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INTRODUCTION « Dix fois condamné, dix fois ressuscité, ce club mythique incarne presque, à lui seul, l’Histoire récente de la Corse et illustre ce supplément d’âme qui paraît si incompréhensible de l’extérieur. Un club vilipendé, critiqué, honni et adulé, bouillonnant, brouillon et rigoureux, porté aux nues et voué aux flammes de la damnation : les sentiments qu’il inspire suffisent à le désigner comme l’acteur principal d’une aventure qui n’est pas seulement sportive, mais humaine, sociale, culturelle et historique. Parce que le Sporting continue, contre vents et marées, à faire souffler “u stintu ribellu 1 ” sur le football français, parce qu’il rassemble, parce qu’il émeut, nous dédions ce numéro collector au peuple bleu sans lequel rien, jamais, n’aurait été possible. Aux supporters d’hier, d’aujourd’hui et de demain, avec une pensée toute particulière à la mémoire des martyrs du 5 mai 1992… » La rédaction (Cesari, 2011, p. 3). Le sentiment d’appartenance est d’autant plus vif que les identités sont devenues instables, intranquilles et incertaines. Elles ne sont plus des évidences. Nos appartenances peuvent être plurielles, révocables, subjectives, formelles et informelles. C’est en raison de ce bouillonnement de contingences, de ce bain d’indéterminations que l’identité est devenue un questionnement individuel et une question sociétale. Elle s’actualise dans la crise de l’Étatnation qui considère les identités liées à la naissance. Telle est l’étymologie de la nation : natio, nascere en latin, « naître ». Cette fiction a suscité nationalismes et guerres pour maintenir la cohésion de la communauté nationale dans un récit où appartenances et identifications étaient censées se confondre. Dans les sociétés hypermodernes, le relativisme culturel, les migrations, le terroir, le marché, le numérique ou la mondialisation fournissent pléthore de référents susceptibles de produire de nouveaux sentiments d’appartenance transformant les imaginaires et les identités. 1. « l’instinct rebelle ».
6 SUR LES TERRAINS DU DISCOURS CORSE Jusqu’aux années 1960, l’appartenance à la Corse relevait de l’évidence pour les natifs de l’île. Elle était déjà complexe pour ceux des colonies ou d’ailleurs qui se réunissaient en amicales, publiaient des journaux ou des revues communautaires. Aujourd’hui, le sentiment d’appartenance à la Corse n’a peut-être jamais été aussi fort. Il s’exprime de nombreuses manières, de la politique à la gastronomie, en passant par les cosmétiques ou la création culturelle. À l’uniformisation des modes de consommation culturelle, par le cinéma, l’école ou les réseaux sociaux répond aussi un besoin d’enracinement et de différenciation exprimé notamment par le mouvement de l’ethnic revival qui a pris corps en Corse autour du mouvement du Riacquistu. L’individu et la société ne sont quelque chose que par les usages qu’ils font de la culture. Dans un contexte de sportification du processus de civilisation, c’est sur un territoire insulaire de Méditerranée présentant une lutte pour la reconnaissance d’une identité culturelle menacée que j’ai voulu identifier les topos, les narrations et les transactions opérés par le discours des acteurs sociaux situés dans un champ mondialisé, soumis aux lois du libéralisme économique. En m’engageant dans ce travail, j’ai voulu réunir des témoignages spontanés du sentiment d’appartenance à la Corse pour analyser les différentes dimensions de leur signification. J’ai d’abord recueilli des indices présents dans la littérature, dans les médias, sur les supports publicitaires. Mon corpus a pris forme en devenant monumental. J’ai alors commencé à le réduire aux productions du xxi e siècle pour identifier les tendances, analyser les thématiques récurrentes, dégager les figures contemporaines de l’île, à la manière des Mythologies de Roland Barthes, une grande figure de la sémiologie (1957). Disposant d’une longue énumération de sujets à traiter, j’ai commencé par les cosmétiques avant de poursuivre par la mode et la gastronomie, tant ces secteurs donnent à voir des représentations complémentaires et renouvelées de la Corse, entre invention de l’authenticité (Fabiani, 2001) et construction de nouveaux récits mythologiques. La floraison de slogans publicitaires m’interpellait : « Soif de Corse » pour les boissons Pietra, « Savourez la Corse » pour les Géants Casino, « Né en Corse » pour Casanis… Alors même que la langue corse se débat encore pour devenir la langue du pain, c’est-à-dire de l’emploi et de l’ascension professionnelle, le marketing territorial en plein essor met en scène le long des routes, sur des panneaux publicitaires en quatre par trois, les performances d’une identité érigée en produits économiques à l’intention d’une clientèle touristique. L’impact de la touristification de la Corse sur sa culture dénoncé depuis Main basse sur une île (Front Régionaliste Corse, 1971) ou bien encore par l’écrivaine Marie Susini (1981, pp. 26‐28), demeure pourtant un point noir de la sociologie de la culture en Corse 2 . Cela signifie d’une part que l’île représente quelque chose de différent pour ceux qui ne sont pas Corses, sans pour autant répondre à la question lancinante « qu’est-ce qu’être Corse ? », a fortiori pour ceux qui se réclament de cette identité culturelle et qui doivent désormais l’articuler avec le tourisme, devenu la première activité économique de l’île. Je cherchais à savoir de quelle manière la consommation pouvait agir 2. Avec un PIB de 39 %, le tourisme représente la première activité de l’île. Les activités culturelles pèsent 0,1 % de la dépense touristique, contre 0,7 % dans les DOM et 1,7 % en France (INSEE, ATC 2021).
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