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Secret de 2 Le taureau de lumière de Michel Kayser L Le chef doublement étoilé de Garons dévoile au Journal des Halles la genèse d’un tartare venu d’ailleurs. Mieux qu’une recette : un voyage intime et inspiré. Michel Kayser évolue dans sa cuisine avec des allures de danseur. Tout en légèreté, regard brillant, il parle peu, vite, d’une voix douce et toute son équipe, douze personnes en tout, s’affaire sans un mot. Impressionnant silence. Seuls les visages, concentrés, et les mains, virevoltantes, émergent dans le décor inox et blanc. On est à trois heures du service et la chorégraphie est déjà parfaitement fluide et rythmée. « Je reste fasciné par cette virtuosité des mains qui chaque jour transforment des produits et dessinent nos rêves » lâche Michel Kayser. Il vient d’avoir 62 ans, il est au sommet de son art, de sa carrière, décrochera sans aucun doute cette troisième étoile qu’il mérite depuis longtemps et reste dans l’émerveillement. « Je suis encore étonné d’être connu, je veux rester enfant » dit-il en riant et ce n’est pas du tout une coquetterie. Cette cuisine rutilante, scène lumineuse d’un spectacle en gestation, c’est son royaume intime et collectif. Son plus beau jardin. « Je suis bien chef d’orchestre mais sans mes musiciens, je ne suis rien : ils sont mes interprètes et mes seconds, mes solistes, Arnaud Bresteau et Aude Multon, sont le prolongement de moi-même » affirme-t-il avec force. C’est son credo, son moteur. Aujourd’hui plus que jamais. À l’inverse d’autres arts solitaires, la haute cuisine implique l’échange, le partage, l’écoute. Sans les autres, tous les autres, point de salut. Il en est convaincu. Il y puise sa motivation, son inspiration. Sa raison d’être. Ce matin, en arrivant, on a croisé Laurent Ducurtil, producteur renommé de Bellegarde, venu livrer quelques cagettes de fraises ciflorettes. « Un parmi d’autres, dit Michel Kayser, un paysan génial à qui je réserve chaque année un tunnel de ses fruits d’exception : sans ces produits sublimes, le meilleur cuisinier du monde resterait en rade ». Pour notre défi "Secret de chef", il a hésité, d’abord opté pour la brandade de morue transmutée à sa main, puis s’est finalement replié sur le " tartare de taureau de Camargue relevé au raifort", une de ses entrées phare au titre énigmatique : "Aparté de cuisine de l’Homo Habilis". Avant cette version, il y a eu plusieurs essais et tout un parcours. Un cheminement patient. « Je voulais absolument mettre en valeur le taureau de Camargue, emblème de notre région et viande d’exception, mais je devais aussi ménager ma clientèle et vaincre leurs préjugés ou leurs appréhensions ». Taillée dans la tende, le cœur du cuissot, sur des bêtes de luxe de la manadière Magali Saumade, cette viande sans gras menaçait d’être un peu sèche ou rude à la mâche. Il a donc décidé de la travailler crue et imaginé tout un stratagème pour la rendre moelleuse à souhait. Et puis, comme il tient à rester dans l’enfance, il s’est raconté une histoire. Un petit conte propre à charmer tous les réfractaires aux bêtes à cornes. « J’ai repensé à nos ancêtres, les premiers chasseurs de la préhistoire et je les ai
Chef MICHEL KAYSER UN CHEF, UNE CRÉATION par J. Maigne vus partir en forêt sur des chemins tapissés de feuilles, parmi des rochers, sur la piste de ces taureaux splendides immortalisés à Lascaux. Le chemin en forêt, les rochers, l’Homo Habilis, l’inventeur des premiers outils en pierre capables de tailler la viande crue : ma recette était là, venez, vous allez voir » … Il a retrouvé à son poste Arnaud Bresteau, son brillant soliste, a juste vérifié avec lui que tous les ingrédients étaient bien en place et n’a plus prononcé un mot, observateur bienveillant, fasciné comme nous par la virtuosité du spectacle dont il connaît pourtant tous les ressorts. Tout est allé vite, très vite, et les mains d’Arnaud n’ont jamais douté. Le chemin champêtre en fond d’assiette ? Un mélange chapelure pain de mie, persil, champignon séché, échalote, huile d’olive vite tracé au pinceau. Le tartare en forme de rocher ? Viande brièvement congelée (10’ maxi), tranchée finement au couteau, enrichie d’une mayonnaise adaptée (huile d’olive noire fermentée, moutarde, sel, poivre, ketchup), assaisonnée de sauce soja et jus de betterave (pour la couleur). Il remet APARTÉ DE CUISINE DE L’HOMO HABILIS brièvement le "rocher tartare" au congélateur, puis le trempe dans une gélatine à base de lait, le tout coiffé de raifort râpé. Maintenant la forêt sauvage, et parfumée, révélée à l’aide d’une pince de philatéliste : feuille d’oseille rouge, salicorne, radis, concombre… Pour la couleur et la fraîcheur, une quenelle de sorbet au radis rose et quelques points de mayonnaise pour harmoniser le paysage. Arnaud a dessiné le tout en quelques minutes et esquisse une moue. Ce sorbet rose pâle, là, il le trouve mollasson et visiblement, ça le chagrine. Michel Kayser sourit, le remercie gentiment mais confirme. Pour la photo, passe encore. Pour un client, le plat aurait été repris. La cuisine "diaphane et créative" de Michel Kayser, selon les mots du guide Michelin, se joue au détail près. C’est l’une des lois fondatrices du grand orchestre de Garons. ■ Restaurant Alexandre - Michel Kayser 2, rue Xavier-Tronc - 30128 Garons Tél. : 04 66 70 08 99 www.michelkayser.com Ouvert tous les jours sauf dimanche et lundi en été
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