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L'Arbre n°16

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

L'Arbre est une revue d'art éditée par l'Association Communic'art dont l'objet principal est de sensibiliser sur les questions de la nature et de l'environnement à travers les oeuvres d'artistes de toutes disciplines - la photography, la poésie, la peinture, les installations, la cuisine, la mode, le design. Des artistes comme Aki Kudora, Nils Udo, Nicolas Jaar, Alejandro Jodorowsky, Angelin Prejlocaj et beaucoup d'autres nous livrent leur vision de la nature à travers leurs visuels, leurs textes ou leurs interviews.

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38<br />

L’ARBRE Interview réalisé par Irina Jibert-Iberklajd 39<br />

Angelin Preljocaj<br />

Au début des années 1990, vous avez travaillé<br />

avec Aki Kuroda pour les décors de votre ballet<br />

Parade. Pourquoi ce choix ? Qu’est ce qui vous a<br />

marqué dans cette collaboration ?<br />

À l’époque je cherchais un artiste qui soit à même<br />

de relever le défit qu’avait impulsé Pablo Picasso<br />

dans sa collaboration avec Erik Satie et Léonide<br />

Massine pour Parade des Ballets russes. Son fameux<br />

rideau d’avant-scène est resté mémorable ! Il y avait<br />

une audace incroyable dans la mise en scène, la scénographie<br />

et les décors de Picasso. Les artistes que<br />

j’avais approchés avant Aki Kuroda étaient séduits<br />

par l’idée de faire une scénographie pour un ballet<br />

mais en même temps souvent réticents. Je crois que<br />

c’est la figure et l’ombre de Picasso qui continue à<br />

gêner certains artistes. J’ai donc contacté Aki qui<br />

a été tout de suite séduit, enthousiaste et très prolifique<br />

sur ce projet. Pour moi, Aki est un peu un<br />

Samouraï de l’art et de la peinture. Il a su supporter<br />

la pression de relever le défit d’une comparaison<br />

avec Picasso. C’est quelqu’un qui sait s’engager.<br />

Ce qu’on voit n’est pas brutal. C’est plutôt une sorte<br />

d’oppression qui s’exerce sur la victime et qui, je trouve,<br />

est presque plus violente que la représentation pure<br />

de la violence physique, déjà mise en exergue par la<br />

brutalité fulgurante du texte.<br />

Vous savez, j’ai fait Le Funambule avec le texte de<br />

Jean Genet, avant j’avais travaillé avec l’écrivain Pascal<br />

Quignard pour le ballet l’Anoure… C’est un des<br />

pans de mon travail de trouver les liens mystérieux<br />

qui unissent les mots et les mouvements humains.<br />

Et puis, il me semble que les gens pensent trop<br />

souvent que la danse est un lieu de grâce, de beauté<br />

et de légèreté. Avec la tradition de la danse classique,<br />

il y a tout de suite l’idée du corps glorifié. Mais de<br />

la même manière que la peinture, la littérature, le<br />

cinéma, la musique peuvent être violentes, je ne<br />

vois pas pourquoi la danse ne s’emparerait pas d’une<br />

partie de la violence du monde. Comme vous le<br />

disiez, le corps est le lieu privilégié de la violence et<br />

mon outil de travail, donc je ne vois pas comment<br />

je pourrais éluder cette question.<br />

Blanche Neige,<br />

Ballet Preljocaj -<br />

Nagisa Shirai, Sergio Diaz<br />

© JC Carbonne<br />

Angelin Preljocaj, danseur, chorégraphe et<br />

directeur du centre chorégraphique national<br />

d’Aix-en-Provence voit ses créations reprises<br />

au répertoire de nombreuses compagnies du<br />

monde entier, comme La Scalla de Milan, le<br />

New York City Ballet ou le ballet de l’Opéra<br />

national de Paris.<br />

Angelin, votre talent ne s’arrête pas à la danse<br />

puisque vous êtes aussi un passionné de musique,<br />

de cinéma et de littérature. Pouvez-vous<br />

nous raconter comment a émergé votre vocation<br />

pour la danse ?<br />

C’est une vieille histoire mais je m’en rappelle encore<br />

! J’avais à peu près 11 ans et trouvais une fille<br />

très troublante dans ma classe. Pour me rapprocher<br />

d’elle, je lui ai demandé pourquoi elle avait eu envie<br />

de faire de la danse. Elle m’a prêté un livre, Le<br />

monde merveilleux de la danse que j’ai emporté dans<br />

ma chambre et lu à plusieurs reprises avec fascination.<br />

Je suis tombé sur une photographie de Rudolf<br />

Noureev suspendu dans un saut assez sublime… une<br />

beauté rayonnante ! La légende sous cette photo<br />

m'a marqué : « Rudolf Noorev transfiguré par la<br />

danse ». Et du haut de mes 11 ans, je me demandais<br />

ce qu’était ce truc qui pouvait transfigurer quelqu’un<br />

comme ça. Quand j’ai rendu le livre à mon amie,<br />

je lui ai demandé où elle faisait de la danse et suis<br />

allé y prendre mon premier cours en kimono, parce<br />

qu'à l’époque, je faisais du judo. Ça a été une sorte<br />

d’émerveillement.<br />

Vous avez fait un travail chorographique autour<br />

du thème de la violence dans votre création Ce<br />

que j’appelle l’oubli, une adaptation du roman<br />

de Laurent Mauvigner. En une phrase, ce livre<br />

raconte la violence d’un fait divers qui s’est<br />

passé en 2009, où un jeune homme est assassiné<br />

par quatre vigiles dans un supermarché de<br />

Lyon pour avoir bu une cannette de bière sans<br />

la payer. Comment avez-vous fait pour traiter<br />

ce sujet sans passer par la violence physique<br />

alors que votre outil de création est justement<br />

identique à celui de la violence : le corps. Quelle<br />

réponse la danse vous a-t-elle inspirée ?<br />

En fait, c’est un travail face au texte. Je trouvais que le<br />

texte avait des relents de violence tels, que je ne voulais<br />

pas rentrer dans des redondances, pas plus d’ailleurs<br />

que dans des vibrations pures et simples des mots. J’ai<br />

donc trouvé un contrepoids, peut être poétique, mais<br />

qui à mon sens renforce la sensation de violence : j’ai<br />

beaucoup travaillé vers l’épure, vers la tension. Il y a<br />

cette idée que l’espace est porteur de sa propre violence<br />

et que, lorsqu’il se réduit brutalement entre deux corps<br />

cela veut simplement dire qu’il y a un choc. En fait,<br />

la tension physique qui tend l’espace entre les corps<br />

est annonciatrice de violence physique. Cette tension<br />

ajoutée à l’attente et à l’imagination du spectateur<br />

exacerbe encore plus cette idée de violence physique.<br />

Vous inspirez-vous de la nature dans vos créations<br />

? Comment en retrouve-t-on ses traces ?<br />

On la trouve souvent dans des travaux plus narratifs<br />

comme dans mon travail avec Pascal Quignard<br />

dont le conte, créé pour le ballet l’Anoure, met beaucoup<br />

en mouvement les éléments naturels comme<br />

les arbres, la météorologie avec des orages… On<br />

retrouve aussi beaucoup la nature dans les contes<br />

des frères Grimm dont j’ai tiré le ballet Blanche<br />

Neige en 2008. La nature y est très présente dans la<br />

scénographie mais elle a aussi un rôle protecteur :<br />

c’est elle qui accueille Blanche Neige dans sa fuite<br />

et la protège de l’oppression du chasseur envoyé par<br />

sa méchante belle mère.<br />

Après, il y a aussi une question plus philosophique<br />

liée à la nature : la question anthropologique et ethnologique<br />

de l’opposition nature/culture ou inné/<br />

acquis que l’on retrouve avec Levi Strauss. Tout<br />

ce qui tend à construire l’être humain est souvent<br />

en opposition avec la nature et c’est à travers cette<br />

opposition qu’émerge le progrès et l’évolution. Cette<br />

question plus philosophique se trouve aussi, de façon<br />

plus abstraite, au cœur de mon travail.<br />

C’est aussi à travers votre position progressiste<br />

et votre volonté de défier les traditions de la<br />

danse que l’on retrouve cette question de nature<br />

et de progrès…

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