figures de la partie extérieure du tambour » (MAE inventaire 2164-1 ; cf Ivanov 1955, 180).Cela signifie que l’avant de l’animal doit se trouver du côté droit du tambour, en sorte quel’animal, regarde dans la même direction que le chamane lorsque celui-ci le chevauche. C’estpour c<strong>et</strong>te même raison que <strong>les</strong> figures peintes s’avancent vers la droite.Figure 11. Chamane khakasse chevauchant son tambour. Photo S.D. Majnagašev, début XXe s. Kunstkamera n°2410-78.La disposition des figures sur l’axe gauche-droite est donc structurée par deux ensemb<strong>les</strong>d’évocations. D’une part l’ordre des figures est en rapport de projection avec la latéralisationfonctionnelle du corps du chamane. Chez <strong>les</strong> voisins altaïens des Khakasses, l’association dutambour avec le corps chamanique est particulièrement explicite puisqu’un grand chamaneancêtre organise l’ensemble de la composition (Figure 12). La superposition du corpschamanique <strong>et</strong> du tambour apparaît aussi parfaitement sur le pétroglyphe d’Oglahty, en régionkhakasse (Figure 13). Au cours des rituels, c<strong>et</strong>te projection est donnée à voir lorsque l<strong>et</strong>ambour est parallèle à la ligne des épau<strong>les</strong> du chamane, c’est-à-dire lorsque celui-ci batdoucement du tambour. Mais l’orientation individuelle des figures vers la droite renvoie à uneautre position classique, quand le tambour fait office de monture enjambée par le chamane,mais aussi, plus simplement, quand il bat fort <strong>et</strong> vite du battoir <strong>et</strong> que le tambour se trouveperpendiculaire à l’axe des épau<strong>les</strong>. L’instrument n’est alors plus un double, mais un chevalcompagnon. Identification parallèle <strong>et</strong> complémentarité perpendiculaire ne sont pas encontradiction : el<strong>les</strong> correspondent aux deux positions extrêmes du tambour entre <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> lechamane va <strong>et</strong> vient au cours du rituel dans une alternance de pauses <strong>et</strong> d’excitations.12
Figure 12. A gauche, tambour altaïen (Anohin 1924, 58). L’arbre est du côté du bras gauche du personnage.Figure 13. A droite, pétroglyphe d’Oglahty, Khakassie, XVIIe-XIXe s. (Kyzlasov & Leont’ev 1980). On reconnaît labonn<strong>et</strong> typique des chamanes khakasses. La traverse métallique avec ses pendeloques fusionne avec <strong>les</strong> bras dupersonnage. Comme d’habitude, l’arbre figure du côté du bras gauche du chamane.Les esprits dans la yourteNous avons discerné quelques coordinations entre tambour <strong>et</strong> corps. Certaines remarques deschamanes khakasses suggèrent qu’il existe en outre des correspondances entre l’ordre spatialdes dessins <strong>et</strong> celui de la yourte où sont menés <strong>les</strong> rituels. Le chamane beltir P<strong>et</strong>rov expliquaitque tout en bas de son tambour figure un personnage, le « maître de l’eau », que <strong>les</strong> chefs defamille khakasses honorent en posant un plat de viande chaude d’agneau près de la porte,« pour que cela fume vers le maître de l’eau ». Dans la yourte, il se trouve en eff<strong>et</strong> que c’estdu côté droit de la porte en entrant que l’on conserve l’eau. P<strong>et</strong>rov remarquait aussi que <strong>les</strong>sept étoi<strong>les</strong> figurant dans le ciel du tambour sont évoquées par <strong>les</strong> chamanes dans le chantqu’ils adressent à kök yzyk, une amul<strong>et</strong>te installée à distance de la porte, dans la partie sud ousud-ouest (Katanov 1907, I, 565). Enfin, deux chamanes kačin, Apčaj <strong>et</strong> Roman, interrogés à50 ans d’écart désignent l’ours figurant dans le bas de leur tambour comme le « gardien del’entrée de la yourte » (Katanov, 1907, I, 598 ; Potapov 1981, 135).Ces associations ponctuel<strong>les</strong> sont-el<strong>les</strong> <strong>les</strong> indices d’une correspondance systématique entredessins <strong>et</strong> yourte ? Si c’est le cas, le tambour s’avérera coordonné à la fois au corpschamanique <strong>et</strong> à l’<strong>espace</strong> environnant, ce qui pourra éclairer sa fonction d’instrumentd’« orientation » affirmée par <strong>les</strong> chamanes.La yourte <strong>et</strong> le tambour sont deux cerc<strong>les</strong> orientés, sur un plan horizontal pour la première, surle plan vertical pour le second. Chez <strong>les</strong> peup<strong>les</strong> nomades d’Asie septentrionale lechangement régulier de site concr<strong>et</strong> d’habitat est compensé par des principes abstraitsextrêmement stab<strong>les</strong> d’orientation <strong>et</strong> d’organisation de l’<strong>espace</strong> domestique. Lorsqu’au coursdu XIXe siècle <strong>les</strong> Khakasses ont abandonné <strong>les</strong> yourtes de feutre pour des yourtes de boispolygona<strong>les</strong>, ils en ont conservé l’ordonnancement spatial.13