LES pages bleuesPathophysiologieLe mécanisme exact expliquant l’apparitionde symptômes à l’arrêt d’un antidépresseurest toujours incertain 3,10,11 . Lesrécepteurs postsynaptiques sont régulés à<strong>la</strong> baisse durant le traitement par l’antidépresseuren raison de <strong>la</strong> quantité augmentéede sérotonine présente dans <strong>la</strong> fentesynaptique 11 . À l’arrêt de l’antidépresseur,les symptômes d’interruption seraientattribuables au déséquilibre associé à <strong>la</strong>baisse abrupte de sérotonine dans <strong>la</strong> fentesynaptique, conjugué au faible nombre derécepteurs au niveau postsynaptique 3,6,11 .Le fait que <strong>la</strong> réintroduction du médicamentpuisse supprimer les symptômes enquelques heures <strong>et</strong> que les médicaments àplus longue demi-vie soient moins susceptiblesde causer des symptômes par oppositionà ceux de courte demi-vie appuiec<strong>et</strong>te hypothèse 3,6,11 . On pourrait ainsi éviterune diminution trop abrupte de sérotonineen réduisant graduellement lesdoses 11 . Puisque les ATC <strong>et</strong> les IMAO sontégalement actifs via <strong>la</strong> sérotonine, le mêmemécanisme peut expliquer l’apparition desymptômes d’interruption avec ces c<strong>la</strong>ssesd’antidépresseurs 3 . De plus, puisqu’ilsaffectent significativement le système cholinergique,le r<strong>et</strong>rait des ATC peut égalementengendrer des symptômes de parkinsonisme3 . Pour les IMAO, puisqu’ilscausent des changements au niveau desrécepteurs alpha 2-adrénergiques <strong>et</strong> dopaminergiques,leur r<strong>et</strong>rait peut causer del’agitation <strong>et</strong> une psychose 3 .ContexteL’antidépresseur peut être arrêté dans plusieurssituations, notamment lorsque l<strong>et</strong>raitement de maintenance est complété,lors de l’apparition d’eff<strong>et</strong>s indésirablesintolérables ou d’une réponse inadéquate àl’antidépresseur 12 . Outre l’apparition dessymptômes à l’arrêt du traitement, ils peuventégalement apparaître à <strong>la</strong> suite d’uneréduction de <strong>la</strong> dose, du remp<strong>la</strong>cement dumédicament par un autre antidépresseur<strong>et</strong> également lorsque le patient oublie desdoses 13 .IncidenceLes estimations de l’incidence du syndromed’interruption associé aux antidépresseursvarient <strong>la</strong>rgement en raison d’unmanque d’études bien contrôlées ainsi quede critères uniformes de diagnostic <strong>et</strong> debons instruments d’évaluation. De plus,l’incidence varie selon le médicament. Ildevient donc difficile, d’une part, d’estimerl’incidence pour chacun des médicaments,d’autre part, de les comparer entreeux. Par exemple, selon certaines études,les taux varient de 0 % pour <strong>la</strong> fluoxétine,jusqu’à 17 % à 78 % pour les ISRS decourte demi-vie 9 .Dé<strong>la</strong>i d’apparition <strong>et</strong> duréeLes symptômes associés à l’interruptiondes antidépresseurs apparaissent généralement1 à 3 jours après l’arrêt du traitement<strong>et</strong> persistent habituellement pendant 7 à14 jours, mais peuvent parfois persister dessemaines 4,5,10,14,15 . <strong>La</strong> fluoxétine est un casparticulier. En raison de sa longue demivie,les symptômes, s’ils surviennent, peuventapparaître après une semaine 4 .Facteurs de risque d’apparitionde symptômes de r<strong>et</strong>raitPlusieurs facteurs peuvent exposer unepersonne à souffrir de symptômes à l’arrêtde sa médication antidépressive. Toutd’abord, certains facteurs sont liés à <strong>la</strong>Tableau ISymptômes associés à l’interruption des principaux antidépresseurs 1,2,4,5,7,8,10,12,13,16,18,20,31,32Symptômes de nature somatique ou physiqueSymptômes de nature psychologique oupsychiatriqueISRS(ven<strong>la</strong>faxine<strong>et</strong>duloxétine)Déséquilibres Étourdissements, vertiges, ataxie Anxiété, agitation, confusion, irritabilité,nervosité, <strong>la</strong>rmes, problèmes de mémoire,Troubles gastro-intestinaux Nausées, vomissements, diarrhéeagressivitéTroubles sensorielsParesthésies, engourdissements,sensations de chocs électriquesTroubles du sommeilTroubles somatiques générauxInsomnie, rêves excessifs,cauchemarsFatigue, léthargie, myalgies, frissons, fièvre,maux de tête, diaphorèse, anorexieATC Troubles gastro-intestinaux Nausées, vomissements, diarrhées Manie, hypomanie, attaque de panique, anxiété,agitation, irritabilitéTroubles du sommeilInsomnie, rêves excessifs, cauchemarsTroubles du mouvementTroubles somatiques générauxDiversAkathisie, parkinsonismeAsthénie, léthargie, maux de tête, diaphorèseArythmies cardiaquesIMAOFaiblesse muscu<strong>la</strong>ire, myoclonies, convulsions, nausées, palpitations,insomnie, cauchemars, maux de tête, diaphorèseAgitation, irritabilité, delirium, désorientation,hallucinationsISRS : Inhibiteur sélectif du recaptage de <strong>la</strong> sérotonine; ATC : Antidépresseur tricyclique; IMAO : Inhibiteur de <strong>la</strong> monoamine oxydase26 Québec Pharmacie vol. 55 n° 9 octobre 2008
<strong>La</strong> <strong>cessation</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>substitution</strong> d’un antidépresseurnature même du médicament. En eff<strong>et</strong>, lerisque augmente lorsqu’on utilise un agentà courte demi-vie, un agent sans métaboliteactif, un agent avec un eff<strong>et</strong> anticholinergiquemarqué, ou un agent présentantune puissance élevée à bloquer le recaptagede <strong>la</strong> sérotonine 2,4,5,8,10-13,16 . Ensuite, d’autresfacteurs sont liés à <strong>la</strong> façon dont le médicamentest utilisé. Ainsi, le risque d’apparitiond’un syndrome d’interruption augmentelors d’une interruption abrupte del’agent plutôt que lors d’une diminutiongraduelle de <strong>la</strong> dose, après une administrationprolongée du médicament, soit plusde cinq à huit semaines, ainsi qu’aprèsl’utilisation d’une dose élevée (quoiquecontroversé) 1,2,4-6,12,16,17 . Enfin, d’autres facteurssont liés au patient <strong>et</strong> à son histoire.Par exemple, un patient ayant déjà eu uneréaction à l’arrêt d’un antidépresseur par lepassé ou une histoire d’inobservance médicamenteuseest également plus à risque deprésenter un syndrome d’interruption 2,4 .Toutefois, l’âge, le sexe <strong>et</strong> le diagnostic n’influencentpas l’incidence 3 .www.monportailpharmacie.caTableau IICalendrier de diminution des doses des antidépresseurs 3,4,13,14,16,18,24AntidépresseurFluvoxamineSertralineParoxétineFluoxétineCitalopramEscitalopramVen<strong>la</strong>faxineBupropionMirtazapineantidépresseurstricycliquesIMAOMoclobémideVitesse de diminution50 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines)50 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines)10 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines) sisymptômes de r<strong>et</strong>rait ressentis, on peut diminuer par tranche de 5 mg/jourgénéralement pas nécessaire10 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines)5 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines)37,5 mg/jour à chaque semaine (jusqu’à toutes les 2 semaines)généralement pas nécessairediminution graduelle50 mg à chaque 2 jours jusqu’à 100 mg/jour puis 25 mg à chaque2-3 jours jusqu’à <strong>cessation</strong> ou encore 10-25 % aux 1-2 semaines10-25 % par semainerestrictions alimentaires/médicamenteuses pour 10 joursgénéralement pas nécessaire<strong>La</strong> susceptibilité des médicamentsIl semble que <strong>la</strong> paroxétine est l’antidépresseurle plus susceptible d’entraîner dessymptômes de r<strong>et</strong>rait 1,4,7,8,13,16,18 . Elle doitêtre sevrée sur une longue période de temps,vu sa courte demi-vie, l’absence de métaboliteactif, ses eff<strong>et</strong>s anticholinergiques marqués<strong>et</strong> sa puissance à bloquer le recaptagede <strong>la</strong> sérotonine. Santé Canada a d’ailleursémis en 2003 une mise en garde à ce suj<strong>et</strong> 13 .Dans les études, l’incidence des symptômesassociés à <strong>la</strong> paroxétine est comparable àcelle observée avec les ATC <strong>et</strong> les IMAO 8 . <strong>La</strong>ven<strong>la</strong>faxine est également très susceptibled’entraîner de tels eff<strong>et</strong>s 1,2,8,16 . Ces eff<strong>et</strong>spourraient même être plus graves qu’avecles ISRS 7 . <strong>La</strong> ven<strong>la</strong>faxine s’avère difficile àsevrer comme le montre une étude où 78 %des patients ont souffert de symptômes liésà l’interruption du médicament en comparaisonà 22 % avec le p<strong>la</strong>cebo 19 . Malgrél’existence de formu<strong>la</strong>tions « longue action »de <strong>la</strong> paroxétine <strong>et</strong> de <strong>la</strong> ven<strong>la</strong>faxine, dessymptômes de r<strong>et</strong>rait ont été rapportés 3 . <strong>La</strong>fluoxétine est l’agent le moins susceptibled’entraîner des symptômes d’interruption,vu sa longue demi-vie <strong>et</strong> <strong>la</strong> présence d’unmétabolite actif, <strong>la</strong> norfluoxétine 1,4,7,8,10,18 .Les autres ISRS semblent poser un risqueintermédiaire 8 . On a rapporté des symptômesliés à l’interruption de <strong>la</strong> mirtazapine7,18 . Le bupropion ne serait pas enclin àcauser un syndrome d’interruption, malgrédes rapports de cas 7,18 . <strong>La</strong> duloxétine, bienque récente sur le marché, est déjà impliquéedans l’apparition de symptômes liés àson interruption 20 .SymptômesLes symptômes d’interruption varientselon <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse pharmacologique du médicamentutilisé. Ils peuvent être de naturephysique ou psychologique. Le mnémoniqueFINISH (Flu-like symptoms, Insomnia,Nausea, Imba<strong>la</strong>nce, Sensory disturbances,Hyperarousal [anxiété/agitation]),a été introduit afin d’aider <strong>la</strong> reconnaissancedes symptômes que peuvent ressentirles patients lorsqu’ils terminent (finish)leur traitement 21 . Le tableau I présente lesdifférents symptômes qui peuvent semanifester.Alors que beaucoup de symptômes peuventêtre rapportés avec <strong>la</strong> majorité desantidépresseurs, certains sont plus spécifiques.Les troubles sensoriels <strong>et</strong> les problèmesd’équilibre sont plutôt spécifiques auxISRS 2 . Avec les ATC, des arythmies <strong>et</strong> destroubles du mouvement sont possibles 2 . Lesyndrome associé à l’interruption de <strong>la</strong>ven<strong>la</strong>faxine semble être simi<strong>la</strong>ire à celuiobservé avec les ISRS 2 . Toutefois, lorsqu’utiliséà haute dose, on peut observerune irrégu<strong>la</strong>rité de <strong>la</strong> pression artérielle 2 .Les ATC <strong>et</strong> les IMAO peuvent causer dessymptômes graves <strong>et</strong> potentiellementdangereux, comme des arythmies, undelirium, une confusion aiguë ou de <strong>la</strong>paranoïa 2,7 .Suite du cas nº 1Vous rassurez <strong>la</strong> patiente en lui expliquant <strong>la</strong> différence entre sevrage <strong>et</strong> interruption, ainsi queles eff<strong>et</strong>s possibles. Vous conseillez au médecin <strong>et</strong> à <strong>la</strong> patiente de réduire <strong>la</strong> dose de 37,5 mgpar jour à chaque semaine. Elle revient vous voir moins d’un mois plus tard. Elle a fait ce que vouslui aviez conseillé. Lors des diminutions de dose, elle a eu un peu de nausées <strong>et</strong> de <strong>la</strong> diarrhée,mais tout ce<strong>la</strong> demeurait tolérable. Mais il y a deux jours, elle a cessé sa médication complètement,<strong>et</strong> elle se sent très étourdie, au point de juger dangereux de conduire son véhicule. Elle sesent anxieuse <strong>et</strong> a peur que sa dépression revienne. Elle a des diarrhées beaucoup plus importantes,des crises de <strong>la</strong>rmes <strong>et</strong> n’a aucun appétit. Elle a de <strong>la</strong> difficulté à dormir, d’autant plus quedes sueurs nocturnes <strong>la</strong> réveillent. Elle est très inquiète. Que ferez-vous?octobre 2008 vol. 55 n° 9 Québec Pharmacie 27