LMG Mag#9
Le magazine de La Maison Garage. 1er Trimestre 2020.
Le magazine de La Maison Garage. 1er Trimestre 2020.
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LE BAC S D’ABORD
J’ai toujours voulu être comédien.
J’ai eu quelques expériences tdurant ma
scolarité mais pour rassurer les parents
j’ai dû faire certains choix. Donc, bac
S puis une école de commerce. Et
bizarrement, c’est ma mère qui m’a
aiguillé à 28 ans vers des cours de théâtre.
Là, je me suis rendu compte que c’était
vraiment où il fallait que je sois. Après
moins de deux ans de cours, je me suis
lancé. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir
perdu du temps. Mon âge m’a permis
d’aborder la profession, le rapport au
métier différemment. J’avais des choses à
raconter, j’avais un certain vécu.
J’ai rapidement été pris sur la série
CUT de France Ô tourné à la Réunion.
En fait, tout a été vite. Un an et demi
après avoir pris la décision de devenir
comédien professionnel c’est devenu
mon gagne pain. Et cela fait maintenant
7 ans.
LA DIVERSITÉ
On parle de diversité, en 7 ans
en matière de casting je n’ai pas senti
beaucoup d’évolution pour ma part..
Ces histoires de diversité, c’est en fait
le rapport de chacun face à la diversité.
Comment le blanc voit un noir ou un
asiatique par exemple, comment le noir
voit l’autre noir, comment un comédien
Antillais est perçu dans le monde Afro et
vice-versa ?
Moi je suis antillais, quand je passe
des castings en France on me dit que je
ne suis pas suffisamment noir pour être
africain. Or, la plupart des rôles qu’on
me propose à Londres sont des rôles
d’africains. Voilà, il y a noir et noir.
Autre chose… pour moi la culture
antillaise n’est pas une sous-culture. Elle
ne doit pas être bazardée dans les fictions
tournées là-bas. Demain, si je dois jouer
le rôle d’un Italien, je vais prendre 2 ou 3
semaines pour travailler les 4 ou 5 phrases
d’italien qui m’auront été données à
jouer. C’est le minimum qui doit être
fait et ce à tous les niveaux selon moi.
Pourquoi n’y-a-t-il pas le même respect
pour la langue créole ? Pour l’accent
créole ? Tu ne te réveilles pas un matin et
tu parles créole. La base du métier c’est
de se renseigner sur une culture surtout
lorsqu’on ne la maîtrise pas. Qu’on soit
comédien, réalisateur ou producteur.
J’ai joué quelques semaines dans
Plus Belle La Vie. Certains critiquent ces
séries feuilletonnantes mais en matière de
diversité ce sont elles qui font le job. La vraie
vie elle est là. Ce sont elles qui représentent
le plus la France d’aujourd’hui.
LE MÉTIER
Ce métier rend curieux. Cela m’a
permis d’approcher des domaines auxquels
je ne me serais pas intéressé en temps
normal. Par exemple pour Zépon, je me
suis plongé dans l’univers des combats de
coqs. Avant, cela a pu être la situation des
migrants, ou la toxicomanie. Et puis cela
donne envie, et, c’est ce que j’essaye de
faire tous les jours, d’écouter les gens. Mais
d’écouter de manière active. C’est-à-dire
de comprendre pourquoi ils font ce qu’ils
font. Les premières questions que je me
suis posées en abordant le rôle de Chabin
pour Zépon, c’est : que veut-il ? Et pourquoi
fait-il ce qu’il fait maintenant ? Quels sont ses
rapports avec son père, son enfance ? J’ai une
vraie sensibilité pour l’école américaine…
leur manière d’aborder la création d’un
personnage.
La chose la plus importante selon moi,
c’est tout ce qu’on fait avant de jouer. Si je
sais d’où vient mon personnage, si je sais
d’où il est, si je sais ce qu’il aime, comment
il fonctionne, qui sont ses parents, etc… et
si c’est clair avec la vision du réalisateur…
normalement tout ce que je vais faire dans
le film devrait tomber juste.
LA VOIE DE LONDRES
Comme je suis bilingue et pour avoir
plus d’opportunité c’est tout naturellement
que je me suis dirigé vers Londres où il y
avait aussi des castings de productions
américaines. Une heure de Paris, un
cinéma plus proche de mes goûts, au fond
c’était assez simple. J’aime la mentalité
anglo-saxonne. Pour moi, chez eux, les
comédiens se voient comme des artisans,
des gens qui travaillent leurs personnages.
Mes parents m’ont toujours dit : Travail,
travail, travail… À mon arrivée à Paris
dans le milieu, jeune comédien noir
débarquant de Martinique n’ayant pas fait
le Conservatoire, n’ayant aucun réseau, mes
chances de réussite étaient assez faibles.
L’envie du réalisateur, de la production, de
la chaîne du moment aussi, c’est-à-dire :
“on t’a trop vu ou pas assez vu”… tout ça
est extrêmement aléatoire. La seule chose
concrète et maîtrisable, c’est le travail.
Alors je me suis concentré dessus. Et ceux
qui parlent le plus de travail ce sont les
anglo-saxons. Voilà.
J’aime aussi leur approche
pragmatique. Ils ont compris que la
diversité ramène de l’argent. Tu es noir
? Est ce que cela gêne pour l’histoire ?
Non ? T’es bon, on te prend. La question
est : peut-on faire de l’argent avec lui ?
Ce pragmatisme fonctionne mieux pour
moi. En France, on est encore dans la
culture de la cour.
LE CAMEMBERT ET LE TAMBOUR
Aujourd’hui, je rêve de projets plus
jolis les uns que les autres, de projets qui
soient reconnus internationalement. Je
rêve d’arriver à un stade qui me permette
de les choisir sans aucune inquiétude
et considération pécuniaire. Et je rêve
surtout d’un cinéma antillais florissant,
un cinéma qui s’inscrit au niveau
international. Parce que je pense aussi
qu’on a les territoires, les personnages,
les talents pour. Moi j’y crois. C’est une
aberration que depuis la rue Case-Nègre
il n’y a rien eu. Il y a plein de gens qui
viennent tourner aux Antilles, il y a
plein de gens qui s’inspirent d’histoires
antillaises et à raison ! Mais ce ne sont pas
des histoires racontées par nous. Je crois
que c’est Mandela qui disait quelque
chose comme « Ce qui est raconté sur nous
et pas par nous est raconté contre nous ».
Je pense qu’il y a une part de vérité dans
cela. Notre région, si petite soit-elle, est
d’une énorme richesse.
Et puis je rêve, d’un cinéma antillais
comme d’un cinéma coréen, avec ses propres
codes,… il y a le festival du film coréen tous
les ans sur les champs Élysées. Je rêve d’un
festival du film antillais. Alors peut-être que
cela ne sera pas en France, parce que la
France a encore un rapport particulier avec
le cinéma antillais. Je parlais de cela avec
Jocelyne Beroard. Si Kassav, qui remplit des
stades entiers partout dans le monde depuis
des années est encore considéré comme «
musique du monde » c’est pas demain que le
cinéma antillais sera bel et bien reconnu ici.
Le cinéma antillais doit faire parler de
lui. Notre richesse c’est qu’on peut manger
du camembert, mais après on va jouer du
tambour. Ça, c’est nous. Voilà. Il faut qu’on
fasse des films à partir de notre double,
triple culture ! Cela serait criminel de ne
pas en faire !
>VINCENT VERMIGNON
“