03.03.2020 Views

LMG Mag#9

Le magazine de La Maison Garage. 1er Trimestre 2020.

Le magazine de La Maison Garage. 1er Trimestre 2020.

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LE BAC S D’ABORD

J’ai toujours voulu être comédien.

J’ai eu quelques expériences tdurant ma

scolarité mais pour rassurer les parents

j’ai dû faire certains choix. Donc, bac

S puis une école de commerce. Et

bizarrement, c’est ma mère qui m’a

aiguillé à 28 ans vers des cours de théâtre.

Là, je me suis rendu compte que c’était

vraiment où il fallait que je sois. Après

moins de deux ans de cours, je me suis

lancé. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir

perdu du temps. Mon âge m’a permis

d’aborder la profession, le rapport au

métier différemment. J’avais des choses à

raconter, j’avais un certain vécu.

J’ai rapidement été pris sur la série

CUT de France Ô tourné à la Réunion.

En fait, tout a été vite. Un an et demi

après avoir pris la décision de devenir

comédien professionnel c’est devenu

mon gagne pain. Et cela fait maintenant

7 ans.

LA DIVERSITÉ

On parle de diversité, en 7 ans

en matière de casting je n’ai pas senti

beaucoup d’évolution pour ma part..

Ces histoires de diversité, c’est en fait

le rapport de chacun face à la diversité.

Comment le blanc voit un noir ou un

asiatique par exemple, comment le noir

voit l’autre noir, comment un comédien

Antillais est perçu dans le monde Afro et

vice-versa ?

Moi je suis antillais, quand je passe

des castings en France on me dit que je

ne suis pas suffisamment noir pour être

africain. Or, la plupart des rôles qu’on

me propose à Londres sont des rôles

d’africains. Voilà, il y a noir et noir.

Autre chose… pour moi la culture

antillaise n’est pas une sous-culture. Elle

ne doit pas être bazardée dans les fictions

tournées là-bas. Demain, si je dois jouer

le rôle d’un Italien, je vais prendre 2 ou 3

semaines pour travailler les 4 ou 5 phrases

d’italien qui m’auront été données à

jouer. C’est le minimum qui doit être

fait et ce à tous les niveaux selon moi.

Pourquoi n’y-a-t-il pas le même respect

pour la langue créole ? Pour l’accent

créole ? Tu ne te réveilles pas un matin et

tu parles créole. La base du métier c’est

de se renseigner sur une culture surtout

lorsqu’on ne la maîtrise pas. Qu’on soit

comédien, réalisateur ou producteur.

J’ai joué quelques semaines dans

Plus Belle La Vie. Certains critiquent ces

séries feuilletonnantes mais en matière de

diversité ce sont elles qui font le job. La vraie

vie elle est là. Ce sont elles qui représentent

le plus la France d’aujourd’hui.

LE MÉTIER

Ce métier rend curieux. Cela m’a

permis d’approcher des domaines auxquels

je ne me serais pas intéressé en temps

normal. Par exemple pour Zépon, je me

suis plongé dans l’univers des combats de

coqs. Avant, cela a pu être la situation des

migrants, ou la toxicomanie. Et puis cela

donne envie, et, c’est ce que j’essaye de

faire tous les jours, d’écouter les gens. Mais

d’écouter de manière active. C’est-à-dire

de comprendre pourquoi ils font ce qu’ils

font. Les premières questions que je me

suis posées en abordant le rôle de Chabin

pour Zépon, c’est : que veut-il ? Et pourquoi

fait-il ce qu’il fait maintenant ? Quels sont ses

rapports avec son père, son enfance ? J’ai une

vraie sensibilité pour l’école américaine…

leur manière d’aborder la création d’un

personnage.

La chose la plus importante selon moi,

c’est tout ce qu’on fait avant de jouer. Si je

sais d’où vient mon personnage, si je sais

d’où il est, si je sais ce qu’il aime, comment

il fonctionne, qui sont ses parents, etc… et

si c’est clair avec la vision du réalisateur…

normalement tout ce que je vais faire dans

le film devrait tomber juste.

LA VOIE DE LONDRES

Comme je suis bilingue et pour avoir

plus d’opportunité c’est tout naturellement

que je me suis dirigé vers Londres où il y

avait aussi des castings de productions

américaines. Une heure de Paris, un

cinéma plus proche de mes goûts, au fond

c’était assez simple. J’aime la mentalité

anglo-saxonne. Pour moi, chez eux, les

comédiens se voient comme des artisans,

des gens qui travaillent leurs personnages.

Mes parents m’ont toujours dit : Travail,

travail, travail… À mon arrivée à Paris

dans le milieu, jeune comédien noir

débarquant de Martinique n’ayant pas fait

le Conservatoire, n’ayant aucun réseau, mes

chances de réussite étaient assez faibles.

L’envie du réalisateur, de la production, de

la chaîne du moment aussi, c’est-à-dire :

“on t’a trop vu ou pas assez vu”… tout ça

est extrêmement aléatoire. La seule chose

concrète et maîtrisable, c’est le travail.

Alors je me suis concentré dessus. Et ceux

qui parlent le plus de travail ce sont les

anglo-saxons. Voilà.

J’aime aussi leur approche

pragmatique. Ils ont compris que la

diversité ramène de l’argent. Tu es noir

? Est ce que cela gêne pour l’histoire ?

Non ? T’es bon, on te prend. La question

est : peut-on faire de l’argent avec lui ?

Ce pragmatisme fonctionne mieux pour

moi. En France, on est encore dans la

culture de la cour.

LE CAMEMBERT ET LE TAMBOUR

Aujourd’hui, je rêve de projets plus

jolis les uns que les autres, de projets qui

soient reconnus internationalement. Je

rêve d’arriver à un stade qui me permette

de les choisir sans aucune inquiétude

et considération pécuniaire. Et je rêve

surtout d’un cinéma antillais florissant,

un cinéma qui s’inscrit au niveau

international. Parce que je pense aussi

qu’on a les territoires, les personnages,

les talents pour. Moi j’y crois. C’est une

aberration que depuis la rue Case-Nègre

il n’y a rien eu. Il y a plein de gens qui

viennent tourner aux Antilles, il y a

plein de gens qui s’inspirent d’histoires

antillaises et à raison ! Mais ce ne sont pas

des histoires racontées par nous. Je crois

que c’est Mandela qui disait quelque

chose comme « Ce qui est raconté sur nous

et pas par nous est raconté contre nous ».

Je pense qu’il y a une part de vérité dans

cela. Notre région, si petite soit-elle, est

d’une énorme richesse.

Et puis je rêve, d’un cinéma antillais

comme d’un cinéma coréen, avec ses propres

codes,… il y a le festival du film coréen tous

les ans sur les champs Élysées. Je rêve d’un

festival du film antillais. Alors peut-être que

cela ne sera pas en France, parce que la

France a encore un rapport particulier avec

le cinéma antillais. Je parlais de cela avec

Jocelyne Beroard. Si Kassav, qui remplit des

stades entiers partout dans le monde depuis

des années est encore considéré comme «

musique du monde » c’est pas demain que le

cinéma antillais sera bel et bien reconnu ici.

Le cinéma antillais doit faire parler de

lui. Notre richesse c’est qu’on peut manger

du camembert, mais après on va jouer du

tambour. Ça, c’est nous. Voilà. Il faut qu’on

fasse des films à partir de notre double,

triple culture ! Cela serait criminel de ne

pas en faire !

>VINCENT VERMIGNON

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!