DossierFamilles populaires:partenaire paradoxal18Pas facile de trouverun langage communLes résultats des recherches internationalesdonnent des indications sur le contenu deséchanges entre école et familles. Aux rappelscourants de l’école quant aux responsabilitésparentales concernant l’environnement scolaire(surveillance des devoirs, hygiène de viedes enfants, fournitures et livres à apporter…)succèdent des échanges sur les résultats scolaireset le comportement de l’enfant en classe.Sur ces derniers points, les études montrentde nombreux décalages entre les perceptionsdes parents et celles des enseignants.Ainsi, quand l’enfant est en difficulté, alorsque les enseignants essaient manifestementde souligner les soutiens possibles, les parentsressentent les entretiens tout entiers dominéspar le diagnostic de l’échec et l’espritnégatif qui en découle, les autres aspects del’échange étant alors rejetés dans l’oubli.Des formations pourles parents d'élèvesétrangers ?Une opération expérimentale destinée aux parentsd’élèves, étrangers ou immigrés est lancéecette année par la biais du BO n° 29 du17 juillet. Appelée “Ouvrir l’École aux parentspour réussir l’intégration”, cette initiativevise à familiariser les parents étrangersavec l'institution scolaire et ses règles parfoiscomplexes. Elle repose sur le volontariat desparents. « Ces formations gratuites sont organiséessur la base de modules d’une duréemaximale de 120 h ».L’opération se déroule dans les écoles et lescollèges, notamment sur l’horaire d’ouvertureprévu pour l’accompagnement éducatif destinéaux élèves.Les enseignements sont prioritairement dispenséspar des enseignants, notamment ceuxqui exercent en classes d’initiation (CLIN),des formateurs de GRETA ou des personnelsd’associations agréées par le ministère del’Éducation nationale.Tous les parents sont-ils à égalité faceau partenariat avec l’école ? PierrePérier, chercheur en sciences del’éducation, a conduit une enquête surle rapport entre l’école et les famillespopulaires. Il relève des obstacles pesantsur les possibilités de rencontreset d’échanges entre l’école et les parents.Parmi ces obstacles culturels, lechercheur met l’accent sur le rapportà l’écrit, les difficultés langagières,les codes sociolinguistiques et lacompétence scolaire des parents.Lors des entretiens menés au cours decette recherche, tous les parents interrogésse sont montrés conscients desenjeux de l’école et ont émis le souhaitde voir leurs enfants réussir.Mais, au contraire des parents desclasses moyennes reconnus comme« partenaires » de l’institution scolairejusque dans la participation auconseil d’école, les parents de famillespopulaires ne maîtrisent pas« le code de l’échange et les règles dujeu » et font donc figure de parents« non partenaires ». Pierre Périeravance trois raisons à ce « retrait » oucette « distance ». Il distingue toutd’abord une « logique de confiance »où les parents s’en remettent totalementà l’école et attendent d’être informésdes problèmes éventuels, cequi arrive souvent trop tard à leursyeux. Ensuite, la « logique critique »renvoie aux reproches émis par lesparents, en dehors de l’école, surl’élitisme de la culture scolaire, lemanque d’autorité des enseignants etles traitements discriminatoires àl’égard de leurs enfants. Enfin, ensuivant une « logique de protection »,ils se tiennent à distance de l’écolepour se protéger d’une mise en causede leurs qualités éducatives de parents,notamment pour les femmesqui ne disposent pas nécessairementd’une autre ressource identitaire tiréedu monde du travail.Pour les familles populaires, le partenariatest donc paradoxal. Il leséloigne de l’école au lieu de les rapprocher,« redoublant des inégalitésde réussite entre élèves par des inégalitésde reconnaissance des parentsà et par l’école ».
« UN POINT D’APPUI AU TRAVAILÉDUCATIF DES FAMILLES »L’étude de Martine Kherroubi montre que l’école primaire est un des momentsclés pour aider les parents à devenir des parents d’élèves en capacitéd’agir sur la scolarité de leur enfant.Suite à votre étude, comment définiriezvousles attentes des parents dans leur relationà l’école?Quel que soit le milieu, elles sont prioritairementd’ordre scolaire. L’importance priseaujourd’hui par l’école dans le processus dequalification sociale est très nettement perçuepar toutes les familles. La réussite scolaireest ainsi essentielle pour leurs enfantset pour elles. Elles sont en attente de dialogue,de relations directes avec l’enseignant.Elles cherchent à soutenir les effortsscolaires de leur enfant en encadrant le travailscolaire à la maison et en s’intéressantà ce qu’il fait quotidiennement à l’école.Mais, toutes les familles n’ont pas lesmêmes facilités à décoder cet univers scolaire.Souvent, par manque de lisibilité del’institution scolaire, les familles jonglenten permanence entre défiance et réassurance.D’où les tensions perçues collectivementpar les enseignants et les malentendusqui peuvent en découler.Dans ce contexte, les familles des milieuxpopulaires surtout se tiennent à l’écart carelles se trouvent incompétentes lorsqu’ils’agit d’intervenir à l’école. Du coup, ellessont dans une logique de délégation. Or, onsait aujourd’hui le rôle actif que joue la familledans la réussite des parcours scolaires.Quel rôle peut alors jouer l’école?L’école primaire est un des moments cléspour aider les parents à devenir des parentsd’élèves en capacité d’agir sur la scolaritéde leur enfant. Notre recherche, qui a étémenée dans 18 écoles élémentaires et maternellesqui donnaient de nombreuses possibilitésaux parents d’entrer dans l’école,ouvre des perspectives en ce sens. Nos observationsmontrent que les actions de coopérationgénèrent des nouveaux temps etde nouveaux espaces d’échanges. Lescontacts non seulement individualisés maispersonnalisés recherchés par les parentssont facilités tout comme les rencontres collectivesdes familles avec les enseignantsou des parents entre eux. Au centre, seconstruit une familiarisation des parentsavec l’école qui sert de point d’appui au travailéducatif des familles.Concrètement, comment construit-on cettefamiliarisation?Elle se fait par une ouverture de l’école auxparents en leur offrant des opportunitésd’observation et de participation. Ce peutêtre voir la classe qui fonctionne, collaboreractivement à la préparation de la fête del’école, participer à certaines activités del’école (visites à l’extérieur, piscine, ateliers,bibliothèque, groupe de parole,conseils d’école…). Ce qui engage les enseignantsà mieux accueillir les parents et àmieux communiquer sur l’univers scolaireavec eux.L’école reste le cadre régulateur de ces actions.À ce titre, les directrices et directeursjouent souvent un rôle moteur. Mais il nesuffit pas de donner aux parents des « clésde lecture » pour qu’automatiquement ilss’en saisissent. Ces dispositifs visent plutôtà les mettre en situation d’élaborer leurpropre compréhension de l’institution scolaire,voire d’acquérir une compétence pédagogique.Non pour empiéter sur les prérogativesdes enseignants mais pour seconstruire des ressources afin de mieux accompagnerla scolarité de leur enfant, dedécoder plus facilement les attentes pédagogiques.Les propositions extrêmementdiversifiées et variées permettent à de nouveauxparents de s’investir. Il n’y a pas de« recettes » partout reproductibles mais desressources et des dynamiques locales à fairejouer.Entretien avecMartineKherroubiMaître de conférences en sociologie del’éducation à l’IUFM de Créteil-ParisXII. Elle vient de diriger une étude sur lesactions de coopération école-familles.Celle-ci est présentée dans un livre intitulé« des parents dans l’école ».Les enseignants sont-ils suffisamment outilléspour mieux s’approprier ces démarches?C’est peut-être là une difficulté pour eux.Les lignes de démarcation habituelles entreécole et famille se trouvent modifiées. Leparent devient un « parent usager ». Il exprimeplus facilement des attentes que lesenseignants n’ont pas l’habitude d’entendre.Se construisent à la fois la confianceet la vigilance. Penser la relation aux famillesdoit devenir un réel objet professionneldont on parle et que l’on analyse. Queveut dire concrètement donner une placeaux parents? Quelles compétences cela sollicite-t-il? Mais le pari est bien là.Apprendre à coopérer, c’est continuer de réfléchirà la manière dont tous les parentspeuvent être co-producteur de la réussitescolaire de leur enfant.19