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L'Arbre n°16

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

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34 L’ARBRE Interview réalisé par Marie-Laurence 35<br />

Gilles Clément,<br />

paysagiste<br />

Le 6 e continent,<br />

historial de la Grande<br />

guerre, Péronne.<br />

Bonjour Gilles Clément. Vous êtes biologiste,<br />

écrivain, jardinier engagé mais surtout paysagiste<br />

dont le talent à été plusieurs fois récompensé et<br />

notamment par le Grand Prix du paysage en 1998.<br />

Dans quel paysage avez-vous grandi ? D’où<br />

vous vient votre vocation ?<br />

J ai grandi au sein d un paysage qui était en évolution,<br />

en transformation : la Creuse et le Limousin.<br />

J’ai donc assisté à ce que j’ai plus tard appelé l’inversion<br />

du paysage.<br />

Ma vocation me vient tout d’abord du goût pour la<br />

nature : les insectes d’abord, puis les plantes. J’étais à<br />

l’époque en contact avec la nature par le petit bout<br />

de jardin de mes parents qui était lui-même directement<br />

immergé dans la nature. Plus tard, j’ai eu un<br />

signal d’une enseignante de sciences naturelles qui<br />

m’apprit qu’existait le métier de paysagiste.<br />

Dans une interview vous avez dit que « les<br />

paysages m’ont permis de comprendre où<br />

j’habite ». En quoi vos voyages ont-ils influencé<br />

votre travail ?<br />

Le voyage permet la comparaison des paysages et<br />

des cultures. Un paysage est à la fois économique<br />

et culturel puisqu’il est soumis à la pression de l’anthropisation,<br />

à la pression des humains sur la planète<br />

d’une manière très très forte. Quand on voyage,<br />

on voit donc comment sont les autres paysages et<br />

quand on revient chez soi on sait où on habite parce<br />

qu’on comprend par comparaison comment on est<br />

arrivé à cette image-là. On peut par comparaison<br />

faire apparaître ce qui est identitaire.<br />

Vous faites l’objet en ce moment d’une rétrospective<br />

à l’abbaye de Noirlac. À cette occasion<br />

pouvez-vous nous expliquer les trois idées que<br />

vous avez mises en place tout au long de votre<br />

carrière, à savoir le jardin en mouvement, le jardin<br />

planétaire et le tiers-paysage ?<br />

Le jardin en mouvement est issu d’une pratique dans<br />

mon propre jardin : je voulais respecter la diversité<br />

végétale et animale, et même l’augmenter. Cela m’a<br />

obligé à mettre au point une technique de jardinage<br />

qui n’a rien à voir avec ce que j’avais appris et qui<br />

respecte la dynamique naturelle, celle des plante en<br />

particulier. Certaines d’entre elles ont des capacités<br />

à se déplacer dans l’espace par les graines qu’elles<br />

sèment qui sont transportées par le vent ou les animaux<br />

(cela concerne principalement les plantes à<br />

cycle très court). Si on veut les garder, on est obligé<br />

de suivre le déplacement physique qu’elles ont opéré<br />

sur le terrain. Dans ce cas-là il faut adopter un mode<br />

de gestion complètement différent, qui s’appelle le<br />

« jardin en mouvement » à cause du déplacement<br />

physique. Au point de vue philosophique cela s’applique<br />

à tout : on fait avec et on ne fait pas contre.<br />

Le jardin planétaire c’est la planète considérée<br />

comme jardin, pour trois raisons : la couverture<br />

anthropique (comme dans un jardin le jardinier<br />

est partout), le brassage planétaire (comme dans<br />

un jardin toutes les plantes viennent d’ailleurs) et<br />

dans la signification du monde (« jardin » signifiant<br />

« clos »). On est dans la définition même du monde.<br />

Au sein du jardin planétaire se trouve le tiers paysage<br />

: c’est un ensemble d’espaces en déprise ou<br />

qui n’ont jamais été pris ; des réserves, des lieux où<br />

l’on n’est jamais allé, mais ce sont surtout des lieux<br />

qu’on a abandonnés. C’est là qu’on voit la diversité<br />

la plus haute, parce que dans les lieux exploités par<br />

l’homme, notamment le paysage agricole, forestier<br />

Jardins du Quai Branly,<br />

Paris.<br />

ou industriel et urbain, tout a disparu ou presque,<br />

alors que dans les lieux en déprise, tout se réfugie.<br />

Ce sont des lieux qui ne sont pas jardins, sans jardinier,<br />

mais qui sont des territoires d’accueil pour<br />

toute la diversité chassée d’ailleurs. C’est un trésor<br />

puisque nous détendons cette diversité.<br />

Vous avez toujours été un défenseur de l’écologie,<br />

peut être même avant l’heure. Pensezvous<br />

qu’il reste de l’espoir pour sauver notre<br />

planète ?<br />

Pour le moment on n’est pas du tout partis dans<br />

cette direction puisque malgré la conscience planétaire<br />

en laquelle je crois, et l’importance des répercussion<br />

d’un geste sur l’autre bout du monde, on ne<br />

fait rigoureusement rien. Ces consciences existent<br />

depuis des dizaines d’années, mais il n’y a plus de<br />

projet de politique, il n’y a plus d’idéal, de rêve, il<br />

n’y a plus d’utopie, il y a juste la question du profit.<br />

Nous sommes toujours dans cette dynamique et rien<br />

n’a enrayé le système. Pour l’instant, comme nous<br />

sommes dans cette logique du profit, l’écologie n’a<br />

aucune chance d’émerger. Elle est d’ailleurs systématiquement<br />

rejetée par l’Europe, par la France,<br />

par tout le monde. Les politiques qui pourraient se<br />

développer en étant basées sur la conscience écologique<br />

sont combattues. Dans un court ou un moyen<br />

terme il n’y a donc pas d’espoir.<br />

Dans un long terme ce ne sera même plus une question<br />

d’espoir ou pas, on n’aura pas le choix. On ne<br />

pourra plus faire autrement puisqu’on ne pourra plus<br />

respirer, l’eau ne sera plus buvable etc.<br />

Vous avez beaucoup travaillé dans des espaces<br />

urbain, notamment à Paris, Lille, Cherbourg,<br />

Nantes ou Marseille. Que pensez vous de la<br />

place de la nature dans nos villes contemporaines<br />

?<br />

On peut imaginer des constructions d’immeubles<br />

avec des surcharges autorisées sur des surfaces<br />

planes qui sont suffisantes pour supporter de la terre<br />

et des cultures, et c’est tout à fait possible et en plus<br />

très intéressant puisque cela participe mieux que<br />

quoi que ce soit d’autre à l’isolement du bâtiment.<br />

Sur le principe la nature est d’accord pour venir<br />

n’importe où si on l’accepte. Il y a quelques années<br />

on l’empêchait de venir, on utilisait des pesticides<br />

et des herbicides absolument partout. Aujourd’hui<br />

les directions des espaces verts ont arrêté cela dans<br />

certaines grandes villes. À partir de ce moment-là<br />

on voit des tas de choses arriver, comme des plantes<br />

qui poussent sur le béton sans aucun problème.<br />

Pensez vous qu’il y a un rapport entre le jardin<br />

et la poésie ?<br />

Il ne peut pas ne pas y en avoir. Le jardin est une<br />

source d’étonnement permanent. Pour moi, le jardin<br />

est un territoire mental d’espérance : un lieu où on<br />

fait quelque chose pour demain et où le temps n’a<br />

pas tellement d’importance, on l’accompagne on<br />

ne s’y heurte pas. À mon sens il y a là dedans une<br />

dimension poétique très forte.<br />

Quels sont vos projets ?<br />

Je travaille sur le projet du parc Salvator à Marseille :<br />

quatre hectares redessinés et recomposés destinés<br />

à des adolescents en psychiatrie mais également<br />

ouvert au public.<br />

J’ai également travaillé sur un projet symbolique,<br />

qui sont des îlots installes dans un étang à péronne<br />

devant l’historial de la Grande guerre. Les îlots renvoient<br />

symboliquement aux cinq continents dont<br />

sont venus les soldats, avec des plantes des cinq<br />

continents, plantes qui sont là pour vivre entre elles<br />

et non contre elles. Une sixième île est accessible<br />

en barque. Les gens sont invités à y planter leurs<br />

plantes, venues de leurs pays.

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