strong>du</strong> <strong>des</strong> environs de Rio de Janeiro au pied <strong>des</strong>An<strong>des</strong> boliviennes, <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong> trouve encoredans la préparation de ses feuilles, l'article le plusimportant de son commerce.Les brusques variations de température <strong>et</strong> les autresphénomènes climatériques, déterminent dans la florede l'intérieur <strong>des</strong> continents, une variété que ne présentepas la végétation beaucoup plus uniforme <strong>des</strong> bordsde rOcéon. Quel contraste entre l'admirable Nymphéacéeaux feuilles orbiculaires <strong>et</strong> gigantesques, sidigne de porter le nom d'une reine (i ), <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te Pitcairnieaérienne dont les guirlan<strong>des</strong> légères chargéesde fleurs aux suaves parfums, se balancent mollementdans l'air qui seul fournit les principes de leur dévepassans raison que le savant voyageur gourmande les botanistes qui nesont pas toujours fort scrupuleux sur les règles de la grammaire ,d'avoirvoulu substituer à ce nom consacré par l'usage, celui de <strong>Paraguay</strong>cnsis.A. de Saint- IIilaiue, Tableau général de la province deSainl-Paul, Paris, 1851, p. IOj, à la noie. Pour rester dans les limitesrigoureuses d'une latinité irréprochable, il faudrait dire Paraquariensis.{i) Maiz del agua (Maïs d'eaux C. yclumbiiim : Vicloria cruziana ,d'Orb. Espèce à l'eur rosée de près d'un pied do diamètre, très-voisine dela Victoria regia découverte dans la Guyane <strong>et</strong> décrite par le botanisteLindley. Déjà, Al. Bouj)Iand avait signalé à M. de Mirbel l'existence dec<strong>et</strong>te Nymphéacée dans les lagunes <strong>et</strong> 1rs ruisseaux <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>; ill'avait classée entre les genres yelumbium <strong>et</strong> ^ymphca. Après lafécondation,les Heurs s'enfoncent, pour mûrir sous l'eau <strong>des</strong> graines que les Indiensrecherchent <strong>et</strong> mangent avidement. L<strong>et</strong>tre à M. F. Delesserl, dansles Comptes ren<strong>du</strong>s <strong>des</strong> séances de V Académie <strong>des</strong> sciences, mars 1854.Voy. aussi Van-Holtte, Flore <strong>des</strong> Serres, t. VI, 1850.


ASPECT DE LA VÉGÉTATION. ICiloppement (1)! A côté de ces plantes qui ne serventqu'à la parure d'une nature splendide , apparaissentles formes bizarres <strong>des</strong> Cactées. L'une d'elles (G,Opuntia) nourrit la cochenille; une autre (C. Peruvianus), aux tiges rameuses , angulaires <strong>et</strong> arméesde faisceaux de p<strong>et</strong>ites épines fauves , entoure les cultures<strong>des</strong> Indiens d'un rempart infranchissable.Tousces rameaux cannelés qui se détachent d'un tronccommun en arrondissant leurs bras, semblent, suivantl'expression poétique d'un voyageur,autant de candélabresdisposés à l'avance pour éclairer lanuit une fêtede géants. Des lianes, dont quelques-unes (Aristolochiées)fournissent un suc laiteux très -vanté contrelamorsure <strong>des</strong> serpents, ces hôtes redoutables <strong>des</strong> solitu<strong>des</strong>américaines, s'enlacent <strong>et</strong> se suspendent à lahaute cime <strong>des</strong> arbres,tandis qu'à leur pied s'étalentdeux Broméliacées épineuses [Ybira, Caraguata), dontles feuilles charnues fournissent par la macération unefibre textile, souple <strong>et</strong> résistante, préférable au chanvrepour la confection <strong>des</strong> câbles, <strong>des</strong> cordages, <strong>et</strong> lecalfatage <strong>des</strong> embarcations.J'arrive maintenant à l'élude de pro<strong>du</strong>ctions plusimportantes.(1^ Flor del ayre (Fleur de l'air) <strong>des</strong> Espagnols; Caraguala-mi <strong>des</strong>Guaranis ; Broméliacées. Les balcons <strong>des</strong> maisons de Buenos-Ayres sonttapisses de la variété à (leurs jaunes que l'on .ippeile Angclilo ,pititauKe.


CHAPITRE XV.RÈGNE VÉGÉTAL ( Suite ).— DES BOIS DU PARAGUAY ET DES MISSIONS.Les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> possèdent certains caractèresgénéraux qui les distinguent de ceux de l'Europe,<strong>et</strong>que l'on r<strong>et</strong>rouve dans les bois <strong>du</strong> Brésil <strong>et</strong> <strong>des</strong>Guyanes (I).Ils sont très-compactes, d'une pesanteurspécifique considérable, <strong>et</strong> ne flottent pas. Ils brûlentdifficilement, mais en revancbe ils ont une solidité <strong>et</strong>une <strong>du</strong>rée extrêmement remarquables. Rien de plustriste au milieu <strong>des</strong> défricbés (roçados) <strong>du</strong> Brésil,quel'aspect de ces arbres séculaires, que labâche <strong>du</strong> planteura été forcée de respecter, <strong>et</strong> que le feu a noircis sans(1) V. DE NoLViON, Extraits <strong>des</strong>'auteurs <strong>et</strong> voyageurs qui ont ccritsur la Guyane, suivis d'un Catalogue bibliographique ,] Paris, 1844,iu-8» ;— Noyer, les Forèls vierges de la Guyane française, Paris,1827, in-S»; — Schomclrgk, .1 dcscripcion of bristish Guyana , Loudon,1840, in-8».


DES BOIS DU PARAGUAY. 165pouvoir les consumer. L'outil tranchant ne les entamequ'avec peine; ilsdeviennent très-unis sous le racloir,prennent le vernis admirablement, <strong>et</strong> se laissent biendébiter en placage :ils sont difficiles à sculpter à causede lacompacité <strong>et</strong> de la finesse de leurs fibres, mais ilsse tournent bien.Leur <strong>du</strong>rée, leur incorruptibilité,les rendent précieuxpour la marine : Azara estime qu'un bâtimentconstruit au <strong>Paraguay</strong>, <strong>du</strong>re trois fois plus qu'un autre,sans l'aide <strong>du</strong> goudron dont l'usage est à peu près inconnu.Comme bois de constructions civiles, on peut lescompter parmi ceux de premier ordre, à cause de leurgrande résistance à la flexion.En Amérique, on attribue à la nature <strong>du</strong> sol,à l'exposition<strong>et</strong> aux conditions climatologiques , une influencefort exagérée sur les caractères <strong>physique</strong>s <strong>et</strong> lesqualités <strong>des</strong> bois. Les quelques personnes instruitesqu'on y rencontre, n'hésitent pas à regarder comme<strong>du</strong>es à l'action sans doute puissante de ces causes, <strong>des</strong>dissemblances qu'il serait beaucoup plus rationnel deconsidérer comme liées à <strong>des</strong> variétés botaniques d'unemême espèce d'arbre. Toutefois, il faut reconnaître quele même bois pris dans deux localités peut offrir <strong>des</strong>différences assez notables dans ses propriétés : on saitqu'il en est ainsi en Europe. On adm<strong>et</strong> donc , <strong>et</strong>avec quelque raison,que les arbres qui croissent dansle nord <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> le Grand-Chaco, au milieu deplaines humi<strong>des</strong> ou fréquemment inondées , ont plusde porosité <strong>et</strong> moins de résistance que ceux qui vé^


,DES BOIS DU PARAGUAY. 167une supériorité incontestable sur le noyer, le chêne <strong>et</strong>le sapii].L'importance de ces considérations économiquesn'échappera à personne. L'intro<strong>du</strong>ction en France <strong>des</strong>bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> procurerait un bénéfice réel aux négociantsqui en feraient le commerce ; elle ajouteraiten même temps au nécessaire <strong>et</strong> au bien-être <strong>des</strong> populations,dont une grande partie ne peut aborder lesmeubles dits de luxe, à cause de l'élévation de leursprix.M. l'ingénieur Plaisant termine son Second Rapportà M. leMinistre <strong>du</strong> Commerce par les conclusions suivantes:« Les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> offrent beaucoup dechances de succès pour être préférés aux autres bois engénéral en usage dans nos pays ; atten<strong>du</strong> :P Quils ont, comme bon marché, une grande supérioritésur l'acajou, <strong>et</strong> sur tous les bois exotiques deluxe; car l'acajou qui est un <strong>des</strong> moins chers, coûte382 (r. 50 c. le mètre cube , tandis que le plus cher<strong>des</strong> bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ne vaut que 1 73 fr.68 c; un peumoins que la moitié <strong>du</strong> précédent ;2^Que leur emploi dans l'ébénisterie, pour les meublesnon plaqués serait d'un commerce très-lucratil',le commencement d'une concurrence universelle pour<strong>et</strong>les meubles en acajou <strong>et</strong> autres en bois étrangers ;3° Que, quant aux meubles plaqués, on ne peutcomparer les bois avec lesquels on fait les meublescommuns , avec l'éclat <strong>des</strong> couleurs <strong>des</strong> bois de l'Assomption;conséquemment en important ces derniers


M168 RÈGNE VÉGÉTAL.les autres bois seraient bientôt abandonnés; c'est-àdirequ'on ne les emploierait plus pour confectionner lemeuble;4" Que l'usage de ces bois dans les constructions civiles,présente <strong>des</strong> avantages incontestables, <strong>et</strong> commelégèr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> comme prix de revient, sur le cbêne deBourgogne qui est le moins cher de tous. »Nous avons dit plus haut (p. 118), quelques motssur l'importance à toutes les époques <strong>du</strong> commerce <strong>des</strong>bois,en signalant les mesures im<strong>politique</strong>s qui ont entraînésa ruine. Tôt ou tard , c<strong>et</strong>te mine féconde sagementexploitée doit occuper, sous un régime pluslibéral, le premier rang dans les exportations <strong>du</strong> pays.On trouvera plus loin <strong>des</strong> détails sur l'état actuel del'in<strong>du</strong>strie forestière, encore entravée par le décr<strong>et</strong> <strong>du</strong>2 janvier 1846, <strong>et</strong> par l'absence ou le mauvais état <strong>des</strong>chemins; sur l'exploitation <strong>et</strong> le prix <strong>des</strong> bois : il nesera question ici que de leurs propriétés (1).TATANE,MiMOSÉES.J'ai parlé plus haut de l'incombustibilité <strong>des</strong> bois<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Le Tatane, ainsi que l'indique son nomguarani, ne brûle pas. Il se consume sans flamme,sans laisser de braise, <strong>et</strong> en répandant une odeur fétide(2). Lorsqu'on le fend, il éclate en longs mor-(1^ Voy. Partie Économique, <strong>et</strong> aux Pièces justificatives, \es Rapportsde M. Plaisant.(2) Des deux mots tala, feu, <strong>et</strong> ne particule privative; ou dit aussi Talare,de tala <strong>et</strong> re mauvaise odeur.


DES BOIS DU PARAGUAY. 160ceaux tortueux ; aussi entre-t-il dans les constructionsnavales, pour les liaisons <strong>et</strong> les courbes <strong>des</strong> navires. Onpourrait cependant l'employer dans la charpente, lecharronnage <strong>et</strong> même l'ébénisterie, parce qu'il est trèsdense,incorruptible, d'une belle couleur jaune nuancée;qu'il prend bien le vernis, <strong>et</strong> qu'il est très-difficiled'en r<strong>et</strong>irer les clous qu'on y a enfoncés. Assez commun,ilcroît isolément ou forme <strong>des</strong> massifs.CEDRO , Cedrela Brasiliensis ; C. odorala.Deux espèces.C. hlanco.C. Colorado.Le Cèdre, très-différent de celui d'Europe, est un<strong>des</strong> arbres les plus communs <strong>et</strong> les plus beaux <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>où il acquiert d'énormes dimensions. Le troncseul s'élève souvent jusqu'à 20 mètres. La première espècemoins estimée sedébite en planches. On emploiela seconde à une foule d'usages; à faire <strong>des</strong> caisses àcigares, <strong>des</strong> tables, <strong>des</strong> portes <strong>et</strong> <strong>des</strong> fenêtres. 11 selaisse travailler plus facilement lorsqu'il n'est pas toutà fait sec. Assez difficile à polir, il prend moins bienle vernis que la plupart <strong>des</strong> autres bois, parce qu'ilest plus poreux ; mais il le conserve longtemps. Ainsitravaillé, il imite assez bien l'acajou. Il exhale, lorsqu'ilest frais,une odeur désagréable.On regarde comme une troisième variété un boisnommé Cedrona ou Cedro castaho (bai-brun) ,qui meparait être une espèce botanique différente : elle estsupérieure au Cèdre par sa beauté <strong>et</strong> sasolidité.


,170 RÈGNE VÉGÉTAL.LAPACUO, BlGNONIACÉES.Deux espèces :Nom guarani :Lapacho.— crespo.Ipe (i) ou Tayy.Très-dense, inattaquable à l'air libre, il s'emploiedans les constructions civiles <strong>et</strong> navales : il fournitd'excellentes poutres.Le Lapacho à feuilles frisées {crespo), sert avantageusementdans le charronnage, l'ébénisterie, les engrenagesde moulins, <strong>et</strong>c.Les Indiens <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong><strong>du</strong> Grand-Chaco en font <strong>des</strong> bois de lances.Il se laisse facilement travailler à l'outil tranchant<strong>et</strong> au polissoir. On rencontre les Lapachos agglomérésen bouqu<strong>et</strong>s , ou disséminés dans les forêtsau milieu <strong>des</strong> autres arbres qu'ils dominent de leurvaste cime arrondie, touffue, <strong>et</strong> chargée de fleurs roses.Ils rappellent ainsi les plus beaux chênes <strong>des</strong> forêts del'Europe, <strong>et</strong> paraissent répan<strong>du</strong>s sur une surface immense, car on les trouve à la fois en Bolivie <strong>et</strong> surles bords de l'Uruguay.ALGAROBO, Prosopis <strong>du</strong>lcis,G. Ceralonia? Mimosées.Nom guarani :tbope.11 fournit <strong>des</strong> varangues <strong>et</strong> de très-belles courbespour la construction <strong>des</strong> navires , <strong>et</strong> les jantes <strong>des</strong>roues. Un peu plus poreux que le Tatane auquel il res-(1) Nom coramuu à plusieurs espèces <strong>du</strong> G. Bignonia.


DES BOIS DU PARAGUAY. 171semble beaucoup, il prend assez mal le vernis, mais ille conserve parfaitement. Sa couleur , très-belle , lerend propre à la fabrication <strong>des</strong> meubles de fantaisie.Le docteur Weddell signalel'Algarobo comme unarbre de première utilité en Bolivie. Ses fruits ,quisont <strong>des</strong> gousses de deux à trois décimètres de longueur,sont employés pour engraisser les bestiaux,les i^raines servent à la nourriture <strong>des</strong> habitants euxmêmes(i). Le mésocarpe est une substance sucrée quifournit par la fermentation une boisson agréable,<strong>et</strong>maisenivrante {cliicha) , déjà connue <strong>des</strong> habitants <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>lors <strong>du</strong> voyage d'Ulderico Schmidel (1534) (2).On obtient à l'aide d'incisions pratiquées sur sonécorce , de la résine qui combinée avec une matièreferrugineuse fournit une teinture noire. Enfin , c<strong>et</strong>teécorce elle-même sert àtanner les cuirs qu'elle coloreen jaune. 11 existe plusieurs variétés de ce bel arbre,très-répan<strong>du</strong> dans les provinces de Salta, Tucuman <strong>et</strong>Santiago del Estero.UUUNDEY, 3IIM0SÉES?Trois espèces : Unindeïj mi, chico, p<strong>et</strong>it.— para, overo, tach<strong>et</strong>é.— pyfa, Colorado, rouge.Ces trois variétés sont rangées dans leur ordre de(1) Weddell, Voyage dans le Sud de la Bolivie, Paris, 1851, in-8%p. 38.(,2) Viage al Rio de la Plala, p. 15-19, dans la Colcccion de obras ydocumentos, 1. 111.


172 RÈGNE VÉGÉTAL.mérite. Les Urundeys sont <strong>des</strong> arbres de premièregrandeur, d'un diamètre considérable, très-<strong>du</strong>rs,trèsdenses,<strong>et</strong> pouvant séjourner sous terre pendant <strong>des</strong>siècles sans pourrir.La première espèce , d'une couleur jaune , est pesante<strong>et</strong> compacte; on l'emploie habituellement pourfaire <strong>des</strong> charpentes, <strong>des</strong> poteaux (horcones), <strong>des</strong> planches<strong>et</strong> <strong>des</strong> meubles très-soli<strong>des</strong>.L'Urundey para ,assez abondant aussi dans la provincede Corrientes, a une couleur olive.Préférable àl'U. pyta, il est inférieur à l'U. mi. Il faut travaillerces bois à l'état frais , car une fois secs ils émoussentles outils.Avec le temps, les veines <strong>et</strong> les nuancestrès -remarquables qu'ils présentent, deviennent obscures<strong>et</strong> s'effacent. Mais l'application d'un vernis suffiraità conserver leur éclat primitif. Azara assure(Voyages dans lAmérique mérid.y t. P"", p. 110), qu'ilssont très-souvent attaqués par une grosse larve, <strong>et</strong> qu'ilest rare de pouvoir les débiter en planches de plus decinquante centimètres de large.YBYRARO; nom guar. de Ybyra bois, <strong>et</strong> ro amer.Le tronc de l'Ybiraro mesure souvent de 12 à 1 4 taras.Très-commun; sa couleur rappelle celle <strong>du</strong> Cèdre.Excellent pour les jantes <strong>et</strong> les rayons <strong>des</strong> roues decharr<strong>et</strong>tes. On le débite aussi en planches, <strong>et</strong> on l'emploiedans le bordage <strong>des</strong> navires, où il fait merveillepar sa <strong>du</strong>rée. Azara fait une seule espèce de ce bois <strong>et</strong><strong>du</strong> Lapacho.


DES BOrS DU PARAGUAY. 173QUEBRAHACHO ou QUEBRACHO, Apocynées?>Deux espèces :Quebr. blanco.— Colorado.On le rencontre aussi à Corrientes <strong>et</strong> dans le Chaco.Très -<strong>du</strong>r, d'une solidité <strong>et</strong> d'une résistance extrêmes,propre à tous les usages, il est plus particulièrementemployé dans les constructions navales,caril résiste indéfiniment , de même que le Lapacho àl'action <strong>des</strong>tructive de l'humidité. C'est un bois sanspores, à grain très-serré, <strong>et</strong> qui prend le vernis admirablement: on dirait <strong>du</strong> marbre. Ces précieusesqualités sont encore plus prononcées dans la secondeespèce que dans la première. Dans la province de Santiago, c<strong>et</strong> arbre remplace le fer sans trop de désavantage,pour la construction <strong>des</strong> essieux de charr<strong>et</strong>tes, <strong>et</strong><strong>des</strong> cvlindres àbrover la canne à sucre fTIMBO, MiMosÉES; espèce d'Acacia.Nom guar.Timboxjj au Brésil Timbo-Uvà,Trois variétés :Timbo blanco.— Colorado [Timbotj-ata?)— amarillo.D'une pesanteur spécifiquebeaucoup moins considérable,<strong>et</strong> plus facile à travailler que les précédents.(1) Amédée JACQUES, Excursion au Rio-Salado, dans la Revue de Paris<strong>du</strong> 15 mars 18.')7.


174 RÈGNE VÉGÉTAL.le Timbo est le bois par excellence pour les canots <strong>et</strong>les pirogues. 11 atteint à <strong>des</strong> dimensions colossales.C'est dans le tronc gigantesque de ce bel arbre qui nese fend <strong>et</strong> n'éclate jamais, que l'on creuse ces embarcationsd'une seule piècequi mesurent jusqu'à vingtcinqmètres de longueur, sur deux mètres <strong>et</strong> plus delargeur. La deuxième espèce est la plus estimée. LeTimbo croit à Corrientes, <strong>et</strong> au Brésil où son nom sertaussi à désigner <strong>des</strong> plantes douées de propriétés narcotiques<strong>et</strong> même vénéneuses (Euphorbiacées, Sapindacées,Asclépiadées). Annales <strong>des</strong> sciences naturelles ,tom. XII, r série, 1839, Botanique, p. 223.CURUPAY, Acacia Angico; Mimosées.Il faut classer dans le même genre les bois nommésCurupay-na,<strong>et</strong> Ciirnpay-curu ou ata.Le Curupay abondant au <strong>Paraguay</strong>, croît aussi dansle Chaco. On se sert de l'écorce pour tanner les cuirsauxquels il donne une couleur ferruguieuse. Très-<strong>du</strong>r,peu poreux, il prend très-bien le vernis. C'est le Curupaii,Bilca ou Sevil <strong>des</strong> Boliviens.ESPIMLLO,Mimosées; nom guar. Nan<strong>du</strong>bay.Quoique très-<strong>du</strong>r, très-compacte, <strong>et</strong> inaltérable soità l'air libre,soit sous terre, l'Espinillo est un excellentbois de chauffage. Ses branches minces <strong>et</strong> tortueusesbi'ùlent avec la plus grande facilité ,verles ou sèches,en pro<strong>du</strong>isant une flamme très-vive. On en fait aussi


,DES BOIS DU PARAGUAY. 175<strong>des</strong> palissa<strong>des</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> poteaux pour supporter le toit<strong>des</strong>corridors qui régnent autour <strong>des</strong> habitations.Celte espèced'Acacia ( Espino <strong>du</strong> Chili, Aroma <strong>des</strong> Péruviens)existe aussi à Corrientes <strong>et</strong> dans le Chaco, où elle caractériseles terrains argileux : de même que le Quebracho,elle perd ses feuilles pendant l'hiver.INCIENSO, Légumineuses.Le cœur de ce bois est incorruptible, <strong>et</strong> d'une <strong>du</strong>r<strong>et</strong>éremarquable. Il est assez commun, <strong>et</strong>sert dans lacharpente <strong>des</strong> maisons ; <strong>et</strong> comme il a peu de poresil se comporte bien sous le tampon : aussi convient-ilà l'ébénisterie. On obtient à l'aide d'incisions pratiquéesdans son écorce, une résine qui a la couleur <strong>et</strong>l'odeur de l'encens <strong>et</strong> que l'on emploie dans les églises,aux usages <strong>du</strong> culte, bien qu'elle soit souvent mêléeà <strong>des</strong> substances étrangères. Les Indiens de la Missionde Corpus , située près <strong>du</strong> Paranà, recueillent dans lelit <strong>du</strong> fleuve <strong>des</strong> boules de résine que Azara regardecomme devant provenir <strong>des</strong> arbres qui croissent surses bords. Mais <strong>des</strong> manuscrits <strong>du</strong>s aux Jésuites, attribuentà c<strong>et</strong>te substance une autre origine , <strong>et</strong> la regardentcomme de l'ambre gris. Quoi qu'il en soit,cesboules prennent feu facilement, <strong>et</strong> répandent une odeurque lecélèbre voyageur m<strong>et</strong> au-<strong>des</strong>sus de celle de l'encensd'Espagne.


CHAPITRE XVI.RtGN2 VÉGÉTAL. — DES BOIS DD PARACUAY ET DES MISSIONS ( Hll ).MOROSIMO.Trois espères : Morosimo verde, vert.Colorado, rouge.— amarilloj jaune.Le Morosimo <strong>et</strong> les deux suivants , ont été étudiésavec soin comme bois d'él)énisterie <strong>et</strong> de constructionsciviles par M. Plaisant, <strong>et</strong> le résultat de sesexpériences a été consigné dans les deux Rapports quej'aicités plus haut.On trouve leMorosimo dans le Haut-<strong>Paraguay</strong>, prèsde la ville de San-Pedro. Propre à tous les usages <strong>et</strong>surtout à Tébénisterie, ce bois,très-compacte, filamenteuxcomme le cliéne <strong>du</strong> nord , ressemble beaucoup àTacajou commun. Sa couleur rouge (Mor. Colorado), est


DES BOIS DU PARAGUAY. 177coupée (le veines pailles <strong>et</strong> de quelques taches noires <strong>et</strong>ces nuances, d'un bel eff<strong>et</strong>, sont très-tenaces. Sa naturehuileuse le rend d'une longue conservation. Difficileà travailler à l'outil tranchant, il devient très-uni <strong>et</strong>onctueux sous le racloir ; il se laisse assez bien débiteren placage, <strong>et</strong> conviendrait parfaitement aux ouvragesde tour.PALO AiMARILLO,liois jaune.Nom guar.Ibyra Sayyu.Tout aussi difficile à travailler soit au ciseau, soit àla varlope que le précédent, le Palo amarillo lui estsupérieur par sa belle couleur jaune claire, passant aujaune safran après le vernis. Il se prête mieux aussi auplacage, car débité en feuilles excessivement minces ,il ne se tourmente pas. Il se tourne bien <strong>et</strong> prend rapidementle vernis : ces précieuses qualités le rendenttrès-propre à l'ébénisterie de luxe dans laquelle ilpeutfaire merveille.PALO DE ROSA, Bois de rose.C<strong>et</strong>te espèce, commune dans l'île Apipé, croît aussià Corrientes où elle est très- recherchée par les ébénistes.Ses fibres sont bien plus fines que celles <strong>des</strong>précédentes. « Ce bois, dit M. Plaisant dans son premierRapport au Ministre de l'Agriculture <strong>et</strong> <strong>du</strong> Com-/merce, ce bois a une couleur rose pâle très-franche pen -dant qu'on le travaille,mais abandonné aux eff<strong>et</strong>s per-12


178 RÈGNE VÉGÉTAL.nicieux de Tair sans être préalablement verni, il prendbien vite une couleur foncée qui a quelque analogieavec celle <strong>du</strong> bois <strong>du</strong> cormier de Provence.«Verni <strong>et</strong> tamponné immédiatement après qu'on Tamis en œuvre, il a une couleur rose tendre nuancée,on<strong>du</strong>lée, très-aç^réable à Toeil. Mais il est très-fàcbeuxpour l'ébénisterie de luxe, que le fond rose <strong>et</strong> les nuancesque ce bois possède d'abord, ne conservent pas toute lafraîcheur qu'ils prennent sous le racloir <strong>et</strong> le tampon.En eff<strong>et</strong>, après un certain laps.de temps, c<strong>et</strong>te couleur,charmante dès que le Palo de rasa est verni, prend unton dégénérant, sensiblement plus pâle, <strong>et</strong> devientpresque sans éclat.« C<strong>et</strong>te couleur rose ne se conservant pas, je doutefort que ce bois puisse faire concurrence aux autresbois exotiques, qui sont déjà si bien connus par labelleébénislerie française. Sa mise en œuvre offre lesmêmes difficultés que celle <strong>des</strong> deux précédents. »PETEREBY,Cordia?Trois espèces :P<strong>et</strong>ereby blanco.negro.— amarillo.Le P<strong>et</strong>erchy est un bois à fibres serrées, <strong>du</strong>r <strong>et</strong> compacte.La première espèce s'emploie dans la marine,à laquelle elle donne <strong>des</strong> vergues, <strong>et</strong> <strong>des</strong> mâts moinshauts <strong>et</strong> plus pesants que ceux fournis par les pins <strong>du</strong>nord de TEuroie. On allrihre à la troisième <strong>des</strong> pro-


DES BOIS DU PARAGUAY. 179prières médicales antivénériennes. Ces arbres alteisjnentau <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> dans le Grand -Chaco, d'énormesproportions. Ils avaient, avant la séquestration<strong>du</strong> pays décrétée par Francia, une valeur qu'ils reprendrontsans doute avec l'accroissement <strong>des</strong> relationscommerciales.\BYRAPYTA. Léguminelses?Ybyrapyta (Bois rouge).— mi (p<strong>et</strong>it).Ces deux essences sont assez distinctes pour queM. Bonpland ait classé la première dans la famille <strong>des</strong>Légumineuses, <strong>et</strong> la seconde qui est la plus estimée^parmi les plantes incertœ seJis. Elles se trouvent dansle Chaco, à Corrientes, comme au <strong>Paraguay</strong>. Usitéessurtout dans le charronnage <strong>et</strong> les constructions navales,elles servent aussi à faire <strong>des</strong> mortiers pour pilerlemaïs.Î.AUREL, Lanrus ;Lacrinées.Deux espèces de laurier :Laurel negro,— blanco.D'une <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é remarquable, ce bois est recherchépour les courbes <strong>et</strong> les oeuvres vives <strong>des</strong> vaisseaux. LeLaurel negro est le plus estimé dans l'ébénisterie ; il al'apparence de l'ébène. Difficile à sculpter, il prendbien le vernis.


180 RÈGNE VI?GI^TAL.SASSAFRAS, iMurus sassafras; Lacrinées.Celte espèce ne serait-elle pas identique à celle del'Amérique septentrionale, dont Técorce <strong>et</strong> les racinessont employées comme sudoritlques dans les mêmescirconstances que lePalo santo ou Gaïac?PALO DE MORA, Morus.Nom guar.Talayba.Ce bois très -<strong>du</strong>r, incorruptible <strong>et</strong> facile à vernir,est recherché par les ébénistes à cause de sa bellecouleur jaune. Très-propre aux ouvrages de tour.PALO SANTO, Bois Saint ou Guaxjacan', Ga'iacum sanclum^RUTACÉES.Ce bois résineux, odoriférant, peu poreux, <strong>et</strong> quiporte à Cuba le nom de Guayaco, se rencontre au nord<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> dans le Chaco. Ila une couleur jauneverdâtre qui devient plus foncée par l'action de l'air<strong>et</strong> de la lumière sur la résine qu'il contient. Son excessive<strong>du</strong>r<strong>et</strong>é, sa facilité à prendre le vernis <strong>et</strong> sa pesanteurspécifique considérable, le placent sur le mêmerang que l'Urundey dont il possède toutes les précieusesqualités. Comme lui propre à tous les usages,on ne l'emploie que pour faire <strong>des</strong> chapel<strong>et</strong>s <strong>et</strong> dep<strong>et</strong>its ouvrages de sculpture.Personiie n'ignoreaussi


DES BOIS DU PARAGUAY. 181le parti que la médecine sait tirer de son action sudorifiquedans le traitement <strong>des</strong> affections vénériennes.La résine <strong>du</strong> Palo santo, d'une odeur agréable, quirappelle celle de l'acide benzoïque, s'obtient en faisantbouillir lasciure dans l'eau. La résine surnage bientôt<strong>et</strong> se fige en se refroidissant. Ses propriétés médicalessont connues <strong>des</strong> créoles <strong>et</strong> <strong>des</strong> Indiens, quoique administréeseule, elle soit impuissante à guérir la syphilis(1).Je ferai observer, en passant, que la dénominationde Bois saints'applique encore en Amérique à <strong>des</strong> essencestrès-différentes de celle-ci. Ainsi , les menuisiers<strong>du</strong> Para (Brésil), donnent le nom de Paô santoà une variété presque noire <strong>du</strong> Jacaranda (Palissandre);tandis que celui de Guayacan désigne dans la provincede Santiago, une espèce de bois rouge, à lafois souple<strong>et</strong> solide, très-estimé pour les lances <strong>et</strong> les flèches.NANDIPA.Le Nandipà, assez léger, résineux, <strong>et</strong> facile à travailler,sert à faire les fûts <strong>des</strong> armes à feu. Sa résinedissoute dans l'alcool fournit un excellent vernispour les bois.(1) C'est sans doute eu reconnaissance <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s salutaires <strong>du</strong> Guayacau,que les Indiens toujours enclius aux fictions , <strong>et</strong> peu curieux de pénétrerles secr<strong>et</strong>s de la nature, ont poétisé son mode de repro<strong>du</strong>ction. Ils supposentdonc qu'au sein de sesfleurs écloscnl <strong>des</strong> papillons qui s'échappentau moment où elles s'ouvrent. Les insectes après une existence éphémères'enfoncent dans le sol , y meurent , <strong>et</strong> de leur corps naît une plantenouvelle.


182 RÈGNE VÉGÉTAL.NARANJO, Oranger; Cilrus, Acrantiacées.L'Oranger acquiert, sous c<strong>et</strong>te latitude, <strong>des</strong> dimensionsqui rendent son bois propre non-seulement à Tébénisterie,mais au charronnage :on en fait d'excellentsessieux de charr<strong>et</strong>tes. Je reviendrai plus tard,lorsqu'ilsera question <strong>des</strong> végétaux cultivés, sur ce bel arbreque l'élégance de son port, la suavité de ses fleurs <strong>et</strong>les qualités de ses fruits,placent au premier rang <strong>des</strong>plantes sociales les plus éminemment utiles, <strong>et</strong> <strong>des</strong>dons les plus précieux faits par l'Europe à l'Amérique.Le Naraiijo <strong>du</strong>lce (doux) <strong>et</strong> surtout le N. agrio (aigre)sont les deux espèces <strong>du</strong> genre Citrus employées dansl'in<strong>du</strong>strie. Mais le bois <strong>du</strong> C. medica (limon commun,real <strong>des</strong> Espagnols), celui <strong>du</strong> Bigaradier (limon sutil)^<strong>des</strong> Cédratiers (Cedras), ont comme elles la propriétéd'être très-<strong>du</strong>rs, de se façonner au tour <strong>et</strong> au ciseau,<strong>et</strong> de prendre une belle couleur jaune paille sous l'actionpeu prolongée <strong>du</strong> tampon.CLRUPICAY, ECPHORBIACÉES.Il fournit un suc gluant ,qui amené à une certaineconsistance par l'évaporation , sert de glu pour tendre<strong>des</strong> pièges aux oiseaux.PALO BLANCO, Bois blanc.Facile àtravailler <strong>et</strong> se conservant bien à Tair libre.Ce nom s'applique à plusieurs espèces de caractèresbotaniques Irès-ditlerents.


DES BOIS DU PARAGUAY. 183YBYiU-PEPE.Arbre de première grandeur dont le bois jaune, facileà vernir, est em[)loyé dans la charpente <strong>des</strong> maisonscl Tébénisterie.MATA-OJO,Achras?Deux espèces :^'oms guar. Aguai-gnazù.— — Mi.Les <strong>Paraguay</strong>os s'en servent comme de bois à brûler,<strong>et</strong> les Indiens <strong>du</strong> Chaco pour faire <strong>des</strong> armes. On ditles fruits <strong>des</strong> deux espèces vénéneux.SAUCE , Saule ; Salix, Salicinées.Très-abondants sur les bords <strong>du</strong> Paranà <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,les Saules présentent <strong>des</strong> dimensions d'autantplus gran<strong>des</strong> qu'on s'avance davantage <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> S.On en rencontre dont la circonférence mesure de 2 à3 mètres; leur bois, blanc, est peu estimé : on assurequ'il existe une variété à bois rouge.PALMA, Palmiers.La famille <strong>des</strong> Palmiers, ces beaux arbres si utiles àla nourriture <strong>des</strong> habitants <strong>des</strong> contrées équinoxiales,compte plusieurs espèces <strong>et</strong> de nombreux représentantsau <strong>Paraguay</strong>. Considérés seulement comme bois de


184 RÈGNE VÉGÉTAL.construction , on distingue deux espèces de palmiers :le Palma blanca, Vataï; <strong>et</strong> le P. negra, Carondaï.La seconde espèce est la meilleure. Elle sert à couvrirles habitations à cause de sa longue <strong>du</strong>rée à Tairlibre. On fend le stipe de l'arbre, <strong>et</strong> on en applique lesdeux parties sur les chevrons : elles font ainsi l'officede tuiles. La partie convexe, revêtue de l'écorce,resteen dehors. Ce genre de toiture est usité même dans lesvilles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> de la province de Corrientes.Le P. Yataï se rencontre dans les terrains sablonneuxpropres à la culture; l'amande donne de l'huile decoco. On trouve encore aux Missions, une espèce nainenommée Yataï Poni, ou Y',rampant.Le P. Carondaï (Copernicia cerifera), aux feuillesen éventail , croît à la lisière <strong>des</strong> forêts, dans lesplaines argileuses, humi<strong>des</strong>, ou fréquemment inondées;ilfournit d'excellents chevrons.GUAYAYVI, Fpe branco <strong>des</strong> Brésiliens.Ce bois à grain tin <strong>et</strong> serré , fort agréablementnuancé, sert à faire <strong>des</strong> cercles : c'est aussi un excellentbois de chauffage.PALO DE LA^NZA.Ainsi que l'indique son nom, c<strong>et</strong>te espèce fournit<strong>des</strong> hampes de lances; on l'emploie dans la charpenterie,<strong>et</strong> on le brûle.


-DES BOIS DU PARAGUAY. 185CUKIY, Araucaria; Pinheiro <strong>des</strong> Brésiliens, Conifères.On l'appelle Arbre <strong>des</strong> Missions ( Arhol de lasMisiones), parce que les Jésuites l'avaient beaucoupmultiplié. Le majestueux Curij^ (nom guarani <strong>du</strong> genrePinus) y i\w\ longues branches horizontales, superposéespar étages, abonde dans les forêts traverséespar l'Uruguay <strong>et</strong>le Paranà. Il disparaît sur les bords dece dernier fleuve à la latitude <strong>du</strong> 35' degré environ.Du côté <strong>du</strong> N. on peut considérer le parallèle de 23° 40'comme son extrême limite sur le plateau de SaintPaul (Brésil); car s'il existe dans la partie la plusméridionale de la province de Minas, par 21° 10'<strong>et</strong> 21^ 55', à une altitude de plus de mille mètres,c'est parce qu'une plus grande élévationcompense unéloignement moindre de laligne équatoriale. Dans lesCampos geraës <strong>des</strong> environs de Goritiba (1), au sol légèrementon<strong>du</strong>lé, on découvre au milieu de pâturagesimmenses <strong>des</strong> Araucarias isolés, ou réunis en bouqu<strong>et</strong>s,<strong>et</strong> mélangés alors d'arbres <strong>et</strong> d'arbrisseaux variés,tandis qu'en Europe il ne croît presque aucuneplante dans les bois de Conifères. La température quis'élève par suite de l'abaissement <strong>du</strong> terrain,à mesureque l'on s'avance de l'est à l'ouest,a dû m<strong>et</strong>tre obstacleà la propagation de ce bel arbre extratropical, qui(1) Ou Curitiba, ancienne ville de la province de Saint-Paul , <strong>et</strong> depuisquelques anuées chef-lieu de la nouvelle province de Paranà. Son nomvient de Curiy <strong>et</strong> ttba, <strong>et</strong> signifie réunion de Pins. Elle est située par 25"51', à 402"', 60 au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> niveau de la mer.


186 RÈGNE VÉGÉTAL.lie parait pas franchir les limites de la partie la plusélevée <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, tandis qu'il peut, en Europe, résisterà une température à peine supérieure à 0°.CANA , Tamara ; Uoseau, Graminées.On trouve au bord <strong>des</strong> nombreux cours d'eauL'Araucaria dont les dimensions égalent au moinscelles <strong>des</strong> Pins <strong>des</strong> contrées boréales, pourrait fournirà la marine <strong>des</strong> mâts <strong>et</strong> <strong>des</strong> vergues. Les Indiens enrecherchent avidement les graines contenues dans uncône qui s'ouvre de lui-même à l'époque de la maturité.plusieursespèces de Tacuaras. Quelques-uns s'élèvent jusqu'à10 mètres; très-gros, creux <strong>et</strong> légers, <strong>et</strong> cependanttrès-soli<strong>des</strong>, ils servent de chevrons, de dromes pourles navires, <strong>et</strong> de bâtons de sonde pour les marins(C.maaja,C.fcrai^a). Ils sont très-abondants dans leN.,sur les bords <strong>des</strong> rios Tacuari (i) <strong>et</strong> Mbot<strong>et</strong>ey, d'où leseaux les arrachent <strong>et</strong> les entraînent dans le fleuve.Lors de la guerre qu'ils soutinrent contre les forcescombinées de l'Espagne <strong>et</strong> <strong>du</strong> Portugal, vers le milieu<strong>du</strong> dernier siècle, les Indiens Guaranis fabriquaient <strong>des</strong>canons avec ces roseaux renforcés de cuir <strong>et</strong> cerclés defer. On pourrait les utiliser dans l'économie domestique,à l'exemple <strong>des</strong> Chinois, auxquels ils fournissentune foule d'ustensiles de ménage. Ils remplaceraientfort avantageusement ceux que l'on tire de plusieurs(1) De Tanmra-y, ririère <strong>des</strong> Tacuaras.


DES BOIS DU PARAGUAY. 187Cucurhitacées, ou que l'on fabrique avec les cornes <strong>des</strong>animaux domestiques (1).Une autre espèce de roseau, fort ,plein , solide,haut de 2 à 3 mètres (Cana Hiiybà ou Uvà, Gyneriinnmccharoi<strong>des</strong>), fournit <strong>des</strong> cannes, <strong>des</strong> hampes delances, <strong>et</strong> <strong>des</strong> flèches aux Indiens. Enfin la variété appeléeTacuà-py (écorce de Tacuà), creuse, à paroisaussi minces qu'une écorce, remplace les moules àchandelles.MOLLE, SchimisMolle.Bois à résine aromatique, employé dans Tébénisteriecommune, <strong>et</strong> facile à travailler quoique d'uneassez grande <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é.VISNAL.L'arbre qui porte ce nom, de taille moyenne, épineux,de nature très-résistante, aux fleurs disposéesen chatons ,croît en abondance au <strong>Paraguay</strong>, dans leChaco, <strong>et</strong> au milieu <strong>des</strong>plaines <strong>des</strong> provinces de Santiago<strong>et</strong> de Santa-Fé. Les Indiens en tirent d'excellentesarmes. On extrait de ses feuilles un remèdecontre les maladies <strong>des</strong> yeux.(1) Le Bambou est en Chine une plante nationale. On mauge ses jeunespousses; on en fait dn papier, <strong>des</strong> vases de toutes sortes, <strong>des</strong> cordages,<strong>des</strong> instruments d'optique, <strong>des</strong> con<strong>du</strong>ites pour les eaux, <strong>et</strong>c. Voy. uneintéressante yotice sur la eullure <strong>et</strong> Vemploi <strong>du</strong> Bambou en Chine ^parM. Verdier-Lalour; Moniteur <strong>des</strong> 11, 16 <strong>et</strong> 23 novembre 1853.


188 RÈGNE VÉGÉTAL.TAPEREIVA ou TAPERYVA ,Laurus?Il en existe deux variétés que Ton rencontre plusparticulièrement sur les bords <strong>du</strong> Haut-Paranà. LeT. giiazk (grand), plus estimé que Tautre, possèd<strong>et</strong>outes les précieuses qualités <strong>du</strong> Lapacho qu'il peutremplacer; mais ilest beaucoup plus rare.CARUNDEY, Mimosées?Arbre qui parvient à de gran<strong>des</strong> dimensions. Sonbois noir, incorruptible, d'une <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é comparable àcelle <strong>du</strong> fer, se polit facilement, <strong>et</strong> fournit aux peupla<strong>des</strong>sauvages <strong>du</strong> Cbaco, les hampes de lances les plusestimées.YBYRAHO-BI.Excellent pour la charpenterie <strong>et</strong> le charronnage,aussi solide que l'Urundey, il est sans égal pour lesessieux de charr<strong>et</strong>tes.ALGAROBILLA ,Légumineuses.Espèce très-voisine de l'Algarobo, d'une extrême<strong>du</strong>r<strong>et</strong>é , <strong>et</strong> qui fournit <strong>des</strong> armes aux Indiens <strong>du</strong>Chaco. Elle est très-propre à la charpente <strong>et</strong> à Tébénisterie.Les créoles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, font avec le fruitqui est une gousse noirâtre, allongée, très-aplalie,une


DES BOIS DU PARAGUAY. 189encre estimée. L'in<strong>du</strong>strie en r<strong>et</strong>irera quelque jour unematière colorante, appelée à rendre de grands servicespar son application à la teinture. On désigne quelquefoisl'Algarobilla sous lenom de Gnayacan negro.YB4R0, Sapin<strong>du</strong>s?Nom guar. de Yba fruit, <strong>et</strong> ro amer.Les fruits amers de c<strong>et</strong> arbre très-abondant au <strong>Paraguay</strong>,contiennent une pulpe glutineuse, que l'onemploie en guise de savon, en l'écrasant sur le linge.Azara raconte (1) que les Jésuites avaient planté uneallée de ces arbres précieux dans la Mission d'Apostoles,afin que les Indiennes en prissent les fruits, ense rendant à la fontaine.Je termine ici l'énumération <strong>des</strong> bois de construction<strong>et</strong> d'ébénisterie que peut fournir le <strong>Paraguay</strong> ;toutefois, sans en avoir épuisé la liste. Ses immensesforêts encore inexplorées renferment, sans nul doute,un grand nombre d'espèces inconnues.D'autres sontrestées jusqu'à ce jour sans usages. En dépit de c<strong>et</strong>teréserve, <strong>et</strong> malgré les plus patientes recherches, n'aurai-jepas fait quelque double emploi , en décrivant lemême arbre sous deux noms différents? Je n'oseraisl'affirmer.L'obscurité qui règne dans c<strong>et</strong>te question déjà difficilepar elle-même, tient à <strong>des</strong> causes que la constant)Voyage f, t. 1", p. 113.


,190 RÈGNE VÉGÉTAL.talion <strong>des</strong> caractères botaniques fera seule disparaître;mais c<strong>et</strong>te constatation, possible à l'observateur sédentaire,cesse de l'être pour le voyageur qui passe,<strong>et</strong> dont les instants sont comptés (i ).Les rares écrivains anciens ou modernes qui ontabordé le même suj<strong>et</strong>, ont multiplié les espèces, en décrivantà la fois le même arbre sous le nom espagnolou portugais, <strong>et</strong> sous lenom guarani; nouvelle sourcede confusion. Ainsi, on a fait à tort deux espèces deboisde VEspinillo <strong>et</strong> <strong>du</strong> Nan<strong>du</strong>bay ; <strong>du</strong> Palo de mora<strong>et</strong> <strong>du</strong> Tatayba; <strong>du</strong> Guayacaii <strong>du</strong> Chaco <strong>et</strong> <strong>du</strong> Palosanto.Des dénominations tirées de certaines propriétéscommunes à plusieurs essences, ont augmenté l'obscurité.On a appelé Bois de fer (Palo de hierro) , <strong>des</strong>bois qui diffèrent entre eux de lamanière la plus frappante,par les caractères de la floraison <strong>et</strong> de la fructification;ou, comme le fait observer M. F. Denis, quisont si légers qu'il peut paraître bizarre de leur voirappliquer une semblable épithète (2).On trouve encore décrits sous le nom de Palo santo,(1) J'ai pu cependant déterminer quelques familles; mais tous lesgenres l'ont été par M. Boopland , dont les manuscrits fussent devenusune mine inépuisable de précieux documents pour l'étude de c<strong>et</strong>tequestion, sans une réserve dont le lecteur appréciera les motifs. Je doisajouter que les caractères <strong>physique</strong>s <strong>et</strong>les propriétés <strong>des</strong> bois, m'ont étéfournis par l'examen <strong>et</strong> la mise en œuvre <strong>des</strong> échantillons nombreux quej'ai rapportés d'Amérique. On peut consulter aussi une isole publiée dansles Annales <strong>du</strong> commerce extérieur, <strong>et</strong>5 octobre 1853.repro<strong>du</strong>ite par le Moniteur <strong>du</strong>(-2) Brésil, dans la collection de V Univers pittoresque, de F. DidotParis, 1838, p. 63.


DES BOIS DU PARAGUAY. 191le Guayacan , le Jacaranda (Palissandre) (1), <strong>et</strong> lePalo de rosa (2).Enfin, d'autres arbres, quoique pouvant servir auxconstructions civiles <strong>et</strong> navales, tels que le Maté, leGoiavier ( Guayava; Psidium, Myrtacées); le Caoutchouc{Mangaysy; Hevea guyannensis , Euphorbiacées);le Copahu [Copay; Copaifera officin. ,Légumineuses),<strong>et</strong> VAmyris elemifera ( Amyridées), trouverontleur place dans la <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> végétaux quifournissent <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>its à l'in<strong>du</strong>strie, àl'économie domestiqueou à la médecine (3).(1) Diego DE Alvear, Relacion geografica e hislorica de laprovinciade Misio7ies, dans Coleccion de documentos, t. IV, p. 94. Les menuisiers<strong>du</strong> Para (Brésil), donnent le nom de Pâo sanlo (bois saint) à une espècede Palissandre (Jacaranda)^ qui figurait parmi les curieux obj<strong>et</strong>s rapportésde l'Amazonie par M. Emile Carrey ( Exposition Univers, de18j5, Annexe <strong>du</strong> palais de l'In<strong>du</strong>strie ).(2) Second Rapport de M. Plaisant.(3) Partie économique.


CHAPITRE XVII.CLIMATOLOGIE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.DIVISION DES SAISONS. — MARCHE DE LA TEMPÉRATDRE , ETPHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES QUI LA MODIFIENT :DESVENTS.De la position astronomique d'un point <strong>du</strong> globe, dela configuration, de l'altitude <strong>et</strong> de la composition <strong>du</strong>sol, de la distribution à sa surface de l'eau <strong>et</strong> <strong>des</strong> végétaux, il n'est pas toujours possible de tirer commeconséquence lanature de son climat.Situé sur les limites de la zone torride, il sembleque le <strong>Paraguay</strong> devrait offrir à l'observation <strong>des</strong> conditionsmétéorologiques analogues, en partie, à celles(les pays intertropicaux ; en partie, à celles <strong>des</strong> régionstempérées. Mais au milieu <strong>des</strong> continents, le passaged'un système de climat à un autre no paraît s'ef-


,CONSIDKRATIONS GÉNÉRALES. 193fectuer ni brusquement, ni par une transition insensible,à une distance plus ou moins rapprocbée derÉquateur, comme sur les côtes océaniques : il sembleplutôt se manifester par l'apparition alteri^tive maisdéréglée <strong>des</strong> phénomènes qui caractérisent, tantôt lesclimats brûlants <strong>et</strong> humi<strong>des</strong> <strong>des</strong> contrées équinoxiales;tantôt les climats encore chauds mais plus secs <strong>des</strong> latitu<strong>des</strong>plus élevées. Il résulte de ce fait, une irrégularitétrès-grande de la distribution annuelle de la température.Ainsi, ou bien les pluies générales <strong>et</strong> les oragesamènent <strong>des</strong> inondations périodiques <strong>et</strong> désastreuses<strong>et</strong> l'on éprouve toutes les conséquences d'une extrêmehumidité; ou bien, <strong>et</strong> c'est le cas le plus habituel,lespluies ne tombent que rarement <strong>et</strong> par places; la végétationsoufTre <strong>et</strong> languit, malgré l'abondance <strong>des</strong>rosées; les pâturages se <strong>des</strong>sèchent, les bestiaux sedispersent à la recherche <strong>des</strong> ruisseaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> sourcesque le soleil n'a jias taris; <strong>et</strong> le pays suffit avec peineà lanourriture de ses habitants.Quoiqu'il ne soit pas impossible, surtout dans lapartie méridionale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, de reconnaître quatresaisons dans l'année, il vaut mieux, à l'exemple <strong>des</strong>habitants eux-mêmes, n'en adm<strong>et</strong>tre que deux, l'hiver<strong>et</strong> l'été. Malgré c<strong>et</strong>te distinction, on peut encore direqu'il fait chaud lorsque le vent souffle <strong>du</strong> N., <strong>et</strong>qu'il fait frais, lorsque le vent vient <strong>du</strong> S. La marche<strong>du</strong> soleil <strong>et</strong> sa hauteur au-<strong>des</strong>sus de l'horizon, n'exerceraientdonc ici qu'une influence secondaire sur latempérature.Considéré dans son ensemble, <strong>et</strong> abstraction l'aile


I194 CLIMATOLOGIE.(les années exceptionnelles, le climat <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> estàla fois chaud <strong>et</strong> sec.Celui <strong>des</strong> Missions est plus tempéré. Un éloignementmoindre <strong>du</strong> littoral; un sol plus accidenté, alternativementboisé <strong>et</strong> découvert; <strong>des</strong> plaines on<strong>du</strong>lées (campos(juehrados ) ; l'existence de nombreuses rivières àcourant rapide, y déterminent <strong>des</strong> conditions de salubrité<strong>et</strong> de fertilité que nulle part ailleurs, même surles bords <strong>du</strong> Rio de la Plata, on ne rencontre plus générales<strong>et</strong> plus complètes. Le cours beaucoup mieuxmarqué <strong>des</strong> saisons, <strong>et</strong> les autres circonstances climatériques,rapprochent davantage encore ce beau pays<strong>du</strong> midi de l'Europe. Toutefois, ce que je dirai <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>devra s'appliquer également aux Missions :chemin faisant, j'indiquerai les différences que m'ontprésentées sous ce rapport ces deux contrées limitrophes.L'atmosphère toujours brûlante dans h- nord , maissuccessivement ou trop humide ou tropsèche, atteintson maximum de température en décembre, janvier <strong>et</strong>février. Il en est de même dans la zone méridionale <strong>et</strong>par conséquent plus tempérée <strong>du</strong> pays. Sur tous lespoints, juin, juill<strong>et</strong> <strong>et</strong> août, sont les mois les plusfroids. Ces deux divisions correspondent, la premièreà l'été, <strong>et</strong> la seconde à l'hiver. Les mois de mars,avril <strong>et</strong> mai forment l'automne; ceux de septeml»re,octobre <strong>et</strong> novembre , le printemps. Ces divisionsn'ont pas pour base le cours <strong>du</strong> soleil; mais,on le sait, peu de météorologistes sont restés fidèles•I la division astronomique i\c:^' saisons, (pi' ils préfè-


CONSIDÉRATIONS GÉNl- RALES. 195relit régler plutôt d'après la marche de la iein|)érature.En tout temps,Taspect <strong>du</strong> ciel est admirable. On secroirait transporté dans les régions les plus favoriséesde ritalie. J'ai r<strong>et</strong>rouvé dans les Hautes-Alpes, sur lesfrontières <strong>du</strong> Piémont, mais avec <strong>des</strong> indications thermométriquesbien différentes, la même pur<strong>et</strong>é, la mêmediaphanéité de l'air.Les jours <strong>et</strong> les nuits ont une <strong>du</strong>rée à peu près égale.ïl n'y a pas , sous ce rapport , entre Tété <strong>et</strong> l'hiver,ufte différence de trois heures. Le crépuscule est trèscourt;la nuit succède presque immédialemerit ancoucher <strong>du</strong> soleil, bientôt éclairée par la lumière scintillanted'étoiles innombrables. Du 8 février au 9 mars,<strong>du</strong>rée de mon premier séjour à San-Borja, toutes lesnuits ont été d'une sérénité in<strong>des</strong>criptible.Après unejournée orageuse, il y eut une fois, le soir, quelquesnuages au ciel. A 6 h. le thermomètre marquait 20°.Lorsque lan'en amoindrit l'éclat,lune est à son apogée, <strong>et</strong> qu'aucune vapeursécurité qu'en plein midi.on peut voyager avec autant deLa température est très-variable <strong>et</strong> sa marche irrégulière.Cela vient, je le répète, de ce qu'elle dépendmoins de l'influence directe <strong>du</strong> soleil, de sa distanceau zénith de l'observateur, que de certains phénomènesatmosphériques que nous exposerons bientôt.Pendant huit mois de l'année, la colonne thermométrique<strong>des</strong>cend rarement — à midi — au-<strong>des</strong>sousde 25°; la moyenne est de 29 à 30 ; toutefois, elle peuimonter exceptionnellement jusqu'à 38 <strong>et</strong> même 40".


196 CLIMATOLOGIE.Azara indique comme moyenne de l'été 85° Falir., <strong>et</strong>pour maximum <strong>des</strong> plus chau<strong>des</strong> journées 36° (100°Falir.). Mais, le docteur Rengger fait observer avecraison, que le voyageur espagnol avait placé son instrumentdans sa chambre, <strong>et</strong> que la température del'intérieur <strong>des</strong> habitations est toujours inférieure deplusieurs degrés à celle de l'air libre.Le 29 octobre, second mois <strong>du</strong> printemps, l<strong>et</strong>hermomètreplacé dans les meilleures conditions d'exactitude,a atteint, à 2 h. 20 minutes, 40° 5'. J'étais àItapuà surles bords <strong>du</strong> Paranà (1). A l'Assomption,ville assise sur un sol sablonneux, de nature à s'échaufferfacilement , c<strong>et</strong>te chaleur insolite avait été dépassée,<strong>et</strong> lorsque j'y revins, les habitants conservaientencore le souvenir <strong>des</strong> souffrances qu'elle leur avaitcausées. La santé publique n'en éprouva d'ailleurs aucunealtération, car c'est moins le degré absolu dechaleur que sa <strong>du</strong>rée ,qui affecte les organes dans lespays chauds. Il faut ajouter, que sur ce point le vent<strong>du</strong> N. arrivaitcomme un souffle embrasé, après avoirtraversé les incendies allumés par lesIndiens dans leshautes herbes <strong>des</strong> prairies <strong>du</strong> Chaco, dont l'horizonparaissait tout en feu. Ces incendies (quemazones) modifientl'aspect <strong>du</strong> ciel ; il devient gris, <strong>et</strong> le soleil estpâle. Il s'élève alors un brouillard sec, analogue à celuique M. Kaemtz regarde comme pro<strong>du</strong>it par lacombustion<strong>des</strong> tourbières <strong>et</strong> <strong>des</strong> forêts de l'Europe (2).(1) Ancienne Mission, aujourd'hui ville de rincarnation. Lat.ST'SO' 16".(2) Kaemtz, Cours compl<strong>et</strong> de Mélêorolnyie, Paris, 1843, p. H\S.


CONSIDKRATrONS GÉNÉRALES. 197Durant les mois les plus froids, de juin à octobre,le mercure oscille — vers le milieu <strong>du</strong> jour — entre15 <strong>et</strong> 20% mais il peut s'élever à 25, 30*" <strong>et</strong> plus, si levent se fixe au N., ce qui arrive assez fréquemment.A toutes les époques de Tannée, le maximum de latempérature a lieu environ deux heures après la culmination<strong>du</strong> soleil;ce n'est que de trois à quatre heures,qu'elle commence à décroître. Sur le littoral, lachaleur ne suit pas la même marche. Ainsi, à Piio deJaneiro, <strong>et</strong> dans tous les ports <strong>du</strong> Brésil, la brise <strong>du</strong>large s'élève deux heures avant le passage <strong>du</strong> soleil auméridien, <strong>et</strong> rafraîchit l'atmosphère. Ce phénomènedevient plus sensible à mesure que l'ons'approche del'Equateur. Au Brésil, ce vent s'appelle Viramo. 11souffle au <strong>Paraguay</strong> à l'heure où ilcesse sur les côtes,<strong>et</strong> ily porte le même nom (1).J'ai parlé avec enthousiasme de la sérénité <strong>des</strong> nuits.En été, dans les Missions, elles sont constammentfraîches, surtout après une pluie abondante, ou unorage de S. 0. Elles procurent un sommeil réparateuraux Européens énervés par la chaleur diurne.Pendant la saison froide, après un coup de ventde S., lorsque l'air est calme, le ciel clair <strong>et</strong> sansnuages, il n'est pas rare de voir la température s'abaisserassez pour qu'il se forme de la gelée blanche surles toits en chaume, <strong>et</strong> à la pointe <strong>des</strong> feuilles <strong>des</strong> graminées.Ce phénomène dont j'ai déjà parlé, inconnudans le nord <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, qui ne se montre pas an-(1) Virason, de virar virer.


198 CLIMATOLOGIE.nuelleinenl dans le voisinage de l'Assomption, estbeauconpj)Ilis fréquent dans les Missions où il peut se répéterjusqu'à deux <strong>et</strong> trois fois dans le courant de l'hiver.Rarement le thermomètre <strong>des</strong>cend au-<strong>des</strong>sous de 0.En 1786 <strong>et</strong> 1789, quelques plantes <strong>et</strong> de l'eau gelèrentdans la cour de la maison qu'habitait Azara;mais, il faut regarder c<strong>et</strong>te circonstance comme exceptionnelle,car le docteur Rengger ne l'a jamais observée<strong>du</strong>rant les six années de son séjour forcé dansle pays, malgré le soin qu'il a souvent pris d'exposerpar les nuits les plus froi<strong>des</strong> de l'eau dans les endroitséloignés de tout abri (1).Le 4 juin 1846, à sept heures <strong>du</strong> soir, mon thermomètreest <strong>des</strong>cen<strong>du</strong> à8°; le 9 octobre à neuf heures,à 10** 5', <strong>et</strong> le 10 mai à 7^* 5'. Pour ma part, je n'aijamais observé de plus basses températures.En comparantla date de la seconde indication avec celle del'observation maxima relatée plus haut , on voit quedans l'espace de vingt jours il y a eu entre les dilatationsextrêmes <strong>du</strong> mercure l'écarlement considérable de30 degrés. Or, ces faits, même isolés, ne viennentilspas à l'appui de ce que j'ai dit <strong>des</strong> brusques variations<strong>du</strong> climat (2)?(1) Ouv. cil, p 73.^*2 Ils prouvent aussi que ces varialious depasscut l s diIlVrcnces queIon observe entre les températures movenues <strong>du</strong> mois le plus froid clcelles <strong>du</strong> mois le plus chaud, en France, en Suède, ea Allemagne <strong>et</strong> enItalie. Voy. Hlmboldt, Essai <strong>politique</strong> sur la youvelle-Espagne. t. IV,p. 500, à la note. Sans doute, une circouslance essentielle ne perm<strong>et</strong> pasd'attacher à ces observations une >aleur absolue ; elles n'ont pas étéfaites dans la même localité; Tccart en latitude est supérieur à 2 dejjrés.Eu voyage, on observe (juaud on peut, <strong>et</strong> comme on peut.


DES VENTS. 190Modificateurs puissants de la température, les ventssont comme elle irréguiiers <strong>et</strong>variables.On ne saurait, en eff<strong>et</strong>, adm<strong>et</strong>tre au <strong>Paraguay</strong> ladivision établie par Tamiral Roussin dans son remarquableouvrage bydrographique (1), pour les pointsde la côte orientale de l'Amérique situés sous lesmêmes parallèles; <strong>et</strong> reconnaître dans sa constitutioncliinatérique une mousson <strong>du</strong> N. <strong>et</strong> une mousson<strong>du</strong> S., correspondant, Tune à la saison sècbe, <strong>et</strong>l'autre à la saison humide (5). Je le répète, les loisqui régissent les courajits aériens ne présentent aucunefixité.Ces réserves faites, on peut dire que les vents générauxsont de TE. N. E. <strong>et</strong> <strong>du</strong> N. N. E. passant àTE. au moment <strong>du</strong> coucher <strong>du</strong> soleil, pour le rumbN.; <strong>et</strong> <strong>du</strong> S. 0. au S. E. pour le rtnub S. : les premiersélèvent très-notablement latempérature; les secondsla refroidissent.Le vent de S. 0. porte le nom de pampero parce qu'iltraverse les steppes <strong>des</strong> Pampas : en été, il amèn<strong>et</strong>oujours un orage.Le vent d'O. ou de N. 0. est rare, <strong>et</strong> ne <strong>du</strong>re pasau delà de quelques heures, après lesquelles il haie leS. 0. <strong>et</strong> le S. Il est permis àe croire avec Azara ,quela chaîne <strong>des</strong> An<strong>des</strong> lui fait obstacle <strong>et</strong> arrête sapropagation : ce qui tendrait à le prouver, c'est queplus on s'éloigne <strong>des</strong> (Cordillères <strong>et</strong> plus fréquem-1) Roussin, Le Pilote <strong>du</strong> Brcsil, ou Description <strong>des</strong> côtes de VAnuriquemrridionale.In-fol. avec caries, Paris, I. R. 1826, p. 8.(2) Mousson, raol dcriv(! <strong>du</strong> malais mousyin qui sifrnitie saison.


,200 CLIMATOLOGIE.nient il se fait sentir. Dans les provinces brésiliennes(le Rio-Grande <strong>et</strong> de Sainte-Catherine, on l'appelleMinuano, <strong>du</strong> nom <strong>des</strong> aborigènes qui habitaient autrefoisle plateau de la Serra Gérai.Ceci posé, dans quel ordre ces courants atmosphériquesse succèdent-ils l'un à l'autre? Quelles sontleurs propriétés, quelle est leur influence au point devue de la climatologie <strong>et</strong> de la constitution médicale<strong>du</strong> pays ?Le vent de N. E. succède toujours au vent d'E.rO. <strong>et</strong> le N. 0. passant régulièrement au S. E. <strong>et</strong>au S. Ce vent est remarquable, à la fois par sa haut<strong>et</strong>empérature, <strong>et</strong> par son extrême humidité. Né sousl'Equateur, il se charge d'une proportion considérablede vapeur d'eau en traversant les régions inondées dela zone torride. .11 n'arrive donc qu'après avoir passésur les plaines que couvrent de leurs débordements périodiques,l'Amazone <strong>et</strong> ses affluents, le Rio-<strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> ses branches d'origine; qu'après avoir touché lesimmenses solitu<strong>des</strong> converties en lacs par les pluiesqui tombent régulièrement dans les provinces de Chiquitos<strong>et</strong> de Mato-Grosso. x\ussi ses eff<strong>et</strong>s se font-ilspromptement sentir sur les corps inorganisés , lesmatières organiques, sur les animaux <strong>et</strong> sur l'homme.Les métaux s'oxydent; les cuirs <strong>et</strong> le papier se couvrentde moisissures; les feuilles de tabac s'assouplissent,dégagent leur principe gommeux <strong>et</strong> deviennentonctueuses au toucher (1). Toutes les plantes,(1) Voy. Élu<strong>des</strong> fconomiqucs sur r Amrriqur méridionale — Du Tabacau <strong>Paraguay</strong>^ Culture, Consommation <strong>et</strong> Commerce. Taris, 1851, p. 20


.DES VENTS. 201jusqu'aux orangers, au feuillage résistant, paraissentflétries <strong>et</strong> comme brûlées. Les animaux, hal<strong>et</strong>ants, quittentles pâturages <strong>et</strong> cherchent avec un abri un peude fraîcheur sous les arbres. L'homme lui-même, avecpeine résiste à l'influence énervante de c<strong>et</strong> air embrasé.Son énergie <strong>physique</strong> <strong>et</strong> morale diminue; lemoindre effort lui devient pénible. Les personnes nerveusesrestent sans forces <strong>et</strong> comme anéanties aumoindre exercice; <strong>et</strong> leur peau, toujours humide, secouvre de grosses gouttes de sueur.Au lieu de c<strong>et</strong>te prostration , on observe chezd'autres une agitation fébrile, de l'inappétence, de lacéphalalgie, <strong>et</strong> de violentes migraines. Parfois même,c<strong>et</strong> état de malaise se tra<strong>du</strong>it par <strong>des</strong> symptômes hystériques,ou <strong>des</strong> accès d'hypocondrie. Ce vent, longtempsencore on s'en souviendra au <strong>Paraguay</strong>, exerçaitune influence fâcheuse sur la santé <strong>du</strong> docteur Franciadont il aigrissait le caractère au plus haut point. Alors,il déchargeait ses soufî'rances <strong>et</strong> son humeur chagrinesur le premier venu ; il infligeait les peines les plussévères <strong>et</strong> envoyait à la mort, sans hésitation, ceux(|u'il regardait, à tort ou à raison, comme ses ennemis(i )(1) Daus ce cas , l'irritabilité nerveuse est développée <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>enuepnr la présoncc dans l'air d'un excès d'clectricitô, car elle cesse aprèsun orage, alors que le vent n'a pas changé. Sur tous \rs points où l'intlueuce<strong>du</strong> fluide est énergique cl presque permanente, les mêmes failsse repro<strong>du</strong>isent. Ainsi, MM. Spix <strong>et</strong> Martius [Travels in Drazil, t. Il), ontattribué au mode d'alimentation les cas nombreux d'hystérie <strong>et</strong> dhypocondriequ'ils ont observés dans la province <strong>et</strong> surtout dans la ville deSaint-Paul. 11 serait plus exact— <strong>et</strong> je partage eu cela l'opinion <strong>du</strong> docteur


puiss:jule202 CMMATOLOGfE.Parvenu à son maximum de vitesse, le vent <strong>du</strong> IN.souftle encore <strong>du</strong>rant plusieurs jours, <strong>et</strong> la chaleurdevenue intolérable, pénètre dans l'intérieur <strong>des</strong> habitationsen dépit de toutes les précautions.En même temps, le ciel s'est troublé; de bleu ilest devenu peu à peu d'un gris terne. Avec l'apparition<strong>du</strong> N. E. <strong>des</strong> cirrus isolés, formés de filaments trèsténus, d'une blancheur éclatante, tantôt parallèles,tantôt diversement entre-croisés, se montrent au zénithpendant le jour, <strong>et</strong> se dissipent le soir au moment oùle vent passe à TE. Mais un léger rideau de vapeursamortit la scintillation <strong>des</strong> étoiles devenue plus sensible.L'humidité del'air augmentant de plus en plus,les cirrus deviennent plus nombreux <strong>et</strong> plus denses.Ils s'étendent, se joignent, s'entrelacent, <strong>et</strong> leur hauteursemble diminuer. Bientôt, <strong>des</strong> cirro-cumulm <strong>et</strong> <strong>des</strong>cirro-Hratns apparaissent à l'horizon (1), Ces nuages,Sigaud — de rapporter la fréqueuce de ces alVcctioos à ractioiicontiune <strong>et</strong>Irès-inteiise de roloctritité.La•ville de Saiiit-I^aul est redevable de c;ttc eansde maladiesnerveuses à sa situation. Élevée de TO;i mètres au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> uiveaiide la mer dont elle est très- voisine , elle est assise au milieu d'uu platca'iqui eouronne le somm<strong>et</strong> de la Serra do .l/wr, en dedans <strong>et</strong> à 1 mille \^'2<strong>du</strong> tropique (Lat. "23" 33' 10 ). Le mouvement <strong>des</strong> vapeurs, poussées parles vents alizés vers l'intérieur <strong>du</strong> eontinent, est arrêté par c<strong>et</strong>te chaîne demontagnes qui leur fait obstacle. Le vent terrai les y rencontre, aide àl


DES VENTS. 203chaque jour plus épais, interceptent en partie lesrayons <strong>du</strong> soleil qui ne proj<strong>et</strong>tent plus qu'une lueurblafarde.On dit communément que le N. E. amène de la pluie.Ce fait d'observation m'a paru vrai, si ce vent baiele N. <strong>et</strong> <strong>du</strong>re plusieurs jours, les modifications (ju'ilimprime à l'aspect <strong>du</strong> ciel, étant <strong>des</strong> indices certainsd'un changement de temps (i).Après une <strong>du</strong>rée moyenne de quatre à six jours, labrise <strong>du</strong> N. mollit, <strong>et</strong> tombe bientôt tout à fait. L'airredevenu calme, l'azur <strong>du</strong> ciel reparaît, excepté <strong>du</strong> côté<strong>du</strong> S. S. 0. où <strong>des</strong> camulo- stratus s'entassent en couchesqui s'épaississent de plus en plus, <strong>et</strong> que sillonnent<strong>des</strong> éclairs d'un blancéblouissant.A ce calme étoulïant (2), succède bientôt un ventqui s'élève <strong>du</strong> même côté, <strong>et</strong> qui, d'abord faible,augmente rapidement <strong>et</strong> disperse l'orage sur tous lespoints de l'horizon. La pluie se précipite en goutteslarges qui ne tardent pas à se confondre, <strong>et</strong> à devenirserrées <strong>et</strong> pour ainsi dire compactes, si je puis meservir de c<strong>et</strong>te expression. La vitesse de leur chute estsi considérable, qu'elles simulent <strong>des</strong> fil<strong>et</strong>s d'eau s'éibeotLe lecteur eu trouvera une histoire complète dans le Cours deMétéorologie <strong>du</strong> professeur Kaeintz (Vorlcsungen iiber météorologie,in-8% Halle, 1840). M. Ch. Martiiis a donné une tra<strong>du</strong>ction française dec<strong>et</strong> ouvrage (Paris, 18i3), en y joignant d'excellentes notes.[i) Il en est de même en Europe, où les eirrus annoncent en été de !apluie ; en hiver, de la neige ou <strong>du</strong> dégel.(2) Les Brésiliens désignent sous le nom demormaçàOy ce silence demort atmosphérique pendant lequel on éprouve une chaleur dévorante ,mais qui n'affecte pas proportionnellement le thermomètre, parce qu'ell<strong>et</strong>ient en partie au manque dVvaporation à la surface <strong>du</strong> corps.


20'+. CLIMATOLOGIE.chappant de la voûte céleste (1 ).Ces averses très-électriques,paraissent phosphorescentes lorsque la nuitn'est pas éclairée par la lune.Quelles que soient la <strong>du</strong>rée de lapluie <strong>et</strong> la violencede l'orage, le vent de S. 0. continue à souffler pendanttrois jours; puis, il fait place au S., au S. E. elà l'E. S. E. La chaleur a sensiblement diminué, <strong>et</strong> l<strong>et</strong>emps se fixe au beau pendant plusieurs semaines.Le pampero exerce une action tout opposée à celle<strong>du</strong> vent auquel ilsuccède. Né sous les régions polairesaustrales, il est froid, <strong>et</strong> par conséquent sec. Avant deparvenir au <strong>Paraguay</strong>, il a d'ailleurs touché <strong>des</strong> savanesdépourvues d'eau <strong>et</strong> brûlées par le soleil del'été. H pro<strong>du</strong>it donc un abaissement de la températur<strong>et</strong>rès-rapide, parfois presque instantané. J'ai vusous son influence le mercure <strong>des</strong>cendre en une heurede 16 <strong>et</strong> même de 18 degrés. Aussi, le regarde-t-oncomme la cause la plus active <strong>des</strong> suppressions d<strong>et</strong>ranspiration, <strong>et</strong> par suite, <strong>des</strong> maladies de toute nature;<strong>des</strong> fluxions de poitrine, <strong>des</strong> dyssenteries, <strong>et</strong>c.Les <strong>Paraguay</strong>os se hâtent de se couvrir d'un ponchoqu'ils conservent dans l'intérieur de leur maison ,imitanten cela les Argentins <strong>et</strong> les Brésiliens de la provincede Rio- Grande. Dans un climat où la santé dépendprincipalement de la régularité <strong>des</strong> fonctions de la peau,(1) Alors le pluviomètre accuse <strong>des</strong> chutes de 20 à 25, 30 <strong>et</strong> jusqu'à40""" en une heure. Rappelons qu'une <strong>des</strong> pluies les plus violentesobservées à Paris, a été celle <strong>du</strong> 8 juin 1849, pendant laquelle ou recueilliteu une heure, <strong>et</strong> tout à fait eiceptiounellemeut, à l'Observatoire,45 tnilliui. d'eau.


.DES VETSTS. 205(le pareilles précautions prouvent, comme l'a dit M. deHumboldt, combien l'excitabilité <strong>des</strong> organes augmentepar l'uniformité <strong>et</strong> Faction prolongée <strong>des</strong> stimulus habituels.On dit encore que les eff<strong>et</strong>s nuisibles <strong>du</strong> pamperos'étendent aux animaux qu'il fait souffrir <strong>du</strong> froid, auxplantes qu'il <strong>des</strong>sèche <strong>et</strong> dont il comprom<strong>et</strong> la fleuraison; ce qui est particulièrement le cas de la vigne (1 )Les étrangers, énervés par un climat brûlant, <strong>et</strong> dontil relève les forces <strong>et</strong> l'énergie, ne partagent pas à c<strong>et</strong>égard les craintes un peu imaginaires <strong>des</strong> habitants <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>.Toutefois, il n'^est pas sans exemple que le ventde S. 0. ait pro<strong>du</strong>it de désastreux eff<strong>et</strong>s : car, commeil a parcouru depuis le détroit de Magellan <strong>des</strong>espaces immenses, sans rencontrer quelques montagnesou <strong>des</strong> forêts pour lui faire obstacle <strong>et</strong> rompre sonimpétuosité , il peut arriver qu'il prenne les proportionsd'un effroyable ouragan. Alors, il déracine lesplus gros arbres, disperse leurs débris, abat les maisons, ravage les champs cultivés <strong>et</strong> détruit les récoltes.Le 14 mai 1799 une violente tempête renversala moitié de la peuplade d'Atira, tua trente-six personnes,<strong>et</strong> coupa la tête d'un cheval attaché par lecou (2). C'est en été <strong>et</strong> dans les derniers mois <strong>du</strong>printemps, que surviennent d'ordinaire ces coups devent. On a fait c<strong>et</strong>te observation ,que rarement la(1) lu Rengger, p. 71.(2) AzARA, Voyages, t. I, p. M.


lOV)CLIMATOLOGIF.première moitié <strong>du</strong> mois de novembre sécoulait sansêtre marquée par un orage accompagné <strong>du</strong>ne tourmentede S.0. (i).Le pampero se manifeste dans <strong>des</strong> régions très-éloignéesde celles où il a pris naissance. Ainsi, lorsqu'ilse fait sentir sur un point de la frontière <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,on peut être assuré qu'il a paru auparavant sur lesbords de la Plata, <strong>et</strong> qu'il traversera les pays situésvers le IS. rs'. E. jusqu'à <strong>des</strong> distances considérables.Sur les côtes <strong>du</strong> Brésil, son souftîe impétueux dépassele parallèle de Rio de Janeiro; mais, comme il porteau large, rarement il cause de grands désastres maritimes.Sa propagation sous les tropiques est puissammentaidée par la raréfaction de l'air <strong>du</strong>e à l'intensitéde la cbaleur : il se pro<strong>du</strong>it alors un phénomèned'aspiration. Les Compîea ren<strong>du</strong>s de F Académie<strong>des</strong> sciences [2;, uientionnent un fait de c<strong>et</strong>te naturecité par M. Martins. Le 18 novembre 1822, lacorv<strong>et</strong>tela Cof{inlle sous le commandement de M. Duperrey,(1) Les annales de la navij;alion abondent eu nombreux réeils de sinistrescausés dans le Rio de la Plala par <strong>des</strong> vents furieux de S. 0. <strong>et</strong> dfS. E. Les premiers, Irès-redoutés à Montevideo, font chasser le? bàtimeulbsur leurs ancres, <strong>et</strong> souvent les jtttent à la (^oto, en brisant les câbles <strong>et</strong>les manœuvres. Les seconds occasionnent de fréquents naufrages sur larive droiie <strong>du</strong> llouvc, dont ils élîvent les eaux à une hauteur considérable,en les poussant à de gran<strong>des</strong> distances dans l'intérieur <strong>des</strong> terres, où parfois<strong>des</strong> navires d'un fort lonnage sont allés s'échouer. J*ai vu, au milieu<strong>des</strong> jardins de la (juinta de Palernie, propriété <strong>du</strong> général Hosas, un grosbrick de commerce qu'une tempête y avait transporté à la distance d'unmille de la côte. Sa fille avait eu l'idée très-originale de relever le vaisseau,de réparer ses agrès, <strong>et</strong> d'en distribuer l'intérieur en salons d'été oùelle recevait la société de Buenos Ayres rt les élrançiersl2) T. vu, p. :U2.


tut subilemeiU assaillieDES VRNTS. 207par un paiiipeio (juoicju'elle s<strong>et</strong>rouvât à plus de mille kilomètres E. N. E. de Tembouchure<strong>du</strong> Rio de la Plata. Au même instant, ilyeut un abaissement rapide de la colonne barométrique.C'était donc un vent d'aspiration venant de terre, <strong>et</strong>reconnaissant pour cause la raréfaction de l'air de lamer. Disons-le en passant, ce (jui précède confirmeraitla règle généralement admise depuis Francklin, àsavoir que les vents se font sentir plutôtdans les contréesvers lesquelles ilsilsviennent.soufflent, que dans celles d'oùPendant la saison froide (juin» juill<strong>et</strong> <strong>et</strong> août), le vent<strong>du</strong> S. amène parfois <strong>des</strong> orages; mais le plus souventil est accompagné d'averses suivies, <strong>et</strong> d'épais brouillardsqui se résolvent en pluie tine <strong>et</strong> serrée. Aprèsvingt-quatre ou quarante- buit beures, il liale le S. 0. ;le ciel s'éclaircit, la température s'abaisse très-notablement,<strong>et</strong> si l'air reste calme pendant la nuit, il peut,nous Tavons vu,survenir une gelée blancbe.Le vent d'E. règne principalement en automne <strong>et</strong>au printemps. ïrès-variable , il tourne tantôt à l'E.N. E., tantôt au S. E., avec <strong>des</strong> allernances de pluie<strong>et</strong> de beau temps, <strong>et</strong> de brusques variations dans latempérature. Pendant la saison cbaude il souffledepuis le soir jusqu'au matin. Peu à peu le soleilmonte sur Tborizon, Tatmosplière s'écbauffe, <strong>et</strong> levent gagne le N. E. C<strong>et</strong>te brise légère (^virason), d'uneremarquable régularité ,procure dans l'intérieur <strong>du</strong>continent comme sur le littoral plus qu'une sensationagréable; elle exerce encore une action salutaire sur


208 CLIMATOLOGIE. — DLS VENTS.la santé, en rendant les nuits fraîches, à la suite <strong>des</strong>journées accablantes de l'été. Déjà ,j'ai signalé c<strong>et</strong>tefraîcheur <strong>des</strong> nuits qui doit modifier, dans de certaineslimites, la distribution géographique <strong>des</strong> végétaux: je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit de soninfluence probable sur la fructification de certainesplantes exotiques, <strong>et</strong> sur l'absence <strong>du</strong> Bananier dansles Missions brésiliennes de l'Uruguay (1).(1) VoY. Uègne vrgélal, p. 159.


4'CHAPITRE XVIII.CLIKATOLOGIE (suile). — PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES QUILA TEMPÉRATURE :— PHÉNOMÈNES ÉLECTRIQUES. — GRÊLE.DES HTDROMÉTÉORES.MODIFIENTL'influence <strong>du</strong> vent d'E., en abaissant la température,contribue puissamment à la formation de roséesabondantes qui se déposent à la surface <strong>des</strong> plantes <strong>et</strong><strong>du</strong> sol. Plus l'air est calme, le cielserein, l'atmosphèrehumide, plus intense est la précipitation <strong>des</strong> vapeurs.Les rosées se font sentir surtout dans le voisinage <strong>des</strong>gran<strong>des</strong> masses d'eau, soit courante, soit stagnante,<strong>et</strong> <strong>des</strong> immenses forêts ^montes) <strong>du</strong> nord <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> :elles tombent indifféremment àtoutes les heures de lanuit, dès que surgissent les circonstances nécessaires àleur formation.14


210 CLIMATOLOGIE.On connaît depuis longtemps l'action délétère <strong>des</strong>rosées glaciales de l'Afrique sur la santé <strong>des</strong> voyageursqui s'y exposent pendant leur sommeil. A c<strong>et</strong>teinfluence pernicieuse , trop souvent mortelle , onpeut opposer l'innocuité de la rosée dans les régionsSud - américaines que j'aiparcourues. Dans les provincesde Rio Grande <strong>et</strong> de Corrientes, dans les Missions,la coutume est de voyager à cheval, sans emporteravec soi ni tente ni abri. On couche en pleinair, sur sa selle; au réveil, le poncho de laine (1) donton s'est couvert, est tout imprégné d'eau qui filtre ennombreuses gouttel<strong>et</strong>tes par les franges de la bor<strong>du</strong>rede ce commode vêlement. Beaucoup d'habitantsde lacampagne préfèrent même, <strong>du</strong>rant huit mois de l'année,la voûte <strong>du</strong> ciel à la toiture plus ou moins délabréede leur mo<strong>des</strong>te rmicho. Or, aucune influencemaligne n'est attribuée, que je sache, à c<strong>et</strong>te abondanteprécipitation <strong>des</strong> vapeurs atmosphériques. J'aidormi, pour ma part, bien <strong>des</strong> nuits en plein air, surle sol dont me séparait une mince nappe de cuir, après<strong>des</strong> journées de forte chaleur, de privations <strong>et</strong> d'incroyablesfatigues, <strong>et</strong> jamais je ne me suis senti plusdispos que par ce genre de vie si nouveau pour moi.Au <strong>Paraguay</strong>, les maisons étant généralement entourées(1) Manteau d'origiur anuricaiue , raye de couleurs tranchanlcs, lougde 7 à 8 pieds <strong>et</strong> large de 4, avec uue ouverture longitudinale au milieudans laquelle on passe la lète, ce qui lui douue beaucoup de ressoniblaoceavec une chasuble. Les ponchos de couleur unie sout eu étolTe de lame\^bayela); on en fabrique d'autres à laide d"un tissu de coton blanc, serre,presque imperméable, avec <strong>des</strong> raies bleues ou rouges, <strong>et</strong> on les garnit defranges.


,PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 211(l'une galerie couverte, ou précédées d'un hangar, c'estaux poutres qui soutiennent ces frêles constructions queTon suspend leshamacs.Si l'air est saturé d'humidité, c<strong>et</strong>te précipitation devapeurs peut être assez considérable pour troubler satransparence ;alors on observe un brouillard épais quipénètre les corps comme le ferait une pluie fine <strong>et</strong>serrée. C'est en automne <strong>et</strong> en hiver, au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong>rivières <strong>et</strong> <strong>des</strong> plaines basses <strong>et</strong> humi<strong>des</strong>, que ce phénomènese pro<strong>du</strong>it, parce que l'eau ou le sol ont une températuresupérieure à celle de l'air. Il en est de mêmeen Europe, où la saison <strong>des</strong> brouillards correspondà l'époque pendant laquelle la température moyennede l'air s'abaisse au-<strong>des</strong>sous de celle <strong>des</strong> fleuves (1).Dans les pays chauds, sillonnés par <strong>des</strong> rivières quiviennent de l'Equateur, une cause puissante accroîtencore c<strong>et</strong>te inégalité momentanée de températureentre les deux milieux. Leur cours, d'autant plusrapide que leur source est moins éloignée,permeià la masse liquide directement frappée par le soleild'arriver chaude sous une latitude caractérisée déjàpar l'existence plus marquée <strong>des</strong> saisons. De là, laformation de brouillards dans ces contrées; mais delà aussi, leur courte <strong>du</strong>rée, parce que l'ascension <strong>du</strong>soleil sur l'horizon les dissout, <strong>et</strong> fait cesser les circonstancesindispensables à leur apparition, en échauffantl'atmosphère dont la température deviertt promptementsupérieure à celle <strong>des</strong> eaux ou <strong>du</strong> sol.(1) Les observations auxquelles s'est livré à Lyon M. le professeurFournot, ne laissent à c<strong>et</strong> égard aucun doute.


,212 CLIMATOLOGIE.Tous les phénomènes météorologiques agissent <strong>et</strong>réagissent les uns sur les autres; aucun ne se pro<strong>du</strong>itisolément. Les vents sont les modificateurs atmosphériquesles plus puissants, parce qu'ils conservent unepartie <strong>des</strong> propriétés qu'ils ont empruntées aux régionsd'où ils viennent (1), <strong>et</strong> qu'ils pro<strong>du</strong>isent dans l'étathygrométrique de l'air de brusques variations auxquellesse rattachent les anomalies que présente lamarche annuelle de la température. Mais sous touslesparallèles, le rôle de l'humidité ne saurait être restreintà <strong>des</strong> modifications plus ou moins profon<strong>des</strong> dela chaleur solaire. L'eau est en eff<strong>et</strong>, par-<strong>des</strong>sus toutun élément indispensable de la vie végétative, <strong>et</strong> unagent très-actif de <strong>des</strong>truction pour la vie animale.Aussi l'étude de l'hygrométrie, toujours intéressante,acquiert-elle une importance de premier ordre dansles régions équinoxiales, où son influence se tra<strong>du</strong>itincessamment par <strong>des</strong> phénomènes d'une incroyableénergie.La périodicité <strong>des</strong> pluies disparaît à mesure que l'ons'éloigne de l'Equateur. Sous ce rapport, le <strong>Paraguay</strong>quoique coupé par le Tropique, m'a paru offrir <strong>des</strong>conditions assez analogues àcelles <strong>des</strong> pays tempérés.Les renseignements que j'ai recueillis me con<strong>du</strong>isentà penser que la quantité d'eau qui tombe annuellementest très-variable , <strong>et</strong> qu'on ne saurait adm<strong>et</strong>tre(1) Ainsi, dans noire héraisplièrc, les veuls <strong>du</strong> nord sont plus froids queceux <strong>du</strong> midi. C'est le contraire — es.t-il besoin de le dire? — dans Ihémisphèreaustral.


PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 213dans sa constitution climatérique une saison humide<strong>et</strong> une saison sèche ;mais le manque de données ,l'absence d'observations suivies, ne perm<strong>et</strong>tent pas deprésenter de moyennes, soit pour l'année entière,pour les quantités versées dans chaque mois.soitLes ondées générales <strong>et</strong> assez suivies en automne(avril <strong>et</strong> mai), pro<strong>du</strong>isent en partie la première crue <strong>du</strong>Rio-<strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> les inondations dont nous avons précédemmentraconté les conséquences désastreuses (1).Comme elles accompagnent les vents de N. <strong>et</strong> de N. E.,elles répandent dans l'atmosphère une extrême humidité,<strong>et</strong> la chaleur devient insupportable (2). Le docteurRengger signaledéveloppement <strong>des</strong> maladies <strong>du</strong> foie <strong>et</strong>c<strong>et</strong>te saison comme favorable au<strong>des</strong> voies diges-(1) Hydrographie el Navigation fluviale, p. 99.(1] La chaleur humide est une cause permauenle d'incroyable malaise ;<strong>et</strong> — coïncidence trop fréquente — lorsque la température ne s'abaissepas pendant la nuit, les nouveaux débarqués ont à subir de cruellesépreuves. On souffre extrêmement de la chaleur à Rio de Janeiro, à Calcuttasurtout, parce que le thermomètre est très-élevé,<strong>et</strong> que, en mêm<strong>et</strong>emps, rhygromètre se maintient presque invariablement à un degré trèsvoisin<strong>du</strong> point de saturation. Alors, lasueur s'échappe par les pores dela peau comme à travers un crible, <strong>et</strong> le corps reste plongé dans un bainde vapeur continuel; l'appétit se perd, le sommeil est lourd <strong>et</strong> peu réparateur: il faut de grands efforts <strong>et</strong> une certaine énergie pour résister àl'abattement <strong>des</strong> forces <strong>physique</strong>s <strong>et</strong> morales. J en<strong>du</strong>rais plus impatiemmentle climat humide de Rio avec 29°, l'hygromètre restant stationnaireentre 95 <strong>et</strong> 100", que celui <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> avec une chaleur sèche de 35, <strong>et</strong>même de 40°, Pour ma part, je crois que l'homme vivrait difficilement sousle ciel brûlant de l'Afrique équatoriale , si l'atmosphère y contenait de lavapeur d'eau en excès. A tous les troubles fonctionnels déjà cités, s'ajouteraitune perturbation complète <strong>et</strong> très-grave de la transpiration insensible<strong>et</strong> de Teihalation cutanée. 11 est juste de le dire , lorsqu'on a habitéun pays chaud, on se hâte moins d'accuser la nonchalance <strong>et</strong> l'inactivité<strong>des</strong> indigènes.


21 i CLlMATOLOCxIE.tives. De semblables conditions météorologiques prédisposent,en eff<strong>et</strong>, aux affections hépatiques.J'ai noté plus haut le caractère essentiellementélectrique <strong>des</strong> pluies estivales. La présence de Télectricitése manifeste aussi dans presque toutes cellesqui surviennent dans le cours <strong>des</strong> autres mois del'année; mais ses explosions n'ont pas, généralement,la violence qui caractérise les orages <strong>du</strong> printemps <strong>et</strong>de l'été.En hiver, les vapeurs se précipitent sous forme debrouillards, <strong>et</strong> bientôt le vent <strong>du</strong> S. rend le ciel d'uneincomparable sérénité. Sa couleur, d'un bleu foncé,paraît moins intense dans le voisinage de l'horizon(ju'au zénith, quoique la différence de coloration surces deux points soit peu appréciable. Dans c<strong>et</strong>te saison,la seule favorable à l'acclimatation <strong>des</strong> Européens,le mercure <strong>des</strong>cend, en moyenne, à 19**.Au printemps les pluies reparaissent, fines, continues,<strong>et</strong> accompagnées de nouveau par les vents deN. <strong>et</strong> de N. E. Elles tombent avec assez d'abondancepour faire sortir les rivières de leur lit. Mais c<strong>et</strong>teseconde crue ne prend qu'exceptionnellement les proportionsde la crue d'automne. On ne tarde pas aussià observer toute la série <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s <strong>du</strong>s à l'extrêmehumidité de l'air. Déjà je les ai décrits; je n'y reviendraipas.En toute saison, lorsque le vent souffle <strong>du</strong> nord, latempérature s'élève très-notablement; l'atmosphère secharge d'humidité <strong>et</strong> devient fortement électrique. Cesphénomènes se manifestent surtout avec une remar-


PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 215qtiable énergie au printemps, pendant Télé, <strong>et</strong> les premiersmois de l'automne.Mais il s'en faut que toutes les années soient égalementorageuses; <strong>et</strong> ce que j'ai dit de la distributionirrégulière, inégale, de l'humidité <strong>et</strong> de la sécheresse,peut s'appliquer à celle <strong>des</strong> orages.Au reste, ces deux ordres de faits se lient l'un àl'autre; <strong>et</strong> l'observation a confirmé ce que la <strong>physique</strong>,depuis les travaux de MM. Becquerel <strong>et</strong> Pouill<strong>et</strong>, enseignesur les sources de l'électricité atmosphérique.Ainsi, les explosions de la foudre, relativement rares<strong>et</strong> faiblesdans les années sèches, sont d'une fréquence<strong>et</strong> d'une force incroyables dans les années pluvieuses.Ilm'a paru que les plus violentes éclataient vers lafin<strong>du</strong> printemps <strong>et</strong> pendant les premiers mois de l'été.A ce moment, en eff<strong>et</strong>, une troisième cause déjà puissantepar elle-même, se combine avec la chaleur solaire<strong>et</strong> l'humidité. La végétation <strong>des</strong> plantes verse dansl'atmosphère une masse considérable de fluide , quis'ajoute à celui que dégage l'évaporation de l'eaufrappée par les rayons d'un soleil torride (1).Les orages surviennent avec tous les vents, niaisdans un ordre de fréquence qui n'est pas le même pourchacun d'eux. Durant le printemps <strong>et</strong> l'été, les maréesélectriques sont le plus ordinairement accompagnées(1) Pour qu'il y ait dégagement d'électricité, il est nécessaire que Peaucontieune <strong>des</strong> substances étrangères , <strong>des</strong> aci<strong>des</strong>, <strong>des</strong> sels , <strong>et</strong>c. , en dissolution; en un mot, il faut qu'il se passe une action chimique, ce qui atoujours lieu à la surface <strong>du</strong> globe. M. Pouill<strong>et</strong> a mis ce fait hors dedoute en complétant les expériences de Saussure <strong>et</strong> de Volta.


216 CLIMATOLOGIE.d'un vent violent de S. ou de S. 0.; les orages de 10.<strong>et</strong> <strong>du</strong> N. 0. sont rares <strong>et</strong> <strong>du</strong>rent peu. Mais à SanBorja <strong>et</strong> dans les Missions de l'Uruguay, ceux quiviennent de c<strong>et</strong>te direction, beaucoup plusfréquents,sont plus souvent que les autres accompagnés de grêle.C<strong>et</strong>te différence s'explique par ce que nous savons de larar<strong>et</strong>é <strong>des</strong> vents d'O. au <strong>Paraguay</strong>.Quoique, dans le cours de la saison chaude, de nombreuxéclairs se montrent parfois vers l'E. <strong>et</strong> le S. E.à la tombée de la nuit, rarement un orage se forme dece côté.Enfin, il peut en venir de terribles avec un vent deN., <strong>et</strong> la pluie qui les termine, moins violente, <strong>du</strong>reaussi plus longtemps.L'approche <strong>des</strong> décharges est annoncée à l'avancepar un changement dans l'état <strong>du</strong> ciel , <strong>et</strong> chez lesindivi<strong>du</strong>s doués d'une grande irritabilité nerveuse ,par <strong>des</strong> symptômes de prostration <strong>physique</strong> <strong>et</strong>morale,ou par <strong>des</strong> accidents hystériformes. Je n'ai rien à ajouterà ce que j'ai dit,sous ce double rapport, en traitantde l'influence <strong>du</strong> vent de N. E.Lorsque les explosions se repro<strong>du</strong>isent plusieurs joursde suite, les choses ne se passent pas de la même manière;le matin le ciel est serein <strong>et</strong> d'un bleu foncé, maisbientôt <strong>des</strong> cumulus apparaissent àl'horizon, <strong>et</strong> ne tardentpas à l'envelopper.Quelles que soient les conditions météorologiques <strong>des</strong>on développement, l'orage, une fois formé, éclate avecune effrayante énergie. Les éclairs , d'une éblouissanteclarté, se succèdent si rapidement qu'ils se confondent,


PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 217e\ les roulements <strong>du</strong> tonnerre ne finissent pas. La nuit,l'atmosphère parait embrasée. En même temps, le ventbrise les arbres, emporte les frêles toitures <strong>des</strong> habitations,<strong>et</strong> une ondée torrentielle submerge les cultures,ou creuse <strong>des</strong> ravins dans leur sol ameubli. A l'égardde la <strong>du</strong>rée <strong>des</strong> orages , il est impossible , de mêmequ'en Europe, d'établir une règle ayant quelque fixité :on peut dire, qu'elle est, en général, en raison inversede la force <strong>du</strong> vent <strong>et</strong> de l'abondance de la pluie.L'œuvre de <strong>des</strong>truction de la nature achevée , lecalme renaît, <strong>et</strong> tout souvenir s'en efface promptementchez l'indigène , habitué dès l'enfance à c<strong>et</strong> imposantspectacle,qui n'est pas toujours sans danger pour lui.Trop souvent l'étincelle qui s'échappe de lanuée faitune victime à la surface <strong>du</strong> sol. Azara (i) estime quele tonnerre tombe au <strong>Paraguay</strong> dix fois plus fréquemmentqu'en Espagne; <strong>et</strong> certes, ce calcul n'a rien d'exagéré.Lorsque la foudre s'abat sur une maison , on remarquequ'elle suit de préférence les pièces de bois àgrain compacte <strong>et</strong> serré placées dans les murs, ce quiest particulièrement le cas <strong>des</strong> bois de ce pays ,queleur compacité rend assez bons con<strong>du</strong>cteurs <strong>du</strong> fluide.Mais le savant ingénieur espagnol indique c<strong>et</strong>te rec<strong>et</strong>te,fort simple à coup sur, pour se garantir de ses eff<strong>et</strong>s :pour éviter le danger, il suffit de s en éloigner un peu.Or, c<strong>et</strong>te précaution ne me paraît pas tout àfait suffisante,<strong>et</strong> il n'est malheureusement pas rare de voirplusieurs personnes foudroyées dans le cours d'un(1) T. H, p. 36.


218 CLIMATOLOGIE.inêiïie orage. J'ai recueilli plusieurs faits de c<strong>et</strong>te nature,sur différents points <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> les relationsd'Azara lui-même, <strong>et</strong> celles de Rengger en mentionnentd'autres.Il est cependant <strong>des</strong>circonstances qui contribuent àrendre les accidents aussi peu multipliés qu'ils le sont,comparativement à la répétition fréquente <strong>et</strong> a la violence<strong>des</strong> explosions électriques :la population est clairsemée,les maisons basses <strong>et</strong> les arbres élevés ; les palmiersgigantesques répan<strong>du</strong>s dans les champs, détournentles coups en faisant l'office de paratonnerres : entin,les nuages orageux flottent dans l'espace, à unehauteur généralement beaucoup plus considérable quedans les latitu<strong>des</strong> tempérées. C<strong>et</strong>te opinion, basée surle calcul, explique comment l'étincelle, en allant d'unnuage à l'autre, affecte le plus ordinairement une directionhorizontale, <strong>et</strong> tombe moins fréquemment à la surface<strong>du</strong> sol (1).(1) Un grand nombre de voyageurs qui étaient en même temps de remarquablesccrivaius, ont raconté les eff<strong>et</strong>s saisissants <strong>des</strong> orages intertropicaux.Une <strong>des</strong>cription de ces gran<strong>des</strong> convulsions de lanature, seraitici presque un hors-d'œuvre, sinon un acte de témérité de ma part : aussime bornerai -je à dire, après Kschwege, qu'on ne saurait se faire une idtede la violence <strong>des</strong> éclats Je lafondre, au milieu de la nuit, dans les forêtsvierges de l'Amérique, <strong>et</strong> dans la région <strong>des</strong> calmes que Ton a appelée larégion <strong>des</strong> orages éternels.On conserve à Rio de Janeiro le souvenir d'explosions électriques d'uneforce exceptionnelle. Le 1*2 janvier 1817, les éclairs <strong>et</strong> les roulements <strong>du</strong>tonnerre pro<strong>du</strong>isirent pendant vingt minutes un effroi généralsur les habitants.Le i avril 183.'», la ville fut assailli" par un orage affreux qui seprolongea de minuit à quatre heures <strong>du</strong> matin. Le docteur Sigaud, auquelj'emprunte ces deux faits {Du Climat cl <strong>des</strong> Maladi<strong>et</strong>i <strong>du</strong> DrcsH, Paris,18i4, in-8", p. 60,, ne donne pas d'autres détails. Le 1" mai 1815, je m<strong>et</strong>rouvais à Rio. Ce jour-là , vers cinq heures <strong>du</strong> soir , il ^urviut une


PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 219Après uîie pluie d'orage de quelque <strong>du</strong>rée , le thermomètreaccuse un abaissement notable de la tempé^rature. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> est dû, suivant le professeur Kaemtz,aux masses d'eau, qui en se précipitant <strong>des</strong> hautes <strong>et</strong> glacialesrégions de l'atmosphère, pro<strong>du</strong>isent un refroidissementtrès-sensible, en vertu de leur capacité pour lecalorique, <strong>et</strong> de leur évaporation qui absorbe une quantiténotable de chaleur enlevée à la terre <strong>et</strong> à Tair. Enmême temps, si le vent saute au S. 0. , le thermomètrepeut <strong>des</strong>cendre, au milieu de l'été, à 15 degrés.Je dois encore dire quelques mots d'un météor<strong>et</strong>ourmente épouvantable; la foudre tomba sept fois,<strong>et</strong> tua cinq personnes.A Saiut-Paul, l'influence énergique <strong>et</strong> pour ainsi dire permanente del'électricité, se tra<strong>du</strong>it par <strong>des</strong> exploitons très-fortes <strong>et</strong> presque incessantes.Le 9 août delà même année, une série d'orages fondirent sur la ville, <strong>et</strong><strong>du</strong>rèrent le 10 <strong>et</strong> le 11, sans interruption notable. Je n'ai jamais enten<strong>du</strong>de détonations aussi continuellement violentes. La nuit, ellesne perm<strong>et</strong>taientpas de dormir ; les journées étaient plus calmes. La foudre tombaplusieurs fois, mais ne fit qu'une victime.Buenos-Ayres figure dans les tableaux numériques que M. Arago a dressésde la distribution géographique <strong>des</strong> orages {Annuaire <strong>du</strong> Bureau <strong>des</strong>Longitu<strong>des</strong>, 1838, p. 408), pour 22, fi jours orageux (moy. de sept annéesd'observation). Azara {Voyages, 1. 1, p. 3f>; raconte que le 21 janvier 1793,la foudre y tomba trente-sept fois <strong>et</strong> tua dix-neuf personnes. Il n'existepas dans les annales de la science, un second exemple d'un désastre pareildû a la même cause.Le d mars 1846, au milieu d'explosions électriques accompagnées degrêle, une maison de l'ancienne Mission de San Borja fut frappée, maissans conséquence fâcheuse pour ses habitants.Au reste, les régions équinoviales n'ont pas le privilège exclusif <strong>et</strong> redoutable<strong>des</strong> orages; <strong>et</strong> les témoins de celui qui passa sur Paris le30 juin 1854, pouvaient avec quelque apparence de raison se croire pourun moment transportés sous le ciel inclément de la zone torridc. Lescoups, d'une violence extrême,étaient séparés par <strong>des</strong> intervalles de plusieursminutes :sous les tropiques, ils sont incessants. Rappelons, en terminant,que la moyenne annuelle <strong>des</strong> jours orageux est ade 50,7 ; à Buenos-Ayres de 22,6, <strong>et</strong> à Paris de 13,8.Rio de Janeiro


220 CLIMATOLOGIE.dont Tapparition coïncide toujours avec les phénomènesélectriques. Il grêle presque chaque année surun point <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> , <strong>et</strong> plus fréquemment dans lesMissions ; mais les grêlons n'ont pas généralement unassez gros volume pour causer <strong>des</strong> dommages aux4récoltes, aux arbres, <strong>et</strong> tuer <strong>des</strong> oiseaux ou de jeunesquadrupè<strong>des</strong>, dépendant, le 7 octobre 1789, iltomba,à12 lieues de l'Assomption, <strong>des</strong> grains qui avaient jusqu'à3 pouces de diamètre. Azara, qui relate ce fait (1 ),ne parle pas en témoin oculaire : on peut donc adm<strong>et</strong>treun peu d'exagération dans les dimensions deces masses de glace, <strong>du</strong>es peut-être à la réunion deplusieurs grêlons qui s'étaient agglutinés dans leurchute , <strong>et</strong> quoiqu'on en ait recueilli de plus volumineusesencore sous <strong>des</strong> latitu<strong>des</strong> plus élevées.C'est au milieu <strong>du</strong> printemps (octobre <strong>et</strong> novembre),après une série de chau<strong>des</strong> journées, <strong>et</strong> au moment oùla chaleur diurne atteint son maximum ,que cesaverses surviennent.L'île de Cuba occupe dans notre hémisphère, uneposition astronomique qui présente quelque analogieavec celle <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> dans l'hémisphère austral. Encomparant, autant que <strong>des</strong> données insuffisantes m'ontpermis de le faire, quelques-unes <strong>des</strong> circonstancesliées aux chutes de grêle sur ces deux points <strong>du</strong> globe,j'ai trouvé, à l'aide <strong>du</strong> travail de M. Poey, présenté àl'Institut par M. Becquerel :r Que, au <strong>Paraguay</strong> comme à Cuba, les averses(1) Vbi supra p. 35.4


PHÉNOMÈNES ATMOSPHÉRIQUES. 221avaient lieu d'une heure à trois heures de l'après-midi,moment de la plus forte chaleur <strong>du</strong> jour (i) ;2° Que , eu égard à la distribution mensuelle, lesmois qui représentent probablement la températuremoyenne de l'année, sont les plus abondants en grêle;3° Mais que, sous le rapport de la fréquence, <strong>et</strong>tout en tenant compte de l'augmentation <strong>du</strong> météoredepuis 1846, mise hors de doute par les relevés deM. Poey, il n'y avait aucune comparaison à établirentre les deux pays, puisque l'on a observé à Cuba, <strong>des</strong>intervalles de quinze, vingt,<strong>et</strong> même de quarante ans,entre la repro<strong>du</strong>ction d'un phénomène qui se montreannuellement sur le continent Sud-américain (2).D'où provient c<strong>et</strong>te inégalité dans larépartition <strong>des</strong>averses? La rar<strong>et</strong>é de la grêle dans l'île de Cubaest-elle liée aux conditions météorologiques qui naissent<strong>du</strong> voisinage de la mer, conditions très-dissemblablesde celles que présente une province méditerranée?Dépend-elle uniquement de la différence de températureque l'on observe, à latitude égale, dans les deuxhémisphères ,quoique c<strong>et</strong>te différence ait été exagéréepar Herschel (3) <strong>et</strong> d'autres savants, d'après <strong>des</strong> observationstrop peu prolongées pour être concluantes?Plusieurs fois dans l'année il tombe <strong>du</strong> grésil , <strong>et</strong> cephénomène est plus souvent qu'en Europe accompagnéd'explosions électriques.(1) Uue seule fois, à Saiat-Paul, le 14 septembre 1845 ,j'ai vu unepluie de grêle à huit heures <strong>du</strong> soir : elle <strong>du</strong>ra 12 minutes.(2) Comptes ren<strong>du</strong>s de l'Académie <strong>des</strong> sciences, novembre 1854.(3) Herschel, Essai on the climat of Ihe austral hémisphère, Londou,


CHAPITRE XIX.CLIMATOLOGIE ifiu).MÉTÉORES IGNlS. — OBSERVATIONS MÉTÉOROIOGIQUES.Pendant les nuits calmes <strong>et</strong> sereines , un grandnombre d'étoiles filantes décrivent <strong>des</strong> courbes lumineusessur la voûte céleste, en se succédant à <strong>des</strong> intervallesinégaux, quelquefois très-rapprochés : elles semeuvent de l'E. à l'O. suivant la direction de la virason,laquelle s'élève, nous l'avons vu, à l'heure <strong>du</strong> coucher<strong>du</strong> soleil.Muni <strong>des</strong> Instructions rédigées par M. Arago pourle voyage de circumnavigation de la corv<strong>et</strong>te la Bonite(1), j'aiclierché vainement, à l'aide d'observations(1) E trait <strong>des</strong> Comptes renias dd l'Académie <strong>des</strong> sciences, novembre1835.


MÉTÉORES IGNKS. 223assi<strong>du</strong>es, à découvrir une coïncidence entre ces apparitionsfréquentes, <strong>et</strong> les dates <strong>des</strong> pluies périodiques deboli<strong>des</strong> observées sur plusieurs points de l'Europe <strong>et</strong><strong>du</strong> Nouveau-Monde, dans les nuits <strong>du</strong> 10 au 15 novembre<strong>et</strong> <strong>du</strong> 1 au 1 1 août.Mais <strong>des</strong> météores plus considérables, <strong>des</strong> globes enflammés,peuvent traverser l'atmosphère en laissantsur leur passage une traînée lumineuse <strong>et</strong> une épaissefumée, ou se briser en fragments qui bientôt s'éteignent,<strong>et</strong> r<strong>et</strong>ombent à la surface <strong>du</strong> sol sous forme demasses de fer ou d'aérolithes.Rengger assure qu'on a trouvé à plusieurs reprises<strong>du</strong> fer météorique au <strong>Paraguay</strong> , notamment à Tacumbù,<strong>et</strong> que ce métal est très-cassant. Mais une <strong>des</strong>masses de fer natif les plus considérables dont il soitfait mention, est assurément celle que D. Miguel Rubinde Celis <strong>et</strong> D. Pedro Cervino examinèrent ensemble, dansles plaines <strong>du</strong> Chaco, en 1783, sur l'ordre <strong>du</strong> roi d'Espagne.On ne saurait lacomparer qu'à l'énorme morceaudécouvert peu d'années auparavant, par Pallas, enSibérie (1). Partis de Santiago del Estero (2), les deuxingénieurs trouvèrent le bloc à soixante-dix lieues enligne droite, par lerumb N. 85*^ E. Sesdimensions, <strong>et</strong>toutes les circonstances <strong>du</strong> gisement, sont consignéesdans leur journal de voyage, d'où Azara lésa tirées (3).J'aiété témoin, dans les mêmes parages, de l'appa-(1) Pallas, Observations sur la forme <strong>des</strong> montagnes, Saiol-Péleisbourg,1777, p. 25.(2) Lat. 27» 47' 42".(3) Voyages, t. 1, p. CO <strong>et</strong> suiv.


224 CLIMATOLOGIE.rition d'un météore dont la <strong>des</strong>cription doit trouverplace à la suite de ces faits remarquables.Le dimanche 5 juill<strong>et</strong>,je revenais d'une explorationdans le Ghaco, accompagné de plusieurs <strong>Paraguay</strong>os.Le vent avait soufflé <strong>du</strong> S. la veille, <strong>et</strong> très-faiblement<strong>du</strong> S. E. le matin; le soleil venait de disparaître. Ence moment, l'air était calme, le temps très-beau, <strong>et</strong> ledisque de la lune se détachait n<strong>et</strong>tement sur un cielsans nuages. Mon canot se trouvait sur une p<strong>et</strong>iterivière que l'on regarde à tort comme un <strong>des</strong> bras <strong>du</strong>Pilcomayo, <strong>et</strong> allait déboucher dans le Rio-<strong>Paraguay</strong>.Il était G heures 1/4 : tout à coup, une étincelle jaillit<strong>et</strong> illumina le paysage qui m'environnait. En levantvivement les yeux, j'aperçus un globe de feu qui,après avoir décrit sous un angle de 65^ environ, unecourbe <strong>du</strong> S. E. au N. 0., s'éteignit près de l'horizon,après une <strong>du</strong>rée de plusieurs secon<strong>des</strong>, en continuantsa route dans l'espace, <strong>et</strong> laissant une trace lumineusebrisée en zigzags <strong>et</strong> d'épais flocons de fumée. L'inflammationvive <strong>et</strong> soudaine comme l'éclair , avait étéaccompagnée de pétillement <strong>et</strong> de crépitation : je neperçus pas d'explosion.Revenu de ma surprise, je constatai qu'après quinzeminutes toute trace <strong>du</strong> météore avait disparu. Ce spectacleétrange <strong>et</strong> saisissant flt, on le comprendra, uneimpression profonde <strong>et</strong> <strong>du</strong>rable sur les habitants del'Assomption.D'où viennent ces météores? Ont-ils une originevulcanienne <strong>et</strong> terrestre? Sont-ils vomis par les volcansde la lune, qui les proj<strong>et</strong>tent assez loin pour les faire


MKTÉOIIES IGNKS. 2*25entrer dans la sphère (i'altraclion dn globe? Faut-illes regarder comme un pro<strong>du</strong>it de l'atmosphère, ouchercher leur explication dans une hypothèse cosmique,soit qu'on les considère, suivant l'expressiond'Herschel , comme <strong>des</strong> astéroï<strong>des</strong> qui se meuventautour <strong>du</strong> soleil, <strong>et</strong> restent invisibles jusqu'au momentoù ils s'enflamment au contact de l'air; soitqu'on voie seulement en eux les débris d'une ancienneplanète?Toutes ces opinions ont eu tour à tour pour défenseursde savants astronomes, <strong>et</strong> l'on peut prédire,sans crainte de se tromper, que ces phénomènes sisurprenantsde la <strong>physique</strong> <strong>du</strong> globe, longtemps encorem<strong>et</strong>tront en défaut leur sagacité <strong>et</strong> leurs insuffisantesthéories.J'ai tenté jusqu'icide feûre connaître la marche de latempérature à la surface <strong>du</strong> pays considéré dans sonensemble. Pour compléter c<strong>et</strong>te étude, il faudrait exposermaintenant les variations qu'elle présente sur lespoints principaux. On conçoit, en eff<strong>et</strong>,que <strong>des</strong> écartementsconsidérables entre les parallèles <strong>et</strong> les méridiens,que <strong>des</strong> différences sensibles dans la nature <strong>et</strong>les reliefs <strong>du</strong> sol , doivent se tra<strong>du</strong>ire par de notablesmodifications dans les phénomènes dont l'ensembleconstitue la climatologie d'une localité. Mais de tellesconditions n'existent pas ici; <strong>et</strong> d'ailleurs, pour obtenirun plus grand nombre de limites extrêmes, oupour dresser à l'aide de lectures équidistantes <strong>des</strong>tables de température moyenne capables de servir àl'établissenient de lignes isothermes, iî^othères <strong>et</strong> iso-


'22GCLIMATOLOGIE.chimènes (1), il faut <strong>des</strong> séjours prolongés, <strong>des</strong> sériesd'observations sédentaires <strong>et</strong> suivies, conditions que nesaurait remplir un voyageur. Or, on sait que l'écartentre les moyennes de l'été <strong>et</strong> celles de l'hiver,est plusconsidérable dans l'intérieur <strong>des</strong> continents que sur lescôtes.Toutefois, j'essayerai de combler en partie c<strong>et</strong>te lacune,en transcrivant le résumé mensuel de mes observationsmétéorologiques. Mon séjour dans les Missions<strong>et</strong> au <strong>Paraguay</strong> embrasse quatorze mois, de février 1 846à avril 1847 : je ne donne que la latitude <strong>et</strong> la longitude<strong>des</strong> stations principales.FÉVRIER, DU 8 AU 28.SAN-BORJA.Lat. 28° 39' 51", lon^j. 58° 15' 58" (2).Vingt jours de beau temps; maximum de chaleur,35% minimum, 18"; moyenne <strong>des</strong> indications de l'hygromètre,56°; vent dominant E., souftlant régulièrementla nuit, <strong>et</strong> passant à l'E. N. E. <strong>et</strong> au N. E. vers lemilieu <strong>du</strong> jour.(1) M. (le llumboldl, le premier, a réuui par <strong>des</strong> courbes qu'il a nomméesisothermes ( ]7'.ç égal , èe-o.'bç ch;tleur ), les poiuls dont la températuremoyenne est égale. Ou appelle isolhcres ( Vcrof<strong>et</strong> èsooç été ^, <strong>et</strong> isochimèues(Vc-cç <strong>et</strong> h'^'^'")' *^* lignes qui passent par les lieuix,-"^'^''dont la moyenne estivale ou hiberualc (sl la même.[1) San-Borja est la plus méridionale drs Missions de la rive gauche del'Uruguay. Toutes font partie ih la province de Rio-Grande dn Sud, <strong>et</strong>appartiennent an Brrs.l.


OBSERVATIOÎSS. 221MARS.DE SAN-BORJA ASAN-ANGELO,rat. 28M7' 19'Mong.57*^0' 12".Dix-huit jours de beau temps, cinq d'orages violentsavec forte pluie, trois d'orages faibles, deux de pluie,deux jours nébuleux, <strong>et</strong> un de brouillard épais.L'orage <strong>du</strong> 5, venant <strong>du</strong> S. 0., <strong>du</strong>ra de onze heures<strong>du</strong> matin à cinq heures <strong>du</strong> soir,<strong>et</strong> fut accompagné degrêle. Le brouillard avait été précédé, la veille, d'uneforte averse de l'O. S. 0, qui <strong>du</strong>ra deux heures : jerecueillis 50 millim. d'eau.Maxim. 34^5, minim. 15°; hygrom. 70°; ventvariable <strong>du</strong> N. E. au S. <strong>et</strong> au S. 0. Température del'eau d'un ruisseau près S. Lorenzo, 21"; de l'air, àmidi, le soleil étant voilé par <strong>des</strong> nuages, 28°.AVRIL.SAN-BORJA.Vingt jours de beau temps, trois d'orages violentsavec forte pluie,trois d'orages faibles, deux de grandepluie, <strong>et</strong> deux jours de temps couvert <strong>et</strong> variable.Maximum de température, 32°; minimum, 12°. Envingt-quatre heures, le 24, le thermomètre n'a variéque de 5/10 de degré; de 19,5 à 20°, avec vent de S.<strong>et</strong> pluie continue. Vent dominant E. N. E. Les matinéesdeviennent fraîches.


228 CLIMATOLOGIE.MAI.DE SAN-BORJA A SANTA-MARIA.Lat. 26" i8' 12", long. 59° 18' 54".Vingt jours de beau temps, quatre de temps variableou couvert, quatre d'orages violents avec pluie, deuxde pluies forles, <strong>et</strong> un d'orage faible.Maxim. 29°; minim. à 7 h. <strong>du</strong> mat. 7° 5; ventde l'E. au S. E. <strong>et</strong> au S.Les matinées sont froi<strong>des</strong>. Deux fois, à 6 h., l<strong>et</strong>hermomètre est <strong>des</strong>cen<strong>du</strong> à 8".JÎJLN.DE SANTÂ-MARIA AL'ASSOMPTION.Lat. 25" 16' 40", ion[|. 60" 1' 4".Vingt-trois jours de beau , cinq de jours variablesou nébuleux, deux d'orages faibles avec pluie.Maxim. 27° à 2 h. 1/4, minim. 8' le 4 à 7 b. <strong>du</strong>soir, <strong>et</strong> 8° le 29 à 7 h. <strong>du</strong> mat.; vent de l'E. au S. E.Température extrêmement agréable.JUILLET.A L'ASSOMPTION ET DANS LES ENVIRONS.Vingt-cinq jours de beau temps, quatre de tempsvariable ou couvert, deux d'orages assez forts avecpluie. Le mercure oscille vers iiùdi entre 20 <strong>et</strong> 26°;


OBSRRVATfONS. 229vent (loiniiiatit N. E.; la chaleur e^t plus marquée; lesnuits sont fraîches. Le 3, un météore lumineux semontre à l'O. J'en ai parlé plus haut.AOUT.A L'ASSOMPTION ET DANS LES ENVIRONS.Beau temps, vingt <strong>et</strong> un jours; temps couvert <strong>et</strong> variable,sept; orage <strong>et</strong> pluie, un; orage faible, deux.Maxim. 31° à 2 h., minim. 13**au (piartel del Cerritodans le Chaco, à 7 h. <strong>du</strong> M.; 13" à l'Assomption, à6 h. <strong>du</strong> S. Vent variable <strong>du</strong> N. au S. par TE.SEPTEMBRE.DE L'ASSOMPTION A VILLA-RICA.Lat. 200 48' 55", long. bS'' 51' 59".Dix-huit jours de beau temps; cinqde temps couvertou variable ; trois d'orages avec pluie ; cinq d'oragesfaibles. Maxim. 35°; minim. 11°. Vent <strong>du</strong> N. auS. E. <strong>et</strong> au S.OCTOBRE.DE VILLA-RICA A ITAPUA.Lat. 27" 20' 16", long. 58" 12' 59".Dix-neuf jours de beau temps ,quatre de tempscouvert ou variable ,quatre d'orages avec pluie, quatred'orages faibles. Maxim. 40" 5 le 29 à 2 h. 20 minutes,<strong>et</strong> 34° le 7 à 2 h.; minim. 1 0*^5, le 9 à 9 h. <strong>du</strong> S.Vent variable de N. à S. E.


230 CLIMATOLOGIE.NOVEMBRE.DE ITAPUA A L'ASSOMPTION.Beau temps, 21 jours, temps variable ou nébuleux,trois jours; orages avec pluie, 6 jours. L'orage <strong>du</strong> 7 tuttrès-violent : il venait <strong>du</strong> S. E.Maxim. 37° 5 à 3 b., minim. 18". Vent dominantN. E. La cbaleur devient plus sensible.DÉCEMBRE.DE L'ASSOMPTION A VILLA-RIGA.Vingt-trois jours de beau temps, un de temps variable,cinq d'orages violents de S. 0. avec grande pluie,deux d'orages faibles. Vent variable <strong>du</strong> N. N. E. auS. 0. La chaleur se maintient élevée : maxim. 36%minim. 19°.JANVIER.DE VILLA-RICA A L'ASSOMPTION PAR LA CORDILLÈRE (1).Vingt-quatre jours de beau temps, cinq d'oragesassez forts, <strong>et</strong> deux d'orages faibles. Maxim. 35" 5,minim. 20". Vent dominant N. E.FÉVRIER.DEL'ASSOMPTION A ITAPOA.Vingt <strong>et</strong> un jours de beau temps, deux de temps va-\1) Oii sait que sous le nom générique de Cnrdillcra, on désigne, huPnraguay, la branche qui se détache de la chaîne de Mbaracayn à la hauteurde Villa Rica, <strong>et</strong> vient aboutir au Rio-<strong>Paraguay</strong>, au IS. de l'embouchurc<strong>du</strong> Salado.


f#OBSERVATIONS. 9.]]riable, trois d'orages avec |)lui(% deux d'orages faibles.Maxim. 36". Vent variable <strong>du</strong> N. N. K. au S.E. iNuitstrès-bellesMAUS.DEITÂPDÂ A SAN-BORJA.Vingt- quatre jours de beau temps, cinq de tempsvariable , un orage avec pluie forte, <strong>et</strong> un orage faible.Maxim. 35° à S. Borja, le 2i à 2 b. Chaleur forte,plusieurs fois le thermomètre monte à 32°; minim. i 4"".Le 29, par un orage violent de S. 0., le mercure baissede 34° à 22° o en trois heures. Vent dominant deN. N.E., souvent N.Le 4 avril, départ de S. Borja pour Rio Pardo <strong>et</strong>Porto-Alègre.Deux mots sur c<strong>et</strong>te question : la constitution climalériqu<strong>et</strong>end-elle à se modifier?C'est une opinion généralement répan<strong>du</strong>e au <strong>Paraguay</strong>que, depuis })lusieurs années, la températuremoyenne augmente. A l'aide de c<strong>et</strong> accroissement trèscontestable,les habitants s'efforcent d'expliquer leschaleurs excessives, les sécheresses prolongées qu'ilsen<strong>du</strong>rent, <strong>et</strong> qui portent un notable préjudice à leurscultures. Ils attribuent en particulier à ces chaleursinsolites rinsignifiance actuelle <strong>des</strong> récoltes en céréales,si éloignées de ce qu'elles étaient il y a un demisiècle.On a cru, de même, observer <strong>des</strong> iiioditicationsdans le climat de certaines régions de l'hémisphère


cWv2.'^^CLIMATOLOGIE.boréal; mais Ai'ago a prouvé, avec c<strong>et</strong>te lucidité dont ilavait le rare <strong>et</strong> précieux privilège, que ces changementspresque insignitiantsne tenaient pas à <strong>des</strong> causes cosmiques,mais à <strong>des</strong> circonstances locales, aux déboiseuîents<strong>des</strong> plaines <strong>et</strong> <strong>des</strong> montagnes, à <strong>des</strong> <strong>des</strong>sèchementsde marais, <strong>et</strong>c. (i). Les défrichements ont, enelï<strong>et</strong>, modifié assez notablement la marche de la températuresur plusieurs points <strong>du</strong> Nouveau-Monde. Ilest incontestable que depuis une vingtaine d'années,on remarque à Rio de Janeiro une telle irrégularitédans la distribution <strong>des</strong> pluies <strong>et</strong> <strong>des</strong> orages, que lesexceptions détruisent aujourd'hui la règle : nul douteque la cause de ces perturbations météorologiques neréside, en partie, dans les déboisements sans mesure<strong>et</strong> progressifs que l'on exécute au Brésil en vue d<strong>et</strong>ravaux agricoles (2).Mais rien de semblable n'a eu lieu au Parai^uav.Longtemps privé de toute communication avec ses voisins,sans commerce, ne pro<strong>du</strong>isant que pour sa consommation,le pays n'avait pas besoin d'entreprendre<strong>des</strong> travaux de défrichement. Il eût pu d'ailleurs étendreses cultures <strong>et</strong> multiplier les récoltes, sans détruireses forêts, car les plaines découvertes n'y manquentpas. Enfin, j'ai déjà dit que depuis la dictature de Francia,l'exportation <strong>des</strong> bois avait toujours été ou rigoureusementinterdite, ou monopolisée par l'Etat. Je.(1) Annuaire xiu Bureau <strong>des</strong> Lnngila<strong>des</strong>, 18:il.v'Ji M. d llnmî) fa-îscs plus ^rn .1 raie? |f> modilioationîr que parait rproiiver le climat de lAméri(i'.ic s^plpulrion de. Ess'iipol nique sur le royaume de la y'ouveUe- Espagne , l'aris, 1811, t. 11.p. il\).


OBSKRVATIONS.regarde donc comme exceptionnelles <strong>et</strong>2^53sans cause appréciable, les années à la fois chau<strong>des</strong> <strong>et</strong> sèches quise sont écoulées de 1845 à iSoO. Elles ont cependant,<strong>et</strong> à juste titre, éveillé la sollicitude <strong>du</strong> gouvernement,(jui s'efforce d'amoindrir leurs désastreusesconséquences par quelques travaux d'irrigation ,parl'établissement de barrages, <strong>et</strong> la création de réservoirsartificiels (1).(1) Ces mesures d'utilité publique fout l'obj<strong>et</strong> d'une mention particulièredaus le Mensage del Exmo senor Présidente de la llepublica del<strong>Paraguay</strong> à la Ucprescnlacion nacional del ano 18i9, p. 2.).


CHAPITRE XXZOOLOGIE.CARACTERES DE LA FAUNE 00 PARAGUAY ET DES MISSIONS.DESûIAMîaiFERES.La faune <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ne présente pas un aspect particulier,un ensemble caractérisé par certaines espècesdont l'existence perm<strong>et</strong>te de la reconnaître à premièrevue. Elle se confond, vers le nord , avec la faune dela zone équinoxiale ; <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> midi, avec celle <strong>des</strong>provinces Argentines; à l'est enfin, avec celle <strong>des</strong> régionstempérées <strong>du</strong> Brésil. Elle marque la transitionentre la faune <strong>des</strong> contrées intcrtropicales, <strong>et</strong> celle<strong>des</strong> latitu<strong>des</strong> plus élevées.A l'ouest, on peut adm<strong>et</strong>tre (jue la série <strong>des</strong> êtresqui la composent, arrive plus ou moins complète, à tra-


CARACTÈRES l)\: LA FAUNE. 235vers les Ilanos <strong>du</strong> Grand-Chaco, jusqu'au pied <strong>des</strong> Cordillères,où se rencontrent <strong>des</strong> conditions climatériquesde nature à la modifier profondément, <strong>et</strong> sous lerapport de la variété <strong>des</strong> espèces, <strong>et</strong> sous le rapport <strong>du</strong>nombre <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s. Faut-il rappeler, d'ailleurs,quele <strong>Paraguay</strong> présente peu d'obstacles naturels à la disséminationgéographique <strong>des</strong> espèces, à la fusion <strong>des</strong>faunes propres aux régions zoologiques environnantes,<strong>et</strong> que c'est principalement par les animaux les plusparfaits,ou doués d'une puissance de locomotion considérable,que les mélanges se sont opérés entre les différentscentres de création si bien démontrés parM. Milne-Edwards, en dépit de c<strong>et</strong>te force inconnue <strong>et</strong>incompréhensible qui les attache au sol, <strong>et</strong> que l'onnomme instinct?L'analogie de la faune <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> avec celle <strong>des</strong>parties <strong>du</strong> Brésil qui l'avoisinent, semblerait aussi confirmerl'opinion exposée par M. Agassiz dans l'ouvragerécent <strong>et</strong> déjà célèbre de MM. Nott <strong>et</strong> Gliddon (1 ).savant paléontologiste, reprenant les idées émises parlui pour la première fois en 1845 dans la Revue suisse,Le(1) Types of mankind or <strong>et</strong>hnological researches based upon tlicancienl monuments, paintmgs^ sculptures and crania of races^ Loiidouand Philadelphia, 1854, in -4».Le travail <strong>du</strong> professeur à l'Univorsité de Cambridge a pour titre :Esquisse <strong>des</strong> provinces naturelles <strong>du</strong> règne animal^ <strong>et</strong> de leurs rapportsavec les diverses races humaines. II a clé analysé dans leBull<strong>et</strong>in de la Société de géographie, 1855, t. IX, p. 53-65, par M. Gustaved'Eichthal. Ses appréciations, soutenues par M. Alfred iMaurj,ont été combattues par M. Antoine d'Abbadic {Bull<strong>et</strong>in, même série,t. X, p. 41-51). Voy. encore Comptes ren<strong>du</strong>s de l'Académie <strong>des</strong> sciences.t. XXXV, s?auce <strong>du</strong> 19 juill<strong>et</strong> 1852, Instructions rédigées par M. Serrespour Vexpédition scientifique dirigée par M. K. Deville.


•23GZOOLOGIE.pose en principe, que le monde peut être divisé en provinceszoologiques, sans que la température soit leseul guide de c<strong>et</strong>te division ;puis, il s'attache à démontrerque ces divisions correspondent à celles <strong>des</strong> typeshumains, <strong>et</strong> que là où la faune est la même, les hommesappartiennent à la même race. Or, la race guaranieautochthone <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, occupe aussi une grandepartie <strong>du</strong> Brésil, <strong>et</strong> sur c<strong>et</strong>te immense éten<strong>du</strong>e, lafaune paraît revêtir les mêmes caractères. Si la propositionde M. Agassiz était susceptihle d'une démonstrationrigoureuse, il faudrait en conclure que le centrede création <strong>du</strong> peuple guarani, assezn<strong>et</strong>tement circonscrit,n'est pas situé en dehors <strong>du</strong> demi-continent Sudaméricain;en un mot, que la présence de c<strong>et</strong>te nationsur les points où les conquérants l'ont rencontrée, n'estpas laconséquence de migrations sorties de l'Ancien-Monde ou de la Polynésie, doctrine <strong>et</strong>hnologique quiparait, en eff<strong>et</strong>, reposer sur <strong>des</strong> analogies physiologiquesplutôt apparentes que réelles. Hâtons-nous d'ajouterque lapluralité primitive <strong>des</strong> espèces d'hommes, <strong>et</strong> lapluralité<strong>des</strong> centres de sa création, ont trouvé dans lascience de puissants contradicteurs, qui reprochent àl'Ecole américaine d'attaquer la Bible, d'infirmerie témoignagede l'Écriture sainte , <strong>et</strong> qui ne voient dansla thèse soutenue sur l'origine <strong>des</strong> races par MM. Agassiz,Nott, Gliddon, Usher <strong>et</strong> Morton, que la repro<strong>du</strong>ction<strong>des</strong> idées de lord Kaimes, de Montbaddo, de Moscati,de Voltaire, de J. J. Bousseau, <strong>et</strong> de Bory-Saint-Vincent.On sait que la population zoologique augmente à


CARACTÈRES DE La FAUNE. 237mesure que la latitude diminue; ou, en d'autres termes,à mesure que la température s'élève : or, nousn'avons eu à signaler que <strong>des</strong> différences peu sensiblesdans le climat considéré successivement sur les poinisprincipaux <strong>du</strong> pays, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te uniformité ne perm<strong>et</strong> pasd'adm<strong>et</strong>tre d'inégalité dans la distribution <strong>des</strong> animauxà sa surface. Si, sous le rapport de la fertilité <strong>du</strong> sol, ila sa place parmi les régions les plus favorisées <strong>du</strong>globe, on peut dire aussi que la nature vraiment prodigue,l'a peuplé d'un nombre presque infini d'êtres vivants.Toutes les gran<strong>des</strong> divisions <strong>du</strong> règne animalcomptent de nombreux représentants dans la faune <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions, <strong>et</strong> plus d'un, sans nuldoute, caché dans les profondeurs boisées <strong>des</strong> forêts, asu échapper jusqu'ici aux recherches <strong>des</strong> rares naturalistesqui les ont traversées. La vue de tant de richesseszoologiques rappelle le mot de l'Indien qui guidaitMM. de Humboldt <strong>et</strong> Bonpland à travers les boisvierges de l'Orénoque : Es como el Paraiso ; c'est leParadis- terrestre.Je laisse de côté l'ordre <strong>des</strong> Bimanes, avec l'intentionde consacrer plus d'un chapitre à l'anthropologie <strong>et</strong> àl'<strong>et</strong>hnologie (!) <strong>et</strong> j'aborde c<strong>et</strong>te incomplète énumérationzoologique par les , Quadrumanes.(1) V Anthropologie d.'terminp les conditions <strong>physique</strong>s qui séparentrhoramc de l'animalité; V EUmologie embrasse l'hisloire <strong>physique</strong> <strong>et</strong> intellectutlle<strong>des</strong> diverses races humaines, leur Bliation, leur dissémination<strong>et</strong> leurs mélanges. La première est plus intimement liée à la zoologie; laseconde à Ihiitoire.


238 ZOOLOGIE.Dans la famille <strong>des</strong> singes, les espèces ne présententpas une grande variété : on n'en compte que trois (1).En revanche, les indivi<strong>du</strong>s sont nombreux, <strong>et</strong> matin <strong>et</strong>soir, ou à l'approche d'un orage, <strong>des</strong> hurlementsaffreux troublent le silence <strong>des</strong> bois séculaires en révélantleur présence à de dangereux ennemis, car lachair noirâtre, sèche, <strong>et</strong> pour ainsi dire parcheminée deces animaux anthropomorphes, est le m<strong>et</strong>s favori <strong>des</strong>Indiens. Le voyageur ne peut se défendre d'un momentde surprise <strong>et</strong> de crainte , lorsque pour la premièrefois la brise <strong>du</strong> soir apporte à ses oreilles lecri cadencé <strong>et</strong> sinistre d'une troupe d'alouates suspen<strong>du</strong>eaux branches les plus élevées <strong>des</strong> cèdres <strong>et</strong> <strong>des</strong>timbos. Tantôt, il croit entendre un torrent rouler dansla vallée ; tantôt, comme MM. Esclnvege <strong>et</strong> Auguste{\) Le Caraya, Stentor -Caraya , Simia Beclzebuth Linn. , ^louatehurleurLaci-p. ; le Cay, Saï Buff.; <strong>et</strong> lo Miriquouina, Saki Buff , Simiapilhecia Liun.Chez les siusres hurleurs, Tos hyoïde représente une caisse osseuse àparois (lactiques, qui loge deu\ poches nîrmbraneuses eu commuuicatiouavec le larynx. Lair, en ^'intro<strong>du</strong>isant dans ces cavités, pro<strong>du</strong>it îe bruiteffroyable qui leur a fait donner le nom sous lequel ils sont connus.Ajoutons que dans l'Amérique méridionale, lalimite géographique <strong>des</strong>singes, s\ tend — contrairem. nt à l'opinion d'un voyageur crlèbre — bienau delà <strong>du</strong> 27* degré de lat. , <strong>et</strong> qu elle paraît dépasser le 30* parallèle.C<strong>et</strong>t^ riMuarque de M. Arsène Isabelle {Voyage à Buenos-. Jyres,le Havre, !83j, p. 4ir»), concorde avec mes propres observations.On trouve, eu efftt, l'Alouate-ourson {SleHlor-ursinus\ eu troupesnombreuses dans les bois qui bordent le rio Ibicuy <strong>et</strong> ses branches d'origine,<strong>et</strong> le Jacuy jusqu'à Porto-Alègre, où les nègres font commerce de ladépouille de ces singes qu'ils appellent bujus, par corruption <strong>du</strong> motbujios généralement usité chez les habitants <strong>des</strong> provinces de Saint-Paul<strong>et</strong> de Rio-Grand'^, pour désigner les deux espèces d'alouates Enfin,M, Isabelle parle encore d'un Ouistiti commun dans les mêmes parages,quoique le froid y soit assez vif pendant l'hiver.


MAMMIFÈRES. 239Saiiit-Hilaire, le chant <strong>des</strong> Juifs réunis dans leur synagogue,auquel succède un bruit semblable à celui quefait la cognée <strong>du</strong> bûcheron en s'abattant sur un arbre.Margraff donne de c<strong>et</strong>te psalmodie monotone, c<strong>et</strong>teexplication singulière : il affirme que les Carayas qu'ilappelle GuaribaSy ont l'habitude de se ranger en cercleautour de Tun d'eux ,pendant qu'il leur débite avecvolubilité <strong>et</strong> au milieu <strong>du</strong> plus profond silence, un discoursassourdissant, à la suite <strong>du</strong>quel tous les auditeurspoussent leur cri prolongé avec une espèced'accord ,jusqu'à ce que l'orateur ayant réclaméle silence , reprenne la parole ; ensuite, on lève laséance.Au moindre bruit, la troupe con<strong>du</strong>ite par son chefgrimpe de branche en branche, <strong>et</strong> gagne promptementlacime <strong>des</strong> arbres, d'où elle brave impunément les flèches<strong>et</strong> le plomb <strong>des</strong> chasseurs. Il ne suffît pas d'ailleursd'atteindre même mortellement l'alouate pourpouvoir s'en emparer : on doit le tuer roide, car s'illui reste un souffle de vie, il enroule en mourant salongue queue autour de la branche qui le supportait,<strong>et</strong> il faut se décider, soit à monter à l'arbre, entrepris<strong>et</strong>oujours périlleuse <strong>et</strong> souvent impraticable , soit àl'abattre.Dans l'ordre <strong>des</strong> Carnassiers, la famille <strong>des</strong> Chéiroptèresest très -répan<strong>du</strong>e partout, <strong>et</strong> d'innombrableschauves-souris (1 ) se tiennent le jour dans le creux<strong>des</strong> vieux arbres,dans les anfractuosités <strong>des</strong> rochers,t) mbo})' lie. Guaranis; Azaru en décrit treize.


2iOZOOLOGIE.au milieu <strong>des</strong> ruines <strong>des</strong> églises, <strong>et</strong> sous le toit enchaume <strong>des</strong> habitations. Elles quittent ces r<strong>et</strong>raitesobscures au coucher <strong>du</strong> soleil, <strong>et</strong> voltigent toute la nuità la recherche de leur nourriture,qui consiste d'ordinaireen insectes <strong>et</strong> en fruits de toute espèce. Le vampire[vespertilio spectrum, Lin.) s'attaque aux volaillesendormies, au bétail,aux chevaux <strong>et</strong> aux mules abandonnésdans les pâturages : il en suce le sang; maisces blessures, presque toujours situées au cou, souventmortelles pour les animaux de basse-cour, sont rarementdangereuses pour les autres. L'homme lui-mêmen'est pas à l'abri de leurs morsures ; <strong>et</strong> le voyageur quis'endort au milieu de la savane, ou dans les galeriesouvertes Çcorredorea) qui entourent les maisons, remarqueparfois à ses extrémités , lorsque celles-ci sesont découvertes pendant son sommeil , de p<strong>et</strong>itesplaies superficielles de 2 à 3 millimètres de diamètre ,que ces phyllostomes pratiquent en incisant le réseaucapillaire de la peau, à l'aide <strong>des</strong> papilles cornées dontleur langue est pourvue. Ces blessures restent douloureusespendant plusieurs jours, mais on les abandonneà elles-mêmes, car elles n'offrent aucun danger.On ne s'inquiète pas davantage <strong>des</strong> animaux qui les ontfaites, quoique les habitants assurent que pour endormirle sentiment chez leur victime, les vampires rafraîchissent,en battant <strong>des</strong> ailes, la [jartie qu'ils veulentmordre.Dans la tribu <strong>des</strong> Carnivores, division <strong>des</strong> Carnivoresdigitigra<strong>des</strong>, le genre Chat {feJh) comprend <strong>des</strong> animauxfortement armés, sanguinaires <strong>et</strong> redoutables. A


,MAMMIFÈRES. 241leur tête, il convient de placer le Jaguar (1), ce noblereprésentant <strong>du</strong> tigre royal de l'Ancien-Continentrépan<strong>du</strong> sur une surface immense dans le Nouveau,puisqu'on le trouve depuis le Mexique jusqu'auxconfins de la Patagonie. Entre ces deux limites, dontla première n'est pas encore déterminée avec précision,conserve-t-il invariablement les mêmes caractèreszoologiques, malgré <strong>des</strong> différences notables d<strong>et</strong>empérature, résultant soit de la latitude soit de l'altitude<strong>des</strong> lieux qu'il habite ? C<strong>et</strong>te question qui vautla peine d'être étudiée ne me paraît pas résolue; <strong>et</strong>tout en tenant compte de l'influence de l'âge <strong>et</strong> <strong>du</strong>sexe, ilrègne encore dans la classification <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>sde ce genre, une obscurité que <strong>des</strong> observationspatientes <strong>et</strong> difficiles parviendront seules à dissiper. Ane citer que c<strong>et</strong> exemple ,peut-on, en dépit de l'autorité<strong>du</strong> grand nom de Cuvier, considérer le jaguarnoir comme une variété accidentelle<strong>du</strong> jaguar à livréefauve (2) ?Celui-ci abonde au <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> dans les Missions.On le rencontre fréquemment sur les bords <strong>et</strong>dans lesîles <strong>des</strong> rios <strong>Paraguay</strong>, Paranà <strong>et</strong> Uruguay. Animal solitaire<strong>et</strong> nocturne, il se tient caché tout le jour au(1) Felis onça Linn., Jaguar Buff., Felis Jaguar Laccp, Ce derniernom vient <strong>du</strong> mot Vagua qui a servi longtemps à le désigner chez lesGuaranis, <strong>et</strong> qui s'applique plus particulièrement aujourd'hui au Chienque les Européens ont transporté en Amérique. Aussi les Indiens Tappellent-ilsVagua-été ( vrai Yagua ) <strong>et</strong> par euphonie Yaguarctc. Les Espagnolsle nomment Tigre; c'est la grande Panthère <strong>des</strong> fourreurs.(2) L'illustre naturaliste dit dans sou Règne animal, p. 162,édit. iu-S":« H y a <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s noirs, dont les taches d'iin noir plus profondne se voient qu'à une certaine exposition. »16


242 ZOOLOGIE.milieu <strong>des</strong> pojonales <strong>et</strong> <strong>des</strong> bois les plus fourrés <strong>du</strong>Chaco : à la nuit, il quitte son repaire, <strong>et</strong> nageur infatigable,il traverse le fleuve pour ravir dans lesfermes [estancias) de la rive gaucbe la nourriture qu'ilne trouve qu'à grand'peine au milieu de savanes désertes.Une fois repu , il reprend le même chemin.Lorsqu'on fait par eau le voyage de l'Assomption àCorrientes, il n'est pas rare de rencontrer aux premièreslueurs <strong>du</strong> jour, quelque tigre regagnant ainsià lanage son impénétrable r<strong>et</strong>raite.A en croire les témoignages que j'aijuger par ce que j'airecueillis, à envu moi-même, <strong>et</strong> par les dépouillesnombreuses que j'ai été à même d'observer, cesanimaux féroces qui audire d'Azara (1), étaient devenusplus rares à la fin <strong>du</strong> dernier siècle par suite de lachasse active que leur faisaient les créoles ,avoir multipliéparaissentdepuis la chute de la domination espagnole.La cause de c<strong>et</strong>te augmentation ne me paraîtpas d'ailleurs difficile à trouver. Sur certains points, lapopulation a disparu décimée par la guerre civile oupar l'émigration <strong>et</strong> leur a laissé le champ libre; surd'autres, comme au <strong>Paraguay</strong>, leur multiplication a étéfavorisée par l'abondance croissante <strong>du</strong> bétail au milieude laquelle ils ont trouvé une nourriture plus facile, <strong>et</strong>(1) Essais sur l'histoire naturelle <strong>des</strong> Quadrupè<strong>des</strong> de la province <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, tra<strong>du</strong>its par Moreau-Sainl-Méry, Paris, 1801, t. I",p. 114 - 124.Go eu tuait alors deux mille par an, <strong>et</strong> chaque peau se vendait 8 fr.20c.Au <strong>Paraguay</strong> elles valent un peu plus; mais dans les villes <strong>du</strong> littoral, àBuenos- Ayres, à Montevideo, à Porto- Alègre, elles coûtent aussi cher quàParis : c'est à pou près comme les diamants <strong>du</strong> Brésil que Ton achète àRio de Janeiro.


MAMMIFÈRES. 2.V3par la prohibition <strong>des</strong> armes à feu, établie <strong>et</strong> maintenuesous les peines les plus sévères par le Dictateurdans un but évident de sécurité personnelle.Qui ne connaît la riche fourrure <strong>du</strong> jaguar ? Le jaguarne diffère <strong>du</strong> tigre qu'il égale en taille, en courage<strong>et</strong> en férocité ,que par la disposition <strong>des</strong> tachesdont sa robe est parsemée. Tous les deux ont le pelagecourt, soyeux <strong>et</strong> lustré, d'un fauve vif en <strong>des</strong>sus, d'unblanc plus ou moins pur en <strong>des</strong>sous; mais chez l'un,il est rayé transversalement de ban<strong>des</strong> noires irrégulières,tandis qu'il présente, chez l'autre, <strong>des</strong> rangéesen nombre variable d'anneaux plus ou moins compl<strong>et</strong>savec un point noir au milieu. Ces anneaux sont remplacéspar <strong>des</strong> taches demême couleur, allongées ouarrondies, qui commençant vers le milieu <strong>du</strong> dos seprolongent sur laqueue <strong>et</strong> les faces extérieure <strong>et</strong> intérieure<strong>des</strong> membres. Du reste, la forme, la grandeur <strong>et</strong>la distribution de ces taches, très-variables chez <strong>des</strong>indivi<strong>du</strong>s différents, ne sont pas chez le même animalsymétriquement disposées <strong>des</strong> deux côtés <strong>du</strong>corps. La nuance générale varie elle-même <strong>du</strong> jauneroux au blanc jaunâtre, <strong>et</strong> il est difficile de voir deuxpeaux exactement semblables. Je rappelle encore queces modifications pro<strong>du</strong>ites dans certains cas par l'âge<strong>et</strong>le sexe, constituent probablement dans d'autres <strong>des</strong>variétés de l'espèce.La taille <strong>du</strong> jaguar égale celle <strong>du</strong> tigre de l'Inde,c'est à tort que <strong>des</strong> naturalistes ont préten<strong>du</strong> le contraire.Azara a mesuré un squel<strong>et</strong>te qui n'avait pasmoins de 1,94. J'ai pris moi-même les dimensions de<strong>et</strong>


244 ZOOLOGIE.plusieurs peaux, <strong>et</strong> je les aitrouvées tantôt inférieures,tantôt supérieures à celles-ci. La plus grande d<strong>et</strong>outes était longue de 2 mètres, depuis les yeux jusqu'àl'origine de la queue, laquelle mesurait 75 centimètres;car il faut ajouter que souvent dans le but <strong>des</strong>'épargner le plus difficile de la besogne, les bommeschargés de dépouiller un jaguar, mutilent la peau enla coupant au niveau <strong>des</strong> yeux, <strong>et</strong> en r<strong>et</strong>ranchant lesextrémités <strong>des</strong> pattes.L'audace <strong>du</strong> tigre d'Amérique est extrême, <strong>et</strong> saforce prodigieuse. A tous les points d'insertion <strong>des</strong>muscles sur les os, ceux-ci présentent <strong>des</strong> crêtes ou<strong>des</strong> aspérités disposées de manière àfavoriser l'actionmusculaire. Je n'ai pas le désir de peindre , aprèsMM. Lacordaire (1 ) <strong>et</strong> Gaëtano Osculati (2), les mœursde c<strong>et</strong> hôte terrible <strong>des</strong> solitu<strong>des</strong> américaines, si soupledans ses mouvements, si gracieux dans ses poses ;<strong>et</strong> il meparaît au moins inutile, après le prince de Neuwied (3),de tenter la réhabilitation de son courage que personnene m<strong>et</strong> plus en doute.On avait exagéré la férocité <strong>des</strong>animaux <strong>du</strong> Nouveau-Monde <strong>et</strong> les dangers que présentele séjour de ses forêts ; on est bientôt tombé dansl'excès contraire.Voici en quels termes Azara parle <strong>du</strong> jaguar:« Il est impossible de l'apprivoiser , <strong>et</strong> peut-être« même est-il plus féroce que le lion ;puisque nonci)Revue <strong>des</strong> Deux Mon<strong>des</strong>, t. U, 4* série.(*i) Explorazionc dcUc rccjiom cqnnlorudi, i^r. in-8% fig. Milan, 185i.(3j Voyage au Hrésil, tra<strong>du</strong>it par Eyriès, t. II.


MAMMIFÈRES. 245« seulement il tue quelque espèce d'animal que ce soit,a mais qu'il a encore assez de force pour traîner un« cheval <strong>et</strong> un taureau tout entier, jusqu'au bois où il«t veut le dévorer ; <strong>et</strong> même il traverse, à la nage <strong>et</strong>« chargé de sa proie , une très-grande rivière comme« je l'ai vu. La manière dont il tue les animaux qu'il« mange, indique également sa force. En eff<strong>et</strong> , il« saute sur un taureau ou sur un cheval, lui m<strong>et</strong> une« patte sur le chignon, <strong>et</strong> de l'autre, saisit le museau,« <strong>et</strong> , dans un instant, il leur tord le cou. Cependant« il ne tue qu'autant qu'il a besoin de manger ; <strong>et</strong>« quand une fois son appétit est satisfait, il laisse pas-« ser toute espèce d'animaux sans les attaquer. 11« n'est pas léger à la course : il est solitaire <strong>et</strong> pèche« pendant la nuit ; mais il n'entre que dans les eaux« dormantes ou dans les lacs : il laisse tomber dans« Feau sa salive <strong>et</strong> sa bave pour attirer le poisson qu'il« j<strong>et</strong>te en dehors d'un coup de patte. Il nage supérieuarement <strong>et</strong> ne sort que de nuit. Il passe les jours« dans l'intérieur <strong>des</strong> bois , ou au milieu de gran<strong>des</strong>« touffes d'herbes qu'on trouve dans les terrains inon-« dés. Il ne craint rien, <strong>et</strong> quel que soit le nombre« d'hommes qui se présentent à lui , il s'approche, en« prend un, <strong>et</strong> commence à le manger, sans même se


246 ZOOLOGIE.« croire que cent chiens suflisent pour le ré-« <strong>du</strong>ire (1). »II dit ailleurs :« Depuis que je suis ici , les yaguarétés ont mangé« six hommes, dont deux ont été saisis au moment oùa ils se chauffaient près <strong>du</strong> feu. S'il passe, à une por-« tée de fusil d'un yaguarété, une p<strong>et</strong>ite troupe d'hom-« mes ou d'animaux, il attaque le dernier d'entre eux« en poussant un grand cri (2). »Un jaguar tombe à l'improviste au milieu d'un<strong>et</strong>roupe de chevaux ou de bœufs rassemblés dans un enclos(coral) , il en saisit un , le tue <strong>et</strong> l'emporte enfranchissant de nouveau l'enceinte palissadée haute deplusieurs mètres.L'ingénieur Van Lede (3) raconte plusieurs traitsde ce genre auxquels nous pouvons joindre celui-ci.Le gouvernement entr<strong>et</strong>ient, je l'ai dit ailleurs (4),sur les bords <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, <strong>des</strong> blockhaus <strong>des</strong>tinésà prévenir <strong>et</strong> à réprimer les incursions <strong>des</strong> Indiens<strong>du</strong> Chaco. Les soldats font <strong>des</strong> ron<strong>des</strong> sur <strong>des</strong> chevauxque l'on enferme régulièrement tous les soirsdans un coral placé près <strong>du</strong> poste, à la vue <strong>des</strong> sentinellesdont l'incessante surveillance doit les m<strong>et</strong>tre àl'abri <strong>des</strong> tentatives <strong>des</strong> Indiens <strong>et</strong> de la dent <strong>des</strong> jaguars.Une fois, je rencontrai dans les rues de l'Assomptionle commandant d'un blockhaus où je ve-(1) Voyages, t. I, p. 259.(2) Essais, t. I,p. 123.{'i) De la Colonisation au Brésil, p. 158.(4) Hydrographie <strong>et</strong> navigation fluviale.


MAMMIFÈRES.2i7nais de passer quelques jours; il m'apprit que le lendemainde mon départ un tigre avait enlevé un cheval<strong>du</strong> coral, <strong>et</strong> qu'il venait rendre compte de c<strong>et</strong> événementau président de la République.Ilne faudrait pas tirer de la démarche <strong>du</strong> fonctionnairec<strong>et</strong>te conséquence que l'événement était choseextraordinaire <strong>et</strong> tout à fait anormale, mais en conclureque le gouvernement de ce singulier pays ne dédaignepas d'abaisser ses regards sur <strong>des</strong> détails d'une importanceplus que médiocre.Le tigre fait de larges brèches dans les troupeaux<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ; aussi élève-t-on dans les estancias ungrand nombre de chiens de forte race, qui donnentl'éveil, signalent l'approche de l'ennemi, <strong>et</strong> servent à lepoursuivre. Ces courageux animaux, nourrisexclusivementde viande crue, ne sont pas eux-mêmes tout àfait sans danger pour le voyageur qui comprend à leurvue le rôle que jouaient les limiers de la Grande-Br<strong>et</strong>agnedans les guerres <strong>des</strong> Gaules, au rapport de Strabon,<strong>et</strong> le cruel usage qu'en ont fait à une époque plusrécente lesconquérants <strong>du</strong> Nouveau-Monde pour traquerjusqu'au sein <strong>des</strong> forêts lesmalheureux Indiens, oupour atteindre les esclaves fugitifs. C'est dans les fermespubliques [del Estado), que j'ai vu les plus beaux <strong>et</strong> lesmieux exercés à c<strong>et</strong>te chasse dangereuse. Lorsqu'un tigrea commis quelque dégât, les chefs <strong>des</strong> exploitationsvoisines se rassemblent, battent les bois les plus épais,kshalliers les plus fourrés; puis, lorsqu'ils ont trouvésa piste, ils lâchent les chiens qui souvent l'obligent àmonter à un arbre où il est facile au plus hardi chas-


248 ZOOLOGIE.seur de la troupe de l'abattre. Presque toujours le tireurs'avance flanqué à droite <strong>et</strong> à gauche de plusieurshommes armés de lances qui ledéfendent <strong>des</strong> griffes<strong>du</strong> tigre, si son arme n'a pas porté coup. Mais malheurau chasseur si la terrible bête est blessée ou si les lancierslâchent pied à l'instant critique. Les chiens lesplus robustes qu'il abat d'un seul coup de griffe sontimpuissants à le sauver. Le jaguar<strong>et</strong>é ne fond pas surlui d'un seul bond; il <strong>des</strong>cend de l'arbre lentement, àla manière <strong>des</strong> chats, se redresse à quelques pas <strong>et</strong>cherche à l'aide de ses griffes à saisir sa tète <strong>et</strong> à la dévorer.C'est à ce moment de suprême danger, que certainshommes de l'Amérique centrale ne craignent pasd'engager dans sa gueuleleur bras gauche enveloppéd'une peau de mouton ou de leur poncho, <strong>et</strong>le frappenten même temps à la gorge <strong>du</strong> couteau acéré queleur main droite a lestement arraché de sa gaine. Lorsqu'ila goûté une fois de la chair humaine, lorsqu'ilest cevado, comme on dit, le tigre de même que le lion,cherche l'homme; il le chasse, parce qu'il le préfère àtout. Contre un ennemi aussi redoutable il se fait un©levée en masse, un tollé général, <strong>et</strong> on lepoursuit jusqu'àce qu'il tombe sous les coups d'un chasseur intrépide,dont votre guide ne manque pas de vous raconterles exploits merveilleux à la halte <strong>du</strong> soir, à lalueur vacillante<strong>du</strong> foyer.Dans les pampas de Buenos -Ayres on chasse lejaguar à cheval avec les hola$ ou le lam, <strong>et</strong> sur tousles points on lui tend <strong>des</strong> pièges. Voici celui que j'aivu réussir le plus souvent dans les posles voisins <strong>du</strong>


MAMMIFÈRES. 24.9Rio-<strong>Paraguay</strong> , dont je parlais tout à l'iieure. On construitau pied d'un gros arbre à l'aide de pieux solidementfichés, un p<strong>et</strong>it enclos de quelques mètrescarrés au milieu <strong>du</strong>quel on place une proie vivante ouun morceau de viande. On ménage dans un <strong>des</strong> côtésde l'enclos une ouverture assez large pour que l<strong>et</strong>igrepuisse y passer. Une corde faite de fils de caraguataou d'écorce, <strong>et</strong> terminée par un nœud coulant, r<strong>et</strong>ientsuspen<strong>du</strong>e à son autre extrémité une forte piècede bois. C<strong>et</strong>te corde a été passée sur la plus grossebranche de l'arbre. L'animal, en avançant la tête pours'emparer de l'appât, touche la détente qui r<strong>et</strong>enait lenœud ouvert ; le contre-poids devenu libre agit aussitôt,<strong>et</strong> l'animal meurt étranglé. Ce moyen perm<strong>et</strong> d'obtenirles peaux les plus belles, car elles n'offrent niles traces répétées <strong>des</strong> balles, ni les larges déchiruresde la lance ou <strong>du</strong> couteau.VYaguar<strong>et</strong>é noir, qui paraît être une variété <strong>du</strong> précédent,très-rare au <strong>Paraguay</strong> (1), se rencontre assezfréquemment au Brésil , dans les provinces de Sainte-Catherine <strong>et</strong> de Rio -Grande, au milieu <strong>des</strong> forêtsvierges qui couvrent le versant occidental de la Serrado Mar, ou qui avoisinent les Missions <strong>du</strong> Haut-Uruguay.La peau de dimensions moindres que celle <strong>du</strong>jaguar fauve (j'en ai mesuré une à Porto -Alègre quiavait i°^,6o sans la queue), est d'un brun tirant sur lenoir, passant au roux vers les extrémités. En la plaçantentre l'œil <strong>et</strong> la lumière, on aperçoit distinctement sur(l) « Dans CCS quarante dernières années, ou n'en a pris que deux à laçôtc supérieure de la rivière Paranà. » Azaua, Essais, t. I, p. ItO.


250 ZOOLOGIE.lefond <strong>des</strong> taches annulaires d'un noir plus foncé, quipar leur disposition <strong>et</strong> leur grandeur rappellent exactementcellesde la grande panthère.Le Couguar (Buff.), au pelage fauve <strong>et</strong> d'une teinteuniforme, assez improprement appelé lion d'Amérique(1), n'abonde pas au <strong>Paraguay</strong> où les créolesl'ont presque entièrement détruit, sans doute, commele croit Azara, parce qu'il est moins redoutable quel'yaguar<strong>et</strong>é. Je l'ai rencontré dans la cordillère de Villa-Rica, où il parvient souvent à se soustraire à la poursuite<strong>des</strong> chiens <strong>et</strong> aux coups <strong>des</strong> chasseurs, par savélocité beaucoup plus grande que celle <strong>du</strong> tigre.Le Chibi-gvazû ou Mbaracaya-guazu (2) (Ocelot deBuff.), est un animal nocturne , à la robe largementtach<strong>et</strong>ée de noir, très-commun au <strong>Paraguay</strong>, où il semontre aussi redoutable aux oiseaux de basse-cour quelerenard en Europe.VAgmra-guazû, ou grand Agkara <strong>des</strong> Guaranis,se cache dans les pajonales <strong>et</strong> les esteras , où il fait saproie <strong>des</strong> crustacés <strong>et</strong> <strong>des</strong> p<strong>et</strong>its quadrupè<strong>des</strong>. Il a lecorps d'un chien de la plus forte taille, <strong>et</strong> la plupartde ses caractères, mais il est beaucoup plus haut surpattes. Aussi agile que le loup , il trouve encore dansla longueur démesurée de ses membres, une dispositionqui aide à la vitesse de sa course au milieu<strong>des</strong> hautes herbes dans lesquelles s'embarrassent leschevaux <strong>des</strong> chasseurs qui le poursuivent. Mais c<strong>et</strong>teextrême agilité ne le m<strong>et</strong> pas à l'abri de l'atteinte <strong>des</strong>(1) r.uazuara, Yagua-pyta ( Ya^ua roux) <strong>des</strong> Guaranis.^2) Grand chat.


,MAMMIFÈRES. 251bolas lancées par les Indiens avec une incroyableadresse. C'est au moment où rAgùara-guazù bonditau-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> touffes, que l'Indien lâche l'arme qu'ila fait jusque-là tournoyer au-<strong>des</strong>sus de sa tête, en excitantde la voix sa monture dont il semble doubler lesforces <strong>et</strong> la vitesse. J'ai été témoin de ce curieux spectacle,<strong>et</strong> j'ai pu constater après Noseda la présencede plusieurs entozoaires dans les reins de l'agùara (1).C<strong>et</strong>te altération pathologique , habituelle , au dire<strong>des</strong> soldats métis quim'accompagnaient, a donné lieuà la croyance populaire que le corps de l'agùararenferme <strong>des</strong> vipères. L'indivi<strong>du</strong> que nous tuâmesétait un mâle a<strong>du</strong>lte, <strong>et</strong> son rein gauche ouvert aveaprécaution, contenait deux vers longs de 36 <strong>et</strong> de43 centimètres. Leur grosseur égalait celle d'uneplume d'oie; leur couleur était rouge-brique , <strong>et</strong> la cavitéqui les renfermait, creusée aux dépens de la substancecorticale <strong>du</strong> viscère, était tapissée par une membranefibreuse, mince <strong>et</strong> peu résistante (2). L'ensemblede ces caractères me porte à regarder ces helminthescomme analogues aux strongles (strongijlus) que l'ontrouve dans les reins de l'homme, <strong>et</strong> beaucoup plusfréquemment dans ceux <strong>du</strong> cheval, de lamartre <strong>et</strong> <strong>du</strong>chat. Peut-être constituent-ilsune variété <strong>du</strong> slronglegéant (strongylus gigas). Comment expliquer la for-(1) ÂziRA, Voyages^ t. I, p. 297. Dans le cas dont il s'agit, les fersau nombre de six nageaient au sein d'une sérosité sanguinolente renferméedans une poche : le plus grand mesurait 40 centimètres.(2) Ces précieux obj<strong>et</strong>s d'histoire naturelle, conservés dans l'alcool,n'ont pas été rapportés en France. Us sont restés avec beaucoup d'autresau fond de la rade de Montevideo.


252 ZOOLOGIE.mation de ces êtres, ou leur présence (si Ton rej<strong>et</strong>tel'idée de leur génération spontanée), au milieu de lasubstance <strong>des</strong> organes sécréteurs de l'urine ? C<strong>et</strong>tequestion, liée aux plus hautes considérations de physiologiegénérale, attend encore sa solution, mêmeaprès les savantes dissertations de Bremser <strong>et</strong>de Rudolphi(l).Dans l'ordre <strong>des</strong> Rongeurs, les Agoutis (Chloromys),les Paccas (Cœlogenys), les Cabiais [Hydrochœms, Capimras<strong>des</strong> Espagnols), les Apéréas (Cavioi), se rencontrenten foule dans les bois , ou sur les bords <strong>des</strong>rivières <strong>et</strong> <strong>des</strong> lagunes. Tous cesanimaux fournissentun gibier passable <strong>et</strong> fort apprécié surtout <strong>des</strong> Indiens.Les Tatous (Dasypidés,0. <strong>des</strong> Édentés ordinaires),mammifères étranges <strong>et</strong> fouisseurs ,protégés par unearmure écailleuse composée de pièces nombreuses <strong>et</strong>inégales, sont communs au <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> dans les Missions.Certaines espèces propres à c<strong>et</strong>te région (2),tandis que d'autres habitent exclusivement <strong>des</strong> contréesplus méridionales, fournissent un excellent manger. Onles fait rôtir dans leur carapace, <strong>et</strong> l'on fabrique avecle bouclier principal de leur armure , <strong>des</strong> guitares <strong>et</strong><strong>des</strong> violons, en complétant l'instrument à l'aide d'unmanche <strong>et</strong> d'une table d'harmonie.Les Fourmiliers ÇMijrmecophaga) ,quoique voisins[i) BuEMSER, Traite <strong>des</strong> vers intfsliHaiw de l'homme; — Rldolphi,Enlozoa seu vcrmium intcslinalium Ilisloria naturalis.(2) Tel paraît être le Tatou gcaut conliiif aujourd hui daus lis forèl><strong>du</strong> nord où s* rocolle le Maté. Ou rej<strong>et</strong>te sa chair parce qui! passe pourdovorcr les cadavres dans les cim<strong>et</strong>ières.


MAMMIF^>RES. 253(les Tatous dans les classifications zoologiques ,ont unaspect tout différent. Leur museau, effilé comme untube, sert de réceptacle à une langue filiforme, extrêmementlongue <strong>et</strong> visqueuse, à l'aide de laquelle ilss'emparent <strong>des</strong> fourmis dont ils font leur nourriture.Ils rendent ainsi de vrais services en détruisant uneénorme quantité de ces insectes si multipliés <strong>et</strong> si incommo<strong>des</strong>(1).Parmi les Ruminants à cornes ca<strong>du</strong>ques, les Cerfs(Cervus) dont quelques espèces habitent les esteros, lescollines boisées ou lesplaines on<strong>du</strong>lées, ont une chairtrès-estimée,mais qui ne vaut pas cependant celle <strong>du</strong>chevreuil de l'Ancien-Continent.Le Tapir ou Mborebi^ le plus gros mammifère del'Amérique <strong>du</strong> Sud, très-multiplié au Brésil, en Bolivie<strong>et</strong> dans le Chaco, n'abonde pas au <strong>Paraguay</strong>; <strong>du</strong> côté<strong>du</strong> S. ilne paraît pas dépasser la rivière de la Plata. Sachair est un aliment médiocre , mais sa peau , épaisse(1) Les naturalistes en connaissent trois espèces; deux existent au <strong>Paraguay</strong>.La plus remarquable est le Tamanoir, nommé nouroumi (p<strong>et</strong>itebouche) par les Guaranis, <strong>et</strong> Taman<strong>du</strong>a-bandeira par les Brésiliens. Cedernier nom qui signifie drapeau, étendard, lui vient de sa large queuegarnie de longs poils sur les côtés qu'il relève en marchant. Sa fourrureest très-belle; elle est noire sur le dos <strong>et</strong> les épaules, <strong>et</strong> rappelle par sacouleur celle <strong>du</strong> sanglier d'Europe : la S'^ espèce, plus p<strong>et</strong>ite {Myrmecophagadidactyla Lin.), est originaire de la Guyane.J'ai eu en ma possession une cravache faite avec la langue <strong>des</strong>séchée <strong>du</strong>Fourmilier-Tamanoir {Myrmecophaga juhata). On avait intro<strong>du</strong>it dansla partie la plus charnue, un morceau de fer long de quelques pouces pourservir de manche. C<strong>et</strong>te partie seule résista à la dent <strong>des</strong> insectes; le restefut bientôtdévoré.Azara dit avec raison ( Essais^ t. I, p. 92), que le nouroumi est un assemblagede disparates. Le Magasin pilloresque (1844) , a donné sur sesmœurs <strong>et</strong> ses habitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> détails intéressants. Voy. aussi d'Orbkiny,Voyage y t. I, p. 262.


254 ZOOLOfrlE. — MAMMIFÈRES.<strong>et</strong> résistante, est utilement employée dans l'économiedomestique (1).Parmi les Pachydermes ordinaires , il faut citer encoreles Pécaris qui vivent en troupes nombreuses dansles forêts, <strong>et</strong> dont la chair m'a paru supérieure à cellede notre sanglier dont ils sont les représentants dansle Nouveau-Monde.Enfin, la famille <strong>des</strong>Didelphidés qui comprend tousles Marsupiaux américains, est représentée dans lafaune par les genres Sarigue <strong>et</strong> Micouré.(1) Tapir americanus, Linn.; Anla <strong>des</strong> Brésiliens , Grande bestia <strong>des</strong>créoles; Fain. <strong>des</strong> Pachydermes ordinaires. La Société zoologique d'acclimatationa reçu de Tud de ses membres un envoi de Tapirs , <strong>et</strong> tentel'intro<strong>du</strong>ction de c<strong>et</strong> animal en France.


CHAPITRE XXI.ZOOLOGIE (suite ).— DES OISEAUX.ffL' . noyées,La classe <strong>des</strong> Oiseaux est innombrable, <strong>et</strong> les plusmagnifiques espèces, au plumage éclatant, aux couleursvariées <strong>et</strong> chatoyantes, se rencontrent à chaque pasdans les bois, dans les halliers, au milieu <strong>des</strong> plainesdécouvertes, sur les rives <strong>des</strong> fleuves <strong>et</strong> <strong>des</strong> savanesou près <strong>des</strong> habitations. Au seizième siècle,un vieux Missionnaire, Claude d'Abbeville, disait enparlant <strong>des</strong> poissons <strong>du</strong> Brésil « qu'il n'était pas plus« possible d'en particulariser toutes les espèces, non« plus que de dénombrer les étoiles <strong>du</strong> ciel. » C<strong>et</strong>t<strong>et</strong>âche, tout aussi difficile à remplir pour les oiseaux <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, n'a pas effrayé le naturaliste éminent dontl'Espagne s'enorgueillit à juste titre, <strong>et</strong> je renvoie le


,256 ZOOLOGIE.lecteur à ses <strong>des</strong>criptions si exactes, à ses ingénieusesobservations (1) ,en me contentant de signaler ici lesindivi<strong>du</strong>s les plus remarquables sous le rapport <strong>des</strong>caractères <strong>physique</strong>s, ou <strong>des</strong> qualités alimentaires.Dans l'ordre <strong>des</strong> Rapaces , le roi <strong>des</strong> Vautours(Buff.) tient le premier rang par la beauté incomparablede sa livrée qui ne devient définitive qu'à l'âge dequatre ans. Azara donne le 32® degré de latitude commela limite géographique S. de V Iriburuhicha (2),mais jesuis porté à croire qu'il ne se rencontre sous ce parallèlequ'exceptionnellement* Ces oiseaux magnifiqueschassés par les habitants qui deviennent de jour en jourplus nombreux, disparaissent peu à peu, comme disparaitdans la province de Saint-Paul, le Guara aux ailesde pourpre, le plus bel ornement <strong>des</strong> forêts brésiliennes.Au <strong>Paraguay</strong> même, ilfaut s'avancer dans l'intérieurjusque vers la cordillère de Yilla-Rica ,ou surles confins de la Sierra de Maracayù, pour trouver <strong>des</strong>troupes un peu nombreuses de ce vautour, qui doit sounom au diadème formé par les caroncules rouges quisurmontent sa tête, à la supériorité de sa taille <strong>et</strong> à saforcequi le font respecter <strong>des</strong> autres.Voici la <strong>des</strong>cription qu'en fait Azara : « Entre lesouvertures <strong>des</strong> narines s'élève une espèce de crête quine s'allonge ni ne se r<strong>et</strong>ire, <strong>et</strong> qui tombe indifteremmentd'un côté ou de l'autre; elle est d'une substance(1) Azara, Voyages dans l Amérique Méridionale, t. III <strong>et</strong>IV.(2j Ou roi <strong>des</strong> Jribus. C'est aiusi que le désignent les Indiens Guaranis :les créoles <strong>du</strong> Taiaguay l'appellent Corbeau blanc. C'est le Viillur papade Linn., le roi <strong>des</strong> Couroumous de Cayenne, <strong>et</strong> Vl'ruhu-reij <strong>des</strong> Brésiliens.


DES OISEAUX. 257molle, <strong>et</strong> son extrémité est formée d'un groupe trèsremarquablede verrues. Sur la tête est une couronnede peau nue <strong>et</strong> rouge de sang. Une bandel<strong>et</strong>te de poilsnoirs très-courts va d'un œil à l'autre par l'occiput.Au-<strong>des</strong>sous de la partie nue <strong>du</strong> cou est une espèce defraise très-jolie, dont les plumes sont dirigées les unesen avant, <strong>et</strong> les autres en arrière ;elle est assez amplepour que l'oiseau puisse, en se resserrant, y cacher soncou <strong>et</strong> partie de sa tête. Derrière l'œil sont de grossesri<strong>des</strong> qui vont se joindre sur l'occiput à une bandecharnue, saillante <strong>et</strong> orangée, qui de là <strong>des</strong>cend jusqu'aucollier.« Couleurs, Pennes <strong>et</strong> gran<strong>des</strong> couvertures supérieures<strong>des</strong> ailes, queue, trait sur le dos, bec jusqu'à la membrane<strong>et</strong> torse, noirs; membrane <strong>et</strong> crête charnue <strong>du</strong>bec, orangées; peau nue à la base <strong>du</strong> bec, pourprée ;bords <strong>des</strong> paupières, d'un rouge vif. Les teintes lesplus agréables colorent la partie nue <strong>du</strong> cou : c'est del'incarnat sur les côtés, <strong>du</strong> pourpre au-<strong>des</strong>sous de latête, <strong>du</strong> jaune en devant, <strong>et</strong> <strong>du</strong> viol<strong>et</strong> noirâtre près dela bande <strong>et</strong> <strong>des</strong> ri<strong>des</strong> de l'occiput. Tout le reste, sansen excepter l'iris de l'œil, est blanc. Quelques indivi<strong>du</strong>s,que je soupçonne <strong>des</strong> mâles, ont une faible teintede rouge sur le blanc.<strong>du</strong> cou <strong>et</strong> de la partiesupérieure<strong>du</strong> dos.« C<strong>et</strong>te <strong>des</strong>cription convient à l'oiseau a<strong>du</strong>lte ou dequatre ans accomplis. A trois ans, il ne présente d'autresdifférences que d'avoir quelques couvertures supérieures<strong>des</strong> ailes noires au milieu <strong>des</strong> blanches. A deuxans, il a la tête entière <strong>et</strong> la partie nue <strong>du</strong> cou d'un17


258 ZOOLOGIE.noir tirant sur le viol<strong>et</strong>, avec un peu de jaune au cou ;sur toutes les parties supérieures, une teinte noirâtrequi règne aussi sur les inférieures, avec <strong>des</strong> taches longues<strong>et</strong> blanches ; la crête noire ne tombant d*aucuncôté, <strong>et</strong> n'ayant son extrémité partagée qu'en trois protubérancesfort p<strong>et</strong>ites. Dans sa première année, il estpartout d'un bleuâtre foncé,à l'exception <strong>du</strong> ventre <strong>et</strong><strong>des</strong> côtés <strong>du</strong> croupion qui sont blancs. En soulevant lesplumes sous le corps, on en voit aussi de blanches. L<strong>et</strong>arse est verdâtre, la mandibule supérieure <strong>du</strong> bec d'unnoir rougeâtre, l'inférieure d'un orangé mêlé de noirâtre,avec <strong>des</strong> taches longues <strong>et</strong> noires ; la partie nuede la tête <strong>et</strong> <strong>du</strong> cou, noire, <strong>et</strong> l'iris noirâtre de mêmeque la crête, laquelle ne consiste,excroissance charnue <strong>et</strong> solide (1). »à c<strong>et</strong> âge, qu'en uneL'Iriburubicha se laisse difficilement approcher lorsqu'ilest à terre, ou perché sur un arbre isolé, mais ilest aisé de le prendre au piège. Dans les environs deVilla-Rica où, je le disais tout à l'heure, c<strong>et</strong> oiseau estassez commun, on suspend aux branches d'un arbreélevé une cage renfermant pour appât les débris dequelque animal, bientôt putréfiés sous ce climat brûlant.Attirés par l'odeur infecte qui se dégage de c<strong>et</strong>teproie, les vautours accourent en foule, <strong>et</strong> se précipitentdans la cage dont la porte se referme sur eux.Le choix de l'appât n'est pas indifférent, <strong>et</strong> j'ai vules vieux chasseurs donner la préférence à la chair <strong>du</strong>(1) Voyages dans VAmérique méridionale, t. Ill, p. 18-20. Voy. aussil'éditiou <strong>des</strong> OEuvres complètes de nuffon revue par Sonuiui.m


DES OISEAUX. 259chien, dont ririburiibicha se montre très-friand (1).D'autres vautours, VIribu <strong>et</strong> llribu-acabiray (2);<strong>et</strong> parmi les oiseaux de proie diurnes les Caracaran,plusieurs espèces de Buses (Tagiiato <strong>des</strong> Guar.), serencontrent en nombreuses volées dans le voisinage <strong>des</strong>villes ou <strong>des</strong> habitations éparses dont ils assurent lasalubrité, en dévorant les immondices <strong>et</strong> les débris <strong>des</strong>animaux que Ton abandonne sur le sol sans penser àles enfouir (3). On les laisse vivre en paix, parce qu'ilsrendent les mêmes services que la poule de Pharaon[Percnoptère], obj<strong>et</strong> de vénération en Egypte, où elleempêche la viciation de l'air en faisant sa proie <strong>des</strong> matièresanimales en putréfaction. Des Aigles, <strong>des</strong> Eperviers<strong>et</strong> <strong>des</strong> Faucons poursuivent leur proie dans l'air,ou repliant les ailes, tombent avec la rapidité de lai^l) Là dépouille de ce vautour, répan<strong>du</strong>e dans toutes les collectionsd'<strong>Histoire</strong> naturelle, conserve après de longues années de préparation uneodeur de viande corrompue que ses habitu<strong>des</strong> expliquent de reste. J'ignoresi le Jardin <strong>des</strong> Plantes a jamais possédé c<strong>et</strong>te espèce à l'état vivant, maisj'en ai vu daus le zoological Garden de Londres , en 1851, quatreindivi<strong>du</strong>s de la plus belle apparence. C'était un don de M. Gore Ouseley,ancien ministre plénipotentiaire de |S. M. B. dans la Plata, <strong>et</strong> j'ai lieu decroire qu'ils venaient <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.(2; Ces deui espèces ont été confon<strong>du</strong>es sous le nom de Vullur aurapar Lin. <strong>et</strong> Loth. A la Jamaïque, les Anglais désignent la seconde sous lenom de Carrion-crow, Corneille <strong>des</strong> charognes.(3) Daus la République Argentine, les habitants n'enterrent jamais lesdébris <strong>des</strong> animaux qu'ils abattent eu plein air, à la porte même <strong>des</strong> villesdont les rues sont souvent pavées de leurs os. L'odeur infecte qui se répandincessamment dans l'air, pro<strong>du</strong>irait les plus pernicieux eff<strong>et</strong>s sur lasanté publique, sans l'extrême salubrité d'un pays qui a pu mériter à sonantique capitale le nom significatif de Buenos- Ayres. Qu'on juge maintenantde l'intensité <strong>des</strong> miasmes putri<strong>des</strong> qui s'élèvent sous l'empirede la même insouciance, autour <strong>des</strong> établissements {saladeros ) où l'ontue journellement jusqu'à mille têtes de bétail ! C'est à douter que la viesoit possible dans une atmosphère aussi empestée.


260 ZOOLOGIE.foudre sur les p<strong>et</strong>its mammifères <strong>et</strong> les reptiles que leurvue perçante découvre au milieu <strong>des</strong> herbes où ils s<strong>et</strong>iennent cachés.Dans l'ordre <strong>des</strong> Grimpeurs, on ne se lasse pas d'admirerles Toucans (i )au bec difforme, dont la gorge éclatantequi servait de parure aux chefs <strong>des</strong> Tupinambasdans les circonstances solennelles, ne parut pas aupremier empereur <strong>du</strong> Brésil indigne d'orner son manteaude pourpre, sur lequel elle remplaçait l'herminemarque distinctive <strong>des</strong> souverains de l'Europe (2) ; lesnombreuses volées de Perruches ; les Perroqu<strong>et</strong>s auxcris aigus <strong>et</strong> perçants, au vol élevé <strong>et</strong> rapide, que l'onvoit traverser le Rio-<strong>Paraguay</strong> vers le coucher <strong>du</strong> soleil,pour venir s'abriter dans les plantations d'orangers<strong>et</strong> de goyaviers de la rive gauche <strong>du</strong> fleuve, en compagnie<strong>des</strong> Troupiales <strong>et</strong> <strong>des</strong> Pies aux ailes bleues. LesAras (3) se tiennent sur les palmiers dont ils recherchentavidement les fruits ; l'Ara rouge aux ailes d'azur, dontles longues plumes sont avec raison préférées à toutes lesautres pour écrire ; l'Ara bleu à tête verte , aux ailes dela plus belle couleur d'or. Enfin, l'on entend dans lesforêts humi<strong>des</strong> les coups répétés <strong>des</strong> Pics huppés ouCharpentiers, dont la tête surmontée d'une aigr<strong>et</strong>te(1) Tucà <strong>des</strong> Guaranis, Tocano <strong>des</strong> Brésiliens.(2) Brésil, p. 76, collection de VL'yiivers pittoresque. M. F. Denis citece fait d'après le docteur Walsh, auteur <strong>des</strong> yolices of BrazU. Nousajouterons que la dépouille <strong>des</strong> Toucans servait, il y a un siècle, à parerles robes <strong>des</strong> dames, comme les oiseaux de Paradis servent encore denos jours à orner leur coiffure.(3) Araracas <strong>des</strong> Guar., Guacamayos <strong>des</strong> Créoles : trois espècessont décrites par Azara sous le nom collectif de Guacamayos rouge, canindé<strong>et</strong> bleu.


DES OISEAUX. 261rouge composée de plumes droites <strong>et</strong> soyeuses, a la figured'une flamme (1).L'ordre <strong>des</strong> Gallinacés compte de nombreuses familles<strong>et</strong> <strong>des</strong> espèces variées. La famille <strong>des</strong> Pigeons y estlargement représentée ,quoique aucune espèce ne soitcomparable pour le nombre au Columba migratoria,qui forme dans l'Amérique <strong>du</strong> Nord ces colonnes immenses,ces nuages ailés <strong>et</strong> vivants sous lesquels lalumière<strong>du</strong> soleil disparaît, obscurcie comme dans uneéclipse (2).Les Yacus (Jacous) ,que les créoles appellent Pavosde monte (dindons <strong>des</strong> forêts), sans doute à cause del'excellence de leur chair, s'éloignent de ces oiseauxpar une foule de caractères. Mais ils se rapprochentdavantage <strong>des</strong> Faisans {Phasianus), <strong>et</strong> ils mériteraienttout autant qu'eux d'être ré<strong>du</strong>its en domesticité. Au<strong>Paraguay</strong>, on les élève facilement en les nourrissantcomme <strong>des</strong> poules, <strong>et</strong> leur acclimatation en Europeme paraît à tous égards digne d'être tentée.Le gramen odorant <strong>des</strong> campagnes sert de r<strong>et</strong>raiteaux Ynamhus ou Perdrix ,qui tiennent à la fois de cesdernières <strong>et</strong><strong>des</strong> cailles. Elles sont très-communes, ontle vol bas, court <strong>et</strong> bruyant, <strong>et</strong> se fatiguent promptement.On les poursuit à cheval pour les tuer à coupsde cravache, ou les prendre à la main. C'est un gibier(1) Au Brésil, Ferrador, Araponga {Cosmerynches nudicollis).(2) Cooper a raconté — personne ne l'ignore — ces apparitions surprenantesde nuées de pigeons, <strong>et</strong> Teffroyable massacre que font les habitantsde leurs ban<strong>des</strong> voyageuses. D'éminents naturalistes, Wilson<strong>et</strong>Au<strong>du</strong>bon,ont confirmé les récits de l'auteur de la Prairie^ qui out le doublemérite d'être intéressants <strong>et</strong> d'être vrais.


262 ZOOLOGIE.estimé , dont la chair plus blanche que celle de nosPerdrix rouges m'a paru un peu fade ,quoique pourle voyageur affamé elle fasse une diversion agréable àl'éternel rôti {asado) de viande boucanée (1).C'est encore au milieu <strong>des</strong> plaines découvertes, quel'Autruche d'Amérique (2) erre en troupes nombreuses<strong>et</strong> difficiles à surprendre. Si c<strong>et</strong> oiseau est moins communau <strong>Paraguay</strong> que dans les Pampas, est-ce, commele pense Azara, parce que c<strong>et</strong>te contrée est plus anciennementpeuplée que les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata? Neserait-ce pas parce que la disposition <strong>du</strong> terrain luiconvient moins? L'autruche habite les campagnes <strong>et</strong>n'entre jamais dans les bois. Au <strong>Paraguay</strong> on ne larencontre que dans la région <strong>du</strong> midi, là où les plainessuccèdent aux forêts; mais elle ne disparait que vers ledétroit de Magellan. Sur c<strong>et</strong>te surface immense, on détruitun nombre incalculable de nandùs , en ramassantles œufs que l'oiseau dépose au milieu <strong>des</strong> champssans chercher à les cacher. Il n'est pas rare d'en trouverdans le même nid jusqu'à soixante qui sont le pro<strong>du</strong>itde la ponte de plusieurs femelles. On suppose(1) Ces détails s'appliquent surtout à l'espèce que les ludiens appellentYnambu-mi, <strong>et</strong> par contraction Ynambu-i p<strong>et</strong>ite perdrix) <strong>et</strong> lesEspagnols Caille. VYnamhu-guazù ou grande perdrir est moins commune.Je ne l'ai trouvée en abondance que dans les pâturages épais <strong>du</strong>Grand-Cbaco. Celles que Ton vend à Buenos-Ayres viennent <strong>des</strong> Pampas<strong>du</strong> sud, car sur tous les points elles ont disparu <strong>du</strong> voisinage <strong>des</strong> lieuxhabités.(2) ISandù <strong>des</strong> Guar., Aveslrus <strong>des</strong> créoles , Emaoiseau appartient à l'ordre<strong>des</strong> Brésiliens. C<strong>et</strong>dos Echassicrs, Fam. <strong>des</strong> Brevipcnues, genreAutruche. Il diffère par <strong>des</strong> proportions beaucoup moindres <strong>et</strong> par lexistencede trois doigts à chaque pied, de l'autruche d'Afrique qui n'en a quedeux.


DES OISEAUX. 263qu'un seul de ces œufs, très-estimés partout, représentedouze œufs de poule : ce calcul ré<strong>du</strong>it de moitiéme paraîtrait plus exact. On chasse les oiseaux a<strong>du</strong>ltesà cheval avec les bolas. En eff<strong>et</strong>, s'ils ne peuvent pasvoler, ils sont en revanche très-vites à la course, <strong>et</strong> ilfaut d'excellents chevaux pour les pouvoir atteindre.Les chasseurs réunis en grand nombre manœuvrentde façon à les envelopper, <strong>et</strong> à prévenir les voltes <strong>et</strong> lescroch<strong>et</strong>s que l'autruche exécute avec prestesse, en ouvrantune de ses ailes suivant la direction qu'elle veutsuivre. Dans les villes <strong>du</strong> Rio de la Plata comme enAfrique, on fabrique avec ses œufs différents obj<strong>et</strong>s, <strong>des</strong>vases, <strong>des</strong> coupes, que Ton couvre de sculptures. Onteint les plumes <strong>et</strong> l'on en fait <strong>des</strong> houssoirs. Le commerceen expédie une certaine quantité aux États-Unis,en Europe, en France surtout; <strong>et</strong>quoiqu'elles n'aientpas la valeur <strong>des</strong> plumes de provenance africaine,elles figurent néanmoins dans les tableaux de nosimportations annuelles ,pour <strong>des</strong> sommes assezfortes (1). Au <strong>Paraguay</strong> elles ne servent qu'à l'ornementation<strong>du</strong> harnachement <strong>des</strong> chevaux. On découpedoiîc en lanières étroites le dos <strong>des</strong> plumes préalablementteintes de couleurs vives, <strong>et</strong> on les tresse à l'extrémité<strong>et</strong> aux attaches <strong>des</strong> rênes <strong>et</strong> <strong>des</strong> manches defou<strong>et</strong>s. Ces couleurs sont très-<strong>du</strong>rables <strong>et</strong> font le pluscharmant eff<strong>et</strong>. Sur tous les points, on mange la chair<strong>des</strong> nandùs lorsqu'ils sont jeunes; mais à l'exceplioii(1) En 1849, Buenos-Ayres a exporté 116 balles <strong>et</strong> 17 arrobes de plumesd'une valeur totale de 139,880 fr.; eu 185i, la France eu a reçu pour221,000 fr.; <strong>et</strong> en 1855, pour 302,000 fr.


264 ZOOLOGIE.de la masse musculaire épaisse qui recouvre le sternumde l'oiseau, c<strong>et</strong>te chair sèche <strong>et</strong> odorante constitue un<strong>et</strong>riste ressource.Les hords fangeux <strong>et</strong> solitaires <strong>des</strong> fleuves, <strong>des</strong> ruisseaux<strong>et</strong> <strong>des</strong> lagunes, sont peuplés degran<strong>des</strong> espècesaquatiques <strong>et</strong> de c<strong>et</strong>te multitude d'oiseaux décritspar Azara sous le nom de p<strong>et</strong>its oiseaux de rivages,La Spatule (guira-pyta) au plumage blanc, légèrementteinté de rose; <strong>des</strong> Hérons de toutes les tailles, lesuns à la robe blanche sans tache , les autres marbrésde couleurs obscures, j<strong>et</strong>tent quelque vie aumilieu <strong>des</strong> ces solitu<strong>des</strong> si rarement troublées parl'explosion <strong>du</strong> fusil. C'est surtout dans les Missions quele Héron flûte <strong>du</strong> soleil, à la livrée blanche nuancéede jaune <strong>et</strong> de bleu, fait entendre dès l'aurore le sifflementdoux <strong>et</strong> mélancolique semblable à <strong>des</strong> notesdétachées d'une flûte, qui lui a valu le nom poétiquesous lequel les Guaranis le désignent (1).Au milieu de c<strong>et</strong>te population disparate, vivent entroupes innombrables plusieurs espèces de Canards :les Indiens les appellent Ipe ( tache de l'eau ).Le canard royal(patoreal) (2) est un <strong>des</strong> plus communs.Ce palmipède au plumage noir, à refl<strong>et</strong>s verdâtres,métalliques, acquiert de gran<strong>des</strong> dimensions;sa taille égale celle de l'oie domestique. Il ofli'e dansses habitu<strong>des</strong> c<strong>et</strong>te particularité déjà signalée parAzara : il se perche pendant la nuit. J'ai constatéplusieurs fois, sur les bords de la lagune Ipacarahy,(1) Ardea cyanocephala^ Lin.(2) Ipe guazù <strong>des</strong> Indiens, Canard masque de Bull.


DES OISEAUX. 265que vers le haut <strong>du</strong> jour, au moment où le soleildarde ses plus chauds rayons, le pato real quittait leseaux <strong>du</strong> lac pour chercher un peu d'ombre <strong>et</strong> de fraîcheurau milieu <strong>du</strong> feuillage <strong>des</strong> grands arbres quil'entourent : je ne sache pas qu'une autre espèce de cegenre offre c<strong>et</strong>te particularité remarquable. A c<strong>et</strong> instant,il est très-aisé de s'en approcher <strong>et</strong> de le tuer àbout portant. Je l'avouerai, c<strong>et</strong>te chasse sans fatigue<strong>et</strong> trop positive était pour moi sans attraits. Aprèsavoir pourvu aux nécessités de la vie, <strong>et</strong> assuré le repas<strong>du</strong> soir de mes serviteurs qui préféraient toujours augibier le plus savoureux le plus maigre morceau deviande, j'abandonnais c<strong>et</strong>te proie trop facile. La chairen est très-bonne, sans avoir la finesse de celle <strong>des</strong>p<strong>et</strong>ites espèces, <strong>et</strong> particulièrement <strong>du</strong> canard appelépar les Indiens Ipecutiri,'Enfin, le <strong>Paraguay</strong> est aussi la patrie de ces oiseauxdont la taille n'égale pas celle de certains insectes, <strong>et</strong>pour lesquels les vieux voyageurs épuisent touteslesformules de l'admiration, en les comparant à <strong>des</strong> fleursanimées, à <strong>des</strong> bouqu<strong>et</strong>s de pierreries resplendissantaux feux <strong>du</strong> soleil. Les Oiseaux-mouches <strong>et</strong> les Colibris,faciles à confondre malgré les monographiessavantes de Lesson (1), bourdonnent incessamment autour<strong>des</strong> grands arbres chargés de fleurs. Les Guaranisles comparent poétiquement à <strong>des</strong> cheveux <strong>du</strong> soleil ;les créoles les nomment Picaftores, <strong>et</strong> les BrésiliensBeija-flores (baise-fleurs).(1) R. P. Lesson, <strong>Histoire</strong> naturelle <strong>des</strong> Oiseaux-mouches;— <strong>Histoire</strong>naturelle <strong>des</strong> Colibris.


CHAPITRE XXII.ZOOLOGIE ; SUite ). — DES REPTILES ET DES POISSONS.En abordant la classe nombreuse <strong>des</strong> Reptiles, jelaisse de côté Tordre peu important <strong>des</strong> Cbéloniens, <strong>et</strong>j'arrive à la famille <strong>des</strong> Crocodiliens.On saitaujourd'bui que le crocodile proprement ditexiste dans le Nouveau-Continent où il ne paraît pasdépasser, <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud, les gran<strong>des</strong> Antilles (Saint-Domingue <strong>et</strong> Cuba) : mais on rencontre dans les deuxx\mériques plusieurs espèces de Caïmans (1). C'est(1) Alligators de Cuv. Ce mot corrompu <strong>du</strong> portugais lagarto quivient lui-nième de lacerla, est employé par les colons anglais <strong>et</strong> hollandaispour désigner l'espèce de crocodile la plus coinnuine autour de leurshabitations. Les colons français appliquent dans h' même sens le nom decaïman qu'ils ont emprunté aux nègres de la Guinée. Celui de yacaré,usité au Brésil comme au <strong>Paraguay</strong>, est d'origine guaranie.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 267par milliers que l'on peut compter ces hideux sauriensplus à redouter qu'on ne le croit généralement. Au<strong>Paraguay</strong>, dans les Missions <strong>et</strong> à Corrientes, il n'estpas pour ainsi dire de lac, de lagune, de ruisseau <strong>et</strong>de rivière grande ou p<strong>et</strong>ite, dont les eaux ne nourrissentun nombre considérable de Yaearés. Tous lesvieux voyageurs parlent avec étonnement de la prodigieusequantité de ces reptiles qui existait il y a plusieurssiècles, <strong>et</strong> qui ne paraît pas avoir sensiblementdiminué. L'un d'eux, Ulderico Schmidel (1), assure quepour sa part il en a tué ou pris plus de trois mille ! <strong>et</strong>ilvante l'excellence de leur chair blanche <strong>et</strong> musquée.Leur queue, dit-il, est un m<strong>et</strong>s très-délicat (delicadisimomanjar). Je ne saurais partager l'enthousiasme del'historien allemand, bien excusable à coup sûr, car ily a, je ne l'ignore pas, dans la vie de voyage, <strong>des</strong> circonstancesoù il faut vivre de peu, <strong>et</strong> Schmidel plusd'une fois aux prises avec ces circonstances-là confirmele proverbe : // n'est chair que d'o.ppétit. Parmi lesIndiens, les Payaguàs à peu près seuls font la chasseau caïman. Ils le prennent à l'aide d'un fort croch<strong>et</strong>de fer façonné en hameçon qu'ils amorcent avecquelques débris de viande. C'est la plus sûre <strong>et</strong> à peuprès la seule manière de s'en emparer, car ni la flèche,ni la balle ne sauraient entamer sa peau recouverted'écaillés épaisses <strong>et</strong> imbriquées; les yeux qu'il a trèsp<strong>et</strong>its,ou les flancs qu'il ne montre jamais au-<strong>des</strong>sus del'eau, étant les seules parties vulnérables de son corps.(1) Viage al Rio de la Plata y <strong>Paraguay</strong>; Buenos-Ayres, 1836, p. 30.


268 ZOOLOGIE.C<strong>et</strong> amphibie repoussants'éloigne peu de sa demeurehabituelle qu'il regagne au moindre bruit. A terre ilest sans danger, quoique parfois il ait enlevé <strong>des</strong> chiens<strong>et</strong> même <strong>des</strong> enfants endormis sur la rive. Mais unefois plongé dans son élément, il davient redoutable, <strong>et</strong>plus d'un baigneur a payé son imprudence de la perted'un membre, ou de quelque mutilation (1).Dans le même ordre, la famille <strong>des</strong> Iguaniens comprend<strong>des</strong> animaux analogues mais inoffensifs, qui senourrissent d'insectes, de fruits <strong>et</strong> d'œufs jusque dansles jardins <strong>et</strong> les maisons, au milieu même <strong>des</strong> villages.Leur chair est un m<strong>et</strong>s très-passable dont jen'ai pas assurément e^^géré la délicatesse (2), quoiqueje doive confesser que les créoles ne l'ont qu'en très-(1) J'ai pris plus d'un baiu dans <strong>des</strong> eaux infestées de caïmans ( il eûtété, à vrai dire, difficile souvent d'en trouver qui ne le fussent pas ),mais alors je nageais près <strong>du</strong> bord, <strong>et</strong> je prenais terre au premier plongeonde ceux que je voyais apparaître à la surface de l'eau, à quelquedislance de moi. Au reste, lorsqu'on a analysé d'assez près la tète repoussanted'un yacaré, l'œil rond, fixe <strong>et</strong> saillant, la mâchoire largementfen<strong>du</strong>e <strong>et</strong> fortement arméede ces reptiles qui mesurent jusqu'à trois <strong>et</strong>quatre mètres, on est peu tenté de les approcher nu <strong>et</strong> sans défense.Le lecteur trouvera <strong>des</strong> détails émouvants sur les habitu<strong>des</strong> foroces <strong>du</strong>crocodile <strong>du</strong> Nil <strong>et</strong> <strong>des</strong> côtes occidentales d'Afrique, dans le Voyage auxrégions èquinoxiales <strong>du</strong> Souveau-Continent de MM. Humboldt <strong>et</strong>Bonpland, <strong>et</strong> dans les publications de M. Raffenel, commissaire de la marine,connu par d'intéressants voyages au Sénégal. Je rappelleraiseulement icile fait suivant, déjà oublié ou peu connu. Il y a quinze ans, le docteurP<strong>et</strong>it revenait eu France, après avoir échappé aux dangers nombreuxd'une mission scientifique en Abyssinie, lorsqu'en traversant à gué une<strong>des</strong> branches <strong>du</strong> Nil Bleu, il fut enlevé par un de ces monstressous les yeux de M. Lefèvre, sorti comme lui sain <strong>et</strong> sauf <strong>des</strong> fatigues dece long voyage. M. Lefèvre, lieutenant de vaisseau <strong>et</strong> président de la commission,revint seul eu France : ses trois collègues avaient succombél'un après lautre.(2) Voy. Intro<strong>du</strong>ction.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 269médiocre estime. Les Iguanes habitent la lisière <strong>des</strong>forêts vierges <strong>et</strong> les halliers. Us sont fouisseurs, <strong>et</strong> restentengourdis dans leurs trous pendant l'hiver. On endistingue deux espèces : l'une très-commune au Brésil<strong>et</strong> dans les Missions atteint un mètre <strong>et</strong> plus;l'autre de dimensions moindres, habite la région septentrionale<strong>et</strong> plus chaude <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> (1).D'autres Sauriens aussi peu redoutables (lézards <strong>et</strong>caméléons), vivent au milieu <strong>des</strong> broussailles, dansl'intérieur <strong>des</strong> habitations, ou sur les arbres <strong>des</strong> forêts: mais les hautes herbes <strong>des</strong> prairies servent der<strong>et</strong>raite à <strong>des</strong> reptiles de la plus dangereuse espèce;déjà le lecteur aura deviné que je fais allusion auxserpents (ordre <strong>des</strong> Ophidiens), que les Guaranis appellentMboy (2), qu'ils soient ou non venimeux. Parmices derniers, il en est qui atteignent <strong>des</strong> dimensionsconsidérables, encore grossies par l'imagination <strong>des</strong>conquérants <strong>et</strong> <strong>des</strong> premiers historiens (3). Le géant<strong>des</strong> serpents, le Boa constrictor, confiné dans les profondeursignorées de la province de Mato-Grosso <strong>et</strong> del'Amazonie, n'existe pas dans les Missions : maisles barques qui naviguent sur le Haut-<strong>Paraguay</strong>, reçoiventparfois <strong>du</strong>rant la nurt la visite d'un ophidienénorme {Curiyu <strong>des</strong> Guaranis, Boa murina), qui s'aidant<strong>du</strong> gouvernail <strong>et</strong> <strong>des</strong> aspérités <strong>du</strong> navire se hisseà son bord pour dévorer les volailles (4). Les Pau-Ci)Leur nom guarani est T^ù.(2) D'où Tient le nom de Boa.(3) CiuRLEvoix, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, Paris, 1756, 3 vol. ia-i°.(4) J'en ai parlé au chapitre Hydrographie <strong>et</strong> Navigation flumalep. 147.


270 ZOOLOGIE.listes <strong>et</strong> les Mineiros (1) savent tirer parti dans leuréconomie domestique, de la dépouille de ce reptileconnu dans les provinces centrales <strong>du</strong> Brésil sous lenom de Sucuriu (2); ils en font d'excellentes bottes.J'ai possédé une peau de c<strong>et</strong> amphibie sur laquellej'ai constaté tous les caractères <strong>des</strong> boas. Le curiyuredoutable par sa force extrême, fait sa proie d'assezgrands quadrupè<strong>des</strong> sur lesquels il s'élance <strong>et</strong> qu'ilétouffe dans ses replis, lorsqu'ils viennent s'abreuveraux ruisseaux dont les bords herbus <strong>et</strong> solitaires luiservent de r<strong>et</strong>raite. A terre, c'est un animal lourd <strong>et</strong>paresseux dans ses mouvements, <strong>et</strong> que l'on tue sansdanger pendant le long engourdissement qui accompagnechez lui l'acte de la digestion. Sa présenceest d'ailleurs décelée aux Indiens par l'odeur infectequi s'exhale de son corps, au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong>quel se balancenten nuages épais <strong>des</strong> myria<strong>des</strong> d'insectes.Je n'aijamais enten<strong>du</strong> au <strong>Paraguay</strong> le bruissementléger <strong>et</strong> sinistre <strong>du</strong> Serpent à sonn<strong>et</strong>tes [Cobra de cascabêlas<strong>des</strong> créoles. Boy chiny <strong>des</strong> Guar.), <strong>et</strong> je crois qu'il yest moins commun que dans les pâturages <strong>des</strong> Missionsbrésiliennes; peut-être vers le nord le devient-il davantage.Personne n'ignore les eff<strong>et</strong>s terribles de lamorsure <strong>des</strong> Crotales. Celle <strong>des</strong> deux espèces de Jararaca[Bothrops NeuiviedU, Boîhrops leucurus) ; <strong>du</strong>Serpent corail {Coluber corallinns) ,<strong>et</strong> de la Vipère de(1) Habilaots de la province <strong>des</strong> Mines ( Minas-Gerais ).["Z) U (st inutjk' de faire remarquer l'analogie, ou pour mieux direridi'Dtilé de ce nom avec celui eu usage chez les ladieus <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 271la croix (1),pro<strong>du</strong>it instantanément le même ensemble(l'effrayants symptômes. Douleurs très-vives dans lesmembres; vertiges, vomissements, cépbalalgie, cbaleurbrûlante dans la partie postérieure <strong>du</strong> tronc, hémorragiesabondantes par le nez, les oreilles <strong>et</strong> labouche; enflure <strong>et</strong> décoloration de la face, convulsions,anxiété, insensibilité générale, <strong>et</strong> mort au terme dequelques heures. Les mala<strong>des</strong> succombent dans lesvingt-quatre heures après la morsure <strong>du</strong> serpent à sonn<strong>et</strong>tes;plus rapidement après celle <strong>du</strong> Jararaca-miriin(p<strong>et</strong>it /arrtmca); dans les convulsions les plus horribles<strong>et</strong> avec les symptômes de l'hydrophobie, lorsqu'ilsont été mor<strong>du</strong>s par le Jararaca (S). Ainsi, les p<strong>et</strong>itsmammifères périssent en quelques secon<strong>des</strong>; mais danscertains cas leur agonie se prolonge pendant plusieursminutes. L'homme <strong>et</strong> les grands animaux résistentplus longtemps à c<strong>et</strong>te intoxication, contre laquelleéchouent trop souvent la thérapeutique rationnelle del'homme de l'art, tout comme les mystérieuses rec<strong>et</strong>tes<strong>et</strong> les pratiques spéculatives <strong>des</strong> guérisseurs [curari'dei'os), <strong>et</strong> <strong>des</strong> charlatans. Règle générale : dans le Nouveaucomme dans l'Ancien-Continent, l'activité<strong>du</strong> poisonest en raison inverse de la grosseur <strong>et</strong> de l'agilité<strong>du</strong> reptile,qui lui-même est plus redoutable — touteschoses égales d'ailleurs — par la chaleur, en été, <strong>et</strong>lorsque le venin s'est accumulé par une longue inactiondans les glan<strong>des</strong> qui le sécrètent, que pendant Thiver, <strong>et</strong>(1) Vivora de la cruz; Mboy-curuçu <strong>des</strong> Guaraois.(2) Spix <strong>et</strong> Martius, Travels in Brazily t. 11, p. 130.


272 ZOOLOGIE.à lasuite de morsures répétées à' de courts intervalles.Tous les voyageurs dans les pays chauds, ont assisté auspectacle douloureux d'un homme ou d'un quadrupè<strong>des</strong>e débattant dans les convulsions tétaniques d'une morsurevénéneuse, <strong>et</strong> tous ont vu les planteurs isolésadministrer avec un succès presque toujours douteuxquelque antidote emprunté au règne végétal. En mêm<strong>et</strong>emps qu'ils prescrivent leur précieux arcane, les guérisseursaméricains aussi nombreux que lescharlatansscientifiques dans la vieille Europe , emploient <strong>des</strong>moyens moins empiriques, <strong>et</strong> à l'efficacité <strong>des</strong>quelsrevient souvent l'honneur <strong>des</strong> rares guérisons qu'ils obtiennent.MM. Spix <strong>et</strong> Martius racontent en ces termes,les pratiques <strong>des</strong> guérisseurs indigènes :« Lorsqu'ils arriventà temps, ils s'empressent d'abord de faire suceilaplaie; ils placent le malade dans un lieu r<strong>et</strong>iré <strong>et</strong>sombre, à l'abri <strong>des</strong> courants d'air, appliquent <strong>des</strong> cataplasmesde plantes sur la morsure, <strong>et</strong> font boire enabondance les décoctions <strong>des</strong> mêmes végétaux. De ceuxci,le plus usité est la racine d'une rubiacée qui portele nom de raiz prêta ou de cobra (chiococca anquifuga,Martius); déjà connue dans la matière médicale sousle nom de cainca, elle est douée d'une odeur pénétrantecomme celle de la valériane. »Les cataplasmes faits de racines <strong>et</strong> de feuilles fraîchescontuses sont souvent renouvelés ; on y mélanged'autres plantes :le loco (phunbago scandens] qui rubéfiela peau, le picao (bideiis graveolens), l'herbe de Sainte-Anne (kuhnia anjuta IL), <strong>et</strong> le spilanthes brasiliensis.Si la cainca pro<strong>du</strong>it de larges évacuations alvines, on


DES REPT[LES ET DES POISSONS. 273peut espérer la guérisoii. Une forte sueur est considéréecomme une crise salutaire. Le traitement est continuéavec persévérance pendant plusieurs jours. Les guérisseursne quittent pas leurs mala<strong>des</strong>;au moindre tremb^ement,ils frictionnent le corps avec de l'alcool, oule soum<strong>et</strong>tent à <strong>des</strong> fumigations aromatiques. Suivanteux, la cure ne peut êtrecomplète que soixante joursaprès la morsure, temps pendant lequel le malade peutsuccomber à une fièvre nerveuse, <strong>et</strong> doit s'abstenir leplus possible d'aliments, surtout de viande [Travels inBraziU p. 130.)Pison a classé les morsures <strong>des</strong> serpents <strong>du</strong> Brésil :il en compte vingt espèces dififéi'entes. Il vante le jurubeba(cactus opuntia),la ctta-apia [dorstenia hrasHienm,Lamarck, Urticées ), dont on ne parle plus aujourd'hui(i ). Dans les sertoës on emploie souvent la racinede cipo cruz (chicocea anguicida Mart.) , <strong>et</strong> celle de teiu{adenorhopium ellipticum, Euphorbiacées , Polh.).Enfin , les commissaires hispano-portugais nomméspour l'exécution <strong>du</strong> traité de 1750, donnent de grandséloges aLVangelica{piperispartheniradix), <strong>et</strong> à la pwgade carijô(perianthopo<strong>du</strong>s ]* ,Mais deux végétaux ont, entre tous, donné lieu à <strong>des</strong>récits exagérés dans le demi -continent Sud - américain;ce sont Vayapanay <strong>et</strong> leguaco.Vayapana (eupatorium ayapana, Ventenat, Synanthérées), transporté <strong>des</strong> forêts septentrionales <strong>du</strong>(1) SiGAUD, Du Climat <strong>et</strong> <strong>des</strong> Maladies <strong>du</strong> Brésil, Paris, 1844, ia-8«,p. 431.18


274- ZOOLOGIE.Brésil aux In<strong>des</strong>, paraît y avoir fait merveille contrele choléra. A Pernambouc , an temps <strong>du</strong> gouverneurD. Ferdinand, on l'employa avec succès contre l'hydrophobie.L'infusion de ses feuilles agit comme unpuissant sudorifique.Leguaco (mikaïiia-guaco , Humboldt (1)), proposépar Pedro Oribe Vargas dans un mémoire publié àSanta-Fé de Bogota vers 1791 , commeun antidoteénergique contre la morsure <strong>des</strong> reptiles, a été préconisépar le docteur Mutis, célèbre naturaliste colombien.On aurait tenté <strong>des</strong> expériences directes même surl'homme, <strong>et</strong> on aurait pu arrêter les symptômes de l'intoxicationau moment de leur apparition, à l'aide <strong>du</strong>suc <strong>des</strong> feuilles exprimé sur la plaie par un nègre.Lesobservations <strong>du</strong> baron de Humboldt, moins affirmatives,ont confirmé en partie ces heureux résultats (2).Les Missions <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> fournissent, elles aussi,leur contingent à c<strong>et</strong>te longue listede remè<strong>des</strong> plus oumoins infaillibles, contre <strong>des</strong> accidents qui sont loind'être rares, <strong>et</strong> qui se terminent trop souvent d'unemanière fatale.On désigne à San-Borja, dans les Missions de larivegauche de TCruguay <strong>et</strong> dans tout le Brésil, sous lenom de milliomens (<strong>et</strong> par corruption milhombrc),uneplante de la famille <strong>des</strong> Aristolochiées grimpantes, à(1) A. BoNPLAND, Plantes cquinoxiales recueillies au Mexique^ Paris,2 vol. iii-fol., pi. 105.(2) M. Abrcu do Lima, officier géiuTal, a publié à Rio de Jaueiro unnjémoirc intéressant sur remploi avaiilafieux <strong>du</strong> gunco en topiques <strong>et</strong> ài'interieur,dans le traitement d'affections do nature très-diverse. Diario deHaude, 1836, u« 47.


DES REPTILES Eï DES POISSONS. 275SUC laiteux, à odeur vireuse <strong>et</strong> nauséabonde, dont latige, les feuilles <strong>et</strong> les racines, sont employées avecsuccès contre la morsure <strong>des</strong> serpents. C'est Varistolochiagrandiflora de Gomez, ringens de Swartz.Il y a plus : on peut, dit-on, après avoir pris uneinfusion de c<strong>et</strong>te plante, s'en être frotté les mains, lesbras <strong>et</strong> le corps, manier impunément les reptiles venimeux.Déjà la même remarque avait été faite parM. de Humboldt au suj<strong>et</strong> <strong>du</strong> guaco, qui paraît communiquerà la peau une odeur qui répugne au reptile,lequelloin de chercher à m.ordre, essaye de fuir. Même enfaisant très-large la part de l'exagérationqui s'attach<strong>et</strong>oujours aux observations de c<strong>et</strong>te nature, il restequelques faits vrais, <strong>et</strong> <strong>des</strong> propriétés réelles sur lesquellesil ne me semble pas inutile d'insister.C'est un nègre qui aurait fait connaître le premierà San-Borja les merveilleuses propriétés <strong>du</strong> milhomens.Il vendait son secr<strong>et</strong> moyennant un patacon (1), <strong>et</strong>tout le monde a voulu l'avoir.M. Bonpland a prescrit trois fois avec succès l'infusionde V aristolochia gra7idillora ^ dans <strong>des</strong> cas oùdéjà l'enflure était considérable. Mais il avait enmême temps, il faut le dire aussi, appliqué <strong>des</strong> cataplasmesfaits avec les feuilles sur la plaie préalablementdébridée <strong>et</strong> cautérisée, <strong>et</strong> il avait administré l'ammoniaqueà l'intérieur.Tous les estancierofi de la province de Rio Grande(1) Patacào, pièce de monnaie identique h la piastre d'Espagne (pesofuerle ), <strong>et</strong> valant comme elle 5 fr. 40 c.


276 ZOOLOGIE.<strong>du</strong> Sud, tiennent en réserve une provision de ce précieuxvégétal. Ils'^Tî'assuraient que pour se gan-antir dela morsure <strong>des</strong> reptiles pendant un assez long espacede temps, il suffisait de prendre trois infusions <strong>des</strong>feuilles, <strong>et</strong> qu'en appliquant sur la plaie un morceau dela tige mâché <strong>et</strong> imprégné de salive, on voyait disparaîtrecomme par enchantement tous les symptômestoxiques. Dois-je ajouter que toutes ces assertions sontexagérées, <strong>et</strong> qu'il faut de longues heures <strong>et</strong> souventplusieurs jours, pour m<strong>et</strong>tre le malade à Tahri <strong>du</strong>danger ?J'aidit plus haut que sur d'autres points <strong>du</strong> Brésil,les habitants faisaient les mêmes applications <strong>du</strong> milhomens,M. Auguste de Saint-Hilaire raconte (1) quequatorze nègres furent mor<strong>du</strong>s par <strong>des</strong>serpents venimeuxdans une fazenda de la province de Espiritu-Santo. On leur fit avaler immédiatement une poignéede poudre à canon délayée dans <strong>du</strong> jus de citron; ensuite,trois fois par jour , une tasse d' aristolochia graniliflora,<strong>et</strong> d'une tisane faite avec le j'arro ou jarrinha{AristoL macroura, Gomez) : ils guérirent.Dans d'autres régions de l'Amérique méridionale,la famille <strong>des</strong> Aristolochiées fournit encore à la thérapeutiquespéculative <strong>des</strong> guérisseurs indigènes, <strong>des</strong>plantes analogues, <strong>et</strong> peut-être identiques à celle-ci.Tel est le vejiico (A. hrasiliensis) cité par le docteurWeddell, dont on applique, dans la province de Yungas(1) Voyages, seconde partie, t. II, p. 267.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 277les feuilles broyées sur les morsures <strong>des</strong> reptiles, qu elles(j Hérissent y dit-on, infailliblement (1).On voit, en dernière analyse, que les antidotes quiparaissent avoir amené- la guérison <strong>des</strong> mala<strong>des</strong> n'ontjamais été employés seuls; que, au contraire, on leur aassocié les moyens thérapeutiques usités en cas pareils


278 ZOOLOGIE.rects. Ainsi, l'application immédiate d'une forte ligatureentre le cœur <strong>et</strong> la partie lésée; ledébridement <strong>et</strong>la cautérisation profonde de la plaie avec le fer; <strong>des</strong> ventouses,l'immersion <strong>du</strong> membre dans l'eau froide, <strong>et</strong>c.devraient, à mon sens, précéder l'ingestion <strong>des</strong> spéci^tiques que nous avons énumérés. La science, il fautl'avouer, n'a pas dit son dernier mot sur les poisonsvégétaux (1 ) <strong>et</strong> le venin <strong>des</strong> reptiles ^sur ces substancesdont l'action étrange, presque incompréhensible,restenulle quand elles sont intro<strong>du</strong>ites dans l'économie parles organes digestifs, mais devient foudroyante lorsqu'ellesypénètrent par lesvoies de la circulation. Lesrecherches de Fontana <strong>et</strong> de Magendie sont à recommencerou à poursuivre. Serait-ce donc tropprésumerde la science, que d'espérer la découverte d'un agentdont la puissance de neutralisation,comparable à cellequ elle a si heureusement rencontrée dans le quinquina,perm<strong>et</strong>trait de combattre presque à coup sûr,une intoxication bienautrement grave que l'intoxicationpaludéenne? Ce contre-poison, qu'on a vainementcherché jusqu'ici dans le milhomens, Vayapana^ dans legiiaco, peut-être le règne inorganique le fournira-t-il.Déjà d'heureux essais ont été tentés dans c<strong>et</strong>te voie :M. Brainard, professeur au collège médical de Chicago(Illinois), a vanté l'emploi <strong>des</strong> solutions iodées contre(1) Citons en passant le curare , le wourali <strong>et</strong> le ciguela, ces poisonsqui tuent tout bas, pour parler le langage expressif <strong>et</strong> sinistre <strong>des</strong> Indiensde l'Amazonie. La préparation <strong>et</strong> la composition <strong>du</strong> curare ont cesséd'être un mystère depuis les voyages de M. de Hnmboldt, <strong>et</strong> les analyse*de MM. Fée, Pelouze, <strong>et</strong> Boussiugault.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 270la morsure <strong>des</strong> crotales (1853). M. Alvaro Reynosupropose de leur substituer le brome. On le voit, l'impulsionest donnée, <strong>et</strong> l'observation apprendra bientôtce qu'il faut attendre de ces efforts qui peuvent servirsi puissamment la cause de l'humanité (1 ).J'ai peu de choses à dire <strong>des</strong> Poissons. Si les indivi<strong>du</strong>ssont nombreux <strong>et</strong> les espèces variées, leur qualitéest médiocre. Les créoles font peu de cas de leur chair,qui dans l'autre hémisphère comme dans celui-ci ,paraitfade <strong>et</strong> sans saveur lorsqu'on la compare à celle<strong>des</strong> poissons de l'Océan si abondants sur les côtes <strong>du</strong>Brésil. La pêche à la ligne, la seule connue, est <strong>du</strong>domaine exclusif <strong>des</strong> Indiens Payaguàs, ces antiquesdominateurs <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>. Quelques nations indigènespèchent à coups de flèches, d'autres exprimentdans les rivières lesuc vénéneux de certains végétaux.Le poisson enivré <strong>et</strong> bientôt mourant, vient surnager(1) S'il fallait en croire les nouvellistes un peu suspects <strong>du</strong> Nouveau-Monde, le venin <strong>des</strong> reptiles serait à la veille de fournir à la médecineprophylactique un agent aussi précieux que le cowpox. Les journaux ontassuré que d'heureux essais d'inoculation tentés au Mexique, perm<strong>et</strong>tentde regarder le venin <strong>des</strong> Crotales comme le préservatif de deux fléauxterribles, la fièvre jaune <strong>et</strong> le choléra. Mais si l'étude de la question <strong>des</strong>empoisonnements à la suite de morsures, offre une incontestable importancepour l'Amérique, on se tromperait en la considérant comme dénuéede tout intérêt pour l'Europe, La morsure de la vipère donne lieu enFrance à <strong>des</strong> accidents graves, accompagnés de douleurs intolérablesqui persistent longtemps encore après la guérison apparente <strong>des</strong>mala<strong>des</strong>. J'ai vu mourir en quarante-huit heures, dans le département<strong>des</strong> Hautes-Alpes, un homme qui avait été mor<strong>du</strong> par une vipère dans larégion <strong>du</strong> cœur, prndant son sommeil au milieu d'un pré nouvellementfauché. Depuis c<strong>et</strong>te époque, j'ai lu le récit de plusieurs accidents de c<strong>et</strong>tenature, suivis malgré tous les secours de l'art d- la même terminaisonfuneste.


280 ZOOLOGIE.à la surface de l'eau , où les Indiens le recueillent à lamain (1).''Les espèces les plus communes appartiennent auxgenres Spare (2), Bagre (3), Silure, Pimélode, Dorade,Murène, Saumon, <strong>et</strong>c.Le Pacù (4) est un <strong>des</strong> poissons les plus gros <strong>et</strong>lesplus estimés. Sa chair assez semblable à celle de notrecarpe, mais plus ferme, est excellente. En hiver il devientcommun dans tous les affluents <strong>du</strong> Rio-Pàraguay,<strong>et</strong> se vend à l'Assomption à très-bas prix. Le Surubypèse souvent 20 livres.Les Raies armées dont les épines causent une viveinflammation dans les plantes <strong>des</strong> pieds <strong>et</strong> <strong>des</strong> douleursaiguës, <strong>et</strong> les Palom<strong>et</strong>as, p<strong>et</strong>its poissons voracesqui abondent dans les courants rapi<strong>des</strong>, font de cruellesblessures aux baigneurs qui ne se tiennent pas surleurs gar<strong>des</strong>. Les mâchoires finement armées <strong>et</strong> coupantes<strong>des</strong> Palom<strong>et</strong>as déjà célèbres dans les récits fabuleux<strong>des</strong> poètes de la découverte (5), servent deciseaux aux femmes indiennes. Leur morsure est vive<strong>et</strong> tranchante comme l'incision d'un rasoir, <strong>et</strong> leur voracitételle ,qu'elles accourent de tous les points à la(1) Ce procédé est encore en usage au Brésil, aux Antilles <strong>et</strong> à Cayenne.Dans c<strong>et</strong>te dernière colonie il a été défen<strong>du</strong> sous <strong>des</strong> peines sévères, parune ordonnance royale de 1765.(2) S^are bogue de Lacép.; Sparus boops de Lin.(3) Pimélode bagre de Lacép. Silurus bagre, Lin.(i) G. Characinus d'Artedi, S.-G. Curimale'de Cuv. A Cnyabà, capitalede la province brésilienne de Mato-Grosso, un Pacù de forte (aille necoûte pas au delà de 2 vinlcns (quarante réis), environ 12 centimes.(5) D. Martin del Barco Centenera, La Argentina , p. 22, dans Colecciondeobrasy documentos, t.II.


DES REPTILES ET DES POISSONS. 281vue <strong>du</strong> sang, pour se j<strong>et</strong>er sur le nageur blessé parl'une d'elles. On r<strong>et</strong>ira <strong>du</strong> fleuve,pendant mon séjourà l'Assomption , le corps d'un homme qui s'y étaitnoyé, <strong>et</strong> quoiqu'il fût resté sous Teau pendant quelquesheures seulement , déjà toute la masse intestinaleavait été extraite <strong>et</strong> dévorée. On prête les mêmesinstincts carnassiers au poisson-diable ou Piranha y sicommun au Brésil dans le Rio San-Francisco , <strong>et</strong> l'effroi<strong>des</strong> baigneurs. La palom<strong>et</strong>a se prend facilement àla ligne ; sa chair est passable.On pêche dans l'Uruguay de grandspoissons assezcommuns, dont quelques-uns pèsent jusqu'à vingtlivres, <strong>et</strong> que l'on nomme Dorados (dorés) à cause deleur couleur. Ils forment une espèce voisine <strong>du</strong> Mil<strong>et</strong>esmicropa; leur chair est estimée, <strong>et</strong> avec raison.(Test le seul poisson que j'aie vu paraître, une fois, surla table frugale de M. Bonpland, façonné dès longtempsaux habitu<strong>des</strong> d'un pays où la nourriture est exclusivementanimale.


ICHAPITRE XXm.ZOOLOGIE { suite ). ~ DES INSECTES.Le <strong>Paraguay</strong> comme le Brésil est la terre promise'Je l'entomologiste; mais tous les insectes n'arrachentpas au voyageur <strong>des</strong> cris de surprise <strong>et</strong> d'admiration.A côté <strong>des</strong> papillons gigantesques aux ailes chatoyantes,<strong>des</strong> magnifiques coléoptères aux refl<strong>et</strong>s métalliques,aux vives étincelles qui éclairent les nuits sereines<strong>des</strong> Tropiques, il trouve <strong>des</strong> ennemis nombreux,acharnés, implacables, de son repos <strong>et</strong> de sa santé. J'enparlerai plus longuement que <strong>des</strong> premiers; car lesinsectes qui, s'attaquent à l'homme , ou qui ,plaied'Egypte toujours nouvelle, anéantissent lefruit de sesefforts en dévorant ses récoltes,s'opposent plus que leclimat, les maladies, les préjugés <strong>et</strong> l'antipaihie <strong>des</strong>


DES INSECTES. 283habitants, à la colonisation <strong>des</strong> contrées équinoxiales,si pleines de magnificences, si gran<strong>des</strong> dans leur majestueuseimmobilité. L'Européen n'a pas le temps de secroire échappé aux ennuis profonds d'une navigationtoujours longue, qu'il est assailli nuit <strong>et</strong> jour par <strong>des</strong>légions d'ennemis invisibles. Il hésite à se fixer aumilieu d'une nature splendide, mais qui ne luilaisse nitrêve ni repos. Parfois même , succombant aux souffrances<strong>physique</strong>s, à l'irritation morale qu'elles provoquent,il se rembarque. Comment faire disparaître cesérieux obstacle à l'immigration? On a dit avec raison([ue, à la veille de partir pour les solitu<strong>des</strong> américaines,il fallait se préoccuper moins <strong>des</strong> jaguars <strong>et</strong> <strong>des</strong>reptiles, <strong>et</strong> davantage <strong>des</strong> moustiques, <strong>du</strong> pulex pên<strong>et</strong>rans<strong>et</strong> <strong>des</strong> kankrelats, mais surtout <strong>des</strong> moustiques.La grandeur , la variété <strong>des</strong> papillons , la magnificence,l'éclat <strong>et</strong> la délicatesse de leurs couleurs, ravissentl'étranger de surprise <strong>et</strong> d'admiration. Les Lépidoptèresdiurnes étalent aux feux <strong>du</strong> soleil leursgran<strong>des</strong> ailes couvertes sur les deux faces <strong>des</strong> teintesles plus brillantes <strong>et</strong> les plus variées, butinent isolémentle suc amassé au fond <strong>du</strong> calice <strong>des</strong> fleurs à l'aidede leur trompe roulée en spirale; ou voltigent entroupes nombreuses au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> flaques d'eau amasséespar les pluies de l'hivernage au milieu <strong>des</strong> chemins.Les tribus <strong>des</strong> Sphingi<strong>des</strong>, <strong>des</strong> Bombycites, <strong>des</strong>Noctuélites <strong>et</strong> <strong>des</strong> Phaléni<strong>des</strong> ,gran<strong>des</strong> divisions <strong>des</strong>papillons crépusculaires <strong>et</strong> nocturnes, comprennent demagnifiques espèces entièrement nouvelles.


^2SliZOOLOGIE.Les quatre sections de l'ordre siriche <strong>des</strong> Coléoptères(1) sont ici largement représentées. Les Carabiques,les Brachélytres, renferment <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s auxcouleurs extrêmement brillantes.Parmi les Sternoxes (fam. <strong>des</strong> Serricornes), il fautciter quelques Buprestes (2) <strong>et</strong> de nombreux Êlatéri<strong>des</strong>.L'un d'eux, leTaupin cucujo (3), répand, la nuit,une lumière très-vive, <strong>et</strong> s'il faut en croire les vieuxhistoriens (4),les Indiens d'Haïti, fuyant les Espagnols,évitaient les précipices de leurs montagnes enattachant à leurspieds quelques-uns de ces coléoptères.Mais c<strong>et</strong>te « mouche lumineuse » — ainsi l'appellentles créoles — n'est pas le seul insecte qui sillonnel'atmosphère de j<strong>et</strong>s rapi<strong>des</strong> de lumière tantôt continus,ou qui s'éteignent un moment, pour reparaîtrebientôt <strong>et</strong> disparaître encore. Plusieurs espèces deLampyri<strong>des</strong> ailés (section <strong>des</strong> Serricornes Malacodermes)décrivent dans l'air <strong>des</strong> cercles lumineux queM. Ferdinand Denis compare aux étincelles mourantesd'une pièce d'artifice. A ce saisissant spectacle, qui nese rappellerait les poétiques expressions de M. de Humboldt: « On dirait que la voûte <strong>du</strong> firmament s'estabattue sur lasavane?»a Quelques-uns de ces insectes, dit M. de Saintvl)Il renferme plus de cinquante mille espèces, dont l'étude est devenue,on doit le penser,très-difficile.(2) Les BupresU<strong>des</strong> portent encore le nom de Richards à cause deréclat de leurs couleurs métalliques.('6)Appelé par les Indiens Coyouyou; Elater noclilucus, Lin.4) OviEDO, Corànica de las Indias.


DES INSECTES. ^80Hilairè (1), ont les derniers anneaux <strong>du</strong> ventre remplisde nfiatière phosphorique; d'autres au contraire,portent à la partie supérieure de leur corsel<strong>et</strong> deuxproéminences lumineuses, arrondies <strong>et</strong> assez écartées,qui semblent se confondre lorsque l'insecte vole, maisqui pendant le jour brillent comme autant d'émerau<strong>des</strong>encbâssées dans un fond brun un peu cuivré. » Cesdeux espèces existent aussi au <strong>Paraguay</strong> : la première,plus p<strong>et</strong>ite,abonde dans les lieux bumi<strong>des</strong>;la seconde,plus rare, mais de dimensions plus gran<strong>des</strong>, porte lenom de Taca-mua (2). Une seule de ces p<strong>et</strong>ites chandellesvivantes, à l'aide <strong>des</strong>quelles le P. <strong>du</strong> Tertre récitaitson bréviaire, éclaire assez pour qu'on puisse lire à lalueur qu'elle proj<strong>et</strong>te.Les micrographes modernes ont fait de patientes recherchessur la lumière émise en si grande abondancepar les lucioles, <strong>et</strong> se sont efforcés d'en déterminer lanature. M. Ehrenberg la regarde comme une <strong>des</strong> nombreusesmanifestations <strong>des</strong> forces électriques, mais soningénieuse théorie a besoin d'être confirmée (3).Dans la famille <strong>des</strong> Clavicornes, les genres Escaibot,Nécrophore; dans celle <strong>des</strong> Lamellicornes, lestribus <strong>des</strong> Scarabéi<strong>des</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Lucani<strong>des</strong>, <strong>et</strong> le genrePassale,comprennent <strong>des</strong> espèces diurnes <strong>et</strong> quelquesunescrépusculaires remarquables par l'éclat de leurscouleurs,leurs dimensions <strong>et</strong> leurs mœurs singulières.{i.)Voyages au Brésil.(2) Taupins, G. Elater.{3) Mandl, Trailé pratique <strong>du</strong> Microscope ,Paris , 1839, iu-S"; — deQuATREFAGES, Amiales <strong>des</strong> sciences nal., 2« série, t. XIX, p. 191.


286 /00L0(;iE.Dans la section générale <strong>des</strong> Coléoptères Hétéromères,je citerai plus particulièrement les genres Scotobie (trib.<strong>des</strong>Piméliaires); Scotine, Pédine (trib. <strong>des</strong> Blapsi<strong>des</strong>,fam. <strong>des</strong> Mélasomes), qui comprennent <strong>des</strong> espèces variées<strong>et</strong> de nombreux indivi<strong>du</strong>s.La famille <strong>des</strong> Longicornes, la plus belle de l'ordre<strong>des</strong> Coléoptères (section <strong>des</strong> C.Tétramères), est représentéepar les genres Parandre (trib. <strong>des</strong> Prioniens); lesous-genre Callichrome (1), <strong>et</strong> celui <strong>des</strong> Acanthoptères,(trib. <strong>des</strong> Cérambyciens) ; <strong>et</strong> la famille <strong>des</strong> Eupo<strong>des</strong>parles genres Alurnus <strong>et</strong> Hispa de Lin. <strong>et</strong>Fabricius.Enfin, la tribu <strong>des</strong> Chrysomélines (fam. <strong>des</strong> Cycliques),compte de nombreuses espèces aux riches couleursmétalliques, distribuées dans les genres Casside,Doryphora, Altise, <strong>et</strong>c. Sur quelques points de l'Amériqueméridionale, les coléoptères sont assez abondantspour que l'in<strong>du</strong>strie en tire un parti avantageux. Ainsidans la belle province de Sainte-Catherine, presquevierge encpre, on fabrique avec ces riches insectes, <strong>des</strong>colliers, <strong>des</strong> fleurs, <strong>des</strong> bracel<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> <strong>des</strong> pendantsd'oreilles, dont les refl<strong>et</strong>s métalliques pro<strong>du</strong>isent auxlumières le plus charmant eff<strong>et</strong> ( 2 ).Mais à côté <strong>des</strong> insectes qui ne servent qu'auxfêtesbrillantes de la nature, fourmillent ceux qui nuisentaux pro<strong>du</strong>its de l'agriculture ou de l'in<strong>du</strong>strie humaine,<strong>et</strong> ne craignent pas de s'attaquer à l'homme. J'en par-(1) Callichromaj Latr.; Cerambyx, Fab. Dej.(2) A c<strong>et</strong>te nomeuclature déjà longue, ou pourrait ajouter quelquesjolies espèces <strong>du</strong> geure Coccinelle^ secl. <strong>des</strong> Coléoptères Trimèrei.


DES INSECTES. 287lerai exclusivement dans les ordres qu'il uie reste àpasser en revue.La Blatte américaine ou Kankrelat (1) est un <strong>des</strong>Orthoptères, fam. <strong>des</strong> 0. Coureurs,les plus communs<strong>et</strong> les plus malfaisants. Il abonde au <strong>Paraguay</strong>, quoiqu'onlerencontre moins fréquemment dans l'intérieur<strong>des</strong> habitations qu'au Brésil, où ilest pour les nouveauxdébarqués un obj<strong>et</strong> de dégoût insurmontable <strong>et</strong> presqued'effroi. Les vaisseaux qui relâchent dans lesports <strong>des</strong>contrées équinoxiales <strong>du</strong> Nouveau-Continent, reviennentinfestés de c<strong>et</strong> insecte qui n'épargne rien, ni lesprovisions <strong>du</strong> navire, ni les eff<strong>et</strong>s <strong>des</strong> passagers, ni lesmarins eux-mêmes dont il ronge doucement les extrémitéspendant la nuit, jusqu'à ce que l'épiderme soitenlevé, que lesang coule, <strong>et</strong> que la douleur les éveille.Dans les maisons rien n'échappe à sa voracité; toutypasse, les étoffes, le cuir, les livres <strong>et</strong> les papiers, laviande <strong>et</strong> lesfruits.Les vieux voyageurs, comme les modernes, sontunanimes à le maudire. Voici en quels termes expressifsle bon Lery exhale sa mauvaise humeur, <strong>et</strong> seplaint de ses attaques : « Et afin aussi que tout d'until je décrive ces bestioles, lesquelles sont appelées parles sauvages aravers (2) n'étant pas plus grosses quenos grili<strong>et</strong>s,même sortant ainsi la nuit par troupes auprès<strong>du</strong> feu, si elles trouvent quelque chose, elles ne{\) Blalla amerwana. Kankrelat ou kakerlal, vient de kahkerlak,nom hollandais de c<strong>et</strong> insecte, auquel les p<strong>et</strong>its esclaves fout au Brésil unechasse active. Ou l'y nomme Baratla.(2) D'où le nom de ravels.


288 ZOOLOGIE.faudront point de leronger. Mais principtilenient outrece qu'elles se j<strong>et</strong>toyent de telle fiiçon sur les coll<strong>et</strong>s <strong>et</strong>souliers de marroquin, <strong>et</strong> que mangeant tout le<strong>des</strong>sus,ceux qui en avoyent, les trouvoyent le matin à leurlever tout blancs <strong>et</strong> eftleurez; encore y avoit-il cela,que si le soir nous laissions quelques poules ou autresvolailles cuites <strong>et</strong> mal serrées, ces aravers les rongeantjusques aux os, nous nous pouvions bien attendre u<strong>et</strong>rouver le lendemain matin <strong>des</strong> anatomies (1 ). »J'ai signalé ailleurs (2)les dommages considérablesque causent aux récoltes, les Sauterelles (3), qui apparaissentpériodiquement en ban<strong>des</strong> innombrables. Jereviendrai en traitant de l'Agriculture au <strong>Paraguay</strong>,sur ce fléau redoutable, impossible à prévenir, quianéantit en quelques instants les cultures de la plusbelleapparence.La même observation, <strong>et</strong> ce que dit Linné d'un autreinsecte <strong>des</strong>tructeur : Termes uiriusque Indiœ calamitassumma! trouveraient encore leur application ici, car<strong>des</strong>Fourmis <strong>et</strong> <strong>des</strong> Termites (4) en légions innombrables,bouleversent <strong>et</strong> détruisent les plantations; sapent lesmaisons en rongeant le bois <strong>des</strong> murailles <strong>et</strong> la chaipente,<strong>et</strong> sont parfois un tourment pour l'homme.{1) Je\n de Léry, <strong>Histoire</strong> d'un Voyage fait en la terre <strong>du</strong> Brésil au-Ireuieul dite Aincrique. Paris, M. D. XCUII, p. 160.(2) Du Tabac au <strong>Paraguay</strong>^ p. 15.(3) G. Gryllus, <strong>et</strong> G. Locusta de Lin. Fam. <strong>des</strong> 0. Sauteurs.(4) Les Guarauis appelleut les fourmis Tajy, <strong>et</strong> les Termites Cupiy-Il existe plusieurs espèces de Termes americana. Deux surtout sontredoutables, car il n'est pas s^us exemple que <strong>des</strong> maisons eulières miuéespar leurs atteintes, se soient écroulées en ensevelissant les* habitantssous les décombres.


DES INSECTES. 289Enfin, d'autres Hyménoptères, plusieurs espèces deGuêpes, <strong>et</strong> les Arachni<strong>des</strong> Trachéennes nommées Garrapatospar les créoles [Ixo<strong>des</strong> de Lat.), seront l'obj<strong>et</strong>d'une mention spéciale dans le chapitre consacré àl'élève <strong>des</strong> bestiaux (1 ).Maintenant j'arrive aux insectes nuisibles à l'homme,<strong>et</strong> je m<strong>et</strong>s au premier rang le Moustique (2 ).Le moustique est, en eff<strong>et</strong>, le persécuteur acharné,infatigable de l'habitant <strong>des</strong> pays chauds. Ce fléaufrappe le créole comme le voyageur, <strong>et</strong> si l'habitude enémoussant quelque peu la sensibilité de l'Indien, luifait accepter les souffrances qu'il provoque comme une<strong>des</strong> conditions de sa vie nomade, il ne néglige cependantaucun moyen pour s'en garantir. Il se frictionnele corps avec de l'huile mêlée au suc de certaines plan-,tes aromatiques, il s'enfume dans ses toldos si hermétiquementclos qu'il ne peut y entrer qu'en rampantpar une étroite ouverture. Et, s'il se soustrait ainsi auxpiqûres de ces terribles insectes, c'est au prix de cuisantesophthalmies, d'incommodités sans nombre, patiemmenten<strong>du</strong>rées au milieu d'une atmosphère empestée<strong>et</strong> irrespirable (3 ).Les moustiques sont rares dans la capitale <strong>du</strong>(1) Zoologie : Animaux domestiques.(2) Ordre <strong>des</strong> Diplères, fam. <strong>des</strong> Némocères^ trib. <strong>des</strong> Cousins. Voy. untravail <strong>du</strong> docteur Robineau-Desvoidy sur la tribu <strong>des</strong> Culici<strong>des</strong>, insérédans les Mémoires de la Société d' histoire naturelle, t. III, p. 390.(3) Le P. Guevara parle de ce préservatif en ces termes : « On assure quela fumée les éloigne, mais ce remède est si pénible qu'on ne saurait tropdire lequel est le plus douloureux, de la fumée sans moustiques, ou <strong>des</strong>moustiques sans fumée. » Hisloria del <strong>Paraguay</strong>, p. 75, dans Coleccionde documenlos, t.II.19


290 ZOOLOGIE.<strong>Paraguay</strong>, au milieu <strong>des</strong> terres, sous l'influenced'un climat très-chaud mais en même tempstrès-sec.11 en est tout autrement avec <strong>des</strong> conditions dechaleur humide, dans le voisinage <strong>des</strong> amas d'eau stagnanteaux bords herbus <strong>et</strong> ombragés, ou sur les rivières.Là, l'insecte abonde au point de rendre la vieinsupportable, impossible. La fumée de bois vert ne lechasse pas ; les moustiquaires sont insuffisantes, <strong>et</strong> sonsuçoir aux soies fines <strong>et</strong> dentelées traverse l'étoffeserrée <strong>des</strong> vêtements. La peau plus délicate <strong>des</strong> femmes<strong>et</strong> <strong>des</strong> enfants s'enflamme sous l'influence de piqûresincessantes; la démangeaison, la cuisson, la douleur,éloignent le sommeil. L'odorat très-fin de ce diptère, luifaitdécouvrir aussitôt sa victime au milieu d'une vastepièce, <strong>et</strong> il profite avec un instinct diabolique de lamoindre ouverture dans la gaze protectrice, pour pénétrerjusqu'à elle. Vainement on chercherait à sedélivrer de ce fléau en variant les moyens préservatifs;c'est sur l'habitude qui diminue la sensibilité, <strong>et</strong> surune résignation stoïque, qu'il faut le plus compter (I).h^La Puce pénétrante (2) si souvent décrite par lesvoyageurs, se loge sous les ongles <strong>des</strong> pieds <strong>et</strong> <strong>des</strong> mains,sous la peau <strong>du</strong> talon <strong>et</strong> de la plante <strong>des</strong> pieds. La fe-(1) A son r<strong>et</strong>our de l'AssomptioD, où il s'était ren<strong>du</strong> sur le steamer deguerre « Fulton, » le capitaine Trchouart, aujourd'hui vice-amiral, reçutà Montevideo les félicitations enthousiastes que méritait, à juste titre, sacon<strong>du</strong>ite au brillant combat d'Obligado. Forcé de convenir que l'affaireavait été chaude <strong>et</strong> meurtrière, l'intrépide commandant de Ttscadrc françaisene cessait de répéter :Mais les moustiques <strong>du</strong> Paranà^ c'était bienautre chose!CI) Pulex penelrans, ordre <strong>des</strong> Aphaniplèics ou Suceurs ,genre Puce;appelé aussi chique, lique^ nigua, <strong>et</strong> au Brésil bicho do pe.


DES INSECTES. ^Mmelle y dépose ses œufs dans un sac mennbraneux quise développe rapidement. Une sensation particulière,un léger prurit, une douleur d'abord faible, se faitsentir dans le point où l'insecte s'est intro<strong>du</strong>it. On yremarque un point noir qui bientôt grandit;autour delui la peau prend une couleur livide : il faut se hâterd'enlever ce kyste qui ne tarderait pas à agir commecorps étranger, en provoquant une inflammation plusintense, <strong>et</strong> même un ulcère. C'est ce qui arrive auxNègres <strong>et</strong> aux Indiens qui marchant pieds nus, sontplus fréquemment atteints par le pulex. Trop souventmême ils payent leur insouciance de la perte d'unmembre , ou de quelque difformité pro<strong>du</strong>ite par lamise à nu <strong>et</strong> l'exfoliation <strong>des</strong> tendons.L'opération que nécessite l'extraction de l'insecte,rentre, au <strong>Paraguay</strong> comme au Brésil, dans les attributions<strong>des</strong> femmes de couleur. A l'aide d'un p<strong>et</strong>it morceaude bois effilé, elles déchirent l'épiderme, écartentdoucement les fibres <strong>des</strong> couches extérieures <strong>du</strong> derme,<strong>et</strong> détachent le kyste sans le crever. Lorsqu'il estprofondément situé, c<strong>et</strong>te opération pratiquée même parune main légère, n'est pas toujours indolente. On obtientune entière guérison en se contentant de m<strong>et</strong>trele kyste à nu sans l'extraire, <strong>et</strong> de le frictionner aveclapommade mercurielle. Ce moyen moins douloureuxm'a toujours réussi. On a proposé l'emploi en frictionsd'autres substances, telles que l'onguent basilicon <strong>et</strong>l'azotate de mercure.Voilà pour le remède; il faut ajouter qu'une propr<strong>et</strong>éminutieuse, que <strong>des</strong> bains journaliers éloignent singu-


292 ZOOLOGIE.lièrement les atteintes de l'insecte, surtout si Ton segarde enmême temps d'imiter les habitants <strong>du</strong> pays,qui dans l'intérieur de leurs maisons chaussent leurspieds nus de très-mauvaises pantoufles.Le pulex se tient de préférence dans les terrains secs<strong>et</strong> sablonneux : aussi la couche épaisse de sable quirecouvre le sol <strong>des</strong> rues de l'Assomption en recèle-t-elleun grand nombre. Le contact immédiat de ce sablefortement échauffé par les rayons solaires sur les pieds<strong>des</strong> Indiens, entr<strong>et</strong>ient une inflammation très-vive dansleurs ulcères, <strong>et</strong> contribue à pro<strong>du</strong>ire les désordres dontje parlais tout à l'heure, trop souvent compliqués d'accidentstétaniques.Certains animaux domestiques, comme le cochon,propagent le pulex qui ne paraît pas dépasser les 29"<strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud. Mais, quoique plus répan<strong>du</strong> dans leslieux habités, on le rencontre aussi en rase campagne,dans les endroits les plus déserts. Je me souviens d'enavoir cruellement souffert, en campant en compagniede M. Bonpland , au milieu <strong>des</strong> forêts vierges <strong>des</strong>bords de l'Uruguay (1).Les Puces proprement dites (pul. krilans, L.) abondenten hiver dans les Missions, sans toutefois y êtreaussi communes qu'en Algérie. Mais si quelques précautions,<strong>des</strong> arrosements fréquents sur le sol <strong>et</strong> l'usage<strong>du</strong> hamac, suffisent à éloigner leurs atteintes, cesmoyens restent impuissants contre la morsure d'un(l) Voy. une excelleote figure de c<strong>et</strong> aptère suceur donnée par M. leprofesseur Duméril dans Considérations générales sur la classe <strong>des</strong> Insectes{Dictionnaire <strong>des</strong> sciences naturelles).


DES INSECTES. 293insecte dont le nom éveillera dans l'esprit de plus d'unlecteur <strong>des</strong> souvenirs de collège. La Punaise, car c'estde c<strong>et</strong>te abominable bête que je veux parler, était inconnueau <strong>Paraguay</strong> avant l'année 1769, époque à laquelleelle y fut intro<strong>du</strong>ite dans l'équipage d'un gouverneur.Triste importation de la métropole à laquellej'ai dû de cuisantes insomnies dans lesMissions brésiliennes!A c<strong>et</strong>te rapide énumération zoologique, si l'on ajouteencore<strong>des</strong> Scolopendres, plusieurs espèces de Migalesparmi lesquelles il faut citer <strong>des</strong> Araignées-crabes <strong>et</strong> <strong>des</strong>Scorpions (clas.<strong>des</strong> Arachni<strong>des</strong>), on aura un aperçu dela faune <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions. On le voit, dansla longue série <strong>des</strong> êtres qui la composent, l'hommecompte de nombreux <strong>et</strong> implacables ennemis : restersans défiance, s'endormir dans une trop grande sécurité,serait d'une haute imprudence, <strong>et</strong> qui pourraitdevenir fatale; mais redouter au delà <strong>du</strong> juste lesdangers que j'ai signalés, ne voir partout que reptiles <strong>et</strong>moustiques, ne rêver que jaguars, serait faire montred'une honteuse faiblesse : ce serait douter que Dieuveille sur le voyageur <strong>et</strong> le protège.


CHAPITRE XXIV.ZOOLOGIE ( fin ). — DES ANIMAUX DOMESTIQUES,Si l'Europe a tiré <strong>du</strong> IN ou veau-Monde d'immeusestrésors, elle les lui a restitués avec usure, il faut ledire, en transportant au milieu de ses savanes, ses animauxdomestiques, germes précieux d'une incroyablefécondité, source de richesses plus inépuisableque lesfilons aurifères <strong>du</strong> Mexique <strong>et</strong> <strong>du</strong> Pérou. C'est, en eff<strong>et</strong>,aux animaux domestiques, c<strong>et</strong>te conquête si utile faitepar l'homme sur la création, que les nations civiliséesdoivent leur bien-être <strong>et</strong> leur puissance; <strong>et</strong> l'on pourraitjusqu'à un certain point, avec M. Richard (<strong>du</strong>Cantal), mesurer le degré de civilisationd'un peuple àla quantité d'animaux qu'il élève, à leur nature, <strong>et</strong> surtoutàleur qualité./


ANIMAUX DOMESTIQUES. 295Azara(l) raconte en ces termes l'intro<strong>du</strong>ction dela race bovine au <strong>Paraguay</strong> :Le capitaine Jean de Salazar, né dans la ville de Po-« mar en Aragon, transporta d'Andalousie sept vaches« <strong>et</strong> un taureau à la côte <strong>du</strong> Brésil; de là il les con<strong>du</strong>i-« sit par terre à la rivière Paranà, en face de l'endroit« où elle reçoit le rio Monday. Il construisit un raiedeau, y plaça les vaches <strong>et</strong> en chargea un certain« Gaëté, tandis que lui-même se rendit par terre au Pa-« raguay. Gaëté <strong>des</strong>cendit le Paranà jusqu'à sa réunion« avec la rivière <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>; <strong>et</strong> remontant celle-ci,« arriva heureusement à la ville de l'Assomption en« 1546. Il employa plusieurs mois dans ce voyage, <strong>et</strong>« comme on ne lui donna qu'une vache pour tout paye-« ment, ce fait a donné naissance à ce dicton qu'on« répète encore aujourd'hui en faisant allusion à la« grande valeur d'une chose, qu elle est plus chère que« la vache de Gaëté. Voilà l'origine de toutes les bêtes« à cornes de ces contrées-ci, où elles se sont multi-« pliées à l'infini, <strong>et</strong> où on les appelle simplement« troupeaux.« Les seconds fondateurs de Buenos-Ayres amenè-« rent <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> en 1580, quelques vaches qui se« propagèrent dans les environs, jusqu'à ce que, par« défaut de soins, beaucoup d'entre elles devinrent« sauvages, en s'étendant vers le Rio-Negro. »il) Apuntamienlos para la liisloria natural ds los Quadrupè<strong>des</strong> dcl<strong>Paraguay</strong>, t. H, p. 332; — Corrcspondencia, daus la Coleccion deobras y documentos, t. IV, p. 64.


296 ZOOLOGIE.Telle paraît être l'origine <strong>du</strong> bétail qui erre en troupesnombreuses sur les deux rives de laPlata, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te versionréunit en sa faveur plus de probabilités, que cellequi attribue l'importation de ces précieux animauxau Portugais Martim Affonso , fondateur en 1532de la capitainerie de S. Paul, sous le nom de San-Vicente, d'où ils se seraient répan<strong>du</strong>s dans les domainesde l'Espagne. Malgré la grande autorité d'Azara, jepense cependant, qu'il est difficile de reculer jusqu'àl'année 1580 l'apparition <strong>du</strong> bétail dans les Pampas.Il y a plus d'une raison de croire, en eff<strong>et</strong>, que la flottequi transporta D. Pedro de Mendoza <strong>et</strong> ses compagnonsau nombre de plus de deux mille cinq centsavec soixante-douze chevaux ( 1535), avait à bord<strong>des</strong> bètes à cornes que les Espagnols furent contraintsd'abandonner lors de la première <strong>des</strong>truction deBuenos-Avres (1539). 11 est encore probable, <strong>et</strong> l'auteurde VHisîoire <strong>des</strong> Quadrupè<strong>des</strong> de la province <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> le suppose lui-même (1), que les conquérantsen se r<strong>et</strong>irant à la hâte, quelques annéesplus tard <strong>et</strong> après quelques mois seulement d'occupation, de la ville de Saint-Jean-Baptiste fondée dès1 552 par Jean Romero en face de l'emplacement deBuenos-Ayres, laissèrent derrière eux les vaches quesans doute ils possédaient déjà, lesquelles devinrentainsi la souche <strong>des</strong> troupeaux de la rive gauche <strong>du</strong>fleuve. Dans une question aussi difficile à résoudre, leplus sage parti, pour rester dans le vrai, ne serait-il(1)T. II, p. 298 <strong>et</strong> 355.


ANIMAUX DOMESTIQUES. 297pas d'adm<strong>et</strong>tre que l'intro<strong>du</strong>ction de ces animaux inestimablesa été tentée presque simultanément surplusieurs points J^^)'^Quoi qu'il en soit , depuis c<strong>et</strong>te époque , <strong>et</strong>depuis l'année 1 550 où l'on vit pour la premièrefois dans la vallée de Cusco, au Pérou, les bœufsemployés à la culture <strong>du</strong> sol , les races bovine <strong>et</strong>ovine ont multiplié jusqu'à l'excès sur toute l'éten<strong>du</strong>e<strong>des</strong> anciennes colonies de l'Espagne , mais nullepart d'une façon aussi merveilleuse que dans les provincesArgentines, d'oùleurs dépouilles reviennent enquantités innombrables faire concurrence sur nosmarchés aux pro<strong>du</strong>its similaires de l'Europe, à <strong>des</strong>conditions avantageuses pour l'in<strong>du</strong>striel <strong>et</strong> le consommateur(2).(1) Quelques écrivains fout houneur de leur importation à l'in<strong>du</strong>strieuseactivité <strong>des</strong> Jésuites. Le Brésil, p. 163.(2) Sans entrer dès à présent dans <strong>des</strong> considérations commercialesqui trouveront plus naturellement place dans la Partie économiquede c<strong>et</strong> ouvrage, il est facile de se faire une idée, à l'aide <strong>des</strong> donnéessuivantes, de c<strong>et</strong> accroissement prodigieux.Le total <strong>des</strong> cuirs de toute nature exportés par la voie de Buenos-Ayres, seul débouché ouvert au commerce de la Confédération Argentine,s'est élevé, en 1849, à 3,199,850, malgré <strong>des</strong> dissensions <strong>politique</strong>s quidatent de l'Indépendance, <strong>et</strong> qui, loin de s'éteindre,chaque jour.Ce chiffre se décompose de la manière suivante :Unités.paraissent se raviverValeur en francs.Cuirs de bœufs <strong>et</strong> vaches salés 850,259 13,604,144— — — secs 2,111,083 37,999,494— chevaux secs 40,863 408,630— — salés 197,651 1,778,859Totaux. . 3,199,856 53,791,12"Dans ce tableau, ne figurent ni les cuirs de veaux, de veaux mort-nés,ni les autres pro<strong>du</strong>its animaux, tels que les issues, les rognures, les crins,


298 ZOOLOGIE.Etablissons-le tout d'abord :on ne rencontre pas au<strong>Paraguay</strong> de pareillesconditions de succès. En aucuntemps, la multiplication <strong>des</strong> troupeaux ne s'y est élevéeà <strong>des</strong> proportions comparables à celles qu'elle a atteintesdans les provinces de Corrientes , d'Entre Rios <strong>et</strong> deBuenos-Ayres. S'il est vrai que le <strong>Paraguay</strong> ait moinsà redouter qu'elles, les eff<strong>et</strong>s de la sécheresse si désastreuxdans les Pampas, en revanche, de fréquentesinondations submergent presque périodiquement lesplaines méridionales , les campagnes riveraines <strong>des</strong>fleuves,c'est-à-dire les points les plus peuplés <strong>du</strong> pays.J'ai indiqué, en traitant de la Climatologie, les conséquencesd'une longue sécheresse :celles d'une extrêmehumidité sont plus à craindre encore. A la suite depluies continues, les rivières débordent, <strong>et</strong> les terresbasses, sans écoulement, sont bientôt inondées. Sousles corucs, <strong>et</strong>c., dout le total a atteiol la somme de 2,867,923 francs, auxquelsil faut ajouter eucore 3,592 balles de peaux de moutons d'uue valeurde 2,155,200 fr. — Ces trois séries de chiffres réunies doaneut untotal de 55,946,327 fr., <strong>et</strong> forment à elles seules plus de la moitié <strong>des</strong>Iexportations do Buenos-Ayrcs pendant la même année.Sur 13,191,384 fr. de pro<strong>du</strong>its que la France en a tirés dans le mêm<strong>et</strong>emps, les dépouilles animales représentent une valeur de 10,210,746 fr.Ajoutons que ces matières premières font partie de son commerce spécial,de même que les obj;>ts expédiés en r<strong>et</strong>our.A la fin <strong>du</strong> siècle dornier, les deux rives de la Plata n'exportaient pasau delà d'un million do cuirs ;<strong>et</strong>, on lo remarquera, ïl n'est pas tenucompte, dans les états précédents, <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>ctions similaires de la Randa-Oricntal. Ou sait qu'à c<strong>et</strong>te époque ( 1849 \ toute la campagne de Montevideoétait au pouvoir <strong>des</strong> troupes Argentines, qui l'occupèrent jusqu'aumoment où le Brésil intervint dans la lutte que ^outenait la ville contrele général Rosas. La guerre terminée, Montevideo se substitue en partiepour l'arliclo le plus important ( les praux brutes ) à Buenos-Ayres dontles exportations ont sensiblement diminué en 1853 <strong>et</strong> 185 i. Toutefois, en1855, elles présentent un accroissement remarquable sur celles de l'aDoéeprécédente.


ANIMAUX DOMESTIQUES. 299l'influence <strong>du</strong> conèact de l'eau, la corne <strong>du</strong> pied del'animal se ramollit <strong>et</strong> s'ulcère; sa marche, d'abordpénible, ne larde pas à devenir impossible, <strong>et</strong> il péritasphyxié, ou parce qu'il ne trouve plus à vivre aumilieu de pâturages submergés. Faut-il ajouter queles jeunes animaux qui naissent au milieu decirconstancesaussi critiques, sont voués d'avance à une mortcertaine?A côté de ces causes accidentelles, ilen est d'autrespermanentes, locales, qui s'opposent à un accroissementillimité <strong>du</strong> bétail. La rar<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> quelquefois le manqueabsolu de sel est une de ces causes.c<strong>et</strong>teIl s'en faut bien, en eff<strong>et</strong>, que toutes les plaines departie de l'Amérique soient également propres àl'élève <strong>des</strong> animaux domestiques. Parmi les pâturagesqui réunissent les conditions les plus favorables de succès,je citerai ceuxde Neernbucù, deCaazapa, de Yuty,<strong>des</strong> Missions <strong>du</strong> Paranà , <strong>et</strong> avant tous encore les 11anos<strong>du</strong> Grand-Chaco, où ilsengraissent avec une étonnanterapidité. Or, sur tous ces points, existe une argilelimoneuse, salpêtrée (barrero), dont les efflorescencesrecueillies <strong>et</strong> traitées par évaporation, fournissentla majeure partie <strong>du</strong> sel employé dans l'économiedomestique. Les bestiaux la recherchent <strong>et</strong> lamangent avec une avidité qui étonne le voyageur témoinde ce spectacle étrange. Là où elle manque, ilsengraissent d'abord, mais bientôt les fonctions digestivease troublent, leur chair contracte une saveurdésagréable; ils tombent dans le marasme, <strong>et</strong> ne tardentpas à périr. C'est ce que l'on observe trop sou-


300 ZOOLOGIE.vent dans la moitié orientale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> , dans lesdistricts <strong>du</strong> nord <strong>et</strong> de Curuguaty ; au milieu <strong>des</strong>champs si fertiles <strong>des</strong> Missions de l'Uruguay, <strong>et</strong> de laprovince de Rio-Grande. C<strong>et</strong>te terre nitreuse assezcommune dans les vallées, devient plus rare à mesureque le sol s'élève <strong>et</strong> disparait dans les régionsmontagneuses (i).Mais depuis le parallèle de 27° jusqu'aux steppes dela Patagonie, le besoin <strong>du</strong> sel cesse d'être impérieux;probablement, parce que l'eau <strong>des</strong> ruisseaux <strong>et</strong> l'herbe<strong>des</strong> prairies contiennent en quantité suffisante lesprincipessalins dont la privation entraîne le dépérissement<strong>et</strong> la mort <strong>des</strong> bêtes à cornes, <strong>des</strong> chevaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> moutons.Pour obvier aux inconvénients graves <strong>du</strong> manquede barrero , les éleveurs sont obligés de donner aux ^troupeaux le sel qu'ils tirent à grands frais de l'As- Msomption ou <strong>du</strong> Brésil par la voie d'Itapua, malgré le "haut prix <strong>des</strong> transports, <strong>et</strong> <strong>des</strong> communications ren<strong>du</strong>estrès-difficiles par l'absence de ponts sur les rivières<strong>et</strong> le mauvais état <strong>des</strong> chemins.Il faut encore tenir compte dans l'étude de la questionqui nous occupe, de l'influence <strong>du</strong> climat. Touteschoses égales d'ailleurs,le bétail réussit mieux dans lesplaines découvertes, tempérées <strong>et</strong> même un peu froi<strong>des</strong>,que dans les terrains brûlants ou trop boisés (2). Un<strong>et</strong>empérature élevée agit <strong>et</strong> par elle-même, <strong>et</strong> parce(1) Voyez plus haut Orographie. Configuration <strong>et</strong> composition <strong>du</strong>sol, p. 89.{*!) L'amiral Roussio a sigoalc la mauvaise qualité de la vidode sur lescôtes iolertropicales <strong>du</strong> Brésil.


ANIMAUX DOMESTIQUES. 301qu'elle favorise Téclosion de myria<strong>des</strong> d'insectes quis'attachent aux animaux a<strong>du</strong>ltes, les tourmentent sansrepos ni trêve, <strong>et</strong> déposent sur l'ombilic <strong>des</strong> nouveaunés<strong>des</strong> larves qui les font promptement périr. Aussiles val<strong>et</strong>s de ferme (peones) ont-ils soin de les réunirdans une enceinte palissadée (rocfeo), pour les débarrasserde ces parasites, <strong>et</strong> panser la plaie qu'ils laissent aprèseux. C<strong>et</strong>te précaution déjà moins impérieuse dans lesMissions <strong>et</strong> à Corrientes, est négligée sans inconvénientsdans les pampas de Buenos-Ayres <strong>et</strong> à Montevideo.Le plus redoutable de tous les insectes est leGarni"pato (i ),qui dans ces dernières années, a fait de cruelsravages parmi les troupeaux <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. L'épidémiedébuta en 1836, importée, dit-on, <strong>du</strong> Brésil par deuxbœufs atteints <strong>du</strong> garrapato. Ilparaît <strong>du</strong> moins certainque dès 1834 elle sévissait avec une violence extrêmedans la province de Bio-Grande, où l'on avait proposéune forte récompense à qui trouverait un moyen efficacede la combattre (2).C<strong>et</strong>te épidémie eut <strong>des</strong> conséquencesterribles.Elle causa une ruine générale, car lamortalité fut décuplée par les mesures extravagantes <strong>et</strong>impitoyables que le docteur Francia imagina pour lacombattre, <strong>et</strong> en arrêter les progrès. Qui le croirait?Le Dictateur désireux avant tout de préserver de lacontagion les nombreux troupeaux de l'État,ne trouvapas d'autre expédient ni de plus sur remède, que de(1) Ixo<strong>des</strong> de Latr., G. Ricinus : c'est le Pucaruro de l'Amazonie.(2) Arsène Isabelle, Voyagea Buenos-Ayres <strong>et</strong> à Porlo-Alégre, in-S",p, 409.


302 ZOOLOGIE.faire abattre le bétail <strong>des</strong> particuliers quelque nombreuxqu'il fût, lorsqu'il renfermait une seule bête infectée(le la maladie. Il se hâta donc de m<strong>et</strong>tre sur pied<strong>des</strong> partis de soldats pourvus de munitions, qui battaientla campagne, rassemblaient les troupeaux condamnés,<strong>et</strong> ouvraient ensuite le feu sur ces ennemisimprovisés <strong>et</strong> fort pacifiques (1).En dépit de ces précautions pires que le mal, le redoutableinsecte étendit successivement ses ravages sur l<strong>et</strong>erritoire entier de la République paraguayenne, <strong>et</strong> sansjamais avoir complètement disparu, il sévit avec unenouvelle intensité dans le cours <strong>des</strong> années 1844 <strong>et</strong>1845.Le gouvernement <strong>et</strong> leshabitants eux-mêmes, pourdonner une haute idée de la puissance de pro<strong>du</strong>ction<strong>du</strong> pays, ne manquentjamais d'exagérer les désastreusesconséquences de ces épidémies.On m'a affirmé à plusieursreprises, que depuis leur apparition <strong>et</strong> dans l'espacede dix ans, les Garrapatos avaient fait périr deuxcent mille chevaux, <strong>et</strong> deux millions de bêtes à cornes.Je n'hésite pas à regarder ces données comme empreintesd'exagération, quoique la bourgade (puehlo)de Caazapa, une <strong>des</strong> plus riches ilest vrai, ait per<strong>du</strong> àelle seule dans le même temps deux mille <strong>des</strong> premiers,<strong>et</strong> vingt mille <strong>des</strong> seconds. Quoi qu'il en soit,ces chiffres accusent une mortalité considérable.(1) A celle occasion, Francia disait encore dans une instruclion coufidenlielleadressée au commandant de la Vill<strong>et</strong>a : Pour arriver à préserverles eslandas de la Patrie que j'ai créées par 7nou travail personnel,ce n'est rieu que de tuer trente ou quarante mille téfcs de l)€taH.


ANIMAUX DOMESTIQUES. 303Lorsqu'on vient àfaire la part <strong>des</strong> obstacles que nousavons énumérés, <strong>et</strong> qui résultent tout à la fois <strong>des</strong>phénomènes climatologiques, de la nature <strong>des</strong> pâturagessouvent médiocres <strong>et</strong> quelquefois impropres àla nourriture <strong>des</strong> animaux, <strong>et</strong> <strong>des</strong> épizooties , onest obligé de reconnaître que les Jésuites avaient suen atténuer singulièrement l'influence, car le bétails'était prodigieusement multiplié dans les Ré<strong>du</strong>ctionsGuaranies. On en acquit la preuve à la chute de leurgouvernement. Les troupeaux innombrables qu'ilsavaient laissés dans leurs estancias, disparurent promptement,faute de soins, d'administration <strong>et</strong> de prévoyance.Ainsi, le village de Santa-Rosa n'avait pas àl'époque de la révolution hispano-américaine , dixmille têtes de bétail, <strong>et</strong> quarante ans auparavant il enpossédait plus de quatre- vingt mille (1). Dès lors, la(1) Rengger <strong>et</strong> Longchamp, Essai historique sur la révolution <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, p. l>45. A l'appui <strong>du</strong> tômoiguage peu suspect de partialité<strong>des</strong> voyageurs suisses, je transcris le passage suivaut d'un mémoireadressé en 1721 au <strong>du</strong>c dOrléans, régent <strong>du</strong> royaume, sur le Para^uaijésuitique. L'auteur qui demeura pendant plusieurs années au service<strong>des</strong> Pères de la Compagnie, ne leur reud justice qu'à bon rscient. Le litreseul de l'opuscule eu fait foi.« Dans les vastes pâturages <strong>et</strong> prairies naturelles qui sont vers la mor« <strong>du</strong> uord, entre la rivière de la Plala <strong>et</strong> les Paulistes-Portugais, ily aMun nombre iufmi de bêtes chevalines <strong>et</strong> à cornes. C'est là que les Jésuites« envoient chercher les chevaux à l'usage <strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ction,-, <strong>et</strong> les bestiaux« nécessaires à la nourriture de leurs ré<strong>du</strong>its. »§ IV.Chasse annuelle aux bêtes chevalines <strong>et</strong> à cornes»(1 Tous les ans les Jésuites font faire en décembre, janvier <strong>et</strong> février,« une grande chasse générale où chaque Ré<strong>du</strong>ction envoie une compagnie


30iZOOLOGIE.consommation se restreignit sensiblement, le pays qui%« plus ou moins forte, à proportion <strong>du</strong> plus ou <strong>du</strong> moins <strong>des</strong> personnes« que chacune contient; ces chasses s'appellent vagiares en langage« guairan.« Quand la chasse est faite, chaque homme est obligé d'amener mille« bêtes à sa Ré<strong>du</strong>ction; cela ne manque point : en sorte qu'une compagnieM de trente hommes amène trente raille bêtes, <strong>et</strong> ainsi <strong>des</strong> autres. Cela« passe toute croyance, dit-on, mais c'est un fait.« Les chevaui <strong>et</strong> les mul<strong>et</strong>s sont aussi en très-grande quantité dans« ces Ré<strong>du</strong>ctions, car chaque ré<strong>du</strong>it a son cheval ; il va rarement à pied. »( Le Paraguai jésuitique^ ou Description succincte <strong>des</strong> terres dont lesJésuites espagnols se sont emparés dans l'^îmérigue méridionale, en yportant la Foi, <strong>et</strong>c.. Le tout extrait fidèlement <strong>des</strong> mémoires <strong>du</strong> sieurBrav<strong>et</strong>, ingénieur à la Martinique, que ces pères firent généralissime deleurs troupes dans la guerre contre les Xaraïes en 1718. Amsterdam, 1768,p. 28.)Le tableau suivant contient le dénombrement <strong>du</strong> bétail <strong>des</strong> Missionsfait en 1768, au moment où elles sortirent <strong>des</strong> mains de leurs fondateurs:<strong>et</strong> en 1772, lorsqu'elles furent confiées à l'administration supérieure deD. Juan Manuel de Lascauo. Les chiffres qu'il renferme me dispensentde toute réflexion.RACEbovine.RACEchevalineMOLES.ANES.RACEovine.Année 1768787,72299,21112,7057,469225,486— 1772184,19257,3738,1455,19293,739Diminution 603,530 41,838 4,560 2,277131,747Enfin, il n'est pas sans intérêt de placer en regard de la pro<strong>du</strong>ction animaledans les Missions, à ces deux époques si rapprochées l'une de l'autrepar les dates, <strong>et</strong> cependant si éloignées par leurs résultats, le chiffre <strong>du</strong>bétail élevé en France.D'après un état dressé par l'administration de l'Agricullure dansces dernières années, la population animale s'élève à 45,693.114 têtes,réparties ainsi qu'il suit :Espèce bovine 9,939,828Espèce ovine 32,151,430Espèce chevaline2,^18,493Anes <strong>et</strong> mul<strong>et</strong>s 787,360,


ANIiîAUX DOMESTIQUES. 305avait exporté <strong>des</strong> bœufs <strong>et</strong> <strong>des</strong> chevaux dans les provincesvoisines, se vit dans la nécessité d'en recevoird'elles. La diminution avait marché si rapidement,que dans le manuscrit dont nous avons déjà parlé (1),le capitaine de frégate D. Francisco Aguirre, donnecomme total <strong>des</strong> bestiaux en 1788, le chiffre sans douteofficiel de 590,000, <strong>et</strong>celui de 150,000 pour les chevaux.A l'avènement <strong>du</strong> docteur Francia leschoses changentde face, <strong>et</strong> la pro<strong>du</strong>ction s'améliore. Il interdittoute exportation; ilrègle l'abatage <strong>des</strong> animaux <strong>des</strong>tinésà la consommation <strong>des</strong> troupes, <strong>et</strong> administre avecune économie sévère les fermes de l'État. Sous l'influencesalutaire de ces mesures rigoureusementmaintenues, le <strong>Paraguay</strong> s'est peu à peu repeuplé.Il faut ajouter que la nourriture <strong>des</strong> habitants loind'être exclusivement animale, <strong>et</strong> sans aucun accessoire,comme chez leurs voisins, a pour base les pro<strong>du</strong>itsvariés d'une culture beaucoup mieux enten<strong>du</strong>e.L'ordre, la parcimonie qui président à l'exploitation<strong>des</strong> troupeaux, font un contraste frappant avec ce quise passe dans lescontrées voisines, où ils pullulent enl'absence de tous soins, malgré <strong>des</strong> tueries sans freinni mesure, <strong>et</strong> les mises en coupes réglées auxquelles selivrent, au milieu de guerres interminables, deux partisdésireux de s'affamer mutuellement, <strong>et</strong> de tarir lasource unique de leurs subsi<strong>des</strong>.Sur le champ de ba-(1) Descripcion de la provincia del <strong>Paraguay</strong>, maaus. conservé àrÂssomptioD.20


306 ZOOLOGIE.taiile, toute lascience stratégique <strong>du</strong> chef consiste, eneff<strong>et</strong>,à s'emparer <strong>des</strong> bestiaux pour la nourriture de sessoldats; <strong>des</strong> cuirs, obj<strong>et</strong> d'échange important que chaquecorps traîne avec soi,<strong>et</strong> <strong>des</strong> chevaux dont le nombreconstitue presque seul la force <strong>des</strong> armées. Le faitsuivant donnera une idée de c<strong>et</strong>te consommation effroyable.On a calculé que Tinvasion de la provincede Corrientes, par le général Urquiza, alors au servicede Rosas (1846), avait coûté en trois mois à ce malheureuxpays déjà ruiné par de longues années deguerres intestines, plus de dix mille chevaux. Lorsqueses soldats ne trouvaient pas d'arbres pour attacherleurs montures, ils égorgeaient <strong>des</strong> bœufs aux membres<strong>et</strong> aux cornes <strong>des</strong>quels ils nouaient les longes {sogas),en s'évitant ainsi la fatigue d'aller couper <strong>des</strong> pieux àquelques pas : en revanche, il n'y eut pas dans toutela campagne un seul homme de tué. En comparant, aupoint de vue de la pro<strong>du</strong>ction animale, Corrientes,l'Entre -Rios, Montevideo <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>, on restefrappé de l'infériorité de ce dernier pays.Ce que je dis <strong>du</strong> nombre, peut s'appliquer à la taille.En même temps qu'il est moins nombreux, le bétail yest aussi plus p<strong>et</strong>it. On comprend de reste, que lesmêmes causes qui s'opposent à la multiplication del'espèce au delà de certaines limites, ne sauraient favoriserledéveloppement de l'indivi<strong>du</strong>.Les animaux domestiques sont élevés dans <strong>des</strong>fermes appartenant à l'État, aux communautés indiennes,ou aux particuliers. Elles sont régies <strong>et</strong>administrées par un contre-maître (capaiaz) qui a


ANIMAUX DOMESTIQUES. 307SOUS ses ordres, en nombre variable, <strong>des</strong> peones quigardent le troupeau <strong>et</strong> le réunissent une fois par semaineau rodeOy pour le marquer, affranchir les mâles,<strong>et</strong> séparer ce que l'on <strong>des</strong>tine à la vente de cequi doit servir à la consommation. Les mêmes hommessont encore chargés de Tabatage, <strong>et</strong> de la préparation<strong>des</strong> cuirs (1 ).En général, on évalue le pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> bétail au quart,<strong>et</strong> celui <strong>des</strong> chevaux <strong>du</strong> sixième au huitième <strong>du</strong> total.Est-il nécessaire d'ajouter, que le croît varie avec lanature <strong>du</strong> sol, <strong>et</strong> la qualité <strong>des</strong> pâturages?Le prix moyen d'un bœuf, à l'Assomption, est de20 réaux à 3 piastres (2). Il varie peu sur les autrespoints <strong>du</strong> pays, tandis que dans l'intérieur <strong>des</strong> provincesde Rio-Grande <strong>et</strong> de Corrientes, il dépasse rarementdeux piastres (3). Au <strong>Paraguay</strong>, pour conserver laviande, on ne la découpe pas en tranches larges <strong>et</strong>minces comme au Brésil ;on prépare le cliarque ou tasajo(4) en faisant <strong>des</strong> fil<strong>et</strong>s un peu plus gros que ledoigt, que l'on expose ensuite au soleil sur <strong>des</strong> cor<strong>des</strong>(1) Le nombre <strong>des</strong> fermes publiques {de la Patria, del Eslado), étaiten 1849, de 64, sans compter les postes.Une ferme (eslancia) nourrit au moins mille tôtes de bétail. On donnele nom de postes {puestos) aux établissements agricoles qui eu possèdentune quantité moindre. C<strong>et</strong>te distinction est tout à faitarbitraire. Les capatacesplacés à leur tête, obéissent aux ordres d'un capataz-mayor^ chargéd'administrer Vestancia, dont les puestos sont <strong>des</strong> subdivisions.(2) Ce priï tend à augmenter. Voy. le tableau, p. 315.(3) 10 fr. 80 cent. Il m'est arrivé de ne pas donner plus d'une piastrepour une génisse de 15 à 18 mois.(4) Charque de xarquear; en portugais faire le tassâo^ sécher <strong>des</strong>tranches de bœuf au soleil. M. A. d'Orbiguy adm<strong>et</strong> comme étymologiede charque, le mot charqui qui dans la langue quichua ou <strong>des</strong> Incas,signifie viande sèche, <strong>et</strong> sert au figuré à <strong>des</strong>igner une personne très-maigre.


308 ZOOLOGIE.en cuir fixées à de longues perches. De temps entemps, on r<strong>et</strong>ourne ces espèces de chapel<strong>et</strong>s, en enlevantavec soin les larves que les mouches viennent ydéposer.La vente <strong>des</strong> peaux brutes longtemps prohibée,estlibre aujourd'hui, <strong>et</strong> n'est point monopolisée par legouvernement comme celle <strong>du</strong> Maté, <strong>et</strong> <strong>des</strong> bois deconstruction. Nous traiterons ailleursde leur exportalion,que l'accroissement limité <strong>des</strong> animaux domestiquesmaintient dans <strong>des</strong> conditions regr<strong>et</strong>tables d'inférioritérelative. Il faut ajouter qu'une grande partie<strong>des</strong> cuirs est consommée sur place, <strong>et</strong> employée dansl'économie domestique. On en couvre les sièges, lescharr<strong>et</strong>tes, <strong>et</strong> même les maisons (ranchos) ; on en fait<strong>des</strong> lits, <strong>des</strong> cor<strong>des</strong>, <strong>et</strong> jusqu'à <strong>des</strong> portes <strong>et</strong> <strong>des</strong> fenêtres.Le bétail suffit à tout. On s'assiedsur les crânes;on fabrique avec les cornes <strong>des</strong> vases, <strong>des</strong> cuillers, <strong>des</strong>peignes <strong>et</strong> <strong>des</strong> bouteilles; la graisse remplace l'huile <strong>et</strong>le beurre; les os servent de bois à brûler dans les localitésoù il manque; enfin, avec le suif chaque famillefabrique le savon <strong>et</strong> la chandelle nécessaires à ses besoins.La plupart <strong>des</strong> considérations qui précèdent peuvents'appliquer à l'espèce chevaline, plus grande,plus vigoureusedans les provinces Argentines qu'au <strong>Paraguay</strong>,où elle réussit aussi moins bien. Les mêmes causespro<strong>du</strong>isent <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s analogues; <strong>et</strong> le peu de déclivité<strong>des</strong> plaines, exposées tour à tour à <strong>des</strong> inondations <strong>et</strong>a <strong>des</strong> sécheresses prolongées, le manque de sel, restreignentla multiplication <strong>des</strong> chevaux. Toutefois, de-


ANIMAUX DOMESTIQUES. 309puis que l'exportation n'en est plus permise, leur nombrea augmenté très-notablement; tandis qu'il diminuechaque jour sur les rives de la Plala, où <strong>des</strong> guerresincessantes entraînent la <strong>des</strong>truction par milliers de cesprécieux animaux. Il suit de là, que, contrairementà ce qui avait lieu au temps de la domination espagnole,les chevaux coûtent aujourd'hui moins cher au<strong>Paraguay</strong>, que dans lesprovinces de l'ancienne viceroyauté.Azara raconte (i) d'après une pièce conservéedans les archives de l'Assomption, que dans l'origineils y étaient si rares, que Martinez de Irala ach<strong>et</strong>a, en1551, un cheval noir moyennant quatre mille écusd'or (environ quarante-cinq mille francs), payables <strong>des</strong>premiers profits de la conquête, <strong>et</strong> pour lesquels ilfutobligé de fournir caution. Il ajoute qu'à sa mort, en1556, Irala laissa vingt-quatre chevaux.Depuis c<strong>et</strong>te époque, leur valeur a singulièrementdiminué. A la fin <strong>du</strong> dernier siècle, on y vendait pourquatre piastres un cheval ordinaire, qui ne valait encoreque la moitié de c<strong>et</strong>te somme à Buenos -Ayres. Unejument coûtait deux réaux (unfranc trente-cinq centimes).J'ai payé, sur les bords <strong>du</strong> Paranà, un peu plus devingt-cinq francs la pièce, plusieurs chevaux en trèsbonétat <strong>et</strong> qui firent un excellent service jusqu'àRio-Pardo, où j'eus toutes les peines <strong>du</strong> monde à lesrevendre pour le même prix, bien qu'ils valussent ledouble.(1) Essais sur l'histoire naturelle <strong>des</strong> Quadrupè<strong>des</strong> de la provins<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>^ II, 310


310 ZOOLOGIE.Dans l'intérieur <strong>du</strong> pays leur valeur est un peu plusgrande que sur les frontières. Un cheval piaffeur, ouqui présente quelque chose de remarquable dans sarobe, dans ses formes, <strong>et</strong> surtout dans la vitesse, acquierttout de suite un prix beaucoup plus élevé,car les pauvreshabitants <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ont, eux aussi, la passion<strong>des</strong> courses. J'ai pris plaisir plus d'une fois, le dimanche,à assister dans la plaine d'ibiray, près de l'Assomption,à ces luttes qui me rappelaient dans <strong>des</strong> proportionsbien ré<strong>du</strong>ites celles <strong>des</strong> capitales de l'Europe;car sur ce fz/r/* américain, les mo<strong>des</strong>tes paris <strong>des</strong> gentlemenriders dépassaientrarement quelques réaux. C'estaux Anglais qu'est<strong>du</strong>e l'importation <strong>des</strong> courses dontle goût s'étendit promptement de Buenos-Ayres auxprovinces les plus reculées (1). Là-bas comme ici, ilexiste une science, fructueux privilège de quelqueshommes, pour préparer, pour composer le cheval parejero(2) en vue de ces épreuves. On diminue son embonpoint,on le tient en haleine, sans craindre mêmed'ajouter à ce régime quelques pratiques superstitieuses,afin de rendre V entraînement plus parfait.L'origine <strong>des</strong> chevaux qui peuplent les savanesméridionalesde l'Amérique jusqu'au détroit de Magellan,ne parait pas contestable. On s'accorde à lesregarder comme les <strong>des</strong>cendants <strong>des</strong> animaux transportésde l'Andalousie <strong>et</strong> de Ténériffe sur la flotte(t) De 1714 k 1716. Eq ce lemps-Ià, les Auglais avaient coqcIu avecl'Espagne un traité par lequel ils s'engageaient à fournir de nègres sescolonies.{'2)De pareja, carrière.


ANIMAUX DOMESTIQUES. 311de Pedro de Mendoza, <strong>et</strong> dont une partie fut abandonnéepar les premiers fondateursde Buenos-Ayres,lors de leur r<strong>et</strong>raite sur le <strong>Paraguay</strong>, à la suite de laprise de la ville par les Indiens. Lorsque Jean de Garayentreprit quarante ans plus tard (1580), de releverc<strong>et</strong>te cité , il trouva près de ses ruines un grandnombre de chevaux sauvages auxquels ses compagnonsfirent la chasse <strong>et</strong> qu'ils essayèrent de dompter. On apeine à comprendre, en se reportant à c<strong>et</strong>te époquede luttes continuelles, en tenant compte <strong>des</strong> périlsd'une conquête aussi laborieuse, comment ces tentativesont pu fournir matière à un long procès. C'est làcependant ce qui arriva. Les agents <strong>du</strong> fisc s'opposèrentà c<strong>et</strong>te chasse, en réclamant les chevaux au nom<strong>du</strong> Roi, auquel ils devaient appartenir. Un jugementintervint en 1 596 qui repoussa les prétentions <strong>du</strong> fisc,<strong>et</strong> décida que lesconquérants devenaient propriétaires<strong>des</strong> chevaux sauvages dont ils parvenaient à s'emparer.Les mul<strong>et</strong>s qui rendent d'incessants services auBrésil, sont très-rares : on en élève peu; la nature <strong>du</strong>sol ne paraît pas leur convenir. Ils proviennent tousd'un âne <strong>et</strong> d'une jument, <strong>et</strong>sont de très-p<strong>et</strong>ite taille.Les provinces de la Confédéral ion Argentine font aucontraire un commerce considérable de ces précieuxanimaux, au pied si solide, à l'instinct si sûr, <strong>et</strong> sanslesquels il serait impossible de voyager à travers lesétroits <strong>et</strong> périlleux sentiers <strong>des</strong> An<strong>des</strong>. La province deSaint-Paul tire la plus grande partie de ses mules deCorrientes <strong>et</strong> de l'Entre-Rios, <strong>et</strong> en expédie dans b


312 ZOOLOGIE.centre <strong>et</strong> dans le nord de l'Empire, où le sol montueux<strong>et</strong> le déplorable état <strong>des</strong> chemins les rendent indispensables.On ne les emploie, au <strong>Paraguay</strong>, qu'au transport<strong>du</strong> maté, de l'intérieur <strong>des</strong> forêts jusqu'à son embarquementdans les pirogues.Je ne parle <strong>des</strong> ânes que pour mémoire. On le comprend,dans une contrée où les chevaux sont aussimultipliés <strong>et</strong> à vil prix, on ne doit pas faire grand casd'un animal qui par sa sobriété, sa patience <strong>et</strong> sa robuslicité,rend cependant aux agriculteurs pauvres denos campagnes <strong>des</strong> services moins onéreux que ceux<strong>du</strong> cheval. Je n'en ai rencontré que dans les pueblos<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Les Indiens de Ytà, de Yaguaron, lesmontent, <strong>et</strong> s'en servent comme de bêtes de sommepour con<strong>du</strong>ire sur le marché de la capitale les poteriesgrossières qu'ils fabriquent.La robe <strong>des</strong> ânes est uniformément d'un grisclair,excepté sous le ventre où le blanc domine. Uneraie brune, presque noire, court le long de l'épinedorsale jusqu'à la hauteur <strong>du</strong> garrot où une autre raiecoupe celle-ci à angle droit, <strong>et</strong> se prolonge sur lesépaules.Les Naturels n'en prennent aucun soin; ilsles traitentau contraire avec beaucoup de <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é. Aussi larace en est-elle p<strong>et</strong>ite, chétive, sans valeur, <strong>et</strong> dégradée.On ne fait guère plus de cas <strong>des</strong> bêtes ovines: commesur presque tous les<strong>des</strong> moutons est tout à faitpoints <strong>du</strong> Sud-Amérique, l'élèvenégligée. Leur chair n'estpas estimée; à peine s'applique-t-on à tirer quelque


ANIMAUX DOMESTIQUES. 313parti de la laine (1), que l'on fait entrer en p<strong>et</strong>itequantité dans la fabrication <strong>des</strong> étoffes de coton. Ils sevendent difficilement au prix de 4 à 6 réaux lapaire,<strong>et</strong> dans quelques localités beaucoup moins encore : onne fait rien <strong>des</strong> peaux.C<strong>et</strong>te indifférence à l'endroit de la multiplication dela race ovine, est fâcheuse <strong>et</strong> très-regr<strong>et</strong>table. Les conditionsde pro<strong>du</strong>ction dans lesquelles se trouve le pays,la rar<strong>et</strong>é <strong>et</strong> le haut prix <strong>du</strong> sel, ne lui perm<strong>et</strong>tent ni deboucaner la chair <strong>du</strong> bétail, ni d'en saler les cuirs;<strong>et</strong> les habitants pourraient jusqu'à un certain pointtrouver une compensation à c<strong>et</strong> état d'infériorité dansTé<strong>du</strong>cation <strong>des</strong> moutons, assez simple par elle-même,très-pro<strong>du</strong>ctive, qui n'exige que peu de frais de maind'œuvre,<strong>et</strong> de faibles capitaux. C'est ce que l'on a parfaitementcompris sur les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata, oùle nombre <strong>des</strong> troupeaux de bêtes à laine s'accroît trèssensiblementdepuis plusieurs années, tandis que l'in<strong>du</strong>strie<strong>des</strong> saladeros (2)perd chaque jour de sonimportance, au milieu de commotions <strong>politique</strong>ssans cesse renaissantes. Ces coûteuses usines nepeuvent prospérer qu'à l'aide de mises de fonds consi-(1) Le mot carne (viande) sert exclusivement à désigner la chair <strong>du</strong> grosbétail. On n'emploie jamais c<strong>et</strong>te expression en parlant de celle <strong>du</strong> veau,<strong>du</strong> mouton, <strong>du</strong> gibier <strong>et</strong> <strong>des</strong> animaux de basse-cour, laquelle n'est pasconsidérée comme étant de la carne. Singulière contradiction cependant !le nom espagnol <strong>et</strong> portugais <strong>du</strong> mouton est carnerOyà\ec une très-légèremodification orthographique.(2) Charquedas au Brésil; établissements dans lesquels on abat parmilliers les bestiaux, pour en saler la chair, en sécher les cuirs, foudreles graisses, le suif, <strong>et</strong> préparer les os, les crins,les cornes <strong>et</strong> les issues.Voy. dans une note précédente (p. 307), l'étymologie <strong>du</strong> mot charqui.


314 ZOOLOGIE.dérables, qu'avec la perspective d'une paix soiide <strong>et</strong>d'un avenir assuré. Aussi ressentent-elles bien avantl'in<strong>du</strong>strie ovine, le contre-coup de la stagnation <strong>des</strong>affaires, conséquence obligée de la guerre civile. Lacomparaison <strong>des</strong> exportations de Buenos-Ayres pendantles années 1 843 <strong>et</strong> i 849, suffit à m<strong>et</strong>tre celte assertionbors de doute, en démontrant que l'augmentationpour c<strong>et</strong>te dernière année, ne porte presque exclusivementque sur les laines (1).(1) Les plus belles sont recueillies dans les provinces de Buenos-Ayres<strong>et</strong> dEntre-Rios. Elles se divisent en deux classes : ^lerinos <strong>et</strong> Sajonias( de brebis saxonnes ) ; au-<strong>des</strong>sous d'elles viennent trois classes de lainesdites métisses, <strong>et</strong> une dernière de laines ordinaires. Les chiffres suivantsconstatent la marche progressive de c<strong>et</strong>te exportaiion pendant les vingtcinqdernières années, pour le port de Buenos-Ayres.Exportation en 1829Douzaines de cuirs.Arrobes de laine.2,036 46,466Eu 183597,963 129,487En 1840(Année <strong>du</strong> blocus par les forces navales de la France.)10,351 90,611En 1841La paix faite, ces chiffres s'élèvent à :211,694 959,067£o 1843102,424 510,798En 185429,872 W6.G96La lacune entre 1843 <strong>et</strong> 1854 s'explique par les guerres intestines quin'ont pas permis de recueillir <strong>des</strong> renseiguements présentant un degrésuflisaot de certitude.


..ANIMAUX DOMESTIQUES. 315Les autres animaux domestiques méritent à peineune mention. Au <strong>Paraguay</strong>, on élève <strong>des</strong> porcs; maisen quantité bien moindre qu'au Brésil où leur chairassociée à la farine de manioc <strong>et</strong> aux haricots (feijaos),constitue la nourriture exclusive de l'immense majorité<strong>des</strong> habitants.<strong>et</strong>Il y a encore un nombre assez considérable de poulesde canards. Ces derniers, de grande taille, proviennentde l'espèce sauvage nommée pato real. Ils sontpeu estimés, <strong>et</strong> leur prix, même sur le marché del'Assomption, varie d'un demi-real à un real lapièce (1).(1) Je dois faire observer que le prix <strong>des</strong> denrées indigènes a beaucoupaugmenté depuis quelques années à l'Assomption. On en jugera par l<strong>et</strong>ableau comparatif suivant que j'extrais<strong>des</strong> Annales <strong>du</strong> commerce extérieur( septembre 1858 ) :DENREES.UNITÉS. _PRIX._.i^" m1853. 1856. 1857.PainViande de bœuf.MaïsFarine dePoulesŒufsMélasseRhumSucrebrutmanioc,fr. c. fr. c. fr . cLekil. » ))1 30 1 30» 01 62 97L'hectol. 21 » 22 » 71 »100 kil. 13 » 55 » 110 »La pièce. 62 95 1 90La douz. 15 » » 1 90Le kil. 11 87 1 39Le litre. 30 62 1 65Le kil. " 65 1 30 2 60fr. c.»9650 ))97 »1 281 751 281 351 9On trouvera plus loin ( Partie économique ), sur la préparation <strong>et</strong> lecommerce <strong>des</strong> cuirs, <strong>des</strong> détails qui rapprochés <strong>des</strong> précédents, com-


316 ZOOLOGIE. — ANIMAUX DOMESTIQUES.pléteroDt ce qui a trait aux aDimaui domestiques. Alors ,nous parlerousaussi de Fintro<strong>du</strong>ction <strong>des</strong> vian<strong>des</strong> saléesque l'Amérique importe depuisquelque temps en France. Ce mode nouveau d'alimentation peut acquérirnue importance réelle, dans un temps où le prit de tous les obj<strong>et</strong>s deconsommation devient excessif.La France a droit à une large part dans <strong>des</strong> eflForts que l'état <strong>politique</strong><strong>du</strong> pays a ren<strong>du</strong>s presque toujours infructueux. Nous ne pouvons queciter en passant — <strong>et</strong> nous le regr<strong>et</strong>tons — les essais si remarquablestentés par M. Benjamin Poucel, fondateur <strong>des</strong> bergeries de Mérinos-Naz<strong>du</strong> Picbinango, dans l'État Oriental;<strong>et</strong> les sacrifices si résoliiment poursuivispendant vingt années par M. Bonpland dans sa ferme de Santa-Ana sur les bords de l'Uruguay. Si une plus longue digression nous étaitpermise, le lecteur trouverait dans le récit <strong>des</strong> aventures <strong>et</strong> <strong>des</strong> dangerscourus par M. Poucel, au milieu <strong>des</strong> Gauchos <strong>du</strong> général Oribe, toutrintérêt <strong>du</strong> roman le plus dramatique. Le vénérable compagnon de M. deUumboldt en a été quitte pour <strong>des</strong> pertes d'argent, pour <strong>des</strong> soins <strong>et</strong> <strong>des</strong>fatigues inutiles ; mais que d'espérances déçues à la veille de se réaliser,<strong>et</strong> que de désastres t


CHAPITRE XXV.ETHNOLOGIE ET POPULATION. —CONSIDERATIONS GÉNÉRALES. — RACE LATINEon CONQUÉRANTE.— RACE GUARANIS OU AUTOCHTHONE.Au <strong>Paraguay</strong> comme dans la plupart <strong>des</strong> colonieseuropéo-américaines, une observation superficielle suffitpour constater au sein de la population, la présenced'éléments hétérogènes; pour y faire reconnaître l'existencesimultanée de trois races séparées par <strong>des</strong> différencesprofon<strong>des</strong> dans leurs caractères physiologiques,leur origine, leurs aptitu<strong>des</strong> <strong>et</strong> leurs instincts. La raceguaranie, chez laquelle le naturaliste remarque plusd'un trait d'organisation mongolique, autochthone <strong>et</strong>maîtresse <strong>du</strong> sol au moment de la découverte, constituele plus important de ces éléments; viennent ensuitela race latine ou conquérante sortie de l'Espagne, <strong>et</strong>


318 ETHNOLOGIE ET POPULATION.la race nègre, importée par colle-ci <strong>des</strong> rivages del'Afrique, Il est assurément plus aisé de se figurer quede décrire les mélanges à tous les degrés, les croisementsnombreux <strong>et</strong> presque infinis qui ont dû naître<strong>du</strong> contact de ces trois variétés de l'espèce humaine,vivant ainsi pêle-mêle depuis plusieurs siècles. Je nem'y arrêterai pas : je craindrais de répéter <strong>des</strong> définitionstrop connues (i).La race latine se personnifie dans c<strong>et</strong>te poignéed'aventuriers intrépi<strong>des</strong>, sortis de la Péninsule ibériqueà la suite de Sébastien Cabot, d'Ayolas, <strong>et</strong> d'AlvarNuîiez Cabeça de vaca.Lorsque ces découvreurs audacieux remontèrent leParanà <strong>et</strong> le Rio-<strong>Paraguay</strong>, en quête <strong>du</strong> Roi d'argent( Rey plateano ), ils trouvèrent les rives <strong>des</strong> deuxfleuves au pouvoir d'un peuple puissant, partagé ende nombreuses tribus que beaucoup d'écrivains ontàlort considéréescomme autant de nations distinctes,<strong>et</strong> qui s'étendait presque sans interruption <strong>du</strong> 3i° au16° degré de latitude sud, en couvrant les provincesde Corrientes, <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> la partie méridionale<strong>du</strong> Rrésil. C'était la nation guaranie, dont le nomtient une large place dans l'histoire <strong>des</strong>peuples aborigènesde ce demi-continent (2). Mais sur c<strong>et</strong>te vaste(1) Personne n'ignore la significalion <strong>des</strong> mots mulâtre, ynclis^ quarteron,sallo-alras, <strong>et</strong>c. Ou appelle zamho l'indivi<strong>du</strong> né de l'alliauce <strong>des</strong>sangs nègre <strong>et</strong> indien.(2) Nous ue donnons pas le parallèle de 16 degrés comme l'eitrème limitenord de cclto nation, car ou r<strong>et</strong>rouve <strong>des</strong> traces de ses migrationsdans notre hémisphère, sur les rives de 1 Orénoque, <strong>et</strong> dans les plaines deCunianà. Il y a plus : <strong>des</strong> hor<strong>des</strong> paraissent s'ôtre détachées à ditftrentes


RACE LATINE. 319éten<strong>du</strong>e, les Guaranis ne formaient pas un corps homogène,soumis à l'autorité d'un chef commun, obéissantà une même direction ; <strong>et</strong> ce fractionnement entribus souvent hostiles, le défaut d'union ou la rivalité<strong>des</strong> chefs, en affaiblissant leur résistance, rendirentleur défaite plus facile à <strong>des</strong> hommes qu'aucun obstaclen'arrêtait dans <strong>des</strong> luttes continuelles avec la natur<strong>et</strong>errible <strong>du</strong> désert. On le sait, la force ne fut pas d'ailleursleur unique point d'appui, <strong>et</strong> de nombreusesunions avec les femmes indigènes, unions dont Martinezde Irala fut l'ardent promoteur, constituent peutêtrele plus puissant levier de la conquête de c<strong>et</strong>te belleprovince.Tandis qu'à Buenos-Ayres la race latine, dédaignantde s'allier aux Indiens peu nombreux ou hostiles<strong>des</strong>Pampas, se conservait sans mélange <strong>et</strong> pour ainsi diredans toute sa pur<strong>et</strong>é, ou se renouvelait seulement àl'aide <strong>des</strong> recrues fournies par l'Espagne, au <strong>Paraguay</strong>elle était contrainte par les circonstances à moins dehauteur <strong>et</strong> de fierté. Ce fut, en eff<strong>et</strong>, une nécessité à lafois <strong>politique</strong> <strong>et</strong>physiologique pour les hardis soldats<strong>des</strong> expéditions centrales de l'Amérique <strong>du</strong> Sud, <strong>des</strong> allier à la race qu'ils allaient soum<strong>et</strong>tre. D'un côté,leur nombre ne fut jamais en rapport avec celui de;leurs ennemis; de l'autre, le chiffre <strong>des</strong> femmes qui \émigrèrent dans l'intérieur, demeura àtoutes les épol'poques<strong>du</strong> corps principal, pour se diriger vers l'ouest <strong>et</strong> se fixer aupied <strong>des</strong> An<strong>des</strong> bolivieuucs. 11 faudrait donc prendre pour limites extrêmesen longitude le littoral de l'Atlantique , d'une part, <strong>et</strong> de l'autre, les frontièresde l'empire <strong>des</strong> Incas.


320 ETHNOLOGIE ET POPULATION.ques dans d'insuffisantes proportions. En choisissant<strong>des</strong> épouses parmi les Indiennes, en déclarant Espagnolsles métis qui naquirent de ces alliances, les conquérantsfirent faire à la colonisation de rapi<strong>des</strong> progrès,car ils créèrent dans leurs établissements, pourles défendre, un peuple nouveau, orgueilleux de sesancêtres, jaloux de conserver la gloire <strong>et</strong> d'étendreencore les immenses domaines dont il héritait.Tel est le point de départ de la population <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,qui conserve profondément gravée l'empreintede son origine maternelle. Il convient d'ajouter que lesraces américaines, en général, se prêtent admirablementà ces mélanges intimes avec le sang européen.Ainsi, tandis que certains caractères <strong>physique</strong>s <strong>du</strong>Nègre, par exemple l'état crépu <strong>des</strong> cheveux, la grosseur<strong>et</strong> la saillie <strong>des</strong> lèvres, persistent souvent au delàde lacinquième génération, ceux de l'Indien, très-affaiblisdès la première, disparaissent presque entièrementà la troisième. Aussi, toutes les fois que <strong>des</strong> circonstancesanalogues à celles dont je viens de parler sesont présentées, le même fait remarquable d'assimilations'est-il pro<strong>du</strong>it. Et ce résultat si intéressant pourl'<strong>et</strong>hnologie, on peut le constater géographiquement :en eff<strong>et</strong>, à mesure que l'on s'éloigne <strong>du</strong> littoral, l'élémenteuropéen diminue, <strong>et</strong> l'élément indien augmente,pour finir par dominer. C'est ainsi que minorité surles côtes <strong>du</strong> Pérou <strong>et</strong> <strong>du</strong> Chili, il devient majorité àCochabamba, à La Paz <strong>et</strong> à Chuquisaca; mais nullepart, je crois, c<strong>et</strong>te prédominance n'est plus saillante<strong>et</strong> mieux caractérisée que dans les plaines <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,


4,,RACE GUARANIE. 321OÙ la race <strong>des</strong> vaincus a pour ainsi dire absorbé celle<strong>des</strong> vainqueurs, auxquels elle a imposé son langage <strong>et</strong>ses habitu<strong>des</strong>. C'est d'ailleurs, comme on l'a fait judicieusementobserver (i), c'est le propre <strong>des</strong> coloniesd'origine latine d'offrir de nombreux mélanges <strong>des</strong>nations conquérantes avec les nations conquises; tandisque la race <strong>du</strong> Nord, le sang anglo-saxon s'est conservépur dans leNouveau-Monde comme dans l'Inde, sansse croiser jamais avec celui qu'ilétait appelé à dominer.C<strong>et</strong>te remarque n'a pas besoin de commentaires ;<strong>et</strong> toutes lesexplications que pourrait fournir de c<strong>et</strong>teopposition l'étude <strong>des</strong> influences climatériques oul'examen <strong>des</strong> institutions civiles <strong>et</strong> <strong>politique</strong>s, disparaissentdevant une cause qu'il faudrait appeler la loi<strong>du</strong> sang, car,partout supérieure aux lois sociales <strong>et</strong> àl'action <strong>des</strong> agents extérieurs, elle suffit à déterminer lecaractère primordial <strong>des</strong> races.En considérant sous ce double rapport l'ensemble<strong>du</strong> Nouveau-Continent, on pourrait dire que la race conquérantedomine dans le Nord-Amérique; que la raceimportée s'élève au Brésil à une supériorité numériqueincontestable, tandis qu'au <strong>Paraguay</strong> la race autochthonea imprimé tous ses caractères au peuple issu <strong>des</strong>on alliance avec les Européens.Les unions hispano - guaraniennes ont eu pour premierrésultat de rem<strong>et</strong>tre aux mains <strong>des</strong> femmes indigènes,l'é<strong>du</strong>cation d'enfants qui prirent plus tard l<strong>et</strong>itre un peu superbe de fils <strong>du</strong> pays (hijos del pais).(1) Benjamin Poucel, Des Émigrations européennes dans l'Amérique<strong>du</strong> Sud. Paris, 1850, br. iu-S", p. 22.21


^322 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Us parlèrent, <strong>et</strong> ils devaient parler d'abord l'idiomematernel. Plus tard, les relations,l'amour-propre, unreste de fierté castillane, ou <strong>des</strong> nécessités de positionsociale,imposèrent au plus grand nombre l'obligationd'apprendre la langue de leur père. Mais ceux-làmêmes conservaient, par suite <strong>des</strong> rapports de l'enfance,les instincts <strong>et</strong> les goûts de la race qu'ils devaientachever de soum<strong>et</strong>tre.Est-il besoin de le dire? il faut se garder de donnerà ces considérations, à ce jugement, une trop grandeportée, une valeur trop absolue. Ce qui est vrai d'unpays envisagé dansson ensemble, ne saurait l'être aumême degré pour tous lespoints de son territoire considérésisolément. Il ya, suivant les localités, <strong>des</strong> nuancesdont il convient de tenir compte. Ainsi, la propositionque je viens d'ém<strong>et</strong>tre , incontestable pour lesbourga<strong>des</strong> de l'intérieur <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, l'est encoremais d'une manière beaucoup moins frappante, pour lapopulation de sa capitale, où le sang espagnol en se renouvelantsans cesse, quoique dans de faibles proportions,a maintenu un plus juste équilibre entre les deuxpeuples. Nous verrons plus tard <strong>des</strong> influences d'unautre ordre s'ajouter à c<strong>et</strong>te première cause d'assimilation,puissante <strong>et</strong> facilement saisissable dans sesmoyens d'action; comprimer certaines qualités énergiques,<strong>et</strong> donner l'essor à celles que l'onpourrait appelerpassives, telles que la résignation, la douceur, <strong>et</strong>c.Ces influences accidentelles, passagères,sont <strong>du</strong> domainede la <strong>politique</strong>. Elles découlaient de la nature<strong>des</strong> institutions assurément fort imparfaites octroyées


RACE GUARANIE. 323par l'Espagne à ses colonies; elles ont été, elles sontencore la conséquence <strong>du</strong> système <strong>des</strong>potique qui les aremplacées. Mais jamais elles n'ont eu l'efficacité dec<strong>et</strong>te cause profondément modificatrice à laquelle nousdonnions tout à l'heure le nom de loi <strong>du</strong> sang.Nous n'avons pas à nous occuper ici <strong>des</strong> caractèresprimordiaux de la race à laquelle appartenaient les conquérants.Nous étudierons bientôt au point de vue physiologique<strong>et</strong> moral, les modifications profon<strong>des</strong> que<strong>des</strong> conditions nouvelles d'existence <strong>et</strong> d'acclimatement,que <strong>des</strong> alliances nombreuses avec les habitantsprimitifs <strong>du</strong> pays, ont imprimées à ses <strong>des</strong>cendants.Nous signalerons seulement c<strong>et</strong>te conséquence de l'assimilationcomplète <strong>des</strong> deux peuples, à savoir que les<strong>Paraguay</strong>os possèdent tous les dehors avantageux de labelle race à laquelle appartenaient leurs pères, unisaux caractères moraux <strong>des</strong> Indiens dont ils <strong>des</strong>cendent<strong>du</strong> côté maternel.Échelonnés près <strong>des</strong> bords <strong>du</strong> Paranà sous les nomsde Mbéguas ou Mbguas, de Caracaras, de Timbuez ouTimbùs, <strong>et</strong> de Guyanas, les Guaranis s'appelaient au<strong>Paraguay</strong> Carios ou Carions. Ils sont désignés dansplusieurs manuscrits jésuitiques sous le nom de Caraïbes.Enfin, au Brésil, les Carijos <strong>et</strong> les Patos de laprovince de Sainte-Catherine, les Arachanes de Rio-Grande, les Coroados, les Tupis ou Tapés, <strong>et</strong> les Tupinambasque Lery appelle Toupinambaoults , étaientconsidérés comme <strong>des</strong> tribus de ce grand peuple, quisous ces différents noms a joué un rôle importantdans l'histoire de l'Amérique <strong>du</strong> Sud.


I324 ETHNOLOGIE ET POPULATION.A ces désignations d'une application d'ailleurs difficile<strong>et</strong> confuse, il faut ajouter celles que portent leshor<strong>des</strong> encore insoumises de c<strong>et</strong>te nation. Ainsi, lesBugres<strong>des</strong> provinces méridionales <strong>du</strong> Brésil, les Caayguàsou Cayuàs, les Carimas, les Tarumas <strong>et</strong> lesGuayaquiles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> peut-êtremême les Parecis<strong>et</strong> les Guatos de Mato-Grosso, sont <strong>des</strong> Guaranis.Bornés <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud par les Charmas <strong>et</strong> les Querendis(1), voisins sur les deux rives <strong>du</strong> Paranà, <strong>des</strong>Mbocobis <strong>et</strong> <strong>des</strong> Tobas, ils entouraient au Brésil les Aimorés(^), <strong>et</strong> d'autres nations d'aspect <strong>et</strong> de langag<strong>et</strong>rès«différenls , sortes de caravanes transmigrées <strong>et</strong>réfugiées au milieu d'eux, <strong>et</strong> dont les ouvrages <strong>du</strong>prince de Neuwied, de MM. Spix, Martius, <strong>et</strong> Debr<strong>et</strong>,ont fait connaître les caractères physiologiques <strong>et</strong> lescoutumes. Mais tout en prenant pour limites extrêmesde l'immense région où ils paraissent être autochthones,d'une part, les 6® <strong>et</strong> 34* degrés de latitude méridionale,de la province de Pernambuco au Rio de la Plata ; <strong>et</strong>de l'autre, les bords de l'océan Atlantique vers l'orient,<strong>et</strong> le cours <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong> à l'ouest; on laisse endehors <strong>des</strong> contrées fort éloignées les unes <strong>des</strong> autres,qui ont été envahies par <strong>des</strong> tribus détachées de c<strong>et</strong>tenation, la plus nombreuse <strong>du</strong> demi-continent Sud-américain.(1) Nom guarani <strong>des</strong> Puelches. Les Charruas ont été détruits par ordre<strong>du</strong> général Oriental Rivera. Quelques indivi<strong>du</strong>s de celte nation faroucheéchappés au massacre, ont été amenés en France en 1831.(2j Appelas Bolocudos par les Portugais, à cause d'une roodelle debois (boloqiic) qu'ils portent enchâssée dans la lèvre inférieure.


RACE CUARANIE.32îiLe guarani, un <strong>des</strong> dialectes <strong>du</strong> Tupi oulingoa gérai,était répan<strong>du</strong> sur toute la surface <strong>du</strong> Brésil. Chaque jouril disparaît, mais c'est encore par lui que les voyageursdécouvrent <strong>et</strong> suivent pas à pas les traces <strong>des</strong> migrationsconquérantes de ce peuple. Modifié ,plus oumoins altéré, mais enrichi, sous certains rapports,par le contact <strong>des</strong> Européens , le guarani se parlechez les Mun<strong>du</strong>rucùs <strong>et</strong> d'autres nations indigènes<strong>du</strong> Para, sur une partie <strong>du</strong> cours de l'Amazone <strong>et</strong> <strong>des</strong>es affluents principaux. Plusieurs branches <strong>des</strong> riosYapura<strong>et</strong>Madeira portent <strong>des</strong> noms tirésde c<strong>et</strong>te langue(1). Les judicieuses observations de M. de Humboldt(2) ont démontré la présence <strong>des</strong> Guaranis à uneépoque reculée, plus au nord, dans notre hémisphère,sur les bords de l'Orénoque <strong>et</strong> dans les plaines de Cumanà.Enfin, à l'aide de patientes recherches, Alcided'Orbigny a rassemblé une foule de faits qui l'ont con<strong>du</strong>ità voir dans les Galibis, Caribes ou Caraïbes <strong>des</strong>Antilles, <strong>des</strong> hor<strong>des</strong> de Guaranis qui s'avançant toujours<strong>du</strong> sud au nord, auraient chassé de ces îles la raceautochthone qui les habitait. Mais ici les preuves unpeu incertaines de c<strong>et</strong>te filiation disparaissent devant ladiversité <strong>du</strong> langage, qui nous avertit de distinguer en(1) p. Manuel Rodriguez, El Maranon y Amazonas, Madrid, 1681,in-fol. Dans c<strong>et</strong> ouvrage le P. Rodriguez a copié en partie la relation curieuse<strong>et</strong> très-rare publiée par Christoval d'Acuïla sous ce tilre : Nuevo<strong>des</strong>rubrimienlo del gran rio de las Amazonas, <strong>et</strong>c. Madrid, 164t, iu-4».Le nom <strong>du</strong> P. d'Acuna, missionnaire de l'ordre <strong>des</strong> Jésuites, compagnonde Pedro Texeira qu'il accompagua dans son second voyage, se lie auxpremières explorations <strong>du</strong> plus graud fleuve <strong>du</strong> moode.(2) Voyage aux régions equinoxialcs, édition française, t. VII, p. 251,cl t. VIII, p. 315.


3*26 ETHNOLOGIE ET POPULATION.eux deux peuples issus de souches hétérogènes (1).A une époque plus récente, dont l'histoire a conservéla date, en 1541, un corps de 4,000 Guaranis poursuivispar les Portugais brûlant de venger le meurtred'Aiexo Garcia, traversa les plaines <strong>du</strong> Chaco, de Testà l'ouest,pour aller se fixer au pied <strong>des</strong> derniers contre-forts<strong>des</strong> An<strong>des</strong> boliviennes, entre les rios Pilcomayo<strong>et</strong> Piray (2): ce sont les Chiriguanos.Une autre tribu de Guaranis, habite sous le nomde Guarayos (3) les bois immenses de la Bolivie, surles confins <strong>des</strong> provinces de Moxos <strong>et</strong> de Chiquitos, oùd'Orbigny, le premier, les a observés.Enfin, on peut encore rattacher à la même souche,en la considérant comme son rameau le plus occidental,la horde <strong>des</strong> Sirionos, qui vit au sein <strong>des</strong>forêts, entre Santa-Cruz de la Sierra <strong>et</strong> la province deMoxos.De ces considérations, il résulte que les Guaranis sesont éten<strong>du</strong>s <strong>du</strong> 34' degré de latitude sud au 8® parallèlenord, c'est-à-dire de la Plata au delta de TOrénoque;<strong>et</strong> <strong>du</strong> 35® au 67® degré de longitude occidentale,c'est-à-dire depuis les côtes <strong>du</strong> Brésil jusqu'àla Cordillère <strong>des</strong> An<strong>des</strong>. Sur c<strong>et</strong>te immense surface,loin de former une nationalité homogène, compacte,(n VHomme américain, Paris, 1839, in-8% II, 268-276 ;—d'Ayezac,Bull<strong>et</strong>in de la Sociélc de géographie, 1857, XIV, 135. Les historiensde la conquête considèrent les Caribes comme <strong>des</strong> Guaranis. Voy. l'ilrgenlinade Barco Centenera, p. 7, Cokccion de ohras y documenlos,t. H.(2) Pira-y^ rivière <strong>des</strong> poissons.(3> De guara, tribu, <strong>et</strong> yù jaune


RACE GUARANIE. 327soumise à un chef unique, les Guaranis vivaient fractionnésen tribus noma<strong>des</strong>, indépendantes les unes <strong>des</strong>autres, souvent hostiles, <strong>et</strong> prenant tantôt le nom deleur cacique , tantôt celui de la contrée qu'elles habitaient.De là, comme le fait observer Azara, l'originede c<strong>et</strong>te multitude de nations dont les noms remplissentles écrits <strong>et</strong> couvrent les cartes <strong>des</strong> vieuxvoyageurs, <strong>et</strong> qui n'étaient que <strong>des</strong> tribus d'un mêmepeuple (1).L'union fait laforce; ce fractionnement devait doncavoir, <strong>et</strong> eut pour conséquence de rendre leur défaiteplus facile. Sans être la nation guerrière par excellence,en dépit de l'étymologie de leur nom (2), les Guaranisn'ont point accepté sans combattre la dominationespagnole. A c<strong>et</strong> égard, le jugement porté par Azara,sévère jusqu'à l'injustice, me paraît en désaccord aveccelui <strong>des</strong> vieux historiens. 11 fallut aux conquérants delongues années de luttes pour les soum<strong>et</strong>tre. Enfin, subjuguées,vaincues successivement, toutes ces peupla<strong>des</strong>furent données aux conquérants. De là l'origine <strong>des</strong> commanderies,distinguées en commanderies de Yanuconas(1)M. de VarnhageD va plus loin, trop loin, peut-être, eu rej<strong>et</strong>ant d'après<strong>des</strong> étymologies plus ou moins conjecturales, une foule de nationalitésaméricaines, dont il considère lesnoms comme <strong>des</strong> sobriqu<strong>et</strong>s emportantnne idée de bravoure, de haine, ou relatifs aux habitu<strong>des</strong>. Ainsi dans lagrande famille Tupi, il trouve <strong>des</strong> Guaranis (guerriers), <strong>des</strong> Guatàs (navigateurs),<strong>des</strong> Tibiràs (infâmes;, <strong>des</strong> .l/ôaracayàs (chats sauvages), <strong>et</strong>c..Voy. Hisloria do Brazil^ 1. 1, p. 104 <strong>et</strong> suiv.(2) Guarani, altération probable <strong>du</strong> mot guarini^ guerre, guerrier.P. de Angelis fait dériver guarani de gua, peinture, va, tach<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> ni^signe <strong>du</strong> pluriel ^ littéralemcut : les lâch<strong>et</strong>és de peintures {Colcccion deobras y documenlos^ t. I. )


32S ETHNOLOGIE ET POPULATION.<strong>et</strong> de MitayoSy dont la possession devint un puissant stimulantà de nouvelles découvertes. Ces institutions,d'abord peu importantes, remises plus tard aux mains<strong>des</strong> Jésuites, contenaient le germe <strong>des</strong> établissementscélèbres qui sous le nom de Missions prirent en' peud'années une importance de premier ordre. Nous feronsl'histoire <strong>des</strong> luttes que soutinrent ces indigènes contreles armes espagnoles, <strong>et</strong> les autres nations américaines :alors, on verra leurs qualités guerrières ne pas s'amollirdans l'état de demi-civilisation auquel ils étaientparvenus, <strong>et</strong> les représentants de l'autorité royale lesappeler à leur aide tantôt contre les Portugais comme àl'attaque de la Colonia (1), tantôt contre les Indiensinsoumis <strong>du</strong> Chaco <strong>et</strong> <strong>du</strong> nord <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>,ennemisimplacables de ceux qui devaient reconnaître cesservices,par un servage où les droits imprescriptibles del'humanité ne furent pas toujours scrupuleusementrespectés.Quelques hor<strong>des</strong> de Guaranis, échappèrent au joug,en se réfugiant vers le N. E., dans les profondeursboisées d'où elles ne sortent aujourd'hui encorequ'à de rares intervalles. C'est là tout ce qui reste, àl'état de sauvage indépendance, <strong>du</strong> peuple dont lenom tient une si large place dans l'histoire <strong>du</strong> Sud-Amérique. Et combien ces tribus ont dégénéré!Errantes <strong>et</strong> misérables, elles ne luttent plus commeautrefois contre la civilisation, elles la fuient; loin(1^ Jai parlé de la bravoure <strong>des</strong> Guaranis dans c<strong>et</strong>te circonstauce.Chap. III, p. 28.


RACE GUARANIE. 329d'attaquer ceux qui s'en disent les apôtres, elles secachent. Leurs ancêtres combattaient les Payaguàs <strong>et</strong>les nations belliqueuses <strong>du</strong> grand Chaco ;<strong>et</strong> de nosjours, les M'bayàs inspirent une terreur panique auxGuaranis <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> qui pour se soustraire à leurspoursuites, n'élèvent ni chiens ni poules, dans la crainteque les cris de ces animaux ne les trahissent en décelantleurs r<strong>et</strong>raites.Les Guaranisencore insoumis vivent de nos joursconfinés dans les forêts impénétrables qui couvrent larégion nord-orientale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Bornés à l'E.le Paranà qu'ils ne paraissent pas dépasser, au S.par<strong>et</strong> àrO. par la population créole <strong>et</strong> les Indiens <strong>des</strong> Missionsde Jésus <strong>et</strong> de Trinidad, leurs limites vers le N. sonttout à fait incertaines. De ce côté, ils sont voisins <strong>des</strong>M'bayas <strong>et</strong> <strong>des</strong> peupla<strong>des</strong> errantes<strong>et</strong> peu connues <strong>des</strong>provinces centrales <strong>du</strong> Brésil. Sur c<strong>et</strong>te vaste éten<strong>du</strong>eils habitent de préférence les sources <strong>du</strong> rio Igatimi,les bords <strong>des</strong> affluents <strong>du</strong> Paranà, <strong>et</strong> la chaîne demontagnes peu élevées que nous avons décrite sousle nom de cordillère de S. José ou de Mbaracavù.Désignés le plus ordinairement sous le nom collectifde Monteses (habitants <strong>des</strong> bois), les Guaranis reçoiventencore différentes appellations tirées <strong>des</strong> localités oùils sont fixés. Ainsi, les <strong>Paraguay</strong>os nomment Caayguàsles Indiens voisins <strong>du</strong> Cerro-pyta (1); Carimasceux qui vivent au nord de Curuguaty dans la sierra de(1) Od trouve dans quelques relations Cayuàs <strong>et</strong> Caayavas. Voy. p. 82,une note ciplicative <strong>des</strong> mots cerro pyfa.


330 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Maracayù; <strong>et</strong>Tarumas les Guaranis quierrent dans ledistrict de ce nom, à l'est d'Yhu <strong>et</strong>de S. Estanislado.On appelle plus particulièrement Guayanas (i), latribu fixée sur les bords <strong>du</strong> Paranà, au nord <strong>et</strong> près dela Mission de Corpus. Enfin, sous le nom de Guayaquiles,<strong>des</strong> créoles m'ont dépeint une nation extrêmementfarouche, ne sortant jamais de ses forêtsinaccessibles, <strong>et</strong> j'ai cru reconnaître à travers <strong>des</strong><strong>des</strong>criptions dans lesquelles l'imagination entrait pourla plus grande part, les caractères physiologiques <strong>des</strong>Guaranis.A de longs intervalles, ces peupla<strong>des</strong> quittent leursr<strong>et</strong>raites pour venir échanger de la cire, de la gomme <strong>et</strong>quelques pell<strong>et</strong>eries, contre de menus obj<strong>et</strong>s en fer,<strong>des</strong>couteaux, <strong>des</strong> haches <strong>et</strong> de la verroterie. Sous la dominationespagnole, ces rapports avec les créoles de Villa-Rica, de S. Joaquin <strong>et</strong> <strong>des</strong> villages <strong>du</strong> nord, étaientplus fréquents.Au Brésil , sous le nom de Bugres , les hor<strong>des</strong><strong>des</strong> Guaranis paraissent confinées dans la partie méridionalede la province de Saint-Paul; au milieu <strong>des</strong>forêts vierges qui couvrent la partie de la Serracomprise dans laGéraiprovince de Sainte-Catherine, à quelqueslieues <strong>des</strong> côtes. Sur ces différents points, les Bugrescomm<strong>et</strong>tent <strong>des</strong> déprédations que les autorités(1) Le nom de Guyane, vient <strong>des</strong> Guayanas de rOrénoque. Mais lesécrivains ne sont plus d'accord sur l'étymologic <strong>du</strong> nom de ces Indiensque les uns font dériver de guaya^ populalio:i, <strong>et</strong> na estimée ; les autresde f/urty, homme <strong>et</strong> and sauvage. On est lente de pardonner à Voltairequi se moque quelque part <strong>des</strong> prétentions <strong>des</strong> étymologistes.


RACE GUARANIE. 331brésiliennes châtient sévèrement. Ils surprennent lesvoyageurs; pillent, incendient les maisons isolées,<strong>et</strong> massacrent impitoyablement leurs habitants. A plusieursreprises, la colonie allemande de Sâo Leopoldo(province de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud) a souffert de leurs attaques,<strong>et</strong> <strong>des</strong> expéditions ont dû être dirigées contre cesbarbares que les voyageurs accusent d'avoir conservéThorrible coutume de l'anthropophagie. Les présidentsde Sainte-Catherine <strong>et</strong> de Rio-Grande demandent dansleurs rapports annuels aux assemblées provinciales, <strong>des</strong>subsi<strong>des</strong> <strong>des</strong>tinés à faire face aux dépenses de ces expéditions,<strong>et</strong> ont établi <strong>des</strong> postes militaires chargés deprotéger les colons. De louables efforts ont été tentésdans le but de réunir ces Indiens dans <strong>des</strong> villages (aldêas],de les catéchiser, mais ces tentatives n'ont eu qu'unsuccès insignifiant ou peu <strong>du</strong>rable. Si comme une remarquableanalogie de caractères physiologiques porte à lesupposer, les Bugres (Caboclos) sontun rameau de larace Tupi ou Guaranie (1 ), il faut adm<strong>et</strong>tre que <strong>des</strong> circonstancesqu'il est impossible d'apprécier, ont modifiéleurs mœurs <strong>et</strong> leurs instincts.Partout ailleurs ils ont disparu. Plusieurs causes ontamené ce résultat. S'il est vrai de dire que Martim(1) Pour M. de Varnhagen, Bugre est synonyme <strong>du</strong> moi esclave ; <strong>et</strong>Càboclo veut dire pelé^ par allusion à l'habitude <strong>des</strong> Indiens de s'épiler(Hisloria gérai do Brazil, t. 1, p. 101). J'ai vu h Desterro, capitale de laprovince de Sainte-Catherine, un jeune Bugre fait prisonnier dans unerazzia. l\ offrait évidemment les traits caractéristiques d'un Guarani. Maismon observation ne pouvait être que très-superficielle , car à ce moment jeme dirigeais vers le <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> mon ignorance de la langue guaraniem'enlevait le meilleur moyen de contrôler la communauté d'origine deces deux nations.


332 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Affonso de Souza, premier donataire de lacapitainie deSan-Vicente, fit <strong>des</strong> règlements pour prohiber les entradasou expéditions à l'intérieur, ses lieutenants aprèsson départ pour lePortugal, ne tardent pas à les enfreindre,<strong>et</strong> à faire aux indigènes une guerre inique <strong>et</strong>cruelle qui devait <strong>du</strong>rer deux siècles. Les Portugaisvendirent d'abord comme esclaves ou envoyèrent auxmines les Guaranis qui peuplaient la province de Saint-Paul à l'époque de sa découverte, <strong>et</strong> gardèrent les femmes.De l'union de ces deux races opposées, sortitune race nouvelle dont on serait tenté de regarderles entreprises audacieuses comme de fabuleuseslégen<strong>des</strong>. Sous le nom de Mamalucos, les Paulistes donnèrentbientôt à c<strong>et</strong>te chasse aux Indiens les plus gran<strong>des</strong>proportions. La soif de l'or,le désir de se procurer<strong>des</strong> bras pour l'exploitation <strong>des</strong> mines qu'ils avaient découvertes,le désir plus ardent encore d'en découvrirde nouvelles, les poussaient irrésistiblement, au prixd'incroyables fatigues, vers les régions centrales <strong>du</strong>demi-continent. Alors, en traversant <strong>des</strong> forêts immenses<strong>et</strong> impénétrables, en suivant <strong>des</strong> rivières débordéesou coupées de récifs, ils pénétrèrent dans lesMissions de la province de Guayra, les détruisirent,<strong>et</strong> se r<strong>et</strong>irèrent en traînant après eux toute une populationd'hommes, de femmes <strong>et</strong> d'enfants, déciméeà chaque pas par la famine <strong>et</strong> les fatigues de ce longvoyage (I). Le <strong>Paraguay</strong> ne fut pas lui-même à l'abri(1) Le nom de celte province indique qu'elle a dû être très-pcuplce. Onîc fait dériver de guay, hoiumo, <strong>et</strong> ra réuuioa, assemblage ; littéralement :pépinière d'hommes.


RACE GUARANIE. 333de ces incursions, que les plaintes repétées,les protestations<strong>et</strong> les menaces de l'Espagne, furent impuissantesà réprimer.CesGuaranis eurent le sort <strong>des</strong> premiers. Les hommesfurent ven<strong>du</strong>s sur les marchés de Rio-de-Janeiro oupérirent dans les mines; les femmes s'unirent auxvainqueurs, ou mêlèrent leur sang à celui <strong>des</strong> nègresimportés en grand nombre <strong>des</strong> rivages de l'Afrique.Quel était le chiffre <strong>des</strong> Guaranis lors de l'arrivée<strong>des</strong> conquérants? Quel est de nos jours leurnombre àl'état sauvage, <strong>et</strong> à l'état de demi-civilisation où nousles avons rencontrés au <strong>Paraguay</strong>?Nous nous hasarderons en écrivant l'histoire <strong>des</strong>Missions, à donner une statistique sans doute encoreapproximative <strong>des</strong> Indiens soumis au christianisme,d'après les écrits <strong>des</strong> vieux voyageurs <strong>et</strong> le résultat denos propres recherches, mais nous confessons sans hésiternotre impuissance à répondre aux deux premièresparties de ce triple problème, qui nous paraît insoluble.Il est impossible — on le comprendra — d'évalueravec quelque certitude, une nation peu nombreuse,éparse, disséminée par p<strong>et</strong>its groupes, par tribus, parfamilles, par indivi<strong>du</strong>s, au milieu de forêts inaccessibles,le long d'innombrables cours d'eau, sur un territoir<strong>et</strong>rès-incomplétement connu, <strong>et</strong> dont l'aréa égalepeut-être celle de l'Europe.A. d'Orbigny qui, le premier, a éclairé d'une vivelumière les points les plus importants de l'<strong>et</strong>hnologieaméricaine, en laissant de côté les Bugres de la provincede Sainte-Catherine, adopte pour les Guaranis


334- ETHNOLOGIE ET POPULATION.<strong>du</strong> Brésil le chiffre de 150,000 qu'il fait suivre dec<strong>et</strong>te prudente remarque : « Nous n'avons encorerien de positif relativement à la population indigène <strong>du</strong>Brésil (1).» Rien n'est plus vrai, car M. de Humboldtévalue à 269, 400 le total <strong>des</strong> indigènes de l'Empire (2).Or, en 1819, le vicomte de Itabayana le portait à 250ou 300,000; Veloso de Oliveira à 800,000 ;tandis quele P. Damazo conservateur de la Bibliothèque de Rio,dans <strong>des</strong> notes communiquées à M. de Santarem,élève le nombre à 1,500,000.En présence de calculs aussi divergents le choixdevient difficile, sinon impossible. Quel est le chiffreréel? Sans doute, celui que propose d'Orbigny est leenplus modéré, nous ne saurions dire s'ilest le plus exact.Encore moins pouvons-nous adm<strong>et</strong>tre avec luique lesprovinces de Sâo-Paulo <strong>et</strong> de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud, nesont habitées que par <strong>des</strong> Guaranis (3). D'ailleurs, lesavant naturaliste ne donne aucun chiffre pour les Guaranisrestés sauvages, soit au Brésil, soit au <strong>Paraguay</strong>,car celui de 16,000 (4) ne représente que les tribusinsoumises de c<strong>et</strong>te nation, isolées au milieu <strong>des</strong> plaines<strong>du</strong> Chaco.Quelques écrivains sont allés plus loin, <strong>et</strong> multipjianlgratuitement <strong>et</strong> dans les mêmes proportions le nombre(1) L'Homme américain, II, 292.(2) Voyage aux régions équinoxiales,l. IX, p. 179, <strong>et</strong> t. XI, p. 164.(3) Ou peut consulter sur ce poiut le Tableau de la province de Saint-Paul, par M. A. de Saiot-IIilaire, Paris, 1851, in-S"; <strong>et</strong> les Amidcs daprovincia de Sdo-Pedro <strong>du</strong> vicomte de Sâo-Lcopoldo, Paris, 1839.(4) A. d'Orbigny, Ouv. cit., II, 267 <strong>et</strong> 291.


RACE GUARANIE. 335(les nations Sud-américaines, ils ont élevé à plusieursmillions le chiffre <strong>des</strong> aborigènes, si l'on en juge parcelui <strong>des</strong> combattants qui auraient été ou défaits parles Espagnols, ou ré<strong>du</strong>its en comman<strong>des</strong> (1). Quoiqu'il en soit, un fait qui paraît acquis <strong>et</strong> hors de doute,c'est la faiblesse numérique de c<strong>et</strong>te population , lorsqu'onla compare à l'immense éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> territoirequ'elle occupait malgré les conditions les plus favorablesen apparence de développement accumulées sur unsol d'une extrême fertilité, salubre, couvert de la plusriche végétation, <strong>et</strong> offrant à chaque pas les ressourcesd'une nourriture abondante <strong>et</strong> facile. Faut-il chercherla cause de c<strong>et</strong>te infériorité dans <strong>des</strong> épidémies meurtrières,dans <strong>des</strong> guerres interminables, dans unefécondité moindre chez les femmes, unie à l'horriblecoutume de l'avortement <strong>et</strong> à <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> monstrueusesde la part <strong>des</strong> hommes, ou bien enfin dansprésence encore récente <strong>des</strong> Américains sur le sol où lesconquérants les ont rencontrés? Dans l'état actuel denos connaissances, de toutes ces suppositions la dernièreest la moins admissible, mais il n'est pas déraisonnablede supposer que les autres ont pu contribuer,chacune pour sa part <strong>et</strong> dans certaines limites, à pro<strong>du</strong>irele résultat que nous signalons.la(1) Wardea {Art de vérifier les dates, t. XUI, p. 120, <strong>et</strong> t. XV,p. 47 ) donne une liste de 387 nations pour le Brésil, <strong>et</strong> une autre de lUipour la Guyane française. D'Orbigny estime que plus de 400 de ces dénominationsappartiennent à la race guarauie, <strong>et</strong> les regarde avec raisoncomme multipliées souvent par de simples différences orthographiquci^{L'Homme améncainj II, 'i88}.


336 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Les deux voyageurs qui ont le mieux connu le <strong>Paraguay</strong>,Azara <strong>et</strong> le docteur Rengger, n'ont point essayéde présenter le dénombrement <strong>des</strong> Guaranis qui viventau sein de ses forêts.Nous imiterons leur réserve; ensortir, ce seraitétayer <strong>des</strong> calculs incertains de raisonnementshypothétiques.Telle est, en peu de mots , l'histoire générale de larace nombreuse que les Européens ont rencontréesurle Nouveau-Continent,fractionnée en corps de nationscomme iln'en existe plus aujourd'hui. D'où venait c<strong>et</strong>teportion <strong>du</strong> genre humain qui constitue presque à elleseule la race brasilio-guaranienne de M. d'Orbigny?Les traditions recueillies par le P. Guevara (1) nesupportent pas l'examen ; <strong>et</strong> dans l'impossibilité derésoudreun problème dont nous sommes loin de possédertous les éléments, nous avons dû restreindre lecentre de création <strong>des</strong> Guaranis <strong>et</strong> les considérer commeautochthones. Mais il existe, nous devons le dire, surl'origine de ce grand peuple, d'autres suppositions.Des écrivains frappés de l'analogie de certains caractèresphysiologiques, s'appuyant d'autre part, sur une remarquableidentité de croyances <strong>et</strong> de quelques coutumes,regardent les races de l'Amérique comme lepro<strong>du</strong>it de migrations sorties de l'Ancien-Monde oude la Polynésie. Comment expliquer c<strong>et</strong>te antique parentéentre les populations primitives de ces points siéloignés <strong>du</strong> globe? Ici, deux systèmes sont en présence.(1) Hisloria del <strong>Paraguay</strong> Uio de la Plala y Tucuman, p. 6 ( Coleccionde obras y documenlos , t. II).


RACE GUARANIE. 337Les partisans <strong>du</strong> premier adm<strong>et</strong>tent la possibilité delointaines communications, par l'existence <strong>des</strong> courantsqui ont pu entraîner à une époque antérieure aux tempshistoriques <strong>des</strong> embarcations isolées, <strong>des</strong> rivages del'Afrique ou de l'Europe aux côtes orientales Sud- américaines;pour eux, le Gulf-Stream aurait été l'agent deces relations maritimes dont le souvenir a disparu étouflésous <strong>des</strong> siècles de barbarie. Telle est la thèse que soutientM. de Varnhagen. Mais c<strong>et</strong> important problèmed'<strong>et</strong>hnologie se présente sous un autre aspect aux yeux<strong>des</strong> écrivains qui frappés <strong>des</strong> traits mongoliques deTAztec <strong>et</strong> <strong>du</strong> Guarani, expliquent les vagues refl<strong>et</strong>sd'une filiation entre les deux Mon<strong>des</strong>, par la possibilitéde communications terrestres. Dans ce cas, les transmigrationsse seraient effectuées d'occident en orient,<strong>et</strong> <strong>du</strong> nord au sud; <strong>des</strong> tepeh de l'Asie aux tepec <strong>et</strong>tepeltde l'Amérique (1).En dernière analyse, la question <strong>des</strong> origines estintimement liée à celle de l'organisation, <strong>et</strong> comme larace guaranie composait presque exclusivement la population<strong>des</strong> Missions, c'est en exposant ses caractères<strong>physique</strong>s <strong>et</strong> moraux, avant de constater lesmodifications profon<strong>des</strong> imprimées à ceux-ci par lechristianisme, qu'il conviendra de faire connaître tousles éléments de c<strong>et</strong>te question généalogique.(1) D'AvEZ4C, Bullclin de la Société de géographie, 4* série, 1857,t. XIV, p. 138, à la note.î?î)


CHAPITRE XXVI.RACE IMPORTÉE; DES NOIBS ET DE L'ESCLAVAGE.L'Afrique n'est jamais entrée que pour une faiblepart dans la population <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, à laquelle elle acependant fourni <strong>des</strong> esclaves pendant plusieurs siècles.Mais la position méditerranée de la province,l'absence de communications directes avec le littoral,l'obligation imposée aux babitants de tirer les nègresde Buenos-Ayres, en doublant leur valeur, ont de touttemps fait obstacle à leur intro<strong>du</strong>ction sur une largeéchelle. Après la chute <strong>du</strong> gouvernement colonial,le docteur Francia, par la séquestration <strong>du</strong> pays, coupacourt à l'importation <strong>des</strong> noirs; <strong>et</strong> ceux-ci, en s'alliantavec leurs métis, <strong>et</strong> de préférence avec lesfemmes indiennes,afin de procurer la liberté à leur <strong>des</strong>cendance,


,DES NOIRS ET DE l/ ESCLAVAGE. 33î)n'ont pas tardé à se fondre dans la masse de la population(1 ). On y chercherait en vain <strong>des</strong> nègres de la côte(hozales). Toutefois, la même observation se répète dans<strong>des</strong> contrées voisines, où j'ai été frappé de l'entièredisparition<strong>du</strong> sang africain. Mais si l'eff<strong>et</strong> est le même,combien les causes sont différentes! Tandis qu'au <strong>Paraguay</strong>il y a eu mélange intime <strong>et</strong> fusion de la race importée,sur les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata il y a eu anéantissementde c<strong>et</strong>te race : moins d'un demi-siècle aurasuffi à une œuvre de <strong>des</strong>truction que peu de mots vontexpliquer.Il faut le dire ici, au risque de froisser quelquesamours-propres, la cause de l'Indépendance doit beaucoupà la race nègre; <strong>et</strong> les Hispano-Américains trou-\vèrent en elle <strong>des</strong> éléments puissants de résistance à \opposer aux troupes envoyées pour les ré<strong>du</strong>ire. Aumoment où ils proclamèrent leur séparation d'avecla Métropole, les <strong>Paraguay</strong>os n'ayant rien à redouterde leurs esclaves trop peu nombreux pour devenirun suj<strong>et</strong> d'inquiétude, ne songèrent point à modifierleur condition d'ailleurs assez douce, <strong>et</strong> les circonstancesne les obligèrent jamais à s'en faire un appuicontre le dehors. L'idée de les affranchir ne leur vintdonc pas. Mais dans les villes Argentines où lenombre plus considérable <strong>des</strong> hommes de couleur(1) L'enfaut né d'un père esclave <strong>et</strong> d'une femme libre, a suivi de touttemps la conditiou de la mère. Ou sait aussi que les Indiens n'ont jamaisété considérés en droit, sinon toujours de fait, comme esclaves; bien quel'institution <strong>des</strong> commanderies fut, au fond, une forme de servace àpeinedéguisé.


340 ETHNOLOGIE ET POPULATION.pouvait faire craindre une répétition <strong>des</strong> scènes sanglantesde Saint-Domingue, <strong>et</strong> où Ton était en quêtede soldats, on se hâta d'en former <strong>des</strong> régiments.Bientôt façonnés aux exigences de la discipline militaire,après avoir bravement combattu pour une causequi n'était pas la leur (1),ils achèvent de disparaître aumilieu <strong>des</strong> révolutions qui depuis la fondation <strong>des</strong> républiquesde la Plata, rougissent incessamment leseaux <strong>du</strong> grand fleuve découvert par Diaz de Solis.Spectacle de douloureux intérêt '<strong>et</strong> bien digne d'unregard de compassion !L'intro<strong>du</strong>ction <strong>des</strong> noirs dans les colonies hispanoaméricainesa suivi de très-près la prise de possession.Il en fut ainsi au Brésil. On pourrait même dire quec<strong>et</strong>terace infortunée, partout asservie, a contribué à larendre plus facile en cultivant le solconquis, pendantque les Européens tournaient toutes leurs forces versl'agrandissement de leurs immenses domaines. IIétaiten eff<strong>et</strong>, impossible à l'Espagne <strong>et</strong> au Portugal, d<strong>et</strong>rouver dans le chiffre si faible de leur population lesmoyens de faire face à lafois aux luttes qu'elles soutenaienten Europe, <strong>et</strong> de poursuivre la conquête <strong>du</strong>Nouveau-Monde.C'est à l'année 1 530 qu'il faut reculer c<strong>et</strong>te trans-(1) Je trouve c<strong>et</strong>te appréciation dans l'ouvrage <strong>du</strong>n (migré Argentindont on ne récusera pas le ténaoigoacc : « Ce qu'il me faut noterpour mon but, c'est que la Révolution, excepté dans son symbole extérieur,iudtpendancc <strong>du</strong> Roi, n'était intéressante <strong>et</strong> intelligible que pourles villes Argentines, étrange <strong>et</strong> sans prestige pour les campagnes. »D. J. SiRMiENTo, CinlisaCion <strong>et</strong> Barbarie, tra<strong>du</strong>it de l'espagnol parA. Giraud, Paris, iu-12, 1853, p. 60.


DES NOIRS ET DE L' ESCLAVAGE. 341migration <strong>des</strong> noirs, <strong>du</strong>e, en partie, aux sollicitationspressantes <strong>du</strong> P. Barthelemi de Las Casas. Dans la ferveurde son zèle pour la cause <strong>des</strong> Indiens, le bonmissionnaire sacrifiait sans scrupule la race africaineaux travaux de la colonisation qu'il voulait épargnerà ceux dont il s'était déclaré le protecteur infatigable(1).Les besoins <strong>des</strong> colonies croissaient dans de ra^pi<strong>des</strong> proportions; <strong>et</strong> l'Espagne dont la puissance navalen'était alors qu'au début de l'état prospère qu'elledevait atteindre un instant, <strong>et</strong> perdre presque aussitôt;dénuée d'ailleurs <strong>du</strong> génie commercial, l'Espagnese trouva dans l'impossibilité d'approvisionner ellemêmeses suj<strong>et</strong>s. Elle s'adressa donc à la France,<strong>et</strong> prit avec elle <strong>des</strong> arrangements pour le transportdans ses colonies <strong>des</strong> nègres dont elles avaient besoin.Ce traité qui reçut le nom de Asiento de los negros (2)<strong>du</strong>ra peu. Ap|^ la paix d'Utrecht qui termina uneguerre fatale à notre marine, Philippe V le rompitpour le renouveler avec les Anglais dont la prépondéranceluiimposa <strong>des</strong> conditions bien autrement onéreuses.« La compagnie <strong>du</strong> sud qui exerça le privilège,devait fournir quatre mille huit cents Africains <strong>et</strong> payer(1) On peut aussi considérer l'importation de la race africaine commele corollaire <strong>des</strong> décr<strong>et</strong>s protecteurs <strong>des</strong> Naturels, promulgues dès lespremiers temps de la conquête. L'ineiécution de ces ordonnances résultaitde la nature même <strong>des</strong> choses, mais ou ne saurait, sans injustice, eu accuserl'autorité royale ou ses délégués.(2) Asiento, contrat, marché.


342 ETHNOLOGIE ET POPULATION.au roi d'Espagne 160 livres par têle de nègre. Ellen'était obligée d'en donner que la moitié pour ceuxqu'elle intro<strong>du</strong>irait au-<strong>des</strong>sus de ce nombre, pendantles vingt-cinq premières années de l'arrangement. Dansles cinq dernières, il lui était défen<strong>du</strong> d'en porter audelà de ce qui était spécifié dans le contrat.a A cause de l'éloignement, la compagnie étaitautorisée àbâtir <strong>des</strong> maisons sur la rivière de la Plata,à prendre <strong>des</strong> terres à ferme dans le voisinage de sescomptoirs, à les faire cultiver par <strong>des</strong> nègres ou par<strong>des</strong> naturels <strong>du</strong> pays ; c'est-à-dire à s'emparer par lemoyen de c<strong>et</strong> entrepôt, de tout le commerce <strong>du</strong> Chili<strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.»On peut voir dans Raynal à qui nous empruntonsce passage (1),que là ne se bornèrent pas les sacrificesarrachés par l'Angl<strong>et</strong>erre dont le commerce écrasabientôt celui de l'Espagne, par une concurrence ruineuse,dans tous les ports oii elle «t^ak autorisée àdébarquer <strong>des</strong> esclaves. A son expiration, ce contratonéreux ne fut pas renouvelé.Quelle était à la fin <strong>du</strong> dernier siècle, l'importancede ce hideux trafic, sur les bords <strong>du</strong> Rio de la Plata?Azara a dressé l'état <strong>du</strong> commerce maritime de tousles ports Argentins, en prenant la moyenne <strong>des</strong> cinqdernières années de paix qui se sont écoulées pendantson séjour en Amérique (de 1792 à 1796J.Dans l<strong>et</strong>ableau qu'il a publié (2), on voit que les bâtiments{l) RiYNiL, <strong>Histoire</strong> philosophique <strong>et</strong> <strong>politique</strong> <strong>des</strong> établissements cl<strong>du</strong> commerce <strong>des</strong> Européens dans les deux In<strong>des</strong>, \U, 268.(*i)Voyages, U,314.


4DES NOIRS ET DE L'ESCLAVAGE. 343venus avec <strong>des</strong> nègres en ont amené 1 ,338,<strong>et</strong> que lesbâtiments sortis pour faire la traite avaient à bord :Argent en piastres. ...... 120,276Valeur <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>its en piastres. . . 12,738Valeur totale en piastres. . . . . 1 33,01Sur ces chiffres assurément très-faibles — si l'onsonge que latraite versait alors par année cent millenoirs sur les côtes <strong>du</strong> Brésil — sur ces chiffres,il est impossible de dire ce qu'a reçu le <strong>Paraguay</strong>, oùjamais il n'exista de marché public pour c<strong>et</strong>te marchandisehumaine, les habitants tirant eux-mêmesleurs esclavesde Buenos-Ayres suivant leurs besoins.Or, dans c<strong>et</strong>te dernière ville, on comptait au commencement<strong>du</strong> siècle, suivant Azara, cinq Espagnolspour un mulâtre.Dans c<strong>et</strong> état de choses, la séparation d'avec laMétropolefut proclamée. L'Assemblée générale de 1813rendit le 3 février un décr<strong>et</strong> qui déclarait libres, à partir<strong>du</strong> 31 janvier, jour de la première réunion <strong>du</strong> congrès,les enfants nés ou à naître de mère esclave (1).De tout temps, nous le savons, l'enfant d'une femme(1) Celte loi porte le litre de Libertad de vientres. Va décr<strong>et</strong> <strong>du</strong> gouvernement<strong>du</strong> 9 avril 1812, promulgué le 15 mai suivant, avait prohibél'importation <strong>des</strong> esclaves. Celte interdiction fut renouvelée par plusieursdécr<strong>et</strong>s en date <strong>des</strong> 4 février 1813, 10 novembre 1821 <strong>et</strong> 3 septembre 1824.Enfin, lAssemblée de la province de Buenos-Ayres, assimile la traite à lapiraterie, <strong>et</strong> châtie comme piratesles négriers (15 novembre 1824). C'estsur celte assimilation que fut négocié avec l'Angl<strong>et</strong>erre le traite pour larépression <strong>du</strong> trafic <strong>des</strong> noirs <strong>du</strong> 24 mai 1839, qui sanctionnait <strong>des</strong> mesuresdéjà concédées par fart. XIV de la convention <strong>du</strong> 2 février 1825.


344 ETILNOLOGIE ET POPULATION.libre avait suivi la conditioQ de la nîère, alors mêmeque le père était esclave.On forma immédiatement avec les affranchis <strong>des</strong> régimentsqui devinrent en peu de temps les troupes lesmieux disciplinées de la république Argentine. Dirigéessur leHaut-Pérou, avec la promesse de recevoir leuraffranchissement après huit années de service, ces troupesprennent part à tous les combats <strong>et</strong> se distinguentparticulièrement à l'affaire <strong>du</strong> Desaguadero, aux bataillesde Maipù <strong>et</strong> de Chacabuco. Mais le climat <strong>et</strong> lesfièvres les décimèrent; beaucoup périrent, <strong>et</strong> <strong>des</strong> débrisde ces corps ramenés à grand'peine , on forma un bataillonfort de 1,200 hommes, dit <strong>des</strong> Defensores deBuenos-Ayres : les officiers étaient choisis dans sonsein. Parvenu au pouvoir, le général Rosas, pour attacherdavantage à sa personne c<strong>et</strong>te troupe dévouée,lui permit de prendre <strong>et</strong> de porter le nom de régimentdel Rcsîaurador (1). A la fin de Tannée 1847, l'effectifde ce corps ne dépassait pas 700 hommes. Le combatde Monte Caseros (2), où il résista seul pendant plusieursheures aux forces <strong>du</strong> général Urquiza, <strong>et</strong> lestroublesdont les journaux <strong>et</strong> les correspondances nousapportent chaque mois le triste récit, ont dû le diminuerdans de fortes proportions.(1) La Chambre <strong>des</strong> Représenta iiîs {Sala de los Représentantes) deBueoos-Ayres, avait décerné au général Rosas le glorieux surnom deReslaurador de las Icycs (Ucslauralcur dos loi»), sans doule pour le vengerde ceux qui l'accusaient de n'en respecter aucune, <strong>et</strong> de ne suivre, eo toutecirccnstauce, que son inilexible volonté.(2) 3 février 1852.


DES NOIRS ET DE l' ESCLAVAGE. 345Sur la rive gauche de la Plata, les choses se sontpassées à peu près de la même manière.Le 7 septembre 1825, les Représentants réunisdans la p<strong>et</strong>ite ville de la Florida (Montevideo étaitau pouvoir de Tarrnée brésilienne ), abolissent l<strong>et</strong>rafic <strong>des</strong> esclaves, <strong>et</strong> déclarent libres,sans distinctiond'origine, tous ceux qui naîtront sur le territoire del'État Oriental.La Constitution sanctionnée le 10 septembre 1829,par l'Assemblée générale constituante <strong>et</strong> législative,consacre c<strong>et</strong>te disposition <strong>et</strong> la confirme en termesexprès (1). Un traité avec l'Angl<strong>et</strong>erre, fut célébrédans les mêmes termes <strong>et</strong> àla même époque que celuide Buenos-Ayres (13 juill<strong>et</strong> 1839).Après la défaite <strong>du</strong> général Rivera à VArroyograndeyle gouvernement de Montevideo, à deux doigtsde sa perte, trouva dans la population noire de la ville,<strong>des</strong> soldats tout prêts à la défendre contre le généralOribe qui venait l'assiéger. Il s'empressa de proposerau Sénat <strong>et</strong> à la Chambre <strong>des</strong> Représentants (12 décembre1842), un proj<strong>et</strong> de loi qui fût immédiatementsanctionné.Voici le texte de c<strong>et</strong>te loi,précédée d'un préambulequi en fait connaître en peu de mots les motifs :Art. I®^ A dater de la promulgation <strong>du</strong> présentdécr<strong>et</strong>, l'esclavage est aboli sur tout le territoire de laRépublique.(1) « En el terrilorio del Estado nadie nacera yaesclavo; queda prohibidopara sicmpre su tràfîco e intro<strong>du</strong>ccioa en la Repubiica. » Seccion XJy OisposicionesjencraleStCap.unico,Art. CXXXI,


346 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Art.IL Le Gouvernement <strong>des</strong>tinera au service militaire,<strong>et</strong> pour le temps qu'il jugera nécessaire, leshommes vali<strong>des</strong> qui ont été esclaves, colons, ou pupilles.Art. IIL Une loi postérieure fixera, s'il y a lieu, lesindemnités qui pourraient être <strong>du</strong>es par suite de la miseà exécution <strong>des</strong> dispositions précédentes.Grâce à c<strong>et</strong>te promesse peu rassurante, l'enrôlement<strong>des</strong> hommes de couleur ne s'effectuapas sans un peud'opposition de la part <strong>des</strong> Montévidéens, qui s'efforcèrentd'éluder une mesure qui lésait gravement leurs intérêts.Les exhortations de la presse (el Nacional <strong>des</strong>20 <strong>et</strong> 26 décembre), les avis répétés <strong>du</strong> pouvoir exécutif,l'imminence <strong>du</strong> danger, tout contribua à vaincrec<strong>et</strong>te hésitation qui pouvait devenir fatale à la malheureusecité, <strong>et</strong> les cadres <strong>du</strong> nouveau bataillon(3® de ligne), se complétèrent rapidement. Ces recruesse firent promptement remarquer par leur bonne tenue<strong>et</strong> leur discipline, <strong>et</strong> concoururent efficacement à ladéfense de la place, sous l'habile direction <strong>du</strong> généralPaz, qui dans ses bull<strong>et</strong>ins mensuels les loue plusd'une fois de leur bravoure en face de l'ennemi, <strong>et</strong> deleur résignation à supporter <strong>des</strong> fatigues auxquelles onles exposait trop souvent sans nécessité.La guerre terminée (1), le gouvernement de la répu-(1) Après un siège fécond en incidents de toute nature, <strong>et</strong> qui avait <strong>du</strong>rédix ans, celte moderne Troie, plus heureuse que la Troie antique, n'a paseu la douleur de voir l'ennemi pénétrer dans ses murs, grâce — on lesait — à l'intervention <strong>du</strong> Brésil assez habile pour avoir su semparcr <strong>du</strong>rôle dédaigné ou iuconiplclcmcnt rempli par la France, après d'cuormes


DES NOIRS ET DE L'ESCLAVAGE. 347blique de l'Uruguay a-t«il récompensé le dévouement<strong>des</strong> hommes qui lui avaient prêté un énergiqueconcours, <strong>et</strong> dont j'ai vu les rangs si éclaircis?Les anciens colons de l'Espagne n'ont-ils donné la libertéà leurs esclaves qu'en échange de leur vie? Jel'ignore. Depuis trop longtemps on r<strong>et</strong>rouve les hommesde couleur à la tête <strong>des</strong> contingents rassemblés de gréou de force par les ambitieux qui tour à tour se disputentle pouvoir, <strong>et</strong> l'on pourrait prédire presque à coupsûr qu'ils disparaîtront tous jusqu'au dernier, avantl'apaisement de ces guerres intestines, sans nom commesans motifs.Revenons au <strong>Paraguay</strong>. Ce que nous avons dit plushaut <strong>des</strong> entraves soit naturelles soit <strong>politique</strong>s quide tout temps l'ont privé d'une communication directeavec l'Afrique, laisse assez prévoir que lenombre <strong>des</strong>sacrifices, <strong>et</strong> malgré de puissants intérêts de race, de <strong>politique</strong> <strong>et</strong> de commerce.Ajoutons ici que les noirs, facilement disciplinables, fournissent d'excellentsfantassins au Brésil dont ils sont la meilleure, je devrais dire l'uniqu<strong>et</strong>roupe. J'ai plus d'une fois admiré la bonne tenue <strong>et</strong> les manœuvres del'infanterie montée de la province de Rio-Grande <strong>du</strong> Sud, qui a contribuépour une bonne part à conserver ce riche fleuron à la couronne de l'empir<strong>et</strong>ransatlantique.Sans être un ncgrophile à outrance, je rends donc justice aux excellentesqualités de l'Africain, que je place au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> mulâtre pour les qualitésque Gall appelle affectives. L'esclavage <strong>et</strong> la traite, sont, à mon sens,deux choses distinctes, quoique intimement liées. Partisan de la législationanglaise qui traite les négriers à l'égal <strong>des</strong> pirates, je n'eu reconnaispas moins l'esclavage comme une nécessité, <strong>et</strong> même comme unecondition d'existence pendant de longues années encore pour certainsÉtats, pour le Brésil par exemple; <strong>et</strong> je déplore la libération irréfléchie,ruineuse pour nos colonies, sans profit pour les esclaves, décrétée inopinément<strong>et</strong> sans mesure transitoire, par les hommes d'État de 1848, àl'exemple de la première république^


348 ETHNOLOGIE ET POPULATION.nègres, beaucoup moins considérable que dans lesgran<strong>des</strong> villes <strong>du</strong> littoral, <strong>et</strong> en particulier à Lima, à laHavane, <strong>et</strong> à Caraccas, y demeura toujours presqueinsignifiant, eu égard au chiffre de la population. Denos jours, au <strong>Paraguay</strong> comme au Mexique, le nègresoit libre, soit esclave, a presque disparu, en ne laissantcomme traces de son passage que <strong>des</strong> métis avec lesblancs, <strong>et</strong> surtout avec la race indigènes.A la fin <strong>du</strong> siècle dernier, le dénombrement de lapopulation constatait que sur 6 habitants il y avait5 Espagnols <strong>et</strong> 1 mulâtre; <strong>et</strong> 174 hommes de couleurlibres pour 100 esclaves (1).A toutes les époques, les lois sages <strong>et</strong> humaines del'Espagne, éludées en partie par <strong>des</strong> maîtres avi<strong>des</strong>,grâce à l'éloignement <strong>du</strong> pouvoir central,ou à la connivencecoupable de quelques gouverneurs, ont protégéles esclaves plus que celles qui régissaient lesautres colonies européennes (2). Toujours interprétéesen faveur de la liberté, elles donnaient aux noirs ledroit de se marier, de porter plainte en cas de mauvaistraitements au défenseur <strong>des</strong> mineurs [defensorde los minores) chargé de leur tutelle. Si l'accusationétait fondée, ce magistrat les prenait sous sa protec-(1) Oa compte, au Brésil, 4 noirs ou mulâtres sur 5 habitants. C<strong>et</strong>teprédominance <strong>du</strong> sang africain, encore plus marquée dans les provincesseptentrionales de l'Empire, doit être un suj<strong>et</strong> de sérieuses préoccupationspourson gouvernemeiit.(2) A plusieurs reprises le Conseil <strong>des</strong> In<strong>des</strong> s'opposa à la restitution<strong>des</strong> esclaves fugitifs, par ce motif que la liberté était un droit naturelsur lequel 1rs couveotious humaines ne pouvaient remporter, <strong>et</strong> que lafuite était uu mflycu licite <strong>et</strong> honnête de l'acquérir.


DES NOIRS ET DE l'eSCF-AVAGE. 34-9lion, <strong>et</strong> les confiait à un tiers en leur cherchant un autremaître. A la suite de la Révolution, quelques esclavesabusèrent de ces lois protectrices ; mais Francia prit<strong>des</strong> mesures qui mirent promptement les maîtres àl'abri de vexations auxquelles on a peine à croire enconsidérant ce qui se passe dans un Etat voisin.Cependant, la loi les déclarait indignes d'occuper<strong>des</strong> emplois publics, <strong>et</strong> ils étaient, en outre, soumis àun tribut annuel de trois piastres imposé par le VisiteurF. de Alfaro. C<strong>et</strong>te contribution était <strong>du</strong>e partout homme de couleur libre, âgé de 18 à 50 ans.Azara déplore ouvertement les conséquences d'une mesuredont l'exécution entraînait les plus criants abus.Ainsi, pour assurer le recouvrement de c<strong>et</strong> impôt,onlivrait aux Espagnols qui se chargeaient de l'acquitter,<strong>des</strong> malheureux dont la condition devenait en tout semblableà celle <strong>des</strong> esclaves.« Les gouverneurs ne tardèrentpas à abuser de c<strong>et</strong>te institution, <strong>et</strong> ils r<strong>et</strong>endirentà tout sexe <strong>et</strong> à tout âge, <strong>et</strong> soit que ces malheureuxpayassent le tribut ou non, ils les livraient à leurs favoris<strong>et</strong> à leurs favorites, à l'insu de l'administration<strong>des</strong> finances à laquelle ils ne payaient rien (1). »En 1653, on fonda une peuplade d'hommes de couleursous le nom de Tabapy (2). Plus tard, en1740, le gouverneur D. José Martin deChauregui,obligé de repousserles attaques <strong>des</strong> Indiens M'bayàs,déclara libres <strong>du</strong> tribut les hommes de couleur(1) Azara, Voyages, II, 274.(2) Lût. 25» 54' 50"; Long. 59» 41' 18 ".


350 ETHNOLOGIE ET POPULATION.placés en amparo (1) , <strong>et</strong> en forma la peuplade de laEmboscada (2): à partir de c<strong>et</strong>te époque, les gouverneursles ont obligés au service militaire dont ilsavaient été exempts jusqu'alors.La population <strong>des</strong> deux villages était la suivante àla fin <strong>du</strong> dernier siècle :Tabapy 644Emboscada 840Elle est aujourd'hui pour le premier de huit centsâmes, <strong>et</strong> pour le second de mille.Ramenés, nous Tavons vu, aux règles d'une soumissionplus complète par les mesures énergiques <strong>du</strong>Dictateur, les esclaves virent leur condition tout à coupmodifiée par le pouvoir qui surgit à sa mort. Un <strong>des</strong> premiersactes <strong>du</strong> gouvernement consulaire fut, en eff<strong>et</strong>,de décréter l'abolition progressive de l'esclavage : endéclarant libres les enfants à naître de parents esclaves,il donnait aux a<strong>du</strong>ltes le droit de se rach<strong>et</strong>er pour unesomme modique, interdisait leur sortie , <strong>et</strong> prohibaitsévèrement toute intro<strong>du</strong>ctionnouvelle.L'influence de c<strong>et</strong>te mesure, dont l'honneur revientaux consuls Lopez <strong>et</strong> Alonzo, a amélioré encore lesort <strong>des</strong> esclaves , déjà tolérable sous <strong>des</strong> maîtresnaturellement enclins à ladouceur. De nos jours, leurnombre ne dépasse pas mille indivi<strong>du</strong>s, tous de racemixte, les nègres ayant à peu près disparu , <strong>et</strong> les af-(1) Amparo, asile, protection.(2) De rEmbuscade. Lat. 25' 7' 42"; Long. 5S« 44' 5".


DES NOIRS ET DE l'eSCLAVAGE. 351franchissements le ré<strong>du</strong>isent sans cesse. Lorsqu'ilssont âgés, ces malheureux obtiennent laliberté en récompensede leurs longs services, <strong>et</strong> il n'est pas rarequ'un maître émancipe de jeunes esclaves par une dispositiontestamentaire. Enfin, les mulâtresses, lorsqu'ellessont blanches <strong>et</strong> jolies, obtiennent souventd'être rach<strong>et</strong>ées par leurs amants. On ne faitd'ailleursaucune distinction entre les esclaves <strong>et</strong> les serviteurslibres, mais on préfère les noirs aux mulâtres, généralementfiers <strong>et</strong> perfi<strong>des</strong>,car les <strong>Paraguay</strong>os n'ont pasencore oublié le vieux proverbe espagnol : No se fie demula y mulata; il faut se défier <strong>des</strong> mules <strong>et</strong> <strong>des</strong> mulâtres.


CHAPITRE XXVII.ETHNOLOGIE ET POPULATION ( suite ). — NATIONS INSODHISESLES PATAGUAS.L'histoire <strong>des</strong> races américaines pourraittenir dansIquelques pages. Les unes ont accepté la demi-servitudeque leur apportaient les conquérants; les autres,plus rebelles, ont voulu lutter <strong>et</strong> ont été détruites;celles qui luttent encore, périront. Les races qui ontpréféré lasujétion à la mort, en mêlant dans une forteproportion leur sang au sang européen,n'ont disparucomme races, que pour entrer comme partie intégrante<strong>et</strong> quelquefois dominante, dans les nationalités américaines: la grande famille <strong>des</strong> Guaranis offre à l'observationde l'<strong>et</strong>hnologue, l'exemple le plus frappantde c<strong>et</strong>te fusion inlimc.


,LES PAYAGUAS. 353Mais au milieu d'elle, à côté <strong>des</strong> hor<strong>des</strong> insoumises<strong>du</strong> Grand-Chaco si remarquables par leurs belles proportions,il existe encore une peuplade peu nombreusedont les rangs chaque jour s'éclaircissent<strong>et</strong> qui près de disparaître, a légué intactes à la générationactuelle, avec une complète indépendance, sescroyances, ses coutumes, <strong>et</strong> les glorieuses traditions <strong>des</strong>es ancêtres.A l'époque de la découverte, les Payaguàs, tel est lenom de c<strong>et</strong>te nation vaillante, partagés en deux tribus,les Cadiguês <strong>et</strong> les Magachs (1 J,vivaient sur les rives<strong>et</strong> les îles nombreuses <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, vers les 21<strong>et</strong>25® de latitude. Ces résidences n'avaient rien de fixe.Maîtres <strong>du</strong> fleuve <strong>et</strong> jaloux de son empire, ils naviguaientdepuis le lac de Xarayes, <strong>et</strong> faisaient de lointainesexcursions sur le Paranà jusqu'à Corrientes <strong>et</strong>Santa-Fé d'un côté, <strong>et</strong> jusqu'au Saltu chico, de l'autre.On a proposé comme étymologie assez rationnelle <strong>du</strong>nom de ces Indiens, les deux mots guaranis paî el aguaà,qui signifient « attaché à la rame, » ce qui est tout àfait en rapport avec leurs habitu<strong>des</strong>. Ensuite, on avoulu voir dans l'expression <strong>Paraguay</strong>, appliquéecomme dénomination à la rivière, avant de l'être à laprovince, une corruption de Payaguà, corruption assezlégère, <strong>et</strong> qui nous paraît fort admissible.* Quoi qu'il en soit de c<strong>et</strong>te supposition dont nous(1) Et par altération Sarif/ue^ <strong>et</strong> Agaces. Les créoles appelèrent aussi 4ces derniers Tacumbùs (Tacoumbous), <strong>du</strong> nom <strong>du</strong> district qu'ils habitaient.23


354 ETHNOLOGIE ET POPULATION.avons discuté plus haut la valeur (


LES PAYAGUAS. 355)â tribu <strong>des</strong> Tacumbùs s'est fixée aux portes de TAssomption,où elle a reçu dans son sein, en 1790, celle<strong>des</strong> Sarigues, sans renoncer tout à fait, malgré c<strong>et</strong>teélection de domicile, à sa vie nomade. Les Payaguàsse dispersent souvent sur les bords <strong>du</strong> fleuve, par famillesou par groupes. Il n'est pas rare d'en rencontrerprès de Villa-Real,de Neembucu, ou de San-Pedro,sur le Xejuy.Quel était leur nombre dansla première moitié <strong>du</strong>xvi^ siècle ? Ilest impossible de le dire avec certitude;mais les anciennes relations, qui paraissent ne pasmériter sur ce point le reproche d'exagération qu'onleur a plus d'une fois <strong>et</strong> à juste titre adressé, ne l'estimentpas au delà de plusieurs milliers de combattants.Du temps d'Azara, la peuplade tout entièrecomptait à peine mille âmes :de nos jours, elle n'en apas deux cents (1).A quelle division <strong>et</strong>hnographique faut-il rattacherles Payaguàs ?Dans son ouvrage sur VHomme américain, M. d'Orbignyles a placés parmi les nations <strong>du</strong> rameau qu'ilappelle pampéen; <strong>et</strong>, s'il, m'était permis d'en parler,je dirais que mes propres observations viennent à(1) A. dOrbigny, sur la foi de renseignements recueillis à Corrientes,aux frontières même <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, raconte [Voyage, t. I, p. 314) queFrancia les fit m<strong>et</strong>tre tous à mort. Nous verrous, au contraire, le Dictateurattacher les Payaguàs au servicede sa <strong>politique</strong>. C<strong>et</strong>te erreur <strong>du</strong>n voyageurtoujours exact, prouve une fois de plus avec quelle réserveon doitaccueillir, en Amérique, les informations que l'on ne peut contrôler soimême.


,356 ETHNOLOGIE ET POPULATION.l'appui de la classification adoptée par c<strong>et</strong> éminentnaturaliste.C<strong>et</strong>te circonstance, en me perm<strong>et</strong>tant d'om<strong>et</strong>trecertains caractères qui leur sont communs avec lesnations voisines,<strong>et</strong> la crainte d'encourir les reprochesqu'un voyageur illustre <strong>et</strong> plein de mo<strong>des</strong>tie adresseà ceux qui tentent de décrire <strong>des</strong> sauvages ( i )m'obligent à ne traiter que les points essentiels <strong>et</strong> caractéristiquesde l'organisation de ces Indiens.Leur taille est remarquable. Elle surpasse incontestablementcelle de la plupart <strong>des</strong> nations <strong>du</strong> globe.Magna corpora, dit Tacite en parlant <strong>des</strong> habitants dela Germanie. Les mesures suivantes prises au hasardsur huit indivi<strong>du</strong>s justifieraient l'application de celteépithète aux Pa vaguas.Ainsi l'un d'eux, âgé de 20 ans, avaiti'^jSI.Un autre 48 — 1°^,74,3'".» •» — 1"',7o.» — 1'°,77.Quatre d'un âge mûr. » — 1'",79.y, _1°»,79,5""»._ i'n,80.Movenne :I'",78,1'"'".(1) « Je ne m'étendrai pas beaucoup, pour éviter l'ennui, <strong>et</strong> pour oe« pas ressembler à ceu\ qui, pour avoir vu une demi-douzaine d'Indiens« sur la côte, en font une <strong>des</strong>cription peut-être plus complète qu'ils ne« pourraient faire d'eux-mêmes. Ajoutez à cela que je n'aime point les« conjectures, mais les faits, <strong>et</strong> que je n'ai pas autant d'instruction <strong>et</strong> de« talents que d'autres. » Azara, Voyages, t. II, chap. x, p. 2.


LES PAYAGUAS. 357En outre, un jeune garçon de 14 ans avait 1'",63,<strong>et</strong> un enfant de 7 ans, 1 ,38.Comme corollaire de c<strong>et</strong>te première donnée, iln'estpas sans intérêt de faire remarquer que le minimum d<strong>et</strong>aille, fixé par la loi<strong>du</strong> recrutement en France, est de1,56, <strong>et</strong> que la taille moyenne <strong>des</strong> conscritsdéclaréspropres au service, établie pour les départements lesplus riches, c'est-à-dire dans ceux qui réunissent lesconditions les plus favorables à son développement, nedépasse pas1",682!"*'".Chez les femmes, les proportions ne sont pas moinsavantageuses. Ainsi, quatre femmes de plus de 20 ansm'ont offert :La première. ..... 1,55.La secondei°',55.La troisième 1",60.Et la quatrième1,62.Moyenne : 1,58.On peut tirer plusieurs conséquences de c<strong>et</strong>te doublesérie de mesures. En comparant la taille moyenne <strong>des</strong>Payaguàs à celle de l'homme en général, que les physiologistess'accordent à fixer vers i*",66, on voit quela différence, tout à l'avantage <strong>des</strong> premiers, n'est pasinférieure à 12 cent. 1 millim.Si l'on prend ensuite pour points de comparaisonles mesures observées par <strong>des</strong> voyageurs exacts surles peuples qui passent pour les plus grands de Fanivers,sur les Patagons par exemple, on trouve commemoyenne donnée par M. d'Orbigny, i,73 : ainsi lesPayaguàs surpassent encore de 5 cent. 1 millim. c<strong>et</strong>te


'358 ETHNOLOGIE ET POPULATION.nation à laquelle on a,de tout temps, attribué une staturefabuleuse.La seconde conséquence à dé<strong>du</strong>ire <strong>des</strong> tableauxprécédents, c'est Tunilormité <strong>des</strong> résultats qui y sontconsignés; <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te uniformité a lieu pour les deuxsexes. Ainsi, chez les hommes, la différence entre leplus grand <strong>et</strong> le plus p<strong>et</strong>it n'est que de 6 cent. 7 millim.,<strong>et</strong> chez les femmes, elle ne s'élève pas au delà de 7 cent. :d'où il suit que non-seulement ces Indiens sont supérieurssous ce rapport aux Patagons, mais que chezeux tous les indivi<strong>du</strong>s sont très-grands.Je dois le dire, la même remarque a été faite à l'égardd'autres races de l'Amérique <strong>du</strong> Sud, <strong>et</strong> de patientesrecherches ont démontré qu'entre la taille moyenne <strong>et</strong>la taille extrême, il y avait, en général, pour chaquenation, beaucoup moins de différencesqu'en Europe.On regarde l'état de nature dans lequel vivent les In- mdiens comme la cause probable de c<strong>et</strong> écart près- hque insensible. A c<strong>et</strong>te explication très-admissible,ne conviendrait-il pas d'ajouter l'absence d'unionsentre les Payaguàs <strong>et</strong> les nations qui les entourent, lesoin avec lequel ils repoussent toute alliance étrangère?Faut-il y avoir encore un argument contre ceux quicroient à l'abâtardissement <strong>des</strong> races, <strong>et</strong> à la nécessitépour elles de se croiser avec d'autres, sous peine de dépérissement?Le corps <strong>des</strong> Payaguàs, toujours élancé, ne présentejamais d'obésité,excepté chez les femmes. Les épaulessont larges; <strong>et</strong> les muscles de la poitrine, <strong>des</strong> bras <strong>et</strong>de la partie postérieure <strong>du</strong> tronc, offrent un dévelop-


LES PAYAGUAS. 359pement dû à l'exercice fréquent de la rame ; carils vivent dans leurs pirogues. En revanche, c<strong>et</strong>teprédominance de l'appareil musculaire dans lesmembressupérieurs fait paraître grêles <strong>et</strong> effilées les extrémitésinférieures.La peau, lisse <strong>et</strong> douce au toucher, comme celle <strong>des</strong>indigènes <strong>du</strong> Nouveau-Continent, est d'une couleurbrun olivâtre, <strong>et</strong> il serait assez difficile d'en définir lanuance plus rigoureusement. Elle paraît un peu plusclaire que celle <strong>des</strong> Guaranis dont elle n'offre pas lesrefl<strong>et</strong>s jaunâtres ou mongoliques (1).Les Payaguàs portent haute leur tête volumineuse,couverte de cheveux abondants, longs, plats ou légèrementbouclés. Ils les coupent sur le devant <strong>du</strong> front;ne les peignent jamais, <strong>et</strong> les laissent croître <strong>et</strong> r<strong>et</strong>omberen désordre. Les jeunes guerriers seuls les rassemblenten partie sur l'occiput, où ils les r<strong>et</strong>iennentattachés à l'aide d'une p<strong>et</strong>ite corde rouge, ou d'unelanière découpée dans la peau d'un singe. Ainsi fontles Guatôs de Cuyabà, qui, pour le dire en passant, serapprochent plus de c<strong>et</strong>te peuplade que <strong>des</strong> Guaranis,(1) S'il parait démontré que les différences d'intensité dans la coloration<strong>du</strong> derme tiennent h <strong>des</strong> conditions primitives d'organisation, conditionspropres à chaque race, il ne l'est pas moins que linsolatiou suffitseule à pro<strong>du</strong>ire une teinte plus ou moins foncée de la peau, chez lesindivi<strong>du</strong>s d'une même race qui s'exposent à l'action prolongée <strong>des</strong> rayonssolaires; tandis que <strong>des</strong> circonstances opposées, toutes choses égales,donnent lieu à <strong>des</strong> phénomènes contraires. Ici, à côté de la réverbération<strong>des</strong> feux d'un soleil tropical par un réflecteur auisi puissantque le milieu sur lequel vivent les Payaguàs, il y a rinflueuce d'uneatmosphère chaude <strong>et</strong> saturée d'humidité, un état hygrométrique deTair, qui peut expliquer, jusqu'à un certain point, riuteusitc moindre dela couleur de ces ludieuS; comparée à celle <strong>des</strong> Guaranis.


360 ETHNOLOGIE ET POPULATION.à côté <strong>des</strong>quels ilsont été placés dans une savante clasaification(1).Les yeux p<strong>et</strong>its <strong>et</strong> vifs, légèrement bridés mais nonrelevés à l'angle externe, expriment la finesse <strong>et</strong> l'astuce.Le nez long, un peu arrondi, rappelle par seslignes laconformation caucasique.Les pomm<strong>et</strong>tes sont à peine saillantes; la lèvre inférieuredépasse la supérieure, ce qui donne à leurphysionomie sérieuse <strong>et</strong> froide, une expression defierté dédaigneuse en rapport avec le caractère de cepeuple indompté.Les Payaguàs s'épilent. A l'exemple <strong>des</strong> autres Indiens,ils s'arrachent les sourcils <strong>et</strong> les cils afin demieux voir. Sur les autres parties <strong>du</strong> corps, dans lesdeux sexes, le système pileux reste toujours à l'étatrudimentaire.La taille moyenne <strong>des</strong> femmes, les chiffres que j'aidonnés l'attestent, égale au moins celle <strong>des</strong> Espagnoles,<strong>et</strong> pourtant, comparée à celle <strong>des</strong> hommes, elle présenteune différence en moins de 201 millimètres. Or,ce résultat, assez conforme à ceux qui se trouvent consignésdans les ouvrages de MM. Qu<strong>et</strong>el<strong>et</strong> (2) <strong>et</strong> IsidoreGeoffroy Saint-Hilaire (3), paraît contredire les(1) D'Orbigny, ouvr. cit., t. II, p. 350.(2) Sur l'homme <strong>et</strong> le développement de ses facultés^ t. II, p. 42. Lesavant directeur de l'observatoire de Bruxelles adm<strong>et</strong> comme limites àVaccroisseraeDt de l'homme, l'",722, <strong>et</strong> à celui de la femme, fjSTO : différence,143 millim.(3) On lit c<strong>et</strong>te phrase dans VHistoirc générale <strong>et</strong> particulière <strong>des</strong>anomalies de l'organisation, t. I, p. 236 :« Les femmes sont beaucoup plus prlilos, proportion gardée avec les* hommes, dans les contrées où ceui-ci alleigneut une taille irès-élcTcc. »


LES PAYAGUAS. 361observations faites par M. d'Orbigny (1) sur d'autresnations <strong>du</strong> rameau pampéen, cbez lesquelles les femmesont <strong>des</strong> proportions relativement plus gran<strong>des</strong> quecelles qui existent en Europe entre les deux sexes. S'ily a ici anomalie, par quelles causes est-elle pro<strong>du</strong>ite ?A quelles circonstances locales, particulières, l'attribuer?Dans la jeunesse, les femmes, sans être sveltes, sontbien proportionnées. Mais elles engraissent de bonneheure; leurs traits se déforment, <strong>et</strong> bientôt leur corpsdevient trapu <strong>et</strong> ramassé. En revanche, les pieds <strong>et</strong>les mains conservent toujours une p<strong>et</strong>itesse remarquable,quoiqu'elles marchent pieds nus, <strong>et</strong> qu'ellesne prennent aucun soin de leur personne. J'ai r<strong>et</strong>rouvéc<strong>et</strong>te conformation délicate, c<strong>et</strong>te distinction si enviée<strong>des</strong> Européennes, dans les nations <strong>du</strong> Chaco, qui sont,avec les Payaguàs, les plus belles de l'Amérique, <strong>et</strong>peut-être <strong>du</strong> monde entier.En vérité, après ce qui précède, on éprouve quelqueembarras à rappeler les préjugés nombreux qui ontpoursuivi les peuples autochthones <strong>du</strong> Nouveau-Continent;préjugés dont le temps <strong>et</strong> la science ont faitjustice. Certes, nous sommes loin de l'époque où l'ondiscutait gravement, à la suite de Thomas Ortiz, évêquede Sainte-Marthe, <strong>et</strong> de Herrera, la question <strong>des</strong>isavoirles Indiens, malgré l'excellence de leurs proportions,n'étaient pas <strong>des</strong> orangs-outangs, c'est-à-dire une espèceintermédiaire entre l'homme <strong>et</strong> les animaux, <strong>et</strong>(l; Ouv. cU.y t.I, p. 105.


362 ETHNOLOGIE ET POPULATION.OÙ il fallait une bulle <strong>du</strong> souverain pontife pour leuroctroyer le droit de cité dans Tespèce humaine (1).L'opinion <strong>du</strong> P. Barthelemi de Las Casa sa prévalu, <strong>et</strong>grâce aux voyageurs modernes, il ne reste rien <strong>des</strong>préventions injustes <strong>et</strong> <strong>des</strong> exagérations de Paw <strong>et</strong>d'Antonio Ulloa.Mais passons.Les femmes laissent flotter leurs cheveux sur lesépaules, <strong>et</strong> ne les attachent jamais. Elles ont le seinbien placé, <strong>et</strong> ses proportions notfrent rien d'exagéréavant le mariage. Une fois mères, ellesen altèrent lesformes, en le déprimant de haut en bas, à Taide d'uneceinture. Ainsi allongé, elles le donnent à l'enfant,par-<strong>des</strong>sous le bras, ou par-<strong>des</strong>sus Tépaule.Lorsqu'une jeune tîlle s'aperçoit <strong>du</strong> signe certainde sa nubilité, elle en instruit sa famille, <strong>et</strong> subit alorsun tatouage qui atteste qu'elle est passée de l'enfancestérile à l'âge fécond de la puberté. A l'aide d'une épine<strong>et</strong> <strong>du</strong> fruit <strong>du</strong> genipayer (2), on lui trace une raiebleuâtre large d'un centimètre, laquelle commence àla racine <strong>des</strong> cheveux, traverse le front, <strong>et</strong> <strong>des</strong>cendperpendiculairement sur le nez, jusqu'à la lèvre supéy\)C<strong>et</strong>te bulle célèbre fut promulguée par Paul III, le 9 juia 1536, surles sollicitations de deux moines, Fray DomiDgos de Minaya, <strong>et</strong> FrayDomiugos de B<strong>et</strong>auços. Plus t^rd, au coucilc de Lima tenu eu 1583, lachose fut remise eu question, <strong>et</strong> l'on discuta longuement pour savoir siles Américains possédaient riutelligeuce nécessaire à la participation auisacrements de l'Église. C<strong>et</strong>te fois encore leur cause triompha.(2) ^audipa [Genipa amcricana^L'ururu ou rocou est une couleur rouge, que Ion obtient <strong>des</strong>li'gumeotsde la graine de l'arbuste connu eu botanique sous le nom de Dixa orellana.C<strong>et</strong>te maliùre ,précieuse par ses applicatious à liu<strong>du</strong>strie, figuredaub les expoi talions de la Guyane française.


LES PAYAGUAS. 363heure exclusivement. Au moment de son mariage, onprolonge c<strong>et</strong>te bande sur la lèvre inférieure jusquesous le menton. Sa nuance varie <strong>du</strong> viol<strong>et</strong> au bleuardoise,<strong>et</strong> ses traces sont indélébiles. Quelques femmesajoutent àcelle-ci d'autres lignes <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>des</strong>sins tracésavec la teinte enflammée de Vurucu; mais c<strong>et</strong>te mode,générale il y a un demi-siècle, <strong>et</strong> qu'Azara décrit endétail, devient de plus en plus rare.Les Payaguàs vont nus dans leurs tentes (toldos ] ;mais, lorsqu'ils se rendent en ville,hommes <strong>et</strong> femmesportent une p<strong>et</strong>ite couverture ou mante decoton, quiles entoure à partir <strong>du</strong> creux de l'estomac jusqu'au<strong>des</strong>sous<strong>du</strong> genou. C<strong>et</strong>te pièce d'étoffe, qu'ils croisentsur leur corps à la manière <strong>du</strong> chiripa <strong>des</strong> créoles, estun <strong>des</strong> rares pro<strong>du</strong>its de leur in<strong>du</strong>strie. Les femmessont chargées <strong>du</strong> soin de sa fabrication,pour laquelleelles emploient le seul secours <strong>des</strong> doigts, sans se servirde nav<strong>et</strong>te <strong>et</strong> de métier. D'autres se contentent d'endosserune chemis<strong>et</strong>te sans col ni manche, assez semblableau tipoij <strong>des</strong> Guaranis. Toutefois, l'usage <strong>des</strong>vêtements semble leur devenir à tous de jour en jourplus familier; <strong>et</strong>, parmi ceux que j'ai vus vaguer dansles rues de l'Assomption, aucun ne s'était contenté,comme autrefois, de se couvrir de peintures figurant<strong>des</strong> vestes <strong>et</strong> <strong>des</strong> culottes. Sous ce rapport, le docteurFrancia a su lesplier aux exigences de la bienséance,<strong>et</strong> le gouvernement actuel paraît peu disposé à se relâcherde la juste sévérité <strong>du</strong> dictateur.Quelques anciennes coutumes ont encore disparu :telle est celle qu avaient les hommes de porter soit le


S6i ETHNOLOGIE ET POPULATION.barbote (1 ),soit une p<strong>et</strong>ite bagu<strong>et</strong>te d'argent analogueau temb<strong>et</strong>a <strong>des</strong> Guaranis sauvages ou Caayguàs. D'autresne sont reprises qu'à de rares intervalles, ou àcertaines époques ; alors on voit reparaître, en cesjours solennels, les longues aigr<strong>et</strong>tes de plumes fixéessur le somm<strong>et</strong> de la tète ; les tatouages variés <strong>et</strong> decouleurs tranchantes ; les <strong>des</strong>sins bizarres dont ils secouvraient le visage, les bras <strong>et</strong> la poitrine ; les colliersde verroterie ou de coquillage ; enfin, les bracel<strong>et</strong>sd'ongles de capivaras, enroulés autour <strong>des</strong> poign<strong>et</strong>s<strong>et</strong> <strong>des</strong> malléoles. Mais la tradition de c<strong>et</strong>te ornementationcompliquée, nous le verrons bientôt, a été religieusementconservée par le Paye ou médecin de latribu (2).Les Payaguàs vivent sur larive gauche <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>,qu'ils ne quittent jamais pour aller s'établir<strong>du</strong> côté opposé, où les Indiens <strong>du</strong> Chaco, avec lesquelsils sont toujours en guerre, ne manqueraientpas de les attaquer. Leur hutte principale (tolderia),élevée sur le bord <strong>du</strong> fleuve (3 ), consiste en une grande(1) Morceau de bois léger, arrondi, de dimensions variables, qui seplace dans une ouverture pratiquée à la lèvre inférieure. Les Bolocoudos,les Lenguas, <strong>et</strong>c., semblent renoncer aussi à c<strong>et</strong> affreui ornement autrefoistrès-usité.Le temb<strong>et</strong>a est une bagu<strong>et</strong>te de gomme jaune <strong>et</strong> transparente de la dimensiond'une grosse plume, <strong>des</strong>tinée à être portée de la même manièreque le barbote. Le temb<strong>et</strong>a se termine en pointe par son extrémité libre. Al'autre, on soude avec de la gomme liquide une pièce transversale dontla position dans l'intérieur de la bouche empêche la bagu<strong>et</strong>te de s'échapperpar l'ouverture de la lèvre.(2) Pa-yc.(3) C<strong>et</strong>te partie <strong>du</strong> rivage est appelée cl Banco. ï-Wq sert de lieu de pro-Mienade le dimanche.


LES PAYAGUAS. 365case allongée, haute de 3 à 4 mètres, faite de bambousplacés sur <strong>des</strong> fourches <strong>et</strong> que Ton a recouverts denattes de jonc non tressées.Des dépouilles de jaguars,de capivaras, éten<strong>du</strong>es sur le sol, servent de lits; <strong>des</strong>armes, <strong>des</strong> ustensiles de pêche <strong>et</strong> de ménage sont accrochésaux perches qui soutiennent la frêle toiturede l'habitation, ou gisent pêle-mêle avec <strong>des</strong>vases d<strong>et</strong>erre dans quelque coin.La poterie que fabriquent ces Indiens est mal cuite,se brise facilement, <strong>et</strong> ne doit résister que faiblementà l'action <strong>du</strong> feu. L'argile en est noirâtre <strong>et</strong> assez grossière;mais les formes qu'ils savent lui donner <strong>et</strong> les<strong>des</strong>sins dont ils la revêtent, dénotent de l'adresse <strong>et</strong> <strong>du</strong>goût.Ils se servent encore habituellement de calebasses{porongos), très-communes dans le pays, dans lesquellesils rapportent de la ville l'eau-de-vie de canne,dont ils font abus toutes les fois qu'ils en ont lesmoyens; car ils ne connaissent d'autre fête, d'autredistraction que l'ivresse; <strong>et</strong> ils dépensent de c<strong>et</strong>tesorte tous les bénéfices de leur commerce avec leshabitants de l'Assomption, auxquels ils fournissent lebois, le poisson, <strong>et</strong> le fourrage <strong>des</strong> chevaux (pasto).Autrefois, l'Indien ivre était accompagné, dans les rues,par sa femme ou par un ami, qui souvent parvenaità le ramener dans sa demeure, avant la perte entièrede l'usage de ses jambes. Mais il est maintenant défen<strong>du</strong>,sous <strong>des</strong> peines sévères, de les laisser boire dansles cabar<strong>et</strong>s (pidperias), <strong>et</strong> le Payaguà muni de saprécieuse liqueur doit rentrer chez lui, pour se livrer


366 ETHNOLOGIE ET POPULATION.en toute liberté à sa passion favorite. Avant l'adoptionde c<strong>et</strong>te mesure, il se passait fréquemment sui' la voiepublique, <strong>des</strong> scènes dont la décence avait fort à rougir.Il est juste d'ajouter que jamais, en c<strong>et</strong> état, ils n'ontcommis de plus graves délits, <strong>et</strong> que, depuis la paixqu'ils ont signée avec les blancs, rarement les autoritésont eu à s'occuper d'eux. La plupart <strong>des</strong> jeunesgens <strong>et</strong> <strong>des</strong> femmes s'abstiennent de boissons alcooliques;les bommes mariés ont seuls le privilège d'enuser largement, <strong>et</strong> ce goût,chez eux comme partout,s'accroît <strong>et</strong> se développe avec l'âge.L'in<strong>du</strong>strie très-bornée <strong>des</strong> Payaguàs constitue cependantleur unique ressource; car ils ne connaissentaucune culture, <strong>et</strong> ne récoltent ni mais, ni patates, nitabac. Ils sont pêcheurs, passent leur vie sur l'eau, <strong>et</strong>deviennent de bonne heure de très-habiles mariniers.Tantôt on les voit à l'arrière d'une pirogue s'abandonnerau courant en suivant leur ligne; tantôt, deboutsur une file, ils rament en cadence, <strong>et</strong> font glisserl'embarcation avec la rapidité d'une flèche. Longuesde 4 à 5 mètres, <strong>et</strong> larges de 2 pieds <strong>et</strong> demi à 3 pieds,leurs pirogues sont creusées dans le tronc d'un timbô,<strong>et</strong> se terminent aux deux extrémités en pointe allongée.Leur pagaie, acérée comme une lance, devient entreleurs mains une arme redoutable, à laquelle il fautajouter l'arc, les flèches <strong>et</strong> la macana. A la guerre,ils sont cruels, <strong>et</strong> ne font de quartier qu'aux femmes<strong>et</strong> aux enfants. Leur manière de combattre n'offrerien de particulier. [Is attaquent les Indiens <strong>du</strong>Chaco, en fondant sur eux à l'improviste, <strong>et</strong> s'effor-


LES P AVAGUAS. 367cent de les surprendre; mais ils se gardent bien <strong>des</strong>'éloigner <strong>des</strong> rivières, car ils seraient facilement vaincusen rase campagne par ces tribus si redoutables àcheval.Déjà on l'aura pressenti, c<strong>et</strong>te nation vit dans unétat de liberté absolue <strong>et</strong> de complète indépendance,vis-à-vis <strong>du</strong> gouvernement de la république paraguayenne,qui ne lui impose ni taxe ni corvée. Loin delà, il paye aux Payaguàs les services qu'il réclame d'eux,soit lorsqu'il les envoie en courriers sur le fleuve,soitlorsqu'il s'en sert comme de gui<strong>des</strong> dans les expéditionsdirigées contre les hor<strong>des</strong> sauvages qui errent sur larive droite. Le docteur Francia avait su tirer parti deleur concours, pour fermer le plus hermétiquementpossible son malheureux pays, en les chargeant dela surveillance de la rivière, seule voie par laquelle ilfût possible de s'en échapper; <strong>et</strong> les Payaguàs ne firentjamais défaut, dit-on, à l'exécution <strong>des</strong> consignes rigoureusesqu'il leur donna.Libres vis-à-vis <strong>du</strong> gouvernement, ils le sont aussientre eux. Quoique réunis en communauté, ils ne reconnaissentni chef, ni hiérarchie. Jamais ils n'ontvoulu se soum<strong>et</strong>tre au christianisme, <strong>et</strong>tous les effortsde ses apôtres ont échoué. Le seul personnage de latribu est le médecin ou paye^ dont les fonctions nerestent jamais vacantes, car elles ne sont pas sansprofit.Désireux de connaître <strong>et</strong> de pouvoir <strong>des</strong>sinerà monaise, au milieu de tout le luxe sauvage de son accoutrement,celui qui était chargé de ce rôle, j'obtins qu'il


,368 ETHNOLOGIE ET POPULATION.se rendrait, revêtu <strong>des</strong> attributs de sa haute dignité,dans ma maison, en compagnie de quelques autresIndiens. La promesse d'une certaine quantité <strong>du</strong> précieuxbreuvage <strong>et</strong> la perspective d'une soirée d'ivresseavaient eu promptement raison de ses hésitations.Au jour dit, le paye vint me trouver avec un jeunegarçon <strong>et</strong> deux femmes. C'était un vieillard, courbépar les années, mais dont la physionomie n'avait riende repoussant, malgré la déformation <strong>des</strong> traits, toujoursprécoce <strong>et</strong> si remarquable chez les indigènes.Ses cheveux, encore noirs, étaient r<strong>et</strong>enus sous unerésille bordée de verroterie. Une aigr<strong>et</strong>te surmontaitla résille, <strong>et</strong> <strong>des</strong> plumes de nandù flottaient derrièresa tète; un collier de coquillages bivalves entouraitson cou, auquel pendait, comme trophée, un siffl<strong>et</strong>taillé dans l'os <strong>du</strong> bras d'un ennemi. Entièrement nusous sa chemis<strong>et</strong>te sans col ni manches, faite de deuxpeaux de jaguars, il portait autour <strong>des</strong> malléoles <strong>des</strong>chapel<strong>et</strong>s d'ongles de capivaras. Enfin , il tenait dansla main droite une courge allongée, <strong>et</strong> dans la gauche,un long tube de bois <strong>du</strong>r que j'eus quelque peine àreconnaître pour une pipe.La scène s'ouvrit. Le sorcier donna la pipe à soncompagnon chargé de l'allumer, <strong>et</strong>, l'ayant reprise, ilaspira plusieurs bouffées qu'il lança bruyammentdans la calebasse par l'orifice dont elle était percée ;puis, sans l'éloigner de ses lèvres, il se mit à criertantôt lentement, tantôt vite,en faisant entendre alternativementles syllables ta ta, <strong>et</strong> to to /o, avec <strong>des</strong> redoublements<strong>et</strong> <strong>des</strong> éclats de voix extraordinaires


LES PAYAGUAS. 369inexprimables. En même temps, il se livrait à de violentescontorsions, à droite,à gauche, <strong>et</strong> exécutait <strong>des</strong>sauts en cadence, tantôt sur un seul pied, tantôt sur lesdeux réunis.Ce manège ne <strong>du</strong>ra pas longtemps,<strong>et</strong> sous prétextede fatigue il ne tarda pas à s'arrêter. Il fallut une rasadepour le rem<strong>et</strong>tre debout, <strong>et</strong> son chant monotonerecommença aussitôt.Lorsqu'il s'agit de la guérison d'un malade, le médecinajoute à celles-ci d'autres jongleries. Elles sont spirituellementracontées par le P. Guevara, dans l'ouvrageque j'ai cité au commencement de ce récit. Ensuite,le patient est mis à la diète, <strong>et</strong> l'on devine que le régimen'a pas la moindre part dans <strong>des</strong> cures qui rapportentbeaucoup de considération, quelques privilèges, <strong>et</strong> lesmoyens de vivre dans l'abondance de toutes choses.Mais si ce rôle, entouré d'une sorte de vénération superstitieuse,offre <strong>des</strong> avantages, il a aussi ses périls:car en cas de mort, une correction sévère, quelquefoismortelle, vient punir l'homme de l'art de l'impuissancede sa thérapeutique.C<strong>et</strong>te déférence intéressée,qui est loin d'être excessive,résume d'ailleurs toutes leurs idées religieuses,car ilsn'ont aucun culte apparent, mais seulement uneidée confuse de deux génies supérieurs; l'un <strong>du</strong> bien,l'autre <strong>du</strong> mal.Enfin, mes <strong>des</strong>sins achevés, je levai la séance,à la satisfaction générale de mes hôtes, <strong>et</strong> je lescongédiai, après avoir ach<strong>et</strong>é au paye sa pipe <strong>et</strong> sonsiffl<strong>et</strong>.24


370 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Faite de bois <strong>du</strong>r <strong>et</strong> pesant, c<strong>et</strong>te pipe est couvertede grecques régulières, gravées superficiellement, avecune assez grande perfection. Longue de 50 centimètres,elle est ornée de clous dorés, <strong>et</strong> percée d'uncon<strong>du</strong>it évasé par un bout, <strong>et</strong> terminé par un bec àl'autre. On r<strong>et</strong>rouve c<strong>et</strong> instrument chez d'autres nationsvoisines,chez les Tobas <strong>et</strong> les Matacos <strong>des</strong> bords<strong>du</strong> Pilcomayo. Il donne une idée de ces énormes cigaresfaits avec la feuille roulée <strong>du</strong> palmier <strong>et</strong> le p<strong>et</strong>un^lesquels jouaient un grand rôle au Brésil dans lescérémonies <strong>des</strong> Tupinambas, chez les Caraïbes <strong>des</strong> Antilles,toutes les fois qu'il fallait décider de la paixou de la guerre, évoquer les mânes <strong>des</strong> ancêtres, <strong>et</strong>c.,<strong>et</strong>que les premiers navigateurs prirent pour <strong>des</strong> torches.Maintenant, un mot pour terminer ces détails <strong>et</strong>hnographiques,sur le langage<strong>des</strong> Payaguàs. C<strong>et</strong> idiom<strong>et</strong>rès-<strong>du</strong>r <strong>et</strong> guttural, offre <strong>des</strong> difficultés de prononciationà désespérer un philologue. Ilsemble posséderle th <strong>des</strong> Anglais, le ch <strong>des</strong> Allemands <strong>et</strong> \ej (jota) <strong>des</strong>Espagnols. On croit souvent entendre dans le mêmemot la réunion de ces consonnes composées, d'unearticulation si difficile alors même qu'elles sont prononcéesisolément.Les sons viennent à la fois <strong>du</strong> nez <strong>et</strong> de la gorge, <strong>et</strong>leur association paraît tout à fait étrange à <strong>des</strong> oreilleseuropéennes. Sifflants dans les premières syllabes,ilssont courts <strong>et</strong> saccadés dans les syllabes finales. J'air<strong>et</strong>rouvé dans les langues <strong>du</strong> Chaco, mais rarement à undegré aussi marqué, c<strong>et</strong>te absence complète d'eupho-


LES PAYAGUAS. 371nie (1), <strong>du</strong>e aux redondances fréquentes <strong>des</strong> doublesconsonnes gt^ kl, gd, <strong>et</strong>c.; quoique les terminaisonsen ec, en ic <strong>et</strong> en oc, y soient d'ailleurs moins nombreusesque dans l'idiome toba.Si le langage de ces Indiens diffère <strong>des</strong> dialectesGrand-Chaco, dont il se rapproche cependant beaucoup,par une gutturation forte, une grande analogiedans la structure <strong>des</strong> mots, <strong>et</strong> les règles syntaxiques,il s'éloigne bien davantage <strong>du</strong> guarani, langueeuphonique, douce, <strong>et</strong> même harmonieuse, quoiqueremplie de diphthongues <strong>et</strong> de contractions. C'est doncà tort que <strong>des</strong> écrivains ont confon<strong>du</strong> ces deux idiomes,<strong>et</strong> il est regr<strong>et</strong>table de trouver c<strong>et</strong>te erreur repro<strong>du</strong>itedans un ouvrage moderne, rempli de documentsprécieux pour l'histoire <strong>des</strong> provinces de l'anciennevice-royauté de Buenos-Ayres. 11 suffisait de comparerensemble un seul terme usuel, pris au hasard dans lesdeux langues, pour l'éviter. Par exemple, p<strong>et</strong>y, lequel,notons-le en passant, est bien le même que le mot'p<strong>et</strong>un <strong>du</strong> Brésil <strong>et</strong> <strong>des</strong> plaines de l'Amazonie, signifieen guarani tabac : or, tabac se dit en payaguà, acatchougou.<strong>du</strong>Enfin, autre trait de conformitéavec les nations <strong>du</strong>rameau pampéen à joindre à ceux que nous connaissons:les noms de toutes les parties <strong>du</strong> corps commencentpar la même syllabe hy.Ils disent :(1) Un voyageur instruit a écrit de ces langues : « Elles onl <strong>des</strong> mois quiressemblent à de profonds gémissements. » D' Weddell, Voyage dans USud de la Bolivie, Paris, 1851, in-8", p. 328.


372 ETHNOLOGIE ET POPULATION.NezHyock.BoucheHyachâldi.OreilleHyaheguada.MentonHyakâ.CuisseHyesigué.''Pieds Hyboro.DoigtsHytchangâ.Il en est de même chez les Puelches,chez les Lenguas<strong>et</strong> les Tobas dont nous parlerons bientôt (1).Ainsi que la plupart <strong>des</strong> Indiens qui les entourent,les Payaguàs possèdent un système de numérationtrès-incompl<strong>et</strong> <strong>et</strong> rudimentaire. Comme les Guaranis,ils ne comptaient au moment de la découverte quejusqu'à quatre. Les besoins d'échange <strong>et</strong> de commerce,conséquence de leur contact avec les Espagnols, les ontobligés à emprunter à ces derniers les noms de nombredont ilsse servent au delà de c<strong>et</strong>te quantité.Voici les quatre expressions fondamentales, primitives,<strong>du</strong> payaguà <strong>et</strong> <strong>du</strong> guarani. On appréciera mieuxencore, en les comparant, l'éloignement <strong>et</strong> la disparité<strong>des</strong> deux langues.Français. Paguayà. Guarani.Un Heslé P<strong>et</strong>eî.Deux. . . . Tiaké Mokoî.Trois. . . . Tiakeslarna. . Mbohapy.Quatre . . . Tipegas. . . . Yrundy.Encore une remarque, <strong>et</strong> ce sera ladernière, à l'en-(1) Voy. Appendice, le Grand-Chaco.


LES PAYAGUAS. 373droit <strong>des</strong> incroyables difTicultés de prononciation queprésente le langage de ces Indiens.Les missionnaires, dont les travaux ont ren<strong>du</strong> d*éminentsservices à la linguistique américaine, ne Fontjamais pris pour suj<strong>et</strong> de leurs observations, car il neparaît pas qu'ils aient tenté, à aucune époque, malgréun voisinage de tous les instants, de consigner dans<strong>des</strong> ouvrages spéciaux quelques recherches philologiques.De nos jours encore, on ne rencontre dans lacapitale <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, aucun habitant qui ait pu enapprendre quelques mots. Aussi est-il resté le patrimoineexclusif <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s de c<strong>et</strong>te nation. En revanche,il est assez ordinaire de trouver un Payaguàsachant le guarani, <strong>et</strong> même un peu l'espagnol;c'està l'aide d'interprètes choisis dans ces deux catégories,<strong>et</strong> avec les ressources tout à fait insuffisantes de notrealphab<strong>et</strong>, que je suis parvenu, non sans peine, à composerle vocabulaire d'où j'ai tiré les brèves considérationsque je viens d'exposer.


CHAPITRE XXVIII.ETHNOLOGIE ET POPDLATIOB ( SUite ). — STATISTIQUE. — DISTRIBUTIOHDE LA POPULATION.En se plaçant à un point de vue général on peutdonc distinguer à la fois dans la population <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>:Des hor<strong>des</strong> d'Indiens indépendants {Inim bravos)Des Indiens soumis;Des Métis à tous les degrés de larace autoclitlioneavec la race latine;Quelques Nègres, en très-p<strong>et</strong>it nombre;Des hommes de couleur provenant de leur mélange,soit avec les Blancs, soit avec les Indiens;Enfin <strong>des</strong> Blancs, issus pour laplupart <strong>des</strong> alliancescontractées par les conquérants avec les femmes indi-


STATISTIQUE. 375gènes, à une époque plus ou moins reculée. Ils constituentla masse de la population, <strong>et</strong> prennent le nomde créoles ou fils<strong>du</strong> paysj lorsqu'ils veulent se distinguer<strong>des</strong> quelques rares Espagnols venus d'Europe,<strong>et</strong> qui ont échappé aux persécutions <strong>du</strong> docteur Francia:ils ont d'ailleurs per<strong>du</strong> toute trace de sang guarani.Pour quelle part, dans quelles proportions, chacunede ces catégories entre-t-elle dans lechiffre de la populationtotale?Il est aisé de comprendre les obstacles qui rendentinsoluble un pareil problème, autrement que par approximation.En eff<strong>et</strong>,caractères physiologiques <strong>du</strong> nègredéjà nous l'avons dit, si certainspersistent pendantune longue suite de générations, les races indigènes del'Amérique s'assimilent beaucoup plus facilement <strong>et</strong>plus promptement à la race latine. Qui peut affirmerle point précis où finit le Métis, <strong>et</strong> où commence leBlanc? <strong>et</strong> d'ailleurs, même en la supposant possible,une telle détermination serait nécessairement variable,\<strong>et</strong> tel caractère incontestable aux yeux d'un observateur,deviendrait sans valeur ou cesserait d'être appréciablepour un autre.Sans s'écarter beaucoup de la vérité — impossible àconnaître d'une manière rigoureuse — on peut établirque les Blancs entrent pour six dixièmes dans lamasse de la population; les Indiens pour deux dixièmes;<strong>et</strong> les hommes de couleur <strong>et</strong> les Métis à tous lesdegrés <strong>et</strong> de toute race, pour le reste, soit deux dixièmes.Les créoles <strong>des</strong> autres provincessont aussi rares au


376 ETHNOLO&IE ET POPULATION.<strong>Paraguay</strong> que les Espagnols d'Europe. A ravénement(hi docteur Francia, presque tous se sont hâtés de sortird'un pays où ils étaient généralement mal vus; ceuxqui ont eu le tort d'y rester ont payé cher c<strong>et</strong>te hauteimprudence. Le <strong>des</strong>pote, redoutant de leur part quelquesvelléités contagieuses de résistance à ses proj<strong>et</strong>s,les persécuta, en fit mourir plusieurs, <strong>et</strong> ne laissa lavie aux autres qu'en échange de leur fortune.J'aborde maintenant l'étude difficile de c<strong>et</strong>teimportantequestion de géographie <strong>politique</strong> :Quelle est lapopulation de la République <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>?La statistique, science nouvelle encore pour l'Europe,est tout à créer dans le Sud-Amérique; <strong>et</strong> lesdifficultés de l'application de l'arithmétique <strong>politique</strong>à la solution de problèmes purement économiques quej'ai signalées dans une autre publication (1), reparaissentplus insurmontables encore lorsqu'il s'agit d'intro<strong>du</strong>irecelte science née d'hier dans l'étude <strong>physique</strong> del'homme. On peut affirmer d'ailleurs que la population<strong>des</strong> grands États de l'Europe, malgré le zèled'une administration admirablement organisée <strong>et</strong> convaincuede l'importance de ses devoirs, n'est connueque par à peu près. Mais ce n'est pas ici le lieu d'énumérerlescauses de nature diverse qui rendent touteperfection impossible en matière de recensement.Et d'abord, ces rouages multiples qui fonctionnentincessamment sous nos yeux, n'existent en Amériquefl; Du Tabac au <strong>Paraguay</strong>, p. 23


STATISTIQUE. 377qu'à l'état rudimentaire. D'autre part, le pays est immense,la population clair-semée, <strong>et</strong>tous les obstaclesque nous avons signalés dans un précédent chapitre,lors <strong>du</strong> dénombrement <strong>des</strong> Guaranis sauvages (1), reparaissentici presque au même degré, lorsqu'il s'agitde connaître le chiffre de la population soumise auxordres <strong>du</strong> gouvernement. Ces réserves faites,une tellequestion ne mérite pas moins le plus sérieux examen.A la fin <strong>du</strong> siècle dernier, la population totale <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> s'élevait d'après un recensement officiel à97,480 indivi<strong>du</strong>s (2). Le mémoire manuscrit deF. Aguirre, daté <strong>du</strong> 24 décembre 1788, donne pourtotal le chiffre approximatif [mas o menos) de 96,000,dans lequel il ne fait entrer que 250 Espagnols d'Europe,contingent que je regarde comme trop faible.On peut adm<strong>et</strong>tre en nombre rond le chiffre de centmille âmes pour la population de c<strong>et</strong>te province quicomprenait alors, il n'est pas inutile de le rappeler, unepartie <strong>des</strong> Missions <strong>du</strong> Paranà.Depuis c<strong>et</strong>te époque,un ensemble de circonstancestrès-favorables <strong>et</strong> sur lesquelles nous insisterons, acontribué à l'accroissement de c<strong>et</strong>te population, laquelles'élève très-probablement aujourd'hui au chiffre,déjà fort éloigné <strong>du</strong> précédent, de six cent mille âmes.ICe chiffre, nous nous hâtons de le dire, ne nous estpas fourni par un document émané de source officielle,<strong>et</strong> nous ne le croyons pas de nature à répondre aux(1) Ubi suprà, p. 333.(2) AzARA, Voyagesy t. H, Tableau de la p. 328.


,378 ETHNOLOGIE ET POPULATION.prétentions <strong>du</strong> gouvernement paraguayen. Il résulte<strong>des</strong> recherches que nous avons faites sur les lieux avectout le soin, mais aussi avec toute la discrétion <strong>et</strong> laréserve que comportait ce suj<strong>et</strong> très-délicat dans unpareil pays. On assure, il est vrai, que le présidentLopez a prescrit, il y a peu d'années, un recensementde ses suj<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> dans c<strong>et</strong>te supposition, l'auteur <strong>des</strong>Instructions remises au général Solano Lopez, ministreplénipotentiaire <strong>du</strong> nouvel État à Paris, a exprimé aunom de la Société de Géographie le désir de connaîtreles intéressants résultats de c<strong>et</strong>te opération (1). En l'absencede c<strong>et</strong>te communication vainement atten<strong>du</strong>enous devons constater d'abord la tendance de l'autoritécentrale <strong>et</strong> de ses agents à exagérer le chiffre de lapopulation, à l'exemple moins excusable d'une puissanceaméricaine, <strong>et</strong> dans <strong>des</strong> vues dont ilnous paraîtsuperflu d'indiquer la portée [2).Ainsi, dans une note publiée par le consulat général<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, à l'occasion de l'Exposition Universellede 1855, on trouve au milieu de renseignements empreintsd'un regr<strong>et</strong>table esprit d'exagération, c<strong>et</strong>te assertioncontraire aux principes de la statistique : « Lapopulation qui n'allait pas, en 1840, à plus de 5 à600,000 âmes, a dépassé aujourd'hui le nombre de(1) Voy.lanote delap. 83.(2) « Les États-Unis, au rapport de M. Warden, ont eiagéré par <strong>des</strong> motifs<strong>politique</strong>s <strong>et</strong> pour se donner plus d'importance, le chiffre de leurpopulation, surtout dans l'intérieur <strong>du</strong> pays où les-*étrangers pouvaientmoins exercer de contrôle. » Qc<strong>et</strong>el<strong>et</strong>, Sur VHomme <strong>et</strong> le développementde ses facultés, ou Essai de <strong>physique</strong> sociale, 2 vol. in-8», Paris,1835, t. I, p. 192.


STATISTIQUE. 3791,200,000. » Un voyageur que nous avons déjà cité/adopte le chiffre de 1,100,000 (1).Maintenant, en regard <strong>des</strong> témoignages qui viennentà l'appui <strong>des</strong> prétentions <strong>du</strong> gouvernement républicain,il convient de placer ceux qui se rapprochent <strong>des</strong>données que nous avons admises.L'auteur d'une brochure publiée à Rio de Janeirosous les auspices de la légation 'paraguayenne, présentele chiffre de 6 à 700,000 âmes, « comme se rapprochantbeaucoup de la vérité (2). » C<strong>et</strong>te somme estaussi celle qui figure dans une importante publicationpériodique <strong>du</strong> gouvernement français , d'après <strong>des</strong>renseignements transmis, il y a tout lieu de le croire,par l'agent qui le représente à l'Assomption (3) ; <strong>et</strong>dans un recueil qui renferme souvent, malgré la mo<strong>des</strong>tiede son titre, <strong>des</strong> documents puisés aux sourcesofficielles (4).Ceci posé, <strong>et</strong> le chiffre de 600,000 indivi<strong>du</strong>s admis,(1) Benjamin Poucbl, La France <strong>et</strong> VAmérique <strong>du</strong> Sud. Paris, 1849,br. iD-8% p. 37.(2) Le <strong>Paraguay</strong>^ son Passé, son Présent <strong>et</strong> son Avenir. Rio de Janeiro,1848, br. io-S", p. 37.(3) Annales <strong>du</strong> commerce extérieur, cahier de novembre 1857. LesfonctioDS de consnl de France sont confiées depuis plusieurs années à monami M. le comte Alfred de Brossard, qui dans une publication remarquableà la fois par le fond <strong>et</strong> par la forme, avait adopté déjà une opinionque <strong>des</strong> recherches faites sur les lieux mêmes paraissent avoir confirmée.Voy. ConsidérationsPlata. Paris, 1850, in-8% p. 12.historiques <strong>et</strong> <strong>politique</strong>s sur les Républiques de laH) Almanach de Gotha pour i8b9, p. 611. Les éditeurs, après avoir• levé la population de 260,000 habitants en 1855, à 1,200,000 en 1858d'après un recensement publié à l'Assomption, mieux informés sausdoute, l'ont ré<strong>du</strong>ite de moitié, aiosi que je viens de le dire.Une dernière preuve de robscurité qui entoure celte difficile question.


380 ETHNOLOGIE ET POPULATION.comme étant ànos yeux plutôt au-<strong>des</strong>sus qu*au-<strong>des</strong>^sous de la vérité, nous allons exposer l'ensemble <strong>des</strong>circonstances multiples qui peuvent expliquer un accroissementexceptionnel eu égard aux règles de lastatistique européenne.Les causes de c<strong>et</strong> accroissement rapide sont ou physiologiques,ou liées à l'état <strong>politique</strong> <strong>et</strong> social <strong>du</strong>pays.Parmi les premières, il faut placer tout d'abord lafécondité <strong>des</strong> femmes. Dans toutes les classes de la sociétéc<strong>et</strong>te fécondité est remarquable. Celle <strong>des</strong> mariages, démontrée par le nombre annuel <strong>des</strong> naissances,se confond avec la fécondité de la population ;<strong>et</strong> d'après la loi établie par Malthus, l'accroissementdans le rapport <strong>des</strong> naissances aux mariages, augmentedans une population croissante <strong>et</strong> non stationnaire(


STATISTIQUE. 381On regarde aussi le manioc (mandioca]^ qui entrepour la plus grande part, <strong>et</strong> souvent pour la presqu<strong>et</strong>otalité dans la nourriture <strong>des</strong> habitants, comme unecause puissante de fécondité. S'ily avait là autre chosequ'une simple supposition, difficile à démontrer par<strong>des</strong> faits, il faudrait, en cherchant un point de comparaisonchez les peuples ichthyophages, adm<strong>et</strong>tre unprincipe analogue à celui que contient le poisson. Ceprincipe que Ton a cru trouver dans le phosphore dontl'action sur l'économie est bien connue, quel serait-ildans la racine <strong>du</strong> Jatropa manihot? On a voulu demême expliquer la fécondité <strong>des</strong> femmes de la Solognepar l'usage <strong>du</strong> sarrasin qui forme labase de leur alimentation; mais <strong>des</strong> recherches de M. Benoiston deChâteauneuf il résulte que l'influence de c<strong>et</strong>te Polygonéeest hypothétique comme celle de l'ichthyophagie.Les causes moins discutables <strong>et</strong>plus efficaces de c<strong>et</strong>accroissement sont celles qui découlent de l'état social<strong>et</strong> <strong>politique</strong> <strong>du</strong> pays.Si jusqu'ici les immigrations n'ont pas apporté leu.contingent aux excédants <strong>des</strong> naissances sur les décès,pour pro<strong>du</strong>ire les résultats prodigieux que nous offre leNord-Amérique, on peut dire que l'absence de guerres<strong>et</strong> de troubles <strong>politique</strong>s,combinée avec un état socialoù l'homme vit sans besoins <strong>et</strong> meurt sans inquiétu<strong>des</strong>ur le sort de ceux qu'il laisse après lui, au milieu d'unpays extrêmement fertile <strong>et</strong> offrant à chaque pas lesressources d'une nourriture sinon très-abondante, <strong>du</strong>moins peu coûteuse, remplace les éléments qui affluent


382 ETHNOLOGIE ET POPULATION.chaque année <strong>du</strong> dehors vers les plaines de l'Union.La prévoyance rend les mariages moins féconds,parce que l'homme envisage avec préoccupation l'avenirpour sa famille trop nombreuse. Mais ici « il cesse deraisonner, parce que les soins de la famille ne le touchentpas plus que sa propre existence; <strong>et</strong> poussé parle plaisir <strong>du</strong> moment, il se repro<strong>du</strong>it sans inquiétudepour l'avenir, en rem<strong>et</strong>tant pour ainsi dire à la Providencequi l'a nourri lui-même, le soin de ses enfants(1 ). » Malgré c<strong>et</strong>te insouciance, <strong>et</strong> quoi qu'en diseMontesquieu (2),l'état de pauvr<strong>et</strong>é est une cause d'infécondité.On comprend sans peine que les famillesnécessiteuses, obligées de travailler pour vivre, souventen cas de maladie, ne sauraient s'accroître dans lesmêmes proportions. Aussi ai-je remarqué que celles quijouissaient d'une certaine aisance, comptaient aussiplus d'enfants.La chaleur <strong>du</strong> climat <strong>et</strong> son extrême salubritésont<strong>des</strong> causes puissantes de fécondité, fortifiées encore parTâge respectif <strong>des</strong> époux. On peut compter, ilest vrai,plus d'un mariage précoce, mais jamais l'homme n'estmoins âgé que la iemme, <strong>et</strong> rarement la différenceentre les âges, variable entre 1 <strong>et</strong> 6 ans, sort <strong>des</strong>conditions favorables signalées par la statistique (3).Enfin, toutes les forces semblent dirigées vers la repro<strong>du</strong>ctionde l'espèce; chaque indivi<strong>du</strong> y concourt de(1) QUETELET, OUV. cU. t. I, p. 109.(2) Esprit <strong>des</strong> Lois, Liv. XXIII, Chap. II.(3) Oi^ETELET, I, 65; — ViLLLBRMB, >lnna/e« d'Hygiène, iàuyi<strong>et</strong> 1851.


STATISTIQUE. 383bonne heure. Le célibat est rare, <strong>et</strong> n'a d'ailleurs aucuneraison d'être dans un pays où l'abondance dela nourriture, l'ignorance <strong>des</strong> besoins enfantés parle luxe, <strong>et</strong> l'absence d'inégalités sociales, facilitent lemariage (1).A c<strong>et</strong>te absence de souci <strong>du</strong> lendemain, de préoccupationsde commerce, de négoce ou d'in<strong>du</strong>strie, ilfautajouter <strong>des</strong> considérations d'un ordre purement moral.Les familles sont nombreuses, <strong>et</strong> les maisons p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong>insuffisantes. Dans une famille pauvre, où tout le mondedort pêle-mêle, la chaleur <strong>du</strong> climat, l'occasion,déterminententre le frère <strong>et</strong> la sœur, le père <strong>et</strong> la fille,entre le fils<strong>et</strong> la mère, une sorte de promiscuité <strong>et</strong> <strong>des</strong>rapports a<strong>du</strong>ltérins circonscrits dans les familles plusaisées aux maîtres <strong>et</strong> aux serviteurs, rapports provoquéspar le mélange continuel <strong>des</strong> sexes, l'oisiv<strong>et</strong>é, <strong>et</strong>presque excusés par une demi-nudité plus provoquantequ'une nudité complète.En dehors de ces considérations,rien n'autorise d'ailleurs à adm<strong>et</strong>tre les causesqui pro<strong>du</strong>isent dans la province de Guanaxato, au Mexique,iOO naissances pour 1608 habitants, <strong>et</strong> 100 décèspour 1970 (2).Aux États-Unis , on a constaté une augmentalionrapide de la population dans les années quiont suivi leur affranchissement <strong>et</strong> l'inauguration d'institutionslibérales. L'accroissement annuel qui était(1) M. QcETELET {Sur l'Homme ^ t. I , p. 297) démontre que les deuxtiers de la population de l'Europe se composent de célibataires, <strong>et</strong> l'autr<strong>et</strong>iers de mariés ou de veufs.(2) D'IvERNOis, Bibliothèque universelle de Genève, mars 1830.


384 ETHNOLOGIE ET POPULATION.en 1780 de 6, 3 p. 100,en 1790 de 3, 7,en 1810 de 2, 87,<strong>des</strong>cend en 1820 à 1, 9.Ainsi, comme le fait observer M. Quelel<strong>et</strong>, la vitessed'accroissement d'accélérée qu'elle était, est devenueuniforme, la progression arithmétique s'est substituéeà la progression géométrique.Il semble, à la vue de ces chiffres, que l'influencede régimes <strong>politique</strong>sentièrement opposés se tra<strong>du</strong>isepar les mêmes résultats avantageux lorsqu'ils'agit del'accroissement de la population.Ainsi, dans le Nord-Amérique, la maxime <strong>du</strong> laisser faire <strong>et</strong> laisser passerrétine en loi suprême dans toute la plénitude de sa dangereusesouverain<strong>et</strong>é, tandisqu'au <strong>Paraguay</strong> l'indivi<strong>du</strong>isolé <strong>du</strong> reste <strong>du</strong> monde, sans horizon, maintenu dans leshabitu<strong>des</strong> de la plus désespérante monotonie, est remisaux soins d'une tutelle qui lui ôte toute penséed'initiative. Eh bien ! dans ces deux républiques quin'ont de commun que lenom — combien souvent lesmêmes mots expriment <strong>des</strong> choses opposées! — ilestcurieux de voir l'homme se multiplier dans <strong>des</strong> proportionspresque comparables.Ces résultats, surprenants au premier abord <strong>et</strong> opposésaux règles généralement admises, ne sont pas—qu'on veuille bien le remarquer — particuliers auNouveau Monde. En transportant l'étude de c<strong>et</strong>te comparaisonde ce côté-ci de l'Océan, on arrive à une conclusionidentique, ou plus favorable encore à la doctrinede l'absolutisme. Ainsi, la période de double-


.STATISTIQUE. 385ment de la population est aussi courte, plus courtepeut-être pour la Russie que pour la France (1); <strong>et</strong>les chiffres de l'accroissement comparatif de la populationentre la Hongrie <strong>et</strong> la libre Angl<strong>et</strong>erre, donnéspar le professeur Rau <strong>et</strong> M. Charles Dupin, seraient denature à renverser l'influence que l'on accorde, sous cerapport, aux institutions libérales (2).Le rapport de la population à la surface <strong>du</strong> sol,donne 61 habitants par lieue carrée de 25 au degré,pour l'aréa compris entre les rios Paranà <strong>et</strong> <strong>Paraguay</strong>.Ce chiffre, en disproportion manifeste avec l'éten<strong>du</strong>e<strong>du</strong> territoire, lorsqu'on le compare à la densité de la(1)Schnitzler prétend que l'accroissement annuel de la populationrusse est de 660,000 âmes, ce qui ré<strong>du</strong>irait à cent ans la période dedoublement.(2) Le tableau suivant contient le mouvement de la population dansquelques États de l'Europe. Nous devons dire que <strong>des</strong> causes nombreusess'opposent à ce que l'accroissement se fasse suivant les lois qui y sontindiquées; sans cela, <strong>des</strong> dis<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> <strong>des</strong> famines effroyables surviendraientpar suite de l'insufflsance de la pro<strong>du</strong>ction <strong>des</strong> aliments, c<strong>et</strong>tepro<strong>du</strong>ction n'augmentant pas dans les mêmes proportions. Qu<strong>et</strong>el<strong>et</strong>, Surl Homme <strong>et</strong> le développement de ses facultés, t. I, p. 293.ÀCCROItlEMEMT ANNUEL. PÉRIODE DE DOUBLEMENT.Rau. C. Dupin. Rau. C. Dupin.Irlande.Hongrie.Espagne,Angl<strong>et</strong>erre.France..2,45 » 28,6 ans. »2, 4 » 20,2 »1,66 n 41,9 »1,65 1,67 42,3 42,00,63 0,65 110,3 105,025


38G ETHNOLOGIE Eï POPULATION.population en Europe (1), dénote uneagglomérationbeaucoup plus compacte au <strong>Paraguay</strong> que dans les États<strong>du</strong> Rio de la Plata considérés dans leur ensemble,pour lesquels les mêmes calculs ne donnent que 10habitants par lieue carrée géograpbique. 11faut ajouterque si, au lieu de concentrer la totalité de la populationsur la surface <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> proprement dit, on la distribueà la fois , <strong>et</strong> sur elle <strong>et</strong> sur les dépendancesaccessoires de la République (2), on arrive au chiffrede 22 habitants ~ par lieue carrée, lequel est plus quedouble encore de celui que présente la ConfédérationArgentine.En circonscrivant l'étude de la densité de la populationau territoire compris entre les rivières Paranà <strong>et</strong><strong>Paraguay</strong>, sans tenir compte <strong>du</strong> chiffre inconnu maisassurément très- faible <strong>des</strong> habitants disséminés àtraversles solitu<strong>des</strong> <strong>du</strong> Chaco, ou dans les plaines désertes<strong>des</strong> Missions de l'Entre-Rios, il faut encore remarquerque c<strong>et</strong>te répartition est très-inégale sur c<strong>et</strong>tesuperficie. Il suffit d'un coup d'œil j<strong>et</strong>é sur la carte,pour voir que la population relativement assez denseaux environs de l'Assomption, diminue dans une progressionrapide vers le N. E. La ligne que nous avonsimaginée dans l'étude de l'orographie paraguayenne,(1^ Habitants par lieue carrée :rays-Ras 1829.Anul<strong>et</strong>erro propreIi57.France 1062.•Russie. . . . Uil.Suède cl Norwége 82.(2} Voyez les calculs de la p. 16.


STATISTIQUE. 387pour séparer la région montueuse <strong>des</strong> plaines mollementon<strong>du</strong>lées sud-occidentales (1), peut être encore considéréecomme établissant une démarcation entre les deuxparties inégalement peuplées <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. Le voisinage<strong>des</strong> forêts nord-orientales, la crainte <strong>des</strong> Indiens qu'ellesrecèlent, ont pro<strong>du</strong>it dans levoisinage de la capitale,unique point visité jusqu'à ce jour par les étrangers,c<strong>et</strong>te condensation qui a dû faire croire à un nombred'habitants supérieur à celui qui existeréellement.La population ainsi agglomérée , est d'ailleurs assezégalement répartie — à l'encontre de ce qui se voiten Europe — entre quelques centres principaux <strong>et</strong> lescampagnes. Quoique, au <strong>Paraguay</strong>, on donne lenom de villes à <strong>des</strong> bourga<strong>des</strong> qui ne comptent quequelques centaines d'âmes, <strong>et</strong> souvent moins encore,celles-ci même sont rares, <strong>et</strong> les villages consistenten trois ou quatre habitations groupées au pied del'église <strong>du</strong> district (partido). On peut donc dire qu<strong>et</strong>oute la population vit éparse <strong>et</strong> clair-semée au milieu<strong>des</strong> champs. Là, chaque famille possède une maisonn<strong>et</strong>te{rancho) entourée d'un jardin planté d'orangers<strong>et</strong> de cocotiers, faite de terre, <strong>et</strong> couverte de paillescoupées dans le pajo7ial voisin. De gros bambous reliésentre eux par <strong>des</strong> lanières de cuir frais (crudo),constituent la charpente de la toiture, <strong>et</strong> reposent surquelques pièces de boisen partie noyées dans l'épaisseur<strong>des</strong> murs. Ce mo<strong>des</strong>te logis est encore indifféremmentla demeure <strong>du</strong> propriétaire d'une vaste ex-(V Voy. Chap. VI. p. ^.8.


388 ETHNOLOGIE ET POPULATI0?(.ploUation rurale, ou celle <strong>du</strong> contre-maître (capataz)chargé de son administration.C<strong>et</strong>te dissémination reconnaît plusieurscauses. Dèsles premiers temps de la conquête, l'absence de gîtesmétallifères a tout d'abord détourné les bras au profitde l'agriculture; <strong>et</strong> l'in<strong>du</strong>strie étant restée tout à faitnulle, la population n'a pas été sollicitée à se portervers les villes.Le régime de terreur de Francia n'étaitpas de nature à modifier c<strong>et</strong> état de choses; <strong>et</strong> le désirde se soustraire en partie à ses actes arbitraires, devivre à l'abri de l'espionnage <strong>des</strong> serviteurs de son <strong>des</strong>potisme,avait chassé de l'Assomption les quelques famillesaisées qui s'y trouvaient lorsqu'il s'empara <strong>du</strong>pouvoir suprême. S'ilest vrai que l'inlluence <strong>du</strong> séjour<strong>des</strong> villes tende à diminuer le nombre proportionnel <strong>des</strong>naissances, il faut considérer c<strong>et</strong> éparpillement commeune circonstance favorable à l'accroissement de la po~pulation, <strong>et</strong> l'ajouter à celles que nous avons précédemmenténumérées.Naît-il plus de filles que de garçons? Azara, à la suitede recherches faites dans les archives <strong>des</strong> paroisses»se prononce pour l'affirmative. Dans le doute, nouscroyons seulement que l'on peut constater au <strong>Paraguay</strong>l'absence de ces causes qui tendent à augmenter lerapport <strong>des</strong> naissances masculines , <strong>et</strong> dont parleM. Prévost de Genève (1).(1) Bibliothèque universelle, octobre 1829, p. 140 <strong>et</strong> suiv.Nous reviendrons dans une autre partie de c<strong>et</strong> ouyra^e (Partie hislorique,suT la division territoriale, <strong>et</strong> nous ferons l'histoire <strong>des</strong> priucipauitcnires de population. Disons ici que Ion compte au <strong>Paraguay</strong> :


STATISTIQUE. 389VAsuncion (Assomption), capitale, qui seule a le tilie de Cité(Ciudad) ;Et dix villes (villas)^ savoir :VillaRica.— de San - Pedro de Yquamandcyu.— de Curuguaty.— del Pilar.— i^eal de Concepcion.— Franca.— de Oliva.— de S an -Salvador de Tevego.— del Rosario.— de la Encarnacion de Itapua.Eq somme, le territoire est divisé en 81 districts {parlidos) :Partidos de Blancos, 56,— de Indios^ 23,— de Pardos (mulâtres), 2.Le second de ces chiffres comprend huit Missions (pueblos) <strong>des</strong> Jésuites,situées entre les rivières Paranà <strong>et</strong> <strong>Paraguay</strong>.


CHAPITRE XXIX.ETHNOLOGIE ET POPULATION (suite). — CARACTÈRES PHYSIOLOQIQDESET MORAUX.Considérée dans son ensemble , la nation paraguayenneisolée par la <strong>politique</strong>, <strong>des</strong> peuples de mêmeIorigine qui l'environnent, est remarquable tout à la foispar ses caractères physiologiques <strong>et</strong> ses qualités morales.On peut y suivre les modifications imprimées àla race latine par la race autochthone, <strong>et</strong> constater lesheureux résultats <strong>du</strong> mélange <strong>des</strong> deux sangs, résultatsdéjà signalés par M. d'Orbigny sur d'autres pointsde l'Amérique méridionale (1).Ainsi, en prenant pour modèle le type général, <strong>et</strong>sans nous arrêter aux exceptions, nous dirons que les(1) L' Homme amrricaiv. t, l, p. HO.


CARACTÈRES. 391hommes sont généralement grands <strong>et</strong> bienconformés.Leur taille, souvent supérieure à celle <strong>des</strong> Européens,est élancée <strong>et</strong> bien prise. La cause de c<strong>et</strong>te améliorationnous échappe; il faut adm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> influenceslocales qui modifient ce traitde conformation qui parsa généralité devient un caractère de race. Des mesuresnombreuses prises dans plusieurs localités sur <strong>des</strong>indivi<strong>du</strong>s a<strong>du</strong>ltes, m'ont donné pour moyenne de lataille <strong>des</strong> hommes 1"',720 millimètres.Leur extérieur réguliern'offre d'ailleurs rien de remarquable.L'air est doux <strong>et</strong> efféminé, <strong>et</strong> leur démarchea per<strong>du</strong> c<strong>et</strong>te gravité que l'on accorde généralementaux Espagnols.La peau est blanche, parfois avec de très-légèresnuances de bistre.Souvent on y surprend <strong>des</strong> tracesnon équivoques de sang indien. Dans les campagnes,il faut joindre à celte cause l'influence <strong>des</strong> agentsatmosphériques (1). Beaucoup d'indivi<strong>du</strong>s ont lapeaud'un blanc mat très-remarquable.Les cheveux sont noirs, plats, ou légèrement bouclés. On ne rencontre, en général, de nuances clairesque chez les enfants.La barbe, quelquefois peu abondante, oflVe dans laplupart <strong>des</strong> cas tous les caractères de celle <strong>des</strong> Européensf2).(1) Sans partager l'opiuion <strong>des</strong> physiologistes qui lbi;t do{)en(lri' imiqueineutla coloration de la peau de riuilueuce di» la lumière cl <strong>du</strong> soleil, jeconsidère liiisolalioii, certaines conditions hygrométriques de l'air, clpeut-êtrela noufrilure, comme <strong>des</strong> causes capables de modilior SL'n^ihlomcntla couleur <strong>du</strong> derme. Voy. la noie do la p. 3J9.(2) (J'.ioi(iuc la barbe ne soif pas ])lus un attribut do la force, que so:i


392 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Les yeux, noirs, bien fen<strong>du</strong>s, sont clans les deuxsexes parfaitement horizontaux.On prête aux hommes de certaines localités quelquestraits particuliersde conformation. Ainsi, les ha-Litanls de Yilla-Rica (Guayrenos) (1), passent pouravoir un nez long <strong>et</strong> saillant. Mais ce caractère ne m'aparu ni très-prononcé ni général; <strong>et</strong> je ne le considèrepas comme propre aux indigènes appelés à fonderla ville de concert avec les Européens (2).Les femmes avec lesmêmes proportions avantageuses,ont le pied <strong>et</strong> la main p<strong>et</strong>its, <strong>des</strong> traits réguliers,la peau fine, d'un blanc mat, <strong>et</strong>une physionomie souventfort agréable. Une jeune fille vêtue <strong>du</strong> tipoij (3),avec quelques fleurs naturelles à demi cachées aumilieu de sa chevelure abondante <strong>et</strong> soyeuse, est généabsencen'est un indice de faiblesse — ce que l'observation médicale<strong>et</strong> la pratique <strong>des</strong> hôpitaux démontrent journellement — nous devonsconsigner ici l'observation suivante : la barbe, dont Tabsence caractériseles nations Sud-américaines, pousse assez toullue dans les métis issusd'une alliance au premier degré avec les Européens. Régulièrement implantée,médiocrement fine, elle reste droite d'abord, <strong>et</strong> ne frise que dansles générations suivantes. En rapprochant ce résultat <strong>du</strong> croisement <strong>des</strong>deux races, de celui que je signalais tout à l'heure pour le développementde la taille dans les mêmes circonstances, ou verra qu'il existe un rapportentre ces deux caractères, souvent (je devrais dire toujours) liés l'un àl'autre, <strong>et</strong> transmis à ses métis par la grande funiillc latine dès la premièregénération. C<strong>et</strong>te loi, que <strong>des</strong> conditions physiologiques dilTércntes empêchentde se pro<strong>du</strong>ire d'une manière aussi tranchée chez les mulâtres,est applicable au système pileux de toutes les parties <strong>du</strong> corps.(1) Parce qye c<strong>et</strong>te ville fut fondée d'abord dans la province de Guayraen 1570.(2) Le nez est souvent un caractère de race en Amérique.(."{) chemise sans manches, faite d'une étoll'e de cotou souvent trèsclaire,<strong>et</strong> r<strong>et</strong>enue à la taille par une ceinture. Le lipuy e^i orué eu hautcl en bas de broderies de laine bleue ou noire.I


CARACTÈRES. 393à'alemeiit une belle personne qui rappelle le type castillan,quoique son maintien n'ait pas la noblesse unpeu étudiée de celui <strong>des</strong> créoles de Buenos-Ayres (Portehas].Mais à l'Assomption, ce vêtement national disparaîtpeu à peu, <strong>et</strong> fait place aux mo<strong>des</strong> françaisesimportées d'abord par la voie <strong>du</strong> Brésil, avant l'ouverture<strong>du</strong> Paranà aux marines étrangères.L'ardeur <strong>du</strong> climat hâte le moment de la puberté,<strong>et</strong> les femmes sont nubiles dès l'âge de neuf ans. Debonne heure aussi elles perdent leurs grâces naturelles,<strong>et</strong> vieillissent. Le corps s'alourdit, la démarchedevient pesante, leurs traits se déforment, car elles onthérité de c<strong>et</strong>te disposition à l'obésité qui paraît communeaux habitants <strong>des</strong> régions chau<strong>des</strong> dans les deuxcontinents, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te disposition est encore favorisée,au<strong>Paraguay</strong> comme au Brésil, par le régime alimentaire<strong>et</strong> le défaut d'exercice. Telles sont les remarques physiologiquesque je crois devoir consigner ici. Sous lesautres rapports, les <strong>Paraguay</strong>os ne m'ont pas paru différersensiblement <strong>des</strong> Européens dont ils<strong>des</strong>cendent.Pro<strong>du</strong>it hétérogène <strong>du</strong> mélange à tous les degrés d<strong>et</strong>rois races d'origine <strong>et</strong> de provenance distinctes, lapopulation présente l'homogénéité laplus complète <strong>et</strong>la plus entière uniformité dans ses mœurs, ses goûts,|dans ses habitu<strong>des</strong> <strong>et</strong>ses sentiments religieux. J'om<strong>et</strong>sà <strong>des</strong>sein de parler de ses convictions <strong>politique</strong>s :elle aeu rarement à les manifester, car il est bien difficile deprendre au sérieux les délibérations d'un congrès national,émané <strong>du</strong> suffrage universel, chez un peupleindifférent à tout, à peine entré dans les voies de la


394 ETHNOLOGIE ET POPLLATION.civilisation, <strong>et</strong> auquel on a appris à répéter à toutpropos les mots sacrés à'' indépendance <strong>et</strong> de patrie, enluiimposant en <strong>politique</strong>, en in<strong>du</strong>strie, en commerce,une tutelle <strong>et</strong> <strong>des</strong> entraves à faire regr<strong>et</strong>ter le régime si<strong>du</strong>rement reproché à laMétropole.Résignés, doux, patients, flegmatiques, bienveillantsdans les relations ordinaires de la vie, les <strong>Paraguay</strong>osprofondément imbus <strong>du</strong> sentiment de l'autorité,se montrent en toute circonstance d'une soumissionaveugle, presque servile, vis-à-vis de leurs magistrats.Us obéissent avec laplus entière abnégation aux ordresémanés de leur « Suprême Gouvernement » ou de sesmoindres agents. La doctrine de l'obéissance absolue,pratiquée pendant trois siècles, n'avait pas eu le tempsde faire naufrage dans le rapide passage <strong>des</strong> institutionscoloniales à l'étrange républicanisme inauguré par leDictateur, <strong>et</strong> il n'était pas homme à lui laisser perdreson prestige. Aussi s'attacha-t-il toujours à semer ausein d'une population déjà craintive, l'effroi <strong>et</strong> la terreurpar <strong>des</strong> exécutions répétées à de courts intervalles,<strong>et</strong> toujours sans jugement. Ces habitu<strong>des</strong> <strong>des</strong>oumission la séparent <strong>des</strong> peuples de la Plata, quisortis tout armés <strong>du</strong> sein de l'insurrection ne savent pasobéir; aussi voit-on alternativement chez eux, commele remarque fort justement M. de Brossard, la libertédégénérer en licence, <strong>et</strong> l'autorité réagir jusqu'au <strong>des</strong>potisme(1).'1) ConsidcralwHs hislonijuis c( iwliltques sur km Ucfubhqucf


CARACTÈRES. 395Ses mœurs paisibles <strong>et</strong> sa douceur, l'habitant <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong> les doit à plusieurs causes : à une dispositioninnée d'abord; ensuite au bonheur qu'il a eu —bonheur payé un peu cher — de n'être paslancé parune soudaine <strong>et</strong> violente transition, dans l'ère révolutionnaireau milieu de laquelle se débattent épuisées,depuis l'Indépendance, les provinces Argentines. Enfin,il les doit encore, selon moi, à son mode d'alimentation.Sous une forme d'apparence frivole, le spirituelauteur de la Physiologie <strong>du</strong> Goût a formulé c<strong>et</strong> axiomed'une grande vérité : Dis-moi ce que tu înanges, je tedirai ce que tu es. Je n'hésite pas à en faire ici l'application.L'influence de la nourriture, incontestable chez lesanimaux, assez évidente dans tous les pays (i), nullepart ne m'a paru plus sensible que chez les<strong>Paraguay</strong>os.L'Argentin ne quitte le sein maternel que pour mordredans une tranche de bœuf saignant <strong>et</strong> souvent cru. Ildédaigne les fruits spontanés de la terre,d'ailleurs fortrares au milieu <strong>des</strong> solitu<strong>des</strong> qui l'environnent, <strong>et</strong>redoute par-<strong>des</strong>sus tout le travail <strong>et</strong> les soins queréclame la culture de ceux que l'homme s'est assimilés.'Dressé de bonne heure aux exercices de la campagne(l) On oppose sans ceèse <strong>et</strong> avec raison la douceur <strong>et</strong> l'esprit paisiblede la population de nos campagnes, à la turbulence fiévreuse, à la vieinquiète <strong>et</strong> agitée <strong>des</strong> ouvriers <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> villes. Lu dehors <strong>des</strong> effels quirésultent d'une agglomération d'indivi<strong>du</strong>s, <strong>et</strong> <strong>des</strong> passions qu'elle engendre,développe <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>ient, ne faut-il pas tenir compte de l'influence actived'une nourriture habituellement auimalisée, <strong>du</strong> vin cl <strong>des</strong> boissons aloooli(iues?


396 ETHNOLOGIE ET POPULATION.{del campo), à la garde <strong>et</strong> à la con<strong>du</strong>ite <strong>du</strong> bétail,ayant pour premier jou<strong>et</strong> un couteau, <strong>et</strong> comme récréationla vue <strong>et</strong> les cris d'un animal égorgé par son père,il s'habitue dès l'enfance à ces scènes de carnage :l'odeur <strong>du</strong> sang l'enivre, <strong>et</strong> il s'essaye à y prendre partdans la mesure de ses forces. Plus tard, si la guerrecivile éclate, il se range sous la bannière d'un gauchocomme lui, que son adresse à holer les taureaux, àdompter les poulains, a tout à coup métamorphosé engénéral d'armée. Alors, après la victoire, sur un ordrede son chef, ce soldat égorge en masse tous les prisonniers,avec <strong>des</strong> expressions cyniques <strong>et</strong> d'atroces plaisanteries.H fait cela sans haine, comme une chos<strong>et</strong>oute naturelle : sur le champ de bataille, il se croitencore dans l'abattoir d'un saladero (1).Les obstacles à l'accroissement <strong>du</strong> bétail que j'ailonguement racontés (p. 299-302), en imposant unordre <strong>et</strong> une économie nécessaires dans l'exploitation(1) L'histoire <strong>des</strong> guerres civiles qui ont couvert de sang <strong>et</strong> de ruinespendant un quart de siècle les provinces hispano-américaines <strong>du</strong> Rio dela Plata constituées en républiques, offre à chaque page <strong>des</strong> exemples deces égorgements qui rappellent les plus monstrueuses coutumes <strong>des</strong> sauvages.Ce n'est pas ici le lieu d'en parler longuement; ce que nous pouvonsaffirmer, c'est que nous possédons le couteau d'un officier Argentin <strong>du</strong>parti delà Fedcracion (par opposition à celui <strong>des</strong> Unitaires, de los Initarios),qui présente la disposition suivante : la lame est coupante dans la moitié <strong>des</strong>a longueur; la seconde moitié jusqu'au manche est échancrée en scie.devine l'usage de c<strong>et</strong> horrible instrument de mort : le tranchant sert èdiviser les parties molles <strong>du</strong> cou ; le talon de la lame achève la décapitation.Ou dit assez négligemment à Bueuos-Ayres, tocar cl vioîino (jouer <strong>du</strong>Tiolon), pour exprimer la mise en pratique de c<strong>et</strong>te sanglante théorie.Sommes-nous donc au xix* siècle, chez un peuple de race latine, oubien, pour nous servir <strong>des</strong> expressions d Audre rhe>cl, lo vieux voyageur,eu pleine Icne de Cannibalie?On


CARACTÈRES. 397(les troupeaux, laissent assez prévoir que récUicalion<strong>des</strong> hommes s'accomplit au <strong>Paraguay</strong> dans <strong>des</strong> conditionsbien différentes. Des habitu<strong>des</strong> plus sédentairesdécoulent naturellement de leurs occupations agricoles;car l'agriculture, obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> dédain <strong>des</strong> gauchos, estjustement honorée dans un pays dont elle a été jusqu'icil'unique ressource.La viande ne constitue pas, en eff<strong>et</strong>, la base de lanourriture <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>o, laquelle est plutôt végétalequ'animale. Une partie peu considérable de la population<strong>des</strong> villes se nourrit habituellement de viande, eny associant dans de fortes proportions la racine demanioc <strong>et</strong> les oranges; une autre fraction, plus nombreuse,ne mange de la viande que de temps à autre;une dernière enfin n'en mange jamais, ou seulement àde rares intervalles, <strong>et</strong> s'alimente exclusivement de laracine <strong>du</strong> Jatropa manihot, <strong>et</strong> <strong>des</strong> fruits que fournit enabondance le précieux végétal multiplié jusqu'à l'excèspar la prévoyance <strong>des</strong> Jésuites. Ces différences dansles habitu<strong>des</strong> <strong>et</strong> la manière de vivre, expliquent enpartie, je le crois, aux yeux <strong>du</strong> voyageur qui débarqueà l'Assomption après avoir touché à Buenos-Ayres <strong>et</strong> àCorrientes, le contraste frappant qu'il remarque entr<strong>et</strong>ous ces anciens suj<strong>et</strong>s de l'Espagne, dont les allures,lecaractère <strong>et</strong> l'esprit m'ont paru si différents.Le couteau n'est donc pas, comme pour ses voisins,Vultima ratio de l'habitant <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. 11 ne le passepas, en se levant, à sa ceinture, pour le conserver toutle jour sur lui, dans sa maison. Il ne le porte qu'envoyage, <strong>et</strong> d'une manière peu apparente. Il devient alors


398 ETHNOLOGIE ET POPULATION.sa seule arme, car le sabre est le signe distinctif <strong>des</strong>employés <strong>du</strong> gouvernemeiil, <strong>et</strong> <strong>des</strong> postillons qui portentses ordres.Protégé dans sa vie par une administration vigilante<strong>et</strong> ferme, le <strong>Paraguay</strong>o n'a pas besoin de se fairejustice à lui-même; <strong>et</strong> loin de chercher à entraverl'action de la justice, il lui prête, le cas échéant, unénergique concours. Un vol d'une certaine importancea-t-il été commis (car les crimes y sont rares, presqueinconnus)? Signale-t-on la présence d'un malfaiteurdans le district? A la voix <strong>du</strong> juge de paix (juez comisionado), soudain les habitants sont sur pied : ils traquentle coupable comme ils feraient d'une bête fauve ;con<strong>du</strong>its, il est juste de le dire, dans c<strong>et</strong>te circonstance,autant par leur aversion pour le crime, que par leurdéférence profonde aux ordres <strong>du</strong> magistrat.L'isolement <strong>du</strong> pays, en le m<strong>et</strong>tant à l'abri <strong>des</strong> révo*huions presque incessantes dans les provinces voisines,a eu <strong>du</strong> moins pour résultat de préserver ses habitantsde leurs tristes conséquences. La manière de vivre <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>o, ses occupations agricoles, <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong>sédentaires, tranquilles; une placidité qu'aucun événementsoit extérieur, soit intérieur, ne vient troubler,le maintiennent dans <strong>des</strong> dispositions d'uneiremarquable douceur, ou à parler vrai, d'une indifférencecomplète. Dans son patriotisme aveugle, il nevoit rien au delà, il ne m<strong>et</strong> rien au-<strong>des</strong>sus d'un pauvrepays dont ses chefs exagèrent à tout propos laferlililé <strong>et</strong> l'importance. Pour lui, le monde finit auxcontins de la République. Parfois, il entend parler deI


CARACTÈRES. 399TEurope, <strong>et</strong> plus souvent de Buenos-Ayres; mais iln'ensait que ce qu'il faut qu'il en sache, c'est-à-dire, cequ'il en apprend par hasard <strong>du</strong> juge de paix de sondistrict, auquel parvient chaque semaine le journalsouvent rédigé parle Président, <strong>et</strong> toujours puhlié sousses yeux. La feuille officielle arriVe-t-elle enfin, après delongs jours d'attente? Quelques amis en p<strong>et</strong>it nombre,fonctionnaires tous ou à peu près,aussitôt convoqués,se réunissent chez le magistrat qui fait la lecture <strong>des</strong>articles <strong>du</strong> «Suprême Gouvernement, »lentement, avecgravité,en coupant sa lecture de quelques apostrophesà l'adresseautrefois de Rosas, aujourd'hui sans doute<strong>du</strong> Brésil ou <strong>des</strong> Nord-Américains, suivant les circonstances,<strong>et</strong> les besoins de la <strong>politique</strong> <strong>du</strong> moment. Lalecture achevée, la prose officielle va dormir précieusementenfermée dans le coffre de cuir qui doit lam<strong>et</strong>tre à l'abri de la dent <strong>des</strong> insectes.Après le dévouement absolu <strong>des</strong> magistrats de toutrang aux fonctions qui leur sont confiées^ <strong>et</strong> sur la mêmeligne, il faut placer leur désintéressement. Tous tiennentà honneur de servir leur pays (el Estado, la Patria), <strong>et</strong>ils le servent avec un zèle qui ne se dément jamais. Là,presque toutes les fonctions sont gratuites;celles quitrès-exceptionnellement émargent au budg<strong>et</strong>, le grèventde sommes on ne peut plus minimes. Point de grostraitements (i). Le respect de la chose publique est(1) Qu'on eu juge. Le président touche annuellement 8,000 piastres(43,200 fr.); l'cvèque 500 piastres ,2,700 fr.;. Les officiers de Tarmée eutune paye insignifianto, <strong>et</strong> les simples soldais ne reçoivent que la nourriture<strong>et</strong> rhabillement.


400 ETHNOLOGIE ET POPULATION.<strong>des</strong>cen<strong>du</strong> dans la classe la plus infime de lapopulation,<strong>et</strong> l'on ne saurait citer un exemple d'improbité enversl'État, même de la part <strong>du</strong> plus nécessiteux. Puisse c<strong>et</strong>exemple trop raredevenir contagieux dans les autresrépubliques <strong>du</strong> Nouveau Monde, <strong>et</strong> même un peu dansl'Ancien !Ce qui précède laisse assez prévoir ce que l'on doitattendre de la population, <strong>et</strong> les ressources qu'elle peutoffrir au gouvernement au point de vue militaire. Pleinde confiance en lui-même <strong>et</strong> dans ses chefs,inaccessibleà l'enthousiasme, prévenu par un eff<strong>et</strong> de l'é<strong>du</strong>cationcontre tout ce qui est étranger (tagiie), soumisjusqu'à la plus entière abnégation, lepeu propre à la guerre offensive,qualités pour lasoldat paraguayopossède de précieusesdéfense de son pays, que l'Europe entière,dont il n'a aucune idée, ne saurait à ses yeuxégaler en puissance <strong>et</strong> en richesse. En inspirant a sesconcitoyens un patriotisme aveugle, mais qui peut devenirentre <strong>des</strong> mains habiles un levier puissant, siDictateur a fait naître au dehors une idée exagérée <strong>des</strong>forces de son pays, illui a montré qu'il pouvait conquérirl'indépendance : en lui enseignant l'art difficile del'obéissance, il lui a donné le moyen de la conserver.Déjà c<strong>et</strong>te <strong>politique</strong> a porté ses fruits. On r<strong>et</strong>rouve dansnotrehémisphère, chez quelques peuples <strong>du</strong> Nord, lasobriété, le flegme <strong>et</strong> la résignation de l'habitant <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> l'on a pu dire, non sans raison, qu'il étaitle Russe del'Amérique.Au point de vue religieux, la population est restéece que l'avait faite la domination de TEspagne. Onle


CARACTKUES. 401peut désirerune religion plus éclairée; on ne sauraittrouver une foi plus sincère. L'empreinte profondémentgravée par le clergé espagnol, trop souvent zéléjusqu'au fanatisme, ne s'est paseftacée sous l'influence<strong>des</strong> mesures anti-religieuses <strong>du</strong> docteur Francia, qui nelaissait échapper aucune occasion de s'élever contrel'Église, de décrier <strong>et</strong> de persécuter ses ministres.«Voyez, s'écriait un jour ce niveleur impitoyable,voyez à quoi servent à ces gens les prêtres <strong>et</strong> la religion: à leur faire croire au diable bien plutôt qu'enDieu. » A ne juger que la con<strong>du</strong>ite publique <strong>du</strong> chefabsolu d'un État, <strong>et</strong> sans vouloir <strong>des</strong>cendre dans laconscience toujours respectable de l'homme privé, onpeut dire cependantque ces déclamations habituellesaussitôt colportées par l'entourage <strong>du</strong> <strong>des</strong>pote, avaientun r<strong>et</strong>entissement déplorable au sein d'une populationélevée jusqu'alors dans de tout autres sentiments (1).Les femmes ont droit, elles aussi,à quelques lignes.J'ai parlé plus haut de leurs qualités <strong>physique</strong>s <strong>et</strong> deleur beauté. Affables, enjouées, passionnées pour lamusique <strong>et</strong> pour la danse, elles ont comme sur lesbords de la Plata» plus de tact <strong>et</strong> de finesse que leshommes. C'est là, je ne l'ignore pas, un don naturel<strong>et</strong> presque général dans tous les pays, développé parle régime <strong>politique</strong> qui fit peser sur le <strong>Paraguay</strong>, <strong>du</strong>rantun quart de siècle, le joug <strong>du</strong> plus affreux <strong>des</strong>potisme.Quelques femmes en furentles victimes coura-(t) J'ai raconté les persécutions <strong>du</strong> Dictateur contre Tévc^que <strong>et</strong> leclergé <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, dans Tarticle Francia de la Biographie universelle(AI ichaud)^ Paris, I^jG, t. XIV, p. 6l3-fi25.26


402 ETHNOLOGIE ET POPULATION. — CARACTÈRES.geuses; la plupart n'en éprouvèrent que le contrecoup,<strong>et</strong> le soutinrent énergiquement.L'étranger qui débarque à l'Assomption est accueillidans toutes les familles avec empressement. Que cesprévenances un peu banales ne soient pas tout à faitdésintéressées; qu'il s'y mêle de la part <strong>des</strong> jeunesfilles quelque espoir de rencontrer un mari qui m<strong>et</strong>tefin à leur existence monotone, en obtenant <strong>du</strong> Présidentla permission (toujours refusée) de les rameneren Europe; qu'au fond de ces témoignages de bienveillanceprodigués sans trop de discernement, il yait, làbascomme ici, un peu de coqu<strong>et</strong>terie <strong>et</strong> d'amour <strong>des</strong>oi-même, c'est ce que notre devoir d'bistorien impartialnous obligerait à dire, si le souvenir encoreprésent de Thospitalité que nous avons reçue partout<strong>et</strong> toujours, ne devait pas nous faire regr<strong>et</strong>ter la franchised'un semblable aveu.


CHAPITRE XXX.ETHNOLOGIE ET POPULATION (fin). ~ DE LA LANGUE GUARÂKIE.Nous l'avons vu plus haut (1 ), lorsque les Espagnolspénétrèrent par les affluents <strong>du</strong> Rio de la Plata dansles régions centrales <strong>du</strong> Sud-Amérique, ils trouvèrentla même langue parlée sur une immense surface,par de nombreuses tribus que ce caractère rattachaitmanifestement à une commune origine. Celtelangue, que les Portugais rencontraient en même tempssur le littoral, <strong>du</strong> midi au nord de leurs immensesdomaines, dont Texistence a été signalée dans cesderniers temps par de hardis voyageurs sur les bordsde FAmazone, de l'Orénoque, <strong>et</strong> dans l'archipel <strong>des</strong>(1) Chap. XXV,p.325.


VOV ETHNOLOGIE ET POPULATION.Antilles, c'était le guarani, qu'aucun dialecte américainne surpasse en abondance <strong>et</strong> en harmonie.De nos jours, le guarani qui a fourni de nombreusesdénominations à la géogra^diie brésilienne,n'est plus en usage que sur certains points assez circonscritsde l'empire transocéanique, où on le r<strong>et</strong>rouv<strong>et</strong>oujours plus ou moins modifié par l'immixtion d<strong>et</strong>ermes empruntés à l'idiome <strong>des</strong> conquérants. Ignorémaintenant dans les provinces centrales de Rio de Janeiro<strong>et</strong> de Minas-Geraës, il est répan<strong>du</strong> sous le nomde linrjoa gérai dans celles de Pernambuco <strong>et</strong> de Bahia ;mais le voyageur qui s'avance vers le sud, rencontreune empreinte plus profonde <strong>et</strong> de plus vivants souvenirs<strong>du</strong> grand peuple, <strong>et</strong> s'aperçoit bientôt quel'usage de sa langue n'est plus borné aux seuls Indiens.Tel est le résultat de mes observations dans les provincesde Saint-Paul <strong>et</strong> de Sainte-Catherine. Plus ausud encore, dans la province de Rio-Grande <strong>et</strong> dansles Missions de l'Uruguay, le guarani devient d'unusage habituel entre les métis <strong>et</strong> les habitants de lacampagne. Enljn, à Corrienles <strong>et</strong> au <strong>Paraguay</strong>, tous lescréoles sans distinction d'origine ou de caste parlentla langue <strong>des</strong> Indiens; <strong>et</strong> siles Correntinos <strong>des</strong> classesaisées se servent encore habituellement entre eux <strong>du</strong>castillan, dans la république de Francia la hingue <strong>des</strong>conquérants a disparu, remplacée par celle de la raceconquise, pour ne se conserver que dans les actesofficiels <strong>du</strong> gouvernement, <strong>et</strong> dans les relations avecles étrangers : nous tenions à constater de nouveauce curieux résultat <strong>du</strong> mélange <strong>des</strong> deux peuples, qui


DE LA LANGUE GIAKANIE. 405ne perm<strong>et</strong> pas de voyager dans l'intérieur <strong>du</strong> pays,sans le secours d'un interprète.Les Caayguàs <strong>et</strong> les autres tribus de Guaranis indépendantsont conservé dans sa pur<strong>et</strong>é primitive, lalangue que les Espagnols ont beaucoup altérée dansla prononciation <strong>des</strong> mots qui souvent déplace l'accent<strong>et</strong> modifie l'intonation. A leur tour, les Indiens ontemprunté à leurs maîtres les noms de nombre (ils necomptaient, nous le savons, que jusqu'à quatre), <strong>et</strong>ceux <strong>des</strong> obj<strong>et</strong>s qu'ils ne connaissaient pas avant ladécouverte. Ils se sont assimilé, en les dénaturant,les expressions qui servent à désigner les animauxdomestiques <strong>et</strong> les pro<strong>du</strong>ctions naturelles ( vaches,chevaux, chèvres, oranges, <strong>et</strong>c.), dont la vieille Europea enrichi le Nouveau Continent.Sans être une langue monosyllabique comme lechinois (1), le guarani présente dans l'agglutination<strong>des</strong> syllabes <strong>des</strong>tinées à former les rnots, <strong>des</strong> tracesévidentes de monosyllabisme, <strong>et</strong> sans vouloir tirercomme conséquence de c<strong>et</strong>te comparaison la preuved'une communauté d'origine ou d'une fJiation entreles deux peuples, il n'est pas sans intérêt d'ajouteren passant ce caractère aux traits d'analogie queles voyageurs ont signalés entre la race mongolique<strong>et</strong> celle que nous étudions : on ne saurait en(1) Desmoulins (<strong>Histoire</strong> naturelle <strong>des</strong> races humaines, in-8», Paris1826), explique la forme mouosyllabique <strong>du</strong> chiaois par l'absence derorgaoe <strong>du</strong> langage qu'il dit n'avoir pas trouvé daus le cerveau <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>sde c<strong>et</strong>te race. Si c<strong>et</strong>te observation phréuologique était autre choseque l'explication ingénieuse <strong>et</strong> facile d'uu fait iucouteslable, il b«rait iuicresb<strong>du</strong>t<strong>du</strong> la répéter sur un Guaraui.


406 ETHNOLOGIE ET POPULATION.méconnaître Timportance. Nous croyons, en eff<strong>et</strong>,avec Malte-Brun, « que dans l'étudephilosophique dela structure <strong>des</strong> langues, l'analogie de quelques racinesn'acquiert de la valeur que lorsqu'on peut lesenchaîner géographiquement; » <strong>et</strong> avec A. d'Orbigny,« que le rapport de quelques mots, de ceux même quel'on considère comme radicaux, ne peut entre deuxpeuples avoir d'importance qu'autant qu'il y a possibilitégéographique (1).» Ainsi, sans nier la valeurd'analogies soit radicales, soit syntaxiques; en adm<strong>et</strong>tantmême qu'une foule de nations , celles del'Europe par exemple, par suite de la multiplicité <strong>des</strong>rapports <strong>et</strong><strong>des</strong> alliances qui tendent à effacer chaquejour davantage les nuances les plus saillantes deleurs caractères indivi<strong>du</strong>els, n'offrent plus maintenantde différence essentielle que celle de leur langage ;nous pensons que l'existence d'une construction grammaticale,de racines, ou même d'expressions communes,est insuffisante pour affirmer l'origine ou lesmigrations d'un peuple. Mais lorsqu'à ces traits deressemblance viennent s'ajouter <strong>des</strong> analogies dansl'organisation, une similitude de caractères <strong>physique</strong>s,leur importance en est singulièrement augmentée. Ilest incontestablement plus facile à une nation quiémigré, de changer son idiome, que la forme <strong>du</strong> crâne,la direction <strong>des</strong> yeux, les dimensions de la taille, lacouleur de la peau, la nature <strong>et</strong> la disposition <strong>des</strong>(1) Malte Brun, Géographie universelle; — dOrbigxy, l.^Hommeaméricain, I, 157.


DE LA LANGUE GUARANIE. hO^cheveux de ses <strong>des</strong>cendants. Arrêtons-nous ici : dansl'état actuel de nos connaissances, hors de c<strong>et</strong>te réserve,les affirmations sur l'origine <strong>des</strong> nationalités américainesdeviennent conjecturales,car nous sommes loinde posséder tous les éléments nécessaires àde celte question complexe.la solutionIl a donc fallu un grand art pour vaincre rinsuffisanceoriginelle <strong>du</strong> guarani; pour combiner les monosyllabesde façon à exprimer les idées abstraites, lesnuances fines <strong>et</strong> délicates <strong>du</strong> sentiment <strong>et</strong> de la passion,sans impressionner désagréablement Toreille. Leguarani est en eff<strong>et</strong> une langue euphonique, harmonieusemême; <strong>et</strong> quoique remplie de diphthongues, decontractions, de nasales <strong>et</strong> de gutturales, elle se prêteadmirablement aux cadences de la poésie, aux inflexions<strong>et</strong> aux intonations musicales. C'est bien àelle que Ton peut appliquer c<strong>et</strong>te réflexion pleine dejustesse de M. de Humboldt : « On reconnaît que presquepartout les idiomes offrent plus de richesses <strong>et</strong><strong>des</strong> nuances plus fines, qu'on ne devrait le supposerd'après l'état d'inculture <strong>des</strong> peuples qui les parlent.» Au <strong>Paraguay</strong>, je prêtais une oreille avide auxchansons guaranies, riches de poésie <strong>et</strong> de comparaisonsnaïves, surtout lorsqu'elles parlent d'amour, c<strong>et</strong>hème favori <strong>des</strong> improvisateurs américains; <strong>et</strong> dansles Missions brésiliennes qui ne sont plus aujourd'huique <strong>des</strong> ruines, combien me semblaient harmonieuxles hymnes <strong>et</strong> les cantiques chantés par de pauvresIndiens qui s'accompagnaient avec de méchants instrumentsqu'ils avaient eux-mêmes fabriqués!


408 ETHNOLOGIE ET POPUÎ.J^TIOX.Le guarani présente de nombreux redoublements deconsonnes, qui perdent leur <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é dans la prononciation,surtout cbez les femmes <strong>et</strong> les enfants. On peut,j'en conviens, en dire autant de toutes les langues :lesplus accentuées deviennent harmonieuses dans labouche d'une femme.Les consonnes qui reparaissent le plus fréquemmentassociées à d'autres, <strong>et</strong> qu'on pourrait appelercomposées, sont ngn, mb^ <strong>et</strong> nd; ces deux dernièresassociations assez difficiles à distinguer l'une del'autre.L'emploi <strong>du</strong> ch espagnol (tch) est fréquent;par luicommencent les noms <strong>des</strong> différentes parties <strong>du</strong> corps.On dit :CheraniquaChepoChenaChepyChequaChenalmenton.main.cuisse.pieds.doigts.dents.Chehavacheveux.En parlant <strong>des</strong> Payaguàs, nous avons déjà fait c<strong>et</strong>teremarque, à savoir que chez plusieurs nations indiennesles différentes parties <strong>du</strong> corps commencenttoutes par la même syllabe, ou par la même l<strong>et</strong>tre.Mais ici la règle cesse d'être générale; les Guaranisexpriment :Nez par apyngua.Oreille — hambi.Yeux— iésa.


DE LA LANGUE GUARAXIE. 409Les mots finissent le plus souvent par <strong>des</strong> voyellesou <strong>des</strong> diphlhongues, elles plus usitées sont (^, y, <strong>et</strong>ot*.Lï, toujours long, se prononce à la fois <strong>du</strong> nez <strong>et</strong> de lagorge, <strong>et</strong> revient souvent soit au commencement, soità la fin <strong>des</strong> mots. Le son de celte l<strong>et</strong>tre est intermédiaireentre le son de Vu <strong>et</strong> celui de Vi français; illient moins cependant de la première de ces deuxvoyelles que de la seconde, <strong>et</strong> peut être ren<strong>du</strong>, quoiqueimparfaitement, par un son intermédiaire entreng eiig, avec la gutturation <strong>du</strong> j(jota) espagnol; oupar la prononciation de Vu adouci <strong>des</strong> Allemands. J*aidéjà parlé de c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre dont le r<strong>et</strong>our incessant constitueune <strong>des</strong> difficultés phonétiques de la langue (1).Les substantifs sont invariables au singulier <strong>et</strong> aupluriel, <strong>et</strong> les adjectifs sont <strong>du</strong> même genre. Les casn'ont pas de prépositions; on les fait suivre de postposilionsqui jouent le rôle de suffixes. Les consonnes/", /,V, X manquent; dans les noms propres, les Guaranisremplacent la première par p, <strong>et</strong> la seconde par r : lek revient fréquemment. Dans les mots tirés de l'espagnol,ils substituent ff^/^la double consonne //; ils disentcabaiju, pour cahallo, chëvàT?L'w, comme dans les langues latines,a le son de ou,La conjugaison régulière <strong>des</strong> verbes repose sur l'additiond'augments monosyllabiques ou dissyllabiques;<strong>et</strong> tout substantif est susceptible de devenir verbe,lorsqu'on le conjugue avec le pronom (A. Maury).Les noms <strong>des</strong> animaux sont d'un seul genre :yurjua,(1) Chap. IX, Hydrographie^ p. 9i.


,410 ETHNOLOGIE ET POPULATION.chien, chienne. S'il y a nécessité de distinguer, ilsdisent : yagua cum, littéralement : chien femme.Les élisions <strong>et</strong> les contractions sont habituelles.On dit Erou y, donne eau, pour donnez-moi de leau;Erou tata mi, donne feu p<strong>et</strong>it, pour donnez-moi unpeu de feu. Dans ces deux phrases, l'article <strong>et</strong> le pro-^nom personnel se suppriment; <strong>et</strong> dans la seconde, l'adverbemi est contracté de mini, p<strong>et</strong>it, un peu.On remarquera dans ces locutions l'emploi constantde la seconde personne de Timpéralif. Au <strong>Paraguay</strong>,le tutoiement est général, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te coutume, si contraireaux formules consacrées par la belle langue castillane,peut expliquer jusqu'à un certain point l'absenced'inégalités sociales que j'ai signalée.En fondant leurs Ré<strong>du</strong>ctions, le premier soin <strong>des</strong>Jésuites fut d'apprendre la langue <strong>des</strong> indigènes, afinde rendre leurs rapports avec eux à la fois plusfaciles <strong>et</strong> plus intimes. Ils se livrèrent avec persévéranceà c<strong>et</strong>te étude, <strong>et</strong> parvinrent bientôt à composerune grammaire <strong>et</strong>un dictionnaire guaranis (1). Pourfigurer la prononciation de certaines l<strong>et</strong>tres, ils ontinventé <strong>des</strong> signes de convention. Ils ont ren<strong>du</strong> par cesigne (-), placé au-<strong>des</strong>sus de la voyelle y, sa prononciationgutturale (y); par c<strong>et</strong> autre (") saprononciationnasale (y); par ce troisième enfin (^) sa prononciationà la fois gutturale <strong>et</strong> nasale. En guaranil'accent change d'ailleurs, comme dans la plupart<strong>des</strong>(1) Arte de la Icngua guarani, Piicblo de S. Maria la Mayor, 172 î, clMadrid, 1639; <strong>et</strong> Tcsoro de la lengua guarani, Midrid, Ki;}!). Ces deuxouvrages sout <strong>du</strong>s à rérudilioo pliilulugique <strong>du</strong> P. Ruiz de Moutoya.


DE LA LANGUE GCARAME. 411langues, la signification <strong>des</strong> mois : tata (sans accent),feu; tâta (avec signes phonétiques), fort, fortement. L'wsurmonté d'un trille(n), prend de même qu'en espagnol,le son <strong>du</strong> gn : ainsi, nan<strong>du</strong>, autruche; fiandéiuru,bouche.Outre les ouvrages <strong>des</strong>tinés à renseignement de lalangue <strong>et</strong> sortis <strong>des</strong> presses de Madrid, les Jésuitesavaient composé un catéchisme guarani, <strong>et</strong> <strong>des</strong> rituelspour l'usage <strong>des</strong> ecclésiastiques chargés <strong>du</strong>service spirituel <strong>des</strong> Missions. Ces livres étaientimprimés sous leurs yeux, à laide de caractères enbois (1).Le système de numération <strong>des</strong> Guaranis très-peuéten<strong>du</strong>, était en rapport avec l'état social de cepeuple<strong>et</strong> ses besoins d'échange, <strong>et</strong> n'allait pas au delà de quatre.Après la découverte, le contact <strong>des</strong> Européens fitnaître <strong>et</strong> développa peu à peu <strong>des</strong> relations commerciales,<strong>et</strong> les contraignit à emprunter les noms de nombredont ils se servent conjointement avec lesleurs.On a vu plus haut (p. 372) les quatre expressionsguaranies, placées en regard <strong>des</strong> termes correspondantsen usage chez les Payaguàs ; les voici de nouveau :Un.DeuxTroisQuatrepeîeî.mokoî.mbohapl/yyrundy.(1) Nous possédons un de ces précieux ouvrages dcveous très-raresmême eo Amérique. 11 a pour tilre : Hlanuale ad usum patrum sorielalislesu qui in re<strong>du</strong>clionibus Paraquariœ versanlur^ <strong>et</strong>c., ajino 1721.Laureli lypis PP. socictaiis Icsu.


'412 ETHNOLOGIE ET POPULATION.Pour exprimer 5, les Guaranis disent : p<strong>et</strong>eîpo (une imain); 10, mokoipd (deux mains). Au delà, ils neconnaissent plus de quantités absolues, <strong>et</strong> se contententde termes de comparaison. Ainsi, ils emploientles mots hétày qui signifie beaucoup; hétà-hétà, unegrande quantité; ndipapahabïj , innombrables.C'est, pour le dire en passant, dans c<strong>et</strong>te coutumeaussi générale de compter d'après le nombre <strong>des</strong> doigtsde la main <strong>et</strong> <strong>du</strong> pied, qu'il faut chercher l'origine <strong>des</strong>formes décimales (1 ).Ne connaissant pas la division <strong>du</strong> temps en années,les Caayguàs comptent encore par la fleuraison <strong>des</strong>arbres <strong>et</strong> le nombre <strong>des</strong> lunes, mais sans dépasser lenombre quatre (2).Les tribus guaraniennes qui ont émigré à l'ouest<strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>, quoique vivant hors <strong>du</strong> contact <strong>des</strong>Européens ,paraissent avoir modifié leur langage.Ainsi, les Guarayos ont changé en cJii les terminaisons Jen ti: ils ne comptent d'ailleurs que jusqu'à dix. |La linguistique, ce guide précieux dans les investigations<strong>et</strong>hnologiques, a fait de récents <strong>et</strong> très-notablesprogrès. On a compris les services que pouvaientrendre la connaissance difficile <strong>des</strong> langues, <strong>et</strong> Tétude(\) Les ComancliPS <strong>du</strong> Mexique expriment le uombre cinq eo élevant Mla maai, cl le nombre dix eu élevaul kb deux mains. Four les nombrci Isupérieurà, ils frappent les maius autaul de fois qu'il y a de déciiualis. mAlfred Maury, La Terre <strong>et</strong> Vlîomme, Paris, 1837, p. 454,(2) Le système de numératiou <strong>des</strong> indiens Moxos ^Bolivie), encore plusincompl<strong>et</strong>, ue va que jusqu'à trois, <strong>et</strong> les Chiquilos leurs voisins nesavent pas compter au delà de un 'Jama) \ ils u'onl plus ensuite que<strong>des</strong> termes de cuiupuraisou.


DE LA LANGUE Gl'ARAME. 413d^un caractère qui se transm<strong>et</strong> souvent inaîléré, immuable,à travers la série <strong>des</strong> siècles, dans la reclierchede l'origine ou de la filiation <strong>des</strong> peuples. Sous ce rapport,l'essaitenté par Balbi dans son Atlas <strong>et</strong>hnographique<strong>du</strong> Globe, sans être à l'abride la critique, a ren<strong>du</strong>d'incontestables services à la science, <strong>et</strong> occupe unrang distingué à côlé <strong>des</strong> travaux <strong>des</strong> deux Humboldt.De loutes parts, de louables efforts se poursuiventdans c<strong>et</strong>te voie. Au Brésil , les publicationsà l'aide <strong>des</strong>quelles VInstitut historique <strong>et</strong> géographiquecbercbe à éclairer l'histoire <strong>des</strong> nations errantesau milieu de ses forêts encore inexplorées, ont donné,dans toute Téten<strong>du</strong>e de ce merveilleux empire, unevive impulsion à <strong>des</strong> travaux dont l'importance estrestée trop longtemps méconnue (1).(\) On a publié il y a peu d'armées, à Fahia, les ouvra5;rs suivants :Grammatica da lingua gérai ifos Indins do Brasil, 1 vol. iu-8», 1851 :c'est une réimpression de ÏAr te grammatica da lingua brasilica <strong>du</strong>P. Figueira.Diccionario idem, 1vol.;Epitome da hisloria dos Indios do Brasil,4 vol.;Medicina dos Indios idem, 1vol.Ces livres renferment les noms <strong>et</strong> les vocabulaires de difFcrenles nations<strong>et</strong> d'une foule de tribus : d'autres so!)l annoncés pour paraître prochaiuemeot.


APPENDICELE GRAND-CHACO.COUP D'ŒIL SDR CETTE CONTREE. — ETUDES ETHNOGRAPHIQUESSUR LES NATIONS QUI L'HARITENT.On ne lirapas sans intérêt quelques détails géographiquessur l'immense région dont il a été questionplus d'une fois au milieu de ces pages, <strong>et</strong> qui portedans l'Amérique méridionale le nom de Gran-Chaco,ou de ChacO'Gualamba (1). Je me propose de les compléterà l'aide de mes observations <strong>et</strong>hnographiquessur les peupla<strong>des</strong> qui errent au milieu de ces solitu<strong>des</strong>(1) Chaco paraît dériver <strong>du</strong> mot quichua chacus ,qui servait, autemps de la domination <strong>des</strong> Incas, à désigner d:> gran<strong>des</strong> chasses périodiquesauï Vigognes.


41GAPl'ENDICE.« vastes comme TOcéan, <strong>et</strong> qui lomplissent comme luiTâme <strong>du</strong> sentiment de l'infini. »Les rares voyageurs anciens ou modernes qui ontdécrit c<strong>et</strong>te contrée peu connue, s'accordent à lui reconnaîtreles limites suivantes :Au N. le -lO*" degré de latitude méridionale. De cecôté, elle confine au lac <strong>des</strong> Xarayes <strong>et</strong> aux plainesinondées de laprovince de Chiquitos, dépendances delaBolivie.Au S. le rio Salado, qui se réunit au Paranà <strong>et</strong> lasépare de la province de Santa-Fé, à la hauteur <strong>du</strong>32^ parallèle. Dans c<strong>et</strong>te direction, l'horizontalité <strong>du</strong>terrain se continue avec celle <strong>des</strong> Pampas <strong>du</strong> sud.A TE. les rios <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> Paranà séparent le Grand-Chaco de la république de Francia, <strong>et</strong> de la provincede Corrientes.A rO. enfin, il s'étend jusqu'aux frontières de laprovince de Salta, <strong>et</strong> aux rios Parapiti <strong>et</strong> Salado qui<strong>des</strong>cendent <strong>des</strong> derniers contre-forts<strong>des</strong> An<strong>des</strong>. C<strong>et</strong>tearide énumération démontre de reste que le Chacon*est point enfermé dans <strong>des</strong> limites naturelles ou géographiques,<strong>et</strong> que les bornes qu'on lui assigne généralementsont tout àfait conventionnelles (I).La planimétrie de c<strong>et</strong> immense parallélogramme,qui comprend, en moyenne, treize degrés de latitude <strong>et</strong>six degrés de longitude, n'est inlerronipue à TE. <strong>et</strong>(t) Ce nom ne s'appliquait d'aboid qu'à la r.'gion comprise entre laCordillère, cl les rios Pilcomajn <strong>et</strong> Dermcjo. Lo/.ano, Dcsrvipcion rorograficadel lerreno, rios, arbolcs y animales, <strong>et</strong>c., dcl Oran ChacoGualamba, <strong>et</strong>c. Cordoba, 1733.


,LE GKAND-CHACO. 417au N. que par quelques chaînes de montagnes peuélevées, sans liaison apparente avec les dernières ramifications<strong>du</strong> système orograpbique qui sépare le bassinde la Plata de celui de l'Amazone. Les plainesaustrales sont coupées de collines isolées [lomas], quioffrent pendant les inondations de précieux abris auxhommes <strong>et</strong> aux animaux. Leur altitude augmente versle S., sans jamais s'élever beaucoup au-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> niveaudel'Océan. Ceci résulte <strong>des</strong> observations de TadeoHaènke , botaniste pensionné <strong>du</strong> roi d'Espagnepour les plaines de Moxos <strong>et</strong> de Chiquitos; de cellesd'Azara, pour la partie qui confine au <strong>Paraguay</strong> ;<strong>et</strong> <strong>des</strong>mesures barométriques prises par M. Weddell sur lesfrontières de Tarija, où le sol ne lui a offert qu'une altitudede 160 mètres (1).Des rivières importantes traversent diagonalementle Grand-Chaco , <strong>et</strong> le divisent en trois sections;l'une septentrionale,l'autre méridionale, la troisième,centrale, intermédiaire aux deux précédentes. Nousavons parlé dans un précédent chapitre de c<strong>et</strong>te division,<strong>et</strong> <strong>des</strong> droits à la souverain<strong>et</strong>é de ce vaste territoire, attribués à la Confédération Argentine parl'auteur d'un ouvrage justement estimé (2). Nous n'yreviendrons pas :on peut, sans être alarmiste, prévoird'assez sérieuses difficultés à résoudre, lorsqu'il s'agirad'en fixer les frontières.De la faible élévation <strong>du</strong> sol, <strong>du</strong> peu de déclivité(1) Voyage dans le Sud de la Bolivie, p. 271.(2) Chap. I", p. 10.27


418 APPENDICE.<strong>des</strong> plaines, il résulte que c<strong>et</strong>te région doit être périodiquementinondée, soit par le débordement <strong>des</strong>rivières, soit directement par les pluies de l'hivernage.Au milieu même <strong>du</strong> lac immense <strong>des</strong> Xaraves dontnous avons donné la <strong>des</strong>cription (p. 104), on trouvedeux amas d'eau désignés dans les cartes d'Azara sousles noms de laguna Oberaba, <strong>et</strong> laguna Ygiba (1). Jeregarde ces lagunes comme n'ayant pas une existenceparticulière : ce sont <strong>des</strong> dépressions <strong>du</strong> sol dans lesquellesleseaux s'amassent, <strong>et</strong> se maintiennent, grâceà une profondeur plus considérable.Plus au S. la rive occidentale <strong>du</strong> Rio-<strong>Paraguay</strong>offre au navigateur l'ouverture de nombreuses lagunes.Permanentes pour la plupart, elles ont une éten<strong>du</strong>evariable, comme le lac <strong>des</strong> Xarayes, <strong>et</strong> par les mêmescauses. Elles versent directement le tribut de leurseaux dans le fleuve, tandis que celui <strong>des</strong> lagunes orientalesy arrive par l'intermédiaire de véritables rivières.Leur embouchure n'est pas toujours facile à reconnaître.D'abord, elle se trouve souvent dans les partiesles plus larges <strong>du</strong> fleuve, <strong>et</strong> parfois dans les anglesrentrants. Aucun mouvement <strong>du</strong> sol ne les signale,carleurs bords ne s'élèvent pas au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> plaines marécageusesqui les entourent. Les plantes aquatiques <strong>et</strong> leshautes Graminées qui les recouvrent, ne perm<strong>et</strong>tent pasd'en déterminer avec précision l'ouverture <strong>et</strong> l'éten<strong>du</strong>e.Plusieurs ont été pendant longtempsconsidérées(1) Flores décrit la laguna de Caracarà (lat. 17* 55' ) <strong>et</strong> celle de Yaibà(lat. 17» 48''. Carta al marques de Valdelirios, p. 18, daos la Coleccionde obras y documentas^ t. IV.


LE GRAND-CHACO. 419comme de véritables cours d'eau,<strong>et</strong> nous verrons qu<strong>et</strong>oute incertitude à leur égard n'a pas encore cessé.D'autres circonstances d'ailleurs s'opposent à une reconnaissanceexacte; <strong>et</strong> parmi elles, il faut placer en premièreligne les dispositions toujours équivoques, sinonhostiles <strong>des</strong> Indiens. L'eau de ces immenses maraisn'est pas agréable à boire; elle a souvent un goût saumâtre,<strong>et</strong> presque toujours c<strong>et</strong>te saveur désagréable queTon rencontre dans l'eau <strong>des</strong> lacs sans écoulement,dont la surface disparaît sous un réseau inextricable deplantes aquatiques.La couleur de c<strong>et</strong>te eau présente une teinte particulière.Quoique claire <strong>et</strong> limpide , elle paraît légèrementrousse <strong>et</strong> même un peu brune. La nature<strong>du</strong> lit <strong>des</strong> lagunes, formé par un limon ténu, noirâtre,gras au toucher, <strong>et</strong> leur faible profondeur entemps ordinaire, fournissent l'explication de ces propriétés.J'ai cru y r<strong>et</strong>rouver les caractères indiquéspar M. de Humboldt dans les eaux <strong>du</strong> rio Negro ;mais ici, à mon grand déplaisir, les moustiques voltigeaienten nuées épaisses,<strong>et</strong> ne me laissaient pas lecalme dont l'illustre naturaliste a si bien décrit lesdouceurs. Sur quelques points, ces marais fangeuxs'illuminent la nuit de flammes vacillantes, de ces feuxfoll<strong>et</strong>s dont la science a expliqué la nature en dissipantles terreurs superstitieuses qu'ils inspiraient.Les rivières qui se joignent au <strong>Paraguay</strong> par sonbord occidental , moins nombreuses que celles dela rive gauche <strong>du</strong> fleuve, ont un cours plus éten<strong>du</strong>,<strong>et</strong> une tout autre importance au point de vue <strong>des</strong> rela-


420 APPENDICE.lions inlernationales; <strong>et</strong> malgré les infructueuses tentativesd'exploration faites à plusieurs époques par lesgouverneurs espagnols, par les missionnaires de laSociété de Jésus, <strong>et</strong> tout récemment encore par lesmarins <strong>des</strong> États-Unis, il est permis de les considérercomme <strong>des</strong> voies naturelles de communication ouvertesentre l'Europe <strong>et</strong> les provinces centrales de laBolivie,<strong>des</strong>tinées, grâce à la vapeur, à faire disparaître dansl'avenir les coûteuses lenteurs <strong>et</strong> les dangers <strong>des</strong>voyages terrestres.En dehors <strong>des</strong> limitesque nous avons assignées auGrand-Chaco, le <strong>Paraguay</strong> reçoit par sa rive droite lerio Jaurii dont on a vu ( p. 36 ) l'importance <strong>politique</strong>.Aux termes <strong>des</strong> articles IX <strong>et</strong> X <strong>du</strong> traité <strong>du</strong>i 1 octobre 1 777 , la ligne de démarcation entre les possessionsHispano-portugaises devait être tirée <strong>du</strong> bordoccidental de l'embouchure de c<strong>et</strong>te rivière . dont lanavigation était exclusivement concédée auxsuj<strong>et</strong>s dela couronne de Portugal, <strong>et</strong> aller rejoindre l'embouchure<strong>du</strong> rio Sarare (I ). Sur ce point, nous le savons,comme sur les autres, le traité de 1777 est resté àl'état de l<strong>et</strong>tre morte, <strong>et</strong> l'empire transocéanique s'avancevers le S. jusqu'à Salinas, poste militaire élevéprès <strong>des</strong> sources <strong>du</strong> rio Barbados, un <strong>des</strong> aflluents del'Itenès.La navigation de ce tributaire de l'Amazone,ne commence qu'au village brésilien de Casalbasco ;mais de ce point à la ville <strong>du</strong> Para, sous l'Equateur,une navigation sinon facile,<strong>du</strong> moins possible, surtout(1) Lat. deremboiichurc <strong>du</strong> Jaurù 16» 2j .


I,E GRAND-CnACO. 421à Tépoque <strong>des</strong> crues (de janvier à mars), est depuislongtemps ouverte à l'aide de barques à fond plat, devingt-cinq à trente tonneaux, nommées garitcas (1).Le rio Otukis ou Oxukis, situé sur l'extrême frontière<strong>du</strong> Chaco, a pour branches d'origine les rios San-Rafaël <strong>et</strong> Tucabaca qui traversent le territoire <strong>des</strong>Missions chiquitéennes : il se joint au <strong>Paraguay</strong> sous le20® degré de latitude. C'est en remontant le cours dec<strong>et</strong>te rivière, que les PP. de la Compagnie se rendaientdans leurs établissements; <strong>et</strong> c'est par c<strong>et</strong>te voieque les Paulistes tentèrent à plusieurs reprises <strong>des</strong>intro<strong>du</strong>ire dans les provinces <strong>du</strong> Haut^Pérou. Legouvernement bolivien concéda à M. Manuel Luis deOliden (17 nov. 1832) un vaste territoire en lui imposantl'obligationd'ouvrir un port pour l'établissementde relations commerciales entre la Bolivie <strong>et</strong> les républiquesx^rgentines par le <strong>Paraguay</strong>. C<strong>et</strong>te concessionprit plus tard le nom de Province de Otuquis; maisje ne sache pas que ce proj<strong>et</strong> ait reçu un commencementd'exécution (2).Le rio Pilcomayo (3) qui limite <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> S. lapremière section <strong>du</strong> Chaco, a un cours d'une immenseéten<strong>du</strong>e. Né sous le. 19® parallèle, au N. de Potosi, ilcoule d'abord à l'E., passe au S. de Chuquisaca, se(1) d'Orbigny, Fragment d'un Voyage au centre de VAmérique méridionale,Paris, 1845, p. 182.(2) Voy. une brochure intitulée : Descripcion de la nueva provinciade Otuquis en Bolivia. Buenos-Ayres, 1843, in-4% avec une carte.(3) Pilco-mayo signifie eu lana;ue quichua , d'après le docleur Weddel, Rivière <strong>des</strong> moineaux. Ces deux luots ne dcriveraieut-ils pas au contrairede l'espagnol ?


422 APPENDICE.dirige ensuite obliquement au S. E., <strong>et</strong>, après avoirdécrit un arc dont la convexité regarde le N. E., il seréunit au <strong>Paraguay</strong> par 25** 22' 30" de latit. La directiongénérale de son cours est de N. 0. à S. E. Lesanciennes cartes <strong>et</strong> quelques-unes <strong>des</strong> plus récentesattribuent au Pilcomayo trois embouchures ;l'une presqueen face mais un peu au-<strong>des</strong>sous de la ville de l'Assomption; l'autre située par 25° 29' environ, au-<strong>des</strong>susde la Yill<strong>et</strong>a; <strong>et</strong> la troisième, intermédiaire aux deuxprécédentes (la seule que nous adm<strong>et</strong>tions), qui seprésente à la pointe méridionale de l'ile deLambaré, <strong>et</strong>se confond avec l'ouverture d'une lagune qui s'étendvers le N. N. E. On entre dans le Pilcomayo avec lerumb N. 40° : sa largeur est en ce point de 80 mètres;une partie disparait sous les roseaux <strong>et</strong> les plantes aquatiques.Les eaux peu rapi<strong>des</strong> de la rivière s'écoulententre <strong>des</strong> berges élevées de deux mètres. La rive gaucheprésente moins d'élévation que la droite; le courantdépasse à peine un mille à l'heure (1).En face <strong>du</strong> banc de grès rougeâtre que nous avonsdécrit sous le nom de punta de Itapyta (2), sont deuxîles basses qui masquent l'entrée d'une baie étroite,laquelle s'avance assez loin dans l'intérieur <strong>des</strong> terres.En l'explorant en compagnie <strong>du</strong> commandant Leverger,j'ai acquis la conviction que c<strong>et</strong> amas d'eau, àtort considéré comme la plus septentrionale <strong>des</strong> bouches<strong>du</strong> Pilcomayo, ne devait servir qu'en temps decrue. Sur le bord oriental de c<strong>et</strong>te lagune, au point(1) Leveuger, Mémoire inédit.{2) Chap. Vil, Orographie, p. 00.


LE GRAND-CHACO. 423OÙ elle commence à se rétrécir pour se perdre sousune forêt de hautes herbes, le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>entr<strong>et</strong>ient un poste de soldats,désigné sous lenom de « garde <strong>du</strong> Pilcomayo , » nom impropre quicontribue àcherchons àentr<strong>et</strong>enir l'erreur géographique que nousdétruire.Le cours <strong>du</strong> Bermejo (1), parallèle àcelui <strong>du</strong> Pilcomayo,mais plus sinueux, appartient presque entièrementau Grand - Chaco qu'il coupe diagonalement<strong>du</strong> 22® au 27® parallèle environ. Né dans les montagnesde Tarija, il traverse c<strong>et</strong>te ville, se grossit <strong>du</strong>tribut <strong>des</strong> rios de Salinas <strong>et</strong> Pescado; reçoit près dela ville d'Oran la rivière de Senta, cellede Santa-Maria,<strong>et</strong> le Rio-Grande de Jujuy, son principal affluent,dont les branches d'origine <strong>des</strong>cendent de la cime neigeuse<strong>des</strong> dernières ramifications de la chaîne <strong>des</strong>An<strong>des</strong>. Deux îles masquent son embouchure située par26° 51 50" ' de latitude, au-<strong>des</strong>sous de la Villa delPilarde Neembucu. Ses eaux restentdistinctes de celles <strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>, jusqu'à la hauteur <strong>du</strong> poste (guardia) de Tajy :on assure que, en temps de crue, celte séparation seprolonge jusqu'à la confluence <strong>des</strong> rios <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong>Paranà (2).Le Salado, limite australe <strong>du</strong> Chaco, prend sasource sous le 24® parallèle, <strong>et</strong> se joint au Paranà unpeu au-<strong>des</strong>sous de Santa-Fé, chef-lieu de la provincede ce nom, situé en face de la ville de Paranà (autre-(1) Rimere rouge ; eu guarani , Ypyta.(2) Lat. 27» 17' ; long. 61» 12'. Nous rectifions dès à présent la fauted'impression qui fixe c<strong>et</strong>te longitude à CU» 50'. Voy. Cliap. IX, p. 95.


42iAPPENDICE.foisLaBajafla), capitale de la Confédération Argentine,depuis la chute <strong>du</strong> général Rosas.Les trois rivières dont nous venons d'esquisser l'hvdrographie,ont <strong>des</strong> caractères communs; mais toutesne sont pas également importantes au point de vue <strong>des</strong>relations internationales. Coupées de rapi<strong>des</strong> dans lapartie de leur cours voisine de la Cordillère <strong>des</strong>An<strong>des</strong>, leurs eaux offrent ensuite une profondeur assezconsidérable, qui diminue à mesure qu'elles pénètrentdans le cœur <strong>du</strong> Cliaco, où l'horizontalité <strong>du</strong> soldonne à leur lit devenu plus large une profondeurmoindre, <strong>et</strong> une plus faible élévation à leurs rives, submergéesà de gran<strong>des</strong> distances par <strong>des</strong> crues périodiques.Ce lit lui-même se déplace, obstrué par le dépôt<strong>des</strong> terres, <strong>des</strong> arbres <strong>et</strong> <strong>des</strong> détritus incessammentarrachés par le courant dans les régions montueusesqu'il traverse. Mais de pareils obstacles étaient impuissantsà arrêter les nouveaux maîtres de l'Amériquedans leurs ardentes aspirations vers l'or <strong>et</strong> lesrichesses <strong>du</strong> Pérou. Les expéditions dirigées dansl'intérieur <strong>du</strong> Chaco par la voie de terre n'avaient pasabouti; <strong>et</strong> après le voyage malheureux <strong>du</strong> capitaineAndres Manzo , assassiné par les Indiens Chiriguanosdans les plaines qui ont gardé son nom (Llanos deManzo) ; après les tentatives infructueuses <strong>des</strong> PP. dela Compagnie de Jésus, résolument poursuivies pendantun siècle ; les gouverneurs <strong>du</strong> Tucuman, don AngelPeredo (1670-1675^, don Esleban de Urizar (1719),don J. Espinosa (1759), don Geronimo Matorras(^juin 1774), <strong>et</strong> son successeur le colonel Arias (juin


LE GRAND CHACO. 4251780), entreprirent <strong>des</strong> reconnaissances suivies pourtous résultats de la fondation de quelques Ré<strong>du</strong>ctionsbientôt abandonnées, sans que la traversée de c<strong>et</strong>Océan terrestre, <strong>du</strong> Tucuman à Corrientes, ait pu êtreeffectuée ; <strong>et</strong> sans avoir éten<strong>du</strong> la sphère <strong>des</strong> notionsacquises à la science sur c<strong>et</strong>te région encore inexplorée<strong>du</strong> Sud-Amérique (1).L'insuccès <strong>des</strong>premières expéditions terrestres fit songerà la voie <strong>des</strong> rivières, <strong>et</strong> parmi les voyages les plusimportants <strong>et</strong> les plus féconds en résultats, il faut citeren première ligne celui <strong>du</strong> P. Patinos de la Compagniede Jésus, qui, remontant le cours <strong>du</strong>Pilcomayo, seraitparvenu à quatre cent soixante <strong>et</strong> onze lieues de son embouchure,évaluation qui me parait comme au docteurWeddell (2) entachée de quelque grave erreur, malgréles méandres <strong>et</strong> les nombreuses sinuosités de c<strong>et</strong>terivière.Après le voyage <strong>du</strong> P. Castanares, jésuite, en 1741,suivi d'une autre tentative qui lui coûta la vie (3), unEspagnol nommé Casales entreprit de <strong>des</strong>cendre lePilcomavo avant sa sortie <strong>des</strong> Cordillères. L'embarcationfut bientôt submergée, <strong>et</strong> Casales n'échappa qu'àgrand'peine au naufrage.Azara ne fut guère plus heureux ;<strong>et</strong> parti <strong>du</strong> port del'Assomption le 6 août 1785, il y rentrait dès le 11,(1^ Nous ferons plus tard l'histoire <strong>des</strong> Missions fondées dans leChaco.(2) Ouv. cil., p. 34!.(3; Il fut assassiné par les indiens Mataguayos. Voy. la relation <strong>du</strong>P. Lozano, écrite le !•' mars 1747 <strong>et</strong> publiée dans les Lellresédi/iantes.


426 APPENDICE.les rameurs n'ayant pu vaincre la force <strong>du</strong> courant,contre lequel le secours <strong>des</strong> voiles devenait inutileparsuite de l'élévation <strong>des</strong> rives.Les récentes expéditions faites par ordre <strong>du</strong> généralBallivian dans lebut de <strong>des</strong>cendre le Pilcomayo jusqu'au<strong>Paraguay</strong>, une première fois sous la direction<strong>du</strong> général Margarinos, nommé Ministre plénipotentiaireà l'Assomption (1843); une seconde fois souscelle <strong>du</strong> Belge Yan Hivel , ont échoué par suite dela profondeur insuffisante <strong>des</strong> eaux pendant la saisonsèche; de la violence <strong>du</strong> courant en temps de cruedans les parties resserrées de la rivière, dont la directionse déplace parfois <strong>et</strong> disparaît au milieu <strong>des</strong> inondations;<strong>et</strong>par suite aussi de l'attitude hostile <strong>des</strong> Indiens.La navigation <strong>du</strong> Bermejo ne paraît pas offrir lesmêmes difficultés : il résulte <strong>des</strong> reconnaissances complètesde c<strong>et</strong>te rivière, faites en 1 780 par le P. Murillo<strong>et</strong> Arias, par le colonel Cornejo en 1790,<strong>et</strong> plusrécemment (1826) par Pablo Soria de la province deJujui, qu'elle ne présente aucun obstacle sérieux, <strong>du</strong>point où elle se grossit <strong>des</strong> eaux <strong>du</strong> Rio Grande à sonembouchure. Les itinéraires de ces trois voyageurs signalentseulement l'existence de rapi<strong>des</strong> que Soria désignesous le nom de Salto de ho; mais ils ne paraissentpas infranchissables. Nous devons ajouter que,moins heureux que ses devanciers, XAgent de la Compagnie<strong>du</strong> rio Bermejo (1 ) fut arrêté en débouchant(t,^ Informe del Comisionado de la Socicdad del rio Bermejo, a lossonores accionislas^ Buenos-Ayres, 1831, br. in-4v


LE GRAND-CHACO. 4.27dans le <strong>Paraguay</strong> par les sbires <strong>du</strong> dictateur Francia,qui confisqua ses papiers, <strong>et</strong> le r<strong>et</strong>int prisonnier pendantcinq ans.Nous regr<strong>et</strong>tons d'avoir à dire que la récente tentativefaite par la Commission scientifique Nord-américaine,chargée de faire l'hydrographie <strong>des</strong> affluentsde la Plata, n'a pas eu plus de succès. Le Pilcomayo,steamer de la force de douze chevaux, <strong>et</strong> calant vingtpouces, est entré dans le Bermejo en mai 1854. Aprèssix semaines de navigation, il n'était encore parvenuqu'à 45 lieues de l'embouchure. La force de sa machineétait impuissante à vaincre le courant de larivière,<strong>et</strong> la lenteur de c<strong>et</strong>te marche découragea bientôtles voyageurs qui renoncèrent à leur entreprise (1 ).Le 6 juill<strong>et</strong>, ils revinrent à l'Assomption avec l'intentionde modifier la construction de leur navire : ils enétaient partis le 1 7 mai. L'année suivante f mars 1 855),une expédition s'est faite en sens contraire, <strong>et</strong> M. CheneyHickman, appuyé par le gouvernement de la ConfédérationArgentine, a dû <strong>des</strong>cendre le Bermejo depuisOran. Nous ignorons encore à l'heure qu'il est le résultatde c<strong>et</strong>te exploration, <strong>et</strong> nous aimons à espérerque la nouvelle de la mort <strong>du</strong> hardi voyageur ne se confirmerapas.Après avoir quitté les eaux <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, l'expéditionaméricaine tenta la navigation <strong>du</strong> Salado <strong>et</strong> parvintjusqu'à Monte-Aguarà (2) au N. de Santa-Fé. Ar-(1) Revue coloniale, octobre 1855, p. 507 —; Semanario de avisos <strong>du</strong>8 juill<strong>et</strong> 1854, p. 8.(2) Latit. 31« 11'.


4-28 APPENDICE.rivés là, )e manque d'eau contraignit les officiers àrenvoyer à Buenos-Ayres le steamer la Yerba qui lesavait amenés , <strong>et</strong> à continuer leur voyage tantôt àcheval , tantôt sur <strong>des</strong> bateaux <strong>du</strong> pays. Cependantla partie navigable s'étend beaucoup au-<strong>des</strong>sus dece point, car à partir de Sandia-Paso, lesbords presquecoupés à pic, la largeur uniforme <strong>du</strong> lit, la profondeurconstante de la rivière, lui donnent l'apparenced'un canal aux méandres réguliers, creusé demain d'homme dans une couche épaisse d'argile quele courant polit sans l'entamer.L'importance <strong>des</strong> cours d'eausous le rapport commercial, nous imposait l'obligation de traiter longuementde l'hydrographie <strong>du</strong> Chaco. 11 n'en serapas de même de l'orographie de c<strong>et</strong>te immense région,sur laquelle la science ne possède encore que<strong>des</strong>notions partielles <strong>et</strong> trop incomplètes pour perm<strong>et</strong>trede la rattacher à un svstème £:jénéral.L'horizontalité de ces plaines sans fin dont l'élévationau-<strong>des</strong>sus <strong>du</strong> niveau de FOcéan se maintient,nous le savons, dans d'étroites limites, ne paraît interrompuepar quelques groupes de montagnes que<strong>du</strong> côté <strong>du</strong> N. <strong>et</strong> de l'O. Dans la première directionces chaînes peu élevées ne sont très-probablement que<strong>des</strong> dépendances <strong>du</strong> système chiquitéen d'A. d'Orbigny,<strong>et</strong> il est permis de considérer les plus occidentalescomme les dernières ramifications de la Cordillère <strong>des</strong>An<strong>des</strong>. Cependant la chaîne de Santa Barbara (lat. moy.2i° 30') paraît une émersion indépendante de ces deuxsystèmes. Laplanimétrie<strong>des</strong>régionscentrale <strong>et</strong> orientale


LE GRAND-CHACO. ^29n'est interrompue que par <strong>des</strong> élévations isolées,aiïectantla forme en pain de sucre ;ou par ces collines arrondies,à pentes douces, <strong>et</strong> couvertes de graminées, quenous avons décrites ailleurs sous le nom de lomas <strong>et</strong>de lomadas (I).Les considérations que nous avons développéesentraitant de la géologie <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, paraissent applicables,en partie, à la composition <strong>du</strong> sol <strong>du</strong> Grand-Chaco, qui appartient au système tertiaire de l'Amérique<strong>du</strong> Sud. Le bassin tertiaire <strong>des</strong> Pampas s'étend jusqu'aupied <strong>des</strong> collines primitives de la province de Cbiquitos,<strong>et</strong> se prolonge jusque dans le bassin de l'Amazone.Au-<strong>des</strong>sus de la roche massive de grès dont nous avonssignalé la direction (p.75), viennent <strong>des</strong> couches d'argileplastique, ferrugineuse, ou de silice, tantôt distinctes,tantôt mélangées, <strong>et</strong> situées à <strong>des</strong> profondeursvariables au-<strong>des</strong>sous d'une couche marneuse dont l'imperméabilitéen r<strong>et</strong>enant les eaux à la surface <strong>du</strong> sol,donne naissance aux lagunes qui couvrent ses vastesdépressions. L'existence de c<strong>et</strong>te marne coupée près<strong>des</strong> rives <strong>du</strong> Salado par <strong>des</strong> amas puissants de calcairecoquillier,a été signalée dans la province d'Entre-Riospar M. le docteur Martin de Mussy (2). Elle est recou-(1) Voy. Chap. VI, Orographie. Configuration <strong>et</strong> composition <strong>du</strong> «oi,pag. 57-65.(2) El Nacional argentino (journal publié à Parauà), n"* 162, 163 <strong>et</strong>164, décembre 1854. M. Martin de Mussy, que j'ai eu le plaisir de connaîtreà Montevideo, doit publier prochainement, dit-on, le résultat <strong>des</strong>es intéressantes étu<strong>des</strong> sur la constitution géologique <strong>des</strong> provinces Argentines.Voy. sur le même suj<strong>et</strong> le Voyage dans l'Amérique mcridionale d'A. d'Orbigny, elles articles cités plus haut dei»o» dos 1" <strong>et</strong> 15 mars 1857.la Revue de Paris,


430 APPENDICE.verte par la nappe d'argile rougeâtre, ferrugineuse,qui porte le nom de limon pampéen (limo pampero),<strong>et</strong> qui paraît acquérir une grande épaisseur sur lesbords <strong>du</strong> rio Paranà. Ce limon disparaît lui-mêmesous le sol arable , composé tantôt d'argiles de naturedifférente, tantôt, mais plus rarement^ de sablequartzeux. Ces deux éléments, mélangés dans <strong>des</strong> proportionsinfiniment variables, sont parfois aussi remplacéspar une couche d'argile noirâtre, riche en détritusvégétaux <strong>et</strong> en sels de fer,mais imperméable, <strong>et</strong>qui s'oppose à l'infiltration de l'eausalée <strong>des</strong> lagunes.La salure <strong>des</strong> eaux est en eff<strong>et</strong> presque générale,<strong>et</strong> souvent assez prononcée, en temps de sécheresse,pour les rendre impotables. Le Salado traverse dansune partie de son cours <strong>des</strong> terrains bas, inondéspar les pluies estivales, <strong>et</strong> coupés de lagunes dontle lit imprégné de sels communique aux eaux de larivière dans laquelle elles se déversent, c<strong>et</strong>te salure quiles rend impropres aux usages domestiques. Ces maraisdésignés sous le nom de Saladillos, occupent d'immensessurfaces dans la province de Santiago delEstero. La nature de lamatière saline ne nous est pasconnue ; il est permis de supposer qu'elle varie suivantles localités :en parler plus longuement, ce seraitrépéter ce que nous avons dit (p. 87-89) <strong>des</strong> argilessalifères <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Les rares voyageurs qui ont traversé l'intérieur <strong>du</strong>Chaco, ceux qui, plus nombreux, en ont exploré seulementles frontières,sont unanimes à reconnaître quela monotonie <strong>du</strong> sol se r<strong>et</strong>rouve dans la végétation.


LE GRAND-CHACO. 4'31Us décrivent d'immenses savanes recouvertes à pertede vue d'espèces peu nombreuses de Graminées ; devastes agglomérations d'un seul <strong>et</strong> même arbre. Ainsi,les bois ne sont plus ici composés d'essences variées;mais les espèces se groupent çà <strong>et</strong> là en massifs d'uneincommensurable éten<strong>du</strong>e. Les forêts de Palmierspalmarès), formées de Palmiers Carondaïs aux feuillesen éventail (Copernicia cerifera), alternent avec cellesd'Algarobos (^algarobales). L'élégante Mimosée auxépines longues <strong>et</strong> résistantes, aux fleurs en chaton,qui porte le nom de Vinal, <strong>et</strong> dont les feuilles renfermentun suc astringent très-vanté contre les ophthalmies,croît surtout dans les terrains inondés (1). LeGaïac (Palo santo), le Palo borracho (Bombacée), leMistol à la ver<strong>du</strong>re persistante en hiver, <strong>et</strong> la plupart<strong>des</strong> végétaux dont nous avons décrit l'aspect <strong>et</strong> indiquéles caractères dans les chapitres consacrés à laflore <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, font un contraste par leur feuillageavec les Peupliers <strong>et</strong> les Saules qui ombragent les bordssinueux <strong>des</strong> rivières (2).-Ce que l'on sait de la faune <strong>du</strong> Chaco perm<strong>et</strong> <strong>des</strong>upposer qu'elle ne difl'ère pas sensiblement de celle<strong>des</strong> contrées voisines ; d'autre part, ce que nous avonsdit de la position astronomique , de l'altitude , de laconfiguration <strong>du</strong> sol, <strong>et</strong> de l'hydrographie, rapproché(1) la Weddell, pag. 272.(2) Voy. leschap.XV <strong>et</strong> XVI, Règne végétal. Des Dois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions.Il faut citer encore parmi les arbres les plus précieux celui qui fournitle Maté ou Thé <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, découvert en 1770 sur les pentes orientalesde la cordillère de Centa.


432 APPENDICE.de nos considérations sur lamarche de la températureau <strong>Paraguay</strong>, nous dispense de parler <strong>du</strong> climat <strong>et</strong>phénomènes atmosphériques.<strong>des</strong>Mais l'étude de l'homme a plus d'importance ; <strong>et</strong>l'<strong>et</strong>hnologie possède sur les peuples qui errent au milieu<strong>des</strong> solitu<strong>des</strong> américaines, <strong>des</strong> notions si incertaines, si confuses, que tout voyageur doit compte àla science de celles qu'il a pu acquérir, alors mêmeque leur caractère ne perm<strong>et</strong> pas d'en tirer <strong>des</strong> loisgénérales.En lisant les relations <strong>des</strong>premiers explorateurs <strong>du</strong>Chaco <strong>et</strong> celles <strong>des</strong> missionnaires ,en consultant leurscartes, on est surpris de la multitude de nations différentesdont les noms les surchargent. On serait tenté toutd'abord de regarder celte contrée comme couverte d'unenombreuse population. Or, il s'en faut bien qu'il ensoit ainsi ; <strong>et</strong> <strong>des</strong> voyageurs modernes ont dévoilé lescauses d'une erreur pardonnable à l'époque de la découverte,mais qui s'est perpétuée jusqu'à nous, pouravoir été repro<strong>du</strong>ite sans examen, sans contrôle.C'està Félix de Azara <strong>et</strong> à Alcide d'Orbigny que revientl'honneur d'avoir porté le flambeau de lacritique dansce chaos séculaire.Nous savons maintenant, à n'en pasdouter, que lapopulation totale <strong>du</strong> Chaco est peu considérable, <strong>et</strong>hors de toute proportion avec son éten<strong>du</strong>e. On peutmême dire que de toutes les régions de l'Amérique <strong>du</strong>Sud, celle-là est la moins peuplée; <strong>et</strong> que depuis la conquête,le nombre de ses habitants a sensiblement diminuépar suite <strong>des</strong> guerres intestines <strong>et</strong> <strong>des</strong> ravages de la


LE GRAND-CHACO. 433p<strong>et</strong>ite vérole. Ceci posé, est-il possible comme l'ontfait certains auteurs, d'estimer même approximativementle chiffre de c<strong>et</strong>te population ? Nous ne le pensonspas. Arenales (i) s'appuyant <strong>des</strong> itinéraires<strong>des</strong> vieuxvoyageurs <strong>et</strong> de documents conservés dans les archivesprovinciales, adm<strong>et</strong> qu'elle pouvait être vers le milieu <strong>du</strong>dernier siècle,de 103,000 âmes pour les sections septentrionale<strong>et</strong> centrale <strong>du</strong> Chaco, <strong>et</strong> de 30 à 40,000 âmespour la section comprise entre le Bermejo <strong>et</strong> le Salado.On pourrait se demander sice n'est pas imiter unpeu les géographes qui ne reculent pas devant uneévaluation de la population de l'Afrique centrale , <strong>et</strong>si de pareils calculs, hypothétiques au premier chef,loin de servir la science, ne nuisent pas à ses progrès :poursuivons.Azara considère toutes les tribus errantes sur c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>erre presque déserte,comme <strong>des</strong> subdivisions de dix-\sept nations principales, <strong>et</strong> il les nomme : il ne seraquestion ici que de celles que nous avons observées.J'ai déjà dit quelques mots <strong>des</strong> établissementsmilitairesfondés dans le Grand-Chaco par le gouvernement<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> de ses tentatives infructueuses de colonisation.Le premier remonte à la domination de l'Espagne.En 1792, le gouverneur Joaquin Alos sur l'ordre <strong>du</strong>vice-roide Buenos-Ayres qui prescrivait de s'opposeraux empiétements <strong>des</strong> Portugais vers le haut <strong>du</strong> fleuve,(1) Noticias histôricas y <strong>des</strong>criptivas sobre el gran pais del Chaco yrio Bermejo, de la pag. 83 à la pag. 110.28


4 Si APPENDICE.décida Térection d'un posle qui reçut le nom de fortBorbon, Azara en avait donné le plan ,<strong>et</strong> le lieutenantcolonelde cavalerie légère <strong>des</strong> milices Zavala y Delgadillos,fut chargé de son exécution. Il partit deTAssomption le 8 mars 1792, <strong>et</strong> le fort fut bientôtachevé (1).Élevé sur la rive droite <strong>du</strong> fleuve dont il domine lecours,mais à l'abri de ses inondations, ce fort consisteen un carré flanqué à chaque angle d'une tourellearmée d'un canon. Les logements <strong>des</strong> 20 ou 30 hommesqui composent la garnison, <strong>et</strong> les bâtiments <strong>des</strong>ervice, occupent le milieu de l'enceinte. De c<strong>et</strong>tepremière garde, où les étrangers qui veulent pénétrerdans l'intérieur <strong>du</strong> pays doivent s'arrêter pour y attendrela décision <strong>du</strong> gouvernement, jusqu'au Quartel(tel cerrito situé presque sous le parallèle de l'Assomption,il n'y a aucun établissement dans le Chaco.L'importance militaire <strong>du</strong> Quartel est à peu près nulle,comme celle <strong>du</strong> fort Bourbon ; mais <strong>des</strong>tiné d'abordà protéger contre les Indiens une ferme de l'État,il est devenu dans ces* dernières années le centred'une colonie française qui ne paraît pas avoir prospéré.Loin de là : <strong>et</strong> les procédés autocratiques <strong>du</strong>président Lopez contre les émigrés de la Nouvelle-(1) Lat. 21» r 26"; long. CO» 6'. Zavala a ren<strong>du</strong> compte de sa missiondans un Rotero déposé aut archives <strong>du</strong> gouvernement <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Les détails qui précédent sont extraits de ce rapport volumineux, suivi<strong>des</strong> instructions confidentielles données par le gouverneur Alos au suj<strong>et</strong><strong>du</strong> commerce fait par les Portugais de Cuyabà avec les Missions de Chiquito.s<strong>et</strong> accompagné de trois cartes manuscrites. L'une d'elles esld'Azara, dont le plan accompagne aussi le Rolero.


LE GRAND-CHACO. 435Bordeaux, ont donné lieu à <strong>des</strong> plaintes énergiques delapart de notre gouvernement, qui annonça par la voixofficielle <strong>du</strong> Moniteur, sa résolution de suspendrejusqu'à nouvel ordre la délivrance <strong>des</strong> passe-ports pource pays, où les vieilles coutumes de l'hospitalité castillaneparaissent tombées, depuis le Dictateur, dansun oubli profond.Plusieurs motifs m'ayant fait prendre la résolutiond'aller passer quelques jours au Quartel, j'en informaile Président qui voulut bien m<strong>et</strong>tre à mes ordresun canot <strong>et</strong> <strong>des</strong> marins. La voie de la rivière est pluslongue, mais elle est aussi plus sûre. Je quittai doncl'Assomptiondans un après-midi <strong>du</strong> mois d'août, <strong>et</strong>,après avoir passé la nuit dans un <strong>des</strong> postes de larive gauche (ils sont de ce côté très-rapprochés), jedébarquais de bonne heure le lendemain dans une clairièreouverte à travers les arbres qui bordent le fleuve.Là se trouvait un piqu<strong>et</strong> de soldats, d'où j'expédiai unexprès (chasque) au commandant <strong>du</strong> fort, qui vint à marencontre en m'amenant <strong>des</strong> chevaux <strong>et</strong> une escorte.C<strong>et</strong>te précaution, on le verra plus tard, trouvait sajustification dans les dispositions toujours équivoques<strong>des</strong> Indiens.Nous partîmes, <strong>et</strong> après une demi-heure de marche,nous aperçûmes le Quartel. L'emplacement <strong>du</strong> posteparaît bien choisi. Placé au centre d'une plaine découverte,sur une élévation peu considérable, maisd'où la vue s'étend sans obstacle, il est, de jour, àFabri d'une surprise. Grâce à l'exhaussement <strong>du</strong> sol,les pâturages qui l'environnent, d'excellente qualité.


436 APPENDICE.se trouvent hors de l'atteinte <strong>des</strong> inondations <strong>du</strong> tleuve,<strong>et</strong> les troupeaux y multiplient dans d'incroyables proportions.L'établissement consiste en un long bâtiment couverten paille, dans lequel logent, d'un côté, le commandant<strong>et</strong> son second {alferes) ; de l'autre, les soldats.Au milieu s'ouvre une large porte qui donne accès dansune pièce <strong>des</strong>tinée aux armes <strong>et</strong> aux munitions. J'y airemarqué un p<strong>et</strong>it canon de bronze, espèce de pierriermonté sur un affût de campagne. A ce corps de logisprincipal sont adossées d'autres dépendances consacréesaux usages domestiques.Une forte palissade faite de pieux hauts de 3 à4 mètres entoure le Quartel : l'espace qu'elle renfermeest un carré dont les côtés ont 80 mètres, avec <strong>des</strong>angles à pans coupés, garnis d'un banc sur lequel seplace une sentinelle dont la tête seule dépasse le somm<strong>et</strong><strong>du</strong> r<strong>et</strong>ranchement. Une espèce de cage, élevée surune poutre gigantesque, domine au loin la campagne.De jour, un soldat s'y tient; mais il en <strong>des</strong>cend vers lesoir, car par une nuit obscure les sauvages pourraientl'atteindre de leurs flèches en dépit de sa vigilance.La garnison se compose de vingt-cinq hommes prisdans toutes les armes, mais le plus ordinairementparmi les lanciers. Tous les deux mois, elle relève ledétachement placé près <strong>du</strong> fleuve, que sa faiblesse numérique,son isolement, <strong>et</strong> l'absence de clôture autour<strong>du</strong> rancho qu'il occupe, astreignent à un service <strong>des</strong>urveillance incessant <strong>et</strong> fort pénible.Il y aurait, en eff<strong>et</strong>, de l'imprudence à se fier aux


,LE GRAND-CHACO.iSTdispositions pacifiques <strong>des</strong> Indiens <strong>et</strong> à leurs démonstrationsamicales. Si leurs agressions ne sont pas continuelles;si <strong>des</strong> années s'écoulent souvent sans qu'onait à leur reprocher même une tentative de vol ;tout àcoup, profitant de l'obscurité profonde d'une nuit tempétueuse, ils apparaissent en ban<strong>des</strong> nombreusespoussent le cri de guerre , <strong>et</strong> lancent une grêle deflèches sur les sentinelles : puis, ils se r<strong>et</strong>irent enenlevant les troupeaux. Peu d'années avant ma visite,ils avaient ainsi dérobé plus de mille têtes de bétail(i).Ces brigandagespériodiques n'empêchent pourtantpas certaines relations de s'établir entre la garnison <strong>et</strong>ses irréconciliables ennemis. Parmi les tribus, il enest d'ailleurs qui portent aux blancs une haine moinsvivace : de ce nombre sont les Lenguas, qui viennentsouvent troquer <strong>des</strong> chevaux contre de l'eau-de-vie,<strong>des</strong> oranges, quelques épis de mais, ou de menus obj<strong>et</strong>sde fabrication européenne. Dans le court traj<strong>et</strong> <strong>du</strong>fleuve au poste, j'avais rencontré quelques Indiens dec<strong>et</strong>te nation, <strong>et</strong> sur le désir que j'exprimai de les voirde plus près, le commandant les invita à venir m<strong>et</strong>rouver. Dès le lendemain matin, ils accoururent : lapromesse d'une bonne ration d'eau-de-vie leur avaitfait faire diligence. Je recueillis alors sur eux <strong>et</strong> tout à(1) Ea chassant, mémo ea vuo <strong>du</strong> Quarte!, mon' domestique marchaitflanqué à droite <strong>et</strong> à gauche de deui soldats, qui le sabre au poing <strong>et</strong>la carabine sur l'épaule, le suivaient en vônlables gar<strong>des</strong> <strong>du</strong> corps daiisses nombreux détours. Le coujuiandaut avait exigé que je fisse usagepour mes promena<strong>des</strong> <strong>des</strong> mêmes précautions.


438 APPENDICE.l'aise, avec le secours d'un interprète, les renseignementsqu'on va lire :]¥atioii liensua. — Aujourd'hui très -peu nombreuse<strong>et</strong> presque éteinte , la nation lengua vit aunord <strong>du</strong> Pilcomayo, unie <strong>et</strong> mélangée aux Énimagas<strong>et</strong> aux Maclîicuys, à peu de distance <strong>du</strong> Quarîeî,Leurs ennemis actuels sont les Tobas unis aux Pitilagas,aux Chumipys <strong>et</strong> aux Aguilots (1). Ces derniersconstituent une horde nombreuse sur l'autre côté<strong>du</strong> Pilcomayo.C'est surtout avec les Machicuys que les restes de lanation lengua sont unis <strong>et</strong> confon<strong>du</strong>s. En eff<strong>et</strong>, ilsdisent ne plus former que douze familles, <strong>et</strong> le cacique<strong>des</strong> Mascoys est en même temps le leur. Ce cacique senomme Viskê. Les <strong>Paraguay</strong>os lui ont donné le surnomde Casacapyta, mot hybride formé d'un vocableespagnol <strong>et</strong> de pyta, rouge, qualificatif guarani. Ce surnomlui vient d'une casaque rouge dont lui fit présentun officier <strong>du</strong> Quartel. Le cacique ne difîere au resteen rien <strong>des</strong> autres Indiens, qui n'ont pour lui niégards, ni respect. A sa mort, son fils aîné lui succède.Si celui-ci est éloigné <strong>et</strong> marié, on choisit le suivant,le premier ayant paru renoncer à ses droitspar son éloignement. A défaut de fils , on prend unparent <strong>du</strong> défunt, <strong>et</strong> s'il n'en a pas, la nation tientl) r.ottcorlhojjraplic r&t celle dAzara. L<strong>et</strong>^Lcimiias diM-rit ; Mtiiacuas,Masc»ys, Ptliraraa^ Cliunipis vi (iaHlotcs.


LE GRAND-CHACO. 4.39conseil, <strong>et</strong> élève un autre Indien à la dignité vacante.Au reste, le cacique n'a de pouvoir qu'en temps deguerre pour con<strong>du</strong>ire la tribu au combat.Les Lenguas ont <strong>des</strong> payes ou médecins qui n'administrentaux mala<strong>des</strong> que de l'eau <strong>et</strong> <strong>des</strong> fruits^ <strong>et</strong>pratiquent <strong>des</strong> succions avec la bouche sur les plaies <strong>et</strong>les endroits douloureux. Us entremêlent c<strong>et</strong>te opérationde jongleries, <strong>et</strong> de chants accompagnés avec <strong>des</strong> calebasses(porongos) qu'ils secouent aux oreilles <strong>du</strong> malade.Ces porongos remplis de p<strong>et</strong>ites pierres , font unbruit assourdissant. Les payes sont en même tempssorciers, prédisent les événements, <strong>et</strong> lisent dansl'avenir.Les femmes se marient à un âge indéterminé, <strong>et</strong> leurconsentement suffit : rarement les parents s'opposentau mariage, <strong>et</strong> cependant il arrive quelquefois qu'ilsle font après sa consommation. Alors, le mari laisse safemme, <strong>et</strong> s'en va; rien de plus. Les parents donnentquelque chose à leurs enfants, hommes ou femmes,en les mariant, <strong>et</strong> continuent d'avoir avec eux <strong>des</strong>relations de famille. Ces relations m'ont paru être assezétroites, <strong>et</strong> l'attachement <strong>des</strong> père <strong>et</strong> mère pourleurs enfants, <strong>et</strong> de ceux-ci pour leurs parents, esttrès-grand. Le commandant n'a pu encore obtenird'en envoyer quelques-uns à l'Assomption. Ou l'enfant,ou le père, ou bien la mère, mais toujours l'un<strong>des</strong> trois refuse, quand les deux autres consentent àla séparation. Le mariage n'a jamais lieu entre parents.Je n'ai pu m'assurer si la coutume de se faireavorter avant terme existait chez les femmes <strong>des</strong> Lcn-


440 APPENDICE.guas, ainsi que l'assure Azara : l'extinction presquecomplète de la nation me le faitcraindre.Quelques femmes (la coutume n'est pas générale) s<strong>et</strong>atouent d'une manière indélébile à l'époque de la pubertéqui toujours est marquée par une fête. C<strong>et</strong>te iêteconsiste dans une réunion de famille, où les hommess'enivrent avec de Teau-de-vie s'ils ont pu s'en procurerpar échange, ou avec la liqueur fermentée (^chicha)qu'ils tirent <strong>des</strong> fruits de l'Algarobo.Le tatouage est pour les autres femmes <strong>et</strong> les hommes,une parure qu'ils prennent <strong>et</strong> enlèvent à volonté.Quelques pères renouvellent la fête à tous les anniversairesde la puberté de leur fille, mais seulement jusqu'àson mariage. Les femmes s'abstiennent rigoureusementde viande <strong>et</strong> de graisse aux époques de menstruation: elles ne mangent alors qu'un peu de mais ou demanioc.Leur tatouage indélébile consiste en quatre raiesbleues, étroites <strong>et</strong> parallèles ,qui tombent <strong>du</strong> haut<strong>du</strong> front sur le nez qu'elles suivent jusqu'à l'extrémitésans continuer sur la lèvre supérieure ; <strong>et</strong>en anneaux irréguliers, <strong>des</strong>sinés sur les côtés <strong>du</strong> frontjusqu'aux tempes exclusivement, sur les joues <strong>et</strong> lementon.Les deux sexes se percent les oreilles dès l'âge leplus tendre , <strong>et</strong> y passent un morceau de bois dont ilsaugmentent sans cesse le diamètre, de telle sorte quevers l'âge de 40 ans, ce trou offre d'énormes dimensions.J'en ai mesuré plusieurs, <strong>et</strong> j'ai trouvé pourmovenne, dans le sens lonujitudinal, G centimètres.Le


LE GRAND-CHACO. 441diamètre antéro- postérieur était un peu moins considérable.Ces morceaux de bois, pleins,sont irrégulièrementarrondis, <strong>et</strong> m'ont présenté dans leur plusgranddiamètre jusqu'à 4 centimètres 1/2. Souvent aussilesLenguas les remplacent par un long morceau d'écorced'arbre roulé en spirale comme un ressort depen<strong>du</strong>le : quelle que soit sa nature, ce morceau debois se nomme ilaskê (i ).Azara fait dériver le nom de Lengna, de la forme <strong>du</strong>barbote que portent les hommes. Étonné de ne plusrencontrer un seul Lengua avec le barbote, je leur aidemandé s'ils y avaient tous renoncé. Il paraît quepeu d'entre eux ont conservé c<strong>et</strong> ornement. Aucun deceux que j'ai vus n'en portait, <strong>et</strong> un seul, le plus vieux(le sergent), avait une cicatrice à la lèvre inférieure,mais si p<strong>et</strong>ite, qu'il devait l'avoir quitté depuis fortlongtemps, <strong>et</strong> étant encore enfant.Les Lenguas se peignent les cheveux qu'ils coupentsur le haut <strong>du</strong> front, <strong>et</strong> font une mèche, qui <strong>du</strong>milieu de la tête va rejoindre, en passant au-<strong>des</strong>sus del'oreille gauche, la masse réunie <strong>et</strong> attachée derrièrela tête avec un ruban ou une corde de laine. Cescheveux toujours noirs, droits <strong>et</strong> généralement longs<strong>et</strong> très-fins, soyeux même, sont donc tombants entre(1) Voici les dimensions moyennes de ceux que je possède :Grand diamètre 4 cent. 5 mil.P<strong>et</strong>it diamètre 4 » » »Circonférence 13 >» S »Le docteur Weddell a trouvé à c<strong>et</strong> affreux ornement un diamètre de8 ceutim. chez les Tobas qui le remplacent aussi par dos morceaux roulésde paille de mais {chola). Voyage dans le Sud de la Bolivie^ p. 301.


44-2 APPENDICE.les deux épaules. Les femmes ne réunissent pas ainsileur chevelure tous les jours. J'en ai vu plusieursqui la laissaient flotter. Au reste, s'ils se peignentquelquefois, on ne peut pas dire que les Lenguas aientsoin de leurs cheveux ; leur extrême malpropr<strong>et</strong>é s'yoppose. Il est en eff<strong>et</strong> impossible de rien voir de plussale que c<strong>et</strong>te nation, si semblable en cela aux autres.1Dans les jours de fête, les Lenguas se chargent latête de plumes d'autruches, <strong>et</strong> c'est alors aussi qu'ilsse peignent lecorps, <strong>et</strong> s'enivrent.A la mort d'un Lengua, on l'enterre avec ses vêtements<strong>et</strong> ses armes dans une fosse,<strong>et</strong> l'on tue tous seschevaux, en en gardant un pour sa femme, <strong>et</strong> un autrepour chacun de ses enfants.Les Lenguas ont pour armes un arc, <strong>et</strong> <strong>des</strong> flèchesqu'ils portent derrière le dos serrées dans un cuir. Ilsont aussi une hache qu'ils appellent hachagy (1), <strong>et</strong>qu'ils portent de la même manière. Ils tiennent à la«lain une makana, bâton fait de bois <strong>du</strong>r <strong>et</strong> pesant.A ces armes ils ajoutent encore une lance garnie defer, <strong>et</strong> quelques-uns les bolas <strong>et</strong> le lazzo. Ils sontexcellents cavaliers, montent à poil, avec leur femme<strong>et</strong> leurs enfants, plusieurs sur le même cheval, <strong>et</strong> ilsmontent à droite :les femmes comme les hommes. Ilsn'ont pas de mors <strong>et</strong> se contentent d'un morceau debois : ils font <strong>des</strong> rênes avec <strong>des</strong> flis de Caraguala.A. d'Orbigny place la nation lengua dans son rameaupampéen, à côté <strong>des</strong> Tobas <strong>et</strong> <strong>des</strong> Abipones; <strong>et</strong>0) Mot hybrido ciicoro; association d'cspaguol t'I do guaraui.


LE GRAND-CHACO. 443il faut convenir que les traits qu'il donne commecaractéristiques de ce rameau, s'appliquent parfaitementaux Lenguas.Ces Indiens sont de haute taille; voiciles mesuresque j'ai obtenues :Le sergent (de 45 à50 ans).i ^.82Un autre (de 40 à 45). .Un troisième (id.).Le fils <strong>du</strong> sergent (18 ans).Une femme (de 16 à 18 ans).Une autre (de 20). . . .7266756660ïmil.:aiU.La moyenne serait donc, pour les hommes^ de1'°,74, <strong>et</strong> pour les femmes, de l'^jGS.Leurs formes sont bien proportionnées, agréables,quoiqu'un peu grêles, en général, pourtant bienprises : de même que les Payaguàs, ils n'ont jamaisd'obésité.Leur couleur brun-olivâtre, plus foncée que celle<strong>des</strong> Tobas , leurs pomm<strong>et</strong>tes saillantes , de p<strong>et</strong>itsyeux, leur face large, aplatie, leur nez ouvert, un peuécrasé, une large bouche, de grosses lèvres, donnentà la physionomie de ces sauvages un aspect singulier,auquel ne contribue pas médiocrement une paired'oreilles tombant jusqu'à labase <strong>du</strong> cou, <strong>et</strong> chez quelquesindivi<strong>du</strong>s jusqu'aux clavicules (1). Les Lenguascomme tous les Indiens deviennent hideux en vieillissant.Le vêtement <strong>des</strong> hommes <strong>et</strong> <strong>des</strong> femmes consistait(1' Voy. l'Atlas.


444 APPENDICE.en quelques peaux d'animaux sauvages attachées autour<strong>des</strong> reins, <strong>et</strong> tombant jusqu'aux genoux. L'hiver, ilscomplètent ce costume avec <strong>des</strong> mantes de mêmenature, ou faites d'une étoffe grossière de coton, filépar les femmes à l'aide de fuseaux minces, <strong>et</strong> taillésdans un bois très-<strong>du</strong>r.Ils mangent de tout. Dans le voisinage <strong>des</strong> rivièresils ajoutent au pro<strong>du</strong>it de la chasse celui de la pèche,<strong>et</strong> s'emparent <strong>du</strong> poisson à l'aide <strong>des</strong> lignes qu'ilsfabriquent. Ceux qui ont le privilège d'entrer dans leQuartel, rôdent autour <strong>des</strong> or<strong>du</strong>res, les fouillent, <strong>et</strong> sej<strong>et</strong>tent avidement sur les reliefs de la table <strong>des</strong> soldats.A l'exemple<strong>des</strong> Payaguàs <strong>et</strong> <strong>des</strong> Indiens <strong>du</strong> Chaco,les Lenguas se procurent <strong>du</strong> feu par le frottementde deux bagu<strong>et</strong>tes de bois. Us s'accroupissent , fixentsur le sol à l'aide de leurs pieds une <strong>des</strong> bagu<strong>et</strong>tescreusée dans le sens de sa longueur de p<strong>et</strong>ites cavités<strong>des</strong>tinées à recevoir l'extrémité arrondie d'une secondebagu<strong>et</strong>te tenue verticalement entre les mains, <strong>et</strong> à laquellel'Indien imprime un mouvement de rotationrapide, analogue à celui d'un moulin<strong>et</strong> à chocolat.Bientôt, une poudre brune, semblable à de l'amadouenflammé, se détache; ils la reçoivent sur une lam.e decouteau, en approchent <strong>des</strong> herbes sèches <strong>et</strong> très-fines,soufflent, <strong>et</strong> la flamme pétille.On a vu plus haut l'étymologie <strong>du</strong> mot Lengiia. Nousdevons dire que c<strong>et</strong>te nation s'appelle elle-mêmeJuiadgc; que les Payaguàs lui donnent le nom deCadalu; lesMachicuys celui de Quiesmafjpipo; que les


LE GRAND-CHACO. 445Enimagas la nomment Cochahoth (1), <strong>et</strong> les TobasCocoloth.Quoi qu'il en soit, les Lenguas ont été de tout tempsennemis <strong>des</strong> Espagnols, <strong>et</strong> se sont courageusementopposés à la prise de possession <strong>du</strong> Grand-Chaco.Fière <strong>et</strong> vindicative, entreprenante <strong>et</strong> féroce, c<strong>et</strong>tenation avait su se rendre redoutable aux conquérantsqu'elle ne craignait pas d'attaquer sur leur territoire,<strong>et</strong> dont elle enlevait les troupeaux, en traversant lefleuve. Depuis leur extinction presque complète (2),si leurs mœurs ne se sont pas sensiblement adoucies,leur ardeur guerrière s'est refroidie, <strong>et</strong>, comme on l'avu plus haut, ils vivent en assez bonne intelligenceavec la garnison <strong>du</strong> Quartel. Toutefois, il nous reste àparler d'une attaque dirigée contre c<strong>et</strong>te dernière, àlaquelle ils paraissent ne pas être restés complètementétrangers.Quelques semaines s'étaient écoulées depuis monexcursion sur ce point, <strong>et</strong> je rentrais à l'Assomptionaprès un nouveau voyage dans l'intérieur <strong>du</strong> pays,lorsque j'appris que le Q^ar^el avait été l'obj<strong>et</strong> d'uneagression tout à fait imprévue de la part <strong>des</strong> tribus <strong>du</strong>Chaco, <strong>et</strong> qu'à la suite d'un engagement dans lequel(1) AzARA, Voyages, II, 148. Il dit plus loin (p. 157) que les Eoimagass'appellent eux-mêmes Cochahoth. 11 y a dans le premier ou dans le secondcas une erreur que la tra<strong>du</strong>ction espagnole publiée par le journalde Montevideo a repro<strong>du</strong>ite. Biblioleca del Comcrcio del Plala , 1840,t. II, p. 181-183.(2) « En 1794 c<strong>et</strong>te nation n'était composée que de quatorze hommes,<strong>et</strong> de huit femmes de tout âge, ce qui fait en tout vingt-deux indivi<strong>du</strong>s. »AzARA, Voyages^ II, 149.


446 APPENDICE.deux Indiens avaient trouvé la mort, les soldats avaientpu reprendre le bétail dérobé, <strong>et</strong> faire <strong>des</strong> prisonniersaussitôt dirigés sur la capitale,<strong>et</strong> confiés à la garde dela troupe dans la caserne de cavalerie située près del'arsenal <strong>et</strong> <strong>du</strong> port. L'occasion était on ne peut plusfavorable pour continuer mes étu<strong>des</strong> <strong>et</strong>hnographiques<strong>et</strong> les compléter : dès le lendemain j'accourais à lacaserne.Je trouvai, en arrivant, une douzaine d'Indienschargés de fers (grillos), <strong>et</strong> assis çà <strong>et</strong> là au milieu d'unecour étroite. Couverts de sordi<strong>des</strong> vêtements européens,de ponchos en guenilles,mauvaises couvertures ,ou drapés à l'antique dans deles prisonniers parmi lesquelsfiguraient deux enfants, l'un de huit ans, l'autre dequinze, paraissaient tristes <strong>et</strong> abattus. Ils gardaient unsilence profond, dont j'eus quelque peine à les tirer.A côté <strong>des</strong> Lenguas que j'avais vus au Quartel, ilyavait <strong>des</strong> Tobas <strong>et</strong> <strong>des</strong> Machicuys; mais quoique connu<strong>des</strong> premiers, ce fut en vain que mon interprète lesquestionna sur lemotif de leur agression.nration Toba. — Les Tobas nommés par lesEnimagasNatoco<strong>et</strong> , Yncanabacté par les Lenguas , <strong>et</strong>Guanlang dans la langue mataguaya, sont d'une taillegénéralement élevée <strong>et</strong> bien prise. J'en ai mesuré trois,<strong>et</strong> j'ai trouvé 1 '",81,1"', 77 <strong>et</strong> I'",7l (1). Leur systèmemusculaire est développé, <strong>et</strong>leurs membres bien con-(1) A. d'Orbigny en a mesuré de l'^.TS à i'^Jô, <strong>et</strong> donne pour moyennede leur taille l^.fiS. Celle <strong>des</strong> femmes était dans de belles proportionsrelatives (1",590 millim.}. Ouv. cil., p. ^0-97.


.LE GRAND-CflACO. 447formes se terminent, comme chez toutes les nations(lu Chaco, par <strong>des</strong> mains <strong>et</strong> <strong>des</strong> pieds à faire envie à<strong>des</strong> Européennes.Ils ont un front ordinaire, non fuyant; <strong>des</strong> yeux vifs,plus grands que ceux <strong>des</strong> Lenguas, <strong>et</strong> surmontés <strong>des</strong>ourcils minces <strong>et</strong> peu fournis : l'iris est noir. Ils nes'arrachent pas les cils. Leur nez, régulier, allongé,s'arrondit à son extrémité en s'élargissant un peu. Labouche légèrement relevée aux angles,mieux proportionnée,<strong>et</strong> moins largement fen<strong>du</strong>e que celle <strong>des</strong>Lenguas, est garnie de belles dents qu'ils conserventdans un âge fort avancé. Us n'ont pas non plus lespomm<strong>et</strong>tes aussi saillantes, <strong>et</strong>la face aussi large.Les Tobas paraissent aussi avoir renoncé à l'usage<strong>du</strong> barbote qu'ils portaient encore au tempsd'Azara : aucun d'eux n'avait de cicatrice à la lèvreinférieure (1). Leurs oreilles n'étaient pas percées (2).Us laissent croître <strong>et</strong> flotter librement leurs cheveuxsans les attacher. Quelques-uns cependant les coupentcarrément sur le front : c<strong>et</strong>te coutume existe mêmechez certaines femmes.La couleur de la peau moins foncée que celle <strong>des</strong>Lenguas, est d'un brun-olive, sans refl<strong>et</strong>s jaunâtres :au reste, j'avoue qu'il est très-difficile d'exprimer cesnuances sivariées de coloration.(1) A. d'Orbigny <strong>et</strong> le docteur Weddell ont fait la môme remarque.L'Homme, H, 101 ;— Voyage dans le Sud de la Bolivie, p. 301(2) «Us ont les oreilles p<strong>et</strong>ites. » (D'Orbigny, p. 97.) M. Weddell décritl'ornement qu'ils intro<strong>du</strong>isent dans le lobule démesurémout dilaté(p. 301). En présence de ces divergences, il faut adm<strong>et</strong>tre <strong>des</strong> coutumesdifférentes suivant les tribus.


kkSAPPENDICE.Rien ne pouvait distraire les hommes de leur taciturnité; à toutes nos questions leur physionomie restaitimpassible, froide <strong>et</strong> sérieuse.Quelques voyageursaccordent aux femmes encore jeunes un sourire gracieux,une figure intéressante; mais leurs traitsse déformentde bonne heure, <strong>et</strong> comme les hommes ellesdeviennent d'une laideur repoussante. En mêm<strong>et</strong>emps , le sein d'un volume normal , d'abord bienplacé, s'allonge au point de leur perm<strong>et</strong>tre d'allaiterleurs enfants qu'elles portent derrière le dos.Azara qui n'a recueilli aucun vocabulaire, <strong>et</strong> nepouvait dèslors tenir compte dans l'étude <strong>des</strong> nations<strong>du</strong> Chaco, de c<strong>et</strong> élément important, est tombé luimêmedans le défaut qu'il reproche aux autres, en multiplianthors de propos le nombre <strong>des</strong> nations qu'ildécrit. Je suis porté à adm<strong>et</strong>tre avec M. d'Orbigny,que les Tobas <strong>et</strong> les Mbocobis séparés par le savantvoyageur espagnol en deux peuples distincts, neforment réellement que deux tribus d'une même nationà laquelle il convient de réunir encore les Pitilagas <strong>et</strong>les Aguilots, qu'il en a séparés on ne sait trop pourquoi,après la <strong>des</strong>cription qu'il en donne (1 ).Ainsi réunie aux Mbocobis, la nation loba occupe,ou plus exactement, parcourt une éten<strong>du</strong>e considérable(1) II c'crit en parlant <strong>des</strong> premiers : « fax déjà dit que leur langageguttural, nasal <strong>et</strong> difficile, avait les mêmes phrases <strong>et</strong> les mêmes tournuresque celui <strong>des</strong> Tobas. Quant au reste, ils ressemblent en tout à cesmêmes Tobas. . . » ; <strong>et</strong> eu décrivant les seconds : « Je présume que c<strong>et</strong>tenation n'est peul-élrc pas essentiellement différente de celle <strong>des</strong> Mbocobis,parce que son langage est le même (sic), quoique Irès-mclangc dephrases <strong>et</strong> d expressions de l'idiome toba. » {Voyages, II, p. IGl <strong>et</strong>lf>2.)


(2) In Weddell, p. 302.29LE GRAND-CHACO. 449<strong>des</strong> plaines <strong>du</strong> Chaco. On la rencontre sur les bords <strong>du</strong>Pilcomayo, depuis son embouchure jusqu'aupied <strong>des</strong>premiers contre-forts <strong>des</strong> An<strong>des</strong>, où elle est en contact<strong>et</strong> souvent en guerre avec les Chiriguanos.Généralement noma<strong>des</strong>,les Tobas sont pêcheurs <strong>et</strong>chasseurs. Pour armes, ils ont <strong>des</strong> holas, <strong>des</strong> flèches, <strong>des</strong>makanas (1), <strong>et</strong> de longues lances armées de pointesde fer.Quelques-unes de leurs tribus, plus sédentaires,ajoutent les pro<strong>du</strong>its de l'agriculture à ceux de lachasse ;elles cultivent le maïs, le manioc <strong>et</strong> les patates.Les enfants <strong>des</strong> deux sexes vont nus; les hommes <strong>et</strong>lesfemmes portent une pièce d'étoffe enroulée autour<strong>des</strong> reins, ou se drapent dans un manteau fait de ladépouille <strong>des</strong> animaux sauvages. Les femmes ont pourornements <strong>des</strong> colliers <strong>et</strong> <strong>des</strong> bracel<strong>et</strong>s de perles deverre, ou de p<strong>et</strong>its coquillages ;<strong>et</strong> dans certaines tribus,les hommes s'entourent le corps de longs chapel<strong>et</strong>sblancs,composés de p<strong>et</strong>its fragments de coquilles arrondisen forme de boutons, <strong>et</strong> enfilés de manière àconserver une position uniforme (2).Les habitu<strong>des</strong> noma<strong>des</strong> <strong>des</strong> Tobas les obligent à(1) C'est ici le lieu de décrire en peu de mots les armes de ces Indiens.Les bolas consistent en trois boules réunies à un centre commun parune corde en cuir. Deux sont d'égale grosseur ; la troisième, plus p<strong>et</strong>ite,est tenue dans lamain <strong>du</strong> cavalier qui, après les avoir fait tournoyer au<strong>des</strong>susde sa tête, les lance dans les jambes de l'animal qu'il veut atteindre,<strong>et</strong> autour <strong>des</strong>quelles elles s'enroulent. Lazzo : longue corde tresséede cuir frais (crudo), terminée par un anneau en fer faisant nœud coulant,<strong>et</strong> fixée par l'autre extrémité à la selle. La makana est un gros bâton,fait de bois <strong>du</strong>r <strong>et</strong> pesant ;on s'en sert comme d'un casse-tête. Quelques-unesont une pointe légèrement aplatie, <strong>des</strong>tinée à creuser dans lesol les trous qui reçoivent les grains de mais.


450 APPENDICE.construire <strong>des</strong> cases (toldos) d'une extrême simplicité.Ces huttes sont faites de branches ou de bambous fichésen terre autour d'un espace circulaire, réunis<strong>et</strong> attachés au somm<strong>et</strong>, <strong>et</strong> recouverts de feuillage. Onpénètre dans ces ruches, en rampant, par une ouvertureunique, basse <strong>et</strong> étroite.La circonstance à laquelle nous avons dû de r<strong>et</strong>rouverà l'Assomption ces hor<strong>des</strong> indomptables , laisseassez pressentir ce qu'il nous reste à dire de leursmœurs <strong>et</strong> de leurs habitu<strong>des</strong>. Les Tobas, fiers, jalouxde leur liberté,ont de tout temps montré <strong>des</strong> dispositionshostiles aux créoles, <strong>et</strong> n'ont cessé d'inquiéterleurs établissements; tantôt, en les attaquant à forceouverte, tantôt en pillant leurs troupeaux. Les villesde Corrientes <strong>et</strong> de Santa-Fé, c<strong>et</strong>te dernière surtout,ont eu beaucoup à souffrir de leurs déprédations. LesSantafécinos, aidés par les gouverneurs <strong>des</strong> provincesvoisines, ont à plusieurs reprises dirigé contre leurs ennemisimplacables de coûteuses <strong>et</strong> sanglantesexpéditions.C<strong>et</strong>te lutte entre la barbarie <strong>et</strong> la civilisation continuede nos jours, plus ardente que jamais. Un voyageurraconte que les Indiens ont fait sur les rives <strong>du</strong> Salade,<strong>du</strong> mois d'avril 1854 au mois d'août 1855, six invasionsqui ont coûté à la province de Santiago centtreize habitants emmenés comme captifs, ou assassinéssur place.Nulle sécurité pour les habitations éparses,ni même pour les villes. Ces hor<strong>des</strong> pillar<strong>des</strong>, quisavent doubler les forces <strong>et</strong> la vitesse <strong>du</strong> cheval, traversentcomme une avalanche d'immenses déserts,tombent tout à coup sur do pauvres familles, presque<strong>et</strong>


LE GRAND-CHACO. 451folles de frayeur, <strong>et</strong> sans défense. Qu'on suppose cesIndiens pourvus quelque jour d'armes à feu , <strong>et</strong> ilsviendront impunis asseoir leurs tentes sur les ruines<strong>des</strong> cités. En attendant que le croisement <strong>des</strong> races lesfasse entrer modifiés <strong>et</strong> adoucis dans la grande famillehumaine, l'imminence <strong>du</strong> péril oblige à <strong>des</strong> mesuresénergiques d'extermination dont l'intéressant récitnous entraînerait trop loin (1).Ennemis-nés <strong>des</strong> Espagnols, les Tobas tournent aussileurs armes contre les autres nations <strong>du</strong> Chaco. Ilssont souvent en guerre avec les Chiriguanos de laBolivie, leurs voisins au N. 0; <strong>et</strong> plus à l'O. avec lesMataguayos. Ils ont ainsi détruit presque entièrementlarace <strong>des</strong> Abipones, <strong>et</strong> contraint ses débris à se soum<strong>et</strong>treaux Espagnols qui les réunirent en 1 748 dans laMission de San-Geronimo. Mais en 1770, les Abiponesfurent obligés de traverser le Paranà pour se fondredans les peupla<strong>des</strong> de Las Garzas <strong>et</strong> de Goyaz (provincede Corrientes), où vivent de nos jours encore lesderniers <strong>des</strong>cendants de c<strong>et</strong>te nation, qui par ses caractères<strong>physique</strong>s,son langage <strong>et</strong> ses habitu<strong>des</strong>, se rapprochebeaucoup <strong>des</strong> Tobas <strong>et</strong> <strong>des</strong> Mbocobis. C'estvainement que les missionnaires ont tenté de former<strong>des</strong> Ré<strong>du</strong>ctions avec elle : nous ferons plus tard l'historiquede leurs infructueuses tentatives.Azara n'accorde aucune croyance religieuse aux Tobas(2). Si bornée qu'on la suppose, il paraît difficile(1) Voy. Revue de Paris, livraisons <strong>des</strong> 1" <strong>et</strong> 15 mars 1857.(2) « Us ne connaissent non plus ni divinité, ni religion, ni culte, nichefs, ni lois obligatoires. . . » ( Voyages, t. U, p. 164.)


452 APPENDICE.(le leur refuser Tidée (Vuno seconde vie, pendant faquelleils espèrent nager dans l'abondance <strong>des</strong> biensqui leur ont manqué ici-bas. C<strong>et</strong>te conviclion explique1 a coutume d'enterrer avec les morts les obj<strong>et</strong>s quipeuvent leur être utiles dans le monde pour lequel ilssont partis.Le P. Guevara va plus loin, <strong>et</strong> n'bésite pas à leur attribuerune notion assez n<strong>et</strong>te de l'immortalité de l'âme,,<strong>et</strong>celle d'un déluge de feu qui aurait englouti tous lesliommes à l'exception de quelques êtres privilégiés. \\raconte que les Mbocobis adm<strong>et</strong>tent l'existence d'unarbre assez élevé pour toucber aux cieux, <strong>et</strong> qu'ilsappellent naUiagdigua. Les âmes <strong>des</strong> morts montent debrandie en branche, <strong>et</strong> vont pêcher dans <strong>des</strong> lacsimmenses qui abondent en poissons savoureux. Unjour, l'âme d'une vieille femme ne put en prendreaucun, <strong>et</strong> d'autres pêcheurs ayant refusé de lui fairel'aumône, elle s'irrita contre la nation mbocobie, futchangée en capivara, <strong>et</strong> parvint à déraciner l'arbre enle rongeant (1).(1) Le même écrivain fait mention de l'existence reculée dans le Chacode géants qu'il regarde comme antérieurs au déluge, <strong>et</strong> de pygmées quin'oseraient pas quitter de jour leurs r<strong>et</strong>raites souterraines, de peur d'élredévorés par les oiseaux de forte taille. La science moderne a dévoilé lanature <strong>des</strong> os longtemps regardés comme d'antiques débris humains.Quant à la tradition séculaire <strong>des</strong> pygmées, il est curieux de la r<strong>et</strong>rouverrépan<strong>du</strong>e dans le Nouveau Monde. Parviendra-t-on à y découvrir unpeuple correspondant par sa p<strong>et</strong>ite stature aux Dokos <strong>et</strong> aut Wabilikimosde l'Afrique équatoriale, auxquels le docteur Krapf, missionnaire anglais,attribue une taille de 1 mètre à l",30, <strong>et</strong> qui viennent traflquer sur lesconfins de l'Ousambara? Voy. Ilisloria del <strong>Paraguay</strong>, p. 22, dans Colleccionde ohras y docu7nentos, t. 11 ;— liull<strong>et</strong>in de la Société de géographie,1856, t. XII, p. 280.


LE GRAND-CHACO. 453^laviiicu^s— Tout en adm<strong>et</strong>tant une identité presquecomplète entre lesTobas <strong>et</strong> les Mbocobis^ nous faisonsnos réserves jnsqu'à plus ample informé à<strong>des</strong> Machicuys, que M. d'Orbigny (1)l'égardregarde commeune tribu <strong>des</strong> Mbocobis <strong>et</strong> <strong>des</strong> Tobas dont ils parleraientla langue. Le tableau que nous donnons plusne perm<strong>et</strong> pas de partager c<strong>et</strong>te manière de voir.loin,A côté de ces ditTérences de langage, nous en trouvonsd'autres. Ainsi, plus sédentaires, agriculteurs, douésde mœurs moins faroucbes, les Machicuys serapprochent<strong>des</strong> Lenguas par lesdimensions extraordinaires<strong>du</strong> lobule <strong>des</strong> oreilles, par leurs armes <strong>et</strong> la manièrede combattre. Azara dit qu'ils s'en éloignent par laforme de leur barbote, lequel ressemblerait à celui <strong>des</strong>Charruàs. Nous répéterons ici l'observation que nousavons faite précédemment : aucun <strong>des</strong> Machicuys quenous avons vus ne présentait la cicatrice de l'ouverture<strong>des</strong>tinée à recevoir ce sauvage ornement ,qu'ils abandonnentà l'exempleencore <strong>des</strong> Botocudos <strong>du</strong> Brésil,tandis que certaines peupla<strong>des</strong> de l'Ancien-Continentle conservent religieusement. C'est ainsi que les Berrys,nation noire <strong>des</strong> bords <strong>du</strong> Saubat, affluent de la rivedroite <strong>du</strong> Nil, se percent lalèvre inférieure pour y intro<strong>du</strong>ireun morceau de cristal de plus d'un pouce.La taille, les formes, les proportions <strong>des</strong> Machicuys,sont celles <strong>des</strong> Lenguas. Comme eux, ilsont de p<strong>et</strong>itsyeux, la face large, une grande bouche, le nez épaté, lesnarines ouvertes. Ils laissent flotter leurs cheveux, dont{i) ïbidcm. p. 94.


1."anthropologie esl une yieuce née d'hier, à laquelle il faut <strong>des</strong> faits ;454 APPENDICE.les boucles épaisses couvrent en partie leur visage, <strong>et</strong>r<strong>et</strong>ombent sur leurs épaules (1).Le langage <strong>des</strong> nations dont nous avons esquissé lestraits principaux, est, comme celui de tous les Indiens<strong>du</strong> Chaco, très-accentué, <strong>et</strong> rempli de sons arrachésavec effort <strong>du</strong> nez <strong>et</strong> de la gorge : il présente <strong>des</strong> redoublementsde consonnes d'une extrême difficulté deprononciation.Dans l'idiome toba, <strong>du</strong>r <strong>et</strong> saccadé, les mots finissentsouvent en ic, en oc, plus souvent en ec <strong>et</strong> en a. Ilsoffrent de fortes aspirations inchoatives :les diphthonguesowa,aowe, sont communes. J'ai cru y trouver leson <strong>du</strong> ch français, contrairement à l'opinion de M. d'Orbigny.Je confesse avec empressement c<strong>et</strong>te divergence,car je me convaincs chaque jour davantage qu'il fautbien connaître deux langues pour saisir leurs rapports,reconnaître leurs affinités,ou apprécier les différencesqui les séparent. Sans partager l'opinion d'Azara, àl'égard de l'éloignement qu'il signale à chaque instantentre les idiomes <strong>des</strong> nations <strong>du</strong> Chaco, je crois commelui que la formation <strong>des</strong> vocabulaires est hérissée dedifficultés insurmontables. Comment, en eff<strong>et</strong>, représenterpar les l<strong>et</strong>tres de notre alphab<strong>et</strong>, les sons variés,extraordinaires , la phonologie, en un mot, de ceslangues, si étrange pour <strong>des</strong> oreilles européennes? Il(l) Je n'altachc pas uue valeur trop absolue à ces caractères, <strong>et</strong> il sepoul que les différences que je viens de sigualer fussent indivi<strong>du</strong>elles.leur appréciation viendra plus tard.


LE GRANU-CHACO. 455n'est pas même besoin d'aller chercher par delàrOcéan les preuves de c<strong>et</strong>te assertion :ne sommes-nouspas arrêtés chaque jour par rimpossibililé de rendre laprononciation <strong>du</strong> //i anglais, dn j( jota) <strong>des</strong> Espagnols?Or, il y a loin de ces sons à ceux qu'un Payaguà ou unToba arrache avec peine de son arrière-gorge (1).Azara le fait observer judicieusement, dans ces langues,la plupart <strong>des</strong> mots dictés à vingt personnes seraientécrits par elles de vingt manières différentes (2).Il faut ajouter que les Indiens parlent bas, qu'ils remuentpeu les lèvres, <strong>et</strong> ne cherchent pas à appelerl'attention par leurs regards.Ces réflexions m'obligent à reconnaître que l'éminentnaturaliste n'ayant recueilli aucun vocabulaire, <strong>et</strong>n'ayant pu dès lors contrôler ses observations par l'étudeimportante <strong>des</strong> langues, mérite lui-même le reprochequ'il adresse aux autres, pour avoir multipliésouvent à tort le nombre <strong>des</strong> nations qu'il a décrites.L'idiome <strong>des</strong> Machicuys toujours guttural <strong>et</strong>nasal,<strong>et</strong> très-assurément d'une rare difficulté de prononciation,n'offre cependant en cela rien d'exceptionnel, <strong>et</strong>j'aurais peine à m'expliquer ce qu'en dit Azara , sisa manière de voir en philologie m'était moins bienconnue (3).(1) Voy. ce que nous avous dit (p. 370-372) <strong>du</strong> langage de ces ludieus.« Chaque mot que le Toba pronouce, semble lui coûter uue souffraucc.VVeddell, Voyage dans le Sud de la Bolivie^ p. 328.(2) Voyages, t. H, p. 5.^3) « Leur langage est non-seulement nasal <strong>et</strong> guttural <strong>et</strong> différent d<strong>et</strong>ous les autres, mais encore les mots eu sont si longs <strong>et</strong> si pleins de syncopes<strong>et</strong> de diphthongucs, que Don Francisco Amansio Gouzales, qui a tâché


.,456 APPENDICE.Après les détails qui précèdent, il nous paraît intéressantde présenter dans un tableau, quelques expressionsempruntées aux langues <strong>des</strong> Indiens <strong>du</strong> Cliacoque les créoles <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> désignent indistinctementsous le nom collectif de Guaycurus (1), parce qu'ilssont excellents cavaliers : on pourra, en les comparant,apprécier les rapports ou la disparité de ces langues.Guarani. Lengua. Toba. Machicuy.Tabac. P<strong>et</strong>y. Penaky. Naciedec. Heqiiêna.Feu. Tata. Fîiêlé. Anodec. Tahasla.Oui. Nene. Héhé. Haha. Tahase.Non. Tobe. Ouélé. Haena. y>Yeux. Tésa. Hîtoho. Hiaétê. Harlec.Nez. Apyngua. Hinéhé. Hiecmic. »Bouche. Nandéiuru. Jliechi. Haiape. j>Pieds. Chepy . Hifhé. Hiapia. Hemenec.Doigts. Chequa. Hipecé. Ghiarala. Heptehec.Cuisse. Chena. Hito. Jlioleli<strong>et</strong>a. HehihohocMenton. Cheraniqua . Hiakélé. Hiakâ. »Dents. Chenai. Hiafué. Hiouvé. ))Cheveux . Chehava, Ilachânisi '. Hoqu<strong>et</strong>asa. »Oreille. Nambi. Ilicfué. Ilich<strong>et</strong>ehia. »Main. Cliepo. Hipès, lïiouvé. 9Femme.CuhaHefou. Halo. »de l'apprendre <strong>des</strong> Indiens qu'il avait chez lui, est étonné que leurs enfantsmêmes puissent venir à bout de l'apprendre. » Azara continue parune énumîration <strong>des</strong> tribus de c<strong>et</strong>te nation, qui sont au nombre de diiucuf.Nous en citerons trois I>a treizième s'appelle QuiquaUyeguaypon;la s.eizième, Yctcaguaycncne; la dix-huitième, Sanguotaiya''mocfttc : nous lions en tiendrons là. Voyages, H, 154, 155.(1) Ce nom était celui d'une nation vaillante, très-redoulablc à cheval,mais qui paraît aujourd'hui éteinte.


LE GRAND-CHACO. 457Je ferai suivre ce tableau de courtes remarques. Ony voit (l'abord que souvent les noms <strong>des</strong> différentesparties <strong>du</strong> corps commencent tous, dans la mêmelangue, par la même l<strong>et</strong>tre. Quelle est la cause dec<strong>et</strong>te singularité que j'ai signalée déjà dans l'idiome <strong>des</strong>Payaguàs, avec quelques exceptions dans celui <strong>des</strong>Guaranis, <strong>et</strong> que M. Weddell a constatée chez d'autresnations <strong>du</strong> Chaco, chez les Lecos <strong>et</strong> les Tacanas (1)?Il nous est impossible de décider si tous ces mots sontcomposés d'un même radical, ou si,comme M. d'Orbignyest porté à le croire, il faut voir dans c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>treinitiale la trace d'un pronom possessif.On r<strong>et</strong>rouve chez les Machicuys comme caractèrescommuns, <strong>des</strong> terminaisons en ec, une gutturationsaccadée, <strong>et</strong> de fortes aspirations. Mais évidemment lesnoms <strong>des</strong> choses ne sont plus les mêmes que dans lalangue toba. Ces différences persistent-elles dans lesrègles syntaxiques, dans le système de numération, enun mot dans le génie <strong>des</strong> deux langues? Ce que nousdisions tout à l'heure de la difficulté de leur étude, <strong>et</strong>d'une comparaison qui, pour être complète, exigerait<strong>des</strong> connaissances approfondies qu'aucun Européen n'ajamais possédées, nous dispense de tenter la solution dece difficileproblème.M. d'Orbigny a présenté un tableau contenant quelquesmots de la langue lubocobie. Nous allons lesplacer en regard <strong>des</strong> expressions correspondantes[i) Voyage dans le ISord de la Bolivie, p. 4G0. Les vocabulaires deplusicuii» nations brésiliennes, recueillis par M. de Casteluau, présententla môme particularité.


^58 APPENDICE. — LE GRAND-CHACO.extraites de notre vocabulaire toba. Leur comparaisonfournira une nouvelle preuve de l'identité de ces deuxpeuples. La différence ortbograpbique n'a besoin ni dejustification ni d'explication, après ce que nous avonsdit de la presque impossibilité d'exprimer de pareilsIsons à l'aide <strong>des</strong> ressources de notre alphab<strong>et</strong>.Toba fl). Mbocobi (2).Femme. Halo. Alo.Feu. Hiaété. Jade.IOreille. Hich<strong>et</strong>elua. Ik<strong>et</strong>ela.Yeux. Anodec. Anorec.Tels sont les caractères principaux de l'organisation<strong>des</strong> Indiens que nous avons pu observer. Dans la crainte<strong>des</strong> redites, je renvoie le lecteur désireux de plus amplesdétails, aux ouvrages que j'ai cités dans le courant dec<strong>et</strong>te notice, <strong>et</strong> à ceux qui trouveront place dans laBibliographie <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions.(1) Mots écrits par nous.(*2) Mots recueillis par A. d'Orbigny.FINDU TOME PREMIER.


.NOTES£TPIÈCES JUSTIFICATIVESDECRETDU 10 SEPTEMBRE 1814,PORTANT FIXATION DES LIMITES DES PROVINCES DECORRIENTES ET d'ENTRE-RIOS.Le Directeur suprême <strong>des</strong> Provinces-Unies <strong>du</strong> Rio de laPlata..La nécessité de réparer les désastres causés par les dissensions<strong>politique</strong>s <strong>et</strong> par la guerre, au commerce, à l'in<strong>du</strong>strie <strong>et</strong>à la population, est aujourd'hui l'obj<strong>et</strong> de tous mes soins. Ilimporterait peu d'avoir vaincu les ennemis de la patrie, siavantages de la victoire ne devaient pas tourner au profit <strong>des</strong>es habitants.L'immense territoire de l'Entre-Rios, <strong>et</strong> celui que comprennentles juridictions de Corrientes <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions, se trouventdans les circonstances qui ont ren<strong>du</strong> nécessaire la création d'unGouvernement-intendance dans la Banda oriental de l'Uruguay.Ces contrées sont baignées l'une <strong>et</strong> l'autre par de grandscours d'eau, <strong>et</strong>c.les


160 PIÈCES JUSTIFICATIVES.Article premier. Le territoire d'Entre-Rios avec tous sesvillages {pueblos)^ formera à l'avenir une province de l'État,sous c<strong>et</strong>te dénomination :Province de CEntre-Rios. Les limitesde c<strong>et</strong>te province seront :Au Nord, la ligne formée par le rio Corrientes entre le Paranà<strong>et</strong> l'Uruguay, depuis son embouchure dans le premierjusqu'à celle de Varroyo Aguarachy, <strong>et</strong> ce même ruisseau avecle Curuzu-Cuatia, jusqu'à sa jonction avec le Mirinay, dans lesenvirons de l'Uruguay.A VEsty l'Uruguay;Au Sud <strong>et</strong> à V Ouest, le Paranà.Article second. La ville de Corrientes <strong>et</strong> les villages <strong>des</strong> Missionsavec leurs juridictions respectives, formeront à l'avenirune province de l'État sous ce titre : Province de Corrientes.Elle aura pour limites :Au Nord <strong>et</strong> à VOuest, le Rio-Paranà jusqu'aux confins <strong>des</strong>possessions portugaises ;A VEsty le Rio Uruguay;Et au Sud, la ligne assignée plus haut, pour limite-nord à laprovince de l'Entre-Rios.Article troisième. (Réglemente l'administration de ces deuxprovinces sur le modèle de celle <strong>des</strong> autres.)Article quatrième. La ville de la Conception de l'Uruguaysera la capitale de la province de l'Entre-Rios ; <strong>et</strong> celle deCorrientes la capitale de la province <strong>du</strong> même nom. Les gouverneurs- intendants auront leur résidence dans ces villes ;mais en temps de guerre, <strong>et</strong> toutes les fois que les circonstancesl'exigeront, le gouverneur-intendant de Corrientesrésidera dans le village de Candelaria.Article cinquième. (Relatif à la nomination <strong>des</strong> députés, <strong>et</strong>c.)Article sixième. C<strong>et</strong>te ordonnance sera soumise à l'Assembléegénérale constituante <strong>des</strong> deux provinces pour être approuvée,<strong>et</strong>c..Donné à Ruenos-Ayres, le 10 septembre 1814.Gervacio-Antonio de Posadas.Nicolas de Herrera, secrétaire.Ce décr<strong>et</strong> a été sanctionné dans une séance extraordinaire


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 461<strong>des</strong> représentants de la province de Corrientes, tenue à c<strong>et</strong>eff<strong>et</strong> le 1" septembre 1832. Mais, tout en reconnaissant pourlimites celles fixées dans l'acte émané <strong>du</strong> Directeur suprêmeAntonio de Posadas, on a passé sous silence la désignation dela frontière-sud.L'acte d'approbation signé /. Francisco Cabrai, Président,<strong>et</strong> Rafaël de Àlienza , secrétaire par intérim, a été promulguépar D. Pedro Ferré, président de la province, le 3 septembre1832.


462 PIÈCES JUSTIFICATIVES.TRAITE DE LIMITESENTRE LA RÉPUBLIQUE DU PARAGUAY ET LA PROVINCEDE CORRIENTES.Le 30 juill<strong>et</strong> 1841, les consuls de la république (Carlos-AntonioLopez <strong>et</strong> Mariano Roques Alonzo), ont conclu avec Corrientesdeux traités :Le premier d'Amitié, de Commerce <strong>et</strong> de Navigation ;Le second de Limites.Ce dernier contient les dispositions suivantes :Art. I.Le territoire compris dans la juridiction de la Villa del Pilarjusqu'à Yabebiri, de ce côté <strong>du</strong> Paranà, est reconnu commeappartenant à larépublique <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Art.ILSans préjudice <strong>des</strong> droits de la république <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong>de ceux de la république Argentine, sont reconnues commedépendances de la première, les terres <strong>du</strong> campement appeléS. Jozé de la Rinconaday <strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions détruites [Pueblos estinguidos]yCandelaria, Santa Ana, Lor<strong>et</strong>o, San-Ignacio-Mini,Corpus <strong>et</strong> S. Jozé jusqu'à la Tronquera de Lor<strong>et</strong>o; <strong>et</strong> commedépendances de la seconde, San-Carlos, Apostoles, Martyres, <strong>et</strong>toutes celles qui sont dans le voisinage [en la costa) de l'Uruguay.Art. III.Les îles Apipé, Rorda, <strong>et</strong>c., appartiendront à Corrientes(quedan a favor de Corrientes), <strong>et</strong>c..Les envoyés correntinos étaient D. G°. Valdés, <strong>et</strong> D. J. MateoArriola.D. Pedro Ferré, gouverneur de Corrientes, autorisé par leCongrès (séance <strong>du</strong> 12 août 1841), ratifia ces deux traités le23 <strong>du</strong> même mois.


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 463BULLE DU PAPE ALEXANDRE Vï.4 MAI 1493.( Extrait )Alexander Episcopus servus servorum Dei :De nostrâ merâ liberalitate, <strong>et</strong> ex certâ scientiâ ac de apostolicaepotestatis plenitudine, omnes insulas <strong>et</strong> terras-firmasinventas <strong>et</strong> inveniendas, détectas, <strong>et</strong> d<strong>et</strong>egendas versus occidentem<strong>et</strong> meridiem, fabricando <strong>et</strong> constituendo unam lineama polo arctico scilic<strong>et</strong>septentrione ad polum antarcticum scilic<strong>et</strong>meridiem, sive terrae-firmae <strong>et</strong> insulae inventae <strong>et</strong> inveniendaesint versus Indiam aut versus aliamquamcumque parlem,quae linea distat à qualib<strong>et</strong> insularum quae vulgariternuncupantur de los Azores <strong>et</strong> cabo Verde centum leucis versusoccidentem <strong>et</strong> meridiem, itàquod omnes insulae <strong>et</strong> terrae-firmaerepertae <strong>et</strong> reperiendae, d<strong>et</strong>ectae <strong>et</strong> d<strong>et</strong>egendae à praefatâ lineâversus occidentem <strong>et</strong> meridiem, per alium regem aut principemchristianum non fuerint actualiter possessae usque ad diemNativitatis Domini nostri Jesu-Christi proximè pra<strong>et</strong>eritum, aquo incipit annus praesens M.CCCC.XCIII, quando fuerunt pernuntios <strong>et</strong> capitaneos vestros inventae aliquae praedictaruminsularum,auctoritate omnipotentis Dei nobis in beato P<strong>et</strong>roconcessâ ac vicariatùs Jesu-Christi quo fungimur in terris,cum omnibus illorum dominiis, civitatibus, castris, locis <strong>et</strong>villis juribusque <strong>et</strong> juridictionibus ac pertinentiis universis,vobis haeredibusque <strong>et</strong> successoribus vestris Castellae <strong>et</strong> legionibusregibus in perp<strong>et</strong>uum tenore praesentium donamus,concedimus <strong>et</strong> assignamus, vosque <strong>et</strong> haere<strong>des</strong>, ac subcesorespraefatos illarum dominos cum plenâ libéra <strong>et</strong> omnimodâpotestate, auctoritate, <strong>et</strong> jurisdictione facimus, constituimus.<strong>et</strong> deputamus :Aux indications bibliographiques que nous avons données(p. 20, à la note), nous devons ajouter que c<strong>et</strong>te bulle se trouveencore dans VArt de vérifier les dates de Warden, t. XIII, p. 3.


4G4 PIÈCES JUSTIFICATIVES.TRAITÉ DE TORDESILLAS.7 JUIN 1494.{ Extrai )Il plaît àci-<strong>des</strong>sus nommés en leur nom, <strong>et</strong>leurs Altesses, <strong>et</strong> les Commissairesen vertu <strong>des</strong> pouvoirs quileur sont confiés, accorderont <strong>et</strong> consentiront à ce qu'unelimite ou ligne droite soit établie <strong>et</strong> tirée à travers ladite merOcéane, d'un pôle à l'autre, <strong>du</strong> pôle arctique au pôle antarctique,c'est-à-dire <strong>du</strong> Nord au Sud; laquelle limite, ligne <strong>et</strong> bornese doit tir^r <strong>et</strong> se tirera droite, ainsi qu'il est dit, à trois centsoixante-dix lieues <strong>des</strong> îles <strong>du</strong> cap Vert <strong>du</strong> côté' <strong>du</strong> couchant, àl'aide de degrés, ou de toute autre manière meilleure <strong>et</strong>plusprompte, de façon à ce qu'il n'y en ait pas davantage. Tout cequi a été trouvé <strong>et</strong> découvert jusqu'à ce moment, <strong>et</strong> tout ce qui,dans l'avenir, sera trouvé <strong>et</strong> découvert par ledit roi de Portugal<strong>et</strong> sesvaisseaux, îles ou terre ferme, depuis ladite ligne-frontièreétablie comme il a été dit ci-<strong>des</strong>sus, en marchant <strong>du</strong> côté<strong>du</strong> Levant, dans l'intérieur de ladite ligne, au Nord ou au Sud,tant que c<strong>et</strong>te limite ne sera pas dépassée, que tout demeure<strong>et</strong> appartienne au roi de Portugal <strong>et</strong> à ses successeurs à perpétuité.Et que tout le reste, tant îles que terre-ferme , trouvéesou à trouver, découvertes ou à découvrir, qui ont été ou seraientrencontrées par les roi <strong>et</strong> reine de Castille <strong>et</strong> d'Aragon,<strong>et</strong>c., <strong>et</strong> parleurs vaisseaux, depuis ladite ligne établie enla forme susdite, en allant <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> Couchant, après avoirpassé la frontière, soit au Nord soit au Sud, que tout demeure<strong>et</strong> appartienne aux roi <strong>et</strong> reine de Castille <strong>et</strong> d'Aragon, <strong>et</strong>c.,<strong>et</strong> à leurs successeurs à perpétuité.Les Commissaires [Embajadores y Procuradores) étaient pourl'Espagne : D. Enrique, D. Guttierez de Cardenas, <strong>et</strong> le docteurRodrigo de Maldonado ;pour le Portugal : Ruy de Souza,D. Juan de Souza son fils, <strong>et</strong> Arias de Almadana.


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 465TRAITÉ PRÉLIMINAIRE DE LIMITESENTRE LES COURS d'eSPAGNE ET DE PORTUGAL,DU 1*^' OCTOBRE 1777.Art. I". Il y aura paix constante <strong>et</strong> perpétuelle, sur terre <strong>et</strong>sur mer, dans toutes les parties <strong>du</strong> monde, entre les nationsespagnole <strong>et</strong> portugaise, avec un oubli compl<strong>et</strong> <strong>du</strong> passé <strong>et</strong><strong>des</strong> offenses réciproques. A c<strong>et</strong>te fin, sont <strong>et</strong> demeurent ratifiésles traités de paix <strong>des</strong> 13 février 1668, 6 février 1715 <strong>et</strong>10 février 1763, comme si on les insérait mot à mot danscelui-ci, en tant qu'il n'est dérogé en rien à leurs dispositionspar les articles <strong>du</strong> présent traité préliminaire, ou par ceux queson exécution pourrait rendre nécessaires.Art. II, Dispositions relatives à la restitution <strong>des</strong> prisonniersde guerre, <strong>des</strong> armes <strong>et</strong> munitions.Art. III. Relatif à la cession par le Portugal à l'Espagnede la Colonie <strong>du</strong> Saint-Sacrement, <strong>et</strong> <strong>des</strong> deux rives de la Plata.Art. IV. C<strong>et</strong> article fixe la direction de la ligne- frontièredepuis l'embouchure de la Laguna de (os PatoSy ou Rio-Grandede San-Pedro, jusqu'au confluent <strong>du</strong> rio Pepiri-Guazù dansl'Uruguay, les Missions espagnoles de l'Uruguay devant appartenircomme par le passé à la couronne d'Espagne, dans l'étatoii elles se trouvent.Art. V. Les /a^wnas Merim <strong>et</strong> de la Manguera, ainsi que lesban<strong>des</strong> étroites de terre (lenguas)^ situées entre elles <strong>et</strong> l'Océan,sont déclarées neutres <strong>et</strong> serviront seulement de séparation,sans que les suj<strong>et</strong>s de l'une ou de l'autre couronne puissents'y établir.Art. VI. En vertu de la disposition contenue dans l'articleprécédent, un espace neutre est réservé jusqu'à l'embouchuredans l'Uruguay <strong>du</strong> rio Pepiri-Guazù, <strong>et</strong> au delà s'il y a lieu.est interdit aux deux puissances d'y élever <strong>des</strong> fortifications,30Il


466 PIÈCES JUSTIFICATIVES.<strong>des</strong> postes de troupes, ou même d'y construire <strong>des</strong> habitations.Art. VII . Il contient <strong>des</strong> stipulations en faveur <strong>des</strong> habitants,<strong>des</strong> officiers <strong>et</strong> soldats qui se trouveront dans les établissements<strong>et</strong> territoires que se concèdent réciproquement leshautes parties contractantes.Art. VIII. Les possessions <strong>des</strong> deux couronnes ayant été déjàdésignées jusqu'à l'embouchure <strong>du</strong> Pequiri ou Pepiri-Guazùdans l'Uruguay, les hautes parties contractantes conviennentque la ligne de démarcation remontera en amont de c<strong>et</strong>tevière jusqu'à sa source principale, <strong>et</strong> de là par les hauteursd'après les règles posées dans l'article VI ; elle suivra jusqu'à larencontre <strong>des</strong> eaux <strong>du</strong> rio San-Antonio qui se j<strong>et</strong>te dans leRio-Grande de Curitiba, nommé aussi Iguazù. Elle suivra lecours de c<strong>et</strong>te dernière rivière, en aval, jusqu'à son embouchuredans le Paranà par son bord oriental, <strong>et</strong> remonieraalors le lit de ce fleuve, jusqu'au point où il reçoit le rio Igureypar sa rive occidentale.Art. IX. Depuis l'embouchure ou jonction de l'Igurey, la lignesuivra jusqu'à sa source principale en remontant son cours, <strong>et</strong>de là il sera tiré une ligne droite par les hauteurs {por h masalto del terreno) conformément aux conventions stipulées enl'article VI déjà cité, jusqu'à rencontrer l'origine ou l'affluentprincipal de la rivière la plus rapprochée de c<strong>et</strong>te ligne, qui sej<strong>et</strong>te dans le <strong>Paraguay</strong> par son bord oriental, lequel sera peutêtrecelui que l'on appelle Corrientes. Alors, la ligne <strong>des</strong>cendrale cours de c<strong>et</strong>te rivière jusqu'à son embouchure dans le <strong>Paraguay</strong>,<strong>et</strong> de ce point remontera par le lit principal que suiventles eaux de ce fleuve en temps de sécheresse, jusqu'à larencontre <strong>des</strong> marais qu'il forme <strong>et</strong> que l'on nomme Lagunade los Xarayes, <strong>et</strong> traversera c<strong>et</strong>te lagune, jusqu'à l'embouchure<strong>du</strong> Jaurù (1).ri-(1) Voici le texte <strong>des</strong> deux articles qui coacerneat la fixatioQ <strong>des</strong> frootières<strong>du</strong><strong>Paraguay</strong>. Ils ne sont que la repro<strong>du</strong>ction presque textuelle <strong>des</strong>dispositions stipulées dans le premier traité signé à Madrid le 13 janvier1750.Articulo VIH.« Qucdando ya scùaladas las pertcnoncias de anibas coronas hasla la


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 467Art. X, XI <strong>et</strong> XII. Ces articles ont trait à la délimitation <strong>des</strong>possessions hispano-portugaisesdans les provinces de Mato-Grosso, de Moxos, <strong>et</strong> plus au nord, sur les bords del'Orénoque<strong>et</strong> <strong>du</strong> fleuve <strong>des</strong> Amazones.Art. XIII.Les dispositions qu'il contient, fort importantes,déterminent les conditions de la navigation <strong>des</strong> rivières. C<strong>et</strong>tenavigation sera commune dans les parties où les deux rivesn'appartiendront pas à la même puissance. Dans le cas contraire,elle sera la propriété exclusive <strong>et</strong> particulière de lanation qui les possédera toutes les deux (1).Art. XIV à XXIV inclus. Ils concernent la propriété <strong>des</strong> îlessituées dans les fleuves <strong>et</strong> les rivières, la nomination <strong>des</strong> commissaireschargés de l'exécution <strong>du</strong> traité, lacontrebande sur les frontières, la défense d'élever<strong>des</strong> fortificationsdans la partie où larépression de lanavigation est commune; les châtimentsà infliger aux criminels saisis en territoire étranger, laremise <strong>des</strong> esclaves fugitifs, la renonciation de la part <strong>du</strong>eDtrada del Pequiri, o Pepiri-Guazù en el Uruguay, se han convenido losAltos Contrayentes en que la linea divisoria seguirà aguas arriba de dichoPepiri hasta su origen priocipal, y <strong>des</strong>de este por los mas alto del tcrreDO,bajo las reglas dadas en el articulo VI ; continuarà à encontrar las corrientesdel rio San Antonio que <strong>des</strong>emboca en el Grande de Curitibà, quepor otro nombre llaman Iguazù : siguiendo este, aguas abajo, hasta suentrada en el Parauà por su ribera oriental , y continuando eutonces,aguas arriba del mismo Paranà, hasta donde se le junta el rio Igurey porsu ribera occidental.ArticuloIX.« Desde la boca ô entrada del Igurey seguirà la raya, aguas arriba deeste, hasta su origen principal; y <strong>des</strong>de el se tirarà una linea rectapor lo mas alto del terreno, con arreglo a lo pactado en el citado articuloVI, hasta hallar la cabecera 6 vertieute principal del rio mas vecinoadicha linea, que <strong>des</strong>agiie en el <strong>Paraguay</strong> por su ribera oriental, qu<strong>et</strong>alvez sera el que llaman Corrieutes. Y entonces bajarà la raya por lasaguas de este rio hasta su entrada en el mismo <strong>Paraguay</strong>, <strong>des</strong>de cuya bocasubira por el canal principal que déjà este rio en tiempo seco, y seguiràpor sus aguas hasta encontrar los pontanos que forma el no llaniado JaLaguna de los Xarayes, y atravesarà esta laguna hasta la boca del Jauru. »(1) Nous reviendrons sur la teneur de ce paragraphe, en faisant l'historique<strong>des</strong> négociations intervcaucs entre le Brésil <strong>et</strong> le <strong>Paraguay</strong>.


468 PIÈCES JUSTIFICATIVES.Portugal en faveur de l'Espagne, aux droits qu'elle pourraitavoir à la possession <strong>des</strong> îles Philippines <strong>et</strong> Marianes, <strong>et</strong> ce,nonobstant les dispositions <strong>du</strong> traité de Tor<strong>des</strong>illas, <strong>et</strong> celles<strong>du</strong> pacte conclu à Saragosse le 22 avril 1529; enfin la r<strong>et</strong>raite<strong>des</strong> troupes <strong>des</strong> territoires réciproquement concédés.Art. XXIV. Il dispose que les articles supplémentaires quipourraient devenir nécessaires pour l'interprétation <strong>et</strong> l'exécution<strong>des</strong> précédents, seront comme ceux-ciobservés invariablementpar les hautes parties contractantes.Art. XXV <strong>et</strong> dernier. Le présent traité préliminaire sera ratifiédans le délai formel de quinze jours àcompler de sa signature,ou plutôt si faire se peut.En foi de quoi, <strong>et</strong>c..El condede Floridablanca.D. Francisco Inoccncio de Souza Coutinho.Voy. aussi Warden, Art de vérifier les dates, t. XIII.INSTRUCTION ROYALKDU 6 JUIN 1778.(Extrait ) j« Les deux moitiés de la subdivision hispano-portugaise réuniesà l'embouchure de l'Igatimi, y commenceront la démarcationen le prenant pour frontière, puisqu'il n'y a dans lepays aucune rivière connue sous le nom d'Igurey, <strong>et</strong> quel'Igatimi est le premier rio volumineux [caudaloso] qui se joigneau Paranà par sa rive occidentale, au-<strong>des</strong>sus de sa grande cataracte.En remontant à sa source, on rencontre non loind'elleles branches d'origine d'une autre rivière qui se dirige au couchant,pour se j<strong>et</strong>er dans le <strong>Paraguay</strong> sous le nom d'Ipané. On laprendra pour limite, parce qu'il ne se trouve de ce côté aucuncours d'eau portant le nom de Corrientes. »


,PIÈCES JUSTIFICATIVKS. kddRAPPORTDE M.PLAISANTIngénieur <strong>des</strong> travaux de l'École impériale d'arts <strong>et</strong> métiers d'Aix,à M. leMinistre <strong>du</strong> commerce <strong>et</strong> <strong>des</strong> travaux publics.(extrait)EXAMENd'échantillonsde bois <strong>du</strong> PARAGUAYI. MOROSIMO.Le premier échantillon, le MorosimOy filamenteux commele chêne <strong>du</strong> nord, d'une couleur foncée acajou mêlée à <strong>des</strong>veines pailles <strong>et</strong> à quelques rares taches noires, ressemblebeaucoup après être verni, à l'acajou commun fort en usageen France, provenant <strong>du</strong> Brésil pays limitrophe <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Huileux par sa nature, la conservation <strong>du</strong> Morosimo doitêtre facile, car les parties attaquées par la varlope ou le rabotrestent légèrement onctueuses; sa <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é le rend très-difficileà travailler à l'outil tranchant; mais il devient uni <strong>et</strong> très-beausous le racloir. Il se laisse assez bien débiter en placage.Néanmoins les arrachements <strong>et</strong> les déchirements qu'y pro<strong>du</strong>isentà sa surface les outils tranchants, tels que rabots, varlopes,<strong>et</strong>c., le tiendront toujours dans un rang inférieur aux


470 PIÈCES JUSTIFICATIVES.bois qui sont mis en œuvre dans l'ébénisteiie de luxe. Toutefois,en raison de la ténacité de ses nuances, il peut être employéà l'ébénisterie ordinaire, <strong>et</strong> donner <strong>des</strong> meubles fortau-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> plus communs.II.PALO AMAUILLO.Le second échantillon, le Palo amarillo est bien supérieurau précédent; moins filamenteux <strong>et</strong>un peu moins compacte,il est d'une couleur bien plus agréable; car c<strong>et</strong>te dernièreplacée entre le jaune paille avant le vernis <strong>et</strong> le jaune safranaprès celui-ci, la lumière y pro<strong>du</strong>it <strong>des</strong> refl<strong>et</strong>s qui rendentc<strong>et</strong>te couleur changeante variant entre ces deux tons : cependantil est aussi difficile à travailler que le premier, soitavec le ciseau, soit avec la varlope; mais il se prête bienmieux au placage, ce qui peut le rendre très-précieux pour labelleébénisterie.Il peut être débité en feuilles excessivement minces, atten<strong>du</strong>qu'elles ne se tourmentent pas. Sans doute que la force d'adhérencequi dompte les fibres <strong>et</strong> les unit en faisceaux, est moinsgrande que la force de ressort qui tend à les éloigner les uns<strong>des</strong> autres, car ilest suj<strong>et</strong> à se gercer. On ne peut attribuer àune forte température c<strong>et</strong>te altération dans l'adhérence,puisque la latitude nord de la France, est presque double de lalatitude sud <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Le Palo amarillo se tourne bien, mais il se sculpte difificilement: le tampon y pro<strong>du</strong>it rapidement son eff<strong>et</strong>, ce qui est delaplus haute importance pour l'ébénisterie de luxe dans laquellece bois peut faire merveille.III.PALO ROSA.Enfin le troisième échantillon le Palo rosa est moins compacte,<strong>et</strong> a les fibres bien plus fines que celles <strong>des</strong> bois précédents.Ila une couleur rose pâle très-franche au moment qu'onle travaille ; mais abandonné aux eff<strong>et</strong>s pernicieux de l'air


sans être préalablement verni, ilPIÈCES JUSTIFICATIVES. 471prend bien vite une couleurfoncée qui a quelque analogie avec celle <strong>du</strong> bois <strong>du</strong> cormierde Provence.Verni <strong>et</strong> tamponné immédiatement après qu'on l'amis enoeuvre, il a une couleur rose tendre nuancée, on<strong>du</strong>lée, trèsagréableà l'œil. Mais il est très-fâcheux pour l'ébénisterie deluxe que le fond rose<strong>et</strong> les nuances que ce bois possède d'abord,ne conservent pas toute la fraîcheur qu'ils prennent sous leracloir <strong>et</strong> le tampon. En eff<strong>et</strong>,après un certain laps de temps,c<strong>et</strong>te couleur charmante dès que le Palo rosa est verni, pren<strong>du</strong>n ton dégénérant, sensiblement plus pâle, <strong>et</strong> devient presquesans éclat.C<strong>et</strong>te couleur rose ne se conservant pas, je doute fort quece bois puisse faire concurrence aux autres bois exotiques,qui sont déjà si bien connus par la belle ébénisterie française.Sa mise en œuvre offre les mêmes difficultés que l'on rencontrepour travailler les deux premiers.En me résumant par rapport à la spécialité de ces bois,sous le point de vue que j'ai considéré, ils peuvent être employésavec succès comme bois de placage, <strong>et</strong> donner <strong>des</strong>meubles qui seront à coup sûr recherchés par les amateurs <strong>du</strong>luxe <strong>et</strong> <strong>du</strong> confortable.Comme bois de construction ils ne laissent rien à désirer;on peut les compter parmi ceux de premier ordre sous le rapportde leur grande résistance à la flexion.Les expériences que j'ai faites confirmeront c<strong>et</strong>te opinion.J'ai d'abord déterminé leurs pesanteurs spécifiques pour avoirune idée de leur compacité, <strong>et</strong> les comparer aux pesanteursspécifiques <strong>des</strong> plus forts bois qui sont en Europe, <strong>et</strong> j'aitrouvé que :Le Morosimo pèse 905 kil. le mètre cube.Le Palo amarillo 886 idem.Le Palo rosa 842 idem.Ces nombres rapprochés de ceux quisont consignés dansles tables de M. Morin, dans son savant volume sur la résistance<strong>des</strong> matériaux, <strong>et</strong> qui appartiennent aux plus forts boisde chêne employés, tels que le chêne anglais, le chêne <strong>du</strong>


472 PIÈCES JUSTIFICATIVES.Canada, le chêne de Danzig <strong>et</strong> le chêne de l'Adriatique, dont les'^pesanteurs spécifiques sont respectivement] 934S 872 S 756<strong>et</strong> 993", le mètre cube, indiquent assez qu'ils diffèrent peu deces derniers.Les expériences faites pour expérimenter la résistance deces bois à la flexion ne sont pas moins concluantes.Voici les coefficients que j'ai obtenus :Esicnce. Coefficient d'élasticité. CocfEc. de rupture.Morosimo .: 1,103,057,905 kil. 10,134,927 k.Palo amarillo 1,223,296,198 10,278,406Palo de rosa 935,923,076 10,887,573Chêoe de Russie 791,025,637 9,513,747Chêne de Bourg 932,163,882 8,900,883Chêne vert de Provence 912,250,000 10,800.000Sapin résineux 1,518,750,000 11,475,000Cormier de Provence 926,503,730 12,141,205Les coefficients <strong>des</strong> quatre bois de chêne que j'ai choisispour comparer les pesanteurs spécifiques, sont :Chêne anglais 1,023,720,000 kil. 7,050,709 k.Chêne <strong>du</strong> Canada 1,511,530.000 7,447,100Chêne de Danzig 839,480,000 6,059,800Chêne de l'Adriatique 686,680,000 5,832,100L'examen de ces chiffres sert de conclusion, <strong>et</strong> prouve combienles bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> sont préférables, sous le rapport dela résistance à la flexion, à ceux que l'on emploie ordinairementdans les constructions de premier ordre.L'autre qualité essentielle à un bois de construction, seradéterminée par le temps qui fera connaître si ces bois résilent aux influences atmosphériques <strong>et</strong> si ces qualités essentielles,résistance <strong>et</strong> <strong>du</strong>rée, ne s'altèrent pas.La l<strong>et</strong>tre d'envoi ne donnant pas les prix de chacun de cesbois, il m'est impossible d'établir une comparaison de leurvaleur avec celle <strong>des</strong> bois généralement en usage on France,ot de savoir si un meuble ou une char[)enle faite avec les bois<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> reviendrait i)liis ou moins coûteux qu'avec lesbois mis en œuvre pour ce genre de travail.


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 473ÉCOLE IMPÉRIALE D'ARTS ET MÉTIERS D'AIX.ANNEXE AU RAPPORTSUR LES BOIS DU PARAGUAYADRESSÉA S. E. M. LE MINISTREUK l'agriculture, <strong>du</strong> commerce <strong>et</strong> <strong>des</strong> travaux publics,Le 20 février 1851.Monsieur le directeur,S. E. M. le Ministre de l' Agriculture , <strong>du</strong> Commerce <strong>et</strong> <strong>des</strong>Travaux publics vous ayant fait parvenir les renseignementsnécessaires pour compléter le rapport que j'ai déjà fait surtrois essences de bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, je vous adresse une annexeà ce rapport, laquelle m<strong>et</strong> en relief la différence <strong>des</strong> prix demeubles pareils, ou de deux charpentes pareilles, l'un construitavec les bois depuis longtemps en usage en France, <strong>et</strong>l'autre avec les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>.Mais avant de montrer c<strong>et</strong>te différence, je vais m<strong>et</strong>tre ci<strong>des</strong>sousles documents qui me servent de base pour établir lesprix de revient <strong>des</strong> bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, que je suppose ach<strong>et</strong>éspar un ébéniste ou un charpeniier à un marchand debois deMarseille, lequel aurait fait importer ces bois pour son compte.


^7^^ PIÈCES JUSTIFICATIVES.RENSEIGNEMENTSCONCERNANT LES BOIS DU PARAGUAY (1). |Extrait d'une dépèche de la Chambre de commerce de Marseille^ àM. le Ministre de l'Agriculture, <strong>du</strong> Commerce <strong>et</strong> <strong>des</strong> Travauxpublics,Le <strong>Paraguay</strong> possède beaucoup de bois de belleessence, soit pour la confection <strong>des</strong> meubles, soit pour lesconstructions civiles, <strong>et</strong> de l'espèce la plus <strong>du</strong>rable, dite incorruptible.On croit que l'extraction ne pourrait guère se faireque par Buenos-Ayres, par la voie <strong>du</strong> Paranà, mais on croitaussi devoir supposer que le transport par c<strong>et</strong>te voie, <strong>et</strong>avecles simples moyens usités dans c<strong>et</strong>te partie de l'Amérique,serait très-coûteux ; eu égard au peu de valeur de l'obj<strong>et</strong>, <strong>et</strong>en présence <strong>du</strong> fr<strong>et</strong> à supporter encore pour l<strong>et</strong>ransport dela Plata en France.On ajoute, à titre d'appréciation, pour tâcher de répondre àla question posée, que si, en fait, il y a <strong>du</strong> bois lourd à fair<strong>et</strong>ransporter de la Plata en France, on peut évaluer le fr<strong>et</strong> de50 à 60 fr. les 1,000 kilog., mais qu'on peut employer, pourdiminuer ce taux, le moyen consistant à diviser les parties àexpédier, de manière à ne donner à chaque navire que laquantité nécessaire, soit comme lest, soit comme fardage àm<strong>et</strong>tre sous les cargaisons de cuirs secs. On pourrait ainsiobtenir sur le prix <strong>du</strong> fr<strong>et</strong> une ré<strong>du</strong>ction notable, pouvantaller jusqu'à la moitié de ce prix : ce seraient là <strong>des</strong> combinaisonsà organiser sur les lieux de charge.(1) Les deux rapports de M. Plaisant, <strong>et</strong> tous les documents relatifs auxbois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, sont déposés aux archives de la Chambre de commercede Paris.


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 476Assomption, li novembre 1854.Monsieur le Ministre,La légation de Buenos-Ayres, sous la date <strong>du</strong> 26 septembredernier, me charge de faire savoir à V. E. le prix de revientde trois espèces de bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, sur lesquels l'École impériale<strong>des</strong> arts <strong>et</strong> métiers de la ville d'Aix a envoyé un rapportau département.Le prix de ces bois, en bonne condition <strong>et</strong> parfaitementsecs, serait sur la place de l'Assomption de :Morosimo jaune 1" long. 30 cent. carrés. 10 à 11 réaux.» rouge n » » 10 à 11 »n vert » » » 7 à 8 »Palo santo n » » 12 à 13 »Palo amarilio » » M 6 à 7 »La piastre forte vaut ici10 réaux, <strong>et</strong> le change sur France,varie de f. 5,60 à 5,80.Le droitd'extraction sur les bois de construction <strong>et</strong> d'ébénisterieest de 10 p. 100 sur prix de place.Le fr<strong>et</strong>de l'Assomption à Buenos-Ayres par les bateaux àvoiles <strong>du</strong> cabotage est fixé à 8 <strong>et</strong> 9 piastres le tonneau. Les bâtimentsà vapeur qui, jusqu'à ce jour, ont essayé c<strong>et</strong>te navigation,ont établi le fr<strong>et</strong> à 12 piastres.Je dois faire observer à V. E. que ces trois espèces de boisn'existent que dans le Haut-<strong>Paraguay</strong>, <strong>et</strong> qu'il faudrait peutêtrequelques mois, pour en obtenir une certaine quantité.Je suis, <strong>et</strong>c.{Signé) Comte de Braver.Cela posé, je prends d'abord le Morosimo rouge.Un mètrede long de ce bois avec une section carrée de 0, 3 de côté,coûte à l'Assomption, en moyenne, 10,5 réaux.Valeur <strong>du</strong> réal. — La piastre forte valant dans ce pays10 réaux, varie de 5 f. 6 à 5 f. 8, soit à 5 f. 7 en moyenne, leréal vaut donc f. 57.


476 PIÈCES JUSTIFICATIVES.Coût à l'Assomption <strong>du</strong> mètre cube <strong>et</strong>— La pièce de bois précitée coûte ainsi :<strong>du</strong> tonneau de Morosimo.f. 57 X 10, 5 = 5 f. 985.Ce morceau de Morosimo cubant 0,09, le prix <strong>du</strong> mètre5 f 985cube est de : tt-^—^^^ i= 66 f. 5.Le mètre cube de ce bois pesant 905 k., les 1000 kil.ou le^1000 X 66 f. 5 _^„ ,^tonneau vaut : rrrrz = /3 r. ao.yuoCoût <strong>du</strong> mètre cube <strong>et</strong> <strong>du</strong> tonneau de Morosimo sorti derAssomption. — Le droit d'extraction sur ce bois étant de10 p. 100, le prix <strong>du</strong> mètre cube, y compris ce droit, est de73 fr. 15, <strong>et</strong> celui <strong>du</strong> tonneau de 80 f. 828.Fr<strong>et</strong> de ces bois de VAssomption à Buenos-Àyres. — Le fr<strong>et</strong>oule transport <strong>du</strong> bois de l'Assomption à Buenos-Ayres étant :Par bateaux à voiles de 48 f. 45 ) Les 1,000 kilog.; le tonneau de ce boisPar bateaux à vapeur de 68 40 | ren<strong>du</strong> à Buenos-Ayres, revient donc à :Par bateaux à voiles 129 f. 28Par bateaux à vapeur 149 23<strong>et</strong> le mètre cube à :Par bateaux à voiles 116 f.99Par bateaux à vapeur 135 05Coût <strong>des</strong> trois essences de bois<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ren<strong>du</strong>es à Buenos-Ayres, — En faisant pour les deux autres bois les mêmes calculs<strong>et</strong> les résumant pour les trois essences, je trouve que cesbois ren<strong>du</strong>s à Buenos-Ayres valent :MOROSIMOROUGE.Par voiles, les 1,000 k 129f.29Par vapeur, les 1,000 k 149 23Par voiles, le mètre 116 99Par vapeur, le mètre 135 05Par voiles, les 1,000 k 99 50PALOÀMABILLO.Par vapeur, les 1,000. k 119 51Par voiles, le mètre 88 21Par vapeur, le mètre 105 88


PIECES JUSTIFICATIVES. 477PAtO ROSA ou SANTO.


478 PIÈCES JUSTIFICATIVES.PALOAMARILLO.Par voiles, les 1,000 k 146 12Par vapeur, les 1,000 k 167 91Par voiles, le mètre 129 44Par vapeur, le mètre 149 78PALOROSA OU SANTO.Par voiles, les 1,000 k 206 28Par vapeur, les 1,000 k 229 32Par voiles, le mètre 173 68Par vapeur, le mètre 192 99Les prix de ces bois ach<strong>et</strong>és chez un négociant de Marseille,étant déterminés d'une manière rigoureuse, ilceux <strong>des</strong> bois avec lesquels ilfaut les comparer.reste à connaîtrePrix de quelques bois en usage en France ach<strong>et</strong>és à Marseille.— Ces derniers bois pris chez le même négociant, sont :Acajou, 850k. le m. cube.Noyer, 680 k.Chêne de Bourgogne,850 k. le m. cube.Sapin, 550 k.Cormier, 900 k.Les 1,000 k 450 00Le mètre cube 382 50Les 1,000 k 161 80Le mètre cube 110 00Les 1,000 k 129 47Le mètre cube 110 00Les 1,000 k 154 54Le mètre cube 85 00Les 1,000 k 150 00Le mètre cube 135 00Comparaison sur une table à manger de 8 couverts, <strong>et</strong> observationssur la façon. — Actuellement, je prends d'abord une tableà manger pour 8 couverts, <strong>et</strong> je fais observer tout de suiteque la façon ou main-d'œuvre étant la même pour un mêmemeuble, quel que soit le bois, il ne s'agit seulement que defaire ressortir la différence <strong>des</strong> valeurs <strong>des</strong> bois employés.Pour une table de 8 couverts, il faut 0,08 de mètre cube debois, dont la valeur est :Pour l'acajou 0,08 X 382 f. 5= 30f.60Pour le noyer 0,08X110, » = 8,80Pour le chêne 0,08X110, »= 8,80Pour le sapin 0,08 X 85, » = 6,80Pour le morosimo rouge. 0,08 X 162, 16 = 12, 97Pour lepalo amarillo... 0,08 X 129, 44 = 10, 35Pour le palo rosa 0,08 X 173, 68 = 13, 89


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 479D'où il résulte de ces calculs qu'il suffit de j<strong>et</strong>er un coupd'œil sur ces chiffres, pour reconnaître que dans le rapprochementde ces prix, les trois essences <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> peuventlutter très-avantageusement avec Yacajou sous le rapport <strong>du</strong>prix; surtout le -palo amarillo qui est le plus beau <strong>des</strong> trois <strong>et</strong>que j'estime autant que \ acajou. Ils peuvent aussi, par le luxede leurs couleurs, rivaliser supérieurement avec le noyer, lechêne, le sapin; car la différence de prix avec \ acajou va de17 à 20 f.; c<strong>et</strong>te différence qui est presque la moitié de la valeur<strong>du</strong> meuble, façon comprise, vaut la peine qu'on s'enoccupe;tandis qu'avec le noyer, le chêne <strong>et</strong> le sapin, elle ne vaque de 4 à 7 f., différence presque insignifiante. Ainsi, d'unepart, grande supériorité sur Y acajou sous le rapport <strong>du</strong> prix,<strong>et</strong> d'autre part, grande supériorité aussi sur le no^jer, le chêne<strong>et</strong> le sapin sous le rapport de la beauté.Comparaison sur une commode non plaquée. — Le secondexemple queje prends est surune commode non plaquée. Pourtoutes les parties apparentes de ce meuble, le <strong>des</strong>sus étantmarbre, il faut environ 0,15 à 0,16 de mètre cube de bois, soit0,16; c<strong>et</strong>te quantité est double de celle de la table. Les prix<strong>des</strong> bois restant les mêmes, il est évident que la différence <strong>des</strong>valeurs <strong>des</strong> quantités de bois employés dans la commode estaussi double, <strong>et</strong> que tout ce que j'ai dit pour la table se répète,à plus forte raison, pour la commode non plaquée.Ilen serait de même pour tout autre meuble non plaqué.On voit donc, d'après cela, que plus la quantité de bois estgrande, <strong>et</strong> plus l'acajou s'éloigne sensiblement <strong>du</strong> prix <strong>des</strong>meubles faits avec les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. D'un autre côté, cesderniers conservent toujours, comme nouveauté, fraîcheur,nuance <strong>et</strong> couleur, leur supériorité incontestable sur le noyer^le chêne <strong>et</strong> le sapin.Considération. — Il estdonc bien prouvé, pour tout ce quiregarde le meuble non plaqué, que les bois de l'Assomptionintro<strong>du</strong>its en France, apporteraient un bénéfice réel à tousceux <strong>des</strong> négociants qui en feraient le commerce, <strong>et</strong> ajouteraientau nécessaire <strong>et</strong> au bien-être <strong>des</strong> populations, dont unegrande partie ne peut aborder les meubles dits de luxe, à cause<strong>des</strong> prix élevés auxquels ils sont cotés.en


480 PIÈCES JUSTIFICATIVES.Meubles plaqués. — De ce que le prix d'un meuble en acajounon plaqué, s'écarte d'autant plus <strong>du</strong> prix d'un même meubleen noyer ou en palo amarillo, qu'il entre de bois dans cemeuble, toutes choses égales d'ailleurs partout, ils'ensuit quedans le meuble plaqué où la valeur <strong>du</strong> placage employé esttrès-p<strong>et</strong>ite, l'acajou conserve ses droits à la concurrence ;pour une commode, un secrétaire, il faut seulement 5 <strong>et</strong> 8 fr.d'acajou environ, <strong>et</strong> 2 <strong>et</strong> 3, 5 fr. de palo amarillo^ les façonsétant toujours égales.carIl est donc visiblement impossible que la différence entreces derniers chiffres, différence très-minime sur un meuble deoOàSOfr., puisse apporter une différence sensible sur lesprix de vente de deux mêmes meubles plaqués, l'un avec l'acajou,<strong>et</strong> l'autre avec le palo amarillo.Donc, pour le meuble plaqué, les bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> ne pourrontlutter avec l'acajou que par la nouveauté <strong>et</strong> le ton variéde leurs couleurs, lesquelles sont au moins aussi agréables quecelles de ce bois, qui est sans variété dans le ton, <strong>et</strong> noircitconsidérablement avec le temps. Pour ce qui touche au noyer yau chêne <strong>et</strong> au sapiriy ils ne peuvent se m<strong>et</strong>tre en ligne avec cesbois exotiques, qui ont une supériorité non équivoque.Comparaison <strong>des</strong> prix de deux fermes ^ l'une en bourgogne, l'autreen palo -amarillo. — Jedois maintenant m'occuper <strong>des</strong> bois<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> touchant leur emploi dans les constructions civiles.Ici, pour être dans le vrai, je dois prendre en considérationleur grande résistance.(Suivent <strong>des</strong> calculs <strong>et</strong> <strong>des</strong> considérations techniques quiseraient sans intérêt pour la plupart de nos lecteurs.)C'est-à-dire que la digression que je viens de faire, m'a con<strong>du</strong>ità la conséquence suivante : les volumes de deux arbalétrierSfou de deux fermes^ qui sont construites dans les mêmesconditions, mais la première avec une espèce de bois,<strong>et</strong> la secondeavec une autre espèce moins résistante que la première, sont inversementproportionnels aux coefficients de stabilité.Or, comme les coefficients de stabilité sont proportionnels auxcoefficients de rupture, il s'ensuit que je puis déterminer lesvolumes <strong>des</strong> bois employés dans deux fermes, sans passer parles calculs qu'exige la résistance <strong>des</strong> matériaux, lorsqu'il s'agit


PIÈCES JUSTIFICATIVES. 481de connaître les dimensions <strong>des</strong> pièces d'une ferme; ce quim'aurait considérablement éloigné <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> que j'ai à traiter.Volume <strong>des</strong> fermes. —C'est-à-dire qu'une ferme en palo amarillo cubant 2"" 5,serait au moins aussi solide que la même ferme établie enchêne de Bourgogne, dont le cube serait de 3 mètres, toutesdeux dans les conditions précitées.Poids <strong>des</strong> fermes, — Le palo amarillo pesant 886 kil. lemètre cube, le poids de la ferme serait :2"* 5 X 886'^=: 2,215^Le bourgogne pesant 850 kil. le mètre cube, le poids de laferme serait :3" X 850" = 2,250".Différence <strong>des</strong> poids :2,550'' — 2,215»' = 335^Donc la ferme en palo amarillo serait plus légère deque Tautre.335 kil.Prix <strong>du</strong> bois contenu dans chaque ferme. — Le prix de ce dernierbois ach<strong>et</strong>é dans les magasins de Marseille étant de129 f. 44 c. le mètre cube, la ferme toute finie aurait pour :2- 5 X 139 f. 44 = 323 f. 60 de bois.Le prix <strong>du</strong> chêne de Bourgogne étant de 110 f.le m. cube,la ferme toute terminée contiendrait 3" X 110 f. = 330 f. debois.Différence <strong>des</strong> prix :330 — 323 f. 60 ^ 6 f. 40Donc, la ferme en palo amarillo coûterait 6 f.que l'autre, les façons étant égales.40 de moinsAinsi, la ferme en bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong> serait plus légère <strong>et</strong>moins chère que l'autre, deux conditions importantes que lesarchitectes <strong>et</strong> les ingénieurs savent toujours très-bien apprécier.Conclusions. — Enfin, étant arrivé au terme <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> que jem'étais imposé d'étudier, pour répondre aux renseignementsque désirait M. le Ministre sur les bois de l'Assomption, puis,osant espérer que j'aurai satisfait à tous les côtés de la question,31


482 PIÈCES JUSTIFICATIVES.<strong>et</strong> rempli, par c<strong>et</strong>te annexe, la lacune que présentait le rapportdéjà adressé à S. E., je termine en concluant, <strong>et</strong> suivantl'ordre que j'ai adopté, qu'il sera très-facile de reconnaître queles bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>, offrent beaucoup de chances de succès,pour être préférés aux autres bois en général en usage dansnos pays ;atten<strong>du</strong> : (Les conclusions de ce rapport ont étédonnées Chap. XV, p. 167.)Ces conclusions n'étant que le résumé très-succinct de ceque j'ai démontré dans le rapport <strong>et</strong> l'annexe que je necroyais pas faire aussi éten<strong>du</strong>e quand j'y ai mis la main, onpourra vérifier leur justesse, en consultant les nombres que j'aiobtenus, <strong>et</strong> en étudiant les bases qui les ont fait surgir.J'ai l'honneur d'être, <strong>et</strong>c.L'ingénieur chargé <strong>des</strong> travaux.Plaisant.Ail, le 28 septembre 1855.FINDES PIECES JUSTIFICATIVES.


TABLE DES MATIÈRESINTRODUCTION. — Feuilles détachées d'un journal de voyage. IXPREMIÈRE PARTIE.GÉOGRAPHIi: PHYSIQUE ET FOIiITIQUE.Chapitre I.— Position astronomique, circonscriplion <strong>et</strong> limites<strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong>. — Limites anciennes 1Chapitre II. — Contestations territoriales entre l'Espagne <strong>et</strong> lePortugal. — Bulle <strong>du</strong> Pape Alexandre VI. — Traités deSaragosse <strong>et</strong> de Tor<strong>des</strong>illas (1493-1529) 17Chapitre III. — Contestations territoriales (suile). —Fondalionde la colonie <strong>du</strong> Saint-Sacrement.— Traités de Lisbonne<strong>et</strong> d'Ulrecht. — Convention de Paris. — Traité de Madrid(1529-1750) 27Chapitre IV. — Contestations territoriales (suite). — Soulèvement<strong>des</strong> Indiens Guaranis.— Convention de 1761. — Traité^de Paris. — Nouvelle guerre entre lePortugal <strong>et</strong> l'Espagne.— Traité préliminaire de limites de 1777. — Convention <strong>du</strong>Pardo (1750-1777) 37


<strong>des</strong>kSh-TABLE DES MATIÈRES.Chapitre V. — Contestations territoriales (suite <strong>et</strong> fin). —Obstacles à l'exécution <strong>du</strong> nouveau traité. — Instructionsroyales de 1778 <strong>et</strong> de 1793. — État de la question au commencement<strong>du</strong> siècle (1777-1801) 45Chapitre VI. — Orographie. — Configuration <strong>et</strong> composition<strong>du</strong> sol 54Chapitre VII.—• Orograpliie. — Configuration <strong>et</strong> composition<strong>du</strong> sol (suite) 67Chapitre VIÏI. — Orographie. — Configuration <strong>et</strong> composition<strong>du</strong> sol (suite <strong>et</strong> fin) 79Chapitre IX. — Hydrographie. — Le Rio-<strong>Paraguay</strong> 90Chapitre X. — Hydrographie (suite). — Le Rio-<strong>Paraguay</strong> :ses affluents 103Chapitre XL — Hydrographie (suite). — Le Paranà <strong>et</strong> sesaffluents 118Chapitre XII. — Hydrographie (suite). — Navigation fluviale. 130Chapitre XIII. —Hydrographie. —Navigation fluviale (fin). 141Chapitre XIV. — Règne végétal. — Aspect de la végétation;caractères de la Flore 153Chapitre XV. — Règne végétal(suite). — Des bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions 164Chapitre XVI. — Règne végétal. — Des bois <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>des</strong> Missions (fin) 176Chapitre XVII. — Cliinalologi(î. — Considérations générales.— Division <strong>des</strong> saisons. — Marche de la température, <strong>et</strong>phénomènes atinosi»hériqucs qui la modilienl :<strong>et</strong>vents. . 192


TABLE DES MATIÈRES. 485Chapitre XVIII.-- Climatologie (suite). — Phénomènes atmosphériquesqui modifient la température : <strong>des</strong> Hydrométéores.— Phénomènes électriques. — Grêle 209Chapitre XIX. — Climatologie (fin). — Météores ignés. —Observations météorologiques 222Chapitre XX. — Zoologie. — Caractères de la faune <strong>du</strong> <strong>Paraguay</strong><strong>et</strong> <strong>des</strong> Missions. — Des mammifères 234Chapitre XXÏ. —Zoologie (suite). — Des oiseaux 255Chapitre XXII. — Zoologie (suite). — Des reptiles <strong>et</strong> <strong>des</strong>poissons 266Chapitre XXIII. — Zoologie (suite). — Des insectes 289Chapitre XXIV. — Zoologie (fin). — Des animaux domestiques294Chapitre XXV. — Ethnologie <strong>et</strong> Poiîulalion. Considérationsgénérales. — Uace latine ou conquérante. — Race guaranieou autochthone 317Chapitre XXVI.— Ethnologie <strong>et</strong> Population.— Race importée :<strong>des</strong> Noirs <strong>et</strong> de l'esclavaere 338*oChapitre XXVII. —Ethnologie <strong>et</strong> Population (suite). — Nationsinsoumises : les Payaguàs 352Chapitre XXVIII. —Ethnologie <strong>et</strong> Population (suite). — Statistique.— Distribution de la Population 374Chapitre XXIX. — Ethnologie <strong>et</strong> Population (suite).— Caractèresphysiologiques <strong>et</strong> moraux 390Chapitre XXX. — Ethnologie <strong>et</strong> Population (fin). — De lalangue Guaranie 403


486 TABLE DES MATIÈRES.APPENDICE.LE GRAND-CHACO. Coup d'oeil sur c<strong>et</strong>te contrée. — Élu<strong>des</strong><strong>et</strong>hnographiques sur les nations qui l'habitent 415NOTES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES 459TABLE DES MATIÈRES.FIN DE LA TABLE DES MATIERES.


ERRATA.Page. Ligne. Au lieu de•Lisez:LVl 5 France La France.17 3 (titre) Traité Traités.27 2 (litre) Traité Traités.40 21 Charles II Charles III.95 23 27» 16' de lat. <strong>et</strong> les 600 50' 27* 17' <strong>et</strong> les 61» 12'.135 23 méditerranéenne inéditerranée.341 18 Après la paix A la paix.396 12 (note) tocar <strong>et</strong> violino tocar el violin.409 21 substituent à l'y la double substituent l'y à la double429 23 M. Martin de Mussy M. Martin de Moussy.429 4 ( note ) M. Martin de Mussy M. Martin de Moussy.453 21 Berrys Berry.


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