11.07.2015 Views

L'Écume des jours - Le Livre de Poche

L'Écume des jours - Le Livre de Poche

L'Écume des jours - Le Livre de Poche

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

BORIS VIANL’Écume <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jours</strong>ÉDI TION ÉTA BLIE, PRÉ SEN TÉE ET ANNO TÉEPAR GILBERT PESTUREAU ET MICHEL RYBALKAPAUVERT


IColin ter mi nait sa toi lette. Il s’était enve -loppé, au sor tir du bain, d’une ample ser viette<strong>de</strong> tissu bou clé dont seuls ses jambes et son torsedépas saient. Il prit à l’éta gère, <strong>de</strong> verre, le vapo ri -sa teur et pul vé risa l’huile flui<strong>de</strong> et odo rante surses che veux clairs. Son peigne d’ambre divisa lamasse soyeuse en longs filets orange pareils auxsillons que le gai labou reur trace à l’ai<strong>de</strong> d’unefour chette dans <strong>de</strong> la confi ture d’abri cots. Colinreposa le peigne et, s’armant du coupe- ongles,tailla en biseau les coins <strong>de</strong> ses pau pières mates,pour don ner du mys tère à son regard. Il <strong>de</strong>vaitrecom men cer sou vent, car elles repous saient vite.Il alluma la petite lampe du miroir gros sis santet s’en appro cha pour véri fi er l’état <strong>de</strong> son épi -<strong>de</strong>rme. Quelques comé dons saillaient aux alen -tours <strong><strong>de</strong>s</strong> ailes du nez. En se voyant si laids dansle miroir gros sis sant, ils ren trèrent pres te mentsous la peau et, satis fait, Colin étei gnit la lampe.Il déta cha la ser viette qui lui cei gnait les reins et21


L’ÉCUME DES JOURSpassa l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> coins entre ses doigts <strong>de</strong> pied pourabsor ber les <strong>de</strong>r nières traces d’humi dité.Dans la glace, on pou vait voir à qui il res -sem blait, le blond qui joue le rôle <strong>de</strong> Slim dansHollywood Canteen 1 . Il avait la tête ron<strong>de</strong>, lesoreilles petites, le nez droit, le teint doré. Il sou -riait sou vent, d’un sou rire <strong>de</strong> bébé, et, à force,cela lui avait fait venir une fos sette au men ton. Ilétait assez grand, mince, avec <strong>de</strong> longues jambes,et très gen til. <strong>Le</strong> nom <strong>de</strong> Colin lui conve nait àpeu près. Il par lait dou ce ment aux filles et joyeu -se ment aux gar çons. Il était presque tou <strong>jours</strong> <strong>de</strong>bonne humeur, le reste du temps il dor mait.Il vida son bain en per çant un trou dans le fond<strong>de</strong> la bai gnoire. <strong>Le</strong> sol <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong> bains, dallé<strong>de</strong> grès cérame jaune clair, était en pente et orien -tait l’eau vers un ori fice situé juste au- <strong><strong>de</strong>s</strong>sus dubureau du loca taire <strong>de</strong> l’étage infé rieur. Depuispeu, sans pré ve nir Colin, ce <strong>de</strong>r nier avait changéson bureau <strong>de</strong> pièce. Main te nant, l’eau tom baitsur son gar<strong>de</strong>- manger.Il glissa ses pieds dans <strong><strong>de</strong>s</strong> san dales <strong>de</strong> cuir <strong>de</strong>rous sette et revê tit un élé gant cos tume d’inté -1. Comé die musi cale ins pi rée d’une entre prise béné vole <strong>de</strong>Bette Davis, John Garfield et autres artistes pour rece voir et dis -traire les G.I.’s <strong>de</strong> retour du Paci fique, en 1942. <strong>Le</strong> film fut tournéen 1944 par D. Daves avec ces mêmes ve<strong>de</strong>ttes. <strong>Le</strong> rôle du jeuneG.I. Slim qui tombe amou reux d’une star, amour par tagé commeil se doit, est joué par Robert Hutton.22


L’ÉCUME DES JOURSlui, mais moins d’argent. Colin pos sé dait unefor tune suf fi sante pour vivre conve na ble mentsans tra vailler pour les autres, Chick <strong>de</strong>vait allertous les huit <strong>jours</strong> au minis tère voir son oncle etlui emprun ter <strong>de</strong> l’argent car son métier d’ingé -nieur ne lui rap por tait pas <strong>de</strong> quoi se main te nirau niveau <strong><strong>de</strong>s</strong> ouvriers qu’il comman dait, et c’estdif fi cile <strong>de</strong> comman <strong>de</strong>r à <strong><strong>de</strong>s</strong> gens mieux habilléset mieux nour ris que soi- même. Colin l’aidait<strong>de</strong> son mieux en l’invi tant à dîner toutes les foisqu’il le pou vait, mais l’orgueil <strong>de</strong> Chick l’obli -geait d’être pru<strong>de</strong>nt, et <strong>de</strong> ne pas mon trer, par<strong><strong>de</strong>s</strong> faveurs trop fré quentes, qu’il enten dait luivenir en ai<strong>de</strong>.<strong>Le</strong> cou loir <strong>de</strong> la cui sine était clair, vitré <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>de</strong>ux côtés, et un soleil brillait <strong>de</strong> chaque côtécar Colin aimait la lumière. Il y avait <strong><strong>de</strong>s</strong> robi -nets <strong>de</strong> lai ton soi gneu se ment asti qués un peupar tout. <strong>Le</strong>s jeux <strong><strong>de</strong>s</strong> soleils sur les robi nets pro -dui saient <strong><strong>de</strong>s</strong> effets fée riques. <strong>Le</strong>s sou ris <strong>de</strong> la cui -sine aimaient dan ser au son <strong><strong>de</strong>s</strong> chocs <strong><strong>de</strong>s</strong> rayons<strong>de</strong> soleil sur les robi nets, et cou raient après lespetites boules que for maient les rayons en ache -vant <strong>de</strong> se pul vé ri ser sur le sol, comme <strong><strong>de</strong>s</strong> jets<strong>de</strong> mer cure jaune. Colin caressa une <strong><strong>de</strong>s</strong> sou risen pas sant – elle avait <strong>de</strong> très longues mous -taches noires, elle était grise et mince et lus tréeà miracle –, le cui si nier les nour ris sait très bien24


L’ÉCUME DES JOURSsans les lais ser gros sir trop. <strong>Le</strong>s sou ris ne fai saientpas <strong>de</strong> bruit dans la jour née et jouaient seule -ment dans le cou loir.Colin poussa la porte émaillée <strong>de</strong> la cui sine.<strong>Le</strong> cui si nier Nicolas sur veillait son tableau <strong>de</strong>bord. Il était assis <strong>de</strong>vant un pupitre, éga le mentémaillé <strong>de</strong> jaune clair et qui por tait <strong><strong>de</strong>s</strong> cadranscor res pon dant aux divers appa reils culi nairesali gnés le long <strong><strong>de</strong>s</strong> murs. L’aiguille du four élec -trique, réglé pour la din<strong>de</strong> rôtie, oscil lait entre« presque » et « à point ». Il allait être temps <strong>de</strong>la retirer. Nicolas pressa un bou ton vert, ce quidéclen chait le pal peur sen si tif. Celui- ci péné -tra sans ren contrer <strong>de</strong> résis tance, et l’aiguilleattei gnait « à point » à ce moment. D’un gesterapi<strong>de</strong>, Nicolas coupa le cou rant du four et miten marche le chauffe- assiettes.– Ça sera bon ? <strong>de</strong>manda Colin.– Mon sieur peut en être sûr ! affirma Nicolas.La din<strong>de</strong> était par fai te ment cali brée.– Quelle entrée avez- vous pré parée ?– Mon Dieu, dit Nicolas, pour une fois,je n’ai rien innové. Je me suis borné à pla gierGouffé 1 .1. Jules Gouffé ( 1807-1877) est un célèbre cui si nier dis ciple<strong>de</strong> Carême. B. Vian tenait en haute estime son fon da men tal <strong>Livre</strong><strong>de</strong> cui sine (1867). <strong>Le</strong> « pâté chaud d’anguilles » y figure en effet.25


L’ÉCUME DES JOURS– Vous eus siez pu choi sir un plus mau vaismaître ! remar qua Colin. Et quelle par tie <strong>de</strong> sonœuvre allez- vous repro duire ?– Il en est ques tion à la page 638 <strong>de</strong> son <strong>Livre</strong><strong>de</strong> cui sine. Je vais lire à Mon sieur le pas sage enques tion.Colin s’assit sur un tabou ret au siège capi tonné<strong>de</strong> caout chouc alvéolé, sous une soie hui lée assor -tie à la cou leur <strong><strong>de</strong>s</strong> murs, et Nicolas commen çaen ces termes :– Faites une croûte <strong>de</strong> pâté chaud commepour entrée. Pré pa rez une grosse anguille quevous cou pe rez en tron çons <strong>de</strong> trois cen ti mètres.Met tez les tron çons d’anguille dans une cas se -role, avec vin blanc, sel et poivre, oignons enlames, per sil en branches, thym et lau rier et unepetite pointe d’ail.– Je n’ai pas pu l’aigui ser comme j’auraisvoulu, dit Nicolas, la meule est trop usée.– Je la ferai chan ger, dit Colin.Nicolas conti nua :– Faites cuire. Retirez l’anguille <strong>de</strong> la cas se -role et remettez- la dans un plat à sau ter. Pas sezla cuis son au tamis <strong>de</strong> soie, ajou tez <strong>de</strong> l’espa gnoleet faites réduire jus qu’à ce que la sauce masquela cuillère. Pas sez à l’éta mine, cou vrez l’anguille<strong>de</strong> sauce et faites bouillir pen dant <strong>de</strong>ux minutes.Dres sez l’anguille dans le pâté. For mez un cor -26


L’ÉCUME DES JOURSdon <strong>de</strong> cham pi gnons tour nés sur le bord <strong>de</strong> lacroûte, met tez un bou quet <strong>de</strong> lai tances <strong>de</strong> carpesau milieu. Sau cez avec la par tie <strong>de</strong> la sauce quevous avez réser vée.– D’accord, approuva Colin. Je pense queChick aimera ça.– Je n’ai pas l’avan tage <strong>de</strong> connaître Mon -sieur Chick, conclut Nicolas, mais s’il ne l’aimepas, je ferai autre chose la pro chaine fois, et celame per met tra <strong>de</strong> situer avec une quasi- certitu<strong>de</strong>l’ordre spa tial <strong>de</strong> ses goûts et dégoûts.– Voui !… dit Colin. Je vous quitte, Nicolas.Je vais m’occu per du cou vert.Il prit le cou loir dans l’autre sens et tra versal’office pour abou tir à la salle à manger- studiodont le tapis bleu pâle et les murs beige-roseétaient un repos pour les yeux ouverts.La pièce, <strong>de</strong> quatre mètres sur cinq envi ron,pre nait jour sur l’ave nue Louis- Armstrong 1 par<strong>de</strong>ux baies allon gées. Des glaces sans tain cou lis -saient sur le côté et per met taient d’intro duire leso<strong>de</strong>urs du prin temps lors qu’il s’en ren contrait àl’exté rieur. Du côté opposé, une table <strong>de</strong> chêne1. Louis Daniel Armstrong ( 1900-1971), dit « Satchmo » ou« Pops », trom pette, chan teur, chef d’orchestre noir <strong>de</strong> La Nouvelle-Orléans et gloire <strong>de</strong> ce ber ceau du jazz. Célèbre par ti cu liè re -ment pour ses enre gis tre ments avec ses orchestres Hot Five et HotSeven, puis, plus commer cia lement, avec ses rôles dans les films <strong>de</strong>Hollywood à par tir <strong>de</strong> 1935 et grâce à ses tour nées mon diales.27


L’ÉCUME DES JOURSsouple occu pait l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> coins <strong>de</strong> la pièce. Deuxban quettes à angle droit cor res pon daient à <strong>de</strong>ux<strong><strong>de</strong>s</strong> côtés <strong>de</strong> la table et <strong><strong>de</strong>s</strong> chaises assor ties, àcous sins <strong>de</strong> maro quin bleu, gar nis saient les <strong>de</strong>uxcôtés libres. <strong>Le</strong> mobi lier <strong>de</strong> cette pièce compre -nait en outre un long meuble bas, amé nagé endis co thèque, un pick- up du plus fort module etun meuble, symé trique du pre mier, conte nantles lance- pierres, les assiettes, les verres et lesautres usten siles que l’on uti lise pour man gerchez les civi li sés.Colin choi sit une nappe bleu clair assor tie autapis. Il dis posa, au centre <strong>de</strong> la table, un sur -tout formé d’un bocal <strong>de</strong> for mol à l’inté rieurduquel <strong>de</strong>ux embryons <strong>de</strong> pou let sem blaientmimer le Spectre <strong>de</strong> la Rose 1 , dans la cho ré gra -phie <strong>de</strong> Nijinsky 2 . Alen tour, quelques branches<strong>de</strong> mimosa en lanières : un jar di nier <strong>de</strong> ses amisl’obte nait par croi se ment du mimosa ordi naire,en boules, avec le ruban <strong>de</strong> réglisse noir que l’ontrouve chez les mer ciers en sor tant <strong>de</strong> classe.Puis il prit, pour cha cun, <strong>de</strong>ux assiettes <strong>de</strong> por ce -laine blanche croisillonnée d’or trans parent, uncou vert d’acier inoxy dable aux manches ajou rés1. Musique <strong>de</strong> bal let <strong>de</strong> Carl Maria von Weber ( 1786-1826).2. Vaslav Fomitch Nijinski ( 1890-1950), dan seur et cho ré -graphe russe <strong>de</strong>venu l’âme <strong><strong>de</strong>s</strong> Bal lets russes grâce à Diaghilev àpar tir <strong>de</strong> 1909 à Paris. Il a fait pro fi ter <strong>de</strong> ses qua li tés excep tion -nelles maints bal lets dont Daphnis et Chloé (cf. note 1, p. 54-55et note 1, p. 71). A som bré dans la folie en 1918.28


L’ÉCUME DES JOURSdans cha cun <strong><strong>de</strong>s</strong> quels une coc ci nelle empaillée,iso lée entre <strong>de</strong>ux pla quettes <strong>de</strong> plexi glas, por taitbon heur ; il ajouta une coupe <strong>de</strong> cris tal et <strong><strong>de</strong>s</strong> ser -viettes pliées en cha peau <strong>de</strong> curé ; ceci pre nait uncer tain temps. À peine achevait- il ses pré pa ra tifsque la son nette se déta cha du mur et le pré vint<strong>de</strong> l’arri vée <strong>de</strong> Chick.Colin effa ça un faux pli <strong>de</strong> la nappe et s’en futouvrir.– Comment vas- tu ? <strong>de</strong>manda Chick.– Et toi ? répli qua Colin. Enlève ton imper etviens voir ce que fait Nicolas.– Ton nou veau cui si nier ?– Oui ! dit Colin. Je l’ai échangé à ma tantecontre l’ancien et un kilog <strong>de</strong> café belge.– Il est bien ? <strong>de</strong>manda Chick.– Il a l’air <strong>de</strong> savoir ce qu’il fait. C’est un dis -ciple <strong>de</strong> Gouffé.– L’homme <strong>de</strong> la malle ? s’enquit Chick, hor -ri fié 1 .Sa petite mous tache noire s’abais sait tra gi que -ment.1. Chick commet une confu sion tragi- comique avec uneaffaire cri mi nelle rocam bo lesque célèbre en 1889. A.T. Gouffé,huis sier pari sien cava leur et pas sa ble ment proxé nète, fut étran gléet « mis en boîte » le 26 août 1889 par un aven tu rier <strong>de</strong> bas étageaidé d’une « infer nale nym phette ». Dans une véri table hys té riemédia tique, on en fit un feuille ton, La Malle san glante, <strong><strong>de</strong>s</strong> chan -sons, un jouet pour enfants – petite malle et cadavre arti culé ! –,<strong><strong>de</strong>s</strong> pan to mimes et un tableau au musée Grévin.29


L’ÉCUME DES JOURS– Non, bal lot. Jules Gouffé. <strong>Le</strong> cui si nier bienconnu.– Oh, tu sais, moi, dit Chick, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>Jean- Sol Partre 1 , je ne lis pas grand- chose.Il sui vit Colin dans le cou loir dallé, caressa lessou ris et mit, en pas sant, quelques gout te lettes<strong>de</strong> soleil dans son bri quet.– Nicolas, dit Colin en entrant, je vous pré -sente mon ami Chick.– Bon jour, Mon sieur, dit Nicolas.– Bon jour, Nicolas, répon dit Chick. Estceque vous n’avez pas une nièce qui s’appelleAlise ?– Si, Mon sieur, dit Nicolas. Une jolie jeunefille, d’ailleurs, si j’ose intro duire ce commen -taire.– Elle a un grand air <strong>de</strong> famille avec vous,dit Chick. Quoique du côté du buste, on puissenoter quelques dif fé rences.– Je suis assez large, dit Nicolas, et elle est évi -<strong>de</strong>m ment plus déve lop pée dans le sens perpen -di cu laire, si Mon sieur veut bien me per mettrecette pré ci sion.1. Contre pè te rie fameuse sur Jean- Paul Sartre ( 1905-1980) ;est- il besoin <strong>de</strong> rap pe ler que cet écri vain, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus impor tantsdu XX e siècle, a publié entre autres La Nau sée (1938) et L’Être etle Néant (1943) ? Vian n’hésite pas à trai ter <strong>de</strong> façon bur lesquel’exis ten tia lisme à la mo<strong>de</strong>.30


L’ÉCUME DES JOURS– Prendras- tu un apé ri tif ? <strong>de</strong>manda Colin.Mon pianocktail 1 est achevé, tu pour raisl’essayer.– Il marche ? <strong>de</strong>manda Chick.– Par fai te ment. J’ai eu du mal à le mettre aupoint, mais le résul tat dépasse mes espé rances.J’ai obtenu à par tir <strong>de</strong> la Black and Tan Fantasy 2un mélange vrai ment ahu ris sant.– Quel est ton prin cipe ? <strong>de</strong>manda Chick.– À chaque note, dit Colin, je fais cor res -pondre un alcool, une liqueur ou un aro mate.La pédale forte cor res pond à l’œuf battu et lapédale faible à la glace. Pour l’eau <strong>de</strong> Seltz il fautun trille dans le registre aigu. <strong>Le</strong>s quan ti tés sonten rai son directe <strong>de</strong> la durée : à la qua druplecroche équi vaut le sei zième d’unité, à la noirel’unité, à la ron<strong>de</strong> la qua druple unité. Lorsquel’on joue un air lent, un sys tème <strong>de</strong> registre estmis en action <strong>de</strong> façon que la dose ne soit pas1. <strong>Le</strong> pianocktail, créa tion fictionnelle qui unit <strong>de</strong>ux plai sirssen suels, le gus ta tif et l’audi tif, l’ivresse <strong>de</strong> l’alcool et celle du jazz,est <strong>de</strong>venu grâce à un excellent mot- valise l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> objets fétiches<strong><strong>de</strong>s</strong> ama teurs <strong>de</strong> Vian. Il maté ria lise <strong><strong>de</strong>s</strong> synes thé sies pri vi lé giées ;il renou velle et mo<strong>de</strong>r nise évi <strong>de</strong>m ment le « cla ve cin ocu laire » dupère Cas tel (pro jet <strong>de</strong> 1725 ; cf. son Optique <strong><strong>de</strong>s</strong> cou leurs [1740]et l’article <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot dans l’Ency clo pé die [1752]) ou l’« orgue àbouche » <strong>de</strong> Des Esseintes, dans À rebours (1884) <strong>de</strong> Huysmans.2. De Miley et Ellington, enre gis tré à New York, en 1927, avecl’orchestre The Washingtonians et consi déré comme l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> pre -miers chefs- d’œuvre du style jungle <strong>de</strong> Duke – auquel se rat tacheaussi Chloe.32


L’ÉCUME DES JOURSaug men tée, ce qui don ne rait un cock tail tropabon dant, mais la teneur en alcool. Et sui vant ladurée <strong>de</strong> l’air, on peut si l’on veut faire varier lavaleur <strong>de</strong> l’unité, la rédui sant par exemple au cen -tième pour pou voir obte nir une bois son tenantcompte <strong>de</strong> toutes les har mo nies, au moyen d’unréglage laté ral.– C’est compli qué, dit Chick.– <strong>Le</strong> tout est commandé par <strong><strong>de</strong>s</strong> contactsélec triques et <strong><strong>de</strong>s</strong> relais ; je ne te donne pas <strong>de</strong>détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, lepiano fonc tionne réel le ment.– C’est mer veilleux ! dit Chick.– Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin,c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dûmettre un sys tème d’enclen che ment spé cial,parce que lorsque l’on joue un mor ceau trophot 1 , il tombe <strong><strong>de</strong>s</strong> mor ceaux d’ome lette dans lecock tail et c’est dur à ava ler. Je modi fi e rai ça.Actuel le ment, il suf fit <strong>de</strong> faire atten tion. Pour lacrème fraîche, c’est le sol grave.– Je vais m’en faire un sur Loveless Love 2 , ditChick. Ça va être ter rible.1. Jazz plein d’expres si vité et du feu <strong>de</strong> l’impro vi sa tion ; Vianjoue évi <strong>de</strong>m ment sur les <strong>de</strong>ux sens : brû lant au sens propre puisau sens musi cal.2. Loveless Love ou Careless Love (« Amour sans amour » ou« Amour négligent »), qui annonce la conduite future <strong>de</strong> Chickavec Alise, est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> nom breux blues recueillis dans la tra di tionou compo sés par W. C. Handy ( 1873-1958), Father of the Blues.33


L’ÉCUME DES JOURS– Il est encore dans le débar ras dont je me suisfait un ate lier, dit Colin, parce que les plaques<strong>de</strong> pro tec tion ne sont pas vis sées. Viens, on va yaller. Je le régle rai pour <strong>de</strong>ux cock tails <strong>de</strong> vingtcen ti litres envi ron, pour commen cer.Chick se mit au piano. À la fin <strong>de</strong> l’air, unepar tie du pan neau <strong>de</strong> <strong>de</strong>vant se rabat tit d’uncoup sec et une ran gée <strong>de</strong> verres appa rut. Deuxd’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mix -ture appé tis sante.– J’ai eu peur, dit Colin, un moment, tu asfait une fausse note, heu reu se ment, c’était dansl’har mo nie.– Ça tient compte <strong>de</strong> l’har mo nie ? dit Chick.– Pas pour tout, dit Colin. Ce serait tropcompli qué. Il y a quelques ser vi tu<strong><strong>de</strong>s</strong> seule ment.Bois et viens à table.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!