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Sur-les-terrains-du-discours-corse

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Le football comme spectacle mondial pro<strong>du</strong>cteur de localité<br />

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qu’être « politique 6 » selon le mot d’Anton’ Francescu Filippini, le Riacquistu des fondateurs,<br />

animateurs et auteurs de Rigiru et des groupes culturels de l’île ne pouvait se départir de la<br />

dimension politique de leur écriture corsophone (Ettori, 1977, 1981, 1982 ; Quenot, 2021,<br />

2022a). Ce variant <strong>du</strong> nationalisme linguistique français qui apparaît dans cette entreprise<br />

d’institution d’un champ littéraire corsophone ne pouvait que relever <strong>du</strong> politique, tant il<br />

était intrinsèquement condamné à agir au nom de l’indiatura, c’est-à-dire de l’engagement<br />

de l’auteur à la fois pour la langue <strong>corse</strong> et l’émancipation de la nation <strong>corse</strong>, <strong>les</strong> deux étant<br />

liées dans un jeu de miroirs avec la France, quand bien même <strong>les</strong> formes de la création se<br />

seraient émancipées des structures traditionnel<strong>les</strong> et <strong>les</strong> thématiques renouvelées et libérées<br />

de la nostalgie <strong>du</strong> mantenimentu qui déplorait et s’épleurait au sujet de l’effondrement de la<br />

société agropastorale. Le Riacquistu comme revivalisme et réaction à la disparition <strong>du</strong> <strong>corse</strong><br />

est bel et bien politique dans la mesure où il opère un dépassement de cette société tout en<br />

mobilisant la langue <strong>corse</strong> et de nouvel<strong>les</strong> figures de l’île afin de constituer un imaginaire<br />

national régénéré, réincarné et réhabilité, signe d’une nation en marche.<br />

Ces figures et <strong>discours</strong> de la corsitude articulent des modes d’invention de la tradition<br />

avec des stratégies d’anticipation <strong>du</strong> futur. Du point de vue contextuel, l’analyse des représentations<br />

<strong>du</strong> Basque dans la société espagnole par Ur Appalategi appelle de notre part une<br />

analyse similaire <strong>du</strong> <strong>corse</strong> dans la société française :<br />

« Le Basque violent est à l’espace médiatique espagnol ce que l’islamiste est à l’espace<br />

médiatique français ces dernières décennies, l’ennemi politique, culturel, voire<br />

civilisationnel. Et le Basque en général est à ce même espace médiatique espagnol ce<br />

que le musulman est à l’espace médiatique français, c’est-à-dire un présumé radical. »<br />

(2020, p. 326.)<br />

L’histoire culturelle montre que l’ethnotype <strong>du</strong> Corse conjugue de nombreuses caractéristiques<br />

essentialisées, notamment depuis le romantisme et le mériméisme (Gherardi, 2000).<br />

À cet égard, la description de Lawrence d’Arabie et de l’orientalisme développée par Edward<br />

Saïd correspond à celle que je pourrais développer pour Prosper Mérimée et ses succédanés<br />

(1978). Chez ces derniers, le Corse est tour à tour, ou tout à la fois, fraudeur, violent, assassin,<br />

mafieux, radical, xénophobe, fainéant, assisté… Relatés par un auteur rigoureux <strong>du</strong> point<br />

de vue professionnel – Mérimée était inspecteur général des monuments historiques –, <strong>les</strong><br />

clichés gagnent en crédibilité. Le récit <strong>du</strong> Corse sauvage motive et justifie l’entreprise de<br />

domination de l’île. Paradoxalement, <strong>les</strong> Corses ont aussi approuvé <strong>les</strong> traits réificatoires<br />

qui leur étaient attribués. Leur acceptabilité socioculturelle dépend <strong>du</strong> contexte, et il est fort<br />

6. « De par chez nous, <strong>les</strong> théories de l’art pour l’art n’ont guère eu de prise, et seule la Politique a fait<br />

prendre la plume aux auteurs modernes de la Corse, ceux de “A Tramuntana” ou ceux de “A Cispra”,<br />

ceux de “A Muvra” et ceux de “L’Annu corsu”. Et cela n’est sans doute pas prêt de changer. Certes, il<br />

s’agit de politiques différentes et certaines peuvent être plus ou moins bel<strong>les</strong>, plus ou moins dignes<br />

ou plus ou moins mauvaises, d’autres se réclamer ou se couvrir <strong>du</strong> nom de Littérature pure et simple ;<br />

pourtant, celui qui ouvre un livre <strong>corse</strong> aujourd’hui, pour peu qu’il soit au courant, ne saura lire entre<br />

<strong>les</strong> lignes qu’un seul mot essentiel : Politique. » (Filippini, 1931.)

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