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de piano », évoquant le violon qui<br />
résonnait dans Domicile conjugal avec<br />
Jean-Pierre Léaud et Claude Jade. Car<br />
Truffaut, « dans l’i<strong>mag</strong>inaire collectif,<br />
c’est une musique évocatrice, la couleur<br />
des années 60 ». Et le cinéaste d’ajouter<br />
que, sur le plateau, il tenait à Louis<br />
Garrel des propos pas si éloignés de la<br />
célèbre tirade de Truffaut s’adressant à<br />
Léaud dans La Nuit américaine : « Tu<br />
sais, Alphonse, il n’y a pas d’embouteillages<br />
dans les films, pas de temps mort.<br />
<strong>Le</strong>s films avancent comme des trains,<br />
tu comprends, comme des trains dans<br />
la nuit. »<br />
Des films dans le film<br />
Du cinéma de Godard, il reste évidemment<br />
« une inspiration visuelle ». « Je<br />
voulais faire un film très graphique,<br />
stylisé, je voulais faire un beau film »,<br />
explique Hazanavicius. De fait, <strong>Le</strong><br />
Redoutable est un hom<strong>mag</strong>e <strong>mag</strong>nifique<br />
au chef opérateur Raoul Coutard :<br />
« Guillaume Schiffman a été chercher<br />
des photos de plateaux de l’époque<br />
pour voir quels étaient les dispositifs de<br />
lumière. <strong>Le</strong>s i<strong>mag</strong>es des débuts, comme<br />
dans Pierrot le Fou ou Une femme<br />
est une femme, sont très différentes<br />
de celles de Week-end, par exemple.<br />
<strong>Le</strong>s premiers films sont très éclairés,<br />
jouent beaucoup sur les trois couleurs<br />
primaires. Cela se complexifie un peu<br />
plus après, il y a des contre-jours plus<br />
marqués, des éclairages plus naturels. »<br />
Comme chez Godard, « il y a du méta<br />
un peu tout le temps ». Jean-Luc va<br />
donc voir des vieux films au cinéma<br />
avec Anne Wiazemsky, sa compagne de<br />
l’époque, dont Hazanavicius adapte ici<br />
le livre : du délicieux Beau fixe sur New<br />
York avec Gene Kelly à La Passion de<br />
Jeanne d’Arc de Dreyer, que le réalisateur<br />
détourne à merveille en superposant<br />
aux i<strong>mag</strong>es muettes le dialogue<br />
du couple. On parle aussi beaucoup<br />
cinéma, notamment lors d’une scène<br />
irrésistible où Jean-Luc et Anne – incarnée<br />
par Stacy Martin – débattent de<br />
l’utilité de la nudité à l’écran, tandis<br />
qu’eux-mêmes sont intégralement nus,<br />
face caméra. <strong>Le</strong>s habitués d’Hazanavicius<br />
reconnaîtront là sans mal la patte<br />
du cinéaste. <strong>Le</strong> mélange de pastiches,<br />
de comique de répétition (les lunettes<br />
cassées), de légèreté à la OSS 117<br />
se fond délicatement à la mélancolie<br />
romantique de The Artist. Il s’agit ici<br />
« d’une histoire d’amour touchante,<br />
originale et tragique, mais universelle<br />
aussi ». « Une des raisons pour lesquelles<br />
une histoire d’amour se termine,<br />
c’est que l’un des deux, ou parfois les<br />
deux changent », commente le réalisateur.<br />
« Là, ce qui est tragique, c’est que<br />
ce n’est pas un changement qui est dû<br />
aux aléas de la vie ou de l’âge, c’est<br />
un personnage qui veut changer, qui<br />
décide consciemment et volontairement<br />
de changer au nom de la révolution.<br />
<strong>Le</strong> personnage d’Anne s’est engagé avec<br />
quelqu’un et, en l’espace d’une année,<br />
le voit se métamorphoser pour des<br />
raisons artistiques et politiques. Ce que<br />
j’aimais vraiment, c’est qu’on pouvait le<br />
raconter à travers des scènes qui sont<br />
des scènes de comédie diverses : du<br />
burlesque à de la comédie beaucoup<br />
plus fine, des comiques de situation<br />
avec Godard qui pouvait être charmant,<br />
et de l’humour distancié. En termes<br />
de scénario, j’y ai vu une recherche<br />
d’équilibre qui était un peu celle de la<br />
comédie italienne. »<br />
Portrait d’un couple<br />
Comme les opus précédents du<br />
cinéaste, le film s’affirme comme<br />
populaire tout en témoignant d’un<br />
attachement profond à la forme. La<br />
trame est simple et chronologique mais<br />
le jeu s’impose d’emblée. « Je n’ai pas<br />
du tout fait un film sur le vif comme<br />
Stacy Martin (au centre).<br />
Godard pouvait le faire », explique<br />
Hazanavicius, « j’ai fait un film beaucoup<br />
plus traditionnel, puisque c’est<br />
une reconstitution historique, mais je<br />
joue avec tous ses codes ». Godard lui<br />
aussi s’amusait des codes cinématographiques,<br />
mais ne donnait pas dans<br />
la parodie : « Godard est un inventeur<br />
avec des grandes prises de liberté, qui<br />
travaille sur des choses existantes et<br />
réagit à des règles de cinéma. »<br />
Que le spectateur se rassure, nul besoin<br />
de connaître le cinéma de Godard sur<br />
le bout des doigts pour apprécier le<br />
film. Si le connaisseur appréciera la<br />
performance incroyable de Louis Garrel<br />
(les cheveux, la voix, l’œil malin et<br />
séducteur… tout y est) et la restitution<br />
de Mai-68, les autres y découvriront le<br />
portrait intime, « ironique et touchant »<br />
selon les mots de Louis Garrel, d’un<br />
couple qui se lie puis se délite. La première<br />
histoire du Redoutable apparaît<br />
d’ailleurs comme le versant négatif de<br />
The Artist. « C’est le chemin inverse »,<br />
confirme le cinéaste. « Dans The Artist,<br />
les deux personnages se tournent autour<br />
et se retrouvent à la fin, tandis que<br />
là, ils commencent ensemble. Mais le<br />
type de rapport humain est le même :<br />
la femme est le pôle positif alors que<br />
l’homme est dans une errance. » Mais<br />
le happy end s’imposait dans The Artist,<br />
considère-t-il. <strong>Le</strong> film se devait d’être<br />
« un petit bonbon », afin de ne pas<br />
« punir jusqu’au bout » les spectateurs<br />
venus en salle voir un film muet en noir<br />
et blanc. Cette fois, le spectateur a droit<br />
LES CINÉMAS GAUMONT ET PATHÉ 25