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1) Le marivaudage : un jeu verbal et un jeu de masques c) La parole ...

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1) <strong>Le</strong> <strong>marivaudage</strong> : <strong>un</strong> <strong>jeu</strong> <strong>verbal</strong> <strong>et</strong> <strong>un</strong> <strong>jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>masques</strong>c) <strong>La</strong> <strong>parole</strong> dissimulée♦ <strong>Le</strong>s apartés :- Marton contredit Mme Argante en aparté : <strong>parole</strong> <strong>de</strong> contestationentendue seulement par Mme Argante <strong>et</strong> par le public I, 10 « L’air n’yfait rien. Je vous réponds <strong>de</strong> lui… » (l.31/33)- Dorante peut s’exprimer en toute transparence quand il est seul I, 11« jene suis plus si fâché <strong>de</strong> la tromper » à propos <strong>de</strong> Marton qui l’encourage àtromper sa maîtresse, Araminte, dans le but <strong>de</strong> récupérer l’argent promispar le Comte. Ainsi, Dorante n’a-t-il pas le courage <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r Martonsur les promesses fausses faites par M. Remy sur leur prétendu mariage,mais faute <strong>de</strong> le dire, se montre plus franc en face du public. Mais, c<strong>et</strong>aparté, c’est aussi la preuve <strong>de</strong> sa lâch<strong>et</strong>é : n’ose pas affronter Marton.- Araminte ne livre ses vrais sentiments, ses doutes, ses craintes, sesfaiblesses qu’en aparté ; ainsi seul le spectateur a accès à ce qu’elleressent, aux eff<strong>et</strong>s produits sur elle par les <strong>parole</strong>s manipulatrices <strong>de</strong>Dubois. I, 15 « <strong>La</strong> vérité est que voici <strong>un</strong>e confi<strong>de</strong>nce dont je me seraisbien passée moi-même » ; l.39 « Je n’ai pas le courage <strong>de</strong> l’affliger »,« je n’oserais presque le regar<strong>de</strong>r ». Parole en aparté dit le vrai, tandisque la <strong>parole</strong> échangée dans c<strong>et</strong>te scène avec Dorante vise à cacher le vrai(la confusion amoureuse d’Araminte). Même chose en II, 2 « Il m<strong>et</strong>ouche tant qu’il faut que je m’en aille. »- Araminte espère par le stratagème <strong>de</strong> la fausse l<strong>et</strong>tre écrite pour elle parDorante pour accepter le mariage avec le Comte que Dorante avoueraenfin clairement ses sentiments. <strong>Le</strong> spectateur sait, grâce à l’aparté,qu’Araminte espère les aveux amoureux <strong>de</strong> Dorante, alors qu’elleparaisait indécise jusqu’ici. II, 13 « Il souffre, mais il ne dit mot ; est-cequ’il ne parlera pas ? double <strong>parole</strong> d’Araminte : ce qu’elle dit àDorante est faux <strong>et</strong> relève du stratagème ; ce qu’elle dit pour elle-même<strong>et</strong> pour le public est vrai, <strong>et</strong> révèle son cœur. II, 13 « <strong>Le</strong> cœur me bat ! »l’amour fait <strong>de</strong>s progrès dans son cœur II, 15 « Il a <strong>de</strong>s expressionsd’<strong>un</strong>e tendresse ! »♦ <strong>Le</strong>s secr<strong>et</strong>s :- <strong>Le</strong> premier secr<strong>et</strong> est celui que Dorante partage avec son ancienserviteur : son amour pour Araminte <strong>et</strong> son désir <strong>de</strong> se faire aimer d’elle.C’est sur c<strong>et</strong>te <strong>parole</strong> secrète, connue <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux seuls personnages <strong>et</strong> dupublic, que se construit l’intrigue.- Paroles échangées entre Dorante <strong>et</strong> Araminte en I, 12 doivent resterégalement ignorées <strong>de</strong>s autres personnages : l’intendant révèle à samaîtresse la machination voulue par Mme Argante pour faciliter le1


mariage <strong>de</strong> sa fille avec le Comte : Dorante : « Parlons <strong>de</strong> ce que j’ai àvous dire ; mais que ceci soit secr<strong>et</strong> entre nous, je vous en prie. »Araminte « Je me trahirais plutôt moi-même ». <strong>La</strong> <strong>parole</strong> exclusive est lapremière manifestation d’<strong>un</strong>e complicité, d’<strong>un</strong> rapprochementvéritablement intime entre ces <strong>de</strong>ux êtres ; d’<strong>un</strong> abandon à l’autre : <strong>un</strong>econfiance totale alors qu’ils se connaissent très peu.- Dubois, pour mieux manipuler Araminte, prétend avoir <strong>un</strong> secr<strong>et</strong> àpartager avec elle seule I, 13 « Il m’est recommandé <strong>de</strong> ne vous parlerqu’en particulier ». Moyen <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> la solennité, <strong>de</strong> la gravité à ses<strong>parole</strong>s <strong>de</strong> la scène suivante. Dramatisation volontaire pour piègerAraminte. Celle-ci à la fin <strong>de</strong> la scène suivante I, 14, <strong>un</strong>e fois lamanipulation opérée par les <strong>parole</strong>s <strong>de</strong> Dubois, souhaite également gar<strong>de</strong>rsecrètes les confi<strong>de</strong>nces que vient <strong>de</strong> lui faire son val<strong>et</strong> sur l’amour <strong>de</strong>Dorante : « surtout qu’il ne sache pas que je suis instruite ; gar<strong>de</strong> <strong>un</strong>profond secr<strong>et</strong> ; <strong>et</strong> que tout le mon<strong>de</strong>, jusqu’à Marton, ignore ce que tum’as dit ; ce sont <strong>de</strong> ces choses qui ne doivent jamais percer. » Mais <strong>jeu</strong><strong>de</strong> dupes : qui est pris qui croyait prendre puisque le spectateur mais aussiDorante sont déjà au courant <strong>de</strong> tout cela. De plus, ce secr<strong>et</strong> pousseAraminte au désarroi : I, 15 « <strong>La</strong> vérité est que voici <strong>un</strong>e confi<strong>de</strong>nce dontje me serais bien passée moi-même » ; puisque c<strong>et</strong>te fausse confi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>Dubois va obliger Araminte à <strong>de</strong>venir à son tour calculatrice, à agir dans<strong>un</strong> sens ou dans <strong>un</strong> autre.- Araminte reproche à Dubois <strong>de</strong> n’avoir pas su gar<strong>de</strong>r secrète sa révélationsur l’amour que Dorante a pour elle : II, 12 « tu n’as guère d’attentionpour ce que je te dis. Je t’avais recommandé <strong>de</strong> te taire sur le chapitre <strong>de</strong>Dorante » ; « c’est <strong>de</strong> ton silence dont j’ai besoin pour me tirer <strong>de</strong>l’embarras où je suis. », « <strong>et</strong> bien tais-toi donc, tais-toi. ». Erreurd’Araminte : croire que le silence, donc le secr<strong>et</strong>, peut la sauver <strong>de</strong>l’amour.♦ Un adjuvant <strong>de</strong> la <strong>parole</strong> masquée : le leurre du portrait- Est <strong>un</strong>e institution <strong>de</strong> la société galante du XVIIIe siècle avec le miroir.Notion magique sous-jacente : il y a <strong>un</strong>e vérité intérieure, <strong>un</strong> doublevisage <strong>de</strong> l’être qui affleure au travers <strong>de</strong> ses <strong>masques</strong> ; <strong>et</strong> ce théâtrefonctionne comme <strong>un</strong>e machine à révéler les êtres.- II, 7 <strong>Le</strong> Comte « le portrait d’<strong>un</strong>e dame ? qu’est-ce que cela signifie ? »II, 8 Marton « Point <strong>de</strong> mystère » ; II, 9 Araminte « Qu’est-ce qu’<strong>un</strong>portrait dont M. le Comte me parle… ? », « dites-nous donc <strong>de</strong> quoi ils’agit », Mme Argante « Ceci a <strong>un</strong> air <strong>de</strong> mystère qui est désagréable. »- II, 10 « j’ai vu par hasard <strong>un</strong> tableau où Madame est peinte <strong>et</strong> j’ai cruqu’il fallait l’ôter, qu’il n’avait que faire là » [dans l’appartement <strong>de</strong>Dorante]. Fait partie du stratagème <strong>de</strong> Dubois.2


Mais, en même temps, les obj<strong>et</strong>s sont là pour parler à la place <strong>de</strong> Dorante,dont la <strong>parole</strong> amoureuse, toujours défaillante, ne peut se formuler. Amour passeici par <strong>un</strong>e révélation visuelle <strong>et</strong> non <strong>verbal</strong>e.2) <strong>La</strong> fauss<strong>et</strong>é <strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>nces traduit-elle la duplicité <strong>de</strong>s personnages ?a)Tous les personnages font, à <strong>un</strong> moment ou <strong>un</strong> autre, <strong>de</strong> fausses confi<strong>de</strong>nces :- M. Rémy fait croire à Marton que Dorante l’aime I, sc4 : mensongeséhontés, véritable fiction racontée à Marton pour qu’elle se laisse séduirepar Dorante : « il vous a déjà vue plus d’<strong>un</strong>e fois chez moi… Savez-vousce qu’il me dit la première fois qu’il vous vit ? Quelle est c<strong>et</strong>te jolie fillelà? ». <strong>Le</strong>s <strong>parole</strong>s rapportées sont inventées <strong>de</strong> toutes pièces : gêne <strong>de</strong>Dorante didascalie « embarrassé ».- Marton fait croire à Araminte que M. Remy l’a chargée <strong>de</strong> veiller à labonne installation <strong>de</strong> Dorante dans son nouveau poste. Feint donc <strong>de</strong>parler au nom du procureur en qui Aramonte a toute confiance. S’octroiedonc à tort la <strong>parole</strong> <strong>et</strong> l’autorité <strong>de</strong> la <strong>parole</strong> <strong>de</strong> l’autre pour servir sespropres intérêts. <strong>Le</strong> spectateur sait que M.Remy n’a pas <strong>de</strong>mandé cela àMarton ; qu’elle a d’autres intentions, amoureuses en réalité I, 6 « M.remy m’a chargée <strong>de</strong> vous en parler ».- Araminte veut tendre <strong>un</strong> piège à Dorante pour l’obliger à déclarer sonamour, <strong>et</strong> ainsi clarifier la situation : II, 12 « j’ai envie <strong>de</strong> lui tendre <strong>un</strong>piège. » Incite Dorante à dissimuler ses sentiments pour mieux piéger lesautres personnages I, 1 « dissimulez-en <strong>un</strong>e partie [<strong>de</strong> votre attachement,<strong>de</strong> votre fidélité], c’est peut-être ce qui les indispose contre vous. »Araminte fait croire qu’elle désire que Dorante dissimule ses vraissentiments pour pouvoir le défendre aux yeux <strong>de</strong> ses proches ; or, il s’agitd’abord <strong>de</strong> se protéger elle-même contre l’amour <strong>de</strong> Dorante qui l’effraie.- Autre fausse confi<strong>de</strong>nce d’Araminte faisant partie <strong>de</strong> son piège : elle luifait croire qu’elle est prête à épouser le comte Dorimont II, 3 « touteréflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte. …Oui tout à faitrésolue. <strong>Le</strong> Comte croira que vous y avez contribué. Je le lui diraimême ». S’engage donc à mentir au Comte, mais en réalité le vraimensonge c’est <strong>de</strong> faire croire qu’elle mentira au Comte, alors qu’il n’enest rien.b)<strong>Le</strong>s fausses confi<strong>de</strong>nces sont-elles mensongères ?♦ <strong>Le</strong>s mensonges <strong>de</strong> Dorante :-Dorante ment-il vraiment à Marton I, 5 sur l’amour prompt mais durable« Autant l’<strong>un</strong> que l’autre Mlle » ? Mais en réalité a-t-il le choix ? A été obligépar son oncle <strong>de</strong> faire croire à MArton qu’il était séduit par elle ; a été pris <strong>de</strong>court ; a bien essayé <strong>de</strong> modérer la précipitation <strong>de</strong> M. Remy mais en vain I, 43


« Vous import<strong>un</strong>ez Ma<strong>de</strong>moiselle, Monsieur ». N’ose pas faire <strong>de</strong> peine àMarton : s’empêtre donc dans le mensonge pour ne pas avoir à blesser c<strong>et</strong>teje<strong>un</strong>e fille.-<strong>La</strong> l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> Dorante, mise entre les mains <strong>de</strong> Marton par Dubois, est <strong>un</strong>stratagème. C’est <strong>un</strong>e fausse confi<strong>de</strong>nce faite à <strong>un</strong> ami fictif dans le but d<strong>et</strong>romper tout le mon<strong>de</strong> ; mais, en même temps, perm<strong>et</strong> à Dorante d’avouer sessentiments amoureux <strong>de</strong> manière sincère : III, 8 « elle ne peut plus ignorer lamalheureuse passion que j’ai prise pour elle, <strong>et</strong> dont je ne guérirai jamais. »« perdre le plaisir <strong>de</strong> voir tous les jours celle que j’adore… »♦ Même Araminte ne dit pas entièrement la vérité :- certes en I, 7, elle accueille avec politesse <strong>et</strong> même chaleur Dorante, luimontrant ainsi qu’elle n’a que faire <strong>de</strong>s préjugés sociaux, qu’elle estsensible à ses qualités d’honnête homme mais le spectateur sait qu’elleest surtout séduite par l’apparence physique du je<strong>un</strong>e homme. Donc sesdéclarations sont en partie fausses « Vous trouverez ici tous les égardsque vous méritez… ».- Pour défendre Dorante face à Mme Argante <strong>et</strong> au Comte qui réclamentson renvoi, ayant appris que l’intendant est amoureux <strong>de</strong> sa maîtresse,mais également pour gar<strong>de</strong>r auprès d’elle c<strong>et</strong> homme qu’elle commence àaimer, Araminte a recours elle aussi <strong>de</strong>s ruses II, 12 « je suis obligée <strong>de</strong>prendre <strong>de</strong>s biais, <strong>et</strong> d’aller tout doucement avec c<strong>et</strong>te passion siexcessive que tu me dis qu’il a […]. Ce n’est plus le besoin que j’ai <strong>de</strong> luiqui me r<strong>et</strong>ient, c’est moi que je ménage. » ; à la fin <strong>de</strong> la même scène :« si on me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que tu m’as appris <strong>de</strong> lui, je dirai ce dont noussommes convenus. Ment à ses proches, Mme Argante, Marton, ainsiqu’au Comte.- Pour dissimuler son émotion, Araminte use d’<strong>un</strong>e <strong>parole</strong> mensongère. Eneff<strong>et</strong>, dans II, 15, Araminte croit que Marton veut que Dorante la<strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage. Or, il s’agit d’<strong>un</strong>e ruse <strong>de</strong> Marton pour obligerDorante à prendre enfin ses responsabilités. Araminte fait semblantd’encourager ce mariage. « Je suis charmée <strong>de</strong> ce qu’elle vient <strong>de</strong>m’apprendre. Vous avez fait là <strong>un</strong> très bon choix ; c’est <strong>un</strong>e fille aimable<strong>et</strong> d’<strong>un</strong> excellent caractère. »- Araminte fait croire à Dubois que rien <strong>de</strong> décisif ne s’est dit entre elle <strong>et</strong>Dorante alors qu’il lui a avoué indirectement son amour « avant d’avouerce que le hasard vous découvre » I, 15 »Non, il ne m’a rien dit. Je n’airien vu d’approchant à ce que tu m’as conté ; <strong>et</strong> qu’il n’en soit plusquestion ; ne t’en mêle plus ». En fait, Arminte <strong>un</strong>e fois encore ment pourse protéger car ne sait toujours pas bien ce qu’elle veut. Et cela, Duboisl’a saisi « Voici l’affaire dans sa crise. »II, 16- De même quand tout le mon<strong>de</strong> a découvert l’amour que Dorante lui porteIII, 6, elle ment pour se protéger <strong>et</strong> pour protéger Dorante : « L’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong>4


sa tendresse ! Oh ! oui, très secr<strong>et</strong>, je pense. Ah ! Ah ! je ne me croyaispas si dangereuse à voir. […] Monsieur Remy, vous qui me voyez assezsouvent, j’ai envie <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner que vous m’aimez aussi. »♦Marton fait elle aussi semblant d’ignorer que c’est Araminte que Doranteaime. Pour obtenir le vrai, elle dit le faux : II, 14 : elle fait croire à Dorantequ’il doit la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en mariage à sa maîtresse Araminte. Elle veut ainsi queDorante cesse <strong>de</strong> mentir ; mais pour l’obliger ne plus mentir, elle doit ellemêmepasser par le mensonge « il est à propos qu’il s’explique », « Monsieur,vous n’avez qu’à parler à Madame. Si elle m’accor<strong>de</strong> à vous, vous n’aurezpoint <strong>de</strong> peine à m’obtenir <strong>de</strong> moi-même. »♦ Dubois dit parfois la vérité mais il n’est pas toujours cru.-Il dit sûrement vrai quand il avance que Dorante a eu <strong>un</strong>e passion <strong>de</strong>structricepour Araminte : I, 14. On parlera ici plutôt d’affectation que <strong>de</strong> fauss<strong>et</strong>é : <strong>un</strong>edéclaration d’amour par personnes interposées. Mais ce qu’il raconte <strong>de</strong>l’obsession <strong>de</strong> son maître pour Araminte, <strong>de</strong> sa volonté <strong>de</strong> savoir à chaqueinstant où elle est, du rôle d’espion que Dorante lui fait jouer, est sans doute vraiI, 14, l.98-104 – puisque Dorante a accepté que Dubois entre au serviced’Araminte pour parvenir à ses fins : le mensonge (les actions rocambolesques,la violence, la folie <strong>de</strong> Dorante « il s’achève » l.125, « <strong>un</strong> incurable » l.131) estinextricablement lié à la vérité « il a <strong>un</strong> respect, <strong>un</strong>e adoration, <strong>un</strong>e humilité pourvous, qui n’est pas concevable » l.143. Quand Dubois avance « il me l’a ditmille fois » l.148 : le spectateur peut-il distinguer le vrai du faux ?-Ainsi affirme-t-il à Marton que Dorante a <strong>un</strong> penchant pour AraminteI, 17 « n<strong>et</strong>rouvez-vous pas que ce p<strong>et</strong>it galant-là fait les yeux doux », « je me trompe fortsi je n’ai pas vu ce freluqu<strong>et</strong> considérer, je ne sais où, celle <strong>de</strong> Madame », « Jeme figure qu’il n’est venu ici que pour la voir <strong>de</strong> plus près » (I, 17). Il a l’air <strong>de</strong>médire, <strong>de</strong> divaguer même alors que ses <strong>parole</strong>s sont l’exacte vérité. Voir laréaction <strong>de</strong> Marton à la même scène : « tu n’y entends rien ; tu t’y connaismal », « l’original avec ses observations ». Marton est trop sûre d’elle, <strong>de</strong>l’amour que Dorante est censé lui porter ; trop con<strong>de</strong>scendante également vis-àvisd’<strong>un</strong> val<strong>et</strong> qu’elle ne prend pas au sérieux. Or, c’est elle la sotte.- la l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> l’acte III est fausse mais les sentiments qu’éprouvent Dorante y sontsi bien exprimés que le spectateur peut croire la l<strong>et</strong>tre vraie.d)<strong>La</strong> cruauté <strong>de</strong>s fausses confi<strong>de</strong>nces♦ Cruauté <strong>de</strong> Dorante à l’égard <strong>de</strong> Marton, quand celle-ci croit que Dorante afait faire son portrait ; or, il s’agit <strong>de</strong> celui d’Araminte. Dorante ne la détrompepas, s’amuse même du malentendu, dont il a besoin pour parvenir à ses fins.II, 8 « en s’en allant <strong>et</strong> en riant. Tout a réussi, elle prend le change à merveille. »5


vocabulaire <strong>de</strong> la vénerie qui montre que Marton est trompée, piégée, comme<strong>un</strong> animal que l’on chasse ≠ sa sincérité « Que vous êtes aimable, Dorante ! jeserais bien injuste <strong>de</strong> ne pas vous aimer."Dorante rachète sa tromperie par son aveu à Araminte : confession qui prouveson honnêt<strong>et</strong>é <strong>et</strong>, plus encore, sa sensibilité.Marton victime du stratagème monté par Dubois <strong>et</strong> joué par Dorante : III, 2« d’<strong>un</strong> air triste » ; III, 10 « c<strong>et</strong>te aventure-ci est bien triste pour moi ! », « Jesuis au désespoir. »♦ Personnage <strong>de</strong> Marton victime <strong>de</strong>s manipulations <strong>de</strong>s <strong>un</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>s autres, <strong>de</strong>Dubois mais aussi <strong>de</strong> M. Remy qui lui fait croire que son neveu a <strong>un</strong> faible pourelle. Du coup, les <strong>parole</strong>s agissent comme <strong>un</strong> enchantement sur Marton qui, sousle charme aussi du physique <strong>de</strong> Dorante, avoue : I, 5 « En vérité, tout ceci a l’aird’<strong>un</strong> songe ».Marton se rend compte <strong>de</strong> son erreur d’interprétation, <strong>de</strong> ses illusions nonfondées quant à l’amour <strong>de</strong> Dorante. Aveu assez touchant <strong>de</strong> sa naïv<strong>et</strong>é, <strong>de</strong> sonmanque <strong>de</strong> discernement : II, 9 « J’ai pourtant mal conclu. J’y renonce ; tantd’honneur ne m’appartient point. Je crois voir toute l’étendue <strong>de</strong> ma méprise, <strong>et</strong>je me tais. » Ne se sent plus le droit à la <strong>parole</strong>, qu’elle avait, stimulée par c<strong>et</strong>amour, jusqu’ici prolixe.En même temps, Marton présente également <strong>un</strong>e duplicité certaine : I, 10Marton s’adresse à Dorante : elle est heureuse <strong>de</strong> voir que sa maîtresse apprécieson nouvel intendant « <strong>et</strong> tant mieux, nous n’y perdons point ». Elle convoitel’argent du comte I, 11« c’est que monsieur le Comte me fait présent <strong>de</strong> milleécus le jour <strong>de</strong> la signature du contrat […] plus j’y rêve <strong>et</strong> plus je les trouvebons. » -- elle est donc prête à mentir, donc trahir sa maîtresse par intérêt, parcupidité I, 11 « d’ailleurs le Comte est <strong>un</strong> honnête homme <strong>et</strong> je n’y entendspoint <strong>de</strong> finesse ».De plus, travaille à faire chasser Dorante <strong>de</strong> chez Araminte : III, 2 « Oh ça,Dubois, il s’agit <strong>de</strong> faire sortir c<strong>et</strong> homme-ci ». Se propose alors <strong>de</strong> comploteravec Mme Argante <strong>et</strong> le Comte : vengeance. Emploi d’<strong>un</strong> ton très déterminé« Ne nous déguise rien. », « Une l<strong>et</strong>tre, oui-da ; ne négligeons rien. »Personnage <strong>de</strong>vient alors hypocrite, intrigante, sournoise, antipathique.Conjuration, complot avec Mme Argante <strong>et</strong> le Comte III, 4 « Mais je tienspeut-être son congé, moi qui vous parle… »S’affranchit dans <strong>un</strong>e <strong>parole</strong> qu’elle souhaite vengeresse mais qui est d’abordbrutale <strong>et</strong> impolie <strong>de</strong>s liens avec M. Remy alors que celui-ci est <strong>un</strong> <strong>de</strong>s seulspersonnages à n’avoir jamais rien comploté : III, 5 « brusquement. Passez,Monsieur, <strong>et</strong> cherchez votre nièce ailleurs : je n’aime point les mauvaisplaisants. »Ne réintègre l’espace <strong>de</strong>s sentiments qu’à la fin <strong>de</strong> la pièce en <strong>de</strong>mandantpardon à Araminte. Remords aussi à l’égard <strong>de</strong> Dorante : III, 10 « J’ai persécuté6


par ignorance l’homme du mon<strong>de</strong> le plus aimable, qui vous aime plus qu’on n’ajamais aimé. » « J’étais son ennemie ; je ne la suis plus. »Mais est-ce <strong>de</strong> la sincérité ou du calcul pour être sûre <strong>de</strong> rester au serviced’Araminte, <strong>de</strong> ne pas perdre son poste ?♦ Cruauté du stratagème aussi d’Araminte lorsqu’elle fait écrire à Dorante <strong>un</strong>efausse l<strong>et</strong>tre acceptant son mariage avec le Comte : elle veut ainsi le pousser àlui avouer directement (sans passer par Dubois) ses véritables sentiments pourelle. Perversité <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> qui fait souffrir Dorante. II, 13 « Il souffre mais ilne dit mot. », « Je crois que la main vous tremble ! vous paraissez changé », « jene me trouve pas bien, Madame. »<strong>Le</strong> dramaturge fait <strong>de</strong> nous ses complices : d’emblée nous connaissons lesproj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> Dubois/Dorante <strong>et</strong> leurs mobiles.3) De la surprise <strong>de</strong> l’amour à la découverte <strong>de</strong> soiC<strong>et</strong> aspect ontologique concerne pour l’essentiel Araminte.♦ <strong>La</strong> « stupeur d’être » G. Poul<strong>et</strong> : la surprise <strong>de</strong> l’amour : pour que la stupeursoit absolue, il faut qu’il m’arrive la chose la moins prévisible, la plusétourdissante ou la plus neuve.♦ Rôle essentiel du hasard qui joue comme <strong>un</strong>e force créatrice, malgré lespersonnages, qui les pousse à <strong>de</strong>venir ce qu’ils ne savaient pas qu’ils étaient.Araminte est prise au dépourvu par son rencontre d’abord avec Dorante, par ladécouverte l’amour qu’il éprouve pour elle ensuite. De plus, Araminte sembl<strong>et</strong>roublée par l’attirance sensuelle qui la pousse vers Dorante – par son désirdonc.Araminte complètement perdue : I, 15 à Dorante « De quoi vous-parlerais-je ?Je l’ai oublié » ; II, 12 « je ne sais comment je le traiterai ; je n’en sais rien, jeverrai. » Même au moment où Dorante fait le <strong>de</strong>mi-aveu <strong>de</strong> son amour,Araminte ne sait que dire : « Je ne sais ce que je lui réponds » III, 12.Voir les remarques ci-<strong>de</strong>ssus sur le trouble exprimé à plusieurs reprises parAraminte en aparté.Au moment où elle reconnaît dans <strong>un</strong>e confession implicite son amour pourDorant, Araminte exprime <strong>un</strong>e fois encore son désarroi, l’incompréhension faceà la révolution qui vient <strong>de</strong> s’accomplir en elle, presque malgré elle : III, 12Dorante « Que vous m’aimez, Madame ! Quelle idée ! […] Araminte : « Et voilàpourtant ce qui m’arrive », puis « Je ne sais plus où j’en suis. »Marivaux disciple <strong>de</strong> Malebranche : la connaissance <strong>de</strong> soi passe par laconnaissance <strong>de</strong> ses propres sentiments (<strong>et</strong> non pas seulement par l’intelligible) ;c’est par l’expérience que l’homme sait qu’il existe : d’où importance <strong>de</strong>srencontres, du hasard, <strong>de</strong> la spontanéité qui perm<strong>et</strong>tent à l’individu <strong>de</strong> se7


découvrir lui-même. L’épreuve est l’expérience même <strong>de</strong> la vie, à laquelle touthumain doit s’exposer volontairement.C’est l’esprit qui fausse le cœur. Il faut souligner que l’aveu final (III, 12) se fait à <strong>de</strong>mi-mots <strong>et</strong>débouche quasiment sur le silence <strong>de</strong> Dorante <strong>et</strong> d’Araminte. Dèsqu’elle est sûre <strong>de</strong> ce qu’elle éprouve, Araminte n’a plus besoin <strong>de</strong>parler, comme Dorante – le silence est celui <strong>de</strong> la comm<strong>un</strong>ion <strong>de</strong> cœur– il n’est pas besoin <strong>de</strong> dire l’amour quand on l’éprouve sincèrement <strong>et</strong>profondément. Mais il reste <strong>de</strong>s ambiguïtés <strong>et</strong> cela conduit à <strong>un</strong>e autre questionontologique : la sincérité humaine est-elle possible ? Ici l’amour naît<strong>de</strong> la duperie, du mensonge, <strong>de</strong> l’épreuve, <strong>de</strong> la mise à l’épreuve <strong>de</strong>l’amour-propre d’Araminte. Peut-être est-ce également pour c<strong>et</strong>teraison qu’il n’y a pas à proprement parler <strong>de</strong> <strong>parole</strong>s d’amour, <strong>de</strong>déclaration d’amour directe dans les FC. En <strong>de</strong>hors d’Araminte, quelautre personnage <strong>de</strong>s FC a appris à se connaître sincèrement ? Ambivalence soulignée par Clau<strong>de</strong> Roy (Lire Marivaux) : « Il n’estquestion que d’amour dans le théâtre <strong>de</strong> Marivaux mais jamais l’amourne s’y avoue… <strong>Le</strong>s créatures <strong>de</strong> Marivaux veulent ne pas aimer,veulent ne pas vouloir aimer. » On n’aime jamais dans l’autre que ses propres désirs. L’amour d’autruinous révèle nos propres sentiments ; <strong>et</strong>, ultime paradoxe, c’est grâce authéâtre, au masque, que la vérité sur l’amour peut émerger. D’autrepart, l’amour est douloureux : tout au long <strong>de</strong>s FC, on s’aperçoit queDorante <strong>et</strong> Araminte souffrent (pour <strong>de</strong>s raisons différentes) <strong>de</strong>l’amour qu’ils éprouvent l’<strong>un</strong> pour l’autre. <strong>La</strong> fin laisse en suspens la question <strong>de</strong> l’<strong>un</strong>ion entre Dorante <strong>et</strong>Araminte : leur amour va-t-il résister à l’épreuve <strong>de</strong> la réalité, à celledu quotidien, à <strong>un</strong>e vie, non pas faite <strong>de</strong> <strong>jeu</strong>x, <strong>de</strong> <strong>marivaudage</strong>, mais <strong>de</strong>face-à-face permanents ?Cf. Georges Poul<strong>et</strong>, « <strong>La</strong> distance intérieure », in Etu<strong>de</strong>s sur le temps humain :« […] l’œuvre marivaudienne a, au fond, <strong>un</strong> accent douloureux. […] <strong>Le</strong>s êtresqui s’embarquent pour Cythère, ne partent pas vers le passé, ni vers l’amour. Ilspartent pour le non-être. Ce sont <strong>de</strong>s comédiens qui jouent la comédie, quipromènent leur mensonge. »8


ConclusionQuelques pistes <strong>de</strong> réflexion :Il ne s’agit plus seulement <strong>de</strong> faire rire dans les comédies nouvelles du XVIIIesiècle mais <strong>de</strong> toucher, d’émouvoir : nouveau lien fondamental entre le plaisant<strong>et</strong> le sensible.Se détache du genre populaire <strong>de</strong> la comédie.L’amour triomphe <strong>de</strong> tous les préjugés. Ce qui importe pour nombre d’auteurs<strong>et</strong> <strong>de</strong> philosophes du XVIIIe siècle, c’est la recherche du bonheur.Dans toutes les pièces <strong>de</strong> Marivaux, le véritable en<strong>jeu</strong>, c’est la conquête <strong>de</strong> laliberté. Ici, c’est surtout vrai pour Armaminte qui va accé<strong>de</strong>r à <strong>un</strong>e véritableliberté sociale <strong>et</strong> ontologique. « Paradoxalement, le masque est au service <strong>de</strong> la vérité, parce qu’il perm<strong>et</strong>d’élu<strong>de</strong>r <strong>un</strong> autre masque, celui qu’on se verrait à jamais collé sur le visage parles conventions <strong>de</strong> la famille <strong>et</strong> <strong>de</strong> la société. » Henri Coul<strong>et</strong>, Michel Gilot,Marivaux, <strong>un</strong> humanisme expérimental. « Comme dramaturge, Marivaux gar<strong>de</strong> <strong>un</strong>e confiance intacte dans lesressources <strong>de</strong>s êtres humains ; il est celui qui leur perm<strong>et</strong> d’exercer leurs talents,<strong>de</strong> prouver leur vertu. » Henri Coul<strong>et</strong>, Michel Gilot, Marivaux, <strong>un</strong> humanismeexpérimental.≠Clau<strong>de</strong> Roy : « Ce théâtre qui se donne les apparences <strong>de</strong> la futilité <strong>et</strong> ducaprice, du badinage élégant <strong>et</strong> du sourire à fleur d’âme, <strong>et</strong> en réalité <strong>un</strong> théâtregrave <strong>et</strong> souvent cruel. » (Lire Marivaux)M. Deguy :- « <strong>un</strong>e noirceur, <strong>un</strong>e cruauté, <strong>un</strong>e lucidité révolutionnaire ».- la possibilité <strong>de</strong> duper vient <strong>de</strong> la différence entre l’<strong>un</strong>idimensionnalité dulangage <strong>et</strong> la profon<strong>de</strong>ur du psychisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’existence.-selon lui, pas <strong>de</strong> passion amoureuse dans le théâtre <strong>de</strong> Marivaux.- il manque à l’amour pour les personnages le truchement du langage, d’où lanécessité <strong>de</strong> recourir à <strong>un</strong> Dubois.- le langage est <strong>jeu</strong> <strong>de</strong> société, la socialité, <strong>jeu</strong> dans le langage.9

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