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L'Arbre n°16

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

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50<br />

L’ARBRE Interview réalisé par Julia Jibert 51<br />

David Biraud,<br />

œunologue<br />

À vos débuts, qu’est-ce qui vous a<br />

intrigué dans le vin pour que vous<br />

en fassiez carrière ?<br />

Ce qui m’a intrigué, c’est le fait<br />

que le vin soit la seule machine à<br />

remonter le temps. Pourquoi ? Car<br />

c’est le seul produit alimentaire<br />

consommable après des siècles,<br />

sans pour autant que le consommateur<br />

n’en meurt ! Même si le vin finit<br />

sa vie, il tournera au vinaigre et un verre<br />

de vinaigre n’a jamais tué un homme. Donc<br />

lorsque l’on boit des vins relativement anciens, on<br />

se replonge dans l’époque de création de ces vins.<br />

C’est pourquoi il n’y a pas mieux comme machine à<br />

remonter le temps ! Ce n’est pas comme l’art. Avec<br />

l’art on peut constater des restes historiques mai<br />

vous ne mangez pas le tableau. En revanche, le vin<br />

est une substance qui date de plusieurs années et que<br />

l’on ingère dans notre corps. C’est pour cela que je<br />

dis quele vin est la seule vraie machine à remonter<br />

le temps, qui nous fait vivre ce passé.<br />

Comment expliquez-vous la complexité du vin<br />

par rapport à n’importe quelle autre boisson ?<br />

Par sa méthode de fabrication. Tout d’abord, il y<br />

a la domestication du végétal par l’homme. Il faut<br />

domestiquer le fruit, car la vigne à l’état naturelle<br />

devient une liane et si vous ne la taillez pas, elle<br />

fera beaucoup de végétal mais pas de fruit. Ensuite<br />

vient la transformation de cette grappe de raisin en<br />

vin, à travers le processus de fermentation et d’élaboration<br />

du vin. Ce processus n’a pas d’équivalent<br />

pour les autres boissons. Beaucoup de boissons sont<br />

fabriquées 24h/24 dans des usines par des machines<br />

selon des assemblages très précis et chimiques. Je<br />

pense notamment à certaines eaux de vies ou aux<br />

sodas. Pour le vin, il faut attendre au moins une<br />

année pour faire une bouteille. Il faut de la patience<br />

et beaucoup de respect vis-à-vis de la nature qui<br />

peut toujours reprendre le dessus sur la volonté des<br />

hommes. On s’en rend compte actuellement avec<br />

les catastrophes naturelles ou les dérèglements climatiques,<br />

comme par exemple en Bourgogne où les<br />

vignerons ont dû de nouveau faire face à la grêle.<br />

En un quart d’heure la Nature peut anéantir tout<br />

votre travail dans le vignoble et vous laisser sans rien<br />

avoir à produire ! Elle vous rappelle constamment<br />

à son bon souvenir.<br />

Donc en plus de la domestication de la nature<br />

par l’homme, il y a aussi cette dépendance de<br />

l’homme à la Nature qui entre dans cette complexité<br />

?<br />

Complètement. Le Vigneron est en lien direct avec<br />

la nature. Pas les sommeliers. Nous, nous sommes le<br />

maillon entre le consommateur final et le vigneron.<br />

Mais restons extrêmement sensibles au travail du<br />

vigneron car nous savons que c’est un travail extrêmement<br />

difficile. Personnellement, je ne le ferais<br />

pas. C’est beaucoup plus compliqué que mon travail<br />

car la Nature est là pour rappeler que c’est elle qui<br />

commande et qui décide quelle année sera meilleure<br />

que l’autre.<br />

Y a-t-il pour vous un aspect mystique dans le vin ?<br />

Mystique ? Ça veut tout et rien dire… Si ça veut dire<br />

un peu mystérieux, un peu magique, alors oui il y a<br />

un côté mystique car le vin nous laisse tout le temps<br />

en état de questionnement. Par exemple, comment<br />

va-t’il vieillir ? On peut se projeter, mais on a pas<br />

vraiment d’indications fiables sur son vieillissement<br />

dans 3, 4, 5 ans ? On a quelques pistes, quelques<br />

éléments constitutifs du vin qui indiquent s’il est<br />

fait pour la garde, et puis on a notre expérience aussi.<br />

Mais ça reste effectivement un peu mystique car il<br />

n’y a pas de maîtrise totale. On ne sait pas comment<br />

vit le vin à l’intérieur de la bouteille. On s’en rend<br />

compte seulement quand elle est débouchée.<br />

D’après vous, la qualité du vin est-elle due d’avantage<br />

aux techniques de vinification, ou à son terroir<br />

et cépage ?<br />

Pour moi c’est un ensemble. Le terroir est primordial.<br />

Être un grand vigneron c’est comme être un<br />

grand chef. Il leur faut tous les deux une bonne<br />

qualité de produits au départ pour que le résultat soit<br />

meilleur. Après, il y a des vins qui au bout de deux<br />

trois ans flanchent alors qu’ils paraissaient succulents<br />

au départ, et il y en a d’autres qui commencent<br />

à prendre plus de dimension après quelques années.<br />

La vérité est là. Celle de la qualité de la matière première<br />

! C’est pour cela que tous les bons vignerons<br />

travaillent leur sol, travaillent la vigne, et font tout<br />

pour avoir le meilleur raisin possible. Et puis, le vin<br />

existe parce que l’homme l’a domestiqué. C’est à<br />

dire que vous pouvez écraser malencontreusement<br />

une grappe de raisin, si les levures sont là, ça va se<br />

mettre à fermenter. Mais une fois terminé, l’attaque<br />

bactérienne arrivera et la plupart du temps vous<br />

aurez un vin égrelé et du vinaigre dans la continuité.<br />

L’Homme est intervenu pour comprendre ce<br />

processus. Pasteur a saisi toute cette alchimie des<br />

levures afin de développer une certaine pratique<br />

œnologique qui a permis à l’Homme d’encore mieux<br />

comprendre le phénomène de la fermentation et<br />

donc la réalisation des grands vins.<br />

Aujourd’hui, la production de vin s’internationalise<br />

et voit le jour dans de nouvelles régions dont les<br />

dotations naturelles ne semblaient pas propices à<br />

la production viticole (Afrique du Sud, Amérique<br />

du Sud, Australie, Chine, Californie…). Que pensezvous<br />

des vins des « nouveaux pays » ?<br />

C’est une erreur de penser que certains vignobles<br />

étrangers sont récents. Certains de ces pays ont de<br />

la viticulture depuis des siècles. Les Hollandais ainsi<br />

que les français qui ont quittés la France sous Henri<br />

IV sont allés en Afrique du Sud et ont travaillé la<br />

vigne. Leur niveau qualitatif n’a peut être pas toujours<br />

ou pas encore atteint le niveau des grands vins<br />

mondiaux, mais aujourd’hui la concurrence est là.<br />

Ils se sont inspirés de nos méthodes européennes, et<br />

ont été très bien conseillés et épaulés. Chaque fois<br />

que j’ai été au Chili, j’ai été surpris par le contingent<br />

français qui aide à l’élaboration des grands vins.<br />

Il faut que petit à petit certains pays fassent leur<br />

histoire mais ce n’est pas pour ça qu’ils ont un vécu<br />

plus jeune que le notre. En France, c’est toute une<br />

culture qui a permis l’élaboration de certains grands<br />

vins et ainsi faire notre réputation.<br />

Lors des championnats d’Europe de Sommellerie,<br />

vous avez su répondre justement à une<br />

dégustation complexe à l’aveugle. Selon vous,<br />

l’étiquette d’un vin a-t-elle une importance<br />

dans l’amour pour le vin ?<br />

Non, l’étiquette n’a pas d’importance dans l’amour<br />

pour le vin.Pour moi, lorsque l’on boit un vin, il faut<br />

l’apprécier à sa juste valeur avec ses qualités organoleptiques.<br />

Mais nous avons tous été confrontés à<br />

des dégustations à l’aveugle de grands vins où notre<br />

expérience aurait été différente si nous avions vu<br />

leurs étiquette. Et à l’inverse, des vins que l’on aurait<br />

pas imaginé aussi bon si on en avait vu l’étiquette.<br />

Cela prouve qu’il faut laisser faire ses sens et que<br />

l’étiquette ne fait pas la qualité d’un vin. Elle fait<br />

parfois sa réputation, sa notoriété ou la fixation de<br />

son prix. C’est un outil marketing, elle a été créée<br />

pour ça et cela fonctionne. Le design des étiquettes<br />

change de plus en plus. Mais c’est la dégustation<br />

qui fait la différence. Il faut se laisser emporter par<br />

ses sens et faire abstraction de l’étiquette. Seuls vos<br />

sens vous permettent de dire si le vin vous donne<br />

du plaisir.<br />

Pour un novice qui voudrait s’intéresser au vin,<br />

par quoi conseillerez-vous de commencer ?<br />

Il faut déjà faire ses gammes sur l’aspect gustatif.<br />

et faire des tests en achetant quelques bouteilles de<br />

vins sur les conseils d’un sommelier ou d’un caviste.<br />

Il faut commencer sympathiquement avec des vins<br />

correspondant à son budget. Tout le monde n’est<br />

pas prêt à mettre une certaine somme dans un vin<br />

car tout le monde n’est pas prêt à comprendre ce<br />

que peut être la dimension de ces grands vins au<br />

travers du prix. Nous, nous savons que ces prix sont<br />

normaux car c’est la rareté, la pureté, la mixité, la<br />

finesse, l’élégance… c’est un vin où il y a eu dessus<br />

beaucoup de travail. Mais ça vient avec le temps,<br />

avec l’expérience.<br />

Qu’est-ce qu’un bon vin pour vous ?<br />

Un bon vin est un vin qui procure du plaisir. Plaisir<br />

visuel, aromatique, gustatif et qui vous transporte<br />

au moment présent. C’est à dire en vous emmenant<br />

dans le vignoble dans lequel il est issu. Ou alors c’est<br />

un vin qui vous transporte dans le passé, et qui vous<br />

rappelle quelque chose. Des bons souvenirs. En gros<br />

un bon vin a cette notion de bonheur et de partage.<br />

Pour moi, un bon vin n’est pas synonyme de prix., il<br />

est synonyme de moment et de ressentit.

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