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Le Verbe musical : Un dialogue entre interprétation et ... - HEMU

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<strong>Le</strong> <strong>Verbe</strong> <strong>musical</strong><strong>Un</strong> <strong>dialogue</strong> <strong>entre</strong> <strong>interprétation</strong> <strong>et</strong> improvisationTravail réalisé pour l’obtention du Diplôme d’enseignementPar :Lucas BuclinDirectrice du mémoire : Angelika GüsewellLausanne, année académique 2007-2008Conservatoire de Lausanne – Haute Ecole de Musique (HEM)


Mes remerciements vont à Angelika Güsewell, pour sa patience <strong>et</strong> pour la qualité desa supervision,à Gaël Liardon, fondateur du Festival de Musique Improvisée de Lausanne, pour leséchanges stimulants que nous avons eus à propos de ce travail,à Jovanka Marville, professeur de clavecin au Conservatoire de Lausanne, pour leprêt de documents précieuxà Thierry Buclin, pour l'illustration de couverture.


Table des matièresIntroduction.................................................................................................................................2PREMIERE PARTIE: CONSIDERATIONS THEORIQUES............................................................2Coup d'oeil sur mon parcours <strong>musical</strong>..........................................................................................2Coup d'oeil sur l'histoire de la musique .......................................................................................3Do you speak music ?...............................................................................................................5DEUXIEME PARTIE: ESQUISSE D'UNE « METHODE ».............................................................7Présentation.................................................................................................................................7Axe I: travail sur les motifs d'accompagnement..........................................................................11A) Mise en évidence .............................................................................................................11B) Mise en perspective..........................................................................................................12C) Mise en pratique...............................................................................................................18Axe II: Travail sur l'ornementation de la ligne mélodique..........................................................23A) Mise en évidence..............................................................................................................23B) Mise en perspective..........................................................................................................25C) Mise en pratique:..............................................................................................................32Axe III: Vers plus de liberté.......................................................................................................37A) <strong>Le</strong>s motifs de fin de phrase: .............................................................................................37B) Progressions harmoniques:...............................................................................................38C) Elaboration d'un motif: ....................................................................................................39Conclusion.................................................................................................................................42Références.................................................................................................................................431


IntroductionQue veut dire « apprendre la musique »? C<strong>et</strong>te question – aussi vaste que vague – exprimeune inquiétude légitime de la part d'un étudiant au Conservatoire. En réfléchissant au suj<strong>et</strong> de monmémoire de pédagogie <strong>musical</strong>e, la place de l'improvisation m'est spontanément apparue comme aucoeur de telles préoccupations. Dans la mesure où mon propre apprentissage <strong>musical</strong> fut marqué parl'importance de c<strong>et</strong>te pratique, je commencerai par un bref témoignage personnel. Puis j'évoqueraiquelques éléments historiques montrant la place centrale de l'improvisation dans le développementde la musique « classique », c<strong>et</strong>te musique enseignée dans les classes des Conservatoires, oùcurieusement les programmes ne laissent à la pratique improvisée qu'un modeste strapontin.Ensuite, un chapitre plus abstrait insistera, à partir d'une analogie avec le langage verbal, sur le rôlecentral de l'expression improvisée dans la genèse du langage <strong>musical</strong>, à l'échelle de l'individu autantqu'à celle de la civilisation. Enfin, une illustration concrète m'ayant paru plus parlante qu'unedissertation prolongée, l'essentiel de ce mémoire fera, dans une deuxième partie, l'esquisse d'uneméthode visant à sensibiliser l'élève ou le musicien à l'importance de l'improvisation dansl'apprentissage <strong>musical</strong>: il s'agira de rechercher des éléments musicaux dans une oeuvre durépertoire, <strong>et</strong> d'en faire des outils d'improvisation; à partir de là, on pourra espérer avoir saisi unaspect caractéristique du langage du compositeur, mais aussi une dimension touchant à mon sensd'assez près à l'essence de la musique.PREMIERE PARTIE: CONSIDERATIONS THEORIQUESCoup d'oeil sur mon parcours <strong>musical</strong><strong>Un</strong> coup d'oeil sur mon passé est à l'origine de ce mémoire. Pendant mes premières annéesde piano, apprendre une partition me rebutait. Quel temps ai-je pu « perdre », assis à l'instrument, àjouer librement des notes qui n'étaient pas prescrites sur les portées! Selon mon souvenir, ce quin'était qu'un martèlement confus prit sens au moment clé où un professeur de musique à l'écoleprimaire me fascina avec ses accompagnements de mélodies populaires. Dès lors, mes doigtscessèrent de vagabonder librement sur le clavier; ils servaient une cause: reproduire ce que j'avaisentendu en classe. J'apprenais par là à tisser le lien direct <strong>entre</strong> ce que j'écoutais <strong>et</strong> ce que je jouais,<strong>et</strong> mes improvisations confuses s'enrichirent des musiques qui me marquaient <strong>et</strong> que j'avais envied'imiter. Mon engouement pour le jeu du répertoire classique me vint, lorsque je me mis à intégrerle contenu de mon cours de piano à mes essais improvisés, à essayer de reproduire dans mesimprovisations les formes que j'apprenais, découvrant peu à peu les liens unissant l'oeuvre écrite <strong>et</strong>l'expression libre.J'ai eu le privilège de suivre des années de piano décisives avec un professeur favorable àc<strong>et</strong>te pratique, qui me répétait souvent de jouer mes pièces « comme si je les improvisais ». C<strong>et</strong>teremarque n'a pas fait immédiatement son chemin en moi: je trouvais l'exercice d'autant moinsconcevable que ces deux aspects (<strong>interprétation</strong> <strong>et</strong> improvisation) me paraissaient, au départ,totalement oppposés; l'un inflexible <strong>et</strong> absolument dirigé, l'autre complètement libre <strong>et</strong> dépourvu depensée formelle. L'absence de méthode dans ma première approche de l'improvisation n'a rien2


d'étonnant: celle-ci représentait précisément un moyen d'échapper au quotidien trop méthodique demes leçons de piano. Mais peu à peu, lorsque je me mis à rassembler des outils musicaux <strong>et</strong> àréaliser un travail formel sur mes essais improvisés, l'injonction de mon professeur prit tout sonsens: en dirigeant mes improvisations, en essayant de leur donner forme à l'image de la pièce écrite,j'abattais le clivage <strong>entre</strong> improvisation <strong>et</strong> <strong>interprétation</strong>, <strong>et</strong> je r<strong>et</strong>rouvais dans ma façon d'interpréterla liberté que j'ôtais à ma façon d'improviser.Mon propos ne se limitera donc pas à vanter le caractère ludique de l'improvisation dansl'apprentissage de l'instrument; il ne sera pas non plus d'expliquer en quoi l'improvisation donne unsouffle de liberté à la technique du musicien classique. Ces arguments (évidents pour moi) figurentdéjà en tête des plaidoyers pour la réhabilitation de c<strong>et</strong>te pratique dans les Conservatoires.En regardant mon propre chemin, j'ai pu me rendre compte que l'expression libre a joué unrôle encore plus essentiel dans ma façon d'aborder une oeuvre écrite du répertoire, dans ma façon dela comprendre, dans ma façon d'être à l'aise avec le langage qu'elle utilise. « Comprendre »,« langage »... l'utilisation de termes linguistiques en musique relève-t-elle du seul hasard? Lacomparaison du <strong>musical</strong> <strong>et</strong> du verbal, telle que je la filerai dans les pages suivantes, devrait meperm<strong>et</strong>tre d'expliquer brièvement en quoi le développement de l'expression spontanée(improvisation) a <strong>entre</strong>tenu, durant mon apprentissage du piano, un lien de réciprocité avec lacompréhension <strong>musical</strong>e de l'oeuvre écrite (<strong>interprétation</strong>), <strong>et</strong> en quoi ce lien a été bénéfique. Maistout d'abord, il vaut la peine de s'arrêter sur c<strong>et</strong>te réciprocité au regard de l'histoire de la musiqueoccidentale.Coup d'oeil sur l'histoire de la musiqueComment expliquer la disproportion <strong>entre</strong> la place fondamentale qu'a occupé l'improvisationjusqu'au XVIIIe siècle d'une part, <strong>et</strong> l'absence de sources historiques mentionnant explicitement l<strong>et</strong>erme « improvisation » de l'autre? La musique ancienne s'est apparemment dispensée deconceptualiser autant que nous ces deux catégories que sont l'expression libre (« improvisation »),<strong>et</strong> la reproduction d'une partition (« <strong>interprétation</strong> »). Pour Gaël Liardon, fondateur du Festival deMusique Improvisée de Lausanne, la séparation <strong>entre</strong> les rôles d'interprète, de compositeur <strong>et</strong>d'improvisateur n'avait pas cours dans la tradition. Jouer de la musique supposait une prise deliberté trop évidente pour qu'on en fasse une discipline à part, comme c'est le cas aujourd'hui. Etd'un autre côté, ce qu'on qualifie d'improvisation libre au XXIe siècle n'aurait peut-être pas euautant de valeur à une époque où ne régnait pas ce besoin moderne d'une invention pure <strong>et</strong> d'unerecherche d'originalité à tout prix, mais où reprendre, embellir, orner, enrichir selon une traditionque l'on perpétue, étaient bien plutôt les maîtres mots.A partir du XIXe siècle, il semble que la situation se renverse: la diffusion de la musiqueécrite accroît la complexité du répertoire; la prééminence de la subjectivité à l'aube du romantismeprécise les exigences <strong>musical</strong>es des compositeurs; finalement l'émergence de l'institution« Conservatoire » exalte le respect pur <strong>et</strong> simple de ces exigences. Dans ce paysage nouveau, l'acteimprovisé <strong>et</strong> l'ornementation des pièces écrites ne trouvent plus leur place.On le voit: à travers l'histoire de la tradition occidentale, le statut de l'improvisation passeimperceptiblement de transparent à inconcevable. Mes recherches sur des témoignages précis dec<strong>et</strong>te pratique au fil du temps, de sa pédagogie, de sa place par rapport à la composition, n'ont pasété simplifiées par ce côté « fantomatique » de l'improvisation.<strong>Le</strong>s indices sont cependant assez nombreux pour ce qui est de la musique ancienne. La bassechiffrée est certes considérée aujourd'hui encore comme la méthode la plus avérée pour maîtriser lesbases de l'harmonie <strong>et</strong> de la conduite des voix. Cependant je me suis plutôt intéressé, dans le cadrede ce travail, à une autre façon d'aborder l'improvisation (mais qui reste néanmoins complémentaireà l'exercice de la basse chiffrée), fondée sur l'utilisation de motifs préexistants que l'on arrange,3


combine <strong>et</strong> ornemente. A l'image de mon propre parcours, c<strong>et</strong>te forme d'improvisation joue sur lareproduction <strong>et</strong> le traitement d'un matériau déjà connu. Ce qui a été pour moi à l'origine de ce choix,c'est la possibilité, comme je l'expliquai plus haut, d'intégrer à l'acte créatif d'improvisation destraces d'oeuvres classiques, <strong>et</strong> d'<strong>entre</strong>r ainsi de manière naturelle dans le langage d'un compositeur.François Couperin, dans son fameux Traité sur l'art de toucher le clavecin, a r<strong>et</strong>enu monattention dans ce sens:« Séparément des agréments usités, comme les tremblemens, pincés, ports-de-voix <strong>et</strong>c. j'aitoujours fait faire à mes élèves de p<strong>et</strong>ites évolutions des doigts, soit de passages, ou de batteriesdiversifiées à commencer par les plus simples, <strong>et</strong> sur les tons les plus naturels; <strong>et</strong>insensiblement je les ai menés jusqu'aux plus légers, <strong>et</strong> aux plus transposés; ces p<strong>et</strong>its exercicesque l'on ne sauroit trop multiplier, sont autant de matériaux tout pr<strong>et</strong>s à m<strong>et</strong>tre en place; <strong>et</strong> quipeuvent servir dans beaucoup d'occasions. J'en donnerai quelques modèles à-la-suite desagréments cy-aprés, sur lesquel on pourra imaginer d'autres. » (Fac-similé de Fuzeau, 1996, p.8)<strong>Un</strong>e grande partie de l'enseignement de Couperin était consacrée à l'application de ces « passages »(qui étaient par exemple des lignes de quatres notes conjointes) mais surtout, l'usage de la partitionn'était pas prescrit d'emblée dans l'apprentissage de l'instrument:« On devroit ne commencer à montrer la tablature aux enfants qu'après qu'ils ont une certainequantité de pièces dans les mains. Il est presqu'impossible, qu'en regardant leur livre, les doigts nese dérangent; <strong>et</strong> ne se contorsionnent: que les agrémens mêmes n'en soient altérés; d'ailleurs, lamémoire se forme beaucoup mieux en apprenant par coeur. » (p.12)On r<strong>et</strong>iendra aussi l'exemple de Be<strong>et</strong>hoven qui, dit-on, faisait exercer l'improvisation à ses élèves enécrivant des points sur les notes <strong>et</strong> en leur demandant d'inventer sur ces notes différentes figures<strong>musical</strong>es (Gellrich, 1995, p.3).Même si chaque compositeur ne nous a pas laissé de méthode précise pour développer le jeuimprovisé, nous r<strong>et</strong>iendrons au moins un fait décisif: l'acte improvisé a très souvent joué un rôledécisif dans l'élaboration du langage personnel des grands créateurs de l'histoire. Peu d'<strong>entre</strong> eux,d'ailleurs, n'ont pas été également de grands improvisateurs. C. P. E. Bach écrit dans ce sens:« Il peut se trouver quelqu'un qui aurait étudié la composition avec succès, qui puisse avec laplume écrire de bons travaux, <strong>et</strong> qui cependant improvise mal. Par contre, je crois que l'on peuttoujours prophétiser avec certitude un bon avenir dans la composition à quelqu'un qui montre unebonne tête pour l'improvisation (...) » (1979, p. 254)On rapporte que J.S. Bach a laissé interdite la cour de Frédéric II lorsqu'il improvisa une fugue à sixvoix sur un thème proposé par le roi (ce même thème donnera naissance par la suite à L'offrande<strong>musical</strong>e, dédiée à Frédéric II). Mozart est lui aussi réputé pour sa verve improvisatrice, commel'atteste d'ailleurs la composition presque instantanée de la plupart de ses oeuvres. Quant àBe<strong>et</strong>hoven, voici encore ce que déclare le Baron de Trémont:« <strong>Le</strong>s improvisations de Be<strong>et</strong>hoven m'ont causé, peut-être, mes plus vives émotions <strong>musical</strong>es. Jepuis assurer que si on ne l'as pas entendu improviser (...) on ne connaît qu'imparfaitementl'immense portée de son talent (...). Son jeu, comme pianiste, n'était pas correct, (...) mais quipourrait songer à l'instrtumentiste? On était absorbé par ses pensées, <strong>et</strong> comme ses mains devaientles exprimer (...) » (de Trémont cité par Massin & Massin, 1967, p.188)4


L'exemple de Debussy, en marge du système tonal traditionnel, peut paraître moins évident. Etpourtant voici ce qu'évoque Maurice Emmanuel à propos d'une improvisation du jeune Claude:« Au piano, nous entendîmes des grondements chromatiques (...), des groupes de quintes <strong>et</strong>d'octaves consécutives, des septièmes qui, au lieu de se résoudre comme il fallait, menaient en faità la note supérieure ou ne se résolvaient pas du tout (...); des accords de neuvième à tous leséchelons de la gamme; des accords de onzième <strong>et</strong> de treizièmes; toutes les notes de la gammediatonique jouées à la fois dans des dispositions fantastiques; de chatoyantes suites d'arpègescontrastaient avec des trilles joués avec les deux mains sur trois notes à la fois. Durant plus d'uneheure, il nous tint sous le charme autour du piano (...). Enfin le surveillant, Ternusse, alarmé parces bruits étranges qui r<strong>et</strong>entissaient à travers les corridors, fit irruption pour m<strong>et</strong>tre un terme ànotre « leçon ». Debussy était un dangereux « fanatique », <strong>et</strong> l'on nous pria de vider les lieux. »(Lockspeiser & Halbreich, 1980, p.85)Pour E. Lockspeiser, « c'est au cours de pareilles improvisations, quand ses doigts cherchaientd'instinct sur le clavier de nouvelles combinaisons sonores, qu'il dut découvrir certaines de sesnouvelles harmonies. ». En eff<strong>et</strong>, les couleurs harmoniques chez Debussy semblent ne pouvoir êtreconçues qu'au clavier. Et dans l'autre sens, les éléments musicaux récurrents dans son oeuvre écritecorrespondent aux éléments cités dans la description ci-dessus.Ce lien <strong>entre</strong> oeuvre écrite <strong>et</strong> « oeuvre improvisée » peut nous suggérer les bases d'uneméthode: si l'improvisation est présente dans la genèse de l'oeuvre écrite, efforçons-nous de refaire« en sens inverse » le chemin parcouru par le compositeur qui recherche ses idées <strong>et</strong> qui forme sonlangage en expérimentant librement des lignes, des motifs, des couleurs, <strong>et</strong> en réutilisant certainséléments de prédilection...Do you speak music ?A moi aussi, il m'est arrivé un jour d'entendre des pièces que je gageai d'un grandcompositeur, <strong>et</strong> dont on finit par m'apprendre qu'elles n'étaient rien de plus que des improvisations.Stupéfait, je pensai alors du musicien: « en voilà un qui “parle la langue <strong>musical</strong>e de cecompositeur». On l'a vu, de nombreux indices suggèrent qu'il y a eu autrefois une proximité intime,bien qu'aujourd'hui peu évidente, <strong>entre</strong> l'oeuvre écrite <strong>et</strong> l'oeuvre improvisée. Toutes ces figures quiont marqué l'histoire de la musique, Bach, Mozart, Be<strong>et</strong>hoven <strong>et</strong> j'en passe, présentaient sans douteautant de génie dans l'improvisation que dans la composition, comme si les bases de leur discours<strong>musical</strong> étaient déjà intégrées de façon instinctive. C<strong>et</strong>te proximité <strong>entre</strong> expression orale <strong>et</strong>expression écrite, leur apprarente interdépendance, nous mènent tout naturellement à unecomparaison avec le langage verbal: on imagine mal un écrivain dépourvu de toute facultéd'expression orale.Par conséquent, si la maîtrise d'une langue <strong>et</strong> d'une pensée résulte du développement <strong>et</strong> del'interaction des trois actes que sont l'écriture, la parole <strong>et</strong> la lecture, on conçoit aisément que Bach,en musicien compl<strong>et</strong> qu'il fut, avait développé d'une égale façon la composition (écriture <strong>musical</strong>e),l'improvisation (parole <strong>musical</strong>e), <strong>et</strong> l'<strong>interprétation</strong> (lecture <strong>musical</strong>e):5


parlerimproviserlireécrireinterprétercomposerSi l'on s'en tient à c<strong>et</strong>te analogie, l'apprentissage exclusif de la partition placerait l'interprète dans lamême situation que s'il apprenait à réciter un texte en une langue qui lui serait à peu près étrangère.La sacralisation de l'oeuvre écrite néglige le développement de la dimension orale <strong>et</strong> spontanée à labase de l'art <strong>musical</strong>. La problématique de l'équilibre <strong>entre</strong> ces trois aspects a cours dans le domainescolaire, où l'on déplore semblablement une disproportion <strong>entre</strong> l'expression écrite (lire, écrire) <strong>et</strong>l'expression orale (parler) lors de l'apprentissage d'une langue étrangère. Parmi les solutionsproposées, la didactique de la langue maternelle fait figure d'exemple. On peut supposer que, dansle cas d'un Mozart, la maîtrise stupéfiante de l'ensemble des aspects qui définissent le musicien(technique instrumentale, improvisation, composition, mémorisation, écoute, <strong>et</strong>c...), s'explique parun apprentissage <strong>musical</strong> semblable au développement de la langue maternelle; rappelons qu'à l'âgede six ans, le jeune prodige écrivait ses premières oeuvres, qui témoignent déjà d'une connaissanceparfaite de l'harmonie <strong>et</strong> de la forme. Dès lors, l'expression improvisée prend un statut fondamental:chez le jeune enfant, c'est elle qui intervient en premier dans l'acquisition du langage, l'écriture <strong>et</strong> lalecture arrivant bien plus tard. C<strong>et</strong> ordre est d'ailleurs le même à l'échelle de l'espèce humaine, tantsur le plan verbal que <strong>musical</strong>: les traditions primitives sont d'essence orale, <strong>et</strong> l'écriture est apparueaussi tardivement dans la genèse de nos civilisations que dans celle de notre individualité.Apprendre la musique comme une langue maternelle est un idéal que ne caressent passeulement les partisans d'une didactique de l'improvisation; il est sans doute celui de beaucoupd'autres pédagogues. Pour ma part, loin de chercher à réaliser ce modèle, mon objectif dans c<strong>et</strong>ravail est avant tout de rééquilibrer la circularité <strong>entre</strong> <strong>interprétation</strong>, composition <strong>et</strong> improvisation,en redonnant de l'importance à ce dernier terme, à la « parole <strong>musical</strong>e ». Il vaut donc la peine des'intéresser brièvement aux mécanismes de l'acquisition du langage, <strong>et</strong> d'en r<strong>et</strong>enir quelqueséléments qui peuvent faire sens dans le domaine <strong>musical</strong>.Commençons par les racines. <strong>Le</strong>s différentes théories, philosophiques, cognitivistes oustructuralistes, s'accordent à percevoir dans le cri la manifestation primitive du langage. <strong>Le</strong> cri n'estni vraiment un mot, ni vraiment une note; il est tout à la fois langage <strong>et</strong> musique (Brun, 1999). Dulangage, il a l'utilité, la signification: signal d'alarme, appel à l'autre, besoin d'une présencerassurante, besoin d'être nourri (pleurs du nouveau-né). Et de la musique, il a l'autosuffisance: joieou douleur d'être au monde, manifestation de l'existence (chant de l'oiseau). <strong>Le</strong>s premières bribes deparole verbale se développeront sur la base de c<strong>et</strong>te double orientation: celle de l'utilitaire <strong>et</strong> celledu jeu. <strong>Le</strong> processus d'imitation par lequel le nourrisson apprend ses premiers mots est dû à la fois àl'urgence de ses besoins primaires <strong>et</strong> au pur plaisir d'imiter. Nous constatons ici non seulement quel'expression libre est à l'origine de l'apprentissage du langage, mais que celui-ci, dans sa premièremanifestation, ne dissocie pas musique <strong>et</strong> parole 1 .Outre le processus d'imitation, l'expérimentation est un principe clé dans le perfectionnementde la langue maternelle. <strong>Le</strong> nourrisson teste, attend la réaction des autres <strong>et</strong> sélectionne ainsi unvocabulaire sensé parmi l'ensemble des sons qu'il peut produire.On peut relever aussi le principe de répétition: pendant ses premières années, le nourrissonbredouille une sorte d' « ostinato » verbal qui joue un rôle important dans la mémorisation des mots<strong>et</strong> dans l'ajustement de leur prononciation.1 Certains comme Rousseau, affirment même que le langage que nous parlons ne serait qu'une dégénérescence duchant; <strong>et</strong> la mise des paroles en musique, comme l'opéra, une tentative inconsciente de r<strong>et</strong>rouver c<strong>et</strong>te unité perdue.6


<strong>Le</strong> jeune enfant a tendance à apprendre par groupes, sans forcément s'embarrasser des partiesqui les composent. Ainsi, plutôt que d'apprendre des l<strong>et</strong>tres, il forme tout de suite des mots. Plutôtque de combiner chacun de ces mots, il saisit directement des locutions.R<strong>et</strong>enons encore que les enfants apprennent p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it à formuler des phrases de plus enplus longues, selon l'ordre: mots – expressions – phrases simples – phrases complexes.Sans être repris tels quels, ces quelques principes propres à l'acquisition du langage maternelm'ont inspiré dans l'élaboration du travail pratique qui va suivre. <strong>Le</strong> plus important à mes yeux restele principe de reprendre <strong>et</strong> tester librement , tel qu'il s'opère tout au long du développement verbalde l'enfant. Mais signalons également que c<strong>et</strong> apprentissage a le mérite de se passer de toutintermédiaire écrit: le jeune enfant ne révise pas ses mots dans un livre de vocabulaire, il lesapprend (en compagnie des plus grands) en les confrontant aux obj<strong>et</strong>s réels, à leur significationdirecte. En musique aussi, l'improvisation perm<strong>et</strong> de se placer directement face à la matière<strong>musical</strong>e, <strong>et</strong> d'en assimiler des éléments sans passer par un support écrit, de sorte que le lien direct<strong>entre</strong> le geste <strong>et</strong> le son est respecté.** *7


DEUXIEME PARTIE: ESQUISSE D'UNE « METHODE »PrésentationMa première intention était de rédiger ce travail à la forme impersonnelle (« on fera», « il estimaginable de faire»...). Puis, pour donner à l'ensemble des allures encore plus méthodiques, j'aichangé d'avis, recourant à un élève imaginaire à qui je m'adresserais (« l'élève fera »),. Mais j'ai viterenoncé à l'emploi systématique de c<strong>et</strong>te forme, peu adaptée à ce qui n'est en fait qu'un essai, unensemble de réflexions <strong>et</strong> d'idées proposées. <strong>Le</strong> lecteur ne doit donc pas s'étonner de trouveralternativement les suj<strong>et</strong>s « nous », « on », « l'élève », « le lecteur », « je » tout au long de ce travail.C'est que, c<strong>et</strong>te « méthode », je ne l'adresse à personne en particulier; ni seulement à l'élève, niseulement au professeur, mais aux deux à la fois. Elle se voudrait moins un support pédagogiquepour le professeur, qu'un recueil d'idées pour qui s'intéresse à développer son improvisation. Ellepeut être abordée par le professeur, dans sa préparation, aussi bien que par le professeur <strong>et</strong> sonélève, dans un travail en commun, ou même par l'élève seul. Mais avant tout, ce travail, je l'adresseà moi-même dans un besoin de systématiser enfin certains principes qui ont accompagné monapprentissage de la musique classique.A l'évidence, le travail proposé ici, même s'il s'inspire des principes de bases de la languematernelle, ne saurait convenir à un « nourrisson » du piano. <strong>Le</strong>s exercices requièrent déjà un bonniveau instrumental (suffisant pour jouer les Variations de Mozart sur Ah! Vous dirai-je, Maman), <strong>et</strong>une certaine connaissance de l'harmonie au clavier. Toutefois, pour remédier au mieux à c<strong>et</strong>tecontradiction (la méthode ne s'adresserait-elle finalement qu'à l'improvisateur confirmé?...), je mesuis efforcé de présenter l'ensemble, non pas comme une stricte marche à suivre, mais plutôt commeun recueil de principes <strong>et</strong> d'idées, ce qui rend possible• une simplification des exercices <strong>et</strong> du matériau <strong>musical</strong> en fonction du niveau de l'élève,• une transposition de ces exercices vers d'autres oeuvres, d'autres compositeurs.La place d'un tel apprentissage dans le suivi d'un élève est difficile à définir. De façongénérale, elle dépend non seulement de la personnalité de l'élève, de sa verve créatrice <strong>et</strong> de sonintérêt pour la musique, mais aussi des souhaits des parents, pas toujours favorables à desdémarches alternatives dans l'enseignement que suit leur enfant; <strong>et</strong> finalement elle dépend desexigences formulées par l'école. <strong>Un</strong> tel apprentissage représente un parti pris dans la formation del'enfant. Ces différents facteurs décideront quelle fraction du cours d'instrument est dédiée àl'improvisation.L'objectif de ce travail a déjà été mentionné dans les pages qui précèdent. J'insiste sur le faitque l'improvisation n'est pas abordée ici comme une pratique en soi, mais comme une manièred'aborder la musique écrite, une manière de la comprendre en respectant son essence. Ainsi, c<strong>et</strong>tedialectique <strong>entre</strong> improvisation <strong>et</strong> <strong>interprétation</strong> est restituée dans la structure même de c<strong>et</strong>teébauche de méthode: nous partirons d'une oeuvre écrite, les Variations sur Ah! Vous dirai-je,Maman, de Mozart, <strong>et</strong> nous en déduirons des idées pour l'improvisation, ce qui nous perm<strong>et</strong>tra peutêtrede revenir mieux armés à l'oeuvre <strong>et</strong> à son langage. Pourquoi avoir choisi une pièce de Mozart?8


• Musicien précoce par excellence, l'exemple de Mozart constitue peut-être une illustrationidéale de l'acquisition de la musique comme d'une langue maternelle. Chez lui, langageverbal <strong>et</strong> <strong>musical</strong> se sont développés librement dès son plus jeune âge. Ainsi, Marianne, lasoeur aînée, parle du jeune Mozart âgé de trois ans: « Il se divertit pendant des heures àrechercher des tierces au clavecin, avec un plaisir ingénu à entendre l’agréable harmoniequ’il produit (…). » (http://musique.france2.fr/musique-classique)• Mozart composait dans un élan presque instantané. Ainsi, son oeuvre est jalonnée de motifs,d'ornements, de lignes harmoniques <strong>et</strong> d'autres procédés, que l'on r<strong>et</strong>rouve d'une pièce àl'autre. Ces éléments récurrents, sortes d'« automatismes compositionnels », contribuent àcaractériser le langage de Mozart, à lui donner son unité. Ils constituent à mon sens unexcellent matériel de base pour l'improvisation, dans la mesure où, par rapport à d'autrescompositeurs, ils sont relativement simples <strong>et</strong> biens définis.• La musique de Mozart ne présente généralement ni les difficultés techniques des oeuvres deChopin, ni la complexité <strong>musical</strong>e d'un contrepoint de Bach. Ses oeuvres privilégient lapur<strong>et</strong>é du chant, d'où une bonne distinction <strong>entre</strong> mélodie <strong>et</strong> accompagnement, agréable pourl'improvisation.Structure: mon travail se divise en 2 axes principaux:I. le travail sur les motifs d'accompagnementII. le travail sur les motifs d'ornementation mélodiquePour chacun de ces deux axes, le travail s'effectuera en 3 étapes:1) mise en évidence: comme le nouveau-né parvient à apprendre ses mots à force de lesentendre répéter, nous partirons, dans les Variations, à la recherche de motifs récurrents,caractéristiques du langage de Mozart, <strong>et</strong> nous les extrairons sous la forme de modèles.2) mise en perspective: nous confronterons ces modèles à l'ensemble de l'oeuvre de Mozart,afin d'en relever les diverses apparitions (dérivés), <strong>et</strong> d'en étudier l'utilisation.3) mise en pratique: une fois que nous nous serons formés un « vocabulaire <strong>musical</strong> », unesorte de boîte à outils, nous essayerons d'en reproduire « librement » le contenu dans desimprovisations.<strong>Un</strong> point important de c<strong>et</strong>te dernière partie réside dans la reprise de mélodies populairescomme bases de l'improvisation. Pour stimuler le plaisir de l'élève <strong>et</strong> pour soutenir son imagination,je ferai intervenir, non pas un matériel extérieur à la musique (film, image, texte...), mais bien unmatériau <strong>musical</strong>, sous la forme d'airs familiers, à reprendre <strong>et</strong> à varier dans les improvisations. Ilfaut savoir que ce processus de reproduction a joué un rôle considérable à travers toute l'histoire dela musique: l'improvisation, dans la musique ancienne, est fondée en grande partie surl'ornementation d'un choral du répertoire; Mozart, outre ses nombreuses variations, a composé sespremiers menu<strong>et</strong>s sur des mélodies populaires; les Mazurkas de Chopin sont issues elles aussi durépertoire populaire; Liszt, dans son oeuvre, n'a pas cessé de reprendre <strong>et</strong> de citer des thèmes déjàexistants; pensons finalement à la musique de Mahler, à celle de Bartòk <strong>et</strong> des compositeurs russesdu début du XXe siècle, qui eux aussi puisent leur inspiration dans le répertoire folklorique;pensons finalement aux improvisations de jazz qui suivent le fil harmonique d'un thème connu... Ceprocédé, qui m'a été précieux dans mon évolution <strong>musical</strong>e, traverse donc à la fois ledéveloppement du langage verbal (reproduction, imitation) <strong>et</strong> toute l'histoire de la musique (reprise,variation). Mais plus encore, il perm<strong>et</strong> de pousser au plus haut degré notre comparaison du verbal <strong>et</strong>du <strong>musical</strong>: si le nourrisson s'approprie si efficacement son langage, c'est parce qu'il est doté d'unesignification précise, c'est parce que les mots se rapportent à des obj<strong>et</strong>, à des états ou à des actes9


concr<strong>et</strong>s, ce qui confère au langage une utilité évidente, voire vitale. Est-ce que l'apprentissage de lalangue <strong>musical</strong>e bénéficie d'un tel support? Est-ce que le jeune Mozart était poussé par un besoinvital de s'exprimer <strong>musical</strong>ement comme le nourrisson qui appelle au sein de sa mère? Non, certes.Notre comparaison se heurte donc à c<strong>et</strong> obstacle pédagogique, à c<strong>et</strong>te différence fondamentale <strong>entre</strong>l'utile verbal <strong>et</strong> le beau <strong>musical</strong>. La musique ne tend pas vers un élément extérieur avec la force <strong>et</strong> laprécision du verbe. Ne désignant rien de précis, elle est repliée sur son propre obj<strong>et</strong>, elle est unappel à elle-même 2 . Si nous devons compter, dans notre apprentissage de la musique comme unelangue, sur l'existence <strong>et</strong> la force d'une signification, celle-ci est à chercher dans le plaisir du r<strong>et</strong>our,dans la « compulsion de répétition »: r<strong>et</strong>our du thème, réexposition, r<strong>et</strong>our de la tonique, ostinato,séquences, variations...mais aussi, comme nous l'avons vu, r<strong>et</strong>our d'une mélodie au fil de l'histoirede la musique.Par conséquent, puiser dans le répertoire de chansons populaires constitue, outre une base solideaux improvisations, une excellente façon de rendre vivante <strong>et</strong> attrayante la musique que l'élèvemusicien est amené à pratiquer. Reproduire au clavier les airs que j'avais en tête, je le redis, atoujours été d'un grand divertissement dans mon apprentissage de la musique <strong>et</strong> de l'improvisation.Lorsqu'on se sera familiarisé avec un certain nombre d'éléments du langage de Mozart, notonsencore l'idée d'un axe III, qui offre une ouverture supplémentaire vers la combinaison <strong>et</strong>l'élaboration de ces éléments, l'objectif étant de sortir du canevas imposé jusqu'ici par la mélodie debase, <strong>et</strong> d'essayer de former des phrases <strong>musical</strong>es indépendantes. A nouveau, nous nous fondons icisur le développement du langage verbal, où l'enfant apprend d'abord à prononcer des mots, puis àformer des phrases toujours plus longues <strong>et</strong> complexes.Bonne lecture <strong>et</strong> bon travail.** *2 Du moins c'est ainsi que je la considère dans le cadre du présent travail. En eff<strong>et</strong>, on aurait pu aussi s'interroger surle rôle d'une signification extérieure dans la compréhension de la musique, <strong>et</strong> son impact sur l'improvisation(improvisation à partir d'une image, un film, un récit...). Mais je me limiterai, comme mentionné plus haut, à untravail sur du matériau <strong>et</strong> des émotions purement musicaux.10


Axe I: travail sur les motifs d'accompagnementImaginons donc que notre élève travaille les variations sur Ah ! Vous dirai-je, Maman. deW.-A. Mozart. On prendra soin d'expliquer dans un premier temps à l'élève que c<strong>et</strong> air était, au 18ediècle, une contine populaire comme l'est aujourd'hui le fameux Quand trois poules, <strong>et</strong> que Mozartl'a repris pour le varier.A) Mise en évidenceNous entrons maintenant au coeur du travail. Avec l'élève, observons d'abord quelques-unesdes variations écrites de la main de Mozart <strong>et</strong> essayons d'en extraire quelques figuresd'accompagnement caractéristiques:• MODELE 1: Variation II, mesure 5 :• MODELE 2: Variation XI, mesure 9:• MODELE 3: Variation IV, mesure 1:<strong>Le</strong> choix de ces 3 modèles se justifie par leur relative facilité d'exécution, mais surtout parleur importance dans toute l'oeuvre de Mozart. Au fil des sonates, des concertos, des variations,mais aussi des pièces orchestrales, on s'apercevra que leur présence récurrente joue un rôle nonnégligeable dans la définition du style mozartien. C'est sur la base de ces « outils d'improvisation »que mon travail s'élabore. <strong>Le</strong>s exercices suivants comptent en eff<strong>et</strong> sur l'importance d'un tel« vocabulaire <strong>musical</strong> » pour perm<strong>et</strong>tre à l'élève d'expérimenter à la façon d'une langue vivante lamusique de Mozart.11


B) Mise en perspectiveDans une première partie du travail, il peut s'avérer intéressant de confronter ces 3 motifs(que j'ai qualifié de modèles) à l'ensemble de l'oeuvre de Mozart: où les r<strong>et</strong>rouve-t-on? Commentsont- ils utilisés? Quel est leur caractère, voire leur signification? Quelles transformations subissentils?Quels sont leurs dérivés?MODELE 1: variation II, m. 5L'utilisation que Mozart fait de ce motif peut se diviser en trois catégories principales:1. une ligne de basse ornée d'un mordant à l'octave supérieure.Ainsi, la ligne de basse des mesures 21-24 du thèmemordantbasseest variée selon ce système aux mesures 21-24 de la Variation II:Signalons qu'il est possible de transformer n'importe quelle ligne de basse régulière par cemotif passe-partout. On le r<strong>et</strong>rouve par exemple dans la Fantaisie KV 475, aux mesures 130-135.12


2. une basse de pédale ornée d'un mordant à l'octave supérieure.Ce motif ne remplit pas l'harmonie. Sur les trois notes de l'accord, il n'en fera sonnerqu'une seule: la tierce, la quinte ou la fondamentale. L'utiliser comme un motif de pédaleperm<strong>et</strong> donc beaucoup de possibilités. <strong>Le</strong>s variations sur <strong>Un</strong>ser dummer Pöbel meintnous en fournissent un bel exemple: la pédale s'étend des mesures 10 à 14 de l'Allegr<strong>et</strong>tofinal:Elle constitue une forme variée des octaves brisées qui précèdent (m. 6-10). Ce cas defigure constitue donc un enrichissement, aux couleurs brillantes de Mozart, de latraditionnelle pédale qui s'effectue d'ordinaire en notes tenues, en notes répétées ou enoctaves brisées.3. une ligne de basse ornée d'un mordant à une hauteur fixe.Plus délicate, c<strong>et</strong>te utilisation mélange une ligne de basse variable <strong>et</strong> un mordantstatique qui, pour ainsi dire, fait office de pédale. On en trouve plusieurs exemples dansle 1er mouvement de la Sonate en Do KV 279, aux mesures 20-21 <strong>et</strong> 25-26:On remarquera que ce cas de figure recèle un caractère harmonique plus riche: c<strong>et</strong>tefois-ci les trois notes de l'accord sont présentes dans l'accompagnement. <strong>Le</strong> souschapitreC) Mise en pratique donne de plus amples informations quant à l'utilisationd'un tel motif.DERIVES:Afin d'enrichir notre matériel <strong>musical</strong>, voici maintenant quelques motifs analogues à ce premiermodèle, <strong>et</strong> qui reviennent eux aussi avec insistance dans l'oeuvre de Mozart. Grâce aux référencesde la colonne de droite, on aura tout loisir d'étudier par soi-même l'utilisation qu'en fait Mozart dansl'une ou l'autre de ses compositions :13


MotifOccurrences• Ah! Vous dirai-je Maman, Variation II, m. 1• <strong>Un</strong>ser dummer Pöbel meint, Variation II, m. 1-2 <strong>et</strong> 9-10• Sonate en la mineur KV310, 1er mvt, m. 58-69• Sonate en ré Majeur KV576, 3e mvt, m. 184-187• Ah! Vous dirai-je Maman, Variation IV, m. 5-7• Salve tu, Domine, Variation II, m. 17-19• Concerto pour piano KV503, 3e mvt, m. 338-339• <strong>Un</strong>ser dummer Pöbel meint, Variation X, m. 33-35 <strong>et</strong> 44-50• Sonate en sol Majeur KV 283, 3e mvt, m. 13-16MODELE 2: var. XI, m. 9Ce modèle se définit à la fois par son caractère harmonique (il couvre trois notes del'accord), <strong>et</strong> par son ambitus ne dépassant pas l'octave. Il est donc facile à utiliser d'un point de vuedigital, mais exige d'un autre côté un sens de l'harmonie très développé. Avec la fameuse bassed'Alberti, il compte parmi les figures d'accompagnement les plus courantes chez Mozart (<strong>et</strong> chezbien d'autres de ses contemporains). On ne compte plus ses apparitions. Il perm<strong>et</strong> uneharmonisation complète, rythmée <strong>et</strong> légère à la fois; les plus belles mélodies se posent là-dessus:pensons au thème initial de la Marche turque, ou encore au 2e thème de la Fantaisie en ré mineur(ici Mozart a écrit la basse en notes tenues, ce qui lui donne plus de place) :14


Si le modèle 1 convenait à des mouvements rapides <strong>et</strong> brillants, sans grande complexité mélodique,Mozart fait usage de ce modèle dans des mouvements modérés; mais grâce à son potentielharmonique <strong>et</strong> à sa simplicité d'exécution, il soutient les contours mélodiques les plus audacieux.Ainsi, on le voit apparaître lorsque le thème est très ornementé: Ein Weib ist das herrlichste Ding,Var. VIII, m. 19-25.Ou dans les pédales de cadence: Concerto en la Maj. KV414, 2e mvt, cadence B, m. 1.DERIVES:Mais le principal intérêt de c<strong>et</strong>te figure réside dans la quantité importante de dérivés qui luicorrespondent. En voici quelques-uns:Motifou « basse d'Alberti »Occurrences• Sonate en Do Majeur KV545, 1er <strong>et</strong> 2e mvts• Joseph Haydn, Sonate en mi min. Hob.XVI/34, 3e mvt• Mia caro Adone, Variation III• Concerto pour piano KV414, 1er mvt, m.172-179• Sonate en Fa Maj. KV332, 3e mvt, m.50-64• Aria: « com'un agnello », Allegro final, m.10-1315


• Lison dormait, Variation VIII, m. 2-6• Sonate en do min. KV457, 3e mvt, m.18-21ou• Aria: « come un' agnello », Variation VIII,m. 1, 4 <strong>et</strong> 6• Concerto pour piano KV415, 1er mvt, m.60-61• Rondo I, m. 1-6MODELE 3: var. IV, m. 1Sans doute le plus difficile d'exécution, l'accompagnement en arpèges tient lui aussi uneplace de choix à travers l'oeuvre de notre compositeur. Comme il prend beaucoup de place dansl'espace sonore, il se prêtera à des figures mélodiques relativement sages <strong>et</strong> très rythmées: ConcertoKV503, 3e mvt, m. 45-46, Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation IV, m. 1.DERIVES:C'est dans les Variations pour piano, réputées pour leur virtuosité, qu'on en trouvera les plusbeaux exemples. Mozart en a imaginé de nombreux types. Certains sont assez caractéristiques;d'autres, plus rares, peuvent devenir très acrobatiques. <strong>Le</strong> tableau ci-dessous présente une série defigures dans un ordre croissant de difficulté. Puis, afin d'étoffer la liste, quelques cas exceptionnelsseront mentionnés.16


MotifOccurrences• Concerto KV271 « Jeunehomme », 1ermvt, m. 88• Fantaisie en do min., m. 38• Concerto KV482, 2e mvt, m. 95 <strong>et</strong> suiv.• Concerto KV449, 2e mvt, m. 116-118• Variations sur un Allegr<strong>et</strong>to en laMajeur, var. II, m. 1-2• Concerto KV449, 2e mvt, m. 98-102Autres cas de figures:Variations sur un Menu<strong>et</strong> de Mr. Fischer, Variation XII, m. 1-8 (le même motif:Variations sur Salv<strong>et</strong>u, Domine, Variation III, m. 1-8):17


Variation sur l'air « Come un' agnello », allegro final, m. 1-8:Au-delà de ces nombreux éléments issus de la littérature, il est tout-à-fait imagineable defaçonner ses propres motifs, par exemple en réunissant plusieurs groupes cités précédemment pourn'en former qu'un seul. Ainsi on r<strong>et</strong>rouve chez Mozart de tels « motifs groupés » :ou• Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation XII,m. 20-28Modèle I + Basse d'AlbertiDérivé modèle I + modèle I• Menu<strong>et</strong> de Mr. Duport, Variation II, m. 5,17, 21• Concerto KV467, 1er mvt, m. 154-256Modèle I + arpègeLoin d'être exhaustives, ces courtes séries de motifs englobent déjà une partie importante desaccompagnements chez Mozart. Grâce à ce travail, nous voilà désormais en possession d'unvocabulaire de base pour le soutien de la mélodie. <strong>Le</strong>s lignes qui vont suivre abordent le problèmede la mise en application de ces outils.C) Mise en pratique1. Maîtrise du motif lui-même:<strong>Le</strong> travail se poursuit par une première mise en pratique de ces divers éléments. Gardons àl'esprit que, dans l'univers improvisé, toute idée <strong>musical</strong>e naissant dans l'instant de l'exécution estfort étroitement liée aux possibilités digitales qui, au même moment, s'offrent à l'interprète; la pureinspiration artistique n'est donc pas seule à diriger une improvisation. La maîtrise « physique » desfigures <strong>musical</strong>es joue elle aussi un rôle, presque tyrannique, dans le jaillissement des idées <strong>et</strong> dansle développement de la pièce. Nous nous confrontons ici à un véritable problème technique. Maisest-il de même nature que celui rencontré par le virtuose qui travaille sa pièce? Pas exactement: plusqu'une stricte maîtrise technique, l'élève devrait développer une aisance à reproduire le trait, à le18


déplacer, à le varier avec la plus grande liberté, ou, pour reprendre la comparaison avec le langageverbal, à le conjuguer. Il ne s'agit plus tant de maîtriser un trait qu'un « principe <strong>musical</strong> » auxmultiples applications. Sans renier la vertu des exercices traditionnels conçus pour qu'un trait« coule sous les doigts » 3 , je propose en complément des exercices plus libres <strong>et</strong> plus variés, faitsavant tout pour faciliter l'accès à notre « boîte à outils » au moment de l'improvisation. Je ne vaispas m'étendre sur un suj<strong>et</strong> rendu infini par la créativité du professeur <strong>et</strong> de l'élève; voici tout demême une liste d'idées pour le travail d'un motif:• transposer dans un autre ton• transposer dans un autre mode (majeur, mineur, diminué, augmenté...)• renverser• varier le rythme, les nuances• introduire des accents• jouer en changeant d'octave (sur chaque mesure, chaque temps, chaque note...)• transformer, prolonger ou raccourcir le motifA deux mains:• doubler à la tierce, sixte,• imiter (canon, <strong>dialogue</strong>...)• jouer en « polytonalité » ...A l'image des exercices de Hanon ou de Beringer, le trait peut toujours faire l'obj<strong>et</strong> d'untravail purement technique: en le reproduisant plusieurs fois à la suite en montant/descendant d'unton/demi-ton à chaque fois, il sera possible d'aborder des aspects tels que le son, le toucher,l'articulation, l'indépendance des doigts... En outre, certains élèves (cela dépend des personnalités)auront du plaisir à inventer leur propre Etude à partir d'un ou plusieurs motif(s), comme Czerny lefaisait faire à ses propres disciples (le professeur peut d'ailleurs lui aussi composer des études pourl'élève).Il peut être bon également de faire travailler une oeuvre classique basée sur le motif enquestion. A titre d'exemple, la basse d'Alberti est magnifiquement exploitée dans le troisièmemouvement de la Sonate en mi mineur Hob. XVI/34 de Joseph Haydn. Ou encore le premiermouvement de la Sonate en la mineur KV310 de Mozart construit la moitié de son développementsur la figure:2. Ajout d'une ligne mélodiqueNous voici en face d'un problème majeur. Jusqu'ici, nous nous sommes contentés depréparer le terrain en fouillant la littérature, <strong>et</strong> en exerçant des passages pour ainsi dire « toutprêts ». Mais à présent comment passer de c<strong>et</strong> état relativement préparé à un état plus improvisé?3 Si le trait présente une difficulté inhérente, il est évident que ces exercices (cerner la difficulté, répéter le trait denombreuses fois, jouer staccato, grouper en rythmes serrés, exagérer l'articulation, jouer très lentement, <strong>et</strong>c...)constituent à mon sens la seule manière d'arriver à une aisance de base avant de pouvoir les manier librement.19


Comment soum<strong>et</strong>tre notre accompagnement aux caprices imprévisibles de la mélodie? <strong>Le</strong>s étapesque je propose s'inspirent des méthodes traditionnelles d'improvisation du XVIIe au XIXe siècle, oùse confondaient en grande partie l'invention <strong>et</strong> la reproduction:a) ornementer la règle de l'octaveIl peut être intéressant, dans un premier temps, de soum<strong>et</strong>tre notre motif à l'ensemble desdegrés de la gamme, afin d'exercer l'emploi des renversements <strong>et</strong> des harmonies de passages. Pource faire, je propose de reprendre la fameuse Règle de l'octave 4 , en substituant notre motif auxaccords plaqués ordinairement:<strong>et</strong>c...Ce même travail peut être appliqué aussi à des enchaînements cadentiels. L'assimilation descadences joue en eff<strong>et</strong> un rôle très important dans la plupart des méthodes d'improvisations <strong>et</strong>d'harmonie pratique d'aujourd'hui comme d'hier. A ce titre, l'axe III présente quelques exemplesd'ornementation de mouvements cadentiels (p. 37).4 exercice d'harmonisation de tous les degrés d'une tonalité, en usage dans l'apprentisage de la basse continue.20


) accompagner des airs connusCe travail est à mes yeux le plus sûr chemin vers l'improvisation. Il consiste à soum<strong>et</strong>tre lemotif travaillé à une mélodie familière. Dans notre exemple, on commencera par l'air de Ah! Vousdirai-je Maman, qui offre l'avantage d'être très facile à accompagner. <strong>Un</strong> des objectifsintermédiaires de c<strong>et</strong> exercice pourrait être tout d'abord de jouer une série de variations à partir desdifférentes figures susmentionnées, où seul l'accompagnement change, le thème de Ah! Vous diraijeMaman restant identique.VAR. I<strong>et</strong>c...VAR. II<strong>et</strong>c...VAR. III<strong>et</strong>c... 5VAR. IV<strong>et</strong>c...Dans une plus large mesure, il est possible d'effectuer un tel travail combinatoire avecn'importe quelle oeuvre de Mozart. Si par exemple l'élève joue une sonate, pourquoi ne pas extraireun motif mélodique (premier, deuxième thème...), <strong>et</strong> le varier avec plusieurs figures5 Dans c<strong>et</strong> exemple, le mordant do-si s'utilise sur les degrés de sous-dominante <strong>et</strong> de tonique (do étant une notecommune aux accords de fa, ré7 <strong>et</strong> do). Lorsqu'on passe à la dominante, il deviendra ré-do# par exemple.21


accompagnantes issues de la même sonate? Ce procédé trouve un terrain de jeu particulièrementpropice chez Mozart, mais il est également applicable à des compositeurs comme Haydn,Be<strong>et</strong>hoven, Liszt, Debussy...Enfin, on étendra l'exercice à d'autres mélodies, l'essentiel étant qu'elles soient familières àl'élève. Mais plus encore, il est souhaitable que l'élève puisse choisir lui-même ses mélodies, mêmesi celles-ci sont issues des « tubes » actuels. <strong>Le</strong> répertoire populaire moderne, ainsi que la musiquede film, regorgent de rengaines simples <strong>et</strong> bien adaptées à ce type d'exercice.=> Exécuter instantanément l'accompagnement d'une mélodie, même connue, n'est pas évident.Je procède donc par étapes:1. on joue la mélodie à la main droite <strong>et</strong> on joue une basse régulière à la gauche.2. à partir de c<strong>et</strong>te basse, on remplit l'harmonie. La mélodie est maintenant harmonisée par desaccords plaqués.3. à partir de ces accords plaqués, on ornemente par une figure d'accompagnement.c) Improviser la mélodieFaisons prudemment un pas de plus vers l'improvisation. Lorsque l'élève sait manipuler lemotif avec aisance, à lui d'imaginer sa propre ligne mélodique. Mais voilà: demander à un élèved'improviser une mélodie en partant de rien, <strong>et</strong> ce devant son professeur, n'est pas évident. En22


l'absence d'un support, d'une condition <strong>musical</strong>e imposée ou d'une source d'inspiration extérieure,l'élève, si la timidité ne le bloque pas, a toute les chances de tourner en rond; c'est un peu comme sion exigeait de lui qu'il écrive un texte sans le moindre suj<strong>et</strong>. Dans c<strong>et</strong>te optique, la section suivantes'efforce de donner un cadre à l'improvisation d'une mélodie. L'objectif est le même qu'à l'Axe I:s'approprier des « principes musicaux » relatifs à un langage, en l'occurrence celui de Mozart, <strong>et</strong> lesm<strong>et</strong>tre librement en pratique. Ainsi, les procédés d'ornementation que nous déduirons <strong>et</strong> que nousutiliserons contribueront peut-être à donner corps à l'acte d'improvisation.Axe II: Travail sur l'ornementation de la ligne mélodiqueReplongeons dans les Variations sur Ah! Vous dirai-je, Maman, <strong>et</strong> focalisons nousmaintenant sur les lignes mélodiques. Selon quels procédés Mozart traite-t-il le thème initial àtravers l'ensemble de la pièce?En observant comment le compositeur joue avec le thème au gré des variations, j'ai puconstater une oscillation continuelle <strong>entre</strong> la reprise fidèle de la mélodie de départ <strong>et</strong> satransfiguration la plus totale. Ainsi, certaines variations comme la 4e ou la 6e la reprennent presqu<strong>et</strong>elle quelle, tandis que d'autres, comme la 3e ou la 7e la transforment au point qu'il n'en ressort quel'harmonie. Dans ces deux derniers exemples, on ne peut plus vraiment parler d'une « ornementationdu thème »; il serait plus juste de parler d'un « nouveau thème composé sur la même harmonie ».J'ai alors choisi de construire mon travail en passant d'un pôle à l'autre 6 : je partirai de motifsrespectant assez bien la ligne de base (trilles, notes de passages,...), <strong>et</strong> je finirai avec desornementations qui s'en éloignent fortement (arpèges...).Note: la frontière <strong>entre</strong> « élément mélodique » <strong>et</strong> « élément d'ornementation » est parfois floue. Dansla musique de style Renaissance ou Baroque, la plupart des lignes mélodiques se référent à une bas<strong>et</strong>rès élémentaire, le choral, composé de valeurs longues <strong>et</strong> assez régulières. Démarquer la mélodie deson ornement (diminutions, appoggiatures...) est dans ce cas assez évident. Chez un compositeurcomme Chopin, la ligne mélodique semble au contraire intouchable, comme si l'ornement faisaitcorps avec la mélodie. Il serait alors difficile d'attribuer à telle note de passage un simple rôled'ornement puisque son absence déformerait directement la mélodie. Dans le cadre de mon travail, jevais pousser à l'extrême c<strong>et</strong>te distinction: le terme « mélodie » désigne, à l'image du choraltraditionnel, une ligne très pure <strong>et</strong> donc facile à ornementer. C'est sur une base aussi élémentaire queles exercices d'improvisation se réaliseront le mieux (voir l'encadré gris Simplification élémentaired'une mélodie p. 33)A) Mise en évidenceEssayons maintenant d'extraire des Variations sur Ah! Vous dirai-je, Maman l'une ou l'autrefigures d'ornementation. J'en distingue deux sortes:• Certaines se contentent de remplir le vide qui suit la note de la mélodie.=>6 Signalons tout de même que ces deux catégories ne sont pas si distinctes dans la réalité <strong>musical</strong>e, <strong>et</strong> que Mozart, enune pièce, est capable d'exploiter tous les degrés qui existent <strong>entre</strong> la reprise <strong>et</strong> la réinvention du thème.23


• D'autres se servent de ce vide pour lier une note à l'autre. Elles sont plus difficiles à utiliser,car elles varient en fonction de l'intervalle <strong>entre</strong> les deux notes.=><strong>Le</strong>s deux premiers modèles que j'ai sélectionné dans les Variations correspondent à ces deuxcatégories:MODELE 1: Variation I, mesure 1-2:MODELE 2: Variation I, mesure 20:Quant aux modèles 3 <strong>et</strong> 4 que voici, ils illustrent un stade avancé dans le degré de variation:désormais plus de distinction réelle <strong>entre</strong> « harmonie » <strong>et</strong> « mélodie ». <strong>Le</strong> modèle 3 est une sorted' « arpégiation » de l'ensemble du matériau; le modèle 4, un <strong>dialogue</strong> <strong>musical</strong> <strong>entre</strong> main gauche <strong>et</strong>main droite:MODELE 3: var. VII, m. 4-7MODELE 4: Variation V24


B) Mise en perspectiveMODELE 1: var. I, m. 1-2Ce modèle est très pratique. Il ne varie pas en fonction de la note suivante comme le modèle2 (Ah! Vous dirai-je, Maman var I, m. 1-2),<strong>et</strong> surtout il peut se réduire en cellules plus courtes si le rythme de la mélodie s'accélère:MotifOccurrences• Sonate en la min. KV 310, 1er mvt, m.28-29• Sonate en la min. KV 310, 1er mvt, m. 32• Sonate en do Maj. KV 279, 1er mvt, m.29DERIVES:Dans l'ensemble de ses Variations, Mozart a imaginé une quantité de dérivés tous possédant lamême amorce:MotifOccurrence• Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation I, m. 9-1225


• Menu<strong>et</strong> de Mr. Duport, Variation I, m.1-3• Lison dormait, Variation I, m. 10• <strong>Un</strong>ser dummer Pöbel meint, Variation I,m. 9-10Ce motif modèle ressemble à un trille mesuré. Ses dérivés sont innombrables si l'on inclut aussicertaines figures comme:Là-dessus, une mise en perspective pourrait encore s'avérer intéressante; les ornementationsmozartiennes regorgent de ce type de figure. Mais venons-en maintenant à notre second modèle.MODELE 2: var. I, m. 20A l'inverse du modèle 1, ce modèle est variable en fonction de la hauteur de la note àlaquelle il mène. Plutôt que d'ornementer la résonance de la note qui le précède, il conduit la ligne<strong>musical</strong>e vers le prochain pivot mélodique. Plutôt que de tourner autour de la note qu'il orne, ils'adresse d'emblée à la suivante. En fait, ce type de motif n'orne pas une note, mais un espace. Loind'affirmer la mélodie de départ, il la déforme, voire il la transforme. Ce modèle apporte donc undegré de liberté suplémentaire par rapport à la ligne de base. Il est une « mélodie dans la mélodie ».Dans ses élaborations mélodiques, Mozart utilise presque constamment ce type de motifs.Chacun possède son intervalle de préférence. Ainsi, lorsque le mouvement mélodique de base faitun saut de tierce, on r<strong>et</strong>rouvera plus souvent certains traits, tandis que d'autres se prêteront plusvolontiers aux intervalles de quinte ou de sixte. <strong>Le</strong> modèle développé ci-dessous convient àl'intervalle le plus fréquent: la seconde (var. I, m. 20).26


Néanmoins, pour devenir un ornementateur bien armé, il peut être utile d'étudier ainsi chaqueintervalle.DERIVES:MotifOccurrences• Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation I, m. 12<strong>et</strong> Variation VII, m. 9• Sonate en do Maj. KV 279, 1er mvt, m. 22-25• Sonate en do Maj. KV 309, 3e mvt, m.108-109Changeant sur chaque noire:• Concerto KV 467, 1er mvt, m. 99En montant:• Concerto KV 467, 1er mvt, m.97-9827


ApplicationMODELE 3: var. VII, m. 4-7Travail préparatoire pour l'ornementation de la mélodieL'ornementation selon ce modèle (<strong>et</strong> le suivant) ne rem<strong>et</strong> pas seulement en cause la lignemélodique, mais toute l'organisation <strong>musical</strong>e: la main gauche doit <strong>entre</strong>r dans le jeu de la maindroite <strong>et</strong> vice-versa. Elle n'a plus ce rôle d'accompagnement imperturbable qui laisse place auxlibertés de la main droite. En général, lorsque la droite exécute des arpèges rapides, la gauche secontente de jouer la basse en octaves, afin de ne pas alourdir une matière <strong>musical</strong>e déjà chargée.Mais dans les exemples suivants, il arrive que la gauche joue le thème par dessus les arpèges de ladroite. Puis, nous verrons au modèle 4 que la main gauche acquerra un rôle mélodique égal à celuide la droite.<strong>Le</strong>s Variations renferment plusieurs exemples: Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation VII, 20-24(mais aussi Variations sur un Allegro, var. VI).Avec passages du grave à l'aigu: Ah! Vous dirai-je, Maman, Variation VII (mais aussi <strong>Un</strong>serdummer Pöbel meint, var. VIII).<strong>Le</strong> Prélude XXI du premier volume du Clavier bien tempéré de J.S. Bach mérite aussi qu'on s'yarrête:28


DERIVE:MotifOccurrences• Concerto « Jeune Homme », Presto final,m. 1• Sonate en fa Maj. KV 332, 3e mvt, m.120-123• Salve tu, Domine, Variation I, m. 129


MODELE 4: Variation VOn assiste ici à un <strong>dialogue</strong> très intéressant <strong>entre</strong> main gauche <strong>et</strong> main droite. C<strong>et</strong>t<strong>et</strong>echnique ouvre une quantité de possibilités d'improvisation sur une mélodie simple. Je ne donneraipas de cellules dérivées toutes faites; voyons simplement comment Mozart exploite ce principe <strong>et</strong>inspirons nous-en:Dans la variation V, de Ah! Vous dirai-je, Maman, Mozart varie les alternances:2 contre 2 ; puis 1 contre 1 ; 2 contre 2 ; 3 contre 2 ; 3 contre 3 ; 1 contre 2.30


On r<strong>et</strong>rouve un même procédé d'alternance dans les Variations sur Salve tu, Domine, Var. II (jeud'octaviations):<strong>Le</strong> procédé de <strong>dialogue</strong> peut être appliqué à des motifs plus longs <strong>et</strong> plus variés (Variationssur un Allegro, var. III). Jusque là, la main gauche a conservé sa fonction accompagnante; dansl'exemple suivant, son rôle est réellement mélodique, comme la main droite. On en arrive à desvariations contrapuntiques très éloignées de la réalité du thème:31


C) Mise en pratique:<strong>Le</strong> lecteur aura sans doute remarqué que les motifs ci-dessus sont exposés selon un ordreprécis, où l'ornementation se fait toujours plus importante:1. d'abords les motifs qui ornent une note de la mélodie (modèle 1)2. puis ceux qui ornent une relation <strong>entre</strong> deux notes de la mélodie (modèle 2)3. enfin ceux qui englobent dans leur ornementation mélodie <strong>et</strong> accompagnement (modèles3 <strong>et</strong> 4)Lorsqu'on apprend à improviser des variations, le travail sur le thème commence par desornementations simples; peu à peu, on gagne de l'aisance, on prend conscience des pivotsmélodiques <strong>et</strong> harmoniques du thème; alors plus de libertés sont possibles. L'ordre ci-dessuscorrespond à mon propre chemin lorsque j'essaie de varier librement un thème; le même chemin,sans doute, que foule le musicien de jazz dans ses improvisations, où il est parfois si difficile pourl'auditeur de capter une ligne thématique sous les méandres de liberté.1. Première approche de la mélodie: je propose une première approche pratique laissant àl'élève le seul soin de la mélodie, l'accompagnement étant assumé par quelqu'un d'autre(typiquement l'enseignant).L'objectif est ici de se familiariser au mieux avec le suj<strong>et</strong>. <strong>Le</strong> comprendre, être à l'aisedans son exécution, l'avoir en tête 7 <strong>et</strong> pouvoir le reproduire librement, sur le clavier <strong>et</strong> enchantant, sont des exigences essentielles pour réussir un travail sur ce suj<strong>et</strong> même. Maisil faut aussi renverser la proposition: c'est en travaillant sur le suj<strong>et</strong> que l'on finit par lecomprendre. La musique n'est pas un théorème mathématique qu'on ne pourra appliquerqu'après l'avoir compris. Au contraire, sa mise en pratique fournit à mon sens lameilleure explication pour « saisir » un élément <strong>musical</strong>. C'est pourquoi, à peine l'élèveaura-t-il le thème sous les doigts, que je commence un travail de variation portant sur deséléments très simples. <strong>Le</strong>s exercices sont nombreux. A ce titre, signalons le recueild'André Locher, qui, comme premier pas vers l'improvisation, propose une série d'idéespour développer une ligne mélodique (Locher, 2000). Celles-ci sont déjà mentionnéesdans l'encadré gris de la page 19.L'exemple de Ah! Vous dirai-je, Maman est une bonne mélodie de départ, surtout si ellea déjà été travaillée par l'élève. Puis, comme nous l'avons fait avec les motifsd'accompagnement, on étendra l'exercice à d'autres mélodies familières à l'élève.2. Application des modèles 1 <strong>et</strong> 2: les motifs exposés plus haut peuvent être éprouvés surn'importe quel air du moment qu'il a été simplifié.7 <strong>Le</strong>s exercices proposés requièrent déjà une grande concentration sur le lien doigts-oreille; ajouter là-dessus la lecturede notes détournerait l'attention de l'élève vers des problèmes visuels malvenus dans un tel apprentissage.32


Simplification élémentaire d'une mélodieAvant d'entamer tout travail d'ornementation, je recommande de simplifier au mieux le motif debase: on ne r<strong>et</strong>iendra que les notes pivots. <strong>Le</strong>s notes de passages serrées, les cellules rythmiquescompliquées, les broderies, <strong>et</strong>c. doivent disparaître dans la mesure du possible. Plus la mélodie est simple<strong>et</strong> plus il sera facile d'improviser par-dessus (l'air de Ah! Vous dirai-je, Maman est un modèle dans legenre). Ainsi:deviendraitLa main gauche se contente d'une basse simple, d'abord:Puis, pourquoi ne pas mélanger un modèle du chapitre 1 pour la main gauche avec uneornementation mélodique à la droite:33


<strong>Un</strong>e fois que le modèle 2 est bien assimilé, l'exercice se complique. La main gauche joue unaccompagnement, tandis que la droite ornemente le thème en variant les motifs (en fonction desintervalles par exemple):3. Application des modèles 3 <strong>et</strong> 4: la variation touche maintenant l'ensemble du matériau<strong>musical</strong> <strong>et</strong> non plus seulement la voix mélodique, ce qui représente une étape de plus. Laliberté ayant un prix, une perception solide de la mélodie n'est plus suffisant, il fautégalement développer une conscience de son harmonie élémentaire, de son rythmeharmonique.Ainsi, il doit être possible de quitter totalement le fil mélodique du suj<strong>et</strong>, tout en serattachant à sa structure tonale profonde, un peu à l'image de l'improvisation jazz.Chez Mozart, la variation la plus ornementée respecte scrupuleusement les pivotsharmoniques du suj<strong>et</strong> 8 . Savoir varier un thème sans en perdre le fil harmoniquereprésente une difficulté majeure quand on aborde l'improvisation dans c<strong>et</strong>te forme.Il apparaît clairement que, plus la variation s'éloigne de la mélodie d'origine, de soncontour <strong>et</strong> de son rythme, <strong>et</strong> plus il est difficile de conserver la bonne harmonie,celle-ci étant comme emportée dans les transformations mélodiques. Il existe unemultitude d'exercices pour réussir à se libérer de c<strong>et</strong>te interdépendance <strong>entre</strong> unthème <strong>et</strong> son harmonie:8 on trouve néanmoins assez souvent des différences dans les harmonies secondaires: un degré IV remplacé par undegré II, l'ajout d'une dominante intermédiaire... Si mozart se perm<strong>et</strong> d'enrichir ainsi les degrés « suspendus », il sembleque les degrés de résolution, quant à eux, sont toujours conformes à l'harmonie du thème au moment de son exposition.34


Simplification élémentaire d'une harmonieJe préconise d'effectuer des exercices fondés sur une simplification du matériau harmonique. En ner<strong>et</strong>enant du thème que ses harmonies les plus élémentaires, l'objectif est de rendre l'élève attentif au rythmeharmonique. Quels en sont les « temps forts »? Quand est-ce que l'harmonie change? quand ne change-t-ellepas?1. jouer la mélodie de Ah! Vous dirai-je, Maman.2. l'harmoniser le plus simplement possible.3. r<strong>et</strong>irer la ligne mélodique <strong>et</strong> ne jouer que la série d'accords correspondant au squel<strong>et</strong>te harmonique deAh! Vous dirai-je, Maman. L'exécution doit être rythmée (en l'occurrence, à raison d'un accord parmesure, comme si la mélodie était jouée). Lorsque, d'une mesure à l'autre, un degré ne change pas(ex. m. 1 <strong>et</strong> 2), on rejouera exactement le même accord:On peut déduire de ce premier exercice le rythme harmonique suivant:A A B A C A C A=> Pourquoi ne pas faire essayer à l'élève de chanter la mélodie pendant que ses doigts jouentl'harmonie? C<strong>et</strong>te réalisation joue un rôle important dans la mesure où la présence sous-jacente duthème pendant l'improvisation d'une variation s'avère un guide précieux.=> Lorsque l'élève a acquis une bonne conscience du rythme harmonique qui sous-tend le thème, d'autresexercices peuvent être faits sur le même modèle, toujours dans une exécution verticale, mais c<strong>et</strong>te foisdans l'optique d'un enrichissement du matériau harmonique de base, selon le niveau de l'élève. Ainsi,toujours à partir la mélodie de Ah! Vous dirai-je, Maman, on peut déduire plusieurs harmonisationsplus ou moins élaborées. Mais attention: le modèle de base ne doit pas se faire trop compliqué, carc'est lui qui assurera la stabilité <strong>et</strong> la structure de l'improvisation.=> Pour développer encore c<strong>et</strong>te conscience harmonique, il est également possible d'exécuter une séried'accords en changeant leur position, à la façon d'un choral. Ainsi, une nouvelle mélodie apparaît.Ou encore d'improviser/jouer une autre mélodie sur c<strong>et</strong>te même harmonie.35


On en arrive donc à des ornementations touffues qui recouvrent le suj<strong>et</strong>:Ou qui le transforment:dans ce dernier cas, on peut enrichir notre variation en imaginant un motif de base plus long, tiré parexemple de nos séries de dérivés:L'exercice suivant donne une ouverture supplémentaire: dans ses développements de sonate, Mozarta coutume de reprendre <strong>et</strong> d'élaborer l'élément initial de l'exposition. Ainsi, dans sa première Sonateen do Maj. KV 279, la première partie du développementjoue sur la première mesure de la pièce:36


Mozart s'est servi de c<strong>et</strong>te première mesure comme d'un mécanisme de variation, pour ornerune marche en quintes descendantes. Essayons de greffer ce modèle à notre thème Ah! Vous diraije,Maman :L'exercice est très amusant <strong>et</strong> peut se reproduire à l'infini à travers toute l'oeuvre de Mozart.Axe III: Vers plus de libertéJusque là, nous nous sommes cantonnés presque exclusivement au domaine de la variation.<strong>Le</strong> respect d'une ligne thématique nous a permis de m<strong>et</strong>tre en application, dans un cadre trèsstructuré, des éléments concr<strong>et</strong>s, de p<strong>et</strong>its motifs <strong>et</strong> leurs dérivés un peu comparables à des « mots ».L'étape suivante consiste donc à former librement, sur la base de ces éléments primitifs, nos« phrases <strong>musical</strong>es » jusqu'alors emprisonnées dans un canevas mélodique <strong>et</strong> harmonique. Dansc<strong>et</strong>te perspective, les cadences de Concerto ainsi que les développements de sonate renferment desexemples enrichissants pour qui souhaite apprendre la langue de Mozart <strong>et</strong> savoir « jouer avec lesmots ». Sans revêtir les traits d'une méthode, le présent chapitre fouille quelques-unes de cesoeuvres <strong>et</strong> m<strong>et</strong> en lumière certaines constantes dans le travail compositionnel du maître; libre àl'élève d'en faire usage...A) <strong>Le</strong>s motifs de fin de phrase:A la fin de ses phrases, Mozart a coutume d'introduire un nouveau motif qui démarque lacadence du reste de la phrase. Ces cellules de nature assez décorative se r<strong>et</strong>rouvent souvent d'uneoeuvre à l'autre. En voilà quelques-unes:MotifOccurrences• Concerto KV 415, 1er mvt m. 107• Sonate en Fa KV 332, 1er mvt,m. 8537


• Concerto KV 503, 1er mvt, 175 <strong>et</strong>m. 351• Sonate en La KV 331, 1er mvt, m.116Et pour conclure la cadence en douceur:MotifOccurrences• Variations sur un menu<strong>et</strong> deFischer, var. I m. 8 <strong>et</strong> var. III m.25B) Progressions harmoniques:<strong>Le</strong>s pages de Mozart réservent une place importante aux progressions harmoniques (ou« marches » harmoniques). <strong>Le</strong> développement est le lieu privilégié pour ces séquences, moinsprésentes dans l'exposition où le contexte harmonique reste plutôt stable. Certains développementsde sonate sont même composés d'un bout à l'autre par ce procédé, un peu à l'image de la musiquebaroque (Sonate en do KV 279, 1er mvt; Sonate en la min. KV 310, 1er mvt; Concerto KV 415, 1ermvt). On ne peut donc passer à côté de ce suj<strong>et</strong>, lorsqu'on aborde le langage de Mozart. En voicisimplement quelques exemples:Concerto KV415, 3e mvt.38


Sonate en do KV545, 1er mvt.Sonate en sib KV570, 1er mvt.Dans ce dernier exemple, Mozart construit sa marche harmonique sur un extrait de motifthématique provenant de l'exposition. <strong>Un</strong> exercice intéressant consiste, sur le modèle de Mozart, àchoisir un motif ou un fragment de motif (mélodie, arpège, accompagnement...) dans l'oeuvr<strong>et</strong>ravaillée (par. ex. les m. 5 à 8 du thème de Ah! Vous dirai-je, Maman) <strong>et</strong> à imaginer une marcheharmonique qui reprendrait ce motif sous forme de séquences.Voyons maintenant d'autres manières de travailler un motif chez Mozart.C) Elaboration d'un motif:<strong>Le</strong>s procédés sont nombreux <strong>et</strong> variés, mais ils se fondent presque tous sur un mêmeprincipe: la fragmentation du matériau <strong>musical</strong>. Plutôt que de travailler sur la totalité du motif,Mozart n'en reprend qu'une p<strong>et</strong>ite partie qui constituera sa « cellule de travail ».1. Prolongation.Ce procédé se r<strong>et</strong>rouve presque systématiquement dans les cadences de Concerto. Mozartréexpose le thème <strong>et</strong> se m<strong>et</strong> alors à insister sur la dernière partie exposée (en laréharmonisant, en l'octaviant...):39


Concerto KV414, 1er mvtvoir aussi: Sonate en Fa KV332, 1er mvt, m. 123 <strong>et</strong> suiv.Sonate en Sib KV 333, 1er mvt, m. 64 <strong>et</strong> suiv.2. Jeux de tessitures.Mozart développe plusieurs manières de varier les tessitures du thème:Passer le motif d'une main à l'autre (Sonate en Ré KV 576, 1er mvt, m. 81 <strong>et</strong> suiv.),faire passer la mélodie au-dessus <strong>et</strong> en dessous de l'accompagnement (<strong>Un</strong>ser dummer Pöbelmeint, var. VIII.),Octavier, renverser (Sonate en Fa KV332, 1er mvt, m. 129-132 <strong>et</strong> suiv.), transposer...3. « Arpégiation ».Il arrive, notamment dans les cadences de concertos, qu'un motif mélodique soit utilisé pourformer un arpège (Concerto KV 459, 3e mvt., m. 43 de la cadence)Pour finir, voyons comment Mozart traite le thème du 3e mouvement de son Concerto KV 459(cadence):thème40


m. 23-30 <strong>Un</strong>e partie du thème est reprise <strong>et</strong> prolongée sous forme de progression harmonique.m. 31-38 C<strong>et</strong>te même cellule est transformée en un motif rythmique insistant, sur une sousdominantede cadence.m. 42-50 Mozart forme un arpège avec la cellule de départ.Nous voilà au terme de notre investigation. <strong>Le</strong>s axes I <strong>et</strong> II se proposaient d'apporter àl'élève des « briques » <strong>musical</strong>es de complexité croissante; l'axe III évoquait quelques outilsperm<strong>et</strong>tant de les assembler en « segments de construction ». Si nous voulions maintenantpoursuivre notre travail, il serait temps alors de l'étendre à un espace plus vaste: celui del'architecture formelle, celui de la grande forme (élaboration d'une sonate, d'une variation, d'unecadence de concerto...), ce qu'un autre travail comme celui-ci ne suffirait pas à recouvrir...** *41


Conclusion<strong>Un</strong>e question essentielle mérite encore d'être développée à l'issu de ce travail: dans quel butfais-je intervenir c<strong>et</strong>te forme d'improvisation dans le cadre du cours « classique »? A-t-elle uneutilité concrète <strong>et</strong> directe? Est-elle présentée comme un moyen de développer sa technique? Sondéchiffrage? Sa connaissance d'un style? Sa maîtrise de l'harmonie au clavier? Ou tous ces aspects àla fois? Nous avons évoqué plusieurs fois le concept de « compréhension ». Quel sens prend-il chezle musicien?Dans la compréhension du langage verbal, on dit que l'auditeur refait en lui-même le discoursde son locuteur. Des études ont démontré la présence de micro-mouvements dans le larynx de celuiqui suit <strong>et</strong> saisit un discours. L'écoute verbale n'a donc rien de purement cérébral: elle se manifesteactivement dans le corps de l'auditeur, qui, du coup, devient en même temps « locuteur de luimême». Il est donc d'autant plus facile de suivre le fil d'un discours prononcé dans une langue quel'on peut parler, une langue que l'on est accoutumé à articuler. Dès lors, n'en va-t-il pas de mêmepour la langue <strong>musical</strong>e? J'ai connu un jour un jeune musicien, prodigieux comme je n'en avaisjamais vu, <strong>et</strong> qui avait le réflexe d'agiter les doigts sur un instrument imaginaire sitôt qu'unemusique lui parvenait. La qualité d'écoute que le musicien développe par rapport au non-musicien,c'est sans doute c<strong>et</strong>te faculté de se représenter plus concrètement le déroulement <strong>musical</strong>, de lerefaire intérieurement, comme s'il s'agissait d'un langage parlé couramment. L'écoute <strong>musical</strong>e n'estpas faite seulement de sensations sonores abstraites, elle est aussi la compréhension d'un geste, elleest un lien <strong>entre</strong> un son <strong>et</strong> un mouvement.Dans c<strong>et</strong>te perspective, il est concevable que l'improvisation, en tant qu'elle joue sur unerelation directe <strong>entre</strong> une volonté sonore <strong>et</strong> son exécution, renforce la capacité de se représenterintérieurement le phénomène <strong>musical</strong>, sans même l'avoir encore produit, à la façon du chefd'orchestre qui lit sa partition. Au-delà de toute utilité précise, on peut donc conclure que c<strong>et</strong>tepratique joue un rôle essentiel dans le développement de la pensée <strong>musical</strong>e (ou « sens » <strong>musical</strong>),rôle que ne remplit pas totalement la lecture d'une partition au piano, puisque celle-ci conduitparfois directement « des yeux aux doigts », <strong>et</strong> ne suppose pas nécessairement de représentationintérieure <strong>et</strong> des sons.42


RéférencesLivresBach, C.P.E. (1979). Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier (D. Collins,trad.). Paris: Lattès.Badura-Skoda, P. & Badura-Skoda, E. (1980). L'art de jouer Mozart au piano. Paris:Buch<strong>et</strong>/Chastel.Bailey, D. (1999). L'improvisation: sa nature <strong>et</strong> sa pratique dans la musique (I. <strong>Le</strong>ymarie, trad.).Paris: Outre Mesure.Biesenbender, V. (2001). Plaidoyer pour l'improvisation dans l'apprentissage <strong>musical</strong> (C. Ban<strong>et</strong>,trad.). Fond<strong>et</strong>tes: Van de Velde.Brun, J. (1999). Essence <strong>et</strong> histoire de la musique. Genève: Ad Solem.Burney, C. (1992). Voyage <strong>musical</strong> dans l'Europe des lumières (M. Noiray, trad.). Mayenne:Flammarion.Couperin, F. (1996). L'art de toucher le clavecin [Fac-similé]. Courlay: Fuzeau.Eigeldinger, J.-J. (1988). Chopin vu par ses élèves. Neuchâtel: Langages.Gellrich, M. (janvier 1995). <strong>Le</strong>s exercices techniques comme base de l'improvisation au piano.Cahiers suisses de pédagogie. 2-8.Gellrich, M. (1992). Üben mit Liszt: Wiederentdeckte Geheimnisse aus der Werkstatt derKlaviervirtuosen. Frauenfeld: im Waldgut.Lockspeiser, E. & Halbreich, H. (1980). Debussy, sa vie <strong>et</strong> sa pensée (L. Dilé, trad.). Paris: Fayard.Massin, J. & Massin, B. (1967). Ludwig van Be<strong>et</strong>hoven. Paris: Fayard.Michnik Golinkoff, R. & Hirsh-Pasek, K. (1999). L'apprentissage de la parole (M. Perron, trad.).Quebec: Editions de l'Homme.Piag<strong>et</strong>, J. (1976). <strong>Le</strong> langage <strong>et</strong> la pensée chez l'enfant.Paris: Delachaux <strong>et</strong> Niestlé.Siron, J. (1992). La partition intérieure. Paris: Outre Mesure.43


PartitionsBach, J.S. (1997). Das Wohltemperierte Klavier Teil I. München: Henle.Locher, A. (1986/2000). Arrangements de mélodies pour l'enseignement du piano. Conservatoire deLausanne.Mozart, W.A. Variationen. <strong>Le</strong>ipzig: P<strong>et</strong>ers.Mozart, W.A. Klavierstücke. <strong>Le</strong>ipzig: P<strong>et</strong>ers.Mozart, W.A. (2005). Concerto in C major for Piano and Orchestra KV503. Kassel: Bärenreiter.Mozart, W.A. (1992). Klaviersonaten Band I <strong>et</strong> II. München: Henle.Sites INTERNEThttp://dme.mozarteum.at/DME/nma/start.php?l=1www.fmil.orghttp://musique.france2.fr/musique-classique44

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