Alors que l’organisation verticale des tambours est bien connue, la possibilité d’un ordreperpendiculaire des figures, selon l’axe horizontal, n’a guère été envisagée. Ivanov a noté que<strong>les</strong> arbres se situent généralement dans la partie droite du tambour, sans toutefois pouvoirexpliquer c<strong>et</strong>te régularité (ibid., 215).Les arbres à droite se trouvent en fait en opposition diamétrale avec des cavaliers, occupant lebord gauche <strong>et</strong> s’entendant vers le centre. C<strong>et</strong>te opposition, d’une force <strong>et</strong> d’une stabilitéfrappantes, se distingue très n<strong>et</strong>tement dans le tambour barabin du XVIIIe siècle (fig. 5), maisaussi dans <strong>les</strong> tambours modernes des Téléoutes <strong>et</strong> des <strong>Altaï</strong>ens du sud. Aucun commentairede chamane ne fournit d’explication sur c<strong>et</strong>te récurrence typique des tambours de la famill<strong>et</strong>atare.Comment comprendre c<strong>et</strong>te stabilité ? Les choses s’éclairent si l’on s’intéresse au rapport deces figures non plus seulement avec la cosmologie, mais avec <strong>les</strong> gestes concr<strong>et</strong>s deschamanes au cours du rituel (Figure 7). Dans sa main gauche, le chamane tient le manche dutambour qui est fait en bois de bouleau, précisément l’arbre représenté sur le bord droit 3 . Desa main droite, il agite son battoir, qualifié de « cravache » (hymčy). Dans <strong>les</strong> techniques demonte turco-mongo<strong>les</strong>, c’est effectivement de la main droite qu’est tenue la cravache. Le côtédroit du chamane a donc en charge le mouvement <strong>et</strong> la monte, alors que le côté la gauche estlié à la stabilité <strong>et</strong> le bois de bouleau. C<strong>et</strong>te répartition des tâches des mains est universelledans le chamanisme turco-mongol de Sibérie, ce qui explique certainement le positionnementstable des cavaliers <strong>et</strong> des arbres sur ces tambours.Au début de leurs rituels, <strong>les</strong> chamanes de l’<strong>Altaï</strong>-<strong>Saïan</strong> restent un moment face au feu, la têtedans le cadre du tambour, en battant la membrane de coups légers (Figure 8, Figure 9). Àmesure que <strong>les</strong> esprits invoqués sont supposés se présenter, le chamane frappe <strong>et</strong> chante plusfort, jusqu’à se lever, marquant ainsi le début de son « voyage » (en khakasse, čörerge) avecses auxiliaires vers <strong>les</strong> montagnes voisines, le ciel ou l’enfer selon le cas. Concrètement,lorsqu’il a la tête dans le tambour, le chamane voit apparaître à contre-jour <strong>les</strong> dessins éclairéspar le feu. Bien n<strong>et</strong>toyée, la peau de la membrane est en eff<strong>et</strong> parfaitement translucide (Figure10). Le regard disparu derrière la membrane, le chamane se coupe de l’interaction avec lepublic pour entrer visiblement dans un champ interactionnel nouveau. Il laisse envelopper sesperceptions visuel<strong>les</strong> <strong>et</strong> auditives dans la vue des dessins <strong>et</strong> le battement de la membrane quirésonne près de ses oreil<strong>les</strong>.Pour l’officiant, comme pour l’assistance, la partie droite de la membrane peinte s’associealors clairement à son bras gauche <strong>et</strong> la partie gauche à son bras droit. Ce parallélisme entrelatéralité du tambour <strong>et</strong> latéralité du corps du chamane est scellé par le positionnement desarbres <strong>et</strong> des cavaliers dans le dessin.3 Chez <strong>les</strong> <strong>Altaï</strong>ens, il est dit explicitement que le bouleau dessiné est celui dont on a fait le manche du tambour(Anohin 1924, 56).8
Figure 7. Chamane khakasse (kačin). Photo P.E. Ostrovskih (1894). MAE 257-26, 257-29. Le côté droit du chamaneest mobile, tandis que le côté gauche est stable.Figure 8. Un chamane altaïen invoque ses esprits la tête dans le tambour (Radloff 1884).9