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Dossier pédagogique ENTRE LES MURS - cineclass

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DOCUMENTS D’ACCOMPAGNEMENTFrançaisCorpus :Un bon et un mauvaisusage de la languefrançaise : la questionde la normedocument 1 : Annie ERNAUX, LaPlace (1983)Dans La Place, Annie Ernaux racontela vie de son père, ouvrier agricole enNormandie, puis modeste commerçant,mort au moment de l’écriture. Elle rapportenotamment le rapport que son pèreentretenait à l’égard du langage, trèsdifférent de son propre rapport à la langue,elle qui fut une bonne élève, puis uneétudiante brillante en Lettres modernes,avant de devenir professeur de français etfinalement écrivain.Le patois avait été l’unique langue de mesgrands-parents.Il se trouve des gens pour apprécier le« pittoresque du patois » et du françaispopulaire. Ainsi Proust relevait avecravissement les incorrections et les motsanciens de Françoise. Seule l’esthétiquelui importe parce que Françoise est sabonne et non sa mère. Que lui-même n’ajamais senti ces tournures lui venir auxlèvres spontanément.Pour mon père, le patois était quelque chosede vieux et de laid, un signe d’infériorité.Il était fier d’avoir pu s’en débarrasser enpartie, même si son français n’était pasbon, c’était du français. Aux kermessesd’Y…, des forts en bagout, costumés àla normande, faisaient des sketches enpatois, le public riait. Le journal local avaitune chronique normande pour amuser leslecteurs. Quand le médecin ou n’importequi de haut placé glissait une expressioncauchoise dans la conversation comme« elle pète par la sente » au lieu de « elleva bien », mon père répétait la phrasedu docteur à ma mère avec satisfaction,heureux de croire que ces gens-là,pourtant si chics, avaient encore quelquechose de commun avec nous, une petiteinfériorité. Il était persuadé que cela leuravait échappé. Car il lui a toujours paruimpossible que l’on puisse parler « bien »naturellement. Toubib ou curé, il fallaitse forcer, s’écouter, quitte chez soi à selaisser aller.Bavard au café, en famille, devant lesgens qui parlaient bien il se taisait, ou ils’arrêtait au milieu d’une phrase, disant« n’est-ce pas » ou simplement « pas »avec un geste de la main pour inviter lapersonne à comprendre et à poursuivre àsa place. Toujours parler avec précaution,peur indicible du mot de travers, d’aussimauvais effet que de lâcher un pet.Mais il détestait aussi les grandes phraseset les expressions nouvelles qui ne« voulaient rien dire ». Tout le monde à unmoment disait : « Sûrement pas » à toutbout de champ, il ne comprenait pas qu’ondise deux mots se contredisant. A l’inversede ma mère, soucieuse de faire évoluée,qui osait expérimenter, avec un riend’incertitude, ce qu’elle venait d’entendreou de lire, il se refusait à employer unvocabulaire qui n’était pas le sien.Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimerdans un langage châtié, j’avais l’impressionde me jeter dans le vide.Une de mes frayeurs imaginaires, avoir unpère instituteur qui m’aurait obligée à bienparler sans arrêt, en détachant les mots.On parlait avec toute la bouche.Puisque la maîtresse me « reprenait »,plus tard j’ai voulu reprendre mon père, luiannoncer que « se parterrer » ou « quartmoins d’onze heures » n’existaient pas.Il est entré dans une violente colère. Uneautre fois : « Comment voulez-vous queje ne me fasse pas reprendre, si vousparlez mal tout le temps ! » Je pleurais.Il était malheureux. Tout ce qui touche aulangage est dans mon souvenir motif derancœur et de chicanes douloureuses,bien plus que l’argent.Antoine PERRAUD : « Le français danstous ses états », Télérama, 6 décembre2000La paralysie saisit beaucoup d’usagersde notre langue au moment de discourir :ils craignent si souvent de ne pas être àla hauteur et font alors silence, ou bienbafouillent, ou alors se lancent dans descirconvolutions, que ce soit face à unmicrophone qui se tend, ou dans uneréunion d’entreprise, ou simplement augrand magasin, quand ils tombent sur unvendeur intimidant… De telles alarmesassaillent la majorité des locuteurs,jusqu’au sommet de l’échelle sociale.Prenons le président de la République.Personne n’a noté la chose, pourtant de la<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> 21

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