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Séquence pédagogique - Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur

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1Bonus : <strong>Séquence</strong> <strong>pédagogique</strong> : <strong>Ne</strong> <strong>tirez</strong> <strong>pas</strong> <strong>sur</strong> l’oiseau <strong>moqueur</strong>Harper LeeDossier <strong>pédagogique</strong> d’Isabelle AusserLA JUSTICE AMERICAINECe roman, si étudié dans les lycées américains, est aussi beaucoup cité par les juristes. AtticusFinch est en effet souvent considéré comme l’incarnation de l’avocat américain et le livre de HarperLee – fille et sœur d’avocats, elle avait, elle aussi, fait des études de droit – a donné lieu à des étudesparues dans de très sérieuses revues juridiques américaines 1 .Le roman de Harper Lee, écrit dans les années 1950, mais censé se dérouler dans les années1930, constitue effectivement une bonne introduction à un système juridictionnel très différent dunôtre et que, sans doute pour cette raison, nous avons tendance à critiquer. C’est oublier que lesdeux systèmes sont fondés <strong>sur</strong> des philosophies du droit différentes, elles-mêmes marquées parl’histoire.Les Américains ont hérité de la tradition anglaise, qui est en partie issue d’un legs germaniquetrès ancien. Notre système juridique est marqué par le droit romain – écrit –, puis par l’influence dela Révolution française et de Napoléon, qui l’ont uniformisé et ordonné, tendance déjà à l’œuvresous l’Ancien Régime.LA PROCÉDURE ACCUSATOIRE(Adversarial system)Elle s’oppose à la procédure inquisitoire, celle que nous pratiquons en France.Il est généralement admis que la procédure accusatoire tire son origine des duels judiciaires duMoyen Âge, où les deux adversaires se battaient physiquement tout en observant des règles définiespréalablement. De là, on est <strong>pas</strong>sé à des joutes oratoires entre les représentants des deux parties :les avocats.Dans ce système, il n’y a <strong>pas</strong> d’enquête préalable à charge et à décharge (rôle du juged’instruction dans la procédure inquisitoire). En effet, menée par l’accusation, l’enquête est, enprincipe, moins impartiale. (Reste que les résultats des investigations peuvent amener l’accusation àchanger de position.) De son côté, la défense essaiera pendant le procès de contrer cetteprésentation et, par là, de démontrer l’innocence de son client.Les conséquences sont les suivantes :


21. Le juge est un simple arbitre entre les deux parties et se doit d’être impartial.2. Le rôle des avocats est essentiel : de leur compétence et de la qualité de leur stratégiedépendra le verdict. D’où l’importance des contre-interrogatoires (cross-examinations), desobjections constantes de la défense et de l’accusation lorsqu’elles pensent que l’adversaire offre aujury une version biaisée des choses.On trouvera dans les extraits du film d’Otto Preminger Anatomy of a Murder (en français,Autopsie d’un meurtre) de 1959 un exemple de <strong>pas</strong>ses d’armes entre défense et accusation.3. Les avocats de la défense doivent prendre des décisions stratégiques :– La première est celle de savoir si le prévenu doit plaider coupable ou non coupable. Lapremière solution aboutit à ce que l’on nomme le plea bargaining : le procès n’aura <strong>pas</strong> lieu. Unaccord est conclu entre la défense et l’accusation, d’où l’idée de « marchandage » contenue dans leterme anglais bargaining.Cette méthode permet généralement à la défense d’obtenir une peine minorée par rapport àcelle qu’encourrait son client s’il y avait eu procès. Elle est également très économique en temps eten argent pour la société. Aux Français, elle paraît généralement contraire au principe même de lajustice.Quoi qu’il en soit, ce n’est <strong>pas</strong> celle qu’a retenue Atticus pour défendre Tom Robinson contrel’accusation de viol puisque, convaincu de l’innocence de son client, il compte démontrer queMayella a menti en l’accusant.– La seconde décision importante, qu’on retrouve dans la plupart des court stories américaines(romans, films ou séries télévisées), est de décider si l’accusé doit ou non témoigner.Sur ce point aussi la procédure américaine est radicalement différente de la nôtre puisque, dansun procès pénal en France, l’accusé est nécessairement interrogé.Aux États-Unis, le 5 e amendement prévoit notamment : « Nul ne pourra, dans une affairecriminelle, être obligé de témoigner contre lui-même. » Ce qui signifie que l’accusation ne peut <strong>pas</strong>obliger le prévenu à témoigner. Seule la défense peut le faire. Cependant, les règles de la procédurecontradictoire imposent que, si la défense cite l’accusé, celui-ci doive subir un contre-interrogatoirede la part de l’accusation.Atticus Finch n’a qu’un seul témoin à citer, l’accusé, Tom Robinson. Celui-ci est donc soumis sansménagement au contre-interrogatoire de Mr Gilmer (cf. cet extrait en anglais) :http://www.vodkaster.com/Films/Du-silence-et-des-ombres/28917Malgré le ton déplaisant de Mr Gilmer, il est vraisemblable qu’aujourd’hui Tom Robinson seraitacquitté. Mais, dans le contexte de racisme et de ségrégation raciale qui avait cours dans les années1930, notamment en Alabama, Tom commet l’erreur d’avouer qu’il a eu « pitié » de Mayella. Le jury,composé de pauvres paysans (les « petits Blancs » du Sud), ne pourra en effet tolérer qu’un hommenoir puisse prendre en pitié une femme blanche, si misérable soit-elle.4. Au stade du procès, la procédure accusatoire est nécessairement plus romanesque que laprocédure inquisitoire.En effet, dans la seconde, une enquête a été menée. Ses conclusions ont été consignées dans undossier, dont la défense a pu prendre connaissance. D’une certaine manière, le procès est balisé,tous les éléments du débat sont connus. Il peut bien sûr se produire un fait nouveau à l’audience,mais cela reste rare.Il en va tout autrement de la procédure accusatoire qui permet suspense et coups de théâtrepuisque l’enquête se poursuit dans la salle d’audience.


3En l’occurrence, le procès de Tom Robinson fait <strong>sur</strong>gir deux faits essentiels qui auraient dû,comme en est convaincu Jem, conduire à son acquittement.En premier lieu, il apparaît que cette accusation de viol a été portée sans que le moindre examenmédical ait été pratiqué, c’est-à-dire, sans que la réalité du viol soit établie.On découvre en second lieu que Tom a perdu l’usage de sa main gauche.Or les coups reçus par Mayella ont été portés à l’œil droit, ce qui implique qu’ils ont été donnés parun gaucher. Or, autre rebondissement, on découvre que Bob Ewell, père de Mayella et principaltémoin de l’accusation, est gaucher.Il apparaît ensuite – même si Harper Lee ne le dit <strong>pas</strong> explicitement – que Bob Ewell a desrelations incestueuses avec sa fille : « Elle a dit que c’que son papa lui faisait ne comptait <strong>pas</strong> »(p.302).Enfin, il ressort de l’interrogatoire de Tom que c’est Mayella qui lui faisait des avances, ce qui amis son père en rage (« espèce de sale putain, je vais t’tuer », p. 302) et explique les coups reçus parsa fille.LE JURYLe jury est une pièce essentielle de la procédure anglo-saxonne.Hérité de la tradition germanique, ce principe figure dans la Magna Carta, qui dispose qu’unhomme libre doit être jugé par ses pairs. Fondement de la justice britannique, il revêt aux États-Unisune dimension supplémentaire. Il fut en effet l’un des points de friction entre les in<strong>sur</strong>gés américainset l’Angleterre. Celle-ci ayant décidé de faire juger les premiers par des tribunaux sans jury afin d’êtresûre qu’ils ne seraient <strong>pas</strong> acquittés, le droit à être jugé par un jury fut l’une des revendicationsessentielles des in<strong>sur</strong>gés, le seul droit en outre à figurer dans toutes les Constitutions des douze Étatsélaborées avant la déclaration d’Indépendance.L’article III de la Constitution en pose le principe : toutes les affaires pénales doivent être jugéespar un jury. Le 6 e amendement ajoute que le jury doit être « impartial ». Le 14 e amendement,postérieur à la Guerre de Sécession et ratifié en 1868 par l’Alabama, où se déroule le roman, prévoitque le principe du jury s’applique aussi aux Noirs.D’où la plaidoirie d’Atticus (p. 318) : « Je ne suis <strong>pas</strong> idéaliste au point de croire aveuglément enl’intégrité de nos tribunaux et dans le système du jury ; pour moi, il ne s’agit <strong>pas</strong> d’un idéal, maisd’une réalité vivante, opérationnelle… Une cour n’est sérieuse que pour autant que son jury l’est etun jury n’est sérieux que si les hommes qui le composent le sont » :http://www.vodkaster.com/Films/Du-silence-et-des-ombres/28918Qui dit jury dit sélection des jurés. Or, comme le remarque Scout, à Maycomb, les jurés étaientpresque toujours des fermiers blancs. Le jury ne compte ni femmes (Atticus en donne une explicationtrès « politiquement incorrecte » – il faut les protéger des cas sordides et, de toute manière, ellesparlent trop, cela allongerait le délibéré), ni Noirs, ni citadins (qui, toujours selon Atticus, ne s’yintéressent <strong>pas</strong> et ont peur). Le roman se <strong>pas</strong>se, ne l’oublions <strong>pas</strong>, dans les années 1930, dans le deepSouth et dans un petit comté rural. On est loin de l’idéal du jury dont Atticus fait l’apologie dans saplaidoirie et de la simple application des dispositions constitutionnelles, légales et juridictionnelles.Le nombre des jurés : Il est généralement de douze (d’où le film Douze hommes en colère), mais,plus récemment, la Cour suprême a admis, pour les affaires pénales, des jurys de six personnes (cechiffre semblant être un minimum).


4Pouvoir du jury : Aux États-Unis, le jury est seul juge des faits et donc de la culpabilité ou del’innocence de l’accusé. Ce qui a pour conséquence qu’il délibère seul, sans la présence du juge(différence essentielle avec notre système) et que le juge ne doit <strong>pas</strong> essayer de l’influencer. Cedernier point n’est évidemment <strong>pas</strong> toujours respecté. En l’occurrence, le révérend Sykes as<strong>sur</strong>e àJem qu’en faisant ses recommandations aux jurés le juge Taylor « s’est bien comporté… Il a étéparfaitement juste » (p. 323).La règle de l’unanimité : Le jury doit rendre sa décision à l’unanimité, ce qui est la règle enmatière pénale, dans tous les États des États-Unis, sauf en Louisiane et dans l’Oregon. Cettecontrainte est le point de départ du film Douze hommes en colère.On le sait, l’un des jurés, incarné par Henry Fonda, va peu à peu amener les onze autres à voter,comme lui, en faveur de l’innocence de l’accusé parce que sa culpabilité n’a <strong>pas</strong> été démontrée.L’obligation de parvenir à une décision unanime peut allonger considérablement les délibérés. Enl’occurrence, la longueur de la délibération des jurés de Maycomb – plus de quatre heures – laissepenser que tous n’étaient <strong>pas</strong> d’emblée convaincus de la culpabilité de Tom. Atticus avait doncprobablement réussi à ébranler, dans l’esprit de certains d’entre eux, la crédibilité du témoignagedes Ewell, père et fille, pourtant acquise d’avance puisqu’il s’agissait de la parole de deux Blancscontre celle d’un Noir.Il arrive que le jury ne parvienne <strong>pas</strong> à se mettre d’accord. On parle alors de hung jury, c’est-àdirede jury sans majorité. L’accusation doit alors décider si elle engage un nouveau procès, proposeun compromis (plea-bargaining) à la défense ou si elle abandonne les charges.Si, en droit français, depuis la Révolution, c’est « l’intime conviction » qui doit fonder la décisiondes jurés, le droit anglo-saxon utilise un autre concept : Beyond reasonable doubt (« Au-delà d’undoute raisonnable »). Comme l’intime conviction, ce concept mêle rationnel et subjectivité, preuvequ’on ne saurait rendre la justice de manière mécanique.Introduit vers 1780 2 , il visait à l’origine à protéger non l’accusé, mais les jurés. En effet, latradition chrétienne poussait, en cas de doute, les jurés à refuser de se prononcer <strong>sur</strong> la culpabilité.Ils risquaient de fait la damnation éternelle pour avoir commis un péché mortel en faisantcondamner un innocent. Le concept de Beyond reasonable doubt devait permettre de lever cesscrupules moraux et de faciliter la condamnation.Avec le temps et l’évolution des mentalités, il s’est transformé en frein à la condamnation,comme dans Douze hommes en colère.Quelle que soit la <strong>pas</strong>sion des Américains pour la vérité – qui devrait conduire à inculper Bob etMayella Ewell de parjure pour faux témoignages –, ici comme ailleurs, la justice ne se confond <strong>pas</strong>parfaitement avec la vérité. Atticus l’exprime parfaitement lorsqu’il est pris à partie, chez lui, par deshommes désireux de l’empêcher de défendre Tom Robinson : « …Ce type finira peut-être <strong>sur</strong> unechaise électrique, mais <strong>pas</strong> avant que toute la vérité ait été faite. » On ne saurait mieux dire qu’ilappartient au jury de prendre ses responsabilités.1 Notamment Stephen Lubet, “Reconstructing Atticus Finch”, Michigan Law Review, mai 1999, p.1339-1362 ;John Jay Osborn, “Atticus Finch–The End of Honor”, University of San Francisco Law Review, été 1996, p.1139-1142 ; Teresa Godwin Phelps, “The Margins of Maycomb: A Rereading of To Kill a Mockingbird”,Alabama Law Review, hiver 1994, p. 511-530 ; Calvin Woodward, “Listening to the Mockingbird”, AlabamaLaw Review, hiver 1994, p.563-584.2 James Q. Whitman, The Origins of Reasonable Doubt (Theological Roots of the Criminal Trial), YaleUniversity Press, 2007.

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